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 On s'emplume d'un regard [Terminé]

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Anaïel
Anaïel

Marchombre
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http://voleusedencre.skyblog.com
MessageSujet: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeLun 21 Mar 2011 - 10:27

Elle l'avait enfin aperçu. Furtive, la marche cassée et élégante de l'araignée, de la soie au bout des doigts et des orteil, elle se mouvait entre les regards, inaperçue, fuyante, vivace. Elle ne semblait pas avoir de but, la jeune femme, et Anaïel n'avait pu que l'entrapercevoir entre les corps et les ombres, sans identifier précisément sa destination ni comment couper sa route pour la rencontrer.

Ambre.

Mais alors qu'elle avait perdu la silhouette, elle s'arrêta sous un porche, et se laissa glisser à terre, le dos contre le mur. Qu'allait-il se passer ? Cela faisait un petit bout de temps après la bataille, quand même, mais elle brûlait toujours de la même curiosité, de la même envie de confiance d'Ambre, ce qui était plutôt étonnant. Elle avait changé, un peu, aussi. Elle avait plus ou moins accepté le fait que son maître était morte, que les morts jonchaient sa route pavée de nuages, et qu'elle était le destin d'un jeune homme nommé Ewall. Mine de rien ça en faisait des nouveaux facteurs à l'équation de sa vie.

Mais maintenant qu'elle était retournée à l'Académie, maintenant qu'elle l'avait enfin retrouvée, et bien elle ne savait plus quoi faire. Les événements qui les avaient lié étaient somme toute assez étranges, que fallait-il en tirer pour continuer, pour continuer à tordre les routes ? Elle voulait des mots, des regards, comprendre pourquoi l'autre ne parvenait pas à s'extraire de sa gangue auto réfrigérée, pourquoi elle s'astreignait à tant de types, à ne pas croire qu'elle pouvait être ce qu'elle voulait sans que l'image qu'elle veuille conserver ne s'efface ? Elle avait de l'estime, pour elle, quelque chose de diffus, parce qu'elle ne la connaissait pas assez, mais un indéniable besoin, envie, de lui parler, de lui prouver, de comprendre pourquoi elle n'avait planté l'étoile de jet dans le cou de la marchombre plutôt que dans la mentaï.

Savoir ce qu'elle pensait d'elle.

Alors elle se releva doucement, la capuche sur les yeux, comme beaucoup de monde ici, et s'en fut dans la direction de la silhouette qui avait disparu, laissant ses pas la guider, son instinct lui ouvrir la voie. Elle s'arrêta à l'embranchement de ce qu'aurait été le lieu de leur échange si elle s'était précipitée pour lui parler dés qu'elle l'avait vu. L'espace se vidait de monde, et il n'y avait presque plus personne. Après un instant de réflexion, elle se concentra et essaya de se mettre à la place d'Ambre pour deviner ou l'autre avait pu s'en aller.  Pas facile. Mais elle pris néanmoins le chemin de ces escaliers spirales qui s'enroulaient là bas, au côté d'un batiment qu'elle ne reconnu qu'en étant arrivée à ses pieds.

La volière.

Elle monta doucement les marches, pour quelques unes fêlées, sensible au bruit qu'elle ne faisait pas, s'acharnant à ne pas penser à un scénario pré établit, elle voulait fuser, vive, être dans l'instant, et comprendre, oui, comprendre.

Ambre était à l'intérieur.

Anaïel esquissa un sourire. Chance, hasard ou duo des esprits, elle l'avait trouvé. Un instant elle resta immobile, mais la jeune femme semblait avoir comprit qu'elle était là. Tension des trapèzes, la tête qui se redresse et le dos qui se courbe, oh, très légèrement, mais fière, fière, le menton dressé et la carapace reformée. Quelque chose de dur, un peu fissuré, mais elle retrouvait l'Ambre qui l'avait sauvé dans les montagnes, l'Ambre qui lui avait menti, pour elle ne savait quelle raison, l'Ambre qui générait toujours autant de curiosité et de défiance.

" ça fait un p'tit bout de temps, hein, que je te cherche et que je ne te trouve pas. En as tu marre, Ambre, de me voir essayer, réessayer de t'avoir, de te comprendre, d'acquérir un petit quelque chose de toi que je pourrais utiliser pour te montrer à quel point tu peux être précieuse, quoi que tu en penses ? Mais tant que tu ne me diras pas de m'en aller, franchement, je continuerais. "

Elle fit un pas, puis deux, se rapprochant de l'ombre de son dos tendu, sous le froufroutement des oiseaux qui réveillaient l'envie tiraillante de s'envoler avec eux. Elle avait toujours eu un fluide particulier avec les êtres du ciel, ils partageaient la même essence de vie, et cela tissait des liens au gout de vent et de nuage. Elle se sentait bien, entre les plumes, entre l'espace et le temps.

D'une voix sifflotante, elle lança doucement :


- Bonjour Ambre...

Ambre. Ton nom je ne l'ai su que dans la douleur et la souffrance. Que peut-il naître de notre duo, que peut-il y avoir de plus âpre que l'entrechoc de nos esprits si différents ? Mais je brûle d'essayer, Ambre, alors laisse moi ce loisir là, cette chance là, de te connaitre et de te donner l'envie de me connaître. C'est un défis, si tu veux, mais plus que ça, une envie, et un besoin.

Regarde moi.


Ambre Naeëlios
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Marchombre
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeSam 26 Mar 2011 - 15:30

Ils étaient tous à baver sur ce putain de bal. Ambre pensait l'argo, comme une vulgarité de circonstance. Une distinction évidente à faire entre une conversation, et ce que ces élèves, dans les couloirs s'autorisaient à faire.
Dans "baver" il y avait cette connotation d'enduire, de mouiller, qui dans le fil de ses pensées prenait des accents de vice, d'injure.

Oh, sans doute, c'était l'ordre des choses. Après la vie, la mort, après la mort, les fêtes. On penserait certainement à édifier un monument, à récompenser ceux qui roulaient des épaules, en se targuant d'être résistants. On écraserait davantage les autres, ceux que l'endoctrinement avait touché doucement. Mais on effacerait les traces de brûlures, on reconstituerait en plus joli encore le carrelage parfait du Hall, et on reconstruirait l'aile du dortoir des Lotra.
Le moins de traces possibles.

Garder à l'esprit le positif, et puis « laisser les gens se changer les idées ».
Et bien sûr, tous applaudiraient; les manipulés, avides de ce délaissement, avide de laver les stigmates qui ne leur barraient plus qu'à moitié le front. Les autres, et bien, par orgueil, accueilleraient ça comme « leur grand soir » celui à raconter à femmes et enfants, des années et des années plus tard.

C'était à vous dégouter d'errer dans les couloirs.

Mais franchement, que faire d'autre? Ambre pouvait difficilement discuter de ses préoccupation pseudo-humanistes avec Tifen. Tifen aimait, et faisait partie du pouvoir en place. Et puis, au plus vite elle en aurait fini avec ces deux gugusses à entrainer, au plus vite les projets de l'itinérante pourraient se réaliser. Le sport consistait à surtout ne pas croiser les deux apprentis, ou n'importe quel marchombre.
Une fois ou deux, elle avait entendu un échos de musique d'Arro, et s'était sentie comme apaisée. La musique d' Arro chantait les mélancoliques douceurs de son âme, quelque chose d'intemporel, et inaltérable. C'était rassurant.

Tout le reste était voué au changement. Ca avait commencé par les aménagements, en vue de ce bal supposé populaire. Ca excitait la galerie de se dire que ce serait en plein air, plein de rires, de saltimbanques, de villageois. Comprenez: il faut réapprendre à concevoir des liens avec les voisins.
On ne parlait pas de mettre des flambeaux. A croire que, depuis l'incendie, l'idée d'allumer quoique ce soit avait quelque chose d'écoeurant. Ou alors, ça venait des morts.

Seuls ceux dont on était sûr qu'ils étaient méritants avaient eu droit à un bûcher. Les autres étaient sans doute amassés quelque part, sous terre. Parfois, en touchant la terre du bout du pied, Ambre avait l'impression d'entendre des choses craquer. Des carcasses, des crânes. Et des murmures suppliants.
Son esprit rappelait sans cesse -il trouvait toujours quelque chose: le laps de temps évasif laissé par Ena par rapport à sa présentation au conseil, ses capacités à entretenir, la possibilité que l'ermite pourrait assister au bal – qu'avec ses actes, y compris à la bataille, elle aurait également pu se retrouver à moisir sans sépulture, ou décence.

Partout brûlaient des encens. C'était bien simple, il semblait à la jeune femme qu'il n'y avait plus une seule parcelle d'air, dans les murs, qui ne soit saturée des odeurs âcres et synthétiques. Sans doute pour effacer, avant la venue des invités, l'odeur de souffre, de sang... de corps grillés.
C'était asphyxiant. Insupportable.

Un autre changement, notable lui aussi, était celui des maisons. Les dortoirs étaient les mêmes, évidemment, mais on avait changé les noms. On avait transformé les animaux en éléments. Les oiseaux étaient devenus la maison de la terre. Parquer les gens sous terre, littéralement, accentuait toujours plus le malaise d'Ambre. Les Corbacs étaient devenus des cadavres, des morts vivants qui hantaient l'Académie, les bas-fonds. Les dirigeants nieraient, bien sûr. On nie toujours.
L'ex-corbac avait quitté la salle, au moment de l'annonce. Décidée à ne pas se faire re- répartir. Elle avait regagné sa couche, celle qu'elle occupait depuis 3ans, sans demander quoique ce soit à quiconque.

Elle n'avait de comptes à rendre à personne, de toutes façons.

Et quand les gamines, toutes plus subtiles les unes que les autres avaient discuté toilettes, coiffures, maquillage... Elle avait compris pourquoi elles seraient toutes plus bas que terre.

Bien sûr, la fête n'aurait de populaire que le nom. Quelques boissons, quelques clowns, pour faire pittoresque. On danserait les nobles danses, en nobles parures, entre nobles jeunes gens. Et si l'ermite s'y rendait... ?
Et bien. Elle choisissait de ne plus aller à sa rencontre. Qu'il vienne, si ça comptait; sinon, elle prendrait la liberté sur tous les plans, considérant les faits comme sa propre décision. Table rase.

L'air était vif; sortit Ambre de ses pensées.
Ici, c'était autre chose. Une odeur de fiente, écœurante mais bien réelle. Une odeur de graines, sèches, de sacs de toile.
La volière. Tu parles d'un but de quête, mais il semblait que ce soit le seul endroit où l'on puisse s'accorder plus d'une dizaine de minutes sans entendre baver sur le bal – ou autre chose.

Les iris violacés se jetèrent vers la fenêtre. Les montagnes. La limite de l'horizon. Elle s'en approcha, prête à ouvrir la vitre, à respirer l'air-autre, qu'elle s'interdisait avant que 'tout soit prêt'.
Les oiseaux s'agitaient -elle s'amusait de leurs inélégance sonore. Chaque envol, chaque atterrisage était saturé de ces fausses notes vives, saccadées.

Il y avait encore tellement à penser, sur les limites et horizons.
Au départ, il y avait eu les montagnes- et puis, on les avait escaladé.
Il y avait eu l'idée de liberté. D'avancer, de s'élever, qu'importe. Ca voulait dire la même chose.
L'Homme avait asservi son corps, à son propre service. Sculpté l'art, de ses mains, de sa langue.
Et puis, il y avait eu les T'sliches.
L'idée de liberté s'était transformée en rêve. On rêvait au travail, assis, couché, et puis, on s'était levé. Tout avait été mental. L'imagination triomphait.
Les premiers marchombres avaient dessiné un horizon plus lointains- par le dessin.
Et puis... oh, et quelle importance.
Si le dessin avait ouvert la voie?
Si les marchombres qui se targuaient du dessin étaient du chaos.
Si les dessinateurs avaient oublié d'imaginer autre chose que la noble classe, et leurs intérêts.
Merwyn respirait le bonheur, et aimait plus les champignons que la philosophie.

Fil de rêve, toile d'Harmonie, ça ressemble à la composition d'une tapisserie, ou de n'importe quel tramage.
Son dos se raidit. Elle écarta de sa besace la main qui s'en approchait. Non. Pas la peine d'écrire au passé, de perdre un oiseau en errance. Contempler, c'était bien, aussi. Ecrire, c'était pour les faibles.

Ambre crut entendre un craquement- et à cette altitude, il était pourtant proscrit de croire que c'était dû aux carcasses. Quelqu'un, donc.
Elle tourna vers la nouvelle arrivante son visage, rencontra le sang des prunelles.


-Bonjour, Anaïel.

La voix était sans timbre particulier. J'aurais voulu dire « blanche » mais Ambre n'est pas faite, ni pour dire ni pour porter le blanc.
Il n'y eut pas non plus de regard noir. On oublie facilement à qui on doit rendre des comptes, son simple prénom, sifflé par cette voix-là l'avait rappelé.

Bonjour, Anaïel. Je devine plus que je ne voix ton expression. Tu me rappelles l'Ombre qui m'avait saisi, sauvé la vie dans les bois. Au combat, tu étais à découvert, tes cheveux d'or volaient tout éclat à celui du sang.


-Amusant de voir que je ne porte plus le nom de Traître... parce que j'ai survécu, je présume?

Je n'oublie pas que je t'ai atteint; toi et moi pourrions être au même niveau. Compenser les lacunes de l'autre par nos points forts. Même si tu es libre depuis longtemps, et que je ne suis reconnue que par moi-même comme ton égale.
Je n'oublie pas que tu m'as sauvé.
Je n'oublie pas que tu as des ailes; et un cri qui coupe jusqu'aux nerfs.
Je n'oublie pas qu'au combat; même en m'identifiant comme personne qui pourrait être de ton camp, tu m'as jeté entre toi, et ton adversaire, alors que j'étais désarmée.

Et mon regard trouve le tien, pensant au carmin des maquillages, et du sang. Avec défi, avec orgueil, avec prudence, sans doute.


Anaïel
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Marchombre
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeDim 3 Avr 2011 - 19:44

Anaïel sursauta. Comme prise entre le fil et la décharge, liant du conducteur à la douleur. Elle cligna des yeux, plus touchée qu'elle n'aurait du l'être par le ton d'Ambre, par l'absence de ton, plutôt, transe lucide à couper les souffles, elle biseautait les sentiments à coup de violet. Un flash saisit la marchombre, le sang et les combats, les yeux qui se cherchent mais qui ne se trouvent qu'à demi, l'adrénaline qui fusait, qui noyait l'avenir d'un camaïeux de présent.

Oui, je t'ai appelé "traitre", mais on était en plein combat, non ? Personne ne pouvait vraiment savoir dans quel camp était le voisin, je voulais juste me protéger, protéger Elera... Peux tu vraiment me reprocher cela, alors que je ne savais même pas ton prénom, prénom issu du mensonge que tu m'avais servi comme une liqueur acide dans les montagnes à la genre "bois et étouffe toi avec, j'ai rien besoin de te donner, tu ne m'oblige à rien" ?

Anaïel fit un pas, ou plutôt l'esquissa, détourna les yeux, touchée, touchée en pleine cible, tu es une redoutable archère, Ambre. La marchombre leva les yeux vers les oiseaux. Un peu comme un soupire, comme on lève les yeux aux ciels, comme on vrille le regard, genre "nan mais vraiment". C'était ça, mais peut-être un petit quelque chose de plus, un truc de marchombre ça, de regarder les animaux ou le paysage pour se ressourcer, pour reprendre une contenance, ou simplement pour le panache, l'envie d'être en harmonie. Et elle l'était vraiment, la jeune femme, à laisser le souffle des plumes bruisser sur son visage, y cherchant en vain une suite, une accroche, quelque chose de concret à lui offrir, à la fille qui la toisait, recouverte d'une patine de rien, le regard luisant comme un miroir de néant.

Il y eu un espèce de silence pesant, le genre qui ne prête pas, mais alors pas du tout aux confidences, un peu comme une chape poisseuse qui colle les lèvres et qui fait grandir les yeux comme si on ne pouvait plus respirer. Anaïel voulait le coeur de l'autre. Maintenant elle avait envie de confrontation.

Incroyable comme le pouvoir de l'autre s'exprimait. Elle obligeait, avec l'esbroufe des marchombres et des paysans, à justifier, à argumenter, à monter dans les mots, comme un acenseur d'émotion, puis elle coupait les fils de sécurités pour regarder l'interlocuteur s'écraser sur le sol - ou bien s'envoler pour atteindre un nouveau niveau de jeu. Sauf que ça ne semblait même pas l'amuser - y avait-il vraiment un but à toute cette histoire ? Que tirait-elle de sa résistance à la tentation, une estime d'elle-même ? La preuve de son pouvoir, ou de l'absence de celui des autres sur elle ?

Anaïel secoua la tête et trilla, tout en se baissant pour ramasser une plume blanche qui semblait par miracle avoir survécu aux fientes multiples :


- tu présume mal, c'est un fait. Tu présume mal depuis le début, finalement, depuis que, pour je ne sais quelles obscures raisons, tu m'as mentis sur ton prénom. Après, chacune nous avions le contexte. Tellement différent, et pour finir on ne se comprend pas.

Elle fit tourner la plume, noyant les contours dans un flou artistique dont ses prunelles ignées se repaissait, y trouvant une cadence, cherchant un tempo à suivre, la valse, la chorégraphie qui connecterait leurs esprits - ou au moins en briserait la glace.

Puis elle releva les yeux, où l'intensité seule de ses prunelles suffisait à prouver la tombée des masques, où les épaules tendues attendaient le nouveau coup de fouet, la joue la griffure de rejet. Après un silence déroutant, elle lança, presque agressive, terriblement frustrée :


- Pourquoi est-ce que tu me repousse tellement, Ambre ?

L'autre sursauta t-elle ? Elle ne savait pas. Toujours est-il qu'elle resta silencieuse, se contentant de regarder la marchombre, de lui rendre son regard, sans même la politesse d'y ajouter la petite lumière qui signifierait qu'elle avait entendue la question. Énigme vivante, la jeune femme, marchombre ou pas ? Elle voyait les stigmates de l'enseignement, dans la grâce suave de ses pas, dans la qualité de ses muscles, dans l'angle du visage, juste sous les yeux. Mais elle était incapable de savoir si l'autre avait quitté la Voie, si elle la poursuivait avec un maître, où si elle s'était émancipée de se dernier. Anaïel se détourna enfin, et se mis à marcher autour de la volière, véloce, mais perturbée. Finalement, elle sifflota, tout doucement, comme pour elle même, mais les phonèmes s'articulaient d'une colère sourde, d'une frustration hésitante, avec des questions dont elle se doutait qu'elle n'aurait pas les réponses :

- Je me demande vraiment, tu as quelque chose de terriblement intéressant, Ambre, mais je ne comprend pas. Ai-je fais quelque chose de mal ? On s'est rencontré, c'est vrai, dans un contexte vraiment particulier, c'était juste après la reprise de l'Académie, mais pas une seconde je n'ai pensé que tu pouvais être quelqu'un de mauvais. Je t'estime, tu sais, je t'estime pour ce jeu que tu joue en permanence, pour cette carapace impressionnante de floue que tu as autour des yeux, et qui te colle les cils. Et je t'estime pour ce que tu es, quoi que tu en penses, même si tu te défie de moi, quoi que tu fasse pour échapper à ce que tu fuis.

Elle s'arrêta d'un coup, et continua plus fort, tout en se tournant vers la jeune femme immobile :

- Tu veux que j'arrête de tordre les routes, hein ?

Son regard se chargea de tendresse, quelque chose de diffus et gênant, car même elle ne pouvait savoir d'où lui venait l'envie de connaître Ambre, Ambre qui lui avait mentit mais qu'elle aimait, mine de rien, un peu quand même.

- Demande moi de partir, alors.

Elle se tourna vers la fenêtre, et y lança la plume qui tournoya un instant dans le vent qui soufflait froid, avant de se soustraire à son regard.






Ambre Naeëlios
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Marchombre
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeLun 4 Avr 2011 - 0:03

Ambre aurait aimé voir blêmir le visage, si réaction il y avait. Mais le capuchon empêchait de voir avec précision, et c'était mieux, sans doute. Ca évitait aux défaites toutes constatations, laissait le doute sur leurs regards. Le doute, on pourrait le transformer en ouverture, j'ai essayé, mais seule, je n'ai pas trouvé comment.

Tu détournes les yeux, déjà? C'est vrai. Il y a peu à voir, et l'horizon est derrière moi. C'est vrai, je le cherche toujours, mais ça a le don de me rembarrer encore. On ne vient pas jusqu'à moi, si on essaye, on se plante, si on essaye pas, je m'impose, et je me taille. Je ne suis pas sûre qu'il y ait quoique ce soit à voir, derrière mon mur, ou alors, rien qui souffre un regard -direct ou non.

Elle se complaisait dans le silence. Oh, la joie des bruissements d'ailes, des respirations calmes, sans combats, sans retenue, sans essoufflement. La joie d'entendre quelqu'un qui n'était pas un cadavre, et se mouvait pourtant avec l'élégance des fantômes. Plus fine et légère que l'esprit.
Combien de poignards cachait-elle sous sa cape?

Les esprits se battent eux-même sans cesse. On débat, on s'ébat, on séduit, on se contredit. Rien que verbaliser les choses, mettre des mots sur les vues de l'esprit, c'est déjà une forme de trahison. Les marchombres auraient pu briser le silence, réciter quelque chose qui serait « autre ». « Autrement ». Mais personne ne prononce les poésies marchombres. Seul le silence est inattaquable. On ne peut rien dire de mal des morts; les morts figés dans leurs linceuls de circonstances, le visage monochromatique, le corps gonflé, de silence, toujours de silence, rien que de silence.
Et les charognes de pourrir, fortes de la coïncidence.
Elles n'avaient sans doute rien à se dire. Rien de plus. Anaïel pouvait et devait le comprendre, là, tout de suite. Elle n'avait qu'à s'endeuiller de cette petite perte à son horizon, achever de noyer les avortons de conversations. Pour finir plus bas que terre, elles pourraient parler du bal, y viendras-tu, se verra-t-on, je suis sûre que la robe te siérait à merveille? Danses-tu la gigue, veux-tu que je t'apprennes, oh, Elera s'en charge. La dernière phrase, sans amertume, avec un pseudo tristesse qui serait un soulagement.

Elle brisa le silence, mais pas pour parler du Bal. Pour parler de Slynn, enfin, de l'emprunt de son prénom. En caressant une plume blanche, la faisant tournoyer en rond. Expliquer que vu l'hiver, la forêt, la faim et ses forces décroissantes, Ambre avait cru dur comme fer à une forme de divinité pour la marchombre? Que depuis, elle savait qu'elle n'était qu'une greffée de plus, un peu différente, c'était tout.
Anaïel connaissait son don, sa propre malédiction de naissance, dont on ne se départage pas, même en le voulant réellement. Anaïel savait que cela, seulement, aurait suffit à en faire un monstre, une supposée mentaï. Un foutu membre de la noblesse ancienne, même reniée, même reniante. Mais rien ne semblait faire lien, dans cet esprit-là, qui souffrait des mensonges et de l'imaginaire jusque dans ses pores, et préférait se couper du monde, sous ses ailes blanches.
Bien sûr, Anaïel n'avait rien d'un ange. Elle arrachait la chair à coups de lames, à coups de dents, et le sang avait tellement injecté son regard qu'elle devait voir rouge perpétuellement. Elle avait volé au soleil des rayons ardents, les avait tressé serrés, et fouettait l'air comme un serpent- en sifflant d'une voix douce et plus terrestre que n'importe quoi.
Mais là aussi, il y avait faits et vérités. Si Ambre présumait mal de toutes ces choses, elles étaient incapables de se comprendre.
L'itinérante ne voulait plus croire à ses propres erreurs. L'autre l'avait traité de traitre, et détourné les yeux, ça ne pouvait donc pas être si éloigné de cette pseudo vérité, somme toute, interprétable.

Et ton regard qui change.

Le cinabre, minéral, sous tes paupières, entrait en fusion. Se mêlaient sur tes iris, accusations, frustrations, sensations inconnues et toujours supposées, et toujours désirées. Qu'attendre d'autre, même venant de toi?
Ambre fut plus touchée qu'elle n'aurait voulu par la sincérité du regard de son interlocutrice. Ce qui avait sans doute suffit à convaincre le Mort-rien-val de ses possibilités, de la profonde harmonie qui régissait le monde, et dont il serait garant. Ce qui avait sans doute suffit à redonner à Elera force, espoirs ou autre chose. A vrai dire, on s'en moque un peu, alors voilà.

Elle frissonna plus qu'autre chose, se demandant si elle se trahissait autant, avec son regard. L'ombre à ses pieds aurait été plus de taille à affronter Anaïel. Aveugle, muette, et sourde. L'ombre s'offrait presque à la marchombre, qui ne l'écrasait pas.

L'ombre d'Anaïel filait loin, vers les escaliers, l'enfer des couloirs, et les limbes de brumes, le purgatoire des serres, le fumier des écuries. L'ombre d'Anaïel était derrière elle, pas affichée comme une perspective d'avenir. Même si c'était une coïncidence; plutôt innocente, d'ailleurs.
Ambre était contemplative de nature. Elle n'avait pas besoin de quitter les yeux de l'autre pour regarder le sol, pour savoir que la lumière pourfendait son propre dos, et lui caressait doucement les omoplates, comme pour dire « Allons. S'il manque dans ton dos des mains pour avancer, je serai toujours là pour réchauffer un brin de tes solitudes ». A la condition qu'elle sorte du confinement, pour aller la chercher.
A quoi bon mettre des mots sur toutes ces choses? On démonte vite les discours, on les déforme tellement. Regarde, bientôt je pourrai dire que tu tentais de me pousser plus loin de toi encore, en tentant de tout préciser trop vite. Que tu savais que je tenterais de fuir, alors, que tu as sauté sur l'occasion. Je pourrais, et me le faire croire.
Plutôt battre des cils.

Voir que tu t'enfuis toi-même, forte de mon silence? Parlerais-tu au visage des monuments? Si j'étais résistante, morte, avec le glaive au flanc et du terreau dans la bouche? Si j'étais iconique, avec mon sourire d'optique, et mes pieds sur un socle? Si je faisais autre chose que rester plantée là, sérieusement, ne finirais-je pas par perdre ce que tu prétends vouloir trouver? Ou alors, ça ne marche qu'avec Ena et sa foutue voie, ce genre de choses?

La main d'Ambre eut un tremblement direct, plusieurs fois au cours des répliques suivantes d'Anaïel. C'était la main qui avait failli saisir plume et papier, pour écrire aux parents, morts peut-être, sur les routes. Même si le ton était plus menaçant qu'autre chose, plus violent qu'autre chose. Ou peut-être, justement, parce qu'il était dit comme sous la torture, en dépit du bon sens, crânement, qu'il la touchait. De l'intérêt, vraiment?
Pas une seconde, quelqu'un de mauvais. Jouer. Dommage qu'elle parle d'être. Que savait-elle de l'être, du comment de l'être, si elle savait ses jeux de détournements? Si elle n'avait pas envisager une seconde que son interlocutrice soit viscéralement quelqu'un de mauvais.

La fin s'annonçait brutale. Comme un comédie, un monologue rythmé par le cours des choses. Introduction, intensité croissante, explosion, chute. Harmonie des rythmes innés à donner aux choses. Ambre s'était raidie encore, par réflexe au ton de voix. Baissant les yeux juste un instant.
Voir si l'ombre flirtait toujours avec la ligne de fuite.

Est-ce que ton ombre approchera de la mienne, et que le chaos des nerfs deviendra pour toi une perspective? Combien de poignards caches-tu sous ta cape? M'en planterais-tu deux dans le dos, sur une dizaines de centimètres de long, chaque fois, pour me greffer des ailes, là où je n'en ai pas?
Apparemment, non.

Elle soupira, lasse, terriblement. Mais que dire, qui ne soit pas nihiliste? Quoi dire, si c'était pour ne renier rien?



-La liberté est le panache des marchombres, répondit-elle, comme une invitation triste. Un mélange de « c'est ton problème » « qui vivra verra » et « demander, c'est attendre. J'attends depuis trop longtemps, et de trop de mondes pour m'ancrer à toi par une simple question ».

Elle déglutit, tâcha d'arrêter le tremblement de sa main. Allé, pas de quoi écrire des poèmes, et des grandes déclarations; de guère, d'indépendance, d'ivresse, à votre guise.

Ambre ferma les yeux, laissa le vent de la fenêtre ouverte balayer l'une ou l'autre mèches, et chercha à savourer l'obscurité d'un monde de nuit. Sans contours, sans distinctions préalable, sans frontière visible. Un monde d'imaginaire, de souffles, où les ombres tiennent des poignards, et sourient de leurs dents lames.
Où les ombres s'étreignent quand les corps se craignent, que les mots dépassent les pensées et ruissèlent partout, en poèmes invisibles, illisibles, inattaquables.
Rouverts, les yeux se confrontèrent aux couleurs brutales des plumes, des briques et des planchers..


-C'est à Ena que je devais demander les choses, et de partir. Je crois que c'est la chose la plus absurde que j'ai pu faire de ma vie. Aller mendier ma liberté à Ena. Comme si ça avait été autre chose que pénible, pour elle et moi.

C'était venu seul. Parce qu'il n'y avait personne d'autre pour parler de ça.

-La première fois que tu m'as rencontré, vois-tu, murmura-t-elle, en fixant les briques devant elle, et se félicitant du fait que non, étant dans son dos, Anaïel ne pourrait voir, j'avais fui. C'était la coïncidence la plus improbable du siècle, mais. J'étais à l'extérieur de l'Académie au moment de l'attaque. J'ai entendu des cris, cachée que j'étais dans le « parc ».

C'était un mensonge, mais celui-là, elle n'avait pas d'autres choix que de le formuler. On ne pouvait pas dire qu'un pirate nous avait prévenu d'une attaque en vue, et qu'on avait fui. Il fallait s'en tenir à la version officielle, pas si éloignée de la réalité que ça. Elle s'humecta les lèvres du bout de la langue.

-J'étais à l'orée de la forêt, même pas réllement cachée, en fait. Ca faisait trois ans qu'Ena était mon maître. Et je savais, bien sûre, qu'elle n'aurait pas dû accepter de « guider mes pas » qu'elle n'était pas pour moi. C'est pas très joli. J'ai fait mon allégeance à l'Académie, j'ai rencontré mon maître en cours. A sa première phrase j'ai compris que c'était de la folie de rester à ma place. Mais je ne suis pas partie. Je savais où était ma voie, où je devais être pour me permettre d'avancer, je voulais croire que je me trompais, et qu'on se trompe sur les gens, au premier regard, mais, en fait, pas vraiment. Ca faisait donc trois ans, je n'étais pas présentée, pas envoyée en quête. Pas, quoi. Alors j'ai fui. Je m'étais dit qu'elle viendrait me chercher. Qu'elle me ferait respecter mon serment, en respectant enfin le sien. Qu'il y avait peut-être une chance pour que ça se passe autrement, en fait, mais.. non. Non, et puis, une nuit, il y a eu des cris. Comme tout le monde, ici, je suis vétéran. Mais je ne suis pas rentrée. Je suis partie, loin des traitres, et des murs, en me disant que quitte à crever...

Ciller, sans s'autoriser à refermer les paupières.

-j'aurais la liberté d'emporter un tas d'abrutis avec moi, ou de partir seule, et de voir. Loué soit le Dragon, on ne peut dire des morts qu'il sont abjects, et il reste des vivants à traiter d'abrutis pour passer le temps. Et quoi, maintenant qu'on est amies, on joue à quelque chose qui ressemblerait à ce qui te fait combattre près d'Elera? A part que tu serais en quelque sorte mon Elera, c'est ça?

Le ton voulait dire qu'elle ne pensait pas que ça changerait quoique ce soit, que leurs avis respectifs l'une sur l'autre changeraient, ou qu'elles pourraient un jour parler de choses profondes et d'autres. Au mieux passerait-elle pour un petit oiseau blessé, à consoler et rassurer. Alors, Anaïel serait détestable. Ou le nom de traitre comme réalité prendrait son sens. La question était de voir si l'estime supposée de la marchombre serait influencé par ce type d'aveux. Même pas réels, d'abord, sinon métaphoriquement. Elle avait fui la voie pour voir, comme rien ne venait, et quitte à crever, et elle avait vu d'autres choses. Pas forcément mieux. Pas forcément plus rapide. Pas forcément plus séduisante.

Anaïel
Anaïel

Marchombre
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeMer 20 Avr 2011 - 21:11

Elle avait faillit détourner le pas. Une seconde, quelque chose d'infinitésimal, L'angle du menton dressé, et les yeux un peu trop vide, c'était l'apparence qui avait faillit avoir raison de sa curiosité, de sa ténacité. Mais Ambre avait répondu. Doucement, joliment peut-être, et sa phrase hurlait son indécence jusque dans ses yeux. Anaïel lui avait offert son coeur, un instant, comme elle avait pu le faire tant de fois auparavant avec la jeune femme énigme qui plantait ses mots dans les têtes comme s'ils étaient des graines de chiendent. Et comme à son habitude, elle lui avait renvoyé à la face d'autres phrases, plus néantes que les précédentes. Que chercher en sens à des mots qui, s'ils étaient vraiment l'image des pensées, étaient plus vides que le noir sans le blanc ? Tu me fais chier, voila ce que disaient les mots.

Les yeux de la marchombre se remplirent de tristesse. Elle détourna la tête, le corps prêt à partir. Les phrases peuvent-elles se solidifier et entraver le mouvement ? Bien sur qu'ils le pouvaient. Et Anaïel en fit l'expérience lorsque, sans préambule, sans même une posture pour en indiquer la source, la jeune femme lui parla, avec plus de coeur que jamais. Elle sentait dans l'intonation quelque chose de touchant, comme si elle agissait contre sa volonté, comme si cela lui faisait du bien. Tu t'émancipe Ambre, où tu me sert un nouveau mensonge à ronger comme on offre un os à un chien ?

Ainsi donc, partant du principe que la vérité reliait ses propos, Ena était son maître. Enfin, si le terme maître prenait son sens dans cette relation distante et souffreteuse, de la jeune qui mendie à la plus vielle. Anaïel ne connaissait pas vraiment Ena, pour ne l'avoir vu que quelques fois, dont la dernière particulièrement douloureuse, où elle avait appris la mort d'Elhya. Le gant d'Ambarinal ne la quittait pas, mais elle ne s'en servait pas non plus. Toujours est-il qu'elle avait du mal à imaginer une Ena aussi lointaine, aussi peu présente dans une relation qui méritait bien plus que ce que le simple nom en disait.

Elle tourna son visage vers le soleil, laissa les rayons oranges baigner son visage, tout en tendant une oreille attentive à l'histoire qu'elle avait tant voulu entendre. C'était presque grisant, de voir l'autre faiblir, de s'imaginer qu'elle pouvait, à force de curiosité et d'estime, obtenir quelque chose de quelqu'un qu'elle aimait. Même si cette personne ne l'aimait pas. C'était vraiment quelque chose de déroutant, cette histoire. En y réfléchissant bien, elle ne pouvait mettre aucun mot sur ce qui la liait à Ambre. Quoi alors, l'épisode complètement hasardeux qui les avait bouleversées toutes deux ? La fibre marchombre ? Les paroles sybilines et la curiosité d'une vie qu'elle ne parvenait à saisir ? Et elle n'en savait vraiment rien. Ambre lui apparaissait comme une jeune femme incomplète, certes, elle pouvait presque plonger toute entière dans le gouffre de sa posture et du creux que faisait la clavicule lorsque les épaules étaient trop portées vers l'avant. J'me baignerais dans ce creux, et par mes mains et mes pieds, j'en polirais le fond, tu verra.

Et elle continuait de se demander comment l'autre pouvait vivre avec tout ce qu'elle s'interdisait.

C'était certes terriblement égocentrique, que d'essayer de changer quelque chose au mode de vie de quelqu'un simplement parce qu'on ne le comprenait pas, mais par delà les différences originelles de l'esprit et de son fonctionnement, Anaïel avait l'intuition foudroyante que la l'armature soudée de tension de ses épaules n'était pas innée mais acquise. Et ça, ça faisait une grande différence. Sauf qu'elle ne cherchait pas à l'aider, pas vraiment, sachant que l'autre la repousserait si elle décelait cette intention. Non, elle voulait juste la connaître un peu plus. Et gagner son affection, quitte à la perdre définitivement en tentant le tout pour le tout.

J'l'agrandirais à la hâche, cette faille que tu viens d'échapper.

Ainsi donc, Ambre avait fui. Ce n'était certes pas très courageux, mais au delà de l'acte, et des mots choisis pour le raconter, la mise à l'épreuve était plus qu'évidente. Pourquoi avoir choisi de narrer un épisode lâche et méprisable, si ce n'était pour voir la réaction de la marchombre ?

Un sourire vint trancher le visage de la marchombre. Les yeux toujours fermés, elle écouta jusqu'à la fin les mots qu'Ambre lui offrait comme un cadeau empoisonné. Alors elle se détourna et s'accouda à la fenêtre, pour regarder le crépuscule, flamboyant de cette lumière chaude et sombre propre au coucher du soleil. Il y avait en contrebas un mince flot d'élèves qui marchaient, plus ou moins vite, plus ou moins joliment. Elle n'apperçu pas son élève dans la foule, et se demanda soudain ce qu'il pouvait faire. Elle poussa un discret soupire, en acceptant le fait qu'elle avait hate de le retrouver. Son dos se détendit, tandis qu'elle imaginait Ambre derrière elle, et qu'elle décidait de lui faire confiance, quoi qu'il arrive. Après tout, elle lui avait sauvé la vie déjà une fois. Puis elle sifflota doucement, à l'adresse de son interlocutrice qui était à présent dans son dos, espérant qu'elle la rejoindrait sur l'appui de la fenêtre.


- Je ne serais jamais l'Elera de personne, et si tu ne t'en ai pas encore rendue compte, je vais te l'expliquer franchement :


Elle marqua une pause, brève, le temps de mettre les bons mots sur ses pensées.


- C'est pas pour être quelque chose que je te cherche sans arrêt. C'est pas pour avoir un quelconque pouvoir sur toi ni pour me sentir plus dominante, ou plus marchombre si tu veux. J'veux que ça soit clair, j'ai pas besoin de toi, Ambre, pour m'aimer et pour être ce que je suis.

Elle se retourna, et fit face à la jeune femme, le soleil teintant d'or fondu les flammes de son regard. La franchise lui mangeait le visage comme un enfer igné, et ses cheveux lui tranchaient les joues de leur caresse soyeuse.

- C'est pour toi, et pour toi seule que je suis ici, as-tu donc tant de difficultés à comprendre ça ?

Les mots s'étaient fait plus agressifs. Mais le ton ne contaminait pas ses yeux, non, et ses prunelles se firent plus scrutatrices que jamais.

- Tu vois, même avec ton histoire, je ne peux me résoudre à m'en aller, parce que je sais que, sous la carapace des actes méprisables que tu raconte, il y a quelque chose de bien en toi, quelque chose qui m'attire irrémédiablement.
Je ne quémande pas ton amitié, ne te fourvoie pas. Tu ne sera jamais comme Elera, et moi de même, et ce qui nous liera, ce qui nous lie, ne peux en aucun cas être comparé. Alors cesse d'essayer de te convaincre que tout cela ne nous mènera à rien, ou pense le si tu veux, mais accepte que dés le début, nous avons commencé quelque chose qui, quoi que tu pense, est beau.


Elle repris sa respiration, et baissa les yeux, le bout des doigts un peu tremblant. Cela lui en coutait de se livrer ainsi, tout en ayant aucune certitude que l'autre ne l'enverrait pas pelleter. Cela lui en coutait d'ouvrir son cœur ainsi, de se mettre à genou, dans l'attente d'une main pour l'aider à se relever. Mais elle avait le sentiment que cela était nécessaire. Ambre était valeureuse, seulement elle ne le savait pas.

- Parce que, quoi qu'Ena ai pu faire, qu'elle qu'ai été ta vie, tu es marchombre, Ambre, et en cela nous partageons bien plus que ce que tu essaye de cacher. On ne juge pas une personne sur ses qualifications, et même si tu renie ton enseignement, ce que je peux comprendre, tu es gracieuse, tu as la marque, le fluide au corps qui te coule dans la vie, qui te coule dans les veines. Tu peux renier les idéaux, les actes et les stéréotypes. Mais tu ne peux renier que tu as tout ça en toi. Et que ta vie s'ancre dans ces nœuds d'harmonie.

Elle releva les yeux, l'âme au bord des cils, et scruta chaque mèches qui troublaient le beau visage anguleux qui lui faisait face, le menton dressé. Accepte d'être toi, Ambre, accepte d'être celle qui changera le monde de quelqu'un, accepte le pouvoir que tu as, celui qu'on s'est efforcé sans doute de t 'arracher, avec tellement de force que tu n'as plus goût en toi ni en les autres.

-
Et tu vois, moi ça me rend heureuse que tu me considère comme une amie. Même si ce ne sont que des mots. Même si tu ne le penses pas vraiment.

Anaïel leva les yeux vers les oiseaux qui s'envolaient pour leur sortie nocturne et lança, sans même y réfléchir :

- Ewall m'a raconté votre rencontre.

Ambre Naeëlios
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Marchombre
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeDim 1 Mai 2011 - 1:24

Elle observait l'ombre, vaguement anxieuse. Et l'ombre se rétractait, perdait toute son humanité en gagnant de consistance. Elle se rapprochait de la lumière, sans doute.
Ambre se demanda si elle préférait parler à cette boule sombre, au sol, ou si faire face serait envisageable. Après tout, pour la subtilité, elle n'aurait qu'à repasser; sa grossierté roturière s'affirmait. Il fallait, elle le désirait ardemment.

Elle se tourna donc, presque curieuse: où poses-tu ton regard, Marchombre? Là où l'horizon s'immole -et crève les yeux des poètes- ou au plancher des vaches. Et le dos de lui répondre, par sa cambrure en point d'interrogation. Tu n'as qu'à t'approcher, Itinérante. Elle refusa, pour un temps du moins, pour le sport.

La voix d'Anaïel était trop particulière pour être oubliée. Ambre réalisa à cet instant qu'elle avait davantage de souvenirs des cris d'Anaïel que de ses mots. Elle se souvenait du premier, celui qui lui avait sauvé la vie. Le cri terrible, qui avait poussé la jeune femme à un quasi meurtre. Cette vibration immonde... Ambre frissonna, secoua la tête, d'un geste inconscient.
Son interlocutrice mentait, elle aussi. Peut-être moins consciemment, mais Ambre en était persuadée.
Elle repensait à l'appartition de la montagne, qui manquait viscéralement de convenances: qui te les a enseignées, depuis, puisque ce n'est pas moi? La cape n'avait pas changé, et la tresse d' "or sale" en dépassait toujours, avec cette élégante négligence, qui fait qu'on l'oublie.
L'importance de s'aimer soi-même, pour quelqu'un comme elle rendit Ambre perplexe. Elle ignorait si elle-même s'appréciait. Elle s'était méprisée, oui, bien sûr. On a tous été jeunes.
Mais elle devait à l'ermite cet autre sentiment, celui de dépassement; ou existait-il déjà, bien avant?
Elle valait autant, sinon mieux qu'eux, puisqu'elle n'était pas dupe. Puisqu'elle possédait une forme de savoir... une dextérité qui n'est pas acquise à tous. Surtout pas aux gens de son rang. Et les livres prêtés lui avaient suggéré une vérité sur le chaos qui frôlait sa vision de l'harmonie, même si l'ordre et les rares affectionnés renvoyaient à son visage toute la laideur de sa voie. Et...

Et Anaïel fit face, son regard igné brûlant de cette conviction qui faisait toujours défaut à la Corbac. Pour elle, vraiment? Pour ce qu'elle connaissait: des foutus aveux, un foutu don -qui la blessait jusqu'aux entrailles, et faisait siffler toute la douleur du monde, un nom maudit, aujourd'hui enterré... un vrai nom, remercions les circonstances, qui sont bien complaisantes, quand elles veulent. Pour ses cheveux courts, peut-être?

Vint le nom d'Ena, et la carcasse se rigidifiait. Le pouvoir de ce nom là... qu'on l'enterre, lui aussi! Vint le premier sacre auquel elle eut jamais droit. Marchombre, enfin.
Sa respiration se bloqua, noya la phrase. Une marchombre la sacrait son égale. Connaissant non pas la totalité de ses vices, mais probablement plus qu'un nombre incalculable de gens. Marchombre, en connaissant son Don du dessin. Marchombre, alors que, par deux fois, elle avait manqué de la tuer- la première fois, regrettant un geste terrible et auto-défensif, la seconde, regrettant de ne pouvoir l'effectuer réellement. L'esprit se déconnecta totalement. C'était grisant, et tellement dérisoire, aux antipodes d'insignifiant. Même si plus creux qu'elle ne l'aurait cru...

Les ailes des oiseaux se mirent à battre partout en même temps, il devait bien falloir ça pour que le coeur se remette à battre vraiment. Elle réalisa qu'Anaïel avait détourna le regard, vers eux. Elle-même les baissa, plus reconnaissante de cette supposée pudeur qu'elle ne le reconnaîtrait jamais. Peut-être qu'elle n'en aurait pas besoin.
Il fallu quelques secondes pour se reprendre totalement - du regard à l'ancrage au sol, à la conversation, que son interlocutrice tenait tellement à poursuivre.

Ewall. Qu'avait-elle gardé de cette rencontre? Ils s'étaient vautrés sur leurs noms de famille respectifs, mais la jeune femme avait retenu l'orgueil du sourire, et des nuances. Et lui, quand tout s'était enchaîné à trop grande vitesse, il l'avait retenu à ses côtés, et défendue, alors que rien ne l'exigeait.
Elle inclina le cou vers l'oblique, songeuse.

-Je n'imaginais pas être le centre de son récit, pour tout dire, répondit-elle, la voix plus posée. Mais ce n'est pas ce que tu as dit, bien sûr. Il a une vision du monde qui est...

Elle hésitait. Entre radieuse et lumineuse, avait l'idée de la lampe qui va griller le papillon de nuit. Verte de soif, d'ivresse, de féérie. Elle tentait de repousser les faits qui avaient suivi l'irruption de la blonde hors de son analyse, pudique, toujours convaincue que c'était quelque chose de trop personnel que pour qu'elle y juge quoique ce soit.

-Éblouissante.

Ses yeux s'accrochèrent à ceux de la marchombre, guettaient une trace d'agacement, une lueur de compréhension de tout ce que ça pouvait augurer de dangereux. Un instant, fort bref, elle se demanda la manière dont il avait pu présenter les choses, si elles avaient un lien avec leur rencontre du jour.

-Il m'a également parlé de toi. C'était étrange. Tu aurais pu être quelqu'un d'autre. Quelqu'un de doux, avec de jolies ailes en boules de cotons, des longs cheveux de princesse, un sourire d'ange, et plus de compétence et de sagesse que Merwyn en possédait lui-même. Peut-être que c'était pareil, quand il t'a raconté?

Ce n'était pas tout à fait involontaire, ni forcément à prendre comme une méchanceté. Mais sais-tu être toi, face à ces gens trop doux desquels tu t'entoures? Toi-même, la femme qui se jette dans les ennuis, devant les fauves, pour le défi, parce qu'une proie fuit devant le prédateur? Sais-tu être ce fable, qui hurle à la mort quand le réel se distord, et lance ses alliés opportunistes devant elle, au combat? Pour finalement se jeter à main nues sur ses ennemis? Peux-tu siffler, plus que parler, avec ces gens là, qui te refusent la sauvagerie, et prétendent ton bonheur, en t'apprivoisant? Sais-tu t'aimer pour ce que tu es, ou es-tu obligée de te faire plus humaine que ce que tu es? Ou avais-je rencontré quelqu'un qui est mort, depuis lors?

Comme si c'était logique, poursuivre. Laisser à l'ange qui passe le temps de battre des ailes une fois, et puis, le fusiller. C'était trop top, ou trop tard, pour les anges; qu'ils aillent s'occuper des morts.


-Je crois que tu es ici, parce que tu sais qu'au-delà du beau, je pourrai toujours trouver assez de laideur pour être ton adversaire. Et qu'on pourrait en avoir besoin, ou envie, un jour, reprit-elle, en s'approchant, pour s'accouder à la fenêtre, à ses côtés. Mais tu peux croire que non, absolument, ça m'est égal. Tu peux aussi continuer à dire que ce n'est pas ça, et faire de grands discours, je continuerais à ne pas t'écouter, et ce serait pareil. Maintenant, dis-moi, combien de poignards sous tes grandes ailes?

Est-ce que c'est vraiment quelque chose qui tire vers le haut, que de désirer des ailes? Et quand on vole, dis-moi, est-ce qu'on est pour autant débarassés des racines? Où as-tu caché ton nid, Siffleuse; est-ce que tu caches des cauchemars dans tes oeufs? Est-ce que c'est pour ça que tu as choisi cet équilibriste qui tombe, et lève encore les yeux? Est-ce que tu as peur de le casser, parfois? As-tu l'impression d'avoir une vie de plus que lui, ou est-ce moi?
Moi, tu sais, je ne serai pas maître de sitôt, j'les tuerais, les mecs comme celui que tu as choisi. Peut-être même sans le vouloir vraiment.
Et la greffe, toi qui es maître, toi qui la possède, tu trouves ça déterminant? Est-ce qu'il t'aimerait sans aile, le Mort rien val? Est-ce que tu te le demandes, parfois? Ou est-ce que, quand on est maître, ça ne compte pas vraiment de savoir si un apprenti peut ou non nous aimer, même s'il est le premier? Est-ce qu'on pose ce genre de question à quelqu'un qui n'est personne pour soi autrement qu'en silence, le le narguant avec les yeux, avec l'air de ne pas y toucher, avec un air foireux d'assurance; ou que la question n'est pas là, que la vraie question c'est: qu'est-ce qu'on en a à cirer?


[... monkey parce que ce singe a une tête de taupe, et qu'il y a plus de raisons de mettre une taupe qu'un singe, après ça. ]

Anaïel
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeVen 6 Mai 2011 - 15:34

La farandole se prenait les pieds dans le tapis. Les danseurs vibrants, sentaient leur coeur battre, puis rater le battement suivant, les jambes engluées, et, enfin, toute la fausseté de la soirée -bal, chansons, souliers de verre, lacets transe lucide, couleurs fardées de soleil, maquillage en masque de soi - tout cela s'émancipait vers le brutal, le temps d'un déséquilibre, le temps pour les corps de s'harmoniser dans le vide - ou de tomber et de se briser la nuque. Ça en devenait presque violent, les vraies sensation, celles que l'on ourlait à la robe, en points de convenances, en mots brisées, dont les arrètes, rendues soyeuses par l'habitude, caressaient plus qu’écorchaient, les fils craquaient, et déversaient leur plein - trop ?- vers les oiseaux, avec, dans les yeux, un éclat de vrai, avec un côté du visage pulvérisé à l'eau, et le fond de tain qui coule en rivière beige sur la pointe de la chaussure.

C'est cela que tu regarde lorsque tu baisse les yeux vers le sol ? Ton masque qui coule ? Et ce sourire, est-ce qu'il coule aussi, ou bien est-il dévoilé sous le carmin de tes lèvres closes qui s'ouvrent enfin ?

Anaïel sourit. Un vrai sourire, quelque chose de profond qui contaminait ses yeux et les faisaient briller, comme des bijoux sanguins. Elle avait presque sentit "physiquement", quelque chose craquer, ou était-ce encore son imagination ? Toujours était-il que les paroles d'Ambre sonnaient comme des clochettes, et que le soleil, en vibrant de couleur, se prenait dans ses yeux violins pour les parer, comme des pierres précieuses, de scintillements adamantins. Elle vit la nuque se relever, les sourcils se défroncer, et masquer le pli entre eux deux, leur rendant à chacun leur intégrité. L'ombre d'Ambre devenait de plus en plus grande, de plus en plus noire.

Oui, Ewall avait une vision du monde éblouissante. Anaïel n'aurait pas employé un autre mot, malgré tout ce qui aurait pu ternir son regard, malgré tous les trous qui auraient pu laisser fuir le sang de son âme, ils avait su rafistoler son enveloppe de cœur, pour la rendre étanche, ou presque, à contenir toutes les émotions que le monde pouvait lui apporter. Ewall c'était une outre de bonheur et d'instantané. Comment, dans cette optique imaginer qu'il ne parlerait pas d'Ambre, ni de toute autre chose, avec une intensité pareil à la manière dont il l'avait vécu ? Par contre, les paroles suivantes troublèrent la marchombre, au point qu'elle sursauta presque, et que son esprit s'égara sur les routes dangereuses de l'esprit humain.

Elle rendit à Ambre son regard, cherchant dans ses yeux, les réponses qu'elle même cherchait, puisant dans le violet foncé la franchise que la situation lui ordonnait.

Elle ne s'imaginait vraiment pas comme Ewall semblait l'avoir décrit à Ambre. Y avait-il tant de différence dans l'image qu'elle renvoyait en fonction des personnes ? Ou était-ce vraiment le point de vue des autres qui influençait la manière dont ils la décrivaient plus tard ? Vaste question dont elle n'avait pas la solution, mais Ambre semblait avoir besoin d'une réponse. La phrase résonnait de questions sous-jacentes, et la marchombre se demandait ce qui motivaient les rouages de l'esprit de la jeune femme qui lui faisait face. Elle répondit donc, laissant son coeur parler plus que sa tête :

- Non, ce n'était pas vraiment pareil. Il m'a dit pourquoi il ne t'aimait pas, tes défauts il me les a déballés comme une cascade. Mais il m'a également dit qu'il avait de l'estime pour toi, et que tu l'avais fait réfléchir. Tu étais bel et bien le centre de son récit. Même si la présence de sa sœur le chamboulait énormément plus.

Que dis-tu de ça Ambre ? Tu étais l'héroïne là-bas, un anti-douleur pour Ewall ? Une présence qui lui a permit de se rendre compte que sa sœur avait changé ? Une inconnue égarée qu'il estimait pour la prouesse de lui avoir fait croire que tu savais où tu allais, alors même que tu n'en savais - sais - rien ?

- Mais je suis surprise par la manière dont il m'a présenté à toi.

C'était vrai. Anaïel n'était pas une fée, ni aucune créature légendaire et chimérique. Elle était certes différente, mais plus du côté des monstres, de la vengeance, de la haine. Elle avait des belles ailes, certes, mais ça elle l'avait acquis par elle même. Le reste de son corps, tout indiquait le prédateur qu'elle était, ses yeux brûlaient d'une violence telle qu'ils en étaient profondément injectés. Elle n'était pas une fée. Ewall avait tort de ne voir en elle que les bons côtés, de ne voir que le duveteux de ses plumes alors qu'en leur cœur leur tige était plus dur et plus froide que l'acier.

Elle mit sa main dans sa poche, et fit crisser le papier, doucement, caressant les aspérités en imaginant la main qui les avait tracée. Le dessin d'Ewall. Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais quand son apprenti l'avait posé sur la commode tâchée de sang et qu'il s'était détourné, elle n'avait pas voulu le laisser là. D'un geste qu'elle ne comprenait pas, elle avait récupéré le dessin et l'avait fourré dans sa poche, où il était toujours. Les yeux perdus dans le vague, elle sifflota :

- Il a plus d'aamour à donner que toi.

Elle battit des cils, baissant le visage, pour que l'autre ne puisse voir le souffle rouge sur ses joues.

- Je l'ai rencontré alors qu'il vivotait dans une troupe où il était d'ailleurs heureux. Mais il pourrissait de l'intérieur, et je lui ai proposé de me suivre, pour se sauver. Pour nous sauver mutuellement. Je lui ai montré mes ailes, alors que je lui proposait un avenir qui résonnait déjà dans ses pas. On a volé tout les deux, et j'ai faillit le blesser. Comme les autres personnes auxquelles je me suis attachées.

Elle releva les yeux, Ambre avait fait un pas.

- Je ne suis pas une princesse. Je suis un monstre.

Ambre s'était accoudée à ses côtés. Elle resta fixer le dessin des briques autour de la fenêtre en face d'elle, et les oiseaux qui volaient trop loin pour qu'elle puisse les apercevoir. À son côté, la peau d'Ambre se parait des couleurs de son prénom, et le soleil se couchait tout à fait, disparaissant à l'horizon comme une lame disparait dans une plaie. Le sang du ciel avait jaillit, dans un dernier torrent, et l'ombre du jour apparaissait insidieusement. La température baissa d'un coup, ou presque. Et dans la hauteur, avec les oiseaux, à leur pieds comme leurs fientes l'étaient, les deux marchombres ne se regardaient pas, mais ne s'enfuyaient pas non plus. Au bout d'un petit moment, Anaïel ouvrit la bouche, la referma. Elle secoua la tête, et sa tresse tomba à son côté, alors elle la remit derrière son oreille effilée. Enfin, elle lança.

- Je pense que tu as raison.

Un silence. C'était vrai. Après réflexion, rien ne motivait plus la marchombre que ce qu'elle n'obtenait pas, l'attente, la curiosité, ça la maintenait sur le fil de la vie, avec de chaque côté le danger du précipice de l'immobilité, de la stagnation, de la non-vie. Un sourire de fauve étira son visage, dégageant ses canines.

- Et je pense aussi que les poignards ne sont pas ce dont tu as le plus à t'inquiéter. À moins que ta questions ne soient pas motivée par quelques offres belliqueuses. Ce que je crois. Et toi, Ambre, combien de poignards sous les ailes que tu voudrais avoir ?

Presque instantanément, le visage de son interlocutrice se ferma. Ses yeux se voilèrent, et ses mains se refermèrent. Mais Anaïel ne voulait pas retirer ce qu'elle avait dit. Elle avait lancé sa pique en l'ayant réfléchit, sachant que la réaction ne pouvait être que négative. Ambre était une frustrée de la Voie, et c'était bien compréhensible avec la négligence dont on l'avait formé.

- Je n'ai pas de poignards sur moi, Ambre. J'ai perdu le mien il y a peu et je dois en trouver un autre. C'est pas évident d'éviscérer un animal avec une fronde, et à manger avec les entrailles c'est pas génial non plus.

Elle poussa sur ses bras et s'avança au milieu de la pièce, tournant le dos à Ambre. L'obscurité grandissait, et les ombres disparaissaient, paradoxalement. Mais il y avait encore assez de lumière pour que les yeux d'Anaïel étincelles d'or en fusion. Elle se retourna enfin, face à Ambre, qui n'avait pas bougé d'un poil.

- Mes ailes ne sont rien d'autre qu'un cadeau. Ce n'est pas un aboutissement, c'est un moyen détourné parce qu'au fond, j'aurais beau valser avec les nuages, tant que mes orteils fouiront la terre qui m'a vu naître, et que j'aimerai des gens comme Ewall, Elera ou toi, je pourrais jamais m'envoler pour de bon. J'aime la solitude lorsqu'il y a des gens pour me prouver qu'elle existe. Être vraiment seule ne m'intéresse pas.

Elle dégagea légèrement ses appuis, se centra autour de son ventre, et laissa pulser son coeur à grand coups mouillés dans sa cage thoracique. Elle fléchit légèrement les genoux, écarta les pieds, exposa son flanc aux yeux violets, pris appuis sur une jambe pour faire un tour complet sur elle-même et se retrouver à nouveau face à Ambre. Elle planta ses yeux dans les siens, avec défis, son menton relevé, cherchant l'étincelle qui enflammerait la soie violette.

- Tu n'as pas besoin d'ailes pour être mon égale.

Et d'un geste elle lui fit signe d'approcher, ses yeux luisant suivant le moindre de ses gestes.


- Viens te battre avec moi.




[J'espère vraiment que ça te plaira ]

[deuxième édit : quand on écrit le mot "aamour" ça l'enregistre en "mépris", c'est pour ça que je mets deux a. Très étrange ]

Ambre Naeëlios
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeLun 16 Mai 2011 - 18:15

Elles restèrent un moment, plongées dans le vague- chacune le sien. Ambre regardait le soleil, avec une forme de condescendance inhabituelle, à s'en faire mal aux yeux. Mais déjà, il rougissait, et berçait les plaines de ses langueurs empourprées, s'effaçaient la douleur, dans un monde sans or; juste de camaïeu sombre.

L'esprit ailleurs, loin des vagues habituelles qui le faisaient fantasmer, Ambre invoquait à son esprit les comportements d'Ewall, les surprises qu'il continuait de lui faire, à retardement. L'idée d'être dans son récit plus centrale que sa propre soeur la faisait osciller entre fierté et horreur. L'autre Mort Rien ne Valait certainement pas un quart de la valeur du jeune homme. A présence odieuse, et sa voix agaçaient les souvenirs de l'itinérante, qui ne pouvait plus éprouver pour elle la moindre compassion.
Elle n'avait pas assez de valeur pour faire partie d'une tragédie; c'était juste une mauvaise comédienne. Quant à Ambre, elle ignorait ce qu'Anaïel avait pu entendre de la suite, et les conclusions qu'elle pouvait en tirer; celles de la jeune femme n'étaient pas arrêtées, à vrai dire, elle avait plutôt tendance à chasser de ses pensées les yeux trop verts d'Ewall, et des foutus sentiments qui les enflammaient sans cesse.

Anaïel parlait, et Ambre trouvait dans ses confidences quelque chose de trop lourd- peut-être cette même chose qui l'avait poussé à parler d'Ena, quelques secondes plus tôt. Elle se demanda si Anaïel entretenait ce genre de conversation avec tous ceux qu'elle fréquentait. Et cette manière de lui reconnaître un savoir. Froidement, avant de laisser couler autour d'elles le silence, somptueux panache des marchombres.

Et elle de reprendre, la coïncidence ne l'étonna même pas- le poignard devait servir de médaille d'honneur à un des morts, qu'on avait caché là, tout en bas...
L'itinérante se crispa à la suite de l'attaque, que l'enfant indigo ne prit pas la peine de dissimuler. Les pupilles, s'agrandissant, envahirent de noirs les iris violacés, ça tombait bien. Elle ne daigna pas les détourner du paysage, le jugeant, pour le coup, moins fade que les propos de la marchombre.
La voix de celle-ci se teintait d'une douceur toute pédagogue qui avait le don d'agacer Ambre. Elle parlait de poignards, de fronde, d'animaux- quelque chose de leur rencontre, de la nature, de l'extérieur. Qui ne collait pas avec l'idyllique paysage du soleil au couchant.
La forêt, c'était avant tout la pénombre, la majorité du temps, et les insectes, les racines, les sifflements partout, et pourtant lointains d'oiseaux invisibles, le bruit sourd de la neige qui choit des branches- sans aucune élégance.
Elle quitta l'appui de fenêtre, sans susciter plus de réaction chez son interlocutrice.

L'aveu, ensuite, car c'en était un, elle voulait le croire, la confortait dans l'idée qu'elle avait eu raison de soutenir ses positions sur les greffes à Tifen. Qu'elle n'était pas si loin que ça de la vérité- si tant est qu'il y ait une vérité absolue, et non pas au cas par cas?

Anaïel, sans qu'Ambre ne sache comment, se retrouva à nouveau face à elle. Ambre devait baisser les yeux légèrement pour croiser les siens, même à distance. Elle venait de s'en rendre compte.
Elle la toisa, un long moment, comme le fond non pas les gens de bien face à un adversaire, mais les marchands face à une marchandise.


-Je ne crois pas, non, répondit-elle du bout des lèvres, la tête légèrement inclinée vers l'arrière, en dégageant son cou.

Il lui semblait évident que cette réponse pouvait s'appliquer aux deux affirmations. Si elle semblait parfaitement ambigüe dans les faits, c'était le ton qu'Ambre voulait explicite; non, je ne crois pas que j'en ai le moindre besoin, je ne l'ai jamais cru. Et non, il n'est pas question qu'on se batte.


-Mais je te serais grée de parler de la Greffe avec Tifen Layan. Les circonstances font que je suis mal placée pour lui exposer moi-même mes vues à ce sujet, de manière à ce que ça ne soit avalisant ni pour elle ni pour moi.

Le ton neutre lui permettait de ravaler toutes les récriminations et pointes d'ironie qu'elle avait envie d'ajouter et qui n'étaient au fond, que l'expression de son être puéril.
Elle se demanda ce qu'Anaïel percevait de son expression, avec cette lumière crépusculaire, qui lui caressait froidement le dos, et se détourna à nouveau, vers la fenêtre- estimant qu'il n'y avait rien qui vaille plus la peine à l'intérieur, et que l'autre n'avait qu'à tenter de l'étrangler, si elle osait.
Le regard que l'autre lui avait lancé était aussi scrutateur que celui d'un chasseur pour une proie, et elle se souvenait de cette impression désagréable d'en être une, face à Luminescence, quand il la gratifiait de sa présence. Peut-être était-elle devenue plus forte, trop chasseur que pour qu'il s'y risque?

Il aurait été facile, de formuler, encore, le reste, qui froissait sa fierté. Mais si l'ermite lui avait transmi un savoir, c'était bien le fait que le silence était le plus inattaquable, le plus interprétable, et qu'un adversaire comme un ami pouvait s'y noyer lui-même avec une facilité incroyable. Pour peu que celui qui se taisait sache s'en tenir au creux de ses propres pensées, à un non partage parfait. L'illusion de la sérénité était peut-être plus glorifiante que la sérénité elle-même.

Elle supposa qu'Anaïel pourrait également prendre son absence de réaction comme un triomphe personnel; vaincue, la bête, et mort, son poison; il suffisait de la rassurer, voyez, elle n'attendait qu'une personne capable d'être pour elle le substitut du maître, celui qui redonnerait à la voie sa dorure passée, et des croches et souffles de ses lèvres ferait naître la paisible et nouvelle harmonie! Vaincue, le venin, par un venin plus fort, et plus compatissant, par un antidote, enfin!

Elle ferma les paupières, en se demandant si vraiment, il suffisait d'une pseudo déclaration d'affection aux gens normaux, avec au préalable, des compliments bien sentis pour qu'ils laissent tomber toutes leurs barrières; et répondent sans manquement à toutes les invitations, en dodelinant du cou- gentils jouets pour enfants.

D'ailleurs, pour chasser de son oreilles les pas imaginaires qu'elle prêtait à la marchombre, Ambre poussa le vice jusqu'à envisager qu'Anaïel n'avait pas cité son maître, parmi les gens aimés, car il pourrait s'agir d'Ena, et que ça aurait suffit à rebuter l'itinérante. Et que le cas contraire, celui qui impliquait qu'Anaïel n'avait pas aimé son maître aurait sans doute voulu affirmer un autre point, sinon commun, d'entendement. L'idée que le maître soit mort ne l'effleura même pas. Elle estima qu'un véritable maître, on l'aimait par-delà la tombe; car il était celui qui nous mariait, non pas à un tiers, mais avec nous-même, dans l'harmonie et la conscience de soi et du monde. Et qu'au sens où Ambre plaçait choses gens, il était inconcevable qu'une marchombre espère un autre mariage, une fusion avec qui que ce soit d'autre, qui serait honorable. La liberté était à ce prix.

Elle aussi pourrait se permettre de vouloir donner des leçons, si si. Elle ne se l'était permis qu'avec des apprentis, jusqu'alors, et très peu. Pour passer le temps, sous forme de jeu. A défaut d'en avoir à elle. Avec l'idée, assez lointaine, qu'elle pourrait briser les siens, un jour, si elle ne s'entrainait pas.
Mais elle avait autre chose à faire que bavasser sur qui elle aimait ou pas.
Cette conversation était sans aucun doute terminée; mais l'autre pouvait toujours la faire valser par là fenêtre.
On n'est jamais aussi bien au sol que pour marcher. Quant à nous battre, allons, pourquoi? -J'y croyais, mais tu es déjà terrain conquis. N'est-ce pas?


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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeSam 4 Juin 2011 - 15:13

La réponse de l'ancienne corbac lui fit plus mal au coeur que prévu. Elle sentit -imagina- le mépris qui s'insinuait dans les paroles pour courir le long de ses veines, alors que ses yeux s'ouvraient et qu'elle y voyait une jeune femme figée, du flou plein les yeux, de l'inataquable plein les épaules. Sa position lui sembla tout à coup puérile. Elle se redressa, baissant les yeux, le menton pointé vers le sol, immobile, pour quelques instants encore.

- Comme tu veux.

Sa propre voix lui sembla venir de loin, d'un endroit d'où elle n'aurait pas su ramener Ambre, la laissant entre un coin pierreux et sa propre vision de la Voie : dépareillée, décolorée de ses couleurs, dépouillée de ses idéaux.

Ambre n'avait pas besoin d'elle.

Ça, elle le savait depuis le début mais dans un sens, elle avait espéré la toucher dans ce qu'elle avait de plus fragile : ces idéaux perdus, l'illusion de sa vie qu'elle déchirait du bout des dents. Mais elle s'était trompée. Ce n'était pas sa faiblesse, ce dénigrement constant, c'était sa plus grande force, c'était le résultat de sa lutte incessante, de sa bataille contre l'abandon, contre ce qui lui paraissait injuste, contre elle-même et ce qu'elle reniait en elle.

Mais tout cela n'était pas vraiment important, et uis, comment être sure de ce qu'elle avançait ? Anaïel n'avait que le ressentit pour preuve, et Ambre lui avait déjà prouver qu'elle pouvait se tromper du tout au tout.
La phrase suivante de l'itinérante se faufila dans ses oreilles, mais elle n'en comprenait pas vraiment le sens. Elle savait bien sur qui était Tifen Layan, mais de nom seulement, de visage, peut-être, elle ne lui avait jamais vraiment parlé. Qui était-elle pour Ambre ? Elle faillit demander, mais se ravisa au dernier instant, après tout, cela ne la regardait pas.

Parce que maintenant, elle avait peur. Peur d'une dernière rebuffade. Peur des non réponses, c'en était assez maintenant. Elle tourna la tête vers la fenêtre, puis vers Ambre dont elle distinguait la silhouette, mais tout juste assez de forme pour situer son visage. Ses yeux étaient bouffés par l'obscurité. Alors elle fit demi tour, puis s'arreta une dernière fois. Le dos tourné.

- J'vais partir maintenant. Mais avant j'voudrais te demander quelque chose.

Est-ce que ça ferait mal de savoir ? Elle était libre, elle était marchombre, pouvait-elle vraiment s'encombrer l'esprit des sentiments d'une autre à son égard ? La réponse fusa, naturelle : oui. Elera et Ewal lui avait ouvert le coeur en deux, lui écartant les tripes pour y enfouir les doses d'amour qu'elle n'avait jamais reçu avant. Les yeux plongés dans la pierre devant elle, elle murmura d'une voix éteinte :

- Qu'est ce que je suis pour toi, Ambre.

Pas de question. Suis-je une emmerdeuse ? Une entité ? Quelque chose que tu aime, par delà les mots que tu semble penser ? Suis-je méprisable, à ton regard, envenimée d'une histoire que je ne connais pas ? Ton regard, il veut dire quoi quand il se pose sur moi ? J'veux une réponse, quelque chose de court, quelque chose à quoi je pourrais me raccrocher si une prochaine fois nous réunis. Parce que là je n'ai vraiment pas grand chose, et je veux garder autre chose en tête que l'éclat de tes yeux flous.





[ c'est un peu court, pardon, mais j'avais envie d'(écrire aujourd'hui, même sans en avoir trop le temps ^^ j'espère que ça te plaira quand même, sinon je réédite tout y a pas de soucis ! ]

Ambre Naeëlios
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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeLun 4 Juil 2011 - 1:20

L'univers se vidait- après les contours, et les couleurs, et mêmes les ombres, l'airin s'alourdissait de ces non-sens pathétiques: un cri d'oiseau, un sifflement lointain, d'invisible troupeau, un rire de gorge -c'était du pareil au même. Les grandes chimères de l'imaginaire d'Ambre pourraient bientôt faire leur le moindre bruissement. Puis viendrait le silence, le prince serein des gens creux. Et qui n'appartenait pas à cette race-là?
Est-ce que ça valait vraiment mieux, de continuer à se complaire dans la contemplation? Si on regardait le vide dans les yeux, longtemps, en aurait-on moins peur? Et dis donc, mademoiselle, toi qui oublie régulièrement la jeune fille fébrile que tu étais, aurais-tu gardé quoique ce soit de tes vieux vertiges?
Le regard d'Ambre s'était fait mélancolique, fixe, un peu. Les coins de sa bouche marquaient l'angle habituel- un peu serrés, encore, peut-être. Qui était-elle pour se vexer d'une raillerie? Elle présumait autant qu'Anaïel, après tout. Et de tout.

Anaïel avait la voix brumeuse, et c'était rare. Quasi minérale, un peu fêlée, très belle, encore. Quelque chose du quartz, trop blanc dans la roche noire, quelque chose qu'on extrait péniblement, et qu'on voudra toujours tailler. Tailler encore. Le couteau démange plus sûrement que l'abîme- ou c'était l'appat du gain?

Et quand elle serait partie, son interlocutrice, qui repousserait de ses tempes les vieilles rancoeurs, qui l'obligerait à être civile? Qui repousserait l'odeur des cadavres et le poids de s'en rendre partiellement responsable? Qui ferait basculer la fine barrière, plus loin de l'harmonie, moins près du chaos? C'était dommage, elle le savait, elle le ressentait profondément- quelque chose se manquait. Mais il y avait des spectres, dans la volière, certains plus tenaces que d'autres- et tous enflammés. Elera, du bout de ses cheveux en pointes et rebuffades, avec son coeur rouge comme sa bouge, tout apte à saigner et à s'offrir. La bataille, les insultes. La Mer-mentaï qui déchaînait l'esprit en vague terrifiante. Et bien sûr, les flammes de la première rencontre, la première tentative de vie et de mort.
La porte grinça, Ambre crut Anaïel partie, et resta figée, dos à la pièce.

Fallait-il en faire quelque chose? L'autre semblait tenir à créer une route, sur leur relation bizarre. Un petit chemin avec le moins de broussailles possibles, et qui laisserait... oh et ses stupides métaphores. Non, la marchombre était profondément naturelle, entière. Elle voulait une relation entière, et claire, comme celle que pouvait lui offrir son apprenti. Elle ne pourrait se satisfaire de quelque chose de vaguement superficiel, non, pas plus que la jeune femme, qui ne pouvait rien puiser de ce genre d'affinités.
Elle failli sursauter, se sentit comme poignardée quand Anaïel reprit la parole- pourtant, il n'y avait là rien de corrosif ou de mauvais.
Mais l'itinérante avait eu la certitude d'être seule, et avait baissé sa garde mentale. C'était suffisant. Elle déglutit plutôt, incertaine.

A peine l'eut-elle posé qu'Ambre crut percevoir la réponse la plus juste qui lui venait. Tu es comme la main droite d'un gaucher. Partie intégrante de ce qu'il sait être un tout d'harmonie, nerveuse, agile, et pourtant pleine de maladresses, ou d'adresse qu'on ne conçoit/n'emploie pas. Et qui par sa seule existence continue à faire danser, dans un coin de la tête, qu'elle est privilégiée par la majorité des autres humains. Qu'ils y voient plus, de plus belles choses, de plus grands gestes. Qu'elle est virtuose des mots et des lettres- mais qu'au gaucher, elle ne renvoie que sa propre marginalité. Et peut-être, parfois, le désir de retenter, comme les autres, de domestiquer ou de minimiser ses barrières.

Elle se passa la main sur le front. Elle aurait aimer retrouver la force de l'instant qui avait précédé, quand elles étaient accoudées à la fenêtre. "Quelque part entre la rage et la sérénité". Entre le traitre- et le monstre de leurs conversation, entre l'ironie et les confidences, entre l'acier des regards et les échines qui se courbent. Entre les secrets gardés, ceux partagés, et les conversations avec des tiers- pour peu qu'il y en ait ailleurs quand dans la nuit de Gwendalavir, et les chimères d'Ambre.

L'idée du tiers ramenait plus précisément les fantômes. Elle pensa que ce n'était pas une question d'Anaïel, mais une question d'Elera. Puis que cette simple idée faisait d'elle-même quelqu'un d'immonde, qui voyait plus les influences que la sincérité, et le ton de cristal.


-Laisse-moi l'occasion de préciser mes pensées, murmura-t-elle en se retournant, les bras croisés sous la poitrine, comme si elle avait brusquement froid. Je ne souhaite pas ne pas te répondre, ni manquer à la franchise en répondant hâtivement.

Elle avait parlé en regardant le sol, sans savoir si Anaïel la fixait, oui ou non. D'une voix qu'elle avait voulu relativement douce, quoique retenue. Elle voulait dire: donne-nous l'occasion de nous revoir. De nous connaître de peu en peu. De connaître le monstre que tu te refuse à être, tu sauras débusquer ce que tu cherches en moi, j'en suis sûre. Mais le noir n'emportera de toi que les contours, et les couleurs, tout ça ne dure qu'un temps. Et je veux voir si ce que j'aime est une chimère, avant de te le dire, ou si tu es comme cette quantité terrible d'autres: un cadavre trop blanc.


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MessageSujet: Re: On s'emplume d'un regard [Terminé]   On s'emplume d'un regard [Terminé] Icon_minitimeLun 15 Aoû 2011 - 12:16

Anaïel s’en allait. Elle avait fait deux pas, en avait peut-être esquissé un de plus, soumise à la volonté d’Ambre de rester silencieuse, de lui renvoyer encore, par-delà le battement insolent de ses cils, l’amertume de ne pas savoir, la combustion née de l’absence de réponse. Mais elle était contente. Ambre était une énigme vivante, morte de ses désillusions, peut-être, mais douée d’une vivacité étonnante d’esprit et de clairvoyance. A travers elle, Anaïel jouait au jeu de l’humain, sans que cela ne soit trop facile, avec Elera ou Ewall, cherchant encore et encore les réflexes nécessaires à la discussion, les virevoltes à accomplir pour valser avec l’autre, sans le blesser, mais en le poussant, irrémédiablement, là où on voulait qu’il aille. Oh, cet aspect de sa confrontation à la jeune femme était minime, prédominait essentiellement sa curiosité pour elle et son envie d’aller plus loin à ces côtés. Non, en fait ce n’était même pas une cause, c’était une conséquence de la discussion qui lui faisait prendre conscience que parler, échanger, ne relevait pas de simples mots ou de silence, mais bien d’un enchevêtrement de phrases voilées, de détournement de regard, d’esquive éhontées.

Mais à présent, Anaïel s’en allait. C’en était fini, pour ce soir en tout cas, et malgré le plaisir qu’elle avait eu à partager quelques moments avec la marchombre, elle ne parvenait pas à dénouer l’amertume qui tordait un petit bout de son cœur, tout simplement parce que dès que les mots étaient sortis de sa bouche, dès qu’ils avaient atteint le dos courbé de la jeune femme, elle avait eu une sorte de certitude que l’autre ne lui répondrait pas. Alors elle s’était détournée, rapidement, comme pour se protéger des mots, comme pour se protéger des coups.

Pendant une seconde, son regard s’attarda sur le dôme gris qui surplombait les volatiles, comme le ciel surplombe ceux dont la liberté n’a pas encore été entachée par les mains avides des humains. La poussière salissait les vitres, et les plumes voletaient faiblement, se laissaient portée par une brise froide et sifflante qui montait des fenêtres sans carreaux. Anaïel frissonna. Sursauta presque lorsque Ambre prit la parole, sans doute une dernière fois cette nuit-là.

Ainsi, elle avait dans l’idée de la revoir. Cette simple constatation perturba la marchombre qui se demanda si Ambre mentait pour se débarrasser d’elle, ou pas. Un coup d’œil. Le temps d’apercevoir deux ombres violines qui s’épanchent vers le sol, comme la lumière du soleil qui rampe plus qu’elle ne vole. Le temps de voir s’arc-bouter les épaules, de voir s’articuler les lèvres autour de ce trouble, en une grimace presque fantôme, le temps d’un soupire, en quelque sorte. Le temps de comprendre qu’Ambre venait de se donner, en quelques mots, qu’elle rendait les armes et acceptait, au-delà des difficultés d’assortiment de leurs deux consciences, de continuer un bout de route avec elle. Juste le temps de comprendre qu’elle ne trichait pas, mais que clairement, c’était fini pour ce soir-là.

Anaïel n’eut pas besoin de répondre. Elle n’eut besoin que du regard d’Ambre qui réaffirmait sa prise sur son visage pour laisser fleurir un sourire authentique et bouleversant sur son visage de fauve, un sourire qui adoucissait les angles de ses traits, qui faisait remonter quelque chose de profond sur ce visage à fleur d’âme. Et tandis que ses yeux lui bouffaient le visage, que l’incandescence de ses prunelles monstrueuses semblaient avoir pour un temps le pouvoir de repousser les ténèbres qui les enveloppaient, elle fit un signe de tête à son interlocutrice, respectant sa dernière volonté de clore le débat à ce stade, avant d’avoir une nouvelle énergie nécessaire à sacrifier pour essayer de mieux se connaître. Mais la joie d’Anaïel était profondément sincère, et pendant quelques secondes, elle ne put s’arracher au visage d’Ambre que les ombres floutaient. Après un temps, elle fit volte face, presque sans un bruit, et s’élança dans le tourbillon vertigineux des escaliers, deux yeux violets dans la tête, et une nouvelle plume dans le cœur.

Il lui tardait de se confronter à nouveau à Ambre.







[je suis vraiment désolée pour le retard impardonnable, je me suis accordée une petite pause entre les rp depuis quelques semaines déjà, mais je compte bien rattraper le temps perdu ^^ j'espère que ça te plaira ! ]

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