Promenade au pied des montagnes (RP inachevé)

Une autre étreinte...
Etrange, comme ce genre de conversation prenait des accents d'adieux.
Etrange de penser que peut-être, un jour, quelqu'un d'autre respirerait le parfum de la lupus à même la peau. Peut-être avec d'autres idées derrière la tête.
Etrange hasard qui les avait lié, au détour d'une bataille... Il semblait tellement loin ce temps là... presque un an, déjà.. Un an..
Ambre était entrée itinérante à l'Académie. Marchombre par l'esprit. Forte de son tempérament rêveur et de cette timidité qu'elle voulait éradiquer. Le monde était doux, avec ses illusions... Son don apparaissait seulement comme un détail, une petite chose facilement négligeable, pour ne pas dire utile... Dire qu'au départ, elle l'avait même utilisé, au milieu des combats. Naturellement. Et qu'elle avait tué des Raïs, grâce à lui. Repoussé l'échéance...
Au côté de sa soeur d'arme, qui tirait à l'arc comme Diane elle-même.
Elle serra Tifen un peu plus forte.
Un an... qu'elle avait fâché le maître d'arme, et qu'elle le fuyait comme la peste. Qu'elle avait commencé à suivre les cours de la si célèbre Ena Nel Altan. Qu'elle avait compris, lors du don des poignards, qu'elle n'était pas destinée à cette voix.
Parce qu'ils étaient tous roturiers. Et qu'elle était à moitié noble.
Une hybride. Du dessin, sans l'art ni l'envie de l'utiliser. Du franc parlé, avec la mesquinerie du silence. Des mains rendues calleuses par les efforts et le maniement des armes pour défendre ses biens, mais au poignet une chaîne du plus pur argent...
Sa soeurette relevait les yeux, une question au bord des lèvres.
Un petit sourire d'encouragement. Elle n'était plus à ça près... et puis, les moments simplement tendres étaient si rares...
L'itinérante cilla, se mordilla les lèvres.

-C'est ce genre de question qui...

Elle n'acheva pas sa phrase. Qu'était-ce, avoir des parents? Ses yeux s'abaissèrent, fixant le vague pour faciliter la concentration... Qu'était-ce, l'absence de parents?
Est-ce que s'éloigner de ses parents à jamais impliquait de ne plus en avoir? Si non, alors à quoi pouvait-on résumer quelque chose de si complexe..?

- C'est pas facile à expliquer, je crois. Quand on est petit, c'est.. comme deux présence intemporelle, qui ne peuvent ni mourir, ni disparaître. Quand j'étais petite, avoir des parents, j'estimais ça comme la base de tout. Ils me protégeaient du monde, me serraient le soir, me cachaient en cas de problème dans le convoi... C'était une évidence, une certitude: ils étaient et seraient toujours là pour moi.
Quand on grandit, les parents inculquent des valeurs, des mérites, des idées, des petites choses qui resteront toujours en mémoire, même si on les désapprouve adulte... Tu sais, le genre de phrase bateau que nos professeurs sortent parfois par inadvertance: "Quand on veut, on peut" "L'amour est plus fort que tout" "Un poignard se tient à droite" "Veux-tu aller jouer ailleurs? Tu gênes les clients!" "Ne quitte pas ta paillasse la nuit. Les voleurs rodent". "Fais un sourire à la Dame." "Sois mignonne" "Redresse les épaule; on te regarde" "Œil pour oeil, dents pour dents" "Tout à un prix" "Ne pleure pas. Un raï qui sent les larmes est un Raï exalté" "Ne touche pas à ce que proposent les marchands-manteau large. Tu ne t'attireras que des ennuis" "Surveille la marchandise, même un noble peut voler" "tais-toi, les Hommes parlent." "Choisis la solution qui t'apporte un bénéfice" "Ne cours pas sur le verglas"...

Elle s'interrompit, en secouant la tête. Il valait mieux ne pas penser à ça.

-Les parents sont des barrières qui t'endiguent vers ce qu'ils jugent bon pour toi. Ils sont rassurants... mais ils t'enferment. Un enfant qui part prends en main les rennes de son destin. Lorsqu'un garçon part fonder son clan, il est d'usage pour nous de lui offrir la meilleure carte de l'empire que l'on possède. On dit qu'ainsi, il aura moins de chance de se perdre sur une mauvaise voix. J'crois qu'on peut limiter ce qu'est un parent à ça: une boussole pour l'enfant. On ne vit pas moins bien sans parents. On a juste moins d'attaches. Moins d'influences. ... Ils me manquent, parfois. Parfois pas. J'pense que la seule différence entre le moment où ils sont là et celui où ils ne le sont plus c'est la sécurité minimale. Des gens qui ont des parents tournent bien, d'autre pas. Les orphelins ont autant de chances, je crois. Surtout si en suivant leur route, ils croisent celle de personne de bonne augure... J'suis pas sure d'avoir su répondre à ta question, acheva t'elle, mal à l'aise.

Blottie dans les bras de sa grande soeurette, Tifen écouta sa réponse. Elle sentait bien que sa question avait genée la Corbac et s'en voulait affreusement.
Attentive aux paroles d'Ambre, la Lupus resta sur quelques mots. Une boussole pour l'enfant....Pouvait-on dire que ses parents avaient été une boussole pour elle...Pas vraiment. Tifen réfléchit à ce que ses parents avaient bien pu lui apprendre d'utile.
Rien, excepté une méfiance accrue pour les adultes qu'elle avait longtemps gardée. Même à son arrivée à l'Académie, il lui arrivait encore d'être méfiante face aux adultes inconnus. On ne perd pas facilement une habitude, surtout quand elle s'est révélée indispensable pour la survie.
Reportant son attention sur le discours de sa soeurette, Tifen attendit qu'elle eut fini avant de lui sourire en murmurant

-Tu as très bien répondu à ma question, ne t'inquiète pas.

La Lupus laissa filer un instant, avant d'ajouter

-Et tu es la personne de bonne augure qui a croisé ma route et qui m'a sauvée, soeurette.

Un regard plein de gratitude, destiné à Ambre. De nouveau le silence. Tifen ne bougeait pas, immobile dans les bras de sa soeur Corbac. Les bruits de la nature se firent mieux entendre.
Un oiseau qui chantait là-bas, une louve et ses deux petits qui passèrent derrière les arbres, à quelques mètres, sans prêter attention aux deux filles silencieuses.
Puis la Lupus regarda Ambre, soudain prise d'une inquiétude.

-Soeurette...tu ne me quitteras pas, hein? Promis?

Dès qu'elle prononça ses mots, Tifen le regretta immédiatement. Qu'est-ce qui lui avait pris? Ambre lui avait déjà dit qu'elle ne pourrait pas l'abandonner et la Lupus avait une confiance aveugle en sa soeur Corbac. Elle détourna la tête et murmura

-Désolée...

"Ne t'inquiète pas..."

La main droite qui tremble légèrement. Ne t'inquiète pas...
Ca semblait si facile, dit comme ça... On aurait presque pu y croire, oui mais...
Non.
La facilité était dérisoire, et souvent illusoire, et cette petite voix dans la tête d'Ambre traquait la moindre illusion, exterminant doucement espoirs et ambition pour répéter en boucle ces mêmes instants inutiles, preuve que la vie n'était, au fond, qu'une suite de vide et de rien... Quand on était pas comme eux...

Eux, c'était Yaemgo et Tifen, c'était Slynn et tous ces autres, dont on murmurait le nom, dans les couloirs... Les dessinateurs, voué à "La Protection de l'Empire" les chevaliers, qui parcourraient les routes autant pour leur dame que pour débusquer ce destin d'hors norme, destin qui tombait tout cuit dans le bec.. ou pas.
Et à ceux-la, effectivement, les petites inquiétudes devaient sembler dérisoires. Elles n'avaient pas lieu d'être...
Merwyn, qu'elle n'avait jamais vu ne devait pas se soucier de.... d'un trou dans une chaussette, par exemple. D'avoir l'air stupide pendant une soirée...
Non, lui il avait un Empire à créer, une école, des esprits à bâtir, des devoirs...
Qu'était un manque de précision face à la toute puissance d'un Ts'Liche en fureur?

Elle déglutit avec plus de mal encore à la phrase suivante de sa soeurette... Elle, sauver quelqu'un?
Risible.
Et pourtant, c'était bien un regard tendre que Tifen lui lançait. Pas d'ironie. Pas de sarcasme, pas de double sens... Elle y croyait...
Comment? Elle venait encore une fois de prouver sa faiblesse, l'absurdité de sa présence...
Elle n'était qu'un élément du décor, elle aussi. Une présence, moins signifiante que cet oiseau chanteur, là-bas, moins sociale que ce louveteau, qui agitait les feuilles encore cachées par la neige... Moins signifiante que les traces de pas que laisserait derrière elle la mère prudente...

Le noed dans sa gorge, descendit quelque part, dans son estomac... Ca faisait longtemps, tiens..

Dernière pointe, coup fatal à la fierté de l'itinérante, qui se tassa ostensiblement dans ses épaules...

-Ne te désole pas. Manquerait plus que ça...La pitié, j'ai soupé. Ce n'est pas importantd'accord? Rien n'est important qand ça me concerne..., lâcha t'elle avec amertume et calme, en repoussant les bras de sa soeurette loin de son corps. Je n'ai peut-être pas de mérites physiques, mais je n'ai qu'une parole...

Un sourire revint sur les lèvres de la jeune fille, moins amer, peut-être plus résolu. Parce qu'elle sentait toujours dans les propos de Tifen une sorte d'adoration, d'amour qui l'effrayait plus que tout... mais qui était là. Absurde, mais présent.
Elle ravala pour la première fois depuis une éternité sa rancoeur, pour effacer l'ardoise des blessures infligées ce jour là. Rien était désiré, tout, toute leur histoire était un malentendu. Presque.

-Je dirais que la compagnie de ma soeur d'arme, est un plaisir, avant d'être un honneur pour moi.

Tout était dit. Elles avaient du sang sur les mains. Du sang de porc, d'hommes, peut-être, le temps et son coma avaient effacé certains... moments. Visages. Râles. Le tout, peut-être.

Elle tourna son visage, cherchant une voie parmi les rochers, et tâcha d'effacer toute trace d'ironie de cette image mentale. Tifen méritait mieux que ça. Elle n'avait pas à lui reprocher la lame chantante de gloire, dans son dos. Ni la douceur de ses gestes. Ni la compagnie du félin qui la guidait, du haut de ses instincts. Après tout, Tifen ne lui enviait pas sa famille. Son appartenance au peuple, l'espèce d'amour qui l'avait entouré, malgré tout...

Elle finit par marcher à côté d'elle, à ralentir son pas, pour profiter de l'atmosphère. Même si ce n'était pas quelque chose de typiquement itinérant, la marche était un moyen de vivre, pas un plaisir. C'était peut-être mieux, finalement, que Tifen ait vécu loin de tout. Une chance dans la malchance, de vivre avec pour seule contrainte la survie. La liberté en bannière, en bons esclaves du destins. Il manquait des étoiles dans le ciel. Le crépuscule... le violet du ciel, quand apparaissait, au loin, derrière la brume, les étincelles du pays de la dame, les éclats de diamants brisés...
Elle se demanda ce que Tifen savait des arabesques scintillantes, si elle avait écouté les poèmes qui en parlaient, les légendes...
Et même si ce n'était pas important, Ambre aurait aimé lui dire, lui montrer. Qu'elle voie qui traçait les voies, au pays des ombres. Qu'elles réinventent le ciel, pour y placer un tigre, un arc à flèche, un étalon. Pour savoir jusqu'où leur imagination irait... pour oublier.
Ambre tourna la tête, vit Tifen scruter les abords des pieds des monts, se mordit les joues. Ca n'avait peut-être rien à voir avec sa probable envie de monter, de repartir vers les sommets, rejoindre le frère de coeur, et s'endormir entre ses pattes, en faire un oreiller rayé pour observer... rien du tout, il faisait surement trop froid. Ce n'était peut-être pas ça. Elle ne le demanderait pas.

- Je devrai rentrer dans.. enfin, avant que le soleil ne se soit éteint cette nuit encore. Je dirais, d'ici une heures, peut-être... Tu auras encore le temps de grimper. J'ai promis de ramener les livres à la bibliothèque... entre autre, dit-elle, l'air neutre. Parle-moi de toi. On a si peu l'occasion de se voir.. as-tu lié contact avec les membres de ta maison?

Ambre ne savait pas si elle aimait s'imaginer sa soeur intégrée à une meute, quelle qu'elle soit. Peut-être parce que les Corbeaux étaient des solitaires. Peut-être par simple envie de rester une privilégiée pour elle. Ou pour un mélange de tout le reste...

Ambre accepta, et les deux filles commencèrent à marcher. Sa sœur Corbac marchait un peu vite, et Tifen avançait quelques pas derrière elle, observant le paysage qui les entouraient. D’un coté, la forêt, le doux murmure du vent dans les arbres, les petits bruits furtifs d’animaux qui se faufilaient à travers les feuilles. Tant de souvenirs. Les bois étaient une grande partie de sa vie, avant son arrivée à l’Académie. Presque toute sa vie...

De l’autre coté, les montagnes... Colosses de pierre qu’elle aimait tant escalader. Atteindre le sommet, le vent faisant virevolter ses cheveux. S’assoir, s’allonger même. Regarder la nuit qui tombe, la lune et les étoiles qui se lèvent. Instant de pure magie. Et rien que pour ça, ça valait la peine d’escalader le plus escarpée des pics. Et entre montagne et forêt, un petit chemin sinueux et parsemé d’éclats de rochers sur lequel avançaient les deux adolescentes. Ambre ralentit, pour se mettre à sa hauteur, et la Lupus écouta attentivement ses propos.

Plus qu’une heure à passer en compagnie de sa sœurette... Le temps passait tellement vite, parfois... Quand on espérait qu’une heure dure le plus longtemps possible, elle semblait rivaliser avec les secondes, et quand on souhaitait qu’elle passe au plus vite, elle paraissait s’éterniser sans fin.
Enfin... A la question de sa sœur, la Lupus prit quelques instants pour réfléchir. Pouvait-on dire qu’elle avait lié contact avec les membres de sa maison ? Oui, sans grande hésitation. Elle connaissait presque tout le monde, parmi les Lupus... Arro, Kushumaï, Julia et les autres... Tifen se décida donc à répondre

-Oui, nous sommes peu nombreux, chez les Loups, et je connais tout le monde, enfin je crois...

La jeune fille laissa passer un court instant, avant de demander

-Et toi ? As-tu des connaissances, chez les Corbacs, des amis ?

[ ... Edition à volonté ><]