Une journée fantastique dans la vie d'élève fantastiques [Terminé]

Les rôles s’inversaient, de manière assez ironique. Ichel devait faire diversion pendant qu’Einar menait le chariot plein de petits chiots en sécurité au-delà de la porte.
Le seul hic, c’était qu’une fois qu’ils auraient installé les chiens, faudrait faire la même chose en sens inverse. Quelque part, Einar se fustigeait de s’être mis dans un pétrin pareil alors qu’il devait juste dormir debout devant les discours de Monsieur Eternit. Mais. Il n’était dupe de rien, surtout pas après avoir vécu à Al-Far. La maltraitance aux animaux n’était pas un concept nouveau pour lui, mais s’il avait la possibilité d’agir pour ceux-là… Ca rattraperait dans son cœur toutes les fois où il n’avait rien pu faire quand il était petit.

L’attente était un peu angoissante. Caché par les frondaisons, il attendait que la voie soit libre. Le temps qu’Ichel fasse diversion, il avait essayé de graisser les roues, étouffer les sabots des chevaux avec des tissus. Calmer les chiots et les chiens.. mais c’était difficile, il n’avait rien sur lui et ils se recroquevillaient quand il essayait de les caresser.
Enfin, la voie fut libre. Einar fouetta les rennes et exhorta les chevaux à avancer à coup de murmures. S’il allait au galop, il ferait beaucoup trop de bruit. Aller au pas était d’une lenteur abominable et il avait l’impression que quelqu’un allait le repérer à chaque seconde… mais la porte était étonnemment, complètement vide. Ni une ni deux, il embraya dans les sentiers de la forêt, et il ne lui fallut pas très longtemps pour se rendre près de la cascade…
Où Ichel l’attendait déjà.

- … Un jour je finirai par croire que tu triches et que tu fais des pas sur le côté, fausse marchombre, lui dit-il taquinement.

Un coup d’œil au soleil.

- Bon on n’a pas des masses de temps… il est presque midi. Faut qu’on ait tout fini avant que M’sieur Eternit se rende compte qu’on est partis.

Une heure.. ça leur laissait un peu de temps. Ca navrait Einar, mais ils allaient devoir les laisser dans leurs cages tant qu’ils n’auraient pas du temps pour bien les installer. Ca le peinait, mais s’ils les laissaient maintenant, ils allaient partir et la Dame savait ce qui allait leur arriver. Il fallut aux deux amis un peu de temps pour trouver la grotte cachée sous la cascade, et encore plus pour transporter les cages une à une. Comme dans son souvenir, l’antre était relativement profonde, et le rugissement de la cascade cachait au monde extérieur le couinement des animaux en cage. Les abandonner, même pour quelques dizaines de minutes serait dur….

- A la volière, tu avais dit qu’il y aurait sûrement de la viande. ‘Parait que certains oiseaux en mangent. Faut surtout pas leur donner de gateaux ou de biscuits pour l’instant, ça les rendrait malade… Bon. Tu testes à la volière ? J’vais voir au poste de garde, ils ont peut-être un garde manger.

Et il en profita aussi pour ramener le chariot le plus près possible du poste de garde sans se faire voir. Mieux valait gagner du temps pour quand ils devraient le ramener.. Les deux gardes avaient repris leur faction, mais ils étaient visiblement déconcentrés. Dans leur apathie, ils avaient laissé ouvert le volet qui couvrait d’ordinaire la fenêtre de la petite tour… Même Einar pourrait se glisser dedans, lui qui était pas agile et pas dégourdi. Et c’est ce qu’il fit. Les yeux plissés pour s’accoutumer à la pénombre, il se mit à faire le tour de la petite pièce qui servait de pièce à tout faire. Placards, coffres, table, rateliers d’armes… pas de garde manger en apparence. Il rafla quand même les quelques saucissons qui pendaient du plafond et devaient constituer le repas de midi des gardes en faction, et prit toutes les écuelles qu’il put. Au moins, les chiens auraient chacun un peu d’eau.
Revenu à la cascade, il s’occupa d’abreuver les chiens en attendant le retour d’Ichel, tandis que les bêtes reniflaient avec avidité l’odeur de viande qui émanait de lui. Pourvu que la marchombre ait eu plus de chance que lui pour la nourriture…

Einar souffla de répit. Ichel venait de réapparaitre, dégoulinante à cause de la cascade, et elle apportait avec elle un gros sac dont il devinait qu’il était plein de viande. Il l’aurait volontiers prise dans les bras si elle n’était pas aussi chargée, pour la deuxième fois de la journée.

- Génial ! On a assez pour nourrir les sept, comme ça.

Il avait eu le temps de les compter, et les chiens étaient sept. De tous les âges, de toutes les races, et deux petits chiots qui étaient déjà très craintifs. Ils se répartirent les morceaux de viande un peu sèche et les réduirent en petits bouts pour que les chiens malades puissent les avaler. Il ne fallait pas trop leur donner, surtout s’ils n’avaient pas mangé depuis des lustres.
Les quitter fut le plus dur. Les jappements et les grattements de cage étaient déchirants, et Einar serait bien resté avec eux toute la journée. Mais ils devaient ramener le chariot et retrouver leur groupe, sinon ils allaient avoir des ennuis.
Repasser par la porte fut relativement aisé, les gardes avaient vraiment le crâne dur et les attirer au loin en utilisant la même technique qu’à l’aller marcha parfaitement. Restait à savoir quoi faire du chariot et du cheval volé… Einar était préoccupé. Déconcentré. Son esprit était avec les chiens, qu’il n’aurait jamais du quitter. Et si quelqu’un les découvrait avant eux… ?

- Bon, j’pense que si on laisse le chariot un peu à l’orée de la forêt au sud de lla ville, les gardes devraient finir par le retrouver…

Il était en train de descendre du chariot pour rejoindre Ichel quand il eut la bonne idée de jeter un œil au soleil. Puis au cadran solaire qui était à l’entrée de la ville.

- Par les baloches du Dragon, t’as vu l’heure ?! On va être en retard, vite !

Arrivés devant les écuries, Einar manqua de s’effondrer d’apoplexie.
Un point de côté lui tiraillait l’abdomen, il avait la gorge en feu et il n’arrivait pas à retrouver son souffle. Et il était tout rouge. Et il avait la tête qui tournait. La course ne faisait pourtant pas partie de ses faiblesses, il était même plutôt endurant et bon coureur, mais la crasse d’une matinée commencée trop tôt et toutes les aventures de leur matinée avaient contribué à lui scier les jambes plus tôt que prévu. Et même s’il était bon coureur, Ichel agissait comme si elle avait des ailes. Encore un de ces maudits trucs de marchombre…

En tout cas, lui il était clairement pas crédible devant Monsieur Eternit. Il respirait comme une cheminée et se tenait à son cheval pour pas s’évanouir. Le professeur lui lançait un de ces regards qui vous transpercait et lisait en vous comme dans un de ses vieux bouquins poussiéreux, mais il n’éleva pas la voix ou ne les condamna pas. Non, il lui envoya juste un clin d’œil, avec une œillade en direction d’Ichel. Œillade d’ailleurs appuyée par le rouquin qui se tenait à côté d’Ichel et lui tenait son cheval.
…

- Hé mais non ! M’sieur, c’est pas ce que vous croyez ! Ses oreilles rougirent encore plus.

C’était pas du tout ce qu’ils croyaient, tous, là, ils étaient pas du tout disparus pour aller en rencard, non non non. D’ailleurs il s’était jamais rien passé entre Ichel et lui. Ah ça non, il l’avait jamais embrassée et il avait jamais, JAMAIS eu envie de l’embrasser. C’était qu’une marchombre d’abord.
Le souffle encore super court et les joues en feu, il essaya de monter sur son cheval. C’était toujours peine perdue.

- On peut faire comme à l’aller, dis ? J’monte sur ton cheval ?

Le regard évocateur que Tihn lui lança à ce moment-là était tellement ardent qu’Einar n’avait plus qu’une envie : rentrer sous terre et disparaître.

Rechercher un roux dans la Grande Salle, c’était comme chercher un blond à Al-Jeit. Il y en avait partout, et ils se ressemblaient tous de dos. Et l’odeur de la bouffe déconcentrait encore plus Einar qu’au moment où il aperçut Astragal. Elle, de dos, il pourrait toujours la reconnaître. L’envie le tenaillait de lui avouer tout, de lui demander son aide – les Thüls devaient en savoir un paquet sur les animaux, de la mettre dans la confidence.
Résister à la tentation. Trouver une autre rousse maladroite aux longues tresses. Et si elle avait déjà mangé ? Et puis Einar savait que vaguement à quoi elle ressemblait.

Ils pourraient toujours crier « AHNAAAAAAAAAA » au milieu de la Grande Salle et espérer que l’intéressée se reconnaîtrait, mais comme approche discrète… on faisait mieux, quand même.

- Ouais, j’pense que ça sera plus simple au cours de combat, y’aura plus qu’une dizaine de roux. Et puis j’ai faim. Essaie de récupérer des trucs pour.. il baissa la voix parce qu’il y avait des élèves à proximité. Nos amis.
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Et c’est ce qu’il fit pendant tout le repas. Il s’échinait à choper des cuisses de poulet, des morceaux de viande de son ragoût, tout ce qui pouvait être bon pour les chiots, et les planquait sur ses genoux avec des serviettes.

Puis la cloche sonna pour le cours de combat. Nanar était anxieux. Et si elle refusait de les aider… ? Ichel l’accompagnerait jusqu’au début du cours, mais n’y participerait pas. Et Einar non plus n’avait pas l’intention d’y participer.
Ils montaient la garde devant la salle d’armes au moment où la rousse en question arriva. Il fallait absolument la convaincre de venir avec eux et de rater le cours de combat. Après tout, l’Intendant n’était pas là… Mais Einar n’avait aucune idée d’à quel point elle suivait les règles.

- … Salut, commença-t-il. Dis, on peut t’parler un peu ? On a un truc à t’demander. Et il se tourna vers Ichel. Après tout, Ahna c’était son amie, elle saurait clairement mieux la convaincre que lui.

Einar jeta un regard tellement désemparé à Ichel quand elle le traita de crétin.. Un instant, il crut qu’elle était vraiment blessée et qu’elle était sincère dans ce qu’elle disait. Lui, en tout cas, était blessé que même elle le traite de crétin et qu’elle le dise d’une voix qui sonnait vrai.
On avait rapidement renoncé à interroger Einar sur ce qui s’était passé. Il venait régulièrement à l’infirmerie avec des amis blessés, des nez cassés ou des côtes fêlées, sa maladresse légendaire était connue et personne ne s’inquiétait de le trouver là dès que quelqu’un avait un truc. C’était très, très souvent sa faute à lui.

Ca l’arrangeait. Il pouvait surveiller le temps que Ahna se glisse derrière eux par la porte ouverte et aille dans le bureau où se trouvaient la médecine la plus fragile. Une des infirmières fit mine de lâcher Ichel pour aller chercher un truc dans le bureau mais la marchombre faisait un tel cinéma qu’elles n’étaient pas trop de deux pour la maintenir et l’empêcher de se ruer dehors. Einar se porta volontaire pour aller chercher le calmant, et posa tellement de questions aux infirmières qu’elles ne virent pas Ahna repartir, des fioles et des coffrets plein les bras.

C’était encore un vol, il savait. Et ça passerait sans doute pas inaperçu. Mais c’était pour une bonne cause. Il fallait le penser très très fort.
On renvoya les deux élèves de l’infirmerie assez rapidement.

- Vous n’avez rien de cassé, miss Calwin, je vous assure, lui répétait en boucle l’infirmière en chef.

On avait fini par lui faire avaler le calmant pour la faire taire, malgré ses protestations, et Einar n’en pouvait plus de glousser quand ils rejoignirent la grotte de la cascade avec Ichel et Ahna. Ichel rouspétait comme pas possible, mais avait du mal à contrer les effets du calmant, et sa voix était pâteuse. Les chiots les accueillirent avec force jappements couverts par le bruit ronflant de la cascade, et Einar leur distribua des petits morceaux de viande pour les occuper, le temps qu’Ahna les ausculte.

- Ils sont pas en danger, hein ? Certains avaient l’air blessés ou malades, mais il n’avait pas le cœur assez solide pour envisager que certains puissent être mourants.

Le chiot à la patte cassée se tenait recroquevillée dans un coin et quand Ahna l’examina, il poussa des petits jappements si misérables que le cœur d’Einar était gonflé par l’émotion. Si seulement il pouvait le garder… mais au fond de lui, il savait que ce n’était pas possible. Si M’sieur Jildwin était là, ça n’aurait posé aucun problème. Mais lui, il était dans le colimateur de M’sieur Krysant, et puis Tifen lui avait annoncé qu’ils partiraient en voyage bientôt. Il pouvait pas s’occuper décemment d’une petite bête s’il n’avait pas l’occasion de la dresser. Et les chiots étaient trop malades pour être en état de voyager incessamment sous peu.

Des maisons ? En dehors de l’Académie ? Il y avait fort à parier que trouver des gardiens à Al-Poll serait extrêmement difficile. La population aurait entendu parler du vol, et des chiots volés n’intéressent pas les gens. Et puis les temps étaient difficiles, même une fois l’hiver passé… Et puis comment savoir s’ils seraient bien traités ?

- Peut-être si on demande aux gens autour de nous ? J’veux dire, pas forcément les garder à l’Académie parce que ça sera trop difficile, mais la plupart des élèves ont des familles, des frères et sœurs, et ils pourraient s’occuper d’eux mieux que des inconnus à Al-Poll. Pt’être même les rêveurs d’Eoliane ? Ils ont pas le droit d’avoir de maris et tout mais des chiens, ils ont pt’êt le droit…

Pendant qu’ils parlaient, Einar passait derrière Ahna pour vérifier chaque chiot, leur offrir une caresse, un morceau de viande. Un d’entre eux était un chiot de labrador, certainement de cette race qui servait dans les poulaillers… Si seulement…

- ‘Pa a une vieille chienne, à la maison, pour les poules… pt’être qu’il voudrait un gardien plus robuste, pour garder l’auberge, surtout à cause de tous les troubles à Al-Far ces temps-ci.

Ca, c’était s’ils pouvaient l’entretenir… Et c’était le problème principal.

Les minutes qui suivirent se passèrent à s’occuper des chiens dans un silence pensif. Chacun réfléchissait à qui pourrait faire le meilleur maître pour les chiots, ou qui les dénoncerait à l’Intendant et les ferait renvoyer pour avoir voulu sauver ces adorables boules de poil. Ichel s’occupait du nettoyage de l’un d’entre eux comme s’il était devenu son nouveau préféré ; fallait dire qu’il était très beau, et l’air un peu sauvage, d’une race que Einar avait jamais vue. Quant à lui, il pouvait pas s’ôter de la tête que le petit chiot de berger au pelage crême pourrait être très utile à la maison, si on prenait la peine de le dresser et d’en prendre soin.
Mais comment le faire parvenir à ses parents à Al-Far ? Comment les convaincre, alors qu’il ne pouvait pas se rendre sur place lui-même ? Et comment s’occuper de lui, et être sûr qu’ils ne le revendraient pas ? Les dessinateurs, peut-être ? Mais les services des Dessinateurs qui faisaient le pas sur le côté à Al-Poll étaient hors de prix et il était pas sûr que qui que ce soit à l’Académie soit déjà allé à Al-Far. Il faudrait qu’il tente quand même.

Ichel et Einar ressortirent, plongés dans leurs pensées, après avoir dressé une liste mentale de la race et de l’apparence de tous les chiots.

- J’pense qu’on devrait aller à Eoliane quand même. Ils ont peut-être besoin de chiens pour leurs patients, et puis ils connaissent tout le monde à Al-Poll. En plus, les rêveurs sont tenus par le secret médical si on veut les voir en douce, on n’a qu’à invoquer ce droit et ils pourront jamais nous dénoncer à quiconque.

Ils étaient en train de marcher vers Eoliane d’un commun accord – au pire s’ils ne pouvaient pas les aider ils pourraient sans doute leur dire qui, à l’Académie, avait une maison ou un manoir ou un château pour petit chien abandonné.

- .. Dis, j’pensais, tu connaitrais pas quelqu’un qui sait faire un pas sur le côté et qui connait Al-Far ? Parce que.. le petit labrador, il aurait une maison toute trouvée, à Al-Far. Mais c’est loin.

Illir se passa de l’eau fraiche sur le visage et se sécha les mains. Le reflet que lui renvoyait le miroir était semblable à ce qu’il lui renvoyait toujours.

Sa belle gueule.

Il était bien d’accord avec toute la population féminine d’Al-Poll.. c’était du gâchis de l’avoir obligé à entrer en confrérie. Il en voulait aux dieux de lui avoir donné le pouvoir du Rêve, tout comme il en voulait aux Dieux d’avoir associé ce pouvoir à un corps qui méritait mieux, et un esprit qui n’aimait pas les murs.

Malgré tout, il avait suivi les coutumes, et prononcé les vœux d’austérité et de contemplation. Si aucun vœu n’était explicite sur le concubinage, la tradition le condamnait tout de même… à son grand dam.
Rechignant à la rigueur, et peu attiré par les préceptes philosophiques, on l’avait mis en charge du… « relationnel ». Parler aux patients, les faire se sentir bien, répondre aux requêtes plus personnelles ou intimes, ou simplement continuer les bonnes relations entre Eoliane, l’Académie de Merwyn, Al-Poll et tout le tintouin. C’est pourquoi il ne fut pas surpris lorsqu’une voix retentit à la porte de ses quartiers, une voix féminine qui plus est.

Illir plaqua son sourire de biais le plus charmeur et se retourna vers la beauté qu’il avait aperçue dans le miroir. Ignorant complètement ce qui devait être son petit frère à ses côtés, il fit une légère révérence, ses yeux de rêveur cherchant déjà les intérêts… anatomiques. Pour ses études, évidemment.

- Illir Wil’Verine, pour vous servir. Je suis à votre… entière, disposition, mademoiselle… ?

Si ça ne tenait qu’à lui, Illyr aurait accepté toutes les propositions de … collaborations que la jeune femme en face de lui proposait. Il n’écoutait que d’une oreille, il fallait bien avouer. Néanmoins, le rêveur n’était pas stupide.
Il se rendait bien compte de la possibilité que ça ne soit pas qu’une excuse pour lui parler. La thérapie animale était une idée peu orthodoxe qui était rarement soulevée parmi les cercles des rêveurs. Mais elle n’était pas inconnue. Ce que l’on craignait le plus, c’était la transmission des maladies entre les animaux et les patients.
Ou bien le terrible coup du sort qui ôterait des bras d’un enfant malade le chiot qui lui avait redonné l’envie de se battre pour vivre.

Il se voyait déjà, aux côtés de la jeune Ichel, des chiens plein les bras, parler de traitements… N’y avait-il pas manière plus universelle de se rapprocher de quelqu’un que caresser des animaux ? Quant au petit frère à l’arrière-plan… Ils trouveraient bien un moyen de l’envoyer ailleurs pendant leurs séances de « thérapie. »

Illyr sourit d’un air complice et malicieux.

- Ne vous a-t-on jamais dit qu’il est difficile de réfléchir lorsque votre personne se trouve dans la même pièce ? Son sourire se courba, il aimait l’étincelle sauvage, déjà impatiente, qu’il voyait dans ces pupilles. Mais, continua-t-il, je suis homme de raison et mon cœur est attiré par cette idée de sauver à la fois humains et fidèles compagnons. Néanmoins…

Il laissa le suspense trainer quelques secondes.

- Néanmoins ?

Le ton du petit frère était très abrupt et sec, comme énervé. Vexé, jaloux ? Allons bon..

- Néanmoins, je ne peux me faire l’avocat de votre cause auprès de notre Archirêveur avant de m’être assuré que les chiens ne risquent pas de causer de risques à nos patients les plus fragiles. Peut-être, au gré d’un rendez-vous, demoiselle Calwin, pourriez-vous me faire visiter votre chenil ?

Einar fulminait intérieurement.
Cet Illyr ne lui disait rien qui vaille. Rien du tout du tout qui vaille. Et c’était complètement objectif comme jugement. Absolument pas motivé par un sentiment d’infériorité interne, de jalousie ou de possessivité, pas du tout. Ce rêveur était officiellement et objectivement louche, et dangereux.
Mais il avait l’œil, lui. Il voyait les techniques de séduction et la manière dont Ichel les recevait alors que franchement, elles étaient pas si subtiles que ça. Et la manière dont il l’ignorait lui, en le reléguant à la race des pots de fleur ?
Technique de bas-étage.
Petit joueur.

Einar essayait de se reconcentrer et de penser au bien-être des petits chiens qui étaient apparus dans leur vie et pour lesquels ils devaient trouver des maîtres ou des bénéfacteurs.
Rêveur idiot. Il était surement un très mauvais rêveur, d’ailleurs.
Et leur situation était pas beaucoup plus avancée à cause de ce rêveur idiot, alors qu’il aurait suffi qu’il soit un peu moins concentré sur Ichel.

- … Et si on lui disait la vérité ? Ichel le regardait bizarrement. C’est un rêveur, il est lié par le secret avec ses patients, et les chiens seraient ses patients en quelque sorte. Et puis ça le convaincrait pt’êt de se sortir la tête du cul d’un Ts’liche, laissa-t-il échapper avant de pouvoir le retenir.

Il passa la main sur ses lèvres et s’excusa de sa grossièreté, l’air un peu contrit.

- Bref, moi j’suis pour qu’on dise la vérité. On a pt’êt volé les chiots… mais ils étaient dans des conditions inhumaines et n’importe qui aurait fait pareil. Y va p'têt nous faire la leçon pour ça, mais j'préfère qu'il me fasse des sermons pendant des heures et récurer la volière dix fois, si je sais que ces p'tits ont un foyer, et des gens pour s'en occuper correctement.  Par contre j’crois que t’es la … mieux placée pour lui parler. J’ai l’apparence d’une potiche dans son regard de Siffleur.