Coups bas [Terminé]

En arrivant à l’Académie, Syriane avait découvert avec une surprise teintée de plaisir que les salles d’eaux étaient pourvues de l’eau courante, chose assez rare à Al-Poll et qu’il n’y avait d’ailleurs pas chez elle – et pourtant, ses parents aimaient s’offrir les dernières technologies.

Depuis cette découverte, elle n’avait cessé de s’y rendre, passant parfois une heure entière à se complaire dans l’eau chaude du bassin. C’est ainsi qu’après une énième journée fatigante à essayer de rester attentive en cours et à courir d’une classe à l’autre, elle prit sa serviette et une fiole de savon parfumé au patchouli – offert par sa mère à son départ – puis se rendit d’un pas déterminé à la salle des eaux de l’aile ouest, qui se trouvait être au même étage que la salle commune des Aequor.

Elle longea les douches puis pénétra dans la salle centrale, se dévêtit et posa son uniforme et le reste de ses affaires dans un coin. Peu soignée, me direz-vous, mais les habitudes sont dures à perdre. Puis elle ouvrit les robinets au maximum et s’assit au bord du bassin, balançant ses pieds dans le vide.

Il était temps qu’elle se change les idées. Cette nouvelle vie, beaucoup plus intensive que la précédente, laissait son cerveau en ébullition et plein d’idées contradictoires. Le dernier cours qu’elle avait eut portait sur les bonnes manières à la cours. Il était optionnel mais ses parents avaient tenu à ce qu’elle y assiste. Les derniers mots de l’enseignant résonnaient encore dans son esprit : « n’oubliez pas : pour vous faire respecter, veillez à ne pas accomplir les taches qui ne vous sont pas destinées, tels que le ménage ou l’entretien de vos bêtes ». Perplexe et obstinée, elle cherchait à comprendre en quoi prendre soin de sa jument la décrédibiliserait auprès de ses camarades. Drôle d’idée que voilà.

Voilà que le bassin était plein, d’ailleurs il débordait pratiquement quand elle ferma les robinets. Se glissant le plus doucement possible dans l’eau presque brulante, elle ne put retenir un bon gros soupire de contentement une fois immergée.

Son bien-être fut de courte durée, car elle sentit bientôt un courant d’air faire se dresser ses cheveux sur sa nuque. La porte était ouverte. Persuadée de l’avoir fermée, Syriane poussa un juron mécontent et sortit de l’eau. Elle attrapa sa serviette, s’en couvrit et s’avança vers la porte. Un mouvement derrière celle-ci attira soudain son attention, et l’ouvrant à la volée, elle se retrouva nez à nez avec un jeune homme, qui visiblement était auparavant venu se coller au battant, car il faillit tomber quand elle ouvrit.

Syriane resta de marbre un instant, n’osant pas imaginer ce que faisait le garçon là. Le rouge monta lentement à ses joues, jusqu’à ce qu’elle ressemble à une tomate trop mûre, puis s’en alla comme il était venu, laissant place à une rage froide.

« Non mais je rêve. J’espère que t’as une excuse ? Non, en fait ne réponds même pas, j’ai aucune envie d’entendre tes jérémiades. Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te clouer au mur tout de suite. »

Elle ne s’était jamais laissé faire, et ce n’était sûrement pas aujourd’hui que cela allait commencer. Cet idiot allait vite le comprendre. D’ailleurs, son visage lui rappelait quelque chose. N’était-ce pas le gars qui servait de larbin à pas mal de profs et même à l’intendant ?

Contrairement à ce à quoi elle s'attendait, le garçon ne lui sauta même pas dessus, alors qu'il avait vraiment l'air d'en avoir envie. Il fixait presque la serviette et l'envie de le frapper revint au grand galop. Allez, se dit-elle, retiens toi, il y a plus malin que se faire mal aux mains. Elle attrapa les deux coins de la serviette, la souleva sans pour autant l'écarter d'elle, puis la remit en l'attachant correctement.

Son plan n'était pas tout à fait au point. D'ailleurs, il avait connut plusieurs changements depuis le début ; elle avait d'abord pensé à vraiment le clouer par les vêtements au mur et à le laisser là jusqu'à ce que quelqu'un le trouve et qu'il ne puisse pas prétendre ne pas s'être trouvé au mauvais endroit, puis lui était venue l'idée vraiment mesquine de l'amener devant l'Intendant (idée d'autant plus méchante que, si elle ne faisait pas erreur, il était au service de celui-ci, muahahaha !). Sauf que cette solution là était vraiment tordue, et elle n'avait aucune envie d'avoir une réputation de balance au sein de l'Académie.

En revanche, la dernière idée qui lui était venue dépassait toutes les précédentes. Se faire vengeance soi-même, il n'y avait rien de tel, et peut-être même que le jeune homme en serait convaincu d'abandonner ses manières grossières de voyeur.

« S'amuser un peu » répondit-elle d'une voix suave à son air interrogateur.

Il était à présent à moins d'un mètre du bassin. Sans le moindre remord, elle mit en pratique son plan. S'approchant presque jusqu'à le toucher, elle attrapa à deux mains sa chemise et fit mine de la déboutonner. Ce geste l'embarrassait, pourtant elle passa au delà de cette impression, trop concentrée sur son but. Elle se mit sur la pointe des pieds, et tenta de se rappeler comment elle avait vu faire ses amies lorsqu'elles embrassaient un garçon. Elle lui jeta un regard et posa ses lèvres sur les siennes. Elle resta un instant ainsi, attendant de sentir une réaction.

Puis elle poussa de toutes ses forces.

C'était presque trop facile ! Il y avait cru jusqu'au bout, et elle n'en revenait pas de sa réussite. S'écartant vite du bord pour ne pas qu'il la tire à l'eau, elle éclata d'un rire joyeux. Pauvre crédule ! Voilà qu'il se démenait pour sortir, ses vêtements l'alourdissant, et qu'il pestait comme un charretier.

« Tu l'as bien cherché ! Si tu t'étais excusé, j'aurais peut-être laissé passer. »

Un sourire moqueur aux lèvres, elle n'hésitait pas à le narguer de sa position élevée. Vengeance était faite, certes d'une manière un peu puérile, mais très satisfaisante !

« C'est toi l'imbécile. Tu retiendras peut-être la leçon ! Et estimes-toi heureux que j'ai pas utilisé le marteau. »

Sur ces mots d'une sagesse indéniable (ou pas), elle attrapa sa main tendue pour le tirer au sec, veillant cependant à garder une distance raisonnable avec le bord du bassin.

Après cet acte mémorable, elle pouvait être sûre d'avoir une réputation de dure à cuire au sein de l'académie. Très contente d'elle-même, elle n'hésiterait pas à le répéter autour d'elle, et bientôt la moitié des élèves sauraient comment le larbin de l'Intendant avait fait un beau plongeon.