[Répartition] Meleas El' Faor (Lupus)

Par le sang des Ancêtres ! Fallait-il encore que sa tisane ne soit pas prête ! En temps qu'Intendant de l'Académie de Merwyn, Jehan Hil' Jildwin devait être assuré de divers privlièges, notamment celui d'un galopin lui apportant une tisane chaude quand l'envie lui en prenait; morbleu ! Encore une fois, un quart de rayon de soleil venait de passer sur le cadran de mabre que l'homme pianotait sur son bureau en attendant la boisson tardive. Pour tromper l'impatience, il avait commencé à travailler, mais avait vite renoncé. Sans auparavant une lampée brûlante d'infusion, il ne pouvait travailler sereinement. L'impatience grimpant avec les secondes qui s'écoulaient sans liquide miraculeux, l'Intendant se résolut tout de même à nettoyer la surface de son bureau. Problème : il l'avait déjà fait cinq fois dans les dernières heures, homme méticuleux qu'il était apparamment redevenu. Le cuisinier devait l'être moins, méticuleux, pour se faire prier de la sorte ! Il en soufflerait par les oreilles, des remontrances, lorsque l'Intendant perdrait complètement patience et irait chercher lui-même le breuvage.
Cependant, il ne pouvait pas rester oisif tout une après-midi, c'eut été dérangeant pour ses papiers qui - pour une fois - ne jouaient pas les montagnes. Jehan prit donc un dossier qu'on lui avait apporté avant le repas, et y reconnut le tampon caractéristiques des admissions au sein de l'établissement. Apparamment, la jeune personne devait venir le voir dans son bureau avant le coucher du soleil. D'une oeillade par la fenêtre, l'homme impatient s'informa : l'astre du jour était encore à son zénith, quoiqu'un peu déclinant vers l'Est, de quelques degrés tout au plus. Il avait encore le temps de prévoir l'accueil du jeune nominé qui ferait une entrée tonitruante et affolée dans son bureau. Au diable la tisane, il fallait se mettre un temps soit peu au travail.
L'après-midi s'égréna donc, péniblement, accompagnant un Jehan qu'un trouble dans ses habitudes alimentaires avait rendu passablement irritable et sombre. Le travail fut achevé d'un coup de plume griffé et mal contrôlé, que le soleil achevait sa course derrière la faîte des arbres... Non, en fait des montagnes qui dominaient la vue à l'horizon.
Non seulement, il n'avait pas eu la possibilité d'absorber sa drogue aqueuse, mais en plus ce galopin de nouveau venu se plaisait à être en retard ! On eût pu comprendre un léger retard du fait des larges couloirs. Mais pas une demi-révolution de l'astre du jour !

Déterminé à aller chercher un petit oisillon tremblant et perdu dans les appartements d'un concierge conciliant, comme cela arrivait parfois, Jehan Hil' Jildwin sortit promptement de son bureau, le pas vif et agacé, en allumant d'un geste distrait les chandeliers disposés le long du couloir. En pleine réflexion sur la manière dont il allait sermonner en guise de bienvenue l'égaré et maladroit admis, Jehan dut effectur un freinage en urgence, pour éviter un objet non identifié qui lui arrivait droit dessus avec une lettre à la main. Une fois la vitesse contrôlée, le pilote put se garer près de la voiture stationnée sur le bas côté... Non, je m'égare. Jehan put alors toiser de sa grande taille l'oisillon qui se présentait ENFIN à son bureau, d'un oeil critique et supérieur.

- Je m'apprêtais à aller te chercher dans la remis des objets perdus et trouvés, jeune homme ! Quel malheur t'est-il donc arrivé pour parvenir avec un retard pareil devant mon bureau ? J'aimerais une explication concise de préférence. Tu me conteras tes déboires en marchant, nous retournons dans mon bureau.

En effet, l'homme tourna les talons et montra le chemin à l'adolescent qui le suivait, puis, de quelques gestes autoritaires, le fit entrer et s'asseoir en face du meuble qui a le bonheur de s'appeler aussi bureau.

- Parle, je t'écoute. Et donne-moi tes noms, motivations et.. Enfin parle.

L'énergumène se plaisait à détailler l'imposante créature qui l'avait mené à sa caverne, le sourire pleinement retrouvé en constatant qu'il était tombé sur la bonne personne. Il passa une main couverte de griffures diverses dans sa tignasse décolorée et suivit l'Intendant d'un pas nonchalant avant de s'installer sur la chaise qu'on lui indiquait. Il rêvait ou cette place avait été conçue spécialement pour que le propriétaire du bureau paraisse intimidant ? La chaise d'en face était surélevée à coup sûr !

- Parle, je t'écoute. Et donne-moi tes noms, motivations et.. Enfin parle.

Son retard n'avait pas dû lui plaire, au bonhomme de l'Académie, mais Meleas était loin de se douter que la cause principale de cette lassitude était l'absence de thé sur le bureau. Levant son joli minois vers le très honorable Jehan Hil' Jildwin, le jeune homme dévoila sa dentition presqu'animale en un sourire lumineux.

- Meleas El'Faor, dit Maën, j'espère intégrer l'Académie pour mettre fin à mon manque de culture, perfectionner mon entraînement martial et peut-être exploiter mon Don... tout ce qu'il y'a de plus normal en somme. Je souhaite m'intégrer à un monde autre que celui d'où je viens, découvrir de nouvelles choses, évoluer dans un milieu où toutes les cultures se mélangent.

C'était tout ce qu'il y avait de plus vrai. A cela s'ajoutait l'envie de changer d'air, faire la connaissance de gens intéressants, tout ce qu'un établissement de ce genre pouvait offrir à ses élèves. Tout ce qu'il avait rêvé tout bas durant les longues années qu'il avait passé dans son village.
Il jeta un œil par la fenêtre et se perdit quelques secondes dans la contemplation de l'arbre qui poussait juste à côté, menaçant d'en obstruer la vue s'il continuait à grandir, et finit par retourner son attention vers l'intendant, sentant le silence se faire pesant.

- Et pour le retard, vous m'en voyez sincèrement désolé, fit-il en faisant papillonner ses yeux de biches avec un sourire narquois, je m'extasiais devant la peinture des murs !

Inutile de préciser qu'il mentait effrontément, il savait de toute façon très bien que l'intendant se doutait des raisons de son retard puisqu'il l'avait abordé en lui demandant où se trouvait son bureau. Las, le garçon retint un bâillement sonore qui lui aurait sûrement valu une remarque négative et étira discrètement ses jambes engourdies.
Une question de vieille date lui revint soudain en mémoire et son regard sembla s'allumer d'une lueur étonnée, l'espace d'un instant. Son visage changea plusieurs fois d'expression en un temps record, passant de l'incompréhension à la lassitude pour finir sur une moue intéressée.

- J'aimerais savoir quelque chose... Ces répartitions, elles se basent sur quoi ? Quels sont les critères qui placeraient un tel individu dans une telle maison et pas une autre ?

Ses questions étaient justifiées, il n'aimait pas qu'on le classe sans savoir pour quelles raisons. Et puis Mel était un éternel curieux, et tout ce qui touchait au comportement humain ou animal l'intéressait. Il croisa les bras en faisant cliqueter ses multiples bracelets et attendit que l'Intendant s'exprime, ne se départissant pas de son sourire habituel.

[On m'excusera longueur et qualité, la réponse commençait à tarder, et le temps me manquait]

L'intendant caressait le bois de son bureau avec cette infinie douceur qui lui était coutumière. Après avoir renversé un encrier - vide, il avait été installé pour tomber, un autre, plein, attendait derrière -, éparpillé des feuilles - vierges, les parchemins officiels étaient bien alignés à quelques mètres de là - et fait grincer ses ongles - des faux, les vrais étaient rangés dans un tiroir afin de ne pas les abîmer - il daigna enfin prendre attention au garçonnet qui lui faisait face. Il fit mine de réfléchir un bref instant très court, il aurait manqué de crédibilité en s'éternisant, puis, avisant la liste des élèves répartis dans les maisons, annonça calmement, usant d'une voix pompeuse et grandiloquente.

- Demoiseau, vous gagnerez la maison Lupus, dont la salle commune se trouve au quatrième étage de l'Aile Principale.

Il fit mine de noter quelques mots de sa plume sèche, puis reprit.

- La répartition se fait selon l'aura de la personne, son essence profonde, vous comprenez?

Il haussa un sourcil, avant de marmonner.

- A La tête, quoi.

Et enfin, reprenant une voix haut placée et légèrement condescendante, il termina.

- Vous pouvez disposer.

Quelle était cette étrange sentiment d'être... trompé ? Ce bureau... trop parfait... Par définition, selon le Larousse Melenien, un bureau était désordonné, couvert de feuilles diverses, bref, bordelique en tout cas pas rangé.
A première vue, l'espace du Grand Intendant semblait tout à fait normal... mais quand on regardait de plus près, les papiers ne semblaient-ils pas étrangement blancs ? L'encrier qui venait de choir avait-il seulement daigné laisser couleur ne serait-ce qu'une goutte d'encre ?
Le tapis immaculé laissait deviner un entretien régulier et l'Intendant lui-même semblait être une personne très soucieuse de son apparence, dédaignant toute poussière au profit d'une propreté indiscutable.

- Damoiseau, vous gagnerez la maison Lupus, dont la salle commune se trouve au quatrième étage de l'Aile Principale. [...] La répartition se fait selon l'aura de la personne, son essence profonde, vous comprenez ? [...] A la tête, quoi. [...] Vous pouvez disposer.

Lupus. Quatrième étage, Aile Principale. Aura. Tête.
Plaît-il ?

Surcharge, surchauffe, there is no place, reset, RESET, ho, calme-toi.

Meleas envisagea l'espace d'un instant la possibilité de se jeter à la gorge de l'illustre monsieur en hurlant comme un dégénéré, histoire de lui montrer qu'il ne comprenait pas grand chose à tout ce charabia puisqu'il n'avait écouté que d'une oreille, mais l'idée lui sembla mauvaise sur le moment.

Il regretta plus tard ce choix, pour des raisons que je ne citerai pas.

Bon, il avait au moins saisi qu'il était à Lupus. L'emplacement de la salle commune s'était envolé dans son esprit, guilleret, quant au reste, mieux valait ne pas en parler.
Le Grand Intendant, sans se soucier du fait que ce cher Meleas ouvrait et refermait la bouche comme un poisson-globe - sûrement l'avait-il déjà classé comme fou... de là venait le terme 'aura' ? Aura de fou ? Yeah yeah - , lui présenta une jolie bague au chaton verdoyant, ou verdâtre, ça dépendait de l'éclairage, et de l'autre main lui indiqua la porte.

Oui ben ça va, je sais où est la sortie, hein.

Le nouvel élève se leva donc d'une manière presque robotique, et se dirigea vers son Salut en claudiquant, la jambe encore endormie. La bague serrée dans sa main moite, il resta quelques secondes dans l'embrasure de la porte, se plaisant à examiner une dernière fois l'étrange créature pour lui adresser un sourire presque inquiétant, et sortit finalement sans un mot de plus.

L'année commençait bien !