Entrez ici un titre [Terminé]

Comment pouvait-elle lui dire ? Oui bonjour Elisha, tu vas bien, au fait je vais me marier.

- Tu vas pas lui annoncer comme ça, Ene, alors fais pas comme si.

Shana venait de lui lancer un coussin - comme elle en avait l'habitude - et Enelyë le réceptionna. C'était bien la seule personne avec qui elle acceptait d'entretenir de véritables conversations à propos d'elle. Néanmoins, elle ne lui avait rien raconté à propos de pourquoi elle se mariait avec Elio et non avec Silind. Ce à quoi elle avait fini par lâcher que de toute manière, elle traînait beaucoup plus avec le blondinet et que ça lui semblait plus logique, finalement.

*

Enelyë était donc partie, le matin même, pour Eoliane. Elle allait rater le cours de Légende, mais elle n'y prêtait pas attention. Le temps qu'elle passait encore à l'Académie était compté, donc elle agissait depuis peu comme elle le désirait. Le seul cours qu'elle continuait à suivre assidument était celui de Dessin, bien qu'elle ait l'impression de progresser de moins en moins. Bien sûr qu'elle n'arrivait pas au bout de ses capacités et que Myra avait encore beaucoup de choses à lui apprendre, mais elle voulait aller plus vite, mais les cours Brasier étaient rares, et les cours particuliers encore davantage. Elle pourrait partir à Al-Jeit ...

Finalement, alors qu'elle était presque totalement perdue dans ses pensées, elle se rendit compte qu'Eoliane se dessinait à quelques mètres devant elle, et elle pressa le pas. Enelyë devait voir Elisha, lui raconter. Car elle lui avait promis qu'elle ne l'abandonnerait pas. Et s'était promis à elle-même de la tenir au courant de ce qui lui arrivait, ce qui serait un des meilleurs moyens à sa disposition pour ne pas se perdre de vue.

Et puis elle l'invitait. Le mariage. Elle pâlit, chercha son souffle. Si elle ne devait dire ça qu'à Elisha. Mais elle avait encore des choses à mettre au clair avec Silind. Peut-être que si elle allait voir sa cousine aujourd'hui, c'était aussi pour repousser ça.

Elle toqua à la lourde porte de bois. Le même rêveur que la dernière fois lui ouvrit. Elle aurait pu le trouver mignon si son esprit n'était pas aussi occupé, comme la dernière fois, par ailleurs. Dinah se faufila un passage pour sortir, se frottant à ses jambes au passage.

- Tu viens voir Elisha ?
- Comme d'habitude.
- Tu veux entrer ?
- Il fait un peu frais, donc je veux bien, si vous me le proposez ...

Elle entra, puis s'installa sur un banc en attendant Elisha. Elle mordilla sa lèvre, tentant de trouver les bon mots. De toute façon, elle pourrait attendre un peu. Le temps de se dire bonjour, de se raconter quelques petites choses ... et ce fut une jolie rousse qui s'avançait vers elle en lui souriant. Enelyë tenta de sourire, pour cacher sa mine un peu triste.

- Bonjour Elisha ! Comment vas-tu ?

Oh, faites que son sourire tienne un peu.

- Alleeeeeeeeer, viens !, la suppliait Eliott d'un ton attendrissant.

Il tenait absolument à ce qu'elle l'accompagne dans les jardins. Là. Maintenant. Tout de suite. Alors qu'elle était en train de déguster son petit déjeuner. Il pouvait bien la laisser finir de manger quand même ? Quelques mois, voir même seulement quelques semaines plus tôt c'était lui qui la forçait presque à manger. Non, pas presque. Elle se serait probablement laisser mourir de faim dans la bibliothèque, enfermer dans ses livres, s'il n'avait pas été là. Elle lui devait tout. Elle lui devait tant. Elle en était consciente. Et lui probablement pas. C'était ce qui le rendait si attachant. Si adorable. Si généreux et humain.

- Laisse-moi finir de manger au moins ! Je viendrai après, promis ! Mais ce repas est si délicieux que je ne peux pas l'abandonner alors que je n'en suis qu'à la moitié.

Elle savait que le compliment le toucherait. Même s'il n'avait plus à aller la chercher et la pousser jusqu'au réfectoire, il continuait de lui mijoter des bons petits plats. Il adorait cuisiner. Et il fallait dire qu'il se débrouillait très bien. Elle attendait toujours ses repas avec impatience. Tant pour le gout que pour la présentation. A regret il acquiesça, mais ne partit pas pour autant. Il voulait s'assurer qu'elle viendrait avec lui après. Et qu'elle ne l'abandonnerait pas pour quelque révision ou autre tâche. Elle finit enfin son repas

Jun décidé d'arriver à ce moment là. Lui annonçant que sa cousine l'attendait dans le hall. La jeune femme se tourna vers son ami, d'un regard désolé. Elle ne la voyait jamais, il le savait bien. Il s'en alla à regret, lui faisant tout d'abord promettre de le rejoindre dès qu'elle serait de nouveau libre. Elle le regarda partir en souriant, puis se dirigea vers le hall.

Elle y trouva sa cousine, patientant tranquillement, assise sur l'un des bancs.

- Plutôt bien, et toi ?

Elle n'attendit pas sa réponse, enchaînant directement.

- Oh, il faut que je te fasse goûter quelque chose !, lui dit elle en lui prenant le bras pour la faire se lever.

Elle l'emmena vers le jardin. Cette année les framboisiers avaient bien donnés, et leurs fruits étaient plus exquis que jamais. Elle s'empara d'une framboise jaune et la tendit à sa cousine :

- Goûte, tu m'en diras des nouvelles !

Elle remarqua alors que le sourire d'Ene semblait un peu faux. Elle s'était promis de se revoir rapidement, de garder contact, mais elle avait comme le sentiment que ce n'était pas que pour ces raisons qu'elle était venue aujourd'hui.


Elle chassa ce sentiment. Aujourd'hui était une belle journée, les framboises étaient délicieuses, le temps sublime, et sa cousine était là. C'était parfait. Non ?

Elisha lui sourit, répondit qu'elle allait bien, avant de lui retourner sa question. Enelyë ouvrit la bouche, pour répondre, mais sa cousine interrompit son amorce de phrase et l'entraîna dans les jardins en la tenant par le bras. Et bien ... la douce et réservée jeune femme de la dernière fois, où était-elle passée ? Elle avait fini par faire son deuil, visiblement, ce qu'elle n'avait réussi à faire qu'à moitié. Elle ne parvenait toujours pas à se détacher de l'image de son père. Mais peu importait, elle voulait passer du temps avec sa cousine. Alors elle devait sourire.

Elle écarquilla les yeux lorsqu'Elisha lui tendit une énorme framboise, jaune qui plus est. Elle la regarda un instant, suspicieuse, avant de la mettre dans sa bouche. Toutes les petites graines éclatèrent, laissant le jus du fruit couler sur sa langue. Son sourire cette fois n'avait rien de forcé.

- C'est super bon ! Je connaissais pas cette variété de framboise. Le cuisinier de l'Académie devrait vous rendre visite plus souvent, soupira-t-elle, faussement exaspérée.

Elle sourit à sa cousine.

- Enfin, je lui dirai, mais ça risque de ne pas me servir beaucoup. C'est ma dernière année, je ne vais plus rester très longtemps. Les autres profiteront pour moi.

Elle triturait les feuilles du framboisier, cherchant un fruit sans regarder sa cousine. Une question lui vint soudainement à l'esprit. Le Rêve nécessitait aussi un apprentissage, mais combien de temps cela prenait ? Elle n'en avait pas la moindre idée.

- Est-ce que c'est long, d'apprendre le Rêve ? Est-ce que tu as le droit de voyager ou même de changer de maître, par exemple ?

Elle tendit une framboise à Elisha, tout sourire. En fourra aussitôt une autre dans sa bouche, malicieuse.

- Je vais essayer de ne pas manger toutes les framboises, sinon les Rêveurs vont s'en rendre compte.

Elle se tourna vers sa cousine qui répondait après cette remarque, hochant la tête. Cela l'intéressait. Bien sûr qu'elle irait la voir, peu importe où elle se trouvait - elle utiliserait le Pas. Mais peut-être qu'elle pouvait la faire venir avec elle, à Al-Jeit. C'était un peu égoïste, mais après tout ... Pourquoi pas ?

La jeune femme rit de la réaction de sa cousine lorsqu'elle vit la couleur de la framboise. Et oui, on était généralement plus habituées aux framboises rouges. Mais selon elle, les jaunes étaient les meilleures. Les plus douces, les plus agréables à déguster. Oui, les meilleures. Elle sourit quand finalement elle la goûta, et qu'un sourire apparut sur ses lèvres. Apparemment elle partageait son opinion, elle voulait même que le cuisinier en fasse pousser pour l'Académie.

Son sourire s'amoindrit lorsqu'elle continua sur sa lancée. Ainsi elle s'en allait bientôt. Elle s'en doutait. Elle savait que ce moment arriverait mais... c'était trop tôt. Bien trop tôt. Elle n'avait pas envie de la quitter, alors qu'elles se retrouvaient à peine.
Et elle se rendit compte que si la rêveuse connaissait le fonctionnement de l'Académie, sa cousine semblait tout ignorer de celui de la Confrérie. Il fallait dire que, même si ce n'était pas un secret d'Etat, on en parlait pas vraiment.

Elle mangea avec délice la framboise qu'elle lui avait tendue, tandis que la jeune femme continuait de parler. Elle hocha la tête en souriant. Eliott surtout lui en voudrait s'il n'avait plus rien à manger. C'était leur petit plaisirs à tous les deux d'aller déguster quelques framboises. Elle réfléchit un instant avant de répondre.

- Disons que... Comment dire... On ne finit jamais de l'apprendre.

Elle s'interrompit un instant, réfléchissant à la façon la plus simple de l'expliquer.

- On peut changer de maître et voyager. Généralement que d'une Confrérie à une autre, mais Eoliane est plus ouverte quant à ça. L'Art du Rêve est organisé par Cercles.Il y en a sept. Actuellement je suis au quatrième. Ce qui signifie que j'ai la capacité de soigner telle ou telle blessure. De m'occuper de tel ou tel cas. Plus tu montes dans les Cercles, plus tes Rêves sont compliqués.

Elle s'interrompit de nouveau.

- Et surtout... De nouvelles maladies apparaissent toujours. Et il faut toujours trouver de nouveaux remèdes. Et puis...

Elle soupira. Elle n'aimait pas cette règle absurde.

- Traditionnellement les Rêveurs restent dans les Confréries. On ne sort que sous certaines exceptions. Même si aucune règle officielle n'interdit le contraire. Ça fait parti des traditions stupides que respectent la plupart des Confréries. Comme... le célibat, l'âge, etc... Ce sont justes des taboux idiots au final.

Rien d'autre. Mais ce sont devenus des traditions bien ancrées.

On ne finit jamais de l'apprendre.

Comme le Dessin, donc. Du moins, pour Enelyë, on ne pouvait pas tout savoir sur le Dessin. On pouvait connaître la technique sur le bout des doigts, mais elle était certaine qu'on pouvait toujours augmenter sa créativité et approfondir son pouvoir. Elle lui expliqua ensuite les Cercles, lui indiquant qu'elle en était au quatrième. Autre relation au Dessin, plus l'on montait dans les Cercles, plus les Rêves étaient compliqués. Finalement, ce n'était pas si différent ...

En revanche, les Dessinateurs n'avaient pas à s'adapter, du moins pas aussi vite que ne semblait devoir le faire les Rêveurs. De nouvelles maladies, de nouveaux remèdes ... ce devait être difficile de ne pas savoir comment réagir face à un cas car il était nouveau. Et puis ...

Ils n'avaient le droit de sortir qu'à quelques exceptions près. Mais ce n'était pas une règle. Comment pouvait-on obéir à ce qui n'était même pas une règle ? Enelyë ne comprenait vraiment pas, jusqu'à ce qu'Elisha lui explique qu'il s'agissait de traditions - stupides. La brune sourit un peu gênée, sourire qui s'évanouit lorsqu'elle parla de célibat. Elisha le remarqua, elle le vit dans son regard.

- Hum, en fait, à propos de célibat. Enfin, non, justement ... Je suis venue t'inviter à mon mariage.

Voilà, c'était dit. Les mots étaient sortis de sa bouche, tout seuls. Finalement, elle n'avait pas eu à choisir les bons mots, à réfléchir à quoi que ce soit. Juste, le dire, naturellement. Ou presque. Enelyë vint automatiquement poser sa main sur sa broche, accroché comme toujours sous sa veste, près de son cœur. Alors elle attrapa la bague accrochée à sa chaîne. C'était un bijou de peu de valeur, juste un symbole à vrai dire. Juste pour montrer qu'elle était fiancée. Elle ne le portait pas à son doigt, ne le pouvait pas.

- Ça a été un peu ... soudain.

Elle sourit, mais le cœur n'y était pas. Elle se retint de soupirer.

La jeune femme choisit ce moment pour l'interrompre. Elle avait remarqué que son regard avait changé lorsqu'elle avait prononcé le mot «célibat». Elle avait pourtant précisé que c'était une stupide tradition. Elle n'avait aucune intention de la suivre. Ils n'avaient pas la même eux, les dessinateurs. Alors pourquoi son sourire s'était évanouit ? Non, il y avait une autre raison. Il s'était passé quelque chose avec la personne dont elle lui avait parlé la dernière fois ? S'étaient-ils séparés ? Pourquoi portait-elle encore sa broche alors ?

En parlant de sa broche elle venait de poser sa main contre. Toujours sans aucun sourire, même pas un éclat de bonheur dans son regard. Que s'était-il passé ? La journée avait pourtant si bien débutée... Elle aurait voulu croire que rien n'allait la gâcher mais... Elle n'y croyait plus.

Les paroles de sa cousine mirent un certain temps à cheminer jusqu'à son cerveau. Elle ne comprit pas tout de suite. Ça ne voulait rien dire. Ça n'avait aucun sens. Et surtout... Surtout, pourquoi en parlait-elle d'un ton si... étrange ?

Elle sourit, finalement. D'un sourire faux. Sans profondeur. Sachant parfaitement que la jeune rêveuse n'y croirait pas un instant.

D'un geste soudain elle la prit dans ses bras. Pas parce qu'elle était heureuse pour elle, non. Elle ne pouvait pas se sentir heureuse d'apprendre cette nouvelle, pas si elle l'annonçait ainsi. Ça sonnait faux. Pourquoi se mariait-elle ? Et... Avec qui ?

Elle la fit s’asseoir sur un banc à proximité des framboisiers. Choisissant ses mots avec précautions.

- Tu n'as pas l'air d'annoncer cela comme étant une bonne nouvelle..., dit-elle d'un ton doux, ne voulant pas la brusquer.

Elle s'interrompit un instant. Comprenant qu'elle ne voulait peut-être pas en parler. Les mariages arrangés étaient courants en Gwendalavir. Peut-être était-ce cela ? Lui attrapant une framboise, elle la lui tendit en lui disant :

- Je viendrai à ton mariage.

Que ce soit un simulacre de mariage ou non, ça reste ton mariage. Tu resteras la princesse de ce jour.

- Mais que dirais-tu de rester ici un peu et de continuer à manger des framboises pour le moment ?

Oh, s'il te plait, faisons durer les moments heureux encore un peu plus longtemps. Nous en avons si peu. Ne les gâchons pas.

Elle ne se serait pas attendue à ce qu'Elisha la prenne dans ses bras. Ça avait été soudain et ça l'avait surprise. Des boucles rousses étaient passées dans son champ de vision et elle bougea un peu la tête pour pouvoir respirer, tout en entourant sa cousine de ses bras. C'était réconfortant. La seule autre personne qui l'avait ainsi enlacée, c'était Elio. Avant qu'il ne lui annonce son départ. Avant qu'il ne l'abandonne, seule, à l'Académie. La brune se dégagea de l'étreinte, tandis qu'Elisha l'amenait vers un banc, près des framboisiers.

Elle se contenta de sourire tristement lorsque sa cousine énonça l'évidence, avant de se mettre à regarder ses pieds qui devenaient soudain très intéressants. Mais elle ne continua pas. Enelyë releva la tête, pour se retrouver nez à nez avec une framboise qu'elle saisit doucement. Presque la même douceur qu'elle sentit dans les mots d'Elisha lorsqu'elle lui annonça qu'elle viendrait à son mariage. Avant de lui demander de ne plus penser à cela, sous des mots différents.

- Ça me va parfaitement.

Cette fois, son sourire était un peu plus réel, d’autant plus lorsqu’elle mangea la framboise. Le sucre réconfortait toujours. Elle ne savait pas vraiment si elle devait parler plus de son mariage maintenant ou reprendre peut-être cette discussion plus tard, avant de partir peut-être. En attendant, elle eut envie de savoir si la vie de sa cousine avançait, se modifiait. En prenant une framboise, elle lui lança un sourire malicieux.

- Et donc, le célibat, les Rêveurs le respectent scrupuleusement ou ... ?

Elle ne pouvait pas croire qu’Elisha était seule. Cela lui paraissait tout simplement improbable. Un bruit de porte léger lui fit tourner la tête, et elle aperçut un jeune Rêveur qui regardait dans leur direction. Elle sourit.

- Lui peut-être ? Il est plutôt mignon. Peut-être un peu jeune ? commenta-t-elle.

Elle trouvait très drôle la façon dont il rougissait, ce qu’elle pouvait clairement voir de là où il était. Il referma la porte précipitamment, ce qui fit rire Enelyë. Puis elle se tourna vers Elisha, s’approchant d’elle sur le banc.

- Allez, dis-moi tout !

Elle recommençait à sourire de façon un peu moins fausse, un peu plus naturelle. Elle n'avait pas à vivre dans le présent maintenant. Pas à se soucier de ses soucis personels. Elles étaient hors du temps, hors du monde. Tout ce qui comptait dans l'instant c'était elles deux et le framboisiers. Leurs retrouvailles et la belle journée. La joie et la bonne humeur. C'était peut-être un peu naif, un peu trop conte de fée. Mais c'était bien d'avoir un peu de joie dans la vie de tant en temps, sinon on oublie pourquoi on s'y accroche tant. Quel est le but de tout ça...

Elle attrapa une nouvelle question, lui posant en même temps une question qui la fit rougir. Quelqu'un choisit ce moment pour ouvrir la porte la plus proche, déviant le sujet de l'attention pendant un instant, laissant le temps à la rouquine de reprendre convenance. Ce que sa cousine sous entenda la fit rire. Eliott, lui, rougit. Tiens, c'était rare ça. Il aurait plutôt eu tendance à venir les déranger un peu, à reprocher à Enelyë de lui voler son ami. En rigolant bien sur. Etait-il intimidé par sa cousine ?

- Eliott ?, lui repondit-elle d'un ton entrecoupé de rire, Oui, définitivement trop jeune. C'est un ami, rien de plus.

L'excuse ne la fit pas changer de sujet. Tout au plus de personne. Elle s'approcha, un air de conspiration dans les yeux. Un air qui voulait dire « Aller, aller, dis-moi ».
Mais elle n'avait rien à lui dire. Juste... Rien... Depuis le rouquin cette nuit là... Par la Dame que ça remontait à longtemps. Elle rougit en s'en rendant compte. Plongée dans ses études, enfermées sur elle-même, elle avait finalement laissé sa jeune s'en aller, sans s'en rendre compte.

- En dehors d'Eoliane j'ignore s'ils le respectent scrupuleusement mais..., commença-t-elle en répondant à sa première question, ici ce n'est plus vraiment un tabou.

Trop enfermée sur elle-même elle n'avait même pas réellement réfléchi à qui pourrait lui plaire ou non. Parmi les Rêveurs concrètement personne. En dehors... Elle ne connaissait pas grand monde. Gareth peut-être... Mais c'était juste inenvisageable.

Elle sourit d'un air un peu triste.

- Y a pas grand chose à dire tu sais...

Elle s'interrompit.

- C'est pas trop mon genre les Rêveurs, et je vois pas grand monde en dehors alors bon...

Elle se tut, la tête légèrement baissée.

Elisha lui confirma que le jeune homme aperçu de loin était trop jeune, en riant. Enelyë n'aurait pas trop su lui donner un âge, mais sa cousine semblait elle aussi bien jeune, malgré tout. Elle faisait plus femme que la brune, mais tout de même ... Soudain, elle remarqua un rougissement. Puis, elle reprit la discussion comme si de rien n'était et elle préféra ne pas poursuivre lorsqu'elle sourit, un peu tristement. Ce qu'elle lui ressemblait lorsqu'elle faisait ça. Elle ferma les yeux un instant, pour ne pas penser à ça, écoutant Elisha lui dire qu'elle ne voyait pas grand-monde.

Une idée folle traversa alors sa tête.

- Et si on partait ?

Elle savait qu'elle ne pouvait pas s'enfuir éternellement, et qu'on la tuerait si elle n'allait pas au mariage. Mais faire une escapade. Ou après le mariage. Elle n'avait pas envie de rester à Al-Poll, et si elle pouvait aider Elisha, faire en sorte qu'elle soit plus heureuse ... Les mots avaient donc pris de court sa pensée, qu'elle avait laissé échapper.

- On pourra aller à Al-Jeit, chez moi. Ou prendre une petite maison à Al-Chen. Tu pourrais aller à Fériane comme ça !

Elle s'enflammait, mais elles pouvaient le faire. Son adoption, la mort de son père, lui avait permis d'avoir de l'argent. Mais en se rendant compte qu'elle se mettait à y croire vraiment, elle décida de se calmer. C'était irréalisable et elle devait l'accepter. Elle soupira, gardant le sourire qu'elle avait eu en lui demandant de partir avec elle. Elisha devait avoir des choses qui la retenaient ici, elle. Enelyë ... elle n'avait plus qu'elle. Elle savait d'avance que plus rien ne fonctionnerait pour elle à l'Académie. Elle avait le droit d'espérer mais ses espoirs devenaient chaque fois un peu plus sombre depuis que son père était mort et qu'Elio l'avait abandonné, avant de revenir pour lui dire qu'elle allait mourir sauf si ils se mariaient.

- A vrai dire, j'aimerais juste pouvoir vivre comme je veux, sans contraintes. Tout recommencer.

Ce n'était pas possible. Elle prit une framboise. Elle sourit à Elisha.

- Je fais toujours des plans comme ça. Mais je n'ai pas la force de les accomplir.

Elle n'était même pas triste. Simplement un peu mélancolique.

Et si on partait ?

C'était aussi facile que ça finalement. Juste une phrase lancée au détour d'une conversation. Juste une proposition. Et si on partait. Et si on s'enfuyait. Al-Jeit. Al-Chen. Fériane. Non, elle ne pourrait pas aller à Fériane. Si elle allait à Fériane elle y vivrait, ne pourrait plus en sortir. Si elle partait, elle ne pourrait plus revenir. Si elle partait, elle reniait son état de Rêveuse. Trop de personnes avaient besoin d'elle ici. Elle pouvait s'en aller oui. Mais pour une durée définie. Pour un voyage. Pas pour vivre ailleurs. Eoliane serait toujours son chez elle. Eoliane serait toujours sa petite prison dorée. Elle ne pouvait pas juste partir, comme ça, pas aussi facilement.

On avait besoin d'elle ici. Elle avait tendance à l'oublier, elle avait tendance à l'ignorer, mais tôt ou tard cette vérité resurgissait. On avait besoin d'elle. Eliott, Jun, et surtout Amarylis. Elle ne pouvait pas l'abandonner. Pas encore. Ça l'a tuerait.

- Moi aussi j'aimerais...

Mais c'est loin d'être aussi simple.

Elle s'empara d'une framboise. Rendit son sourire à sa cousine.

- Malgré tout... Je n'ai pas envie de te perdre.

Pas déjà.

- Tu as bientôt fini ta formation non ? Ça veut dire que tu peux faire le Pas ?

Ça veut dire que tu peux venir me voir, que tu peux m'emmener et me ramener ? Ça veut dire qu'on peut continuer à se voir, même si l'on vit chacune à un bout de l'empire ?

Dis, un jour on ira voir l'Arche ensemble ?

- Et si... Et si on se prévoyait des vacances de temps en temps... Je ne peux pas m'en aller du jour au lendemain, mais je peux toujours m'absenter quelques jours. Le temps... Je sais pas, que tu me fasses visiter Al-Jeit, que je te montre le lac Chen ?

Le temps de se retrouver. De ne pas se perdre.
Le temps de voyager. Comme elle avait toujours voulu le faire.

- Ce serait possible, non ?

Dis-moi oui. Dis-moi qu'on ne va pas se perdre de vue. Pas encore. Pas alors qu'on vient de se retrouver. Pas alors qu'on a tant à se dire. Pas alors qu'on a tant à voir, tant à visiter ensemble... Tant à découvrir.

Elisha sourit à son tour, en prenant une framboise. Ses mots résonnaient à son oreille et Enelyë se disait que de toute façon, elle lui avait fait une promesse. Elle ne l'abandonnerait pas, parce qu'elles étaient liées par le sang. Elisha était sa seule véritable famille et il était hors de question de la laisser seule. Et de toute façon, quoi qu'il en soit, elle tenait ses promesses.

Sa cousine enchaîna sur sa formation, lui demandant si il était possible de faire le Pas. Elisha devait penser à la même chose qu'elle avait elle-même pensé quelques minutes auparavant. Ce fut donc avec un sourire qu'elle lui répondit.

- Je l'ai bientôt terminée, comme je te disais tout à l'heure. Il faut dire que la formation de Dessinateur ne s'étend que sur trois ans. Et je sais faire le Pas, bien sûr.

"Bien sûr". Comme si c'était évident. Quelques dessinateurs de son année n'y parvenaient pas. Pas encore, mais ils finiraient bien par réussir à le faire.

Et Elisha qui lui proposait de s'accorder des vacances, de temps en temps. Aller voir Al-Jeit, aller voir le lac Chen ... Elle n'osa pas dire à sa cousine qu'elle avait déjà vu le lac Chen des dizaines de fois, avec son père. Ils suivaient le cours d'eau derrière la maison pendant quelques jours, finissaient par apercevoir l'immensité du Lac, y restaient une journée et repartaient en sens inverse. Peut-être pourrait-elle lui dire si elles y allaient, comme cela lui rappelait de vieux souvenirs. La voix de la rouquine la fit sortir de ses pensées.

- C'est possible. Tout est possible.

Une infinité de possible leur était ouverte, à vrai dire. Elles pouvaient même partir maintenant. Elles auraient pu ... Mais elle ne le voulait pas, pas maintenant, pas tout de suite. Trop de choses tournaient dans sa tête. Et la peur maladive qu'elle ressentait quant au mariage lui revenait chaque fois qu'elle pensait à Al-Jeit : "tu ne pourras pas te cacher" lui avait dit Elio.

Et elle ne pouvait pas non plus cacher son mariage. Elle repensa aux élèves qui murmuraient sur son passage. Elle soupira.

- Tu sais Elisha ... Je ne sais pas quand je pourrais t'emmener avec moi. Il faudra attendre le mariage, d'abord.

Elle ne pouvait pas se sauver. Pas tout de suite. Pas maintenant.

C'était possible. Tout était possible. Elles pouvaient continuer à se voir.
Mais pas tout de suite.
Pas maintenant.
Elle avait un mariage à organiser après tout.
Et elle avait des expériences à mener.
Elle savait que dernièrement Amarylis s'était penchée sur un cas particulier, que quelqu'un venait la voir régulièrement par rapport à ça. Mais elle n'était jamais dans les alentours à ces moments là, et son maître avait refusé qu'elle se joigne à cette expérience. Trop dangereux, ou quelque chose. Elle avait déjà suffisament à faire avec les autres.
Elle n'aimait pas être mise à part, mais devient bien s'en accomoder. Et le comprenait, finalement.

Mais elle pouvait faire le Pas. Alors maintenant, dans quelques semaines, dans quelques mois. Peu importait. Elles n'avaient pas à cesser de se voir jusqu'à parce qu'elles allaient être loin l'une de l'autre. Elles n'allaient pas finir par oublier l'autre juste à cause de la distance. Oh par la Dame qu'elle aimait l'Art du Dessin en ce moment-même. Cet Art qui lui permettait de s'assurer qu'elle pourrait garder contact avec la dernière famille qui lui restait. Elle ne voulait pas être orpheline. Au moins elle avait toujours une cousine. Et une cousine qui se mariait. Mariage arrangé ou non, ça restait une fête à célébrer.

Elle verrait Al-Jeit un jour.
Elle reverrait sa cousine.
C'était tout ce qui comptait.

Elle s'empara de quelques framboises, qu'elle nicha au creu de sa main, et les mangea une à une.

- Tu sais, que ce soit maintenant ou dans trois mois, le simple fait de continuer à se voir me suffit.

Elle sourit.

- Et alors, dis-moi, tu as déjà ta robe pour ton grand jour ?

C'était un peu sorti tout seul. Son mariage n'était pas forcément le plus joyeux évènement dont elles pouvaient parler maintenant. Mais il fallait tristement avouer qu'elles n'avaient pas grand joyeux évènement dont elles pouvaient discuter. Alors autant tenter de parler des bons côtés de ceux qui leurs arrivaient.

Et comment vas-tu te coiffer ? Avec des cheveux si courts ? Avec tes boucles tu pourrais juste les laisser pendre, avec quelques perles ou plumes dedans.
Dis-moi tout. Préparons les bons côtés de ton mariage.
Puisqu'apparemment on reviendra toujours inévitablement sur ce sujet.
Dis-moi tout.

Ça convenait à Elisha. Alors elle en était heureuse et cela lui convenait de même. Elles se voyaient tout de même de plus en plus souvent. Peut-être sa cousine pourrait-elle devenir une personne à qui elle voudrait spontanément se confier. Comme une sœur, qu'elle n'avait jamais eu. Elle eut une vague pensée pour Ael, songeant qu'elle-même ne pourrait jamais prendre la place d'une sœur pour elle. Mais qu'elle soit une amie lui suffisait, au fond.

Et elle engagea la discussion sur le mariage en lui demandant si elle avait choisi une robe. Et Enelyë se rendit compte qu'elle ne s'était absolument pas préoccupée de ses sujets. Ses yeux s'étaient écarquillés sans qu'elle ne le remarque et elle secoua légèrement la tête. Comment cela avait-il pu lui passer totalement au-dessus de la tête ? C'était tout de même important. Même si elle ne considérait pas ce mariage comme quelque chose de vrai, même si tout cela n'était qu'une immonde mascarade, elle ne pouvait pas y aller comme si elle jouait. Ou plutôt si, elle allait devoir jouer ...

- A vrai dire, je n'y ai pas vraiment réfléchi ...

Il fallait préparer le mariage en lui-même aussi. Cela lui serra le cœur, cela lui faisait peur. Elle voulait s'enfuir, ne pas avoir à penser à ça. Ne pas avoir à penser à ce qu'elle perdait dans toute cette ignoble pièce orchestrée par elle-ne-savait-qui.

- Peut-être que qu'un bleu pâle ou un rose pâle s'accorderait bien au blanc principal de la robe et à mon teint.

Ses joues rosissaient souvent, ce qui l'avait amené à penser au rose. Le bleu et bien ... le bleu se marierait au regard d'Elio, donc dans tout les cas, elle choisirait une de ces deux couleurs. Et que faire de ces cheveux, qu'elle avait coupé dans la précipitation, lorsqu'elle avait eu peur qu'ils ne soient poursuivis ? Elle sourit à Elisha, essayant de cacher la peur qui la prenait, la haine qu'elle éprouvait pour la personne qui la prenait pour une vulgaire marionnette.

- Peut-être que tu pourrais m'aider à choisir. Il suffirait que je fasse un Pas. Qu'en penses-tu ?

Après tout, une petite session d'essayage pouvait lui faire du bien ...

Elle avait parlé de la robe en pensant qu'elle en avait déjà choisie une. Ou que quelqu'un l'avait fait pour elle. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit les yeux de sa cousine s'écarquiller de surprise. Elle n'avait sérieusement pas de robe ? Elle n'avait réellement rien préparé ? Et personne ne s'en était occupé pour elle ? Quel genre de mariage arrangé c'était donc ? Elle commençait à y réfléchir du coup. Même si elle l'avait invitée, elle avait légèrement oublié de lui préciser la date. Combien de temps lui restait-il pour s'occuper de tout ça ?

Bleu ? Rose ? Bleu plutôt. Rose ça faisait trop fifille. Même si un mariage tout court ça faisait trop fifille à vrai dire.

Elle ne savait pas trop. Elle n'avait jamais organisé de mariage voyez-vous. Elle ne s'était jamais préoccupée de ça. Elle n'avait jamais même eu l'envie de se marier un jour, elle n'avait même pas imaginé cette possibilité pour vous dire. Même si elle trouvait la tradition de célibat des rêveurs absolument stupide et qu'elle ne s'était pas privée de le dire à Amarylis, elle n'avait jamais vraiment pensée à elle-même pour cela. Oh, elle avait eu quelques aventures par-ci par-là. Mais rien de bien sérieux. Le sujet, l'idée même du mariage n'avait jamais été abordé.

Elle n'avait même pas vraiment l'intention de se marier un jour si elle y réfléchissait.
Alors conseiller sa cousine sur sa robe, sa coiffure et tout ses trucs de filles. C'était pas trop son genre. Elle aimait les robes et tout ça. Elle savait ce qui lui allait. Et il lui avait fallu du temps pour ça. Pour s'assumer, pour assumer ses formes. Surtout depuis qu'elle avait arrêté le sport /PAN. Mais conseiller quelqu'un ?

Peut-être qu'en la voyant faire les essayages... Pourquoi pas après tout. Ça leur changerait les idées à toutes les deux. Et elles arrêteraient enfin de chiper toutes les framboises. Elle acquiesça en esquissant un sourire.

Enelyë n'attendit pas plus longtemps, elle s'empara du bras de sa cousine et l'emmena dans les rues d'Al-Poll avant qu'elle n'ait eu le temps de sursauter.

Elle n'avait jamais fait le Pas.

Elles rentrèrent immédiatement dans le magasin de robes de mariées, pendant qu'Elisha essayait de trouver des idées de coiffures pour cheveux courts. Elle les avait jamais eut court, elle avait pas l'habitude vous voyez. Elle essayait quand même d'y réfléchir.

Elisha sourit, disant par un geste qu'elle acceptait de l'accompagner. Alors elle attrapa son bras et fit un Pas. Tout un univers se déploya devant ses yeux, comme un oiseau qui ouvrirait soudain ses ailes, mais elle ne songea pas un instant à tirer sur les bribes d'Imagination car une seconde plus tard, elles étaient dans les rues d'Al-Poll. Enelyë connaissait très bien la ville à force de la fréquenter, mais elle était toujours étonnée de voir tant de monde se presser dans les rues. Et dire que les jours de marché, c'était encore pire !

Elle la conduisit aussitôt vers le magasin de robes de mariée. Dans ses souvenirs, le magasin Ril'Enflazio faisait dans la haute-couture, mais pas pour ce genre d'événements, ce qui était la raison pour laquelle elle s'était permise d'entrer ici et non dans la boutique un peu plus loin dans la rue. En poussant la porte, elle eut l'impression d'entrer dans un sanctuaire de blancheur et de dentelles. Cela la fascinait mais l'effrayait à la fois. Un homme se déplaça vers elle, lui demandant si il pouvait les aider.

- Je cherche une robe ... comme si ce n'était pas évident. Vous auriez des robes avec des touches de bleu ?

Visiblement, la boutique était classée par couleur, car il les mena vers un rayon où le bleu était très présent. Toutes les teintes, toutes les nuances, du cyan au bleu roi, en passant par le marine et le bleu ciel. Enelyë ouvrit de grands yeux devant cet étalage de robes. Elle se lança dans le rayon sans plus vraiment faire attention à Elisha. Elle avait une idée très précise de la teinte de bleu qu'elle voulait. Un bleu glacial. Mais un bleu froid qui réchauffait. Et lorsqu'elle eut rassemblé toutes ces robes dans un coin, il fallait choisir une forme qui lui corresponde. Et ce fut ce moment qu'elle choisit pour rappeler sa cousine, qui semblait un peu pensive.

- Je porte énormément de robes, mais je ne sais pas laquelle m'irait le mieux entre ces trois-là. Tu penses que je peux les essayer ?

On allait dire que oui. Elle partit en essayant une première. Et le bal commença. Et les sourires fleurirent quand elle commença à essayer les AUTRES robes, simplement pour s'amuser.

Elle n'avait jamais fait le Pas. Et c'était une sensation forte étrange. Elle sentait presque encore le banc sous ses fesses. L'odeur des framboises et des fleures aux alentours. Mais elle était à Al-Poll, alors qu'une seconde plus tôt elle était tranquillement dans le jardin de la Confrérie. C'était incroyable, magnifique et terrifiant. Elle regrettait presque un peu de n'avoir que le don du Rêve. Avec le Dessin elle aurait tant pu voyager. Et si facilement... D'un claquement de doigt.

Tu veux voir l'Océan ? Allez hop ! C'est fait. Les montagnes ? C'est fait aussi.

C'était... un sentiment un peu vertigineux. Pouvoir se déplacer à ses distances, d'un simple claquement de doigts. Finalement, c'était peut-être mieux qu'elle se cantonne au Rêve. Au moins c'était un domaine qu'elle connaissait. Elle savait à quoi s'attendre.
Elle laissa sa cousine faire son premier choix parmi les robes. Plus encore que le Pas c'était si étrange de se retrouver dans un magasin de robes de mariées. Elle n'aurait jamais pensé y mettre les pieds. Elle n'aurait jamais pensé ne serait-ce que regarder la vitrine. Et là elle était à l'intérieur, regardant sa cousine choisir sa future robe. Elle était si jeune. Elles étaient si jeunes...

Oh, et puis elle trouverait bien une idée de coiffure lorsqu'elle se serait décidée pour la robe.

Elle remarqua l'étrange choix du bleu. Les trois qu'elle avait mis de côté étaient du même. Pourquoi celui-là en particulier ? Il était glaciale. Il lui rappelait vaguement quelque chose, sans qu'elle ne sâche quoi. Elle acquiesça quand sa cousine lui demanda si elle pouvait les essayer, même si, en fait, elle n'en avait pas la moindre idée. Tant pis hein.

Pourquoi CE bleu ? La question lui trottait dans la tête, sans qu'elle parvienne à s'en débarrasser.

Elle sortit des cabines, portant la première. Elle était parfaite, définitivement. Les autres étaient pas mal non plus. Mais celle-ci... Elle essayait les autres, pour rigoler, pour se changer les idées. Jusqu'à ce qu'Elisha l'interrompe :

- Oh ! J'ai vu qu'ils avaient des diadèmes et toutes sortent d'accessoires pour cheveux là bas ! On en trouvera un bien ? On va voir !

Tu seras la princesse de ce jour, tu as bien le droit de le montrer.

Elle se sentait étrange, en se regardant dans le miroir de la cabine. L'impression d'être à des kilomètres d'elle-même. Le blanc relevé par les voiles et les motifs bleu glacier lui donnait une impression étrange. Elle se sentait belle dans cette robe, mais en même temps elle aurait voulu l'arracher. Ce n'était pas elle. Lorsqu'elle sortit de la cabine, Elisha nota que cette robe était parfaite. Les deux autres lui semblèrent moins bien et elle alla les ranger. Il faudra faire quelques retouches, notamment pour la longueur. Elle essaya les autres pour rire, jusqu'à ce que sa cousine l'arrête en lui parlant des diadèmes et autres accessoires.

Elle ré-enfila son uniforme rapidement, prenant la robe dans ses bras. Elle ne se pliait pas facilement et elle se résigna à la porter juste pliée sur son bras. Puis elle suivit Elisha en souriant. Elle avait l'impression d'être à des kilomètres d'elle-même. Mais elle souriait, parce que malgré tout elle avait l'impression d'être vraiment princesse. Puis, un mariage, ce devait être heureux ... alors autant essayer de l'être.

Devant les diadèmes, elle eut un sursaut discret. Elle se rappelait d'un cygne cassé, posé comme diadème sur sa tête et sur celle de Miaelle. L'un d'eux y ressemblait fortement. Une grande et belle aile de cygne dans une sorte de verre délicat et transparent. Elle s'en écarta, détourna le regard, regardant les autres. Aucun ne s'accordait vraiment au bleu de la robe, aussi se résigna-t-elle à choisir dans les tons argentés. Et puis, finalement, elle se demanda si elle en avait vraiment besoin. Elle pouvait tout aussi bien choisir de simple accessoires. Le voile tiendrait bien avec un peigne coincé dans ses cheveux.

- Je ne sais pas quoi choisir ...

Elle espérait que sa cousine aurait une idée pour elle. En même temps, elle trouvait la situation étrange.

- Tu te rends compte. On est dans un magasin de robes de mariées, à choisir comment je serai habillée le grand jour ...

Elle eut un rire un peu nerveux. Quand elle était petite, elle rêvait de son mariage. Maintenant, tout cela lui donnait des cauchemars. Cette histoire prenait vraiment des tournures étranges. Elle avait cru pouvoir tenir tête, faire semblant, mais son sourire ne cessait de se faner.

- Oh, les fleurs ! Il faudra aller choisir des fleurs aussi.

Ça lui était venu en tête, comme ça.

Ce n'était pas son genre, de faire les magasins, de trotter des heures durant dans des lieux trop petits, pas assez aérés. Quand elle allait s'acheter quelque chose, elle savait ce qu'elle cherchait, et ne passait pas des heures à faire des essayages inutiles. Bon, là c'était un peu elle qui avait abordé le sujet, et elle avait accepté la proposition qui avait suivi. Mais elle commençait à en avoir un peu marre. C'était amusant, ça leur changeait les idées à toutes les deux. Mais à force, ça l'ennuyait. N'empêche qu'elle était sublime dans sa robe. Une vraie future mariée. Mais elles ne trouvaient pas d'accessoires qui collaient bien, et elle n'avait aucune idée de ce qui pourrait aller le mieux à sa cousine. Alors quand elle parla des fleurs, elle sauta sur l'occasion :

- Et si on allait en choisir maintenant ? Après on aura peut-être les idées plus claires pour te choisir des accessoires.

A force de rester enfermer dans ce magasin on s'étouffe. Comme font les vendeuses pour supporter ?
Dis-moi qu'on peut s'en aller d'ici. Regarde, elle propose de te la mettre de côté. Tu pourras revenir plus tard pour les retouches.

Elle accepta, et elles s'en allèrent s'en plus attendre. Se dirigeant vers le magasin de fleurs le plus proche. Au moins les fleurs elle s'y connaissait un peu plus, à force des les étudiers et de les voir dans les jardins. Oh, elles étaient bien tout à l'heure dans le jardin, à manger des framboises. Elle commençait à avoir faim de framboises là. Ce n'était que de la pure gourmandise, mais tout de même... Elles les regardèrent, se décidèrent pour quelques unes, hésitèrent sur d'autres. Enfin, tout n'avait pas besoin d'être planifié dans l'instant. Elles ressortirent, sans conviction.

La foule se faisait dense. Elle n'avait pas l'habitude. L'aube n'était plus à son apogée, alors les gens sortaient, en profitait pour se balader, faire du shopping... Elle tira sur le bras de sa cousine pour l'attirer, pour pouvoir lui parler et qu'elle l'entende :

- Dis, ça te dirais pas de retourner manger des framboises ?

Ou sinon on va ailleurs. Comme tu veux.

[Je commençais à ne plus avoir trop d'idées. Tu peux l'emmener où tu veux.

Elisha sembla accueillir l'idée des fleurs avec soulagement. Enelyë s'était tellement perdue dans la contemplation pensive des accessoires qu'elle n'avait pas fait attention à sa cousine. Peut-être qu'elle s'ennuyait. Peut-être qu'elle n'aimait pas se balader dans les boutiques. Elle regarda les vendeuses, qui lui proposaient de la garder de côté. Enelyë leur sourit, puis sortit de la boutique avec Elisha, direction le fleuriste.

Cette fois encore, elle se contenta d'hésiter, ne trouvant pas de fleurs adaptées à la robe. Il était cependant hors de question qu'elle choisisse une autre robe maintenant. Cela dit, elles n'avaient pas besoin de choisir tout de suite ... Enelyë proposa à Elisha de sortir, lui disant qu'elles reviendraient plus tard. En sortant, elles se retrouvèrent plongée dans la foule. Quelqu'un bouscula même la brunette. Elle sentit Elisha tirer son bras pour la rapprocher d'elle, et lui demanda doucement si elles pouvaient retourner manger des framboises.

- Oui, ce sera mieux.

A nouveau, elle fit un Pas, renonçant à s'accrocher à l'Imagination. Néanmoins, elle n'emmena pas Elisha au jardin des rêveurs, mais dans des jardins légèrement à l'abandon, à la frontière d'Al-Jeit. C'était beaucoup moins envahi que les rues d'Al-Poll, et beaucoup plus beau que les étendues académiciennes. Et on trouvait des fruits à chaque coin de ... chemin, finalement, puisqu'elles ne se promenaient pas dans les rues.

Enelyë conduisit Elisha jusqu'à un banc. Elles surplombaient la ville, de là où elles étaient, et pouvaient admirer de loin les bâtiments et les monuments. Le palais Impérial se dressait devant elles, majestueux et immense. Plus loin, elles pouvaient apercevoir l'Arche qui enjambait le Pollimage. Le pont de diamant prenait les teintes de l'eau, et le soleil se chargeait de les faire miroiter, ce qui lui donnait des milliards de couleurs différentes et magnifiques. Le paysage était splendide.

Elle cueillit des framboises derrière elle, en tendit à Elisha.

- Mon père m'emmenait ici parfois, quand j'étais petite. Je crois que c'est la plus belle vue que l'on peut avoir d'Al-Jeit.

Elle s'installa un peu plus confortablement sur le banc, passant une main dans ses cheveux juste après.

- Il faudra que je lui montre ce paysage, souffla-t-elle, comme pour elle-même.

Ailleurs donc. Elles n'étaient définitivement pas dans les jardins d'Eoliane. Elle les connaissait comme sa poche, mieux même, et ne reconnaissait rien aux alentours. Mais ça ne la dérangeait pas. C'était... Magnifique. Elle ne savait pas où regarder. Elle laissa sa cousine la guider jusqu'à un banc, faillit se casser la gueule en trébuchant un nombre incalculable de fois.

Elles surplombaient une ville, et... quelle ville. De ce qu'elle en voyait, si elle se fiait aux descriptions qu'elle avait lu, il s'agissait d'Al-Jeit.
Finalement elle pourrait dire qu'elle avait vu Al-Jeit.
Au moins, elle aurait apperçu Al-Jeit.
Et le Palais Impérial.
Et le Polimage.
Et... Majestueuse. Bien plus belle que tout ce qu'elle n'aurait jamais pu imaginer, bien plus magnifique qu'aucune image ne pourrait imiter... L'Arche. Elle se leva, comme si elle pouvait mieux la voir ainsi, comme si elle allait être plus proche comme ça, comme pour graver chaque détail, chaque nuance. Et elle avait entendu dire qu'elle était plus belle encore qu and le soleil se couchait. Il faudrait qu'elle demande à Enelyë de l'emmener plus proche, un jour, pour admirer le soleil se coucher...

Elle était ébahie. Ses yeux aggrandis au maximum. Comme pour capter toute l'essence de ce moment. Comme pour essayer de graver le moindre détail, comme pour tenter d'en voir le plus possible.

Elle se rassit, sa tête commençait à tourner. Trop de merveilles. Trop de beauté. Elle devait réellement voyager. Et par elle-même. Pas seulement comme ça. Elle devait découvrir les merveilles du monde par elle-même. Au moins certaines...

Lui ? Qui donc ? Un homme, une femme ? Etait-elle possible qu'elle parle de son futur mari. Et si... Une idée sogrenue, impossible, se glissa dans les divagations de la rêveuse. Et si elle le connaissait ? Son futur mari. Et si ce n'était pas qu'un mariage de noble inconnus, et si... Elle le connaissait déjà ? Qui est-ce que ça aurait pu bien être ? Ça ne pouvait définitivement pas être l'homme dont elle lui avait parlé la dernière fois, sinon elle aurait eu l'air bien plus heureuse, bien plus joyeuse, lorsqu'elle lui avait annoncé la nouvelle. Qui donc alors ? Un ami au moins ? Même si un mariage non voulu risquait d'être un sacré coup pour une amitié, c'était peut-être mieux qu'un simple inconnu...

Elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait prononcé le mot «Lui», à voix haute...

- Lui.

Enelyë leva les yeux vers Elisha, ne comprenant pas ce qu'elle voulait dire. Et elle finit par tiquer qu'elle avait sans doute entendu ce qu'elle avait dit. Elle ne l'avait pas dit doucement, mais elle n'avait pas eu l'impression de le dire assez fort pour que sa cousine le perçoive. Ce qui expliqua la surprise que la brunette avait eu. Le temps semblait venu de lui donner le nom de son futur mari. De tout lui expliquer. Parce qu'au final, elle était sa cousine. Elio lui avait dit de ne rien raconter, à personne, mais elle ne pouvait se résigner à laisser Elisha dans toutes les incertitudes dans lesquelles elle avait dû la plonger.

- Tu te souviens, la dernière fois, je te disais que j'étais amoureuse.

Penser à Silind lui faisait mal. Et dire qu'elle ne l'avait pas encore vu ! Elle n'osait pas, mais elle se disait que le plus vite serait le mieux.

- Et bien oublie. Il se trouve que j'ai eu un certain ... problème, et mon meilleur ami est impliqué dans tout ça.

Devait-elle lui expliquer ce "problème" ? Maintenant qu'elle était partie, autant continuer sur sa lancée.

- Avant de continuer, tu dois me promettre de garder tout ça pour toi. Je suis sérieuse.

Son coeur battait à tout rompre. Elle allait briser la promesse qu'elle avait faite à Elio. Mais elle avait terriblement besoin de se confier. Et Elisha, en ces temps troubles, lui semblait la personne la plus digne de confiance. Plus fiable qu'Elio lui-même.

- Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé, mais mon père adoptif a provoqué des personnes. Par conséquence, on a voulu me tuer, pour le punir. Cependant, on a donné cette mission à mon meilleur ami, Elio Tharön.

Elle respira, ne levant pas le visage vers Elisha.

- Il n'avait que ces deux choix. Me tuer ou se marier avec moi.

Elle avait envie de pleurer, mais se retint de justesse. Elle avait eu de la chance, finalement. Elle finit par lever la tête. Constata que sa cousine avait dangereusement pâli.

- Qu ... quelque chose ne va pas ?

Oh, elle aurait réellement préféré ne pas laisser ce mot sortir de ses lèvres. Oh elle aurait voulue revenir quelques secondes, quelques minutes en arrière, et tout oublier. Ne plus faire la même erreur. Si elle en avait eut la mauvaise surprise au mariage, aurait-ce été mieux ?

Pitié, dites-moi que ce n'est qu'un cauchemar. Que je vais me réveiller dans quelques instants.

Elle avait décidé de lui annoncé qui était le futur marié finalement. Et non, ce n'était pas qu'un illustre noble inconnu. C'était bien pire que ça. Plus affreux qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer. Quand elle avait entendu le nom, elle avait sursauté. Il lui disait quelque chose. Ça la dégoutait, rien que d'entendre son prénom. « Elio ». Ce n'était pas un prénom ça, c'était une insulte. Qu'on crachait à terre et qu'on couvrait d'un son de toux, parce qu'elle était bien trop vulgaire pour la prononcer à voix haute.

Et puis elle se souvint, finalement. Pourquoi ce nom, dans son esprit était si étroitement lié à un dégout profond, à une insulte. Elle tremblait. Sa peau diaphane était devenue d'un blanche à en faire peur les morts.

Ce ne pouvait pas... Ce n'était pas possible... Ce ne pouvait pas être cette espèce d'étrange créature qui l'avait agressée à la sortie du Labyrinthe. Non... Pas lui. Tout le monde, même Kylian, même Eliott, sauf lui. Pas cette chose difforme et insupportable. Pas ce dégout pur. Et quel était ce mot qu'elle avait utilisé plus tôt pour le décrire ? Son... meilleur... ami ? Impossible ! Comment un homme, comment un monstre comme ça pouvait être proche de quelqu'un, avoir des amis, et qui plus est... être si proche de sa propre cousine. Il allait se... Elle faillit vomir. C'était un cauchemar. Ce n'était pas possible autrement.

Elle du se retenir pour ne pas hurler, pour ne pas redevenir cette autre personne qu'elle pouvait être parfois, qu'il l'avait fait devenir une fois, et qu'elle haïssait tant. Cette personne qui avait blessé Amarylis, qui avait voulu, du plus profond de son âme, le tuer.

Je vais vomir.

- Je... Je ne me sens pas bien...

Elle avait le teint plus que cadavérique, les yeux vitreux.

C'était un cauchemar.

Ce n'était peut-être pas le même...

- Décris-le moi...

Donne-moi un espoir. Dis-moi que ce n'est pas lui. C'est un autre Elio, c'est ça ?

Qu'est-ce qu'elle avait ? Est-ce que son histoire affectait à ce point sa cousine ? Elle lui offrit un sourire triste, se leva pour la soutenir et l'aider à s'installer sur le banc. Elisha ne se sentait pas bien. Enelyë l'avait deviné. Elle était devenue encore plus pâle qu'elle ne l'était déjà habituellement. Elle la laissa tranquille, ne sachant pas trop comment réagir. Peut-être devait-elle la ramener à Eoliane, aux mains des autres Rêveurs. Après tout, elle n'était pas experte, elle, en maladie. Et elle n'était pas sûre que sa cousine puisse se soigner elle-même.

Et en fait, non. Ce n'était pas son histoire qui la perturbait autant. C'était Elio.

« Qu'est-ce que tu as encore fait ? » ne put-elle s'empêcher de penser. « C'est que tu as une fâcheuse tendance à m'attirer des soucis toi. »

Et pour une fois, elle ne se sentit pas l'envie de sourire en pensant à lui, à toutes ces choses qu'elle voulait lui montrer de son enfance. A cet instant, elle se demandait ce qui les avaient poussés à se rencontrer, à se lier d'amitié. D'un coup elle se sentit comme une amie qu'il ne méritait pas. Et réaliser cela lui faisait mal au cœur. Tout était toujours centré sur Elio. Et même sa cousine s'intéressait plus à lui qu'au possible risque de sa mort. Pourquoi était-ce toujours Elio ?

- Il est blond. Il a les yeux d'un bleu très ... froid.

Tellement plus chaud lorsque je le vois. Que pouvait-elle lui dire ? Elle ne connaissait pas d'autre Elio et ils s'étaient probablement rencontré à Eoliane. Vu l'incroyable capacité d'Elio à faire des conneries, elle n'aurait pas étonné que quelque chose lui soit retombé dessus. Enelyë regardait sa cousine, à la fois triste contre elle et contre Elio. Sa vie semblait n'être qu'une succession d'ennuis depuis un an et demi. Si ça continuait, elle n'allait plus rien pouvoir supporter.

- Qu'est-ce qu'il t'a fait ? murmura-t-elle, la voix tremblante.

Oh, comme elle connaissait Elio. Comme elle savait que c'était lui, et non un autre. Qu'avait-il fait à sa cousine ?

- Néanmoins, je vois que tu acceptes plutôt bien l'idée qu'il m'ait sauvé, dit-elle ironiquement.

Elle n'avait pas pu se retenir de lâcher ça et elle posa aussitôt une main sur sa bouche, surprise par les mots qu'elle venait de prononcer.

Non, elle ne voulait pas accepter cette idée, elle ne voulait pas y croire. Elle voulait continuer à espérer qu'elle parlait d'un autre Elio, d'une autre personne. D'un personne, et pas d'un monstre. Pas de quelqu'un qui avait réussi à la transformer en monstre. Non, ce n'était pas possible. Elle sentait encore la pression de ses mains contre son cou. La vie qui s'échappait d'elle. Si personne n'était intervenu, elle serait surement morte maintenant.

Elle avait du mal à respirer. Elle avait envie de vomir, de hurler sa rage. L'une de ses mains qui était posée contre le banc en pière s'était resserée en poing. Elle la serrait à s'en faire blanchir les phallanges.

Non...

Et puis elle le décrit. Et le doute ne fut plus possible.

Elle appuyait son poing fermé de toutes ses forces contre le banc, espérant peut-être passer à travers, se retoruver dans un autre monde, à des milliers de kilomètres d'ici.
Elle le souleva un peu, l'éclata contre la pierre. Elle saigna mais s'en fichait. Elle souffrait mais s'en fichait. Elle voulait se réveiller. Un son sourd soufflait à ses oreilles, elle n'entendait plus rien. Que ses pensées de déni qui se répétaient en boucle. Non...

Elle n'entendit que les derniers mots...

Qu'il t'ait sauvé ? Sauvé ? Comment choisis-tu donc les personnes que tu fréquentes ? Comment as-tu pu perdre le sens de ce mot à ce point ? Sauver, c'est ce qu'Eliott a fait pour moi. C'est ce que Locktar a fait pour Wendy. Sauver ce n'est pas sacrifier. Pas tenter de tuer quelqu'un.

Elle avait gardé la trace sur son cou, sur sa nuque pendant des jours.
Et elle avait gardé la colère, le dégout pendant des semaines. Elle n'avait jamais réussi à le faire partir, elle s'en rendait compte maintenant.

Ça, ce qu'il avait fait, ce n'était pas sauver. C'était condamné. Condamner Enelyë à vivre aux côtés d'un fou.

Il lui restait une marque. Légère, presque invisible. Elle avait presque oubliée. Dans sa nuque, derrière sa masse de cheveux. Là où ses ongles avaient transpercés sa peau. De sa main qui saignait encore, elle prit ses cheveux et les rabattus d'un côté. Elle avait le droit de savoir. D'une voix tremblante elle annonça :

- Juste... tenté de me tuer...

La marque était juste là, visible si on n'y faisait attention. Presque partie. Presque.

Le coup sec fit vibrer le banc et Enelyë eut un sursaut de frayeur quand Elisha frappa son poing contre la pierre. Elle était en colère. Elle souffrait, visiblement. Et la Dessinatrice ne comprenait pas. Ne voulait pas savoir comment Elio avait pu à ce point changer cette douce jeune femme en une personne dangereuse. Elle semblait certes plus dangereuse pour elle-même pour le coup, mais ... on ne sait jamais. Elle ne voulait pas que son visage soit dans la trajectoire de son poing, aussi ne tenta-t-elle pas de l'approcher. Elle se recula même un peu sur le banc, attendant que la tempête se calme. Si elle se calmait.

Elisha reprit place, et Enelyë s'approcha d'elle, doucement, un peu tremblante. Elle n'avait jamais vu une personne se métamorphoser aussi subitement et cela continuait de l'effrayer. Son coeur battait sourdement sous la panique et peinait à ralentir. Les gestes de la Rêveuse étaient encore plein de sa colère, de sa ... haine. Qu'as-tu fait, Elio, pour te faire détester à ce point ?

Et lorsqu'elle lui annonça, en relevant ses boucles rousses, qu'Elio avait tenté de la tuer, la première réaction d'Enelyë fut le rejet. Un rejet total de ce qu'elle affirmait. C'était un mensonge. Ce ne pouvait pas être vrai. Elio n'était pas ... il n'était pas ... Si, en fait. Il était du genre à tuer quelqu'un. Elle ne savait pas ce qu'il faisait, loin d'elle, mais elle avait connaissance de certaines choses qu'il lui avait confié. Il avait sûrement du sang sur les mains.

Elle chercha la trace sur sa nuque. Elle ne voulait pas la voir mais maintenant, elle lui sautait aux yeux. Pourquoi avait-il attaqué Elisha ? Elle ne comprenait pas, ne voulait pas savoir. A vrai dire, tout ce qu'elle voulait à cet instant, c'était se retrouver à mille lieux de là où elle se trouvait. A mille années lumière de ces révélations.

Elle devait comprendre. Elle devait savoir. Mais elle ne pouvait pas abandonner Elisha ici, simplement pour demander des comptes à Elio. Quand le reverrait-elle ? Elle n'était pas sûre de pouvoir garder ça pour elle, quand bien même elle devrait lui balancer tout ça le jour du mariage. En attendant, elle détourna le regard de cette affreuse marque.

- Je suis désolée pour ça ... Mais ...

Il reste mon meilleur ami. Tu ne pourrais pas comprendre.