Ma place est en coulisses. [Terminé]

Elio ne voulait pas se battre. Pas contre Shawna. Encore moins contre Kylian.
Il était fatigué. Fatigué de devoir vivre sans but, sans maître, sans désir de vivre.
Fatigué de ne pas savoir.
Fatigué d’être fou.

Le théâtre était vide, et la jeune fille se mit directement en place, pensant qu’Elio avait hâte de frapper.
Il voulut la décevoir de suite, mais un claquement de porte l’alerta.
Kylian !

Le con. Il fuyait. Il ne voulait plus le voir. Elio était un perdant.
Pourquoi fallait-il qu’il gâche toujours tout ? Il venait de gâcher un cours, et le jeu de Shawna par la même occasion. Mais surtout il avait gâché son amitié avec Kylian. Et sa vie, accessoirement.
Accessoire. Ça elle pouvait l’être, accessoire, sa vie, à présent.
Il n’avait plus rien à faire ici. A part une dernière chose.

Sans prévenir la métisse qui attendait, il courut vers la porte, la claquant à son tour, et se précipita à la poursuite de Kylian.

-Stop.

Il l’attrapa par le col, et explosa contre la pierre.

-J’ai dis stop.

Son cœur se mit à battre, à vouloir sortir de sa poitrine tant il était à nouveau proche de lui, et tant ses yeux le dévoraient.
Il transpirait plus encore, se sentait faible, fébrile. A présent il était bien moins facile de trouver ses mots.

Tu me fuis, Kylian.
Regarde-moi.
Tu me fuis.
Et moi, j’suis censé faire quoi, hein ?
Tu crois que j’suis fier d’hier ? J’m’en souviens à peine.
Tu crois que je comprends ? Tu sais pourtant que j’suis con.
Regarde-moi.
Tu me fuis, Kylian.

-Tu m’as dit ta gueule.

Tu me l’avais déjà dis. Et nombre de fois je te l’ai dis.
Mais jamais sérieusement. Jamais.

-Tu m’as dit ta gueule, et maint’nant tu t’casses.

Simple constat.
Simple accusation.

-La reprise. T’étais là. Et j’étais là. Tu sais c’que j’suis, plus ou moins. Et moi j’sais toujours pas qui t’es.

Kylian avait préféré partir avec la rêveuse, et n’était pas revenu auprès d’Elio. Celui-ci n’avait eu aucune explication quant au double rôle de son ami.

-Mais tu sais pas c’qui s’est passé. T’es parti avant.

Comme tu essaie de le faire maintenant.

-T’as raté l’meilleur. T’as raté c’que j’suis devenu.

Un corps abandonné sur le sol, avec une victime découpée en morceaux pour avoir parlé de ma mère.
Puis un fantôme gravissant les montagnes d’Illuin, assoiffé du sang du coupable, déjà trop proche.
Par la suite un faël retrouvant sa famille, qui part aussitôt devenir le meurtrier de son père.
Et enfin. Rien. Je suis devenu un rien. Un vide, une loque, une merde.

-Mais t’inquiète pas, va. J’serais plus en travers de ton ch’min.

Il cracha par terre, luttant contre l’envie irrésistible de l’embrasser, de retrouver la sensation d’ivresse de la nuit dernière.
Et l’oubli.
Si seulement il pouvait oublier bien plus qu’une soirée.

Il rentra sans un mot dans le théâtre, rejoignant Shawna.

-Allons-y la noiraude.

Il se posta devant elle, s’étirant à en faire craquer son dos si douloureux.

-Mais c’toi qui tape.

Il la vit ouvrir de grands yeux.

-Je t’ai fais loupé ton cours. C’toi qui doit apprendre. Donc, tu frappes.

A elle, il ne lui fallait pas le lui dire deux fois non plus. En cela il l’appréciait. Il ne savait si Kylian était reparti ou non, il s’en contrefichait. Il venait de le voir pour la toute dernière fois.
Shawna donna un premier coup qu’Elio esquiva avec nonchalance.
Ils continuèrent ainsi, et lorsque l’ancien corbac vit que sa partenaire entrait vraiment en jeu, n’hésitant plus à le malmener, il cessa de se défendre.
Il se laissa frapper, accueillant la souffrance gratuite avec toute la folie qui lui chuchotait des mots doux dans son crâne.



[Edition à volonté ! Si vous ne voulez pas de nouveau post (mais j’pensais vu que Shawna tu suggérais le théâtre), j’le mets à la suite du cours et basta !]

Mais qu’est-ce qu’ils avaient, à la fin !?

Pourquoi Kylian ne venait pas avec eux, et, de manière plus importante, s’il ne le voulait pas, pourquoi ne se contentait-il pas de le dire ? C’était quand même beaucoup plus simple de dire « en fait, je vous laisse » que de claquer la porte et de fuir en faisant semblant de les suivre ! Elle ne comprenait absolument pas. Ce n’était pas le genre de son conteur, en plus. Il s’était forcément passé quelque chose. Et si c’était Locktar, la punition, Edel ou le combat qui allait avoir lieu qui le dérangeait, il n’avait aucune raison de ne pas se plaindre haut et fort, plutôt que tout bas dans sa tête. Et puis ce fut Elio qui sortit du théâtre.

Ah.

Tout s’expliquait. Ou pas, en fait. Quand elle avait mentionné Kylian à Elio, en arrivant dans la salle d’armes, il n’avait pas l’air d’y avoir le moindre problème, il semblait même attendre avec autant d’impatience qu’elle son arrivée… Et le roux… Le roux n’avait pas agi de manière particulière. Ils n’avaient pas eu l’air de s’en vouloir, ou de s’être chamaillés récemment... Après, alors. Quelque chose qu’avait dit Elio que Kylian avait mal pris ? Mais le blondinet ne lui parlait pas à lui. Il s’était juste lâché sur Einar qui le regardait, et sur Elera qui l’avait apparemment laissé tomber il y a peu. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose n’allait pas du tout. Elle ne savait pas pourquoi Elio était autant en colère, ni pourquoi Kylian ne voulait apparemment pas rester dans le coin, ni ce qui les avait pris, tous les deux. Leur comportement était complètement irrationnel, et incompréhensible. Et elle, elle était toute seule comme une pintade dans le théâtre, debout les bras croisées, abandonnées par les deux seules personnes qu’elle pourrait peut-être appeler amis dans l’établissement. Frustrant.

Elle n’eut pas le temps de remédier à la situation, pourtant. Le blondinet revint rapidement, ne l’ayant apparemment pas oubliée, mais d’aussi mauvaise, voire de pire humeur qu’avant son départ précipité, si seulement c’était possible. Impressionnant. Il avait besoin de se défouler, c’était évident. Alors quand il lui dit qu’il ne frapperait pas, elle écarquilla les yeux de surprise. Ne réagit pas, pourtant. Elle n’allait certainement pas argumenter avec lui, pas dans l’état où il était. Elle se contenta d’obéir, en se jetant en avant. Il l’évita sans peine. Elle n’hésita pas à commencer véritablement le combat dès le départ. Il voulait qu’elle frappe ? Elle frapperait. De toute sa force, de tout son corps, de toute son âme. Ce n’était pas une question de vengeance ; elle avait beau dire avoir besoin de se défouler sur lui parce qu’il était soi-disant la raison pour laquelle elle avait été virée de cours, elle n’en avait que faire ; c’était sa faute à elle, aussi, et celle de Locktar, et puis c’était fini, figé dans le passé, impossible à changer, et se battre ou non n’y changerait rien. Quitte à frapper sur quelqu’un dans le but de blesser, elle aurait préféré frapper Locktar. Non, elle ne frappait pas Elio pour le blesser, au contraire. Et si, peut-être, elle apprendrait des choses en se battant contre meilleur qu’elle, ce n’était qu’un effet secondaire, et non la raison qui pulsait dans ses poings.

Il ne se défendait plus.

Et elle, elle continuait à malmener sa peau, sans jamais faire quoique ce soit qui puisse le blesser réellement – elle ne tenait pas à lui casser un os où à l’estropier, mais seulement à lui faire quelques bleus. Mais ça n’allait pas du tout, pas du tout. Croyait-il pouvoir noyer la douleur qui lui empoisonnait le cœur dans la douleur physique ? Il se laissait aller, complètement inerte, tous ses réflexes réprimés, mis à nu devant elle, et ça la mettait en colère, en crescendo, de plus en plus. Elle entendit, comme souvent, le rythme s’accélérer à ses tympans. Papapapapadam, tatatatata… Alors elle attaqua avec sa langue, en plus de ses poings et ses pieds.

- Mais défends-toi, nom d'un crâne de Raï cramoisi ! Frappe-moi aussi, mauviette !

Il fallait qu’il réagisse, qu’elle le fasse réagir. N’importe quoi, n’importe comment, mais qu’il réagisse. Qu’il se prenne en main, qu’il agisse, de n’importe quelle manière, mais qu’il devienne autre chose qu’un mollusque, qu’une poupée de chiffon qui se laisse aller à la douleur, il fallait qu’il se batte, s’il ne voulait pas couler à jamais. Elle lui envoya un coup de coude sous le menton, l’attaqua à l’estomac.

- Et après, tu veux que j’arrête de t’appeler poupée ? Comment tu veux que j’fasse, quand t’es comme ça ? T’es exactement ça, une poupée en porcelaine qui se laisse jeter contre le mur, se brise et reste à – han – terre, les paupières toujours ouvertes sur ses beaux yeux bleus de princesse ! T’avais pas dit que tu me cassais la figure, si j’t’appelais encore comme ça ?

Ca eut l’air de le réveiller un peu. Pas assez.

Mais réagis, putain. J’sais pas quoi faire, moi, quand ça va pas. J’sais pas parler, j’sais pas rassurer, j’sais pas consoler. J’sais juste me battre. Mais si tu frappes pas aussi, si tu te défends pas, si t’évites même pas les coups, c’est plus un combat, c’est juste un tabassage, et moi, j’veux pas.

- T’sais, c’est plus facile de se lâcher sur quelque chose qui nous donne une raison de se lâcher. Les mannequins, c’est bien, mais c’pas pareil, y a pas la vie, y a pas l’envie, ça a pas d'sens, ça se balance et ça continue à sourire niaisement… J’frapperai plus fort, si tu frappes aussi !

Elle ne vit même pas son poing arriver. Elle voyait, et puis il faisait noir et elle avait mal à l’arcade sourcilière. Très, mal. Et pourtant elle sourit, en portant ses doigts vers son sourcil. Un sourire lent, qui prend son temps pour s’étirer. Un sourire ni heureux, ni triste, ni vraiment maussade ou ironique, un sourire entre deux, sans joie, un « c’est comme ça, ça changera pas. » Elle avait eu ce qu'elle voulait. N'en était pourtant pas particulièrement heureuse, parce que tout allait toujours autant de travers, et le monde était comme à l'envers.

- Et ben voilà…

Elle se jeta à nouveau sur lui, ne se retint pas un instant. Elle savait qu’elle lui faisait mal ; mais elle se sentait moins coupable, en sentant la douleur pulser sur son œil fermé à moitié, et dans son ventre, aussi, lorsqu’un coup de genou lui coupa le souffle. Il ne se battait pas vraiment. Juste assez pour lui faire croire qu’il se battait. Mais c’était déjà ça. Il leva un pied, elle le poussa aux épaules en même temps, et il bascula, perdant l’équilibre. Et elle, dans sa lancée, ne sentant pas la résistance à laquelle elle s’attendait, bascula avec lui. Il tomba sur le dos, se rattrapant à moitié d’un bras, et elle tomba sur lui.

Ce fut comme un silence après les cloches.

Elle aurait pu continuer, et lui aussi. Se relever, ou rouler. Continuer. Mais lui était toujours inerte, allongé au sol, sans volonté, attendant la suite, et elle, elle ne bougeait pas. Le coude appuyé sur sa cage thoracique, elle leva la tête, et il n’y eut que le bruit de leurs respirations bruyantes, leurs poumons qui se soulevaient à un rythme trop rapide, et leurs cœurs qui battaient trop forts, qui bondissaient comme pour sortir. Elle, elle le regardait. Passa un doigt le long de la mâchoire du guerrier ; elle l’avait bien abimée, elle était toute meurtrie. Elle, elle devait faire peur à voir, aussi, à en croire la bosse qu’elle pouvait entrapercevoir en levant les yeux. Ca gonflait apparemment extrêmement vite. Sa sœur se serait ramenée avec de la glace pour tous les deux, si elle les avait vus, mais elle n’était pas là, alors elle resta au sol sans s’occuper de son visage défiguré, à laisser le temps reprendre le contrôle, ce contrôle qu’ils lui avaient volé en laissant les pulsions animales reprendre leurs droits. Elle le regardait, l’entendait à nouveau hurler, sentait à nouveau ses poings sur lui, voyait Kylian se casser sans rien dire comme le lâche qu’il était, et tout, et tout, et rien n’avait le moindre sens, alors elle dit la seule chose qui en avait un :

- P’tain, Elio…

Et maintenant que t’as mal partout, tu vas faire quoi ?

Il pensait qu' il réussirait à échapper à la mise au point qui s' imposait en fuyant comme il venait de le faire, il pensait qu' en esquivant le face à face il n' aurait pas à gérer ce conflit qui les dérangeait tout les deux et les amenait à s' entre éviter de façon plus ou moins discrète. Erreur, Grossière erreur.
Non seulement il se comportait en véritable lâche, incapable de la moindre directive mais en plus, cela ne ferait qu' empirer la chose. Qui a t-il de pire que de laisser la plaie s' envenimer ?
Il était tombé bien bas. Si pathétique... Mais qu' est ce qu' il n' en avait pas envie de ce face à face, comme il le redoutait. Quel que serait le choix qu' ils feraient ce serait le mauvais il en était certain, raison de plus pour repousser toujours un peu plus l' échéance.
Sauf qu' il y a un moment où on ne peut plus.

Kylian sentit son coeur faire un bon dans sa poitrine lorsque la porte du théâtre claqua violemment à sa suite. Pas besoin de se retourner pour vérifier de qui il s' agissait, il le savait déjà et pour tout dire, ca ne l' enchantait guère. Finalement la perspective de la mise au point était plus proche que prévu.
Merde, il aurait du être plus rapide. Quoi que, ca n' aurait surement rien changé.
Le jeune homme ne se stoppa pas à la première altercation du blondinet. Ok ya pas pire comme réaction et il savait qu' il n' y réchapperait pas, n' empêche que...
A la seconde, il n' eu plus le choix.
Sans qu' il n' ait eu le temps de faire quoi que ce soit pour l' éviter, Elio bondit sur lui, le saisit par le col et le plaqua au mur. Quel homme ♥
S' il réprima une grimace dans les premiers temps - il y avait pas été de main morte - il ne su quelle attitude aborder par la suite.

Son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine et -Bordel de merde- ce qu' il avait chaud !
Merde pourquoi était-il aussi proche ? Il voulait anéantir toutes ses vaines tentatives pour rester de marbre ou quoi ? Pourquoi était-il si troublé, si hésitant, pourquoi la présence d' Elio tout près de lui l' effrayait, pourquoi elle l' enflammait ? Pourquoi brûlait-il littéralement de le savoir à porter de main, si proche, tout près, tout à lui.

Et merde, voila qu' il se remettait à se sentir bizarre.


Il hésita. A baisser les yeux, regarder ailleurs, effleurer seulement ses iris bleutées pour mieux leur échapper par la suite, éviter le poids de son regard accusateur. Il hésita mais ne le fit pas, c' était trop tard, il ne pouvait plus se contenter de fuir, le fait était la il était coincé et éviter son regard ne le rendrait que plus pathétique encore, alors il se laissa absorber par ses pupilles hypnotisantes.

Le temps que dura leur entrevue il ne prononça pas un mot, pas un seul, ses yeux parlaient pour lui.
C' était comme si par sa seule parole, Elio l'intimait au silence, le priait de ne rien répondre, ne rien tenter de faire, ce qu' il fit.
Il n' en pensait pas moins.
Il ne savait pas qui il était ? Ce n' était pas totalement faux mais il en allait de même pour lui ! Il y avait tellement de questions qu' il aurait aimé lui poser, de questionnements auxquels il aurait aimé trouver des réponses. Il n' en savait vraiment pas plus sur lui que lui sur lui. ( uu' ) Et pourtant, il ne cachait aucun grand mystère, aucun grand secret digne des plus grands conspirateurs. Il n' était qu' un pion, un pion placé sur la table qui se contentait de suivre les directives qu' on lui imposait, rien de moins, rien de plus. Sa vie toute entière ce résumait à ca, il n' était rien. Alors qu' Elio lui... Il aurait tant voulu connaitre les raisons qui l' avaient poussé à rejoindre les enfants du chaos, comprendre le pourquoi du comment. Il l'aurait aimé mais n' en aurait peut être plus le loisir.

Tous ses mots sonnaient comme des reproches - à vrai dire, le contraire aurait été plutôt surprenant - tous ses mots sauf les derniers.
Son sang se glaça et il se figea d' étonnement à l' entente de ses paroles.

Trop surprit et étonné par sa dernière réplique, Kylian ne bougea pas le moindre muscle, abasourdi par la nouvelle, laissant filer son diable de blondinet sans réagir.
Il déconnait la ? Il était pas sérieux ? C' était quoi cette pseudo réponse ? Ca voulait dire quoi ca ? Que ca y est tout était finit ?
Il fuyait lui aussi alors qu' ils étaient en plein coeur du problème !
Il ne comprenait vraiment rien à rien celui la !
Bordel mais qu' il était con ! Mais qu' il était con !
Eh ! Il venait de cracher à ses pieds la ou il avait rêvé ?

Son moment d' effarement dura plusieurs minutes et lorsqu' il prit brusquement conscience qu' Elio lui avait filé entre les pattes son sang ne fit qu' un tour et il retrouva en un rien de temps sa nervosité perdue.
Kylian ouvrit brusquement la porte du théâtre, planta ses yeux dans ceux d' Elio et se dirigea droit sur lui, échauffé comme jamais.
Il était au sol ? Rien à foutre.
Shawna l' écrasait ? Rien à foutre.
Il était tout couvert de bleus et d' écorchures en tout genre ? Rien à foutre, il allait assumer les mots qu' il avait osé lui balancé en pleine figure ici et maintenant, rien à faire de tous ce bordel, rien à faire que Shawna écoute tout, il n' en avait absolument rien à faire.

- Alors comme ca JE suis parti hein ? JE suis parti avant ? MAIS PUTAIN TU T'ES TIRÉ AVANT MÊME QUE J'CAPTE CE QU'ELLE ÉTAIT EN TRAIN DE FAIRE !

Degageant sa reine d' un mouvement de bras, il le saisit par le bras, l' obligeant à se relever. Il reprit sur un ton mièvre et ironique à souhait.

- Et j' ai raté quoi hein ? Qu' est ce qui a bien pu se passer de si terrible qui aurait changé le crétin que j' connaissait en un encore plus gros crétin ?

Il était maintenant totalement debout mais cela n' affectait en rien l' énervement du garde qui restait le même.

- T' as tué peut être ? OH MON DIEU ! En tant que garde J' comprends vraiment pas comment t' as pu faire un truc pareil ! T' as volé ? Triché ? Cassé un carreau peut être ?

Un petit rire narquois accompagna la fin de sa tirade, de la provoc' pure et dure.
Il explosa.

- Et puis c' est quoi ca hein ? C' est quoi cette pseudo depression qu' tu viens d'me faire la ? Il prit un ton stupide et leva les yeux au ciel en reprenant ses paroles. "J’serais plus en travers de ton chemin " Bordel mais d' où tu sors ça une connerie pareille ?

Il prit un air plus indigné et contrarié avant de reprendre.

- Et la prochaine fois qu' tu m' craches dessus, blessé ou pas j' te jure que je t' explose !

Les sourcils froncés, les yeux toujours figés dans les siens, Kylian se tut enfin, reprenant son souffle en fixant son ami d' un air furibond.
Bon...Il avait terminé.
Se tournant vers Shawna juste derrière lui il l' interpela, la voix toujours fachée mais le ton déja plus calme.

- Fais moi le plaisir de démonter la jolie guelle de ct' abruti.

Puis, toujours porté par sa fureur qui se calmait peut à peu, le jeune homme descendit les marches qui menait à la scène pour venir s' affaler sur l' un des sièges du premier rang.

-J' te jure...

[J'édite si besoin]

Ils se regardaient, et ils ne disaient rien, parce qu’il n’y avait rien à dire, et pourtant c’était comme si elle pouvait lire dans ses pensées, en regardant dans ses yeux. Il ne savait pas quoi faire. Il n’y avait rien à faire. C’était la vie, cette putain de vie qui envoyait des baffes et des signes de main au hasard de son humeur capricieuse, et ils étaient balancés comme les brindilles, non, les fourmis qu’ils étaient, et il n’y avait rien à faire. Elle était passée où, son envie ? Qui est-ce qui avait osé la lui voler ? Et comment avait-il pu le laisser faire, ce sale voleur, sans lui courir après jusqu’au bout du monde ? Il fallait être con, quand même. C’est dur à récupérer, ce genre de truc, ça ne se vend pas à tous les coins de rue. Il ne voulait pas parler, et elle, elle ne voulait pas l’écouter, de toute façon, parce qu’elle n’en avait rien à faire des nœuds qu’il se faisait au cerveau, alors ils ne disaient rien. Ce silence, c’était comme la surface d’un lac glacé sans la moindre brise pour y faire valser les ondes, juste une pause sans mouvements, le temps de reprendre sa respiration, d’inspirer avant le prochain bolide que la vie enverrait au travers de leur route.

Le bolide, ce fut Kylian.

Shawna s’écarta lorsqu’il la poussa à moitié, se releva pendant qu’il relevait Elio de force, et les regarda hurler les bras ballants.

Paradoxalement, ça devenait de plus en plus incompréhensible au fur et à mesure qu’elle en apprenait davantage.

Elle ne dit rien, jusqu’à ce que Kylian lui adresse la parole, et qu’elle jette toute son incompréhension dans une seule question rhétorique, railleuse à souhait, emplie de la moquerie du spectateur, de celui qui a un peu de recul sur la situation, et qui peut voir toute l’absurdité de la scène. Elle avait frappé Elio, encore et encore, et maintenant Kylian voulait qu’elle le frappe encore, comme un personnage qui a raté son entrée, et arrive une réplique en retard, formant un texte bizarre sans plus aucun sens, comme la réponse à une question qui n’a pas encore été posée. Trop tard, bonhomme.

- Et qu’est-ce que tu crois que je fais depuis tout à l’heure ?

Elle n’était pas sûre de savoir lequel était le plus grand crétin des deux. L’un devait être le Roi des Abrutis et l’autre l’Empereur, au moins. Le combat était extrêmement serré pour savoir qui l’emporterait sur l’autre. Kylian, qui était complètement aveuglé et ne voyait pas les perles sur les cils d’Elio, ou Elio, qui laissait ses émotions déborder juste parce que son ami lui criait dessus. Ils étaient tout aussi pathétiques l’un que l’autre, en fait. Ils ne s’étaient jamais disputés encore, ou quoi ? Ils ne s’étaient jamais chamaillé avec personne, pour se mettre dans des états pareils ? Et Elio qui en demandait encore ! Elle ne savait plus s’il voulait noyer sa douleur dans une autre, ou s’il voulait simplement se punir. En tout cas, ça ne pouvait pas continuer comme ça. Le roux et le blond étaient les deux amis qu’elle avait entre ces murs, les deux autres pointes du triangle infernal, et il était hors de question qu’elle les laisse s’entretuer. C’était juste complètement insensé, là ! Alors elle s’approcha de sa poupée d’un pas d’amazone meurtrière, et attrapa son oreille entre son pouce et son index. Tira.

Elio suivit, bien évidemment.

Ca fait mal, quand on tire une oreille, et c’est un réflexe, d’aller dans le sens où celle-ci ne risque pas de s’arracher.

Elle le tira ainsi jusqu’au banc où était installé Kylian, et tenta de l’attraper aussi, mais il bloqua sa main et retint son poignet. Tant pis. Elle les regarda, tous les deux, un à sa droite, l’autre à sa gauche, et eut l’envie soudaine de frapper leurs crânes l’un contre l’autre. Peut-être que ça mélangerait un bon coup les idées en vrac dans leurs esprits dérangés, et que ça remettrait bien le tout en place. Ou que ça casserait leurs acidités comme des bris de verre, et qu’ils se calmeraient enfin.

- Ca commence à bien faire.

Elle avait l’étrange impression d’être la personne la plus sage dans la pièce, et ça lui faisait tout bizarre, d’être dans le rôle de Nahémi ou de Yeleen. Elle n'aimait pas ça du tout. Elle avait horreur des moralisateurs, et aucune envie de prendre le vêtement d'un, même dans un cas pareil. Elle, elle blessait, elle hurlait, elle boudait, elle n’écoutait rien à ce qu’on lui disait, et puis elle se réconciliait sans un mot le lendemain, comme si de rien n’était. Elle, les conflits, elle les exorbitait, dessinait des hyperboles pour les rendre tellement énormes qu’ils en devenaient absurdes pour tout le monde et qu’ils éclataient de rire à la futilité de leurs chamailleries. Elle aurait bien fait la même chose. Inventé de fausses indignations à l’un et l’autre, mais comme elle ne comprenait déjà rien, c’était le meilleur moyen de recevoir des regards métalliques silencieux des deux garçons, avant qu’ils ne crient de plus belle sans plus faire attention à elle. Par le Dragon, comment sa sœur avait-elle fait pour la supporter pendant 18 ans, et comment réussissait-elle à toujours garder son calme ? Elle ne savait pas mettre fin aux disputes, elle. Elle doutait qu’acheter un petit pain à la cannelle calme qui que ce soit, là. Mais elle en avait marre, alors elle serra plus fort l’oreille d’Elio, et le dit haut et fort.

- Vous êtes chiants, tous les deux. Vous êtes pas content à cause de ce que l’autre à fait, ben désolée de vous l’apprendre mais les autres ne sont pas une extension de votre bon vouloir. C’est pas si difficile d’effacer une ardoise, si ? Qu’est-ce qu’on s’en fout, de qui est-ce qui s’est barré en premier, de qui a tué qui et des carreaux cassés ? Ils sont réparés, les carreaux, maintenant. Quoi, vous n’avez pas eu le temps de vous dire au revoir ? Ben j’ai un scoop pour vous, crétins, ça fait un moment que z’auriez dû repasser à Bonjour, c’est le matin, maintenant. Et vous avez intérêt à rester dans le chemin l’un de l’autre, parce que j’ai que deux pieds et j’peux pas être à deux endroits à la fois. Ce qui est fait est fait, alors maintenant vous faites une croix dessus et vous arrêtez de gueuler plus fort l’un que l’autre parce que je m’entends pas, après.

Elle tira brusquement sur son poignet pour le récupérer, lançant un regard méfiant vers son conteur, lâcha l’oreille parce qu’elle commençait à avoir mal à l’index et finit par lancer nonchalamment :

- J’sais pas ce que vous avez, c’qui s’est passé pendant cette horriible bataille, mais par tous les champignons dans une salade merwynienne, passez à autre chose, quoi, c’était y a longtemps déjà. Battez vous, je vous regarde, allez vous jeter dans le lac, couchez ensemble, j’en sais rien, mais faites quelque chose, ça peut pas continuer comme ça.

Kylian ne bougeait pas. Au grand désespoir de l’ancien corbac.
Il aurait pu rire, hurler, le traiter de siffleur mouillé, ou encore frapper le premier. Il aurait pu. Mais il était bien trop fatigué, abattu. Il voulait juste rester allongé, à laisser ses larmes couler, et ne rien faire d’autre que de laisser le temps passer. Se laisser mourir. A petit feu. A tout petit feu, pour que ce soit le plus désagréable et le plus douloureux possible.

Mais Shawna ne le laissa pas mourir par terre en paix. Quelle garce !
Elle le prit par l’oreille, et il dut bien serrer les dents pour ne pas échapper un cri de douleur. Alors il suivit automatiquement son mouvement.
Après tout, que faire d’autre ? Il choisirait un autre sol plus abandonné, sans noiraude pour le déranger, plus tard.
Elle obligea ainsi l’apprenti guerrier à s’assoir aux côtés du garde, ce qui gêna le garçon. Là c’était bien pire que les coups, c’était de la véritable torture !
Torture qui rivalisait pas mal avec le discours moralisateur et presque soporifique de la jeune fille. Discours qui dépassait tant le garçon, qu’il n’en écouta pas une miette.

On aurait put tout aussi bien verser un saut d’eau sur son crâne, qu’il ne réagirait pas. Il se transformait en véritable légume. Légume que ses amis ne reconnaissaient plus.
Ses amis.
En avait-il seulement encore ? Il n’en avait jamais eu avant l’arrivée de Kylian.
Et puis Shawna, c’était pas si facile à décrire que ça. C’était le genre de punching ball, la bonne pote sur qui on tape, mais avec qui on ne parle surtout pas. C’est une machine à connerie pour s’éclater un bon coup, et puis c’est tout. Alors que Kylian…Kylian il voulait lui dire, toute la vérité. Et il voulait savoir, sa vérité à lui. Il voulait parler, partager quelque chose d’autre que des coups.
Mais ça ne devait pas être sa conception à lui, car il se taisait quand il ne s’agissait pas de taper. Comme maintenant. Pour lui, Elio n’était qu’une brute, prête à se défouler, à la rigueur à flirter avec quand Elisha était loin, mais rien d’autre.
Et en cela, Elio lui en voulait.
Parce qu’à ses yeux, il n’était pas un simple objet. Et qu’il détestait Elisha, sans vraiment savoir pourquoi. Ou du moins il ne cherchait pas à savoir pourquoi.
Et qu’il ne savait plus du tout quoi faire après la veille.
Peut-être que le garde le fuyait pour ce rapprochement bien trop rapide. Et qu’il ne voulait que des futilités.
Saleté d’ami. Tu m’auras bien eu.

- J’sais pas ce que vous avez, c’qui s’est passé pendant cette horriible bataille, mais par tous les champignons dans une salade merwynienne, passez à autre chose, quoi, c’était y a longtemps déjà. Battez vous, je vous regarde, allez vous jeter dans le lac, couchez ensemble, j’en sais rien, mais faites quelque chose, ça peut pas continuer comme ça.

A ces paroles, le demi-faël releva la tête, rouge comme le chuchoteur d’Ewall.
Il ne voulait plus se battre.
Se jeter dans un lac reviendrait à être aussi con qu’Enelyë, mais l’idée le tentait, il devrait lui demander comme elle faisait.
Couchez avec Kylian était un désir plus qu’inavoué et grandissant au fur et à mesure qu’il couvait des yeux son corps…

*Queuuuuwwaaa ?!*

Se rendant compte de la dernière pensée qui venait de lui traverser l’esprit, il devint plus rouge encore, et baissa la tête, les larmes encore existantes, afin que personne ne s’en rende compte.
Il se racla la gorge, se remettant d’aplomb, et sécha du dos de sa main les larmes résistantes. Puis il jeta un autre regard au garde, attendant qu’il prononce quelque chose, une excuse, un mot.

-Ouais...Ouais ouais, bon...

Ouais Ouais bon ? C’était tout ce qu’il trouvait à dire ?
Après la bataille ?
Après la nuit du bal ?
Après ce cours et ses larmes et… ?
C’était tout ?

Dans un autre temps, Elio se serait mis dans une colère noire, et aurait sans doute frapper Kylian pour lui faire comprendre les choses.
Dans un autre temps.
Le jeune homme était vidé de tout sentiment dynamique. Et le seul ressentiment qui lui obstruait la gorge à l’instant précis, n’était que déception et envie irrésistible de pleurer à nouveau.

-T’es con. Déglutit-il avec difficulté, tant les sanglots menaçaient de percer sa gorge.

Tu ne comprends pas ?
Tu n’piges donc rien ?
Abruti !
Tu m’fais mal ! J’ai besoin de toi, et toi t’en as rien à foutre. Tout c’qui t’intéresse c’est te battre. Juste ça.
Abruti !

Il releva ses mèches blondes et défia Shawna de son regard plus qu’humide, gonflé par les larmes et la fatigue, et accessoirement par les coups. Il se leva, grinçant des dents sous les douleurs des courbatures.

-Vous êtes cons.

Vous ne comprenez donc rien ?

-Pousse-toi.

Il dégagea la fille halée du passage, et se posta face au garde.

-Alors on s’tape, et c’est tout ?

Il déglutit, refoulant les pleurs. Il détestait paraitre si faible.
Essayant de se reprendre, il prit avec force, sans aucune douceur, le bras de Kylian, et le tira à lui, pour ensuite le pousser dans les gradins. Il dégringola jusqu’en bas.
Le kaelem n’attendit pas longtemps pour le rejoindre. Arrivez à ses pieds, il lui cracha dessus.
"Et la prochaine fois qu' tu m' craches dessus, blessé ou pas j' te jure que je t' explose !"
Vas-y, tape, tu n’sais faire que ça de toutes manières.
Faire mal.
Faire du mal.


[J'ai une p'tite idée pour mettre du piment, et nous attirer encore des emmerdes J'vous Mpette et vous me dites c'que vous en pensez? ]

- Ben quoi, qu’est-ce que j’ai dit ?

Ses paroles avaient l’air d’avoir gêné Kylian, sans qu’elle puisse savoir exactement pourquoi. De toute façon, elle avait déjà oublié ce qu’elle avait dit. L’important, c’est que ça avait eu un effet, et que le rouquin semblait calmé. Il ne le disait peut-être pas à voix haute, mais il était désolé, et c’était tout ce qui importait, non ?

Apparemment, non.

Mais après tout, elle leurs avait dit de se battre, et s’il n’y avait que ça pour les calmer… Elle soupira et se laissa chuter sur le banc des gradins, le coude sur le genou, son front retenu par sa main. Elle ne pouvait rien faire, de toute façon. Elle ne savait même pas ce qu’elle faisait là, ce n’était pas ses affaires. Elle ferait mieux de partir. Les laisser régler ça entre eux, et puis basta, ça irait mieux demain. Ca allait toujours mieux demain. Peut-être que si elle retournait au cours de combat et s’aplatissait pathétiquement dans des excuses modestes et hypocrites, Locktar voudrait bien la laisser rentrer. Elle était là pour apprendre, après tout. Quoiqu’elle avait vraiment très, très mal à l’œil, la glace n’était vraiment pas une mauvaise idée, en fait. Elle ferma les pauppières, espérant que ça passerait, passa ses doigts sur son arcade sourcilière. Ouep, ça avait gonflé et pas qu’un peu. Elle ne voulait même pas voir sa tête…

C’est seulement aux cris de Kylian qu’elle rouvrit les yeux, pour voir Elio allongé par terre et Kylian qui paniquait en le secouant un peu. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, et ses pieds suivirent, sautant au dessus des bancs devant elle, comme par réflexe. Elle fut là en quelques instants. Elio ne réagissait pas. Elle s’affola à son tour.

- P’tain, mais p’tain, qu’est-ce que vous avez à la fin !?

Qu’est-ce qu’ils avaient, pour frapper aussi fort, pour être incapable de se battre en évitant les coups dangereux ? Et pourquoi il se levait pas, lui, pourquoi il se défendait pas ? Qu’est-ce qui était si grave qu’ils devaient frapper si fort, et se blesser l’un l’autre autant physiquement que moralement ? Leur amitié était censée être plus forte que ça, non ? Et puis qu’est-ce qu’ils avaient, est-ce qu’ils savaient pourquoi ils se battaient, seulement ? Ils étaient censés être dans la même équipe, tous les trois. Elle, elle ne comprenait plus rien. Elle poussa violemment Kylian sur le côté, attrapa le bras d’Elio. Un pulse.

- Arrête de me regarder comme ça, Iaknill, c’est pas comme s’il était mort.

Voix un peu chevrotante, quand même. Elle était sûrement aussi soulagée que lui. Mais un pulse, ça ne voulait pas dire que ce n’était pas grave, il avait dû se cogner la tête en tombant. Elle pinça les lèvres, tenta de penser calmement, de prendre les choses en main, puisqu’après tout, c’était elle, la reine.

- J’pense pas que ce soit une bonne idée de le bouger, des fois que… J’ai des sels de ma tante dans mon sac, dans l’dortoir, s’il est juste évanoui ça devrait suffire, sinon, vaut mieux aller chercher quelqu’un à l’infirmerie. Toi tu restes avec lui, vaut mieux pas le laisser seul… Tu veux que j’aille où ?

Elle ne savait pas quoi faire. Elle avait beau faire semblant de savoir, elle ne savait pas, et la question partait étrangement dans les aigus. Elle n’avait pas l’habitude de s’entendre couiner. D’un côté, si son flacon de sels ne suffisait pas à le réveiller, il faudrait qu’elle court à nouveau à l’infirmerie, et elle perdrait du temps. Et puis elle ne pourrait pas prendre de la glace au passage, et elle en avait quand même besoin. De l’autre, si elle allait à l’infirmerie, il faudrait qu’ils s’expliquent à quelqu’un, et vu la taille de son œil, ce ne serait pas facile. Ils avaient le droit de se battre, mais les adultes avaient tendance à être indiscrets et moralisateurs. Ils auraient dû faire attention, blablabla.

Bon, l’infirmière aurait raison. Ils auraient dû. Elle aurait dû intervenir, peut-être, tirer les choses au clair. Mais comment était-elle censée savoir que Kylian allait frapper Elio comme ça ? Et puis pourquoi elle aurait réagi ? Ce n’était pas son problème, et ils ne lui avaient rien demandé. Elle n’était pas leur mère, non plus. N’empêche qu’Elio ne bougeait plus. Il respirait, son cœur battait, mais il ne bougeait plus. Alors elle marcha vers la porte, essayant d’avoir l’air calme.

- T’attends là et tu t’affoles pas comme une fillette de huit ans, surtout, c’pas grave, y va se rlever. J’reviens.

Pour le moment, sembler maîtriser la situation. Elle attendait juste qu’il lui dise où aller, et puis d’être dans les couloirs pour courir comme une malade, et paraître tout le contraire.

[Tu peux me faire partir et revenir, seule ou avec quelqu’un =p]

L’infirmerie avait l’avantage d’être beaucoup plus proche. Il lui suffisait de monter deux volées d’escaliers, et de se jeter par la première porte qu’elle voyait. Aller récupérer son sac, ça voulait dire traverser toute l’aile et grimper tout, tout, touuuut en haut de l’Académie. Seule la Vigie surplombait son dortoir. C’était frustrant, d’ailleurs, ça aurait été tellement plus simple d’être au rez-de-chaussée. Son choix fut donc une question de pragmatisme plus qu’autre chose ; la présence d’un rêveur était peut-être malvenue, mais elle était nécessaire. Elle ne voulait pas courir chercher ses flacons de sel, revenir, s’affoler parce qu’ils ne marchaient pas, repartir, revenir, et apprendre de la bouche du guérisseur que s’il était venu juste un tout petit peu plus tôt, il aurait pu le sauver, mais maintenant, c’est trop tard.

Un frisson lui arqua la colonne vertébrale à cette idée, et elle accéléra. La porte était ouverte – comme toujours, en fait – et Shawna déboula à l’intérieur, hors d’haleine, courant à moitié jusqu’à l’infirmière qui était au chevet de l’un de ses blessés. Shawna lui agrippa la manche, s’incrustant de manière possessive, et la jeune femme eut un mouvement de rejet, instinctif, immédiat. Shawna serra plus fort.

- J’ai… Je, il, enfin nous… Il faut…

Elle buttait sur les mots, incapable de finir la moindre phrase, incapable de savoir par quoi commencer. Elle était physiquement incapable de lui dire qu’elle avait besoin d’elle, incapable de demander de l’aide. Il le fallait, pourtant. Mais Shawna ne demandait jamais, jamais d’aide, et ne savait tout simplement pas comment faire. Heureusement, la rêveuse prit les choses en main, posant sa main sur celle de Shawna toujours agrippée au bras, et lui répondant calmement :

- Calme-toi. Je vais regarder ton œil.

Shawna eut un tic agacé, un retordement de la lèvre, avant de répondre.

- Mais on s’en moque de mon œil, ça c’est pas grave, c’est Elio qui…
- Il y a un autre blessé ?
- Au théâtre.
- Qu’a-t-il ?
- J’en sais rien, j’en sais rien !
- Il saigne ? Il est conscient ?
- Non, non… Enfin j’en sais rien s’il saigne, mais il s’est évanoui, il respire, je sais pas si c’est grave, il a dû se cogner la tête…
- Quand ?
- Mais on s’en moque, y a pas le temps pour les questions !
- Quand, jeune fille ?
- Mais puisque je dis que...
- Quand ?
- Là, maintenant, j’suis venue aussi vite que possible.
- Montre-moi. Et lâche-moi, s’il te plait.
- Grmph.

Shawna partit en avant, pendant que la rêveuse attrapait une boîte, et trépigna d’impatience à la porte. Dépêche-toi, mais dépêche-toi, il sera peut-être trop tard, après ! Pourquoi tu prends ton temps ? Mais non, elle faisait aussi vite que possible, c’était juste elle qui trouvait que les mouvements ralentissaient, qu’elle pourrait toujours aller plus vite. Elle dégringola l’escalier, se retournant fréquemment, énervée encore de voir que la pauvre dame trainait derrière. Elle fut la première à rentrer dans le théâtre, poussant bruyamment la porte. Eut le temps de voir Kylian baisser la main d’Elio, et son autre main dans ses cheveux. Se sentit mal à l’aise, un instant, alors qu’une image venait flotter en parallèle de la réalité. Non, c’était stupide, la situation était ambigüe, elle interprétait mal. Elle cligna des paupières, et rejoignit les deux garçons, et la rêveuse qui l’avait devancée, pour le coup. Elle était déjà agenouillée à ses côtés, et avait posé ses mains sur les tempes du blondinet, délicatement. Fronça le nez, mais ne dit rien. Shawna avait envie de la frapper. Pourquoi les laissait-elle ainsi dans l’incertitude ? C’était insupportable. Elle leva le regard vers Kylian, finalement.

- Pourriez-vous m’aider à le porter jusqu’à l’infirmerie, s’il vous plait ?
- MAIS QU’EST-CE QU’IL A ?
- Calmez-vous, jeunes gens. Il s’est en effet cogné la tête, mais ce n’est rien de grave, il peut être déplacé. Je préfère tout de même ne pas le réveiller maintenant, et apaiser la douleur avant, donc si vous voulez bien monter avec moi, je pourrais m’occuper de lui.

Alors ils obéirent, Kylian portant Elio sur son dos, la tête du demi-faël casé sur son épaule, Shawna sur le côté un peu en arrière pour être sûre qu’il ne tomberait pas. Ils l’allongèrent dans un lit, la rêveuse lui toucha à nouveau les tempes en fermant les yeux, puis elle fronça les sourcils en faisant remarquer que sa tête était loin d’être sa seule blessure. Elle ne fit pas d’autres commentaires, pourtant, et s’éloigna après leurs avoir dit qu’il se réveillerait de lui-même dans quelques instants. Elle voulut s’occuper de l’arcade sourcilière de Shawna, aussi, mais la bohémienne refusa catégoriquement d’être touchée. Elle se contenta donc de lui apporter un paquet de glace que l’itinérante plaça sur son visage en même temps qu’un verre d’eau qu’elle plaça sur le chevet d’Elio. Elle retourna ensuite à son patient précédent, et le silence tomba lourdement de leur côté. Elio était allongé, pâle, respirant régulièrement, sa mâchoire rougie, les yeux fermés. Shawna était assise d’un côté, à l’envers sur une chaise, un bras pendant au dessus du dossier, l’autre s’appuyant dessus pour tenir son front. Kylian était de l’autre côté. Elle lui jeta un regard en coin.

- Vous m’avez fait peur.

Son cœur battait encore la chamade.

- Essaie de pas le casser la prochaine fois, d’accord ?

Parce qu’il y aurait forcément une prochaine fois. Ce n’était pas ça qui les empêcherait de se battre, probablement. Malgré la peur, et l’inquiétude. Elle avait la gorge serrée. Et puis cette impression bizarre, aussi. Elio avait hurlé un truc sur les hommes, pendant le cours, il s’était carrément lâché sur Einar pour un truc sans rapport avec lui. Kylian n’avait pas voulu rester avec Elio, après qu'ils aient été virés, il avait fui sa présence, et juste après qu’Elio ait explosé en cours – parce qu’Elio voulait voir Kylian, apparemment, quand elle avait demandé des nouvelles au tout début. Et puis il y avait la façon dont Kylian le tenait, quand elle était rentrée à nouveau dans le théâtre. Peut-être que ça ne voulait rien dire. Il était inquiet, c’était son ami, voilà. N’empêche qu’elle avait comme un doute, maintenant. Un doute persistant qui lui rongeait la rétine. Elle n’allait certainement pas leurs demander, mais elle allait faire attention, maintenant – peut-être que quelque chose qu’ils feraient la confirmeraient dans ses idées ou lui prouveraient qu’elles n’avaient pas lieu d’être. Ou alors, elle pouvait demander à l'un des deux de coucher avec elle, pour voir sa réaction. Ou ne rien faire, aussi, en fait - ce n'était pas vraiment ses affaires, au fond, et qu'est-ce que ça changeait ? Elle n'était pas obligé de savoir. Et puis si c'était le cas, elle l'apprendrait bien à un moment où à un autre sans avoir à se mêler de ce qui ne la regardait pas.

Il volait. Dans un grand courant noir, il nageait, peut-être. Tout était flou, et confus. Au loin, il percevait des semblants de voix et de cris, mais rien de distinct. La sensation était vraiment agaçante. Et surtout, il ne comprenait pas. Non, il ne comprenait pas ce qu’il s’était passé. Où était-il donc ? Et pourquoi ? Comment était-il venu ici ? Quel était le dernier souvenir qu’il possédait ? Il n’en savait rien. Qu’est-ce que c’était agaçant !

Alors, incapable de pouvoir faire quoi que ce soit, il se laissait bercer par les noirceurs qui l’enveloppaient, et tentait tant bien que mal de garder les yeux ouverts. Il ne voyait rien, pourtant. Mais il pressentait que le fait que ses paupières soient si lourdes n’était pas vraiment encourageant. Que se passerait-il s’il les fermait ? S’il ne résistait pas ? Etait-ce cela la mort ?
Et pourquoi serait-il mort ? C’était absurde.
Ou pas tant que ça. Ces derniers temps il s’était fait pas mal d’ennemis, lui semblait-il. Mais ce n’était à nouveau qu’impressions. Il ne pouvait être sûr de rien. Pas même de son existence.
Après tout, la sensation de vivre, de se tenir debout, les pieds sur le sol de l’Académie, n’était peut-être qu’un grand rêve, et enfin il revenait à la réalité.
Dans la réalité, sa mère ne serait pas morte. Et il n’aurait pas tué son père.

Comme pour confirmer ses pensées embrouillées, une image se dessina à lui. Un corps halé, vêtu de vêtements souples et étrangers. Un corps de femme. De grands yeux bleus, aussi, et une longue chevelure ondulée, blanche.
Il voulut parler, crier son appartenance, son nom, mais ici, il ne pouvait rien dire. C’était comme s’il était dénué de cordes vocales.
Et puis, juste derrière cette silhouette, se dessina un autre corps, bien plus massif, bien plus masculin. Une peau cette fois-ci blanche, et des yeux charbonneux, tout comme la chevelure et la barbe. Des yeux qui n’étaient pas aussi doux que ceux de la femme. Bien au contraire, ils n’étaient que colère.

L’apprenti guerrier prit peur, reconnaissant les fantômes, ses fantômes. Il déglutit, pâle et tremblant. Combien de nuits seraient encore ainsi ? Toutes les nuits son père venait le hanter, toujours accompagné de sa mère, comme si dans la mort ils ne se quittaient plus. Comme si elle lui avait pardonné. Comment pouvait-on pardonner à quelqu’un de nous avoir tué ? Comment ?
Il recula, trébuchant sur des obstacles invisibles, voulant hurler sa peur et sa détresse, en vain.
Ses paupières s’alourdissaient plus encore et résister lui faisait mal, comme lorsque les yeux nous brulent à force de pleurer.
A cet instant, il fléchit, préférant fermer les yeux, quitte à mourir, plutôt que de rester près de ses images mortes.



Ses cils papillonnèrent, ouvrant dans un rideau une clarté aveuglante. Il sentait un mal lancinant dans son crâne, proche de la tempe. Il ne saurait pas même dire quelle tempe tant la douleur était aigue. Aussi, il émit un râle rauque, et fut surpris de constater qu’il pouvait à nouveau sortir des sons de sa bouche. Il ne se souvenait de rien, juste d’un grand trou noir, et d’une impossibilité de parler, de hurler. De fantômes aussi. Mais il n’en était pas sûr. Ce qui était certain, c’est que ça faisait un mal de chien là d’dans ! Que s’était-il donc passé ?

Sa vue se peaufina et il reconnut les visages inquiets de Shawna et de Kylian. Inquiets ? Pourquoi donc inquiets ?
Alors qu’une nouvelle lancée lui broyait le crâne, il crut décerner le souvenir du garde lui fonçant dessus.
Il voulut se redresser, tentant de deviner où il se trouvait, mais la douleur le cloua au lit immédiatement.

-Aiiïïïïeeeeuuuh !

Une compresse froide vint se poser sur son front, n’atténuant toutefois pas la douleur.

-Il s’est passé quoi ? Articula-t-il malgré le fait que le moindre mot sortit augmentait le mal.

-Demandez donc à vos charmants amis. Répondit une voix féminine qu’il ne connaissait pas.

Il loucha vers Kylian, interrogateur, semblant soudain comprendre.

-T’y es pas allé…rraaah…d’main morte, hein… ?

Putain ça fait mal !

-Vous êtes couvert d’ecchymoses, c’est le cas de le dire. Riposta la femme, apparemment mécontente du cas qu’elle avait à soigner.

Il réalisa alors ce qui c’était vraiment passé. Il ne s’était pas battu. Il s’était laissé battre.
Volontairement.

-C’moi. C’ma faute, pas la leur.

Putain, mais ça s’arrête quand cette douleur ?

-J’aurais pu les arrêter….Aaaiiïeuh ! Les pulvéris…raah. Vous pouvez arrêter c’truc, merde à la fin ?!

Pourquoi vous ne m’avez pas laissé mourir, bande de cons ?

Shawna leva les yeux vers Kylian, au début de sa phrase, sans réussir à rien dire. Tu penses que ? Tu penses que quoi ? De quoi il parlait ? Probablement pas de ce à quoi elle, elle pensait – il ne pouvait pas savoir qu’elle pensait qu’il y avait « quelque chose » entre eux, elle n’avait absolument pas agi comme si c’était le cas, et même, il n’aurait sûrement pas commencé à en parler comme ça. Tu penses que… qu’il va se réveiller bientôt, peut-être. Qu’il s’est fait mal. Que je n’aurais pas dû le frapper. Qu’il me pardonnera ? Quelque chose du genre, c’était plus logique. Mais non, elle ne pensait pas à ça, et elle n’était pas dans la tête d’Elio et n’était pas infirmière, elle ne pouvait pas savoir. Mais il lui tendait une jolie perche, et elle était décidée à l’attraper. Elle n’aimait pas les silences, les secrets, les sous-entendus. Elle aimait l’honnêteté et la franchise. Et n’avait pas envie de se casser la tête à essayer de savoir si ses doutes étaient véridiques ou non, d’interpréter des choses qui ne veulent rien dire, de donner de l’importance aux petits riens et de rater l’essentiel. Autant parler, elle serait de suite fixée.

- Je pense que tu devrais lui dire, Roméo.

Elle non plus, elle n’était pas claire. Lui dire quoi ? S’il pensait à autre chose, entièrement, ses paroles porteraient peut-être à confusion. Mais c’était assez évident pour elle. Qu’il comprenne ou qu’il ne comprenne pas. Et puis si elle avait tort, elle saurait de suite, puisqu’il ne saurait pas de quoi elle parlait. Il serait alors temps d’inventer quelque chose de plausible. Genre, désolé. Je pense que tu devrais t’excuser. Ca n’expliquait pas vraiment le surnom, mais de toute manière, vu le nombre de surnoms qu’elle utilisait à la minute, celui-ci pouvait ne rien vouloir dire… Elle le regardait, attendant une réaction, savoir si, oui ou non, elle était sur la bonne voie – et puis son visage changea, et ce n’était pas à cause d’elle, et elle se détourna de lui pour regarder Elio à nouveau. Il se réveillait ! Elle se pencha au dessus de lui, faisant signe à la rêveuse, et celle-ci la repoussa pour pouvoir s’occuper du blessé. Shawna recula d’un pas, les sourcils froncés et le regard peu amène posé sur le dos de l’infirmière. Elle se permettait vraiment tout, celle-là. Elle se mit au pied du lit, du coup, pour pouvoir quand même le voir. Le commentaire suivant de la vieille femme l’énerva d’autant plus, mais elle ne dit toujours rien. Elio s’en chargeait, de toute façon, et de manière beaucoup plus calme que tout ce qu’elle aurait pu dire. Tant mieux, il y avait eu assez de cris et de bagarres pour la journée.

- Arrête de parler et de gigoter, ça f’ra p’t’être moins mal. Et puis tu l’as voulu, assume, maintenant.

Un peu brusque, pas du tout amicale.

- Vous êtes bien méchante, pour quelqu’un qui hurlait d’inquiétude il y a à peine quelques minutes, mademoiselle.
- Toi, je t’ai pas parlé.

De quoi elle se mêlait, encore ?

Elle n’avait pas voulu qu’il le sache, ça. Et puis ça ne changeait rien à son attitude. Ce n’est pas parce qu’elle s’était inquiétée qu’elle devait être gentille avec lui après – ça, c’était bon pour les gens qui se sentaient coupables, et elle n’avait rien fait de mal. Les ecchymoses, il les avait demandé, et il en avait eu besoin. Ce n’était pas elle qui l’avait frappé à la tête et fait explosé son crâne, après tout. Les gens profitaient toujours du moindre petit bobo pour recevoir toute l’attention. Et bien non, elle, elle ne jouait pas à ce jeu là, et ce n’était pas un bandage qui allait la rendre conciliante. Et puis c’était vrai, il l’avait voulu, et s’il arrêtait d’essayer de se lever et de bouger sa mâchoire, peut-être qu’il aurait moins mal, elle n’avait rien dit de complètement illogique.

- Bref. T’es réveillé, t’as mal partout, donc tout va bien dans le meilleur des mondes et je vais vous laisser, j’crois que vous avez des trucs à vous dire. Et puis j’voulais qu’on traîne ensemble et t’es pas en état d’aller te balader, alors faites-moi signe quand tu vas mieux, qu’on s’fasse un truc. Et Kyl', tiens moi au courant.

Elle n’avait jamais vraiment aimé rester au chevet des malades. Ca l’agaçait par ricochet, de voir un corps qui ne pouvait pas se mouvoir. Elle voulait penser que tout le monde devait être assez fort pour ne jamais se retrouver cloué au lit. Elle avait besoin de se déplacer, de se secouer ; très peu pour elle, les conversations tranquilles assise sans bouger. Et puis elle ne savait jamais quoi dire, de toute façon. Alors, pas trop mal, ça va mieux, tu veux un verre d’eau ? Pourquoi tu te laissais battre, t’es pas bien, t’as besoin d’aide, qu’est-ce que tu veux ? Quelle horreur. Mais laissez-le respirer un peu. Et puis tout ce qui lui importait, c’est qu’il était vivant, et qu’il serait bientôt debout. C’était l’essentiel, le reste n’était que détails. Alors elle pouvait bien partir.

Et puis même si elle avait tort, qu’elle avait mal interprété la main.

Il y avait définitivement quelque chose qui n’allait pas entre Elio et Kylian, quelque chose de plus important que les vétilles qu’ils se jetaient à la tête, on n’en vient pas à se faire battre, à pleurer et à se retrouver à l’infirmerie pour si peu. Elle ne savait pas pourquoi ils s’en voulaient, exactement, et ce qui avait bien pu se passer, mais maintenant qu’ils étaient calmés, ils avaient sûrement beaucoup de choses à se dire, avec des mots à hauteur stable, plutôt qu’avec des cris et des poings. Et elle, elle était en trop. Ce n’était pas en étant présente qu’ils allaient déballer ce qu’ils avaient sur le cœur. Alors plutôt que d’embarrasser tout le monde, elle allait se casser avec son paquet de glaçons. S’installer quelque part sur un muret. Ou tenter de retourner en cours de combat, peut-être. Quoique mauvaise idée, on allait lui demander ce qu’elle avait au visage, Locktar tenterait à nouveau de les punir et poserait des questions indiscrètes, et elle s’était déjà assez fait remarquer pour la journée. Elle ferait mieux de trouver un coin où pioncer, et récupérer le sommeil de retard après le bal et la journée du lendemain passée à courir partout…

- Ciao.

[J’pense que c’est mieux comme ça – mais je veux un autre rp avec vous ! Vous pouvez encore parler à Shawna quand même]

Le visage endurci et le ton abrupte de Shawna lui fit l’effet d’un nouveau coup sur son pauvre crâne en morceau. Elle devait lui en vouloir, voire même être très en colère pour lui parler ainsi. Pourtant il ne parvenait pas à se sentir coupable, ni à regretter. Il pouvait se sentir coupable de sa vie entière, de tous ses actes, et regretter son putain de vécu, ses décisions, mais en aucun cas ce passage dans le théâtre. Shawna n’avait rien compris. Sûrement pas plus que Kylian. Jamais il ne s’excuserait pour avoir eu ce qu’il méritait. Elle avait raison en un sens, il devait assumer. Mais comment assumer lorsqu’on a tout raté ?
Quel con, aussi. Kylian était son ami, jamais il n’aurait pu le tuer. Accidentellement ou pas. Il s’était évanoui trop tôt, et il avait du cesser les coups, pas assez aveuglé par la colère pour continuer comme l’aurait fait Elio.
Car oui Elio l’aurait fait. Comme il avait poignardé le dernier mercenaire de l’Académie jusqu’à ce qu’il ne ressemble plus qu’à un tas de viande, mort depuis longtemps déjà. Comme il avait pu tuer son père.
Un être aussi dangereux ne devrait pas être aimé. Qui sait ce qu’il pourrait faire d’autre ?
Tuer Elera ? A présent, au moins, elle était hors de portée.
Mais Kylian…Le garde n’était plus hors de portée du tout. Plus depuis le Bal. Mais alors plus du tout. Ce qui le rassurait un temps soit peu était que Kylian n’était pas tout blanc non plus. Mais depuis la bataille de reprise, il n’en avait pas touché un mot, et l’apprenti guerrier ne savait toujours pas ce que lui cachait son ami.

Il suivit de ses yeux, vidés de sens, la belle noiraude quitter avec prestance la salle. Il leva la main pour lui faire signe, mais elle ne se retourna même pas. Alors avec un soupir de découragement il laissa tomber sa main sur le lit.

Pauvre con.
T’enchaines les conneries, et tu vas tout perdre.
Tout.

Alors à quoi bon ?
De toute façon Shawna et Kylian le sauront bien un jour, ils sauront comme Elera sait qu’il a tué son père.
Combien de temps la rouquine taira-t-elle l’horrible chose ?
Ils le sauront, tôt ou tard.
Et là, ils fuiront, le dénonceront, peut-être.
Alors à quoi bon ?
Il allait se retrouver seul. Entièrement seul.

La voix du garde qui enjoignait avec très peu de politesse la rêveuse de les laisser, ramena les pupilles d’Elio vers son ami.
Pourquoi restait-il ?
Les yeux plissés de son ami l’éclairèrent. Inquiet. Il s’était donc inquiéter ?
Le cœur du jeune homme fit des bonds dans sa poitrine. Quelqu’un pouvait donc ressentir, s’inquiéter pour lui ? Lui, le p’tit con, l’assassin, le mauvais, la grande gueule, l’assassin ?
Il déglutit, tentant de lui offrir un sourire en retour, qui ne ressortit que comme une grimace.


-Eh dis, c'est qui Roméo ?

Elio ouvrit de grands yeux, ne comprenant pas la question de son ami.
C’est tout c’que t’as à me dire ? C’est qui Roméo ?
Bah. Après tout, que pouvait-il lui dire ? Désolé pour l’autre nuit, j’étais ivre ?
Lui aussi était ivre. Pire que ivre même. Et ce qui s’était passé ne voulait rien dire. Absolument rien.

-Un abruti de première. Grommela-t-il. Une tapette qui crève en croyant qu’sa copine est morte, alors que pas. Du coup elle aussi elle s’tue, pour de vrai c’te fois-ci.

Il fixa Kylian d’un air désabusé, oubliant volontairement qu'il avait juré de mourir pour Elera si l'occasion s'en présentait, oubliant qu'il aurait du mourir pour une seule fille, comme un faël digne de ce nom devrait le faire, oubliant que le faël avait prédit tout ce qui se passait.

-C’est un con à l’eau d’rose, une merde de niaiserie totale. Pourquoi tu m’demandes ça ?

Il vit son ami devenir soudainement rouge, et ne comprit pas. Qu’avait-il donc loupé ?
Quoi ? Sa rêveuse ou l’une de ses autres conquêtes l’avait donc appelé Roméo, se portant pour Juliette ?
Il prit le bras du garde avec autant de force possible.

-J’te jure que si tu crève pour une Juliette, t’as intérêt à être mort pour de vrai, sinon j’m’occupe de ton cas, Casanova !

Qu’on soit claire. Si l’un de nous mérite d’être enterré, c’est moi. Pas toi.
Toi tu vis, toi tu aimes, toi tu te bats.
Moi je n’ai plus rien de tout ça.
Je croyais t’avoir, mais…C’est juste une connerie comme une autre.
Enfin je crois.

Le kaelem frissonna en sentant les doigts de Kylian passer dans sa chevelure blonde, protecteurs et réconfortants. Combien il aurait aimé se retourner et l’enlacer. Combien il aurait aimé ce geste, dans une toute autre situation.
Ah, il était loin le soir du bal et toutes les excentricités auxquelles les deux garçons s’étaient laissé aller. La nuit d’extase s’évanouissait dans le chagrin et la vérité du jour présent. Comme une seule petite goutte de poison qui vient anéantir toute une vie.

- A toi je ne cache rien Elio.

Il aurait voulu hurler « menteur », et le repousser, mais il n’en avait plus la force. Il ne pouvait plus parler, encore moins crier. Ni même frapper.

Ce qui suivit, Elio s’en doutait. Lors de la reprise, le comportement de Kylian, si étrange, lui avait mis la puce à l’oreille de son appartenance au Chaos.
A l’époque, il en était plus qu’enchanté, de se découvrir un ami qui puisse comprendre la même allégeance qu’il avait faite. Un autre comédien avec qui danser.
Aujourd’hui, tout était différent. D’une le Chaos n’existait plus vraiment, ou du moins se cachait-il dans un coin bien sombre, attendant son heure. Mais surtout, aujourd’hui, il savait comment le Chaos avait réussi à détruire la vie de son père, et de la famille toute entière. Il savait que c’était dans l’Ordre même auquel il avait prêté serment que se cachaient les assassins de sa mère. Et ce qui l’avait amené à tuer son propre père.
Un soubresaut le prit, songeant soudainement qu’il serait facile aux mercenaires de se servir de Kylian pour l’atteindre, comme ils s’étaient servi de sa mère pour punir son père.

Il tourna, timidement, son visage défait vers son ami, plaçant dans ses yeux humides toute l’inquiétude possible.
Il ne pouvait plus lui sourire, et rire du fait qu’ils étaient dans le même bateau. Pas en sachant ce qui était réellement arrivé à sa mère.
Et s’il commettait la moindre erreur ? Marlyn n’était plus vraiment du Chaos, mais cela signifiait-il pour autant qu’il ne leur devait plus rien ? Et Kylian ? Le jour où il voudrait les quitter ?

- Mais c'est pas vraiment ce qui te tracasses hein ?

Avant, pas tant que ça.
Maintenant, horriblement.
Je veux arrêter tout cela, Kylian. Je veux en finir.
Mais comment ?
J’me suis foutu dans une belle merde !

Les caresses du garde redoublèrent son envie de pleurer, mais il se contint, écoutant les regrets de son ami.
Ami qui posa avec une douceur inattendue ses lèvres sur les siennes.

La main d’Elio s’agrippa à la chevelure de Kylian qui tombait sur sa nuque, et donna en retour un baiser enragé à l’homme qui lui assurait d’être là.
Qu’importe les sentiments contradictoires, qu’importe qui pouvait les voir, les pulsions étaient bien trop fortes.

Puis, une fois calmé, il l’enlaça, nichant son crâne dans le cou du jeune roux.

-J’ai fais une connerie. Une très grosse connerie. Avoua-t-il.

Et après ça, tu ne m’aimeras plus.

Se lovant contre lui, il inspira une grande bouffée d’air, pourtant prêt à conter son histoire. Les mots bloqués depuis si longtemps dans sa gorge allaient pouvoir jaillir. Et lui mourir en paix.

-Après t’avoir laissé avec elle…

Il ne put que placer de la haine dans le « elle » désignant la rêveuse.

-…j’ai continué à m’battre. Et j’ai réussi à chopper le dernier mercenaire qui tentait de s’enfuir.

Il perçut l’étonnement de Kylian, même s’il ne pouvait pas voir la totalité de son visage.

-J’avais reçu l’ordre de combattre le Chaos…c’est particulier. Mon maître a été des leurs, mais les surpasse à présent…

Mais a disparu à présent, serait plus exact.

-Cet homme connaissait mon passé. Un passé que j’ignorais.

Comme le véritable nom de ma mère et ce qui avait entrainé sa mort. Il déglutit. Il n’avait jamais révélé à Kylian le pourquoi du comment de sa présence dans cette Académie.

-On habitait à Illuin…Maman était faëlle. Je devais avoir trois ans lorsqu’elle est morte. Mon père a pris la fuite, m’emportant.

Les larmes vinrent naturellement. Voilà une éternité qu’il n’avait plus raconté cette histoire. Des années de recherche et de mensonges. Pour arriver à ça.

-Il n’a jamais voulu me dire pourquoi et comment maman est morte. Alors il m’a envoyé ici pour ne plus avoir à supporter mes questions.

Sa main serra fort celle de son ami intime, contenant la rage du passé.

-Mais j’ai continué à chercher, qu’importe les chemins. Et j’ai rencontré le Chaos.

Et ensuite, je t’ai rencontré toi.

-Elera n’en a jamais rien su. C’est pourtant elle qui m’a emmené au village de mon enfance avec les indices que j’avais réussi à récupérer. J’y ai trouvé une grand-mère que je ne connaissais pas. Et un peuple désireux de venger maman, tout comme moi.

Il passa son autre main sur la joue de Kylian. Sa voix n’était plus qu’un murmure.

-Tu comprends, il aurait du mourir avec ma mère, par amour pour elle. S’il avait été un faël…

Mais ce n’était qu’un homme. Une pourriture d’homme. Tout comme Elio à présent.

-Chose promise, chose due.

Il trembla, secoué de sanglots.

-C’est ce qu’avaient laissé les mercenaires du Chaos comme message après avoir tué ma mère. Juste ma mère. Pas mon père, et pas moi.

On sentait le regret et l’amertume du garçon dans le fait d’être en vie.

-Tu sais pourquoi ?

Il pleurait de plus belle, de rage, de colère, de dégout.

-Parce que mon père n’avait pas su payer ce qu’il avait promis aux mercenaires : son allégeance. Et que lâche qu’il était, il n’a rien dit à maman et s’est caché avec elle en pays faël, ignorant les menaces du Chaos.

Fiévreux, il souffla.

-Il aurait du mourir…

Puis s’étrangla.

-Alors j’l’ai tué.

Un silence de plomb s’abattit dans l’infirmerie vide. La rêveuse n’était toujours pas revenue. Avait-elle vu les garçons enlacés et avait jugé nécessaire de ne pas les déranger, sans prendre l’indiscrétion de les écouter ? Sûrement. Il n’en avait que faire.

-C'est pour ça que j'ai autant bu le soir du bal...

Ses iris vrillèrent dans le regard de son Apollon.

-...mais c'pas pour ça que je t'ai embrassé.

A présent, il se sentait nu. Complètement nu.

- Crétin.

Elio eut un faible sourire. On n’aurait pas dit comme ça, mais ce simple petit mot avait toute une signification, toute une importance à ses yeux.
Et il paraissait si doux, si amoureux ce petit mot dans sa bouche.
Crétin.
Il aurait aimé qu’il le lui répète ainsi toute sa vie.

Les petites conneries définissant selon le garde son…petit ? ami, firent sourire plus encore le guerrier.
Comme on était bien avant, avec aucun autre souci en tête que celui d’échapper à Locktar, ou de le taper plus fort encore que la fois précédente, de le faire rager si fort qu’il en devenait aussi rouge qu’une betterave des plaines !
Mais ça, c’était avant.
Et pourtant, d’après Kylian, il n’y avait que ça à retenir.
Etait-il donc vraiment indifférent à l’acte d’Elio ? Ou faisait-il semblant ?

Il lui disait être là.
Encore.
Et demain, aussi ?

A l’évocation de la bosse, cette fois-ci il put même laisser échapper un rire.
Il ne changerait donc pas.
Et c’était le plus grand soulagement possible aux yeux d’Elio !

Il passa sa main dans les cheveux de Kylian, dégustant l’absence de toute honte, hésitation ou quoi que ce soit d’autre de débile et futile en l’instant.
Il ne savait pas comment s’en sortir.
Il ne savait pas comment lui dire qu’en se laissant frapper, il espérait intérieurement mourir d’un mauvais coup porté au mauvais endroit.
Il savait juste qu’il était encore là. Malgré tout ce qu’il venait de lui dire.

Sa langue chercha les lèvres du beau roux, y plaçant toute la douceur qui existait encore en son petit cœur de pierre.

-Et maintenant ? Souffla-t-il, la voix encore rauque des pleurs récents.

Il sentit les pupilles de Kylian se braquer avec plus d’intention dans celles bleus d’Elio.

-Maintenant on fait quoi ?

On.
Merde.
Pourquoi est-ce qu’il venait de dire on ?
Il était complètement con ou quoi ?
Il n’y a pas de « on ».
Le « on » est une connerie. Une illusion pour croire que l’on ne se noie pas tout seul dans sa merde.
Il n’y avait pas de « on ».
C’était tout bonnement impossible.
Surtout entre deux…hommes ?

-‘Fin j’veux dire, je fais quoi maintenant ? Parce que toi, t’peux continuer ta vie de tombeur à ton aise !

Petit sourire.
J’aime pas quand tu séduis les autres.
Comme l’autre cruche de rêveuse.
J’aime pas, parce que du coup ça veut dire que j’suis comme elles.
Et d’une j’suis pas une fille.
Et de deux, j’suis pas…j’veux pas être comme les autres.

-Tu crois que j’dois fuir ? Me vendre ?

Ou mourir. Ce serait tellement plus simple. Tellement plus efficace contre toutes ces pensées noirâtres qui vomissent dans mon crâne.

Il se redressa, plaquant ses genoux contre sa poitrine.

-Bordel, on a l'art de s'foutre dans de belles situations toi et moi.

Il détourna son regard vers son compagnon, un léger sourire sur le coin de sa lèvre inférieure.

-Mais moi plus que toi. Là d'ssus, tu n'arriveras jamais à me mettre à terre!

Humour.
Mais humour vain.
Rien ne change.
Les morts sont toujours morts.
Et les vivants désespérément vivants.

Et moi. Ben moi, j'suis moi.