Elle fredonnait une balade Faëlle quand elle su, qu'enfin, elle avait trouvé la Vigie.
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Après avoir quitté Elera, elle avait couru, marché, s'était perdue ; et, ayant tenté avec peine de demander son chemin, s'était retrouvée dans une pièce étrangement vide où elle avait écouté quelques instant la triste plainte du vent.
Reprenant sa marche, elle avait bondit en arrière en effleurant une poignée de fer brûlante, et avait à plusieurs reprises ouvert la porte qui semblait mener aux souterrains (–cachots ?), qu'elle avait d'ailleurs préférer ne pas traverser.
"Tu me l'avais dit, j'te répondait pas..."
Elle ne s'était arrêtée que pour observer son image dans un grand miroir déposé (–au hasard ?) le long d'un couloir autrement nu.
Jetant un regard amusé à son reflet –son visage pâle avait, au soleil, prit une douce teinte rose qui s'épanouissait notamment sur la pointe de son nez. Elle avait noué ses cheveux grâce à une tresse à quatre bras et était repartie, non sans avoir crut déceler dans la vague ambrée de ses iris une pointe de vert.
"Tu ne me croyais pas, j'écoutais pas..."
Quand elle avait crut arriver au pied de la tour qu'elle avait, quelques heures auparavant, gravie ; elle s'était engagée dans un escalier sans fin, et, poussant une porte, avait débarqué dans une grande salle pourvue de bains. Elle s'était brusquement détournée –un jeune homme, peu pudique, s'y baladait sans ses habits, et était partie en courant dans l'autre sens, entendant son rire résonner le long du couloir.
Elle était descendue de quelques étages, avait ignoré un sifflement aguicheur sur son passage –s'était contentée de lancer un regard noir au Lupus dont il semblait en être l'origine. Une moue dépitée était apparue sur son visage quand elle s'était retrouvée nez à nez avec un énorme fontaine –devinez laquelle.
"Je le faisait pour moi, j'le faisait pas pour toi..."
Elle n'avait pas été étonnée de constater qu'Elera ne soit plus dans la cour de la fontaine. Elle ne s'était pas demandée où elle pouvait être allée. La marchombre faisait bien ce qu'elle voulait, et elle-même avait l'intention d'en faire autant.
"J'avançais sans crainte, tu m'défendais pas..."
L'endroit n'était plus tellement le même, depuis qu'elle l'avait quitté. Le soleil, qui profitait des derniers instants de sa course, parait d'ocre la surface du bassin qui semblait désormais cracher non pas de l'eau mais plutôt de l'or. Athesto avait quelques instants admiré le spectacle, puis avait reporté son attention sur la cour.
Il n'était pas si tard; ainsi, partout, les élèves dont la journée de cour s'était terminée se rassemblaient par groupuscules de deux à cinqs, discutaient en riant.
Elle n'avait croisé aucun visage connut.
Il fallait dire qu'elle ne connaissait pas grand monde. Peut-être, s'était-elle dit, que lorsqu'elle serait ici depuis plus longtemps, elle ferait partie d'eux...
"J'avais besoin de n'pas être avec toi, tu m'laissait partir sans un soupir."
Athesto avait passé un certain temps à les observer, curieuse de comprendre les traits de caractères communs aux différents maisons – ignorant même ceux de son propre groupe. Rapidement, elle en avait tiré les conclusions suivantes, -sans toutefois s'arrêter sur les exceptions :
Les Lupus, en verts paraissaient les plus drôles, sociables et facile de caractère. Les Lotras, les bleus parlaient plus calmement, souvent assit à même le sol. Les Corbacs, contrairement aux deux maisons précédentes, ne se mélangeaient pas; passaient, solitaires, l'air perdus dans leurs pensées. Sombres, tout autant que leur uniforme. Et puis, les Felixias... Ils allaient et venaient, toujours en mouvement, vifs et brûlants comme le feu, parlaient beaucoup, riaient fort, rassemblant autour d'eux de nombreux (–admirateurs ?) qui les écoutaient, captivés par leur aura et leur assurance notable.
Devait-elle se voir en eux ?
Elle n'avait pas su savoir. Et s'était concentrée sur sa mission.
"Tu m'demandais rien, j'te laissais en paix."
Elle avait ainsi rejoint un portique de l'autre côté de la cour, sans prêter d'attention à la Corbac, qui, lisant dans un coin, lui avait adressé un étrange regard.
"J'te demandais tout, tu m'laissait rien."
Alors, elle s'était avancée dans un couloir sombre ou elle avait bousculé ce qui semblait être un Lotra; puis, sans s'être excusée, elle avait tourné vers la droite, dans un passage plus éclairé. Elle avait caressé la porte de la bibliothèque, ignorant la rencontre décisive qu'elle y ferait dans 17 jours, s'était agenouillée pour suivre du doigt une longue estafilade, à hauteur de cœur, faite peut-être par un poignard dans le bois d'une veille armoire poussiéreuse. Quelques pas plus loin, elle avait remarqué de petites taches brunâtres sur un tapis représentant un Dragon géant. Elle avait espéré que ce ne fut pas du sang et avait continué sa marche, légèrement tendue. Elle avait parcourut deux couloirs successifs, avait croisé un adulte perdu dans ses pensées (-professeur ?) et avait fini par atteindre un autre escalier. Son instinct lui avait soufflé que celui là, c'était le bon.
Elle avait enfin trouvé la Vigie.
"On s'aimait quand même, sans l'intention d'un choix."
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Elle leva les yeux. L'escalier montait en tournoyant sur lui-même, si bien qu'elle n'apercevait rien du passage.
Athesto posa une main sur le mur. Ses doigts se faufilèrent naturellement dans les interstices que son instinct de grimpeuse la poussait à découvrir, et, décidée, elle posa un pied sur la première marche. L'ascension débuta.
75 marches. 76 marches. D'où lui venait cette manie qu'elle avait de compter les nombre de pas qui la séparait de son but ? 77. 78. Du moment qu'elle y parvenait, la longueur du chemin était-elle importante ? 79. 80. Peut-être bien que oui. 81. 82. 83. Peut-être que ce qui comptait, ce n'était pas le sommet de la montagne, mais l'escalade. 84. 85. Elle s'arrêta.
La porte, un fin voile d'un bleu électrique, se dressait devant elle. Marche n°88.
8 + 8 =16
1 + 6 =7
7 = symbole de l'accomplissement.
N'importe quoi.
Ce n'était qu'un chiffre.
Ce n'était qu'une porte, une barrière, un...
Une limite.
A franchir.
Sans marquer un arrêt, elle s'avança avec détermination jusqu'au portail bleu, crut durant une fraction de seconde qu'elle l'avait franchie sans difficultés et, sans prévenir, une violente décharge électrique la traversa et la projeta contre le mur derrière elle. Elle grogna. Se releva. La brutalité du choc lui avait coupé le souffle, mais elle n'était pas décidée à arrêter là.
C'est ainsi que débuta ce que nous aurions pu appeler le "casting à la Vigie", longue et vaine profusion de techniques diverses et variées –parfois risquées, mais ayant toutes un but commun et relativement démentiel. Passer.
þ-Courir pour passer avant que la barrière ne se rende compte de sa présence.
þ-Lentement, en essayant de la franchir petit bout par petit bout.
þ-Se poser à quelques millimètres de la barrière et se projeter contre elle d'un seul coup.
þ-Tenter un plongeon à travers elle.
þ-Essayer de passer en faisant un salto.
þ-Pourquoi pas en marche arrière ?
þ-En marchant ?
þ-En s'imaginant passer.
þ-En chantant ?
þ-En disant : "Je suis Dessinatrice ! " > Le voile aurait peut-être gobé cet odieux mensonge.
þ-En courant à reculons.
þ-En grimpant le long du mur tel un gros lézard -Hm.
þ-En grimpant sur le plafond comme une grosse araignée – et heureusement qu'elle était Faëlle.
þ-Ramper sur les marches ? Pas bon non plus.
þ-Fermer les yeux ?
þ-Se convaincre qu'elle était dessinatrice –même si elle espérait que non.
þ-Tenter de faire passer ses cheveux d'abord.
þ-La brûler du regard ? la consumer par la force de l'esprit ?
þ-Passer en tournant sur soi-même ? Avec les yeux fermés ?
þ-En se plaquant contre le mur.
þ-A quatre pattes ?
T-En...
Athesto se laissa tomber au sol. Elle ne sentait plus ses bras. Elle ne savait pas où étaient ses jambes. Mais bon, elle l'avait bien cherché.
Son corps semblait noyé dans un océan douloureux, meurtrit par les innombrables chutes auxquelles elle n'avait échappé au pire que grâce à son agilité et ses réflexes Faëls.
Elle ne s'inquiétait pas. Elle n'avait rien de cassé. Mais elle aurait le courage de se regarder en face dans un miroir car elle serait allée jusqu'à bout.
Dans le pire des cas, elle était couverte de bleu. Elle avait gros oeil au beurre noir. Elle avait le bout des doigts en sang et les avant-bras entièrement égratignés. Elle avait une grosse bosse sur le front et une coupure sur le mollet, et son uniforme n'était pas dans un état remarquable.
Mais elle n'était pas passée. Elle écarta une mèche brune qui tombait sur son front, et ferma les yeux. Elle n'avait, à vrai dire, pas la force de faire grand-chose d'autre.
Lentement, elle se laissa glisser dans une douce rêverie.
Si elle ne passait pas ici, dans le réel, alors elle la franchirait en rêve.