Maelström & reflets (RP terminé)

C’était une chose de chercher la solitude et de ne pas la trouver. S’en était une autre de savoir qu’on ne serait jamais seul.
Elle ne regardait pas vraiment ou elle allait. Elle déambulait. Elle ne cherchait même pas un endroit ou elle serait seule, car elle savait qu’elle ne le serait jamais. Le sentiment d’être sans cesse épiée, toisée, surveillée avait un étrange goût amer. Sa tête n’était jamais vide. Elle ne pouvait cesser de réfléchir. Les paysages défilaient, se répétaient, se ressemblaient. Sa main la brûlait, elle ne la sentait plus. Elle sentait son corps empli d’une chaleur vive et douce, qui prenait parfois des allures de brasier immense, la reléguant au rang de condamnée au bûcher. Les douches froides étaient plus rares, moins violentes. Elles étaient souvent synonymes d’un moment de repos pour la jeune Corbac. Après la douche, le sommeil. Elle fit mine de regarder ou elle allait, et aperçut deux élèves qui la regardaient bizarrement. Peu importe. Au point ou elle en était.

Outre ses sentiments, elle supportait ceux de l’autre. Au fil du temps, elle avait appris à les connaître, sans pour autant savoir ce qui les déclanchaient. Les plus forts étaient sans nul doute la colère, la frustration et l’impatience. En revanche, elle n’était jamais triste ou souffrante. Elle était parfois heureuse. Mais le sentiment le plus intéressant était de loin sa peur. Vivace, inexpliquée, légère. Elle était souvent de courte durée mais très profonde. Perçante. Elle semblait parcourir tout son être, se répandant dans son corps en infiltrant ses veines. Puis disparaissait soudain. Sans explications, sans prévenir. Elle était souvent suivie d’un long froid, puis d’un vide. Sÿa reprenait alors ses propres sentiments. Elle s’arrêta un instant.

Elle était dans le parc. Où, elle l’ignorait. Elle laissa ses yeux flotter dans le vague un long instant. Quelques souvenirs de ses débuts à l’Académie lui revinrent en mémoire. Quelques images brèves, floues. Elle décida, plus ou moins consciemment, de se retourner et de regarder le chemin parcourut depuis son arrivée. Symboliquement, elle fit un demi tour sur ses pieds et se laissa de nouveau porter. Elle était arrivée fragile, timide, étouffée. Au départ, rien n’avait changé. Bloquée par la peur, elle n’avait fait que régresser. Puis, petit à petit, contre son gré, elle l’avait aidé. Grâce à elle, Sÿa avait prit de l’assurance. Ce n’était que pâle illusion, cela, la jeune fille ne le comprendrait qu’après. Elle avait fait mine de se plier à ses ordres, chien fidèle tenu en laisse. Sÿa s’était alors appuyée dessus. Elle avait grandi, mûri et gagné une étrange maturité. Puis elle avait reprit son droit et avait envahit Sÿa. Elle était devenue incontrôlable. Et la jeune fille alors avait été envahie par la peur. Une peur tenace et profonde. La peur qu’elle lui échappe. Et dire qu’elle n’avait rien dit aux Sous-Directeurs. Elle se remit à marcher. Lentement, presque à contrecoeur.

Elle regarda devant elle et aperçut la cascade. Elle s’assura que l’endroit était inoccupé et marcha le long du cours d'eau, avec plus d’entrain. A l’instant présent, sa colère enflait. Avec force et rapidité. Sans raison. La colère était accompagnée d’une chaleur étouffante, qui frôlait par instant l’insupportable. Elle était furieuse. Elle avait envie que tout avance plus vite. Elle voulait que ça change. Elle n’avait pas ce qu’elle voulait. Elle semblait se débattre à l’intérieur du corps de la jeune fille, pourtant attachée à cette enveloppe par le signe gravée sur sa main.
Sÿa avait envie de crier. Très fort. Laisser échapper sa rage. Celle de l’autre. Mais aussi la sienne. Rage contre elle, contre tous, contre son mutisme…Explosion interne. Elle avait envie de crier, mais bien sur, elle ne pouvait pas. Pauvre jeune fille incapable de parler. Hurle ! Tu n’es pas muette de naissance ! Hurle ! Es-tu incapable de supporter la vie ! Hurle ! Tu es fragile, donc inutile ! Hurle ! Tu te laisses détruire, tu es si faible…À peine une poupée de chiffon…Juste pour un acte ingrat ! Cesse de pleurer ! Hurle !
Sÿa s’écroula au sol, la tête dans les mains. Elle tremblait de tout son corps. Le soleil était haut dans le ciel et la chauffait inexorablement. Non, en fait, il n'y avait pas de soleil. Il était caché derrière un nuage. Non, il était parti se coucher. Elle ne savait plus. Abasourdie, elle s'approcha de l'eau et y trempa les mains avant de les poser sur son visage. Elle se mit à se balancer, doucement, d'avant en arrière. Il fallait qu'elle parte. Elle semblait satisfaite, d'ailleurs...

[Si si, j'ai répondu^^Jte jure, c'est possible^^Si ça t'interesse, article écrit sur cette mélodie]

C’est une odeur douce qui effleura les narines de la jeune fille. Ses muscles semblaient tendus par des crampes coordonnées. Non, ce n’était pas son odorat…C’était le sien. Mais peu importe un odorat développé sans mémoire olfactive. Désormais, Sÿa pouvait savoir que quelqu’un approchait. L’odeur était assez frivole. C’était une douceur profonde, à la manière du lilas. Une douceur plus légère faisait penser à la vanille. Et le léger effluve de jasmin montrait une détermination sans faille. Le mélange des trois donnait une impression irréelle. Un sentiment de hauteur et de dominance. Pas d’écrasement. Au contraire…

Mais comment sentait-elle tout cela ? D’où lui venait cette interprétation ? Mais…Le vide laissé par le spectre retiré fut vite empli de colère et d’angoisse. Elle avait une telle emprise sur son corps et sur son âme. Un tel sentiment d’être une marionnette entre les doigts doux et calculateurs. L’image de Yaemgo revint à son esprit…Lindörm. Non. Pas forcément.

La personne qui approchait, c’était une jeune fille aux cheveux rougeoyant, magnifiques. Une jeune Lotra. Elle le savait maintenant, cela collait parfaitement avec le portrait tracé par l’odeur. Elle sentit sa présence, plus ou moins. Elera lui faisait souvent l’effet d’une brume intouchable. Lointaine et si proche. Le spectre revint. Brusquement, comme contrarié de cette venue. Il fit bouillir son sang et de nouveaux résonnèrent les mots de sa faiblesse. Parle ! Les mots, tu les connais ! Tu les as utilisé ! Tu n’es pas muette ! Bonne à rien ! Parle, au moins ! Tu ne sais pas te battre, tu ne sais pas dessiner, et tu gardes ce mutisme ! Parle ! Tu es une faible…Les mots se fichaient dans sa chair, à la manière de flèches lancées en pagaille. Certaines ricochaient seulement, d’autre l’entaillait profondément.

Elle attrapa le poignet de la jeune fille avec une force inouïe. Et de l’union ainsi crée, puisa une force dont elle se servit pour la combattre. Non qu’elle prit l’énergie de la jeune Lotra. Plutôt dans le contact. Dans le lien, il y avait une essence. De la lumière nécessaire à son combat. Elle imagina une lueur et une pluie d’étoile chassant l’ombre à l’intérieur d’elle-même. Les gouttes, désormais, coulaient le long de leur bras, de leur visage. Régénératrice, elle semblait nettoyer les résidus. Epousseter, en touche finale, éliminant les dernières particules gênantes. Elera ne bougeait pas. Avec étonnement, Sÿa la sentit refluer vers le fond de son être. Lentement, vaincue et contrit, mais avec un léger sourire. Elle se redressa alors et regarda Elera. A travers le rideau de pluie, les cheveux mouillée, le visage durci, elle semblait plus libre que jamais. La pluie sembla redoubler. Sÿa signa le seul mot qui lui venait à l'esprit. Elle ne voyait pas ses doigts, dans le brouillard et la semi-obscurité. Mais elle savait qu'Elera lisait.
-Merci…

C’était un peu pâle pour ce qu’elle venait d’accomplir, mais Sÿa ne trouvait rien de mieux. Elle attendit, et la pluie infiltrait ses vêtements, sans se soucier de la fibre épaisse. Un long temps passa. Elle lâcha enfin son poignet et baissa les yeux. Pas longtemps. Elle les releva pour accompagner les mots suivants.

-L’Emprise qu’elle a sur moi…Trop accrue.

Un arrêt, léger.

-C’est Dangereux ?

Elle ne savait même plus si c’était une question ou une affirmation. Elle n’avait jamais eu l’impression qu’elle voulait lui faire du mal. Alors que voulait-elle ? Quel était son rôle ? La jeune corbac se sentait vidée d’énergie, rompu de fatigue. Un être né, et un être qui a un rôle dans le Destin du Monde…Qu’elle était le sien ?

Le visage de la jeune fille s'éclaira, sous la pluie. Sÿa ne se souvenait plus si elle avait vraiment parlé. Sans doute n'avait-elle réussi qu'a faire vibrer l'air, produisant un semblant de murmure. Oui, surement. mais c'était déja important! Parler? A qui? A quoi? Pourquoi? ...Comment? L'image qu'elle avait du spectre ne se traduisait que part un eternel affrontement, un combat de chaque instant, une jouxte sans fin. Elle ne la voyait que comme un despote, tentant d'asservir son âme. Pas vraiment un tyran, à la rélexion. Un dictateur, tentant de la plier à ses ordres. Jamais elle n'avait eut l'idée de lui parler. De le comprendre. Jamais il ne lui était venu à l'esprit de l'écouter. cela paraissait tellement bizzare. Presque absurde. L'eau continuait de tomber, et la cascade grondait. Le fracas de la chute sur les pierres avait abandonné son grondement incessant, et semblait juste un chant rauque et profond. Sÿa ne comprenait pas. Parler? Elle qui n'en avait jamais été capable? L'idée lui vint alors qu'Elera était une marchombre. Une marchombre. Quelqu'un qui écoute pour mieux savoir. Qui apprends les choses au lieu de les affronter. La réalité lui devint évidente. Il fallait qu'elle la comprenne au lieu de se défendre.

Elle n'y arriverait jamais. Découragement. Parler? Discuter? A une entité? Elle releva les yeux et croisa ceux de la jeune fille. Toute lassitude s'évapora instantanément. Il fallait qu'elle y arrive. Elle ferma les yeux, calmement. Le bruit de la cascade emplit ses oreilles, l'odeur de terre mouillée attaqua ses narines, mais elle s'efforça de les ignorer. Alors que le monde alentour semblait avoir disparu, comme si elle s'était soudain retrouvée enfermée dans une chambre froide, elle commença à sentir sa présence. Elle se figura des digues, retenant l'esprit intrus. Intrus? Peut-être pas autant qu'elle ne le pensait...Elle s'attacha à dévérouiller des digues qu'elle avait mis des mois à construire. Instantanément, elle lui envoya un sentiment très proche du mépris. Un regarda goguenard mais renfrogné. tellement supérieur. La jeune corbac fit mentalement un pas en arrière, rebutée. L'autre tomba dans l'indifférence. On aurait pu facilement imaginer, un sourcil levé, puis rabaissé. Mentalement, la jeune fille s'assit. Il ne fallait pas désespérer. Elle réfléchit un instant, puis tenta d'épprouver un sentiment. Elle cerna la conviction. Elle dessina la volonté, forma un mélange, qu'elle modela, qu'elle apprivoisa. Elle nourrit ce nouveau sentiment, et le fit s'etendre. Quand il lui parut assez fort, elle s'efforça de l'envoyer de toute ses forces vers l'entité. Vers l'image de l'entité. Elle vida son énergie, transforma le sentiment en dragon, qui vola et sembla bloqué par une grande muraille invisible. L'autre n'avait pas bougé. Les épaules de la S^ya imaginaire s'afaissèrent. Elle avait perdu. Doucement, elle revint à la réalité. Quand le grondement de la cascade frappa sa tête, elle faillit faire demi-tour, et revenir dans l'antre silencieux de sa tête. Mais à l'image de l'entité insensible, elle se ravisa et revint auprès d'Elera. Ses yeux étaient toujours fixés sur ceux de la Lotra. Elle ne les avait même pas fermé. On aurait dit...Non, c'était absurde. Et pourtant...Presque comme si Elera avait suivi dans ses yeux son essai vain.

La corbac baissa les yeux, contrit. Elle avait faillit. N'avait-elle pas fait correctement? Son propre caractère, son manque de courage et de détermination l'excédait. Oui, elle était une faible. Et quand elle pensait à Elera, tout près d'elle, convaincue, déterminée dans sa voie, qui se battait tout les jours, elle avait l'impression qu'elle avait manqué sa vie. Avait-elle fait les bons choix? Pourquoi avait-elle été accepté dans la prodigieuse académie de Merwyn? Le méraitait-elle vraiment? Toute cette confiance en elle, qui était excès dans ses jeunes années et lui manquaient désormais...Avant, elle était sure de tout. Maintenant, elle n'était plus capable de rien. Elle agita les mains, en désordre:

-J'ai échoué...

Supporter le regard d'Elera? Elle ne s'en sentait pas capable. Son amie avait fait tant de choses pour elle. Elle était là, sous la pluie, mouillée jusqu'aux os. Et La corbac était incapable de réussir.

Si tu n'as pas confiance en toi, tu n'iras jamais nul part. Si tu ne vas jamais nul part, tu n'auras pas confiance en toi...

[Profondément désolée pour le retard...Pardonne-moi...]

Pendant un moment, les pensées tourbillonnèrent dans l’esprit de la jeune corbac. Elle se laissa dériver un instant, puis remarqua un soupçon d’air pensif sur le visage de son amie, bien qu’elle n’en soit pas sure, à cause de la pluie battante et des cheveux mouillés qui lui collait au visage. Elle regarda les cheveux aux boucles larges, d’un rouge-rosé brillant. Elle s’attendait presque à ce que sous l’effet de la pluie, la couleur dégouline et que les cheveux reprennent une teinte normale. Quelle idiote. Elle sentit de nouveau la présence dans son esprit. Elle semblait batailler contre la fatigue qui l’envahissait peu à peu. Elle commençait à se demander sérieusement ce qui arrivait à Elera, quand celle-ci se leva, saisit sa main et la tira à sa suite. La jeune fille ne songea pas un instant à protester. L’ordre était sans appel. Elle ne pouvait rien refuser à Elera. Rien. Elle la suivit, vibrante de froid.

Le paysage extérieur, en proie aux démons de la nature, démantelé, arraché, sembla lui revenir quand elle aperçut l’arbre immense aux branches décharnées qui se dressait devant elles. Elle ne put retenir un long frisson. Quand elle croisa le regard d’Elera, elle eut un haut le cœur. Un mélange de détermination farouche, de colère et de rage de vaincre flamboyait derrière ses prunelles. Elle se promit alors de faire tout ce que lui ordonnerait Elera. Tout, sans rien oublier. Toutefois, quand la jeune lotra lança un regard à l’arbre squelettique, elle crut défaillir. Et pourtant, aucune erreur possible. La lumière déchirait le ciel, immédiatement suivi d’un bruit d’explosion, tellement fort qu’il semblait annoncer la fin du monde, vibrant, grondant. La pluie, ivre, bousculée par le vent, semblait s’éteindre soudain et revenait en une rafale, fouettant le visage des jeunes humaines, presque indésirable dans ce paysage apocalyptique. Elle regarda l’arbre une nouvelle fois, puis croisa le regard figé d’une volonté farouche, et déglutit. Elle sentit l’autre s’agiter, s’impatientant. Jetant un dernier regard à l’apprentie marchombre, elle fit quelques pas vers l’arbre, et posa doucement ses mains sur le tronc.

Elle entendit un branche craquer, et se força de l’oublier. Le vent battait si fort que le mouvement des branches faisait vibrer le tronc. Elle respira. Elle avait peur. Pire que ça. Elle était envahie d’horreur, en proie à une terreur sans borne. Elle avait le vertige. Mais ce n’était pas tout. L’arbre bougeait terriblement. Et par-dessus sa peur phobique, il y avait sa confiance aveugle pour Elera. Elle posa son pied sur le tronc, ne trouva rien à quoi l’accrocher. Elle saisit alors une branche, à sa droite, serra ses doigts avec une force insoupçonnée, et se hissa à la force de ses bras sur la branche. Une fois ses pieds posés sur la branche, elle lutta pour ne pas regarder Elera. Elle regarda au dessus d’elle, refusa de voir les branches agitées par le vent, et agrippa une branche, juste au dessus de la première. Elle posa son pied droit sur un début de pousse, pas très solide mais suffisant. Elle se hissa sur la branche suivante. Elle sentait son cœur battre trop vite, trop fort. Elle entendit le grondement du tonnerre, et une floppée d’eau maintenant presque gelée la frappa, s’insinuant dans son cou. Elle n’entendit pas Elera monter à sa suite, mais sentit sa présence. Reprenant l’ascension, elle planta ses ongles dans l’écorce, écorcha son coude droit et continua à grimper. Elle était pataude et lente, mais peu lui importait. Debout, les jambes écartée, les pieds posés sur deux branches différentes, elle se fit bousculer par le vent, la branche plus fine ou se trouvait son pied gauche vibra. Elle s’accrocha de toutes ses forces à une ramure fragile. Elle aurait voulu crier, pleurer, hurler, se recroqueviller au sol, se laisser tomber, sauter, courir. Mais elle contracta ses muscles endoloris, peu habitués à pareil exercice. Si Elera montait avec grâce et agilité, avec équilibre et précision, Sÿa n’en menait pas large. Elle frotta sa joue contre le tronc se réduisant, et grimpa encore. Elle s’arrêta, à bout de souffle. Quand elle regarda par terre, elle eut un étourdissement et son ventre fit un saut. Elle se mordit la lèvre trop fort, se frappa la tête contre le front quand les branches remuèrent de plus belles. Elle commençait à s’affaisser quand la main d’Elera effleura sa cheville. Elle se raidit instantanément, et ferma les yeux un instant. Elle attendit quelques secondes puis les ouvrit. Elle monta encore. Sa tunique était déchirée par l’écorce et les infractuositées, mais elle ne s’en préoccupa pas. Elle faillit tomber quand une branche craqua sous son pied droit. Pétrifiée, elle resta un long moment collée contre le tronc désormais réduit de moitié. Elle se retint de pleurer, s’affaissa de nouveau, desserra doucement ses doigts. Ses yeux regardèrent vers le bas. Croisèrent ceux d’Elera. Elle tomba alors dans une transe improbable. Elle se redressa, grimpa encore, de sa démarche pataude et lente, gravit encore quelques mètres, enleva d’un geste rageur une mèche qui lui cachait la vue. Elle arriva à une grande fourche. La Grande Fourche. Quand elle s’en rendit compte, elle se sentit de nouveau défaillir. Elle ne pouvait pas aller plus haut. Elle avait les mains tailladées, les bras griffés, le visage écorché. Mais elle était arrivée. Mue par une étrange poussée, elle baissa doucement les yeux. L’Abîme qui s’étendait sous ses pieds s’ouvrit comme un immense trou noir. Elle perdit un instant ses repères. Elera. Elle serra les poings, lâchant la branche à laquelle se raccrochait sa main droite, et se dressa. L’abîme sous ses pieds se ferma, pour ne devenir qu’une mince hauteur, un vide léger. Le grondement qui retentit dans son esprit lui vrilla la tête. Elle sentit un immense sentiment de puissance. Elle perdit les sens, la lumière s’éteignit, le bruit se tut, l’infini se brisa. Elle était satisfaite. Enfin.

Quelques mots s’échappèrent des lèvres de la jeune muette. Des mots doux, brumeux et suaves, profond et caverneux. Des mots qu’elle ne dit pas réellement. Des mots qu’elle lui fit dire. Un chuintement, juste un souffle de vent. Sÿa elle-même n’aurait pas entendu la voix. Mais Elera était une marchombre. Un murmure silencieux.

« Je suis la Lune et le Soleil, Je suis Seena. »

L’écho lui répondit. Sé-é-naa-a. La jeune fille s’affala. Son corps s’arqua. En équilibre sur la fourche. Suspendue au dessus du vide. Des larmes coulèrent sur son visage. Elle lança un regard à Elera. Chargé de tout. Bonheur, Confiance, Courage, Gratitude. Mais surtout Volonté. Puis elle sombra dans l’inconscience.

Alors que le monde semblait s'écrouler autour d'elle, en proie à une guerre interne, entre ses propres enfants, Sÿa, inconsciente, fit un étrange rêve de chute et d'arbre, de choc au sol, et d'amie trop dévouée. Il s'éffaça instantanément, et elle devait l'oublier bientôt.

La terre vibra longtemps quand elle s'éveilla. Le bateau ondulait doucement sur les remous, parfois plus violents, parfois très légers. Le vent soufflait calmement dans les voiles. Le foc, dressé, se gonflait de fierté dans les bourrasques, faisant trembler de nouveau le pont. De temps en temps, tout d'immobiliser et l'on aurait pu croire à un manque à virer. Puis les cahotements reprenaient de plus belle, et la mer se déchainait de nouveau. Il faisait nuit. De temps en temps la lumière clignotait, hésitait, s'éteignait de nouveau. Quand elle ouvrit enfin les yeux, qu'elle aperçut Elera. Tout lui revint, en un immense coup de poing, la cascade, l'arbre, la chute. Elle se prit la tête dans les mains, un instant. La terre tourna encore un moment puis s'immobilisa. Revenant calmement à la réalité, elle fit ce qu'elle pouvait faire de mieux. Répéter. Puis prononcer. Sa voix était rauque, dure et éraillée. Horrible.

Elle voulut se concentrer sur sa première question. Qui? Pourquoi? A l'intérieur d'elle-même, un vide. L'entité semblait s'être envolée. Elle allait dire qu'elle n'en avait aucune idée, quand quelquechose lui revint.

¤ L'orbe noire glissa doucement hors du sac et tomba au sol sans un bruit. A son coté, un pendentif étrange, gravé d'un symbole trop connu. Il la regarda un instant, attendant une réaction de sa part. Elle n'en eut pas. Ces objets? Elle les connaissait. C'était certain. ¤

Elle repensa à Yaemgo. Il fallait qu'elle explique à Elera. Qu'elle lui parle de cette pierre, de cette révélation, et peut-être aussi de cet immense sentiment d'être soutenue, complètement saugrenu, par quelqu'un qui avait porté le même sentiment qu'elle. Une Entité. Elle s'approcha d'Elera. Le ciel n'avait pas fini son combat violent, mais plus rien du bruit et de la lumière de cette guerre invisible ne l'atteignait. Elle remua les mains, espérant qu'Elera allait comprendre malgré sa difficulté à trouver les signes correspondant aux mots.

-Tu te rapelles de Yaemgo?

Si la jeune muette avait crée des signes pour les prénom et noms des personnes importante qu'elle connaissait, elle n'avait rien imaginé pour Yaemgo. Elle s'en rendit compte avec surprise, mais épela son prénom, même pas sur que l'écriture soit la bonne. Elle continua, cherchant ses signes avec difficulté.

-Un jour, près d'ici, il m'a montré deux objets.

Jusqu'ici, tout allait bien. Quelquechose la fit tiquer. Toute son histoire se résumait t'elle à cette cascade? Tout semblait se passer ici...Elle se força à continuer, sachant qu'Elera remarquerait sans doute la coïncidence sans son aide.

-Le premier était un pendentif. Dessus était gravé ce symbole.

Elle désigna le noir au reflets blancs du symbole inscrit sur son poignet. puis continua, toujours par à-coups.

-Le deuxième était une pierre noire, aux reflets blancs, mêlant milles couleurs invisibles, aux étranges lignes qui s'effaçaient sous un simple regard...

De nouveau, elle désigna le symbole de sa main. Elle savait que l'effet de lumières et le jeu de reflets et de traits étaient très légers, immenséments légers dans le symbole. Elle était la seule à avoir remarqué la ressemblance, bien aidé par la brûlure de son bras à l'approche de la pierre. Il n'y avait pas l'effet de couleur dans le noir du symbole, mais les reflets blancs et les lignes, à peine visible, étaient là. Plus visible que d'ordinaire, jugea Sÿa. serait-elle aidée? Aurait-elle choisi de l'aider? Elle soupira en comprenant que oui. Satisfaite, Elle accentua encore l'effet et les brillances du symbole imitèrent avec exactitude celles de la pierre. Elle avait choisi de cacher ça aux autres? La jeune corbac comprit que si les étranges reflets avaient été dissimulés par sécurité aux autres, l'Entité avait compris qu'Elera était la clé qui les aiderait, elle et Sÿa. Elle regarda Elera, puis sentit un douleur dans sa tête. Elle se prit la tête dans les mains, tenta de se relever, s'afaissa. Elle se rassit en tailleur, alors que la douleur disparaissait progressivement. N'en comprenant pas la source, et remarquant l'agitation nouvelle de celle qui portait le nom de Seena, elle prit une décision. Enorme. Dangereuse, peut-être. Elle en fit part à Elera.

-Je dois en parler à Valen...

Cela signifiait-il son renvoi? Elle se demanda furtivement ce qu'elle ferait si elle était contrainte de quitter l'Académie. Ne trouva pas de réponse. Mais Elle était dangereuse. N'avait-elle pas faillit tuer sa propre enveloppe charnelle? Sÿa elle-même? Elle avait tué un tigre, pourquoi pas Elera, un autre jour? L'idée la fit hoqueter, et la renforça dans son idée. Et Hisae? Et les autres élèves? Et si elle devenait dangereuse, à la manière de Lindörm avant elle? L'idée la fit de nouveau frissoner. Il fallait le faire...

[Peut mieux faire...Ah, peut-être qu'elle va se dégonfler devant le bureau de Valen, je ne sais pas encore...Dis-moi ce que tu en penses^^]

Chaque chose en son temps. Elle repensa à Yaemgo. Lindörm était maléfique…Et si Seena l’était aussi ? Pourtant, à l’inverse du démon, Elle ne prenait pas possession de son corps contre son gré. Ou très peu. Elle ne savait pas. Les images de la rencontre revinrent dans son esprit, plus nettes, mais sans sons. Elle se souvenait des paroles prononcées et écrites, mais pas de la voix du jeune homme. Elle se reprit. Elle ne savait pas grand-chose de Yaemgo, celui-ci ayant limité leur échange. Mais elle devait donner ce qu’elle savait à Elera :

- Il partageait son corps avec une Entité Maléfique. Je crois qu’elle prenait parfois le contrôle de son corps…Je ne sais pas comment il s’en ait débarrassé…Je crois qu’ils se sont séparés quand on a essayé de tuer Yaemgo…

Elle ne savait que peu de choses, en effet…Beaucoup de « Je crois »…La nouvelle promesse d’Elera la mit mal à l’aise. Qu’avait-elle à offrir à son amie ? A celle qui lui donnait tout : Temps et réflexion, soutient sans faille…La jeune Lotra avait déjà fait pour elle plus de choses que son frère, sa petite amie et Noya réunis…Comment l’en remercier ? Autrement que part un futile « Merci », signé en tremblotant…Aurait-elle jamais pu monter sans elle ? Aurait-elle-même essayé de comprendre celle qui l’habitait ? Elle baissa les yeux, et acquiesça, avant de compléter, les doigts ankylosés par le froid.

-Mais pas tous…Il y’en a beaucoup trop…

Les rayonnages de la bibliothèque étaient trop fournis, trop remplis. Des milliers d’exemplaires étalés sur les étagères, des cinquantaines d’étagères croulants sous les ouvrages…Et Elle lisait doucement. Très doucement. Et elle ne comprenait pas tout. Des mots trop longs, illisibles, hors de sa connaissance, des phrases trop construites, des références inconnues…Elle aurait tellement aimé lire et écrire comme ceux qui en avaient le droit…Elle avait appris à la va-vite après l’accident, juste aidée de son frère. Lamentable.
Quand elle regarda de nouveau Elera, elle comprit que quelque chose n’allait pas. Et si la marchombre ne l’avait pas caché, c’était que ce quelque chose n’allait pas bien du tout. Elle semblait habitée par une rancune, une colère semblable à un feu folet, qu’elle ne tentait pas de maitriser, mais pourrait attiser si l’occasion lui était donnée. Les poings serrés de la marchombre la confortèrent dans son idée. Les paroles suivantes aussi. Quelque chose sonna à l’oreille de Sÿa. Un ton bizarre, inhabituel. Mue par un élan soudain, elle signa, du bout des doigts, sentant clairement qu’elle s’aventurait dans un terrain…Miné.

-Il y’a quelque chose qui ne va pas…

Ce n’était pas une question. Malgré la rage, quoique décroissante, des éléments autour d’elles, le temps semblait avoir ralenti. Les images de l’arbre, de la fourche, des éclairs et du vent revinrent à son esprit. Elle était montée parce qu’Elera l’avait aidée. Saurait-elle, à son tour, soutenir son amie ? Dans ce qui taraudait son esprit ? Dans cet éclair de rancune qu’elle avait surpris, quelques instants plus tôt ? Rien n’était moins sûr. La jeune fille n’avait jamais aidé qui que ce soit, de mémoire d’homme. Pas même son frère. Son frère…Si elle le retrouvait…
Oui, c’était cela. Elera en voulait à quelqu’un. Elle lui en voulait vraiment. Et l’identité de ce quelqu’un se dessinait en traits légers dans l’esprit de la jeune corbac. Et pourquoi donc ? Elle secoua ses doigts pour les réchauffer un peu, quand elle sentit de nouveau l’uniforme collant sa peau, ses cheveux détrempés et ses mains écorchées, ses bras égratinés…Oui, il fallait qu’elles rentrent…

- Dis le moi…

Elle avait fait des gestes lents et doux, pour indiquer un murmure. Il était difficile, avec les signes, d’illustrer tous les tons que la voix utilisait d’ordinaire…Difficile de traduire ses intentions sans ces tons, des mots murmurés, calmes, sur un ton de secret, comme une promesse de ne rien révéler…Non, pas de ton semblables avec les signes…Mais si Elera pouvait lire dans ses yeux…Elle eut un sursaut en entendant sa propre voix. Rocailleuse et grave, comme enrouée.

- Dis le moi…

Sa voix depuis trop longtemps inusitée ressemblait d’avantage à celle d’un vieillard en fin de vie, à la respiration difficile et aux poumons fatigués qu’à celle d’une jeune fille de 16 ans. Mais peu importait…Elle avait une voix…

Elle fut immobilisé par une peur inqualifiable. Brisée. Stoppée. Cassée. Les mots qu'Elera avait prononcé résonnaient en écho dans sa tête, en boucle, sans perdre d'intensité, toujours plus fort, plus présent. Lentement son esprit essayait de déchiffrer les mots, le sens. Elle se demanda si elle avait bien compris. Ne put avaler sa salive. Valen? Valen? Marlyn? Cette jeune fille qui l'avait attaquée? Torturée? On torturait les élèves, ici? Vraiment? L'information ne voulait pas s'imprimer avec des mots clairs. Elle croisa les yeux de son amie. Elle aurait voulu poser des questions. Demander comment? Pourquoi? D'où elle savait ça? Elle se raccrocha de toute ses forces aux deux premiers mots "Je crois". Mais sans conviction. C'était possible? Des images fugaces revinrent à son esprit. La punition publique. Qu'elle n'avait pas voulu regarder. Elle s'était sentie honteuse d'avoir tourné les yeux...Elle aurait voulu poser des questions, mais se retint. Elle était immobile. Son visage retrouva lentement son calme. Quand Elera se leva et retourna vers l'Académie, elle la suivit. Automatisée. Les images de la punition revenaient sans cesse dans sa tête. Et ça, ça ne suffisait pas? Il avait du encore la torturer? Mais plus que physiquement, elle était sûre qu'il avait torturé son âme. Directement. Il était un...un...Mais quoi? Etait-il pire que ses ennemis? Que les mercenaires eux-même? Elle n'avait jamais eu à craindre les mercenaires...Elle n'avait eut aucune occasion de comprendre leur façon de penser et de faire...Elle n'avait jamais eu qu'à s'affronter elle-même, et son père, et son frère...Qui étaient-ils? Etait-il, sur terre, un homme qui méritait de souffrir, réelement? Jusque dans le sang, jusque dans l'âme, jusque dans les yeux? Elle suivait la jeune fille. Elle avait oublié sa montée vers le ciel, les mots, Seena. Tout. Elles arrivèrent enfin dans la cours. Alors qu'Elera se dirigeait vers l'Aile Est, ou se trouvait la salle commune des Lotra, Sÿa jeta un oeil vers l'Aile Ouest. Le bureau de Valen. La marchombre ne l'accompagnerait pas. Elle s'approcha de son amie, et devinant plus ou moins son état, entoura ses épaules de son bras. Elle prit sa main et la serra un instant, avant de la relacher, et de signer la seule chose qui lui vint à l'esprit:

- Peu importe ce qu'on trouvera. On parviendra à aller là où on veut...Je te le promet...

Elle lui lança un regard, hésita. Elle aurait voulu la remercier pour tout ce qu'elle avait fait pour elle et Seena. Se retint. Qu'est-ce qu'un signe? Une petite articulation avec les doigts? Elle chargea son regard de remerciement et de promesse, puis se détourna. Elle n'entendit pas les pas d'Elera, et faillit se demander si elle était partie. Mais c'était une marchombre, après tout. Elle entra dans le bâtiment, et traversa les couloirs. Elle monta les escaliers. Et si on la torturait? Sous pretexte que Seena était peut-être un monstre? Une entité Maléfique? Comment prendraient-ils la nouvelle, après Lindörm? Elle s'arrêtta devant le bureau de Valen. Elle regarda la porte, qu'elle avait déja vu. Elle s'imagina le visage du Maître d'Arme. Se retourna et refit le trajet qu'elle venait d'effectuer. Non. Elle n'irait pas. On n'explique pas ses problèmes à un monstre...Non. Elle quitta l'Aile Ouest, rejoint l'Aile principale et le dortoir des Corbacs. Longtemps, elle attendit que Seena revienne. L'entité ne se fit pas voir, et elle s'endormit. Elera l'avait-elle vue ressortir? Savait-elle déja qu'elle n'était pas allée voir Valen? En était elle heureuse? Elle le saurait plus tard. L'image de Marlyn fut la dernière qu'elle vit avant de plonger dans les bras de morphée.