Elle est partie tôt ce matin, tirée du lit par le pâle soleil. Une aube de plus. Insipide. Il est temps d'y mettre fin. Les pieds glacés, elle a atteint le pied des Montagnes. Un bel endroit pour dormir.Les journées se succèdent, un voile gris tiré dessus. Le soleil n'a plus le même éclat, le vent n'est plus si délectable, la lune ne l'enchante plus, la neige ne l'émerveille plus autant. Sa vie n'est plus celle qu'elle aurait aimé avoir. Et ça la dégoûte. Ca la perturbe. C'est préoccupant...Autant finir cette mélodie discordante sur une note mélodieuse.
Mélodieuse par l'acier, harmonieuse par le tranchant d'un fer. Elle aurait aimé le faire elle-même, mais elle n'a pas d'arme, elle n'est pas devenue guerrière, comme elle le voulait, sinon, c'est sur le fil de son propre sabre que se seraient achevés ses jours.
Le ciel couleur perle annonce l'hiver. Elle a envie de le rejoindre. Tout doit être si beau là haut, si clair, si pur...Ensuite...Ensuite elle ne sait pas, elle tremble, un peu, mais elle est par ailleurs si curieuse...Ce ne sera absolument pas terminé. Ce ne sera que le début. Un début des plus radieux. Elle a hâte...
Elle a grimpé sur quelques mètres, dans les Montagnes, jusqu'à trouver le bon endroit.
Elle s'est assise au pied d'un gros rocher, arrondi, doux, juste comme il faut. Et, de chaque côté, un arbre ploie, chacun vert et vigoureux, magnifique dans les premières plaques de neige de la saison.
Oui, c'est le bon endroit.
C'est ici qu'elle veut dormir.
Au moins, sa mort aura été belle.
Mais il ne manque plus qu'une couleur, pour compléter le vert des feuilles, le blanc de la neige, le gris des troncs.
Le rouge.
Le rouge du sang.
Alors, Silhila attend.
Il ne manque plus que le porteur de sa mort, et tout sera parfait.
Elle est partie tôt ce matin, tirée du lit par le souffle de la mort qui l'appelait. Une aube de plus. Insipide. Bientôt, ce sera fini. Le corps glacé, elle a atteint l'écrin qui accueillera son corps. Un bel endroit où elle dormira bientôt.*
***
*
Elle a attendu, longtemps, seule, de plus en plus glacée.
Elle a attendu un porteur de sabre, un porteur d’épée et de courage pour la manier jusque dans son cœur, mais il n’est pas venu.
Elle a attendu longtemps, et, par-dessus le goût fade que goûtait son esprit, un autre sentiment s’est éveillé.
Le ressentiment, la rancœur.
Elle n’a rien pu faire.
Il l’a possédée…
Elle n’a plus le courage d’attendre, sinon, elle craquera. Elle se vautrera dans la bassesse de ses gémissements, elle pleurera, elle deviendra folle…Ca, elle refuse.
Elle veut une belle mort.
D’ailleurs, pourquoi attendre un porteur de lame, lame qu’elle n’a jamais eu le droit de tenir entre ses doigts ?
Elle est haute, la place où elle se tient.
Finalement, elle ne dormira pas dans la neige, au creux des bras des arbres jeunes.
Ce sera en bas.
Beaucoup plus bas.
Dans la rivière bouillonnante.
Alors elle se lève, elle marche, mais ce n’est plus le souffle tiède de la vie qui l’anime, mais la détermination glaciale qui précède la mort. Elle n’est qu’un pantin, une marionnette aux fils tirés par Dame la Faucheuse.
La roche est froide, la pierre est sèche. Le vent aussi. Il hurle. Il fait peur.
Si peur…
L’angoisse la saisit. Si elle attend encore quelques secondes avant le saut, elle n’en aura plus le courage. Ses larmes entailleront ses joues blêmes.
Elle fixe les profondeurs. Elle chancelle, une vulgaire poupée de chiffon dans le vent violent.
Au bord de la falaise, elle vacille…
Un pied, d’abord. Le gauche. Qui tâte le vide, puis chute.
Brutalement.
Puis le droit, qui s’enfonce, qui n’a pas le temps si précieux de l’imiter.
Un cri de surprise lui échappe.
Elle n’a pas le temps de détailler la pierre, l’eau tumultueuse se rapproche trop vite.
Chute vertigineuse.
Une seconde après, l’impact de son corps sur les plus bas rochers.
Puis, un choc.
Violent.
L’eau qui déchire.
La roche qui broie.
Le cri étouffé par l’écume.
Et déjà, elle ne se rend plus compte qu’elle ne parvient plus à respirer.
Elle n’est plus.