Silhila Talmen (Félixia)

La porte.

Ni trop grande, ni trop grosse, ni surchargée de dessins sculptés et d'arabesques, non, c'est juste... une porte. En bois sombre et tout simple. Plate. Avec juste une poignée de cuivre nue et un chambranle légèrement stylisé. Mais c'est tout. C'est une porte, quoi. Une porte tout ce qu'il y a de plus simple. Et personne n'a peur d'une porte.

Sauf que derrière cette porte, il y a son avenir. La suite de sa vie sans idéaux ni but. Et elle sait que derrière il y aura trois, comment dire, directeurs, peut-être dessinateurs de haut niveau, ou bien marchombre, ou guerrier, en tout cas de respectables et vénérables professeurs. Et elle tremble un peu, Silhila, en levant ses doigts repliés sur le battant...

Déjà en arrivant à Al-Poll, la magnifiscience du lieu l'avait écrasée, la ravalant au rang d'insecte insignifiant. Elle qui marche toujours le menton haut et fier, là, elle n'en menait pas large, la jeune fille. Elle a fixé ses pieds, et avancé tout droit, de plus en plus vite, pour rentrer dans l'Académie. Elle s'était ensuite arrêté dans le hall, devant le grand miroir, pour observer, impuissante, son reflet qui lui paraissait plus sale et imprésentable que jamais. Elle avait ramené ses cheveux pourpres en une queue de cheval maladroite derrière son crâne, avait épousseté comme elle l'avait pu ses vêtements de cuir brun élimés, s'était adressé à elle-même un clin d'oeil peu convaincu pour finalement pousser un énorme soupir, puis grimper les escaliers qui menaient au bureau de l'inscription...

Et maintenant, ça fait bien cinq minutes qu'elle poireaute, là, devant la porte, son esprit jouant à " j'y-vais-ou-j'y-vais-pas ", la mâchoire qui tremblote et la figure toute pâle...En cette seconde, elle se serrait bien collé une paire de gifles, tiens. Elle déteste son attitude. Mais où est donc passée la grande gueule, la frondeuse qu'elle était d'habitude ? A présent, elle est là, plantée toute raide devant une stupide porte fermée sur un stupide bureau, la main levée devant lae panneau, une pellicule de transpiration lui recouvrant ses paumes serrées, timide et hésitante comme une jeune gamine prépubère...

De quoi avait elle peur au juste ? De se faire rejeter ? Impossible...Même si son apparence la désavantageait, elle était quand même une Frontalière des Marches du Nord...
Oui...
Bien qu'elle n'ait passé moins de huit ans dans cette ville, et encore, dormant dans les caniveaux et sous les ponts...
Bien qu'elle ait vécut de longues années parmi une meute de loups, croyant avoir perdu jusqu'à l'usage de la parole...

* Oh et puis zut. Y'a pas d'avances, ma grande. Tu te lances ou tu prends racine ici. *

Sur cette prise de conscience, elle frappe enfin, doucement, sur la porte, par trois fois...Rejette les épaules en arrière. Respire doucement, comme pour se calmer. Et, drôle de chose, avec l'air qui sort de ses poumons, sa crainte se dissipe...

Valen avait entendu qu'une personne se tenait devant la porte du bureau et attendit qu'elle frappe à la porte avant d'aller lui ouvrir. A peine Silhila avait-elle frappé à a porte que Valen l'ouvrit et s'inclina devant la jeune fille en guise de salut :

- Sois la bienvenue à l'Académie! Car je suppose que tu désires intégrer notre Académie, ai-je tort?

Sans lui laisser le temps de répondre, Valen la fit entrer dans la pièce et la fit s'asseoir en face de lui avant de reprendre la parole sur son habituel ton ironique et joyeux :

- Puis-je te demander de te présenter brièvement et d'expliquer ce qui te motives à vouloir nous rejoindre?

Exactement ce à quoi elle s'attendait...

Un homme parfaitement détendu, à l'aise qui la bombarde de question alors que son coeur peine encore à retrouver un rythme normal. Une poignée de secondes plus tard, elle se retrouve les fesses sur un chaise, avec Monsieur en face d'elle. A coup sûr, elle va répondre n'importe quoi. Balbutier. Se reprendre à trois fois avant d'arriver à proferer une parole.

*** Oh hé ma vieille, secoue-toi un peu tu veux ! Nom mais c'est quoi cette attitude ! Tu n'as jamais baissé le menton devant personne, c'est pas maintenant que ça va commencer ! Surtout pas devant quelqu'un qui va être ton futur prof ! Mais secoue-toi, Sil, nom de dieux !!

T'es marrante toi...Il m'impressione, j'y peux rien. Et regarde-le en plus. Lui il n'a pas des fringues toutes sales ! Lui il a pas l'air d'avoir pris son dernier bain il y a dix jours ! Lui il a pas l'air de s'être lavé les cheveux aux fruits de rougeoyeurs !

Et lui et lui et lui ! Non mais arrête un peu ! T'es une Frontalière ou un plat de nouilles ? Parce que là, excuse moi mais avec ta bouche qui tremblote et tes yeux de veau, on pourrait se poser la question !

Oui mais si je me fais remballer ? Sil il me referme la porte au nez en disant " non merci, on a déjà donné " ? Parce que là, excuse-moi, mais j'ai pas l'air fine ! " Salut, moi c'est Silhila ! Je peux vous rejoindre, oui ? Cool ! Quand est-ce qu'on mange ?"

Oh tu m'énerves. T'en as vu d'autres à la Citadelle, Frontalière.

Frontalière...

Mwwaaiis...ca ira pour aujourd'hui, mais...mais...C'est moi ou il est en train de se payer ma fiole là ? ***

Silhila se redresse d'un coup, ses pommettes hautes, l'éclat assuré de ses yeux retrouvé. Et quand elle prend la parole, elle se surprend même à parler haut et clairement...

- Bien sûr ! Je me nomme Sihila Talmen et je suis une Frontalière des Marches du Nord. Je suis venue ici dans l'espoir d'apprendre à manier le sabre et le coup de pied dans le but de devenir une habile combattante...

*** Ben voilà ! C'était pas si difficile, si ? ***

- Fort bien! Silhila Talmen, je pense que la maison Félixia te conviendra à merveille. Tu recevra dans quelques jours des uniformes de l'Académie à tes mesures et, dans exactement trois jours, tu m'accompagneras pour passer les Trois Défis. Si tu n'as pas de questions, tu peux aller rejoindre tes nouveaux compagnons de Félixia.

Comme toujours, le demi-Faël s'était exprimé sur son ton ironique, mais plaisant, et avait donné ses explications de manière claire et directe. Il fallait bien dire aussi que, maintenant plus que jamais, Valen avait énormément de préoccupations qui requéraient son attention et il n'avait pas vraiment le loisir de faire des digressions inutiles.