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 J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]

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Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

La Borgne
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MessageSujet: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeMer 16 Nov 2011 - 23:47

Ils se séparèrent sur un baisemain, un sourire, et quelques mots d’éclat jetés – oubliés la seconde suivante. Il avait les traits relativement gracieux,  à raison d’un menton fuyant et d’épaules inexistantes, un âge indéterminé comme seuls savent l’avoir les nobles. Habillé comme un paon et beaucoup trop voyant, d’ailleurs, sa veste était coupée trop près, et l’avait gêné pour danser.
Ou alors était-il à l’origine un mauvais danseur ; qui ne dirigeait pas la danse, et laissait sa partenaire dans le flou sans laisser complètement aller les mouvements. Et elle ne dansait suffisamment bien qu’avec la certitude que son cavalier, selon les conventions, dirigeât les pas, les étreintes. Mais dans ce monde, l’apparat suffisait, le pouvoir-dire des lendemains de bal, où l’on s’exprime comme après une chasse au cerf
« Quelle belle danseuse que la jeune demoiselle Dil’Ekart ! et raffinée, avec ça. » « Dire que l’oncle de Lydrie peut encore danser à son âge… ».
Elle n’avait pas retenu son nom, il lui avait demandé le sien, qu’elle avait chassé d’un sourire et d’une invitation à danser. Maintenant, les groupes endimanchés de soieries et de taffetas se reformaient alors que l’orchestre restait muet, et déjà, il fallait prendre sa respiration, et soutenir les regards d’un groupe proche,  ou prêter attention à une question, une remarque lancée à la ronde, une prise à témoins que oui, l’Empereur avait complètement omis de surveiller les frontières sud depuis des années, mais non, ce n’était évidemment pas la cause des  multiplications de bandits sur les routes, voyons, êtes-vous à ce point aveugle, mon ami ? Elle regardait, suivait les échanges, répondait parfois - en restant sur ses gardes, car ces coqs, entre deux cabales amoureuses et un ragot politique, se demandaient sûrement pourquoi ils ne l’avaient jamais croisée à quelque réception ou salon tenu en ville.


**

Cela s’était avéré beaucoup plus minutieux à préparer qu’un assassinat, en réalité, bien plus difficile qu’elle n’avait prévu. Qui, ayant passé sa vie plus que sauvagement et hors des contraintes de la société, qui aurait pu imaginer que la vie des nobles de Gwendalavir pût être aussi rigidement codifiée, et terriblement difficile à ébranler ?
Certainement pas Marlyn. Elle avait été à la périphérie de l’aristocratie pendant des années maintenant, et avait absorbé un grand nombre de connaissances et d’habitudes à force de côtoyer Dolohov Zil’Urain, mais ce n’était pas comparable à ce qu’elle s’apprêtait à faire : concevoir de toutes pièces un dramatis persona, et s’abîmer dedans, pour être des leurs. C’est pourquoi, au cours de ces dernières semaines, elle avait passé son temps à observer, décortiquer, ci une démarche, là une manière de parler, ailleurs les rumeurs qui tournaient dans la haute ces derniers temps. Avec une précision chirurgicale, elle avait tenté de reproduire ces attitudes et de les faire coïncider avec ce qu’elle savait pouvoir incarner. La danse particulièrement avait nécessité beaucoup d’attention, car si la Mentaï maitrisait parfaitement  la danse macabre, la jeune femme avait eu besoin de réapprendre les pas des danses dites « civilisées » ; en avait d’ailleurs tiré un certain plaisir.

Et pendant ce temps, il fallait insuffler ses propres rumeurs, dans des salons peu cotés et parmi les petits nobles, suggérer son existence, l’apparition d’un nouveau visage dans les bals, sans que ça soit surprenant, ou dangereux. C’était d’ailleurs les seules occasions pour lesquelles Marlyn eut recours au Dessin, car elle avait fait le choix douloureux de taire son Don depuis qu’elle était revenue de Fériane, amenuiser sa présence dans les Spires au maximum, afin de n’être pas, ou peu, joignable. Quand bien même ce silence n’était pas particulièrement difficile à maintenir avec le noble Mentaï, car celui-ci n’avait pas beaucoup cherché à se manifester non plus, pris qu’il était, avait-elle entendu, par son mariage, et par ses conséquences. Qu’à cela ne tienne.

Le soir où devait avoir lieu ce Bal où elle était sûr de le trouver présent, et lui seulement, elle était prête. Sareyn finit de tresser une de ses mèches d’ébène et l’incorpora dans son chignon d’apparence volontairement négligée, qui laissait échapper ses cheveux piquetés de perles en cascade sur son épaule dénudée. Tout cela était terriblement nouveau pour elle, et de facto, extrêmement perturbant. Le seul maquillage qu’elle s’était autorisée, c’était un peu de poudre pour estomper au possible la cicatrice qui lui mordait toujours la joue et l’œil, et qu’elle espérait faire oublier au monde sous une ou deux mèches tombantes.
Le choix de la robe avait été particulièrement ardu, car ses instincts primaires étaient révulsés à l’idée même de porter une robe, quand bien même elle ne comportait pas toutes les mousselines et les dentelles qui faisaient l’apanage de la noblesse. Elle avait opté pour une robe longue, fendue, dans une soie aux différentes teintes de rouge, et qui n’entraverait pas ses mouvements tout en lui conférant une certaine élégance « indomptée », si on en croyait les basses-messes d’un domestique qui passait par là. Un corset noir que caressaient d’autres drapés la maintenait droite. Et par mesure de précaution autant que par pur orgueil personnel de renégat vulgaire de bas trottoir, elle avait refusé tout ce qui comportait des talons, au profit de sandales.

Etait-ce coquetterie, ou pure connaissance de ce qu’elle savait la mettre en valeur, et plaire au regard du Mentaï héritier des Zil’Urain ? Elle avait ceint ses hanches d’un fine ceinture de médailles et de perles en or et en argent, et ses bras de bracelets, toujours de métal brut, qui tintaient et tombaient sur ses poignets à chacun de ses mouvements.

Quand elle se regarda dans la psyché, Marlyn eut beaucoup de mal à se reconnaître. Mais c’était le but. Elle ne pourrait pas dissimuler à qui la regardait de près qu’elle était borgne, mais après tout, ces anomalies n’étaient pas rares en Gwendalavir, et les handicaps de naissance touchaient aussi bien les gueux que les bien-nés. C’était à elle se bien jouer son rôle.


**


Elle avait été tout naturellement entrainée vers les cénacles de jeunes filles-femmes parmi les plus bruyantes, les plus avides de complots et de nouvelles rivales avec lesquelles disputer un prétendant. Marlyn se savait outsider, et en jouait, misant sur la carte du mystère et de la taquinerie ; fausses confidences auprès de ceux qui l’abordaient, silence ostensible quand on lui demandait quelle famille l’avait introduite, regard biaisé et amusé lorsque ces jeunes demoiselles de cour voulaient deviner ses origines.
Elle leur racontait ensuite cette histoire avec une famille noble peu connue, des grands propriétaires terriens qui se tenaient à l’écart de la cour, une famille assez taciturne et protectionniste – les Til’ Lisan. Certaines s’exclamaient alors de surprise, car le nom était connu, un peu oublié, pas très intéressant – mais il existait dans les registres de la noblesse. Et qu’elle soit une des filles d’un second mariage, arrivée à Al-Jeit par la grâce d’un détracteur de la famille, tenait pour plausible, car peu de gens se tenaient au courant de la généalogie précise des propriétaires terriens provinciaux comme les Til’Lisan.
Et cela suffisait pour attiser leur orgueil de ragotières  – sûr qu’elles se chargeraient pour Marlyn de répandre la rumeur de son identité à travers toute la salle de Bal. Quant à l’œil qui lui manquait, incliner la tête et émettre des sentences mystérieuses pour attiser leur convoitise et leur impatience suffisait. Tout se jouait sur la balance entre les confidences et les mystères retenus par jeu, par volonté de montrer qu’elles devraient l’accepter complètement et l’instruire des tenants du Bal avant de leur révéler ce si grand secret.

- … Et le sieur Zil’Urain, là-bas, n’est-ce donc pas lui dont vous vous faisiez un projet de le courtiser, ma chère Fanye ? Et dire qu’il est depuis marié, quel regret, je le lisais dans vos…


A l’entente de ce nom, Marlyn lança son regard dans la direction que le bras gras de la dénommée Kara avait vaguement montré. Elle finit par repérer son amant au milieu d’autres cols de brocards, et n’écouta plus que d’une oreille les palabres aigus de Fanye, Kara et ces autres petites gourgandines sans intérêt : la véritable raison de son apparition à ce Bal était enfin à sa portée. Il ne fut pas difficile de se passer d’un groupe à un autre, et de faire mine de s’intéresser au buffet pour suivre du regard le Mentaï reflété dans les grands miroirs de la salle.

Et le regard gris qu’elle croisa fugacement dans le miroir, à travers de la foule, alors qu’il observait son dos, laissé nu à contempler par le corset qui s’arrêtait bien en dessous des omoplates. Il l’avait vue. Depuis quand, difficile à dire. Reconnue, elle ne croyait pas, pas encore.

Un jeune noble au col trop haut lui demanda de nouveau son nom, profitant de ce qu’elle était seule au buffet, ce qui la contraignit à remettre son observation à plus tard. Ostensiblement, il voulait l’inviter à danser – elle pouvait même dire à quel endroit de la salle se trouvaient ses connaissances qui attendaient de voir s’il l’abordait, et comment elle allait lui répondre. Les nobles étaient décidément bien superficiels, véniels, pour la plupart, pensa-t-elle.
Il lui proposa son bras un peu trop rapidement, et elle l’accepta, non pour lui, mais car elle savait pertinemment que sur la piste de danse, elle serait vue. Au bras d’un autre homme pour la seconde fois, de surcroît. C’était tout ce qu’il lui fallait, et que sa robe soit commentée par nombre jeunes gens alentour. Marlyn ne pouvait pas nier qu’intérieurement, cette découverte d’un monde crevé sous les superficialités l’amusait au plus au point, et lui tirait de nombreux commentaires cyniques. Alors c’était ça, « son » univers ; pas étonnant qu’il en soit le maître, et qu’il aime y resplendir. C’était vaniteusement satisfaisant, toute cette cour policée.


Regarde-moi, je danse près de toi. Me reconnais-tu ?
Mais déjà, à l’autre bout du hall, et au bras de ce fat, je repars, et la danse se termine, et les conversations reprennent.
Chasse-moi, sieur Zil’Urain.


Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeDim 20 Nov 2011 - 12:40

Le statut d'Homme marié agaçait infiniment plus Dolohov que la récente intimité avec son épouse, qui somme toute ne le bouleversait pas d'avantage que la vie commune avec Marlyn. Moins, sans doute, même, Ailil aimait son intimité, son espace, et cela les arrangeait tous les deux.
Le quotidien du noble n'en était pas moins fortement perturbé- en quarantaine- isolé et observé de tous. Ces derniers temps, des masses d'espions de tous poils s'amusaient à l'observer, dans l'Imagination, dans la vie de tous les jours; il voulait croire, quelque fois, qu'ils étaient plus nombreux dans son imagination que dans les faits. Mais. Sans doute était-il trop vieux pour être naïf.
Les mentaïs le guettaient, guettaient sa femme; il avait dû commettre un impair, se vendre, au moment où son amour de l'Ombre était venue en ville, auprès de lui. Quelqu'un avait su, vendu l'information, et sa vie ne tenait qu'aux fils des conversations.
Il attaquait en premier ceux qui se montraient trop confiants, signait de sourires amples les preuves de son pouvoir- et montrait patte blanche, en tendant aux jeunes femmes ses mains gantées.

Il ceignait les hanches d'Ailil, dès que possible, se présentait dans les galas de charité qu'elle organisait, paternaliste et pourtant impliqué, il n'hésitait pas à militer sa cause auprès d'amis, en adoptant un air doux, qu'ils ne lui connaissaient pas. Et les questions revenaient en cercle: « Ainsi, vous voilà devenu un homme bien, cher ami? » « Et, vous, Dolohov, quand vous voyez ces petits anges qui entourent votre épouse, n'envisagez-vous pas d'en avoir à vous? »

Et cette dernière question le troublait presque autant que les rivalités du chaos.
Peut-être à cause de l'ange, de son silence, ou de son inconfortable sentiment à tous les endroits possible, peut-être parce qu'il craignait qu'on ait compris ou retrouvé celle-ci, qu'on l'ait enfin réduite au silence ou en cendre?

Le monde se peuplait de silence. Sareyn et son esprit refusaient de communiquer, il n'en ressentait plus aucun contact, et n'osait en chercher: trop d'enjeux et d'appréhension à l'idée que, réellement, sa petite survivante ait pu décéder loin de lui et de ses soins. Elle était tellement inconsidérée. Et il courrait, parmi les femmes, des récits terribles sur l'enfantement. Trop de femmes mourraient en donnant la vie. Quelque chose en lui refusait de s'attarder sur la possibilité que ce soit vrai.
Alors, il se concentrait sur sa vie publique, centrait sur son épouse ses plus frivoles attentions, et guettait, derrière les boucles infiniment soyeuses de ses cheveux, les regards de ceux qui observaient.

*

Il était sorti, ce soir-là, plus par besoin que par envie. Échapper un peu à ce que devenait son quotidien, « faire comme tous le monde ». Réapparaître en solitaire en société lui procurait un plaisir au-delà des mots, et parallèlement une sensation inconfortable au possible.
Devenir époux ne l'avait pas enlaidi, au contraire, s'il en croyait les regards qu'il attirait encore. Mais ce n'était pas les mêmes.

Les plus jeunes filles lui lançaient quelque fois des œillades timides, mais dépourvue de cette crainte qu'il chérissait, célibataire. Sans doute semblait-il moins dangereux, moins désireux de corrompre leur personne. Moins loup, mais plus esthétique, plus propre aux fantasmes, aux rougeurs de joues, aux séductions timides et inavouées.
Les femmes faites caressaient son profil avec une forme de nostalgie.
Dienne et sa fille l'avaient croisé en début de soirée, la première affectant entre eux une amitié sincère, l'autre une colère dans l'attitude qui l'accusait.
Sa vieille maîtresse n'aurait jamais osé lui adresser plus qu'un mot commun, auparavant, ni afficher dans son sourire timide cette pointe de désespoir: T'a-t-on piégé, toi aussi, mon doux ami?


Il ne savait que penser de l'attitude de la petite demoiselle.


-Tu es en colère parce que je ne suis plus venu jouer avec toi depuis longtemps?

Elle avait gardé un silence buté, en détournant les yeux sur sa mère.
Lui, observant son profil de souris, les grands yeux très sombres, et les mèches châtains de son chignon de dame minuscule s'était demandé: aurais-je quelque part une fille qui te ressemble, se pourrait-il que tu sois de moi, pour que je semble te manquer à ce point?

Alors, son amie s'était montrée volubile, puis, il en était venue d'autres. « Pourquoi n'avoir pas amené Madame votre jeune épouse? » avait osé demandé une rombière, qui avait l'air de ne pas y toucher. Il avait souri, prétextant qu'elle avait besoin de repos- et s'en était suivi un silence de connivence, qu'il avait partagé l'air de rien. Rien à confirmer, des comptes à rendre à personne.

Même le regard des hommes avait changé. Il n'y avait plus autour de sa personne cet empressement de nobliaux fougueux, ou les quelques œillades de vieux garçons qui en aimaient d'autres. Moins de regards méfiants, venus d'homme mariés possessifs, qui entouraient les épaules de leurs douces.
L'alliance semblait donc lui donner des airs d'agneau. Il en riait doucement, en pinçant les lèvres, et songeait aux égards qu'il gagnait toutes fois. « Tu vieillis, très cher », disait le reflet du miroir qu'il fuyait. Il se sentait d'humeur à chasser, à reprendre des risques, à tâcher ses doigts de soie. Mais rien dans la foule ne parvenait à le distraire -même les rythmes, alanguis et bavards, mondains, le laissaient de glace.
Chez lui, Ailil allait parfois faire pleurer le violon, et ses mains d'artiste, alors, parlaient d'un amour métaphysique, à lui inaccessible, qui lui donnait l'impression d'éternité.

Dolohov aimait la passion, et une forme d'atrocité, sans doute. « Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts! » Il aimait chercher dans la foule des plaies déjà ouvertes, et s'y engouffrer, comme le poison d'un aspic, il aimait le pouvoir, à conquérir toujours. Et la beauté, bien sûr, des mots et des chutes, des lèvres pleines, et des reins. Il pensait à Marlyn, et ses cicatrices monstrueuses, sa manière improbable d'allumer en lui des brasiers, même dans les pires situations. Sa manière de le prendre au dépourvu.

Puis, quelque chose. Un nom, que quelqu'un prononçait, comme on parlait de chère fraiche, qui attira son attention. Qu'était-ce? Il ne pouvait le re-demander, bien sûr. Mais tendre l'oreille...
Lisan.
Pourquoi ce nom avait-il en lui un échos?

Il invita une grande rousse âgée à danser, protocolairement, pour diversifier ses angles de vues sur la salle. Le parfum de lis de sa cavalière lui tournait la tête; ils conversaient au fil de la musique, son accent à elle était angle, butait sur certains mots. Mais pas d'inconnue somptueuse à l'horizon. Déçu, l'homme regagna sa place, à l'angle opposé au buffet, là où le sol, légèrement surélevé laissait voir les danseurs tourbillonner, les corolles des robes amples et rigides. Quelques unes dansaient en rouge, celles à marier vite, sans doute.


Peu après, alors que ses yeux surplombaient la foule, un éclat d'argent attira son attention. A une taille si étroite, aux hanches si anguleuses... ! Il remonta le long du dos, que le corsage laissait apercevoir avantageusement. Les os pointus saillaient, sous la peau ambrée; qu'une dentelle noire et alambiquée recouvrait aux vertèbres- à cette distance, il n'aurait su voir l'exact motif, mais l'envie l'en dévora instantanément.
Il croisa son regard, dans un miroir tout entouré de cuivre- comme si l'argent se teinte autour d'elle d'un halo de sang, et manqua de s'étrangler, en rencontrant son regard. Qu'elle lui rendit, une fraction de seconde, mais ce fut suffisant.
Il déglutit, battit des cils, incapable de quoique soit d'autre en cette seconde.
C'était elle, Til' Lisan. C'était dans sa tête, la main gracile de sa maitresse qui signait Til' Asnil. Et son bleu regard qui dansait dans son orbite, entre les milles autres yeux, pour les capter tous.
Et les dentelles....

Dolohov acheva son verre, avant d'oser la rechercher dans la foule. C'était impossible; il avait laissé dans sa demeure annexe une jeune femme brisée de corps, que l'enfant rendait folle d'amertume et de douleurs.
Il avait laissé un dos qui quémandait sans cesse le passage de ses paumes pour s'apaiser, et sa peau... il se souvenait du grain incroyable, et si rarement purs- tant les tatouages s'entassaient sur lui. Tous, fouillis illisibles, mélanges de tortures, de secrets et de souvenirs, tous, cicatrices.

Comment, alors, pouvait-il voir dans cette femme qui dansait, droite, souple, lascive et élégante, svelte comme l'adolescente des pleines, et...?
Et avec cette robe, inconnue, taillée de soie qu'il jugeait sauvage, ces reflets, ces argents qui l'enlaçaient, saccadaient sa marche de milles clochettes imaginaires?

Un jeune homme vint à elle, il détourna les yeux, incapable d'y croire, s'obligea à boire de l'eau. Une voisine le rappela à la conversation, le rayant gentiment.
Mais ses yeux revinrent aux danseurs, bien plus vite qu'il ne l'aurait cru. Et il la retrouva, instinctivement.
Elle dansait aux bras d'un autre, au visage anguleux, et au sourire de requin; les yeux bleus sauvages. Jeune. Sa robe dessinait autours de ses jambes des spectres cinabres, illusions de mille bras qui se jetaient sur elle- la main de l'autre, qui menaçait de tomber plus bas que la taille, fit à Dolohov l'effet d'une injure terrible.

Ils tournoyèrent, et face à lui, il vit sur son visage cette expression satisfaite, orgueilleuse. Cette expression qui appelait le mentaï à se jeter à ses lèvres, et lui rappelait la gamine qui toisait tous les membres de l'Académie; même la démarche était plus féline que celle d'un fauve, et si... noble.
Ses entrailles se nouèrent confusément.
Là où le mentaï se heurtait à une indicible colère, le noble s'effarait de la voir si gracieuse, si normale, dans la foule. Dolohov voyait le masque s'effriter par instant, au coin des lèvres naturellement rougies.
Un mouvement osé de son cavalier lui fit découvrir la fente de la robe, voir d'aussi loin la jambe de son amante, progressivement dénudée, impudique à l'extrême, acheva de lui nouer la gorge.
Un frisson lui secoua l'échine, lorsque les musiciens mirent fin à son calvaire. Le cavalier salua, et Marlyn s'échappa vers le buffet, plus vive qu'un feu follet.

Mais pas loin. Un autre attrapa sa main au vol, lui offrant une autre danse, l'air affable, et l'oeil brillant.

« Et bien, on dirait que vous venez de voir un spectre! Ou bien, seriez-vous hanté par vos vieux démons? »

-Le démon de la danse, seulement, Dienne. M'accorderiez-vous celle-ci?

Elle haussa un sourcil, plus surprise que flattée, un peu anxieuse, peut-être, de voir leur vieux secret percé, si longtemps après le forfait.
Mais Dolohov n'avait que faire de son consentement. Il voulait s'approcher, tenir à porter de poignard ce chien fou au bras de celle qu'il prenait pour sienne. Il tint sa danseuse fermement, volontairement aux limites de la bienséance, ce qu'elle lui fit remarquer avec un brin de hauteur.
Il la faisait rire.
Et le noble fut définitivement sûr de sa personne, en entendant chanter ce rire, qui ne sonnait aussi juste que pour lui. Dans ces moments qui n'appartenaient qu'à eux. Il le croyait.

Une tonne d'accusations lui hantèrent la tête, elle se comportait n'importe comment. Il fut près de la penser sorcière, tant ses charmes étaient surnaturels. Où as-tu caché tes cicatrices, Traitresses, qu'as-tu fait de notre histoire?
Et sa jambe apparaissait, au hasard des pas, insolente.
Il détourna la tête, son orgueil de mâle plus hérissé encore que si le cuistre s'était approché de son épouse. Que faisait-elle là?
Il refusait davantage de regards dérobés- de peur de déshabiller tout à fait l'ange des brumes. De peur de l'assassiner proprement. De se trahir tout à fait.

Ils saluèrent, lui remerciant Dienne d'un baise main qui acheva de la mettre mal à l'aise. Une demoiselle bien plus jeune lui succéda, à la robe mauve trop près du corps. Beauté quelconque, mais volonté tenace, s'il en croyait l'incarnat profond de son sourire, et les yeux poudrés d'un noir outrancier.
Il rit des plaisanteries qu'elle faisait à son oreille, avec aisance. Il aimait mentir, et était là pour cela. Il maintenait les distances aux limites, là aussi, limite que sa cavalière voulait rendre nulles, il le sentait. Elle murmura s'appeler Fanye, cela importait peu.
Les jambes de Marlyn apparaissaient dans les voiles, au hasard de ses pensées, puis la cambrure affolante de son dos. Profitant d'un pas plus compliqué, la jeune femme qui lui servait de faire valoir colla ses hanches au sienne; il la vit rosir comme sous un délicat compliment. Il l'écarta fermement, pas mal à l'aise pour un sou. Son contact lui refroidissait et le corps et l'esprit.
Et bien, soit, dansons.

Retournant près du bar, et la voyant rejoindre un groupe de jeune fille, il réalisa qu'il avait la chair de poule. Un vieil ami, lui aussi jeune marié vint le voir, un grand sourire aux lèvres.
« Quelle tristesse de voir tant de fleurs sans pouvoir en flairer aucune... Mais tu ne vois pas de quoi je parle, n'est-ce pas, amoureux comme tu es? »

Il répondit quelque chose, de trop anodin pour être noté. Jeu de dupe, l'autre ne dut pas le comprendre, ou très bien feindre.
« J'ai dansé avec cette Til'Lisan. Elle fera parler d'elle, crois-m'en. Elle serait parfaite pour moi. J'aime le tape à l'oeil ».
Dolohov failli rétorquer qu'il pourrait toujours le rendre borgne, si elle lui tapait à ce point dans l'oeil, mais dû se retenir; et son interlocuteur d'ajouter, dans une conclusion de traitre
« Il fut un temps, nous aurions joué toi et moi à lui plaire. Il joue, ce gamin-là, et il gagne peut-être. »


-Celle qui les éclipse toute est mienne, répondit Dolohov, avec un calme martial.

Il commanda deux verres, d'un ton guidé et raide, qu'il n'avait guère à feindre, puis s'avança, armé de liqueurs, vers le groupe d' oiselles vers lequel Sareyn s'était rabattue. Fanye, avait-elle dit? Elle prendrait sans doute un verre, après une si charmante danse. Avec un peu de chance, il serait présenté à cette demoiselle, au chignon évoquant les draps de lits défaits.


[... I love you j'espère que tu aimeras autant que j'ai aimé l'écrire. ]

Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

La Borgne
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeVen 9 Déc 2011 - 1:55

Un sourire fleurit le long de ses lèvres, corolles cinabres – sanguines.

Et le rire d’éclabousser ses dents, clair et transparent, qui fait écho à la danse et fait sourire son cavalier, flatté d’un orgueil de paon au bras duquel une perruche semble chanter. Qu’il s’y laisse tromper, et ne voit dans sa voix qu’un trophée, qu’il n’entende pas les fracas assassins et sardoniques qui parsèment ma victoire, et qu’extatique, il me faut exprimer de ce corps-refuge nouveau.
Qu’il oublie que je rie de lui et d’eux, tous enchâssés de dentelles et de pudibonderies, qui n’ont jamais vu le sang que dans leur assiette de venaisons, et la mort que dans les râles indécents de leurs maîtresses.

Qu’il oublie, lui son cavalier qui prétendait la courtiser de ses mains volages, qu’elle riait d’avoir couvert sa roture sous les bracelets et les cicatrices sous la poudre.

Deux yeux sentinelles, gris d’indifférence apparente, suivaient son rire comme en écho, et, elle voulait le croire, s’accrochaient à elle autant que les mille yeux avides des jouvenceaux.
La mascarade allait trop vite pour qu’elle pût s’y attarder, et contempler à son tour les atours de Dolohov Zil’ Urain ; déjà une autre volée de doigts lui saisissait le poignet, oh sans violence et avec la galanterie corsetée de la noblesse d’Al-Jeit, mais ces griffes qui s’étaient abattues sur elle sitôt libérée des entraves d’un autre ne lui évoquaient qu’une seule chose : oiseau de proie.

C’était bien des serres qui l’invitaient à danser de nouveau, des yeux de faucon qui passaient d’elle à l’ancien cavalier et nouveau rival, une voix de rapace qui l’enserrait dans ses politesses et la conduisait de nouveau sur la piste de danse.

Et demoiselle Til’ Lisan, fraichement arrivée à la cour d’Al-Jeit, sans attaches et « provinciale », n’irait jamais refuser le bras de quelconque homme, sitôt qu’il fut intéressé à elle, son parti, la dot fantasmée que faisait miroiter sa beauté et ses bracelets.
Soit, mon beau fat, emmène-moi danser.
C’est par-dessus son épaule cousue d’arabesques qu’elle regarderait, car le sieur Zil’ Urain avait rejoint le dancefloor les danseurs au bras d’une dame de cour qu’elle ne connaissait pas, et à qui, malgré tout, il semblait porter un certain intérêt. Marlyn s’obligea à reporter son bleu regard sur son autre cavalier : il avait les yeux pâles et pleins de morgue, où luisait la concupiscence, il devait s’imaginer en elle une proie facile, rapidement effarouchée par cette cour étrangère, et pliable au moindre compliment qu’il avait l’audace de lui souffler dans l’oreille, ou aux moindres caresses que sa main voulait faire glisser le long de sa robe ?

Ce monde d’orgueil et de cristal était-il à ce point abîmé dans la luxure ?

Entre les étoffes, elle entrevit Fanye, cette petite jacasse à la robe lila, qui avait fini par mettre ses minauderies à exécution, et dont la main reposait sur celle, gantée, de son maître.
Etait-ce un sourire derrière l’or de ses cheveux, une attention qu’il semblait lui porter, où s’arrêtait le masque ?
Ici roi dans ce royaume de soie, il lui appartenait de fixer les lois, et les règles du jeu différaient de tout ce qu’elle connaissait. Ce Dolohov Zil’ Urain là, elle ne le connaissait pas, ni ne savait distinguer de ses extravagances les messages et les vérités.
Mais rien ne saurait tromper l’acier de son regard qu’elle sentait couler, maintes fois, sur le feu des pans de sa robes, et se noyer dans les perles qui, iridescentes, faisaient miroiter sa chevelure sombre. S’il était l’aigle royal dans cette fauconnerie, elle savait que tôt ou tard, il finirait par fondre sur elle : sa proie.

S’armer de patiences et de délicatesses s’avérerait le plus ardu. Comme l’était la perspective de s’en retourner dans le groupe des oiselles criailleuses, et d’apprendre, comme elles, à présenter beau plumage à la parade. Kara se fit un devoir de l’entretenir des histoires courant sur les cavaliers récemment partagés, et les intrigues courtisanes qui semblaient régler la vie des nobles mieux qu’un métronome.
Fanye revenait les joues roses et la langue volubile, et leur déversait ses avanies ; elle la surprit d’ailleurs à mentir ; le Mentaï ne pouvait avoir cherché consciemment à courtiser cette demoiselle, à lui suggérer des aventures haletantes, n’est-ce pas ?
Un regard furtif en direction des buffets, où reposait après la danse la plupart des nobles de la réception, sirotant jus ou dégustant fruits exotiques.
Aucune réponse ni aucune vérité ne se lisait dans l’apparence et les gestes de son amant.

- Mais vous, chère demoiselle Til’ Lisan, vous êtes bien mince par rapport à nous, messire votre père a-t-il donc dilapidé sa fortune si fait que vous n’eussiez pas de quoi garnir votre table comme l’exigeraient les convenances ?

Son œil d’océan se reporta, par delà les miroirs et les glaces piquetées de rouille, sur le cercle de ses proches, que la conversation avait apparemment amenée sur la jolie blancheur des bras de Jossea et la rondeur enfantine des joues de Kara. Le plus grand risque qu’elle courait serait si les regards se faisaient trop scrutateurs et non plus observateurs, concupiscents ; qu’on la reconnaisse, que les questions deviennent, par détours de langage qu’elle ne saurait saisir à temps, insidieuses et traitres.

Derrière ce masque d’une jeune femme observatrice, trop encore étrangère pour être bavarde, et provoquant de nombreux mystères quant à son apparence, la Mentaï calculait.
Réajuster son reflet pour qu’il coïncide avec les questions, et n’en soulève pas d’autres. Elle était plus grande que la plupart des jouvencelles, et trop fine pour les canons, trop athlétique, ses tatouages faisaient parler par leur ésotérisme, et son œil, que dire de son œil, manquant ?

- Je crains que le Seigneur mon père ait toujours été un piètre gérant de ses terres, au détriment de ses filles.

Il n’était plus difficile, dès lors, d’insérer comme une orfèvrerie le bonheur que lui inspirait son arrivée dans cette brillante capitale, loin de ces rotures, oh, et que dire des révoltes de ces ignobles paysans dans leur domaine, qu’ils disaient crever la faim, et comptaient chasser à coups de fourche sa famille.
Une histoire très probable, à la vérité, quel grand propriétaire alavirien n’avait jamais connu de jacquerie ?
Elle leur sourit ;
Dut se faire violence pour conserver des traits unis, indifférents, insensibles, lorsqu’approcha d’un pas régalien Dolohov, la main nantie de deux coupes et de mille charmes, qui pria Fanye de lui faire l’honneur de sa discussion, après si belle danse. Qu’il fût ainsi propulsé si proche, sans qu’elle y prît garde, sans que le monde n’en soit bouleversé, était-ce seulement possible ?
Tiens bon, masque. Tiens bon, et tais tes Spires, dardées –hérissées- quand retentit le gloussement de Fanye, cristallin et tranchant comme tel.

- Et vous ne nous avez toujours pas conté, chère amie, quel malheur vous a saisi, quant à votre visage ?

Le ton de Jossea se faisait pressant, se croyait-elle déjà confidente, maintenant que Fanye s’était octroyée l’attention de l’homme qu’elle avait comme objet vain de conquérir ?
Mais sans avoir pu, au détour d’une voix feutrée et d’un air de mystère, pu asseoir son influence naissante sur les oiselles, une main gantée de gris passa devant son regard, une voix posée s’intercala entre elles, que dévoilait l’homme qui, elle était certaine, discutait avec Dolohov Zil’ Urain quelques minutes seulement auparavant. Un bel air, assurément, dans son manteau vert souligné de fils d’or, et un sourire que des années de cour avaient poli, parfait, fossilisé. Elle se souvint alors avoir dansé avec, à peine arrivée dans cette grande réception.
Il s’en souvenait apparemment mieux qu’elle encore.

- N’avez-vous donc pas assez du propre malheur de vos joues molles, ma chère Jossea, que vous souhaitiez vous enquérir de celui du monde entier ? Sachez, demoiselle Til’ Lisan, qu’il n’est besoin que d’un saphir pour embellir une parure, quand deux la surchargeraient et la rendraient quelconque.

Il lui fallait admettre, qu’il eut été difficile de mieux placer un compliment ; la Mentaï le catégorisa dangereux et terriblement retors, aux milles tournures poétiques comme autant de rêts à éviter. Seulement commençait-elle à entrevoir l’esquisse des confrontations qui se dessinaient dans leur cercle restreint de danseurs ; et Fanye tourna à ce moment-là son minois maquillé vers elle, qui tenait entre ses doigts gantés de filet le verre offert par l’hériter des Zil’ Urain, et affichait un air si satisfait que l’envie lui tordit un instant les doigts de lui écraser dans la gorge.
Tiens, masque, à tout prix : c’est non seulement ta vie que tu mets en jeu, mais des enjeux bien plus importants pour le Mentaï, elle présente.
Sa voix farinée lui parvint qu’elle se força à écouter d’un air affable, tandis que l’épaule du noble aux brocards de forêt frôlait la sienne, comme négligemment :

- Suis-je sotte, je voulais tout juste vous introduire à messire Zil’ Urain, mais je viens de me rappeler que vous ne nous aviez point encore dit votre prénom jusqu’à présent.

La dernière pièce allait se mettre en place.
La jeune femme ne put s’empêcher d’y entendre des échos de sang et de bataille : un cercle rehaussé de soieries et de perles, et des confrontations en puissance, le noble aux brocards verts défiait l’aigle royal qu’était son amant, et autour, les vautours attendaient l’opportunité de fondre, à leur tour, de ravir qui, une oiselle, qui une autre.
Et elle-même, la véritable proie de ce cénacle, si elle en jugeait par les regards qui s’échangeaient, et les mains qui se plaçaient, sur les verres, derrière les éventails, sur les épaules.
Stasis.
C’était à elle que revenait le coup suivant.

Avec toute la grâce qu’elle y put mettre, la jeune femme s’inclina brièvement devant le « messire Zil’ Urain », dans un chuintement imperceptible de soie et les tintements des bracelets qui lui mordaient les poignets.
C’est à toi que je m’adresse maintenant, et ce n’est pas Fanye que tu écoutais, depuis le début :

- Sareyn, messire. Sareyn Til’ Lisan.

L’océan se noya dans l’acier : je te défie seulement de flancher, mon seigneur au masque d’or inébranlable.
Tu me demandes mon nom et je te le donne ; tu es le seul à le connaître par avance. Et les autres personnes à l’avoir connu nourrissaient les vers ou des espoirs crevés à l’autre bout de Gwendalavir à l’Académie si proche d’Al-Poll.
Qu’en sait le monde ?
Qu’en savait-elle elle-même ? Ce nom qu’elle se targuait de posséder par pure manie, sans qu’elle n’en possède la preuve véritable ni l’envie de la découvrir. Son vrai prénom aux yeux de la société, celui donné par celle qui l’avait enfanté, elle ne l’avait jamais entendu ni ne le considérait. Que ce nom murmuré uniquement pour l’oreille de son amant devienne son panache, et aussi secret qu’auparavant, seulement nimbé d’artifices.

- Aurais-je le plaisir d’apprendre le vôtre, sieur Zil' Urain ?

Redonne-moi ton nom, maître, et la partie sera tienne.



Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeLun 12 Déc 2011 - 0:49

« Jouerions-nous? », l'interrompit son ami, en retenant son bras.
L'alcool oscilla doucement dans le verre, à peine un frisson. Dolohov rendit son regard, la moue inexpressive; même pas agacée.
L'autre inclina du chef, sur le côté, en un bref mouvement d'approbation, un sourire taquin étirant son sourire délicat.

Ce n'était rien d'autre que cela – disaient leurs prunelles, qui brillaient doucement. Mais un jeu dangereux, où le moindre pas de travers peut vous coûter titre, rentes ou vertèbres. Qui ferait affaire avec un mauvais joueur? Qui payerait le prix d'une dot, quand il peut avoir la fille offerte? Qui chercherait les bornes du masques, sinon ceux qui se drapaient, aussi loin que possible de leurs horrifiants personnages de scène?

Dolohov s'avança, tendit à la jeune fille une coupe, d'un air convenu. Ses yeux à elle étincelèrent aussi, et d'un désir tout autre, de fleur pâle. Elle minauda, avant de prendre le verre, il la vit chercher des yeux le chaperon qui devait veiller sur elle; se rassurer de ne point le trouver, accepta le verre, docilement. Et l'Homme de fléchir son sourire de nécessaires accents de douceurs.

Son oreille se flattait des accents de la voix de sa maîtresse, lancinants et traitres comme ses courbes sous la robe. Marlyn avait cette manière d'esquisser son ignorance d'Al-Jeit, elle en parlait comme d'une fleur sauvage, toute à l'esthétique des pâles dessins et des rues improbable que des tordeurs de possibles imaginaient encore. Il lui sembla, l'espace du silence effarouché de Fanye, que même le son de la voix de sa maîtresse n'était pas tout à fait semblable; et cela amenait ses lèvres à s'étirer davantage, par jeu, naturellement. Bien sûr, ce n'était pas vraiment contrôlé. Mais elle était un peu moins rauque, moins fêlée que dans son souvenir.

Sa cavalière trempa ses lèvres dans le breuvage, après qu'ils aient entre-choqués leurs coupes. Elle eut un de ses gloussements de petites filles quand une autre des demoiselle osa poser la question que, fatalement, il fallait s'attendre à voir posée.
Il tourna vers le groupe davantage que son profil, ses prunelles échouée sur une petite rousse toute en gorge qui lui faisait exactement face. Si elle avait parlé, dansé ou dit son nom, il n'en avait plus aucun souvenir. Mais elle servait de prétexte, on ne lui demandait pas d'avantage que d'être un substitut où poser les yeux, vaguement condescendants.

Alors Makel vint- Dolohov devait reconnaître au complice une entrée des plus réussie; et tapageuse, comme il les aimait. Il avait adopté, lui aussi, le port des gants; les siens étaient gris. Elancé, les cheveux châtains, lisses, et portés presque courts; comme pour souligner les cernes bleues d'opiomane qu'il avait sous les yeux. Tout le groupe, en un instant, n'eut d'yeux que pour lui; la demoiselle, mouchée, lui lançait d'obliques fureurs, l'Ange, plus surprise que mièvre, et un peu touchée, sans doute, et lui-même; comme à un adversaire de taille.

Puis il eut ce sourire, qui lui avait si souvent accordé la victoire, quand leurs prunelles se croisèrent. « Et peut-être même qu'il gagne », répétaient les pupilles dilatées, tout au plaisir du jeu.
« Allons, mon vieil ami », disaient-elles, « nous aurons l'éternité de la tombe pour être fidèles, que nous chaut? L'ennui ne sied qu'aux barbons. Qu'importe, si ces gamines sont les filles d'amies de Madame, la mère de ma femme. Qu'importe; pourvu qu'on ne s'ennuie! »
Le sang du mentaï, glacé dans ses veines, jaugeait la légèrté de l'adversaire; quand les prunelles du nobles étincelaient. Il n'y a pas d'adversaires, que moi, qui l'ai déjà gagnée.

Fanye osa poser sa main sur son poignet, pour l'introduire aux jeunes femmes du groupe- à commencer par l'intruse, le point d'exclamation. Mais c'est elle que ses yeux dévorèrent, à qui il prêtait toute son attention.
Etaient-elles dupes, les petites fleurs?
Et sa protégée, elle-même, avait-elle conscience de ce qui se tramait à l'ombre de ses pas?
Il posa sur elle ses prunelles obsidienne, comme négligemment. Tout à son loisir de détailler les pierres de lunes et de verre qui parsemaient la chevelure, en invisible résille, et accrochaient la lumière, comme autant de flocons, à différents états de fontes. Il s'imagina une perle d'eau glisser de la mèche qui lui tombait le long de la joue, le long de chaque arc, jusqu'à la clavicule, y dégringoler avec la lenteur des spectre, et disparaître, comme happée dans le corsage, par une aspiration. Il n'osa baisser les yeux, ou ciller.

Elle s'inclina alors; comme une vraie dame, la bouche piquée d'une moquerie qu'elle ne tarderait pas à révéler; la patience consumée par le rouge de son tempéramment. Puis leurs yeux de se trouver, tout au défi; chacun.
Si le coeur du mentaï manqua de battre, le noble refusa pour cette fois de flancher; au diable puissiez-vous être, toi et ton inconséquence.
Les Spires ne devaient plus lui suffire, pour les possible... Faudrait-il tordre, cette fois encore, jusqu'au cou que vos bijoux masquent, là où jadis, j'ai soigné les coups de dents?

Il courba le buste, lui aussi, avec une politesse un peu ironiquement guindée.


-Mes semblables ne pourraient refuser quoique ce soit au plaisir; mais la bienséance exigerait que vous m'appeliez Sire, et non point Dolohov.

Il s'était autorisé un sourire doux, sur la fin, que d'aucun prendraient pour une indulgence à l'égard d'une fille de campagne; mais dans lequel elle reconnaîtrait, il voulut le croire, le souvenir d'anciens jeux.
Avait-elle remarqué le léger accent de l'est qui faisait chanter ses voyelles, le timbre plus franc, quand le mentaï s'autorisait d'adoucir un peu, lorsqu'il portait l'armure de cuir?

Mais Fanye, percevant peut-être les dangers de la prunelle de l'Ange de brumes, continua d'énumérer, mondaine comme une matrone
« Et voici mes autres amies.. » qui chacune eut droit à ses hommages discrètes.
Une dame fort en poudre, et à la blondeur tapageuse appela sa fille pour un prétexte quelconque. « Une bien-chaperonée, celle-là », dirent par dessus les cheveux de Marlyn les prunelles vertes de Makel.


-Tout mauvais tenancier qu'il soit de ses terres, j'espère que votre père vous a instruit des dangers de la ville. Rien n'excite autant la convoitise qu'une jolie pierre, souffla ce dernier, presque rêveur.

Le Zil' Urain se détourna, à temps pour cueillir une rougeur sur la joue de la jeune femme à son bras. Il éclata d'un rire fort apprêté, quand une des oiselles, plus dégourdie qu'un autre, vint souligner le fait que Monsieur semblait décidément s'y connaître en orfèvrerie. Et le reste du groupe de suivre. Vinrent d'autre futilités, qui s'enchâssèrent toutes, d'une politesse exquise, pendant que la petite demoiselle cherchait de sa menotte à agripper la sienne. Il se faisait fuyant, voir distant, sirotant son verre, en attendant que l'orchestre reprenne.
Personne ne s'étonnait de voir son regard -acéré- se poser sur Sareyn, qu'on interrogeait plus franchement que les autres, son vieil ami le premier; en ayant l'air de complimenter toutes les autres jeunes filles du groupe.

Les yeux du mercenaire se faisaient caresses, où ils tombaient, il crut la voir frissonner, sans savoir pourquoi. Elle tentait, pour sa part, de ne pas chercher ceux de son maître quand il se détournaient; mais il surprit, du coin de l'oeil quelque chose qui ressemblait à une flamme furieuse quand il répondit à un quolibet qui allait sur Fanye
« Mais pas vous, impossible, vous êtes adorable! ».

Et l''orchestre de reprendre ses droits, et ses mélopées enthousiastes, censées endiabler les touristes.
S'inclinant devant Kara, après un sourire délicat à celle qui s'imaginait déjà élue; il l'entraina sur la piste. Complice, mais pas idiot, son comparse choisit plutôt le bras de Josséa, « pour se faire pardonner ».
C'étaient une de ces gigues où les cavalières passent de mains en mains, aussi, personne ne se formalisa de voir le noble passer de l'adolescente à une mère de famille très digne, puis à Fanye, pour le passage le plus long. Et en rangs, les cavaliers de tourner, tournant les longues jupes des dames; jusqu'à la floraisons des chevilles, des bottillons dissimulés. Le hasard le fit ensuite tourner au bras d'une femme qu'il avait vu pendue à celui d'Ethan, plusieurs soirs durant, et qui lui souffla un « Garde, Messire ».
Après quelques tours, encore, au moment d'arriver à la main de Marlyn, la musique s'interrompit. Ils suspendirent leur geste, lui, notant les rougeurs sur ses joues, et l'éclat des bracelets sur les arabesques noires. Mais par vengeance ou par jeu, ils se détournèrent, en s'inclinant seulement, et applaudirent l'orchestre.

Il n'oserait appeler jalousie ce sentiment éprouvé en voyant le jeune cavalier s'approprier à nouveau les hanches de la belle, colère et angoisse de rage faufilée; quand il savait les risques qu'elle se faisait courir, avec son nom qui se répandrait, tel une trainée.

L'Homme se retira un moment, à nouveau au comptoir, commandant un eau de vie quelconque, à la fantaisie du serveur. Il chercha dans la foule Makel, le trouva sur la piste, très absorbé dans la rythmique.
Elles vinrent à sa rencontre, sous couvert de cocktails; sans s'adresser à lui directement; trois oiselles rien que pour lui. Et d'incarnat veiné de bleu, elle ondulait des hanches entres elles. Qui trompait-elle? Qui verrait dans ses jambes-là moins qu'une femme; moins que la mort en marche? Redéfinie l'armature de ta toile-corps, ma belle aimée; pourrais-je seulement te pardonner d'être belle ce soir pour tant d'autres?
Quelle comédie joues-tu Sareyn, si ton masques avait tenu, alors, tu serais Sentinelle, parmi nous plus qu'à ta place, et tu me verrais tel que l'exige mon masque; d'une mâle insignifiance.
Quoique marié, j'ai gagné en prestige comme en réputation. As-tu vu les regards approbateurs des mères, derrière vous?


Je voulais te dire, encore...
Rapproche-toi de moi>

-Mère se demande si la Dame votre épouse aurait besoin d'aide pour ses galas de charité, lança Kara pour le ré-aborder. Avec tous ces soucis de récoltes, et de guerres et de famineries, elle pense qu'il nous faut, comme la Dame Zil' Urain concentrer nos force à aider ceux que nous pouvons. Je me ferais une telle joie d'aider ces pauvres gens!

-Moi également
, répondit Fanye, non sans lancer un regard étonné à Kara.
Trop jeune, sans doute, pour jouer aussi bien qu'il se devait, ou par volonté d'éventer spontanément le mensonge.
Il résista de justesse à la tentation de tourner vers l'Autre les yeux. Voilà notre spectre personnel ramené publiquement pour danser sous nos yeux, songeait-il, tout à son sourire.


-Ailil s'est toujours consacrée corps et âmes à coeur, et sans doute votre proposition la ravirait. Vous pourriez en discuter personnellement à l'occasion d'un thé, au manoir? J'aimerais parfois qu'elle délègue davantage; sa présence me manque diablement. , répondit-il en faisant chanter les notes toute en discrétion

-Il faudra convenir de tout ça, renchérit Kara, quand son amie déshabillait littéralement le noble des yeux, tout à l'effet de l'invitation.

-Certainement, poursuivit Dolohov, que l'intendance agaçait infiniment.
Cédant à la tentation; il se tourna vers la demoiselle Til' Lisan, alors qu'une mélopée douce s'élevait dans l'air.


-Je n'ai pas encore eu l'audace, mais me feriez-vous le plaisir mademoiselle Til'Lisan?


Viens dans mes bras que je te tends
Offrir son bras, c'est vraiment peu
Et puisqu'on peut offrir les deux
Pourquoi faire à moitié les choses?>


Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

La Borgne
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeVen 23 Déc 2011 - 3:14

je suis venue vers vous
avec des bleus aux yeux


Trop de rires, plus qu’elle ne pouvait en soutenir, éclataient dans la mêlée, trop de rires qu’enlevait la voix connue, apprise, aimée. Trop d’affabulations, et de piques, mouchetées de politesse, de remarques en creux, de compliments feutrés comme le venin d’un cobra. Le prétendant aux gants semblables à deux griffes de fer soufflait ses confidences si près de son cou qu’elle le sentait couler le long de ses veines, comme coulait, à l’inverse, la main de Fanye le long du bras de l’amant, celui dont le rire chantant surpassait tout les autres.

Mais le mien, de rire, s’est brisé comme un éclat de verre.

L’hubris lui picotait les veines, et son sang de rugir, alors qu’apprivoisée comme un animal de foire, il lui fallait courber la tête avec grâce, soutenir la subtile remontrance du seigneur Zil’ Urain, feindre de n’avoir pas perçu la légère pause à l’évocation de leurs nuits, rester indifférente à cette espèce de protection galante qu’il instaurait autour de Fanye. Impossible lui était de lui rendre ses regards ; encore moins d’y faire disparaître l’étincelle moqueuse, il devait penser joueuse ; elle y voyait surtout le noble, l’inconnu.

Même sa voix était différente, et ses atours, ses rires et ses murmures, ses attentions, se pouvait-il qu’elle se soit fourvoyée, ou qu’elle s’y laissât prendre ?
Qu’y avait-il du Mentaï dans le noble qu’elle pût retrouver, pouvait-elle seulement encore l’appeler sien ?

La musique le lui enleva de nouveau, qui la laissa aussi guindée et perdue, toute à ces découvertes déplaisantes ; le jeune danseur au cou trop long vint de nouveau lui proposer son bras, lui qui avait attendu près d’une colonnade que vienne à nouveau son heure.
Ils dansèrent vivement, et la gigue lui fit voir beaucoup de visages, très peu de marquants, le noble Vil’ Ryval vint lui effleurer l’épaule plus d’une fois, et jamais sans qu’il ne guettât une réaction quelconque ; il dut en être déçu, ou tout le moins ravivé dans son orgueil.

Et fut-ce le destin ou cet appât du jeu qui tord la réalité, c’est à Dolohov qu’elle tira chastement sa révérence, sans avoir pu poser ses doigts où ils s’étaient si souvent glissés, sur la soie blanche, le long de ses phalanges et emprisonnées dans sa paume ; ils ne refermèrent que l’air.

avec mes deux mains mortes sur la table brisée

Marlyn fut de nouveau happée par ce danseur avide, aux dents que les lumières ensanglantaient, son sourire en disait long ; il se croyait gagnée par les faveurs de la jeune femme, et perdait sa main dans l’incandescence de ses robes, là où le corset s’arrêtait.
Elle se permit de passer les doigts depuis son épaule de velours nimbée jusque dans sa nuque, qu’il y voit une victoire, qu’il puisse dire ensuite qu’elle lui était acquise, et « qu’aucune des grâces que lui feraient les grands seigneurs, à leurs épouses enchainées, ne pourrait remplacer celles qu’il avait à lui offrir ».
Que personne ne voie alors que, éperdue dans ces vanités, c’était un Mentaï que son esprit appelait à retrouver.

«
Je vous jalouserais bien votre grâce à la danse, et vos atours que les seigneurs prisent, mon amie », lui dit Kara quand elle la rejoignit, essoufflée par la danse, et plus glacée encore qu’auparavant.
Fanye parut bientôt ; étaient-elles inséparables tant qu’aucune d’elles ne parvenait à être complètement la proie de l’un des faucons qu’elles convoitaient ? «
Vous devriez vous méfiez de ce jeune noble avec lequel vous valsiez, croyez m’en, son père cherche un parti qui pourrait redorer leur blason après sa trahison voilà deux ans, et.. »

Tacite, un sourire effacé – de façade, Marlyn les suivit au buffet, comme elles, elle fit mine de s’intéresser aux fruits glacés dans leurs coupes, comme elles, elle jeta des regards coulants au noble Zil’ Urain, lequel sirotait sa liqueur, dans une pose volontairement relâchée – elle la savait étudiée, elle qui l’avait connu éperdu, et oublié, connu haletant et désireux, avide lui aussi.
Jamais avec ces accents affectés et ces sourires aux milles facettes.

Comme il ne l’avait jamais connue rieuse et altière dans ses robes, abîmée dans le monde et au bras d’autres hommes, à son souffle entremêlés.

Ses dents se crispèrent convulsivement sur un morceau de pomme, alors qu’elle faisait mine d’écouter distraitement l’entretien mondain entre son maître et Kara.
Elle se figura le jus du fruit comme du sang entre ses dents, qui se répandait, amer, et se diffusait amer, ravivait l’instinct, convulsait le masque. Mais c’était bien du sang, chaud, dans sa bouche, aussi suintant que les allusions de Dolohov Zil’ Urain, aussi collant que le fantôme de cette épouse qu’il s’amusait à rappeler à leur souvenir, à faire danser de ses paroles et de ses feintes moqueuses.
D’avoir entendu ce nom inconnu, aux senteurs du sud, elle s’était mordue la langue.

et au fond du cœur la douleur des brouillards
et avec pour fontaines des forêts de miroirs

Tout son corps de colère traversée, il lui fallait encore rester impassible, et observer cette main qu’il lui tendait, il lui fallait oblitérer ses propres mâchoires qui se crispaient et son dos qui se raidissait, ignorer cette insulte qui seule lui était destinée, et que seule elle pouvait percevoir, voir dans son sourire narquois moins qu’une victoire et juste une invitation.

L’aigle royal se faisait oiseau moqueur ; qu’il soit abattu, comme tous les autres. Et maudits ses politesses, et damnés ses gants blancs, auquel distinctement luisait un anneau d’or comme une dernière insolence, qui n’attendait que d’entrer au contact de ses doigts, froid et dur comme une sentence.
Sang, ici n’est plus le temps de rugir, tu cours à ta mort, folle ! si ton masque fond sous ta folie.
Elle se força à expirer.
Lentement.

Celui qu’elle interprétait comme le prétendant, ami de Dolohov Zil’ Urain, vint à ce moment, il avait du surveiller l’échange, ne lui laissa pas le loisir de répondre, posa sa main gantée sur son avant-bras, alors que le Mentaï attendait toujours :

- Voilà un moment que vous m’aviez promis une autre danse, demoiselle Til’ Lisan, vous rappelez vous, alors que nous venions tout juste de faire connaissance ? Les violons, de tous mes favoris, seront ici maîtres, et rien n’y siérait mieux que vous à mon bras.
termina-t-il en détournant son regard d'elle pour le poser ostensiblement sur Dolohov.

Et le bonheur voulait qu’elle ne put se fier à sa connaissance des convenances, à la hiérarchie des danses ; au diable.
Un sourire, qui aurait pu passer pour carnassier si elle n’avait pris soin d’y effacer les restes de sang, vint en réponse à Dolohov – elle ne put en extraire tout le venin qui suintait de son âme- sa main gracile prit des mains de celui-ci le verre qu’il tenait et elle en but le reste de liqueur fruitée, sans le quitter un seul instant du regard. Un bruit de verre qui tinte sur le bois l’accompagna quand elle put enfin dire, les syllabes heurtées encore d’amertume :

- Il est évident que je ne refuserais jamais rien au plaisir, mais la bienséance m’appelle ailleurs… Sire.

J’ai dételé le sang de la mort éclairante
Et je savais de loin reconnaître le ciel


C’est sans un mot de plus ni un regard en arrière qu’elle s’en fut au bras de Makel, si écoeurée de ces jeux de dupes et de ces minauderies nobiliaires que son esprit n’aspirait plus qu’à entendre le silence, écouter le son du verre qui se brise, des rires qui s’estompent dans la nuit.

Il porta une main à sa hanche, l’autre dans sa main, qu’il pressa doucement, il voulait l’obliger à ne pas le quitter du regard, et la guider alors que cette danse lente commençait.
Il l’avait bien choisie, dans son mensonge : elle lui laissait le loisir de lui parler sans être entendu de quiconque.

Ses doigts gantés d’acier s’attardèrent un instant sur sa joue, suivant le tracé laissé des années auparavant par des lames du même gris ; «
Quelle malédiction, vraiment, qu’on eût pu porter un jour la main sur si jolie perle, et pourtant, vous n’en êtes que plus intrigante. » Il lui souffla un «Baroque. » trop près de l’oreille.
Elle frissonna.
Sa réponse à elle, laconique, fut oubliée sous un léger rougissement de joue, qu’elle espérait convenir. A la vérité, elle avait trop chaud, et le souffle aviné de Makel l’insupportait plus chaque seconde.

Dès que fut terminée cette danse où elle le laissa, vainqueur, s’octroyer le trophée d’une de ses perles qu’il avait subtilisée d’une caresse dans ses cheveux, elle vola à l’autre bout de la salle, où l’attendaient Josséa, et Fanye, et ces insupportables oiselles, qu’avaient rejoint une de ces hautes dames qui devait être la mère de l’une d’elles, et la jugeait, de son œil acéré.

Tandis que mondanités se passaient de nouveau, elle se retint à grand peine de jeter un regard par-dessus son épaule dénudée, et s’obligea à ne pas accorder un seul regard à Dolohov Zil’ Urain, ni à le chercher, à s’enquérir de ses actes.
Qu’il noie le manque de sa femme aimée dans les danses et le luxe, qu’il fasse ! Elle se refusait à y assister. Son don, enchainé dans les fonds de son esprit par la force de sa volonté, geignait, criait vengeance, que sang coule et lave l’honneur, et qu’on en finisse avec ces pusillanimités.

La mer battait contre ma porte

« Voyons, ma fille, vous n’avez que quinze ans, c’est bien trop tôt pour songer à danser avec le sire Hil’Murat. »
Cette phrase, destinée à Kara, attira l’attention de Marlyn, surprise comme un animal farouche. La jeunesse de ces décadentes la frappa ; était-ce seulement possible qu’elles fussent aussi jeunes et déjà si.. voraces ?
«
Un peu plus de vingt ans, la fête de mon nom est au printemps », répondit-elle à l’injonction de la matrone, qui à son tour lui demandait son âge.
En vérité, elle se savait bien plus âgée, sans précision, sa naissance était un des trous de sa vie qu’elle n’avait surtout pas cherché à combler. Il lui était en tout état de cause impossible de paraître quinze ans, ni vingt-cinq.
Qu’elle s’étonne donc, la marâtre, de l’étrange fraicheur de son teint pour son âge, elle qui ignorait probablement autant qu’un insecte les capacités des rêveurs.

A quinze ans, je tuais des gens et je mangeais des rats, pensa-t-elle. Elle tendit à Fanye une coupe de jus de fruit que l’oiselle lui demandait, l’observa la boire entièrement.

- Je vous prierai de m’excuser un moment, la tête me tourne légèrement et l’air frais de dehors me fera le plus grand bien.

A la vérité, sa patience était à bout, rongée par la colère, amenuisée de désagréments et fragilisée par la séduction permanente dont elle était l’objet. De révérences obséquieuses, elle prit congé du groupe, esquiva le danseur au sourire de requin qui lui mandait une énième danse alors même que l’orchestre ne jouait plus.

Un balcon à l’écart lui apporta la fraicheur de la nuit, et les rideaux de gaze et de satin brodé étouffaient le bruit de la réception. Elle s’enquit juste assez longtemps du reflet de Fanye dans les portes-fenêtres pour s’assurer que la demoiselle prenne précipitamment congé de ses amies, une main convulsée sur le ventre, et l’air peu amène. S’il est un trône qu’elle devait conquérir, ce ne serait certainement plus le trône d’or de Dolohov Zil’ Urain, Marlyn venait de s’en assurer.

La Mentaï s’accouda sur le balcon de pierre, son œil comptait les merveilles d’Al-Jeit inlassablement. Dos au reste du monde, elle put défaire les liens de son masque quelques secondes, et respirer le froid à pleins poumons.
Que d’apparat s’est coiffé le corbeau, songea-t-elle en contemplant les bracelets à ses poignets et les drapés fuligineux de ses robes, et pour quoi ?
séduire le renard, coiffé de ses parures de lion et qui lui semblait étranger.

Pensivement, elle poussa son gobelet de cristal, incrusté de pierreries, et observa sa chute du haut du balcon, étudia le son qu’il fit en se brisant, englouti dans les ténèbres des jardins, s’en enivra. Son œil retourna se perdre dans le ciel.

Et mon regard trop grand pour moi
Voyait au ciel
Des océans jonchés de pierre.


La faiblesse, quelques années auparavant, lui eut fait murmurer comme des milliers de fois « pauvre petite chose » en pensant à l’objet, écho narquois de chimères. Qu’était-elle d’autre, qu’une putain qui se pare, et attachée à l’attention qu’elle recueillait, pour séduire et survivre ? Elle connaissait des dizaines de mots pour qualifier son comportement, et s’écœurait à les lister mentalement.

La jeune femme s’apprêtait à tourner les talons, à retourner aux vanités, ces vanités qu’elle avait choisi d’affronter après tout, quand la brise apporta la douceur d’une main de soie dans son dos, et la chaleur d’un souffle dans sa nuque.

Et le chemin qu’ils prirent le long de ses tatouages et dans le sillon de ses veines ne laissait aucun doute quant à celui qui l’avait rejointe. Sans se retourner, sans un regard, sans même lui concéder un frisson, elle prit le temps d’expirer, de remodeler sa voix au masque :

- Sire ?



Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeMar 10 Jan 2012 - 1:14

La brûlure des yeux bleus s'accrochant aux siens fit naître dans son échine des frissons doucereux- le masque tenait, mais à un fil, seulement. A cet instant, Dolohov n'aurait su dire s'il désirait éperdument son bras à sa taille, ou la volte qu'elle ferait, démasquée, attrapée.
Cela pourrait me plaire, d'organiser ton évasion encore et encore- de ma seule cage, indéfiniment.

Mais une voix masculine vint rompre leur regard, et Makel Vil' Ryval d'interposer entre eux son sourire délicat. Dolohov eut envie d'accentuer le sien, mais seules ses narines frémirent.
Les regards de l'intéressé se portèrent pourtant au mentaï, avec cette nuance qui n'était plus du défi, mais de l'affront- il s'en détourna, tout armé de sa superbe, et de l'absolue certitude de la victoire.

Ses prunelles à leur adoration de Marlyn, virent les traits délicats de la demoiselle esquisser des crocs -sa beauté, toute vibrante du rouge de ses joues, et du noir infini de sa pupille, appelait de ses cils les langueurs du mentaï, les tortures de leurs ombres, toutes les chutes promises, tous les restes de poisons.
Une main se tendit en écho, vers son verre, qu'il lui laissa saisir, imperturbablement.
Elle le finit d'un trait- il jugea son imprudence presque aussi délectable.

Il en était à tendre l'autre vers sa taille, lorsqu'elle posa son verre; et sa langue acide de déposer contre ses dents une tirade indélicate. Et tout fut joué.

Il fut interdit en croisant les prunelles de son rival, en le voyant s'éloigner, suffisant.
Il cilla, déglutit de peur d'en avoir ouvert la bouche, et se tourna vers Kara, qui le regardait, les yeux agrandis.


-L'éducation de votre amie ne doit guère excéder celle des bouges, souffla-t-il, comme en conclusion. Espérons que sa jeunesse la préserve des vexations véritables.

Et la jeune fille de hocher la tête, sans trop savoir vraiment à quoi.
Dolohov se retira, avec une révérence discrète. La tête lui tournait un peu, il regrettait d'avoir bu le peu qu'il avait avalé. Si le noble en lui gardait la face et fendait la foule avec élégance, sans même paraître s'inquiéter de l'impolitesse, le mentaï, lui, enrageait.
Il entendit rire, quelque part dans son sillage, et se demanda laquelle des oiselles avait pouffé- ou si c'était le jeune homme carnassier qui se gaussait déjà de ses déconvenues de son âge. Ses yeux cherchèrent dans la foule un point d'accroche proche, il choisit un groupe de messieurs avec qui il faisait affaire- et qui, bien que poli, le reçurent assez froidement.
Ceux-là étaient des amis des Til'Eyvindr; mais combien parmi eux s'inquiétaient véritablement du sort d'Ailil? Aucun, jugea-t-il, simplement, il serait agaçant de faire affaire avec un noceur. Une femme à entretenir était bien chère, et ceux là n'aimaient que l'argent.
Il fut tenter de leur donner raison- Sareyn pouvait toutes les éclipser, elle n'en était pas moins hors de prix. Un faux pli abîmait la blancheur de son gant; parodie d'anciennes cicatrices que le tissu effaçait, jadis. Il l'effaça sèchement, en s'enquerrant de l'effondrement d'une carrière de marbre, tout à l'ironie de l'image.

Et les violons de chanter leur mélopée, soupe vulgaire de gammes et d'accords qui se voulaient harmonie. Dolohov entendait dans les aigus les sanglots de générations de femmes que leur beauté abandonnait, et les graves les mères qui grincent des dents, éclipsées par leurs filles.
Fanye croisa son regard, dans la foule, son expression se voulait détachée, mais trop ingénue, elle ne parvenait à tromper personne. Trop jeune, trop facile, décida-t-il, en appuyant juste une seconde supplémentaire son regard sur sa silhouette- avant de se détourner.

Rouges, alors, des milliers des lèvres, sur lesquelles il refusa de s'attarder, pathétique symphonie de leur rires brisé; rouge le vin que les acolytes trinquèrent, après lui en avoir proposé; il déclina. Ainsi que l'acteur, que le public moque, rouge, elle allait avec grâce, un autre pour susurrer, à son oreille des mots, peut-être, ou des baisers.
Le mentaï enrageait, et saluait le masque qu'elle semblait porter- s'il n'y avait eu ce regard, brûlant, qu'elle lui avait lancé, il aurait pu rire, avec elle peut-être, plus tard, de cette idée absurde de se glisser dans la foule, et d'épater ainsi tant de nobliaux abrutis. Il aurait dit, en la sachant tout à lui, quelque chose qui aurait sonné parfaitement; et complice, elle aurait répondu « Vous étiez ma seule muse » ils auraient ri plus follement qu'elle après les danse.
Il s'humecta les lèvres, tâchant d'apaiser son égo; pris de cours, puisque, pour une fois, c'était le mentaï et non l'Homme qui faisait preuve de sensiblerie. Ces messieurs l'excusèrent, quand il s'éloigna, à la recherche d'un endroit où il pourrait s'entendre penser – loin des crispations des violons.

C'est sur un air que son épouse pouvait reprendre à l'infini, dans son silence, un infini de nuances et de ferveur qu'elle ne vouait qu'à la perfection de l'instrument.
C'était un air de trahison en triangle, et son cynisme manquait de sourire aux coïncidences et aux parallèles que la soirée tissait – et lui, pour une fois, n'était pas l'artisan.

Comme à chaque visite à l'improviste, les certitudes de Dolohov se muaient en fantoche, et ramené à ses légerté, que pouvait-il faire, sinon prendre l'excuse de l'âge?
Quelles mains avaient posé la mentaï dans cette robe rouge? A qui profitait son inattention?

Makel dansa un moment sous ses paupières, sans que l'héritier Zil' Urain ait la possibilité de l'en chasser: « Il joue, et peut-être gagne-t-il »... mais tout cera était bien trop simple. Il s'obligea à regarder la piste de danse, s'accoudant à la rambarde qu'il venait d'atteindre. Corolles de jupes, naissances de poitrines, et d'émois sur les joues- l'univers se déclinait dans toutes les nuances de chair et de sang- Sareyn n'y ajoutait que l'écarlate et les noirs secrets de ses tatouages... oh, et le bleu. Tous les bleus qui accrochaient l'éclat aux flammes.
Il tâcha de se concentrer: quelque chose, certainement, devait percevoir comme lui les fils qui se tendaient, et comment. Qui avait pu reconnaître La paria Til' Asnil dans les moues moqueuses et vaguement indécentes de Sareyn Til' Lisan? Qui pouvait voir en lui plus qu'un homme moyen?
La fille de Dienne faisait tourner une poupée dans ses bras, sans conviction; l'heure avancée ne lui permettait plus de lutter contre la fatigue.
Fanye guettait le groupe des messieurs qu'il avait abandonné, visiblement à sa recherche.
Ses yeux revinrent à sa maitresse, infiniment plus suspecte que les autres. Juste assez pour surprendre un regard très jeune et très bleu qui se posait sur ses courbes, avant de s'évanouir.
Le gamin d'une danse précédente..? De plusieurs, maintenant qu'il y pensait.
« Il joue, lui, et peut-être qu'il gagne... »
Il se perdit un instant dans l'encre de sa chevelure, toute rehaussée d' incandescences; renvoyé au décor par la main distraite que Makel y glissait.
Alors, il vit une perle passer entre ses doigts.
Et Dolohov sentit son sang tourné- du bleu au rouge.

Son esprit s'ouvrit à la mélodie des spires, loin des dernières notes; rythmes cardiaques de toutes les consciences mêlées -et dans cet univers aussi, la mélodie particulière de Sareyn, même étouffée, lui apparaissait plus claire que toutes les autres. Et...


« ... bien Messire Zil' Urain, vous sembliez vous amuser d'avantage lorsque vous étiez en notre compagnie »

Retourné à la réalité à la suite d'un contact physique parfaitement anodin, le mentaï fit face à l'adolescente que Makel avait gentiment mouché, et que sa mère avait écarté.

« L'autre sieur ne s'y est pas trompé. »

-Votre mère non plus, lorsqu'elle vous en a écarté, le Sieur Vil' Ryval n'est guère fréquentable.

Elle eut une moue charmante, qui la vieillissait un peu. Il cherchait son prénom, à présent, par soucis de se garder l'esprit occupé, davantage que par intérêt.

-Et qu'est-ce qui vous fait dire cela?, taquina la jeune fille, derrière son éventail de dentelles noires.
Il y avait dans leurs motif quelque chose qui rappelait le dos de Marlyn, lorsqu'elle cambrait.


-C'est un de mes amis, répondit-il, avec un coup d'oeil en coin.
Josséa pouffa sans bruit, le nez légèrement froncé; avant de conclure, sans le regarder dans les yeux: « J'ose en effet espérer que le portrait que ma mère a fait de vous n'est pas usurpé. »

Une courbe oblique se dessina sur les lèvres du noble- que les quelques mots échangés avaient refroidi. Elle lui plaisait mieux, celle la, que la petite blonde. Plus vipère.
Mais elle n'avait pas tort. Les yeux se rabattirent sur la foule, cherchant Makel et ses gants gris.

Fauve, il se faufila jusqu'au canapé que Makel avait choisi dans la pièce voisine pour fumer une de ses cigarettes fines. Que ceux qui regardaient observent; et qu'ils découvrent, si toutefois ça leur était possible le sens de ses gestes, et de ses regards.

Il donna un coup d'épaule à un grand roux, par une mégarde toute calculée, roux qui renversa son vin sur le décolleté d'une cavalière à robe blanche. De surprise, celle-ci leva les bras en couinant, et sa voisine sursauta, percutant elle-même le dernier maillon de la chaine inconséquente; le pauvre serveur, qui tenta de redresser son plateau, et y parvint, hormis pour les trois derniers verres, qui basculèrent sur le manteau de brocard du gamin aux yeux clairs, repéré précédemment.
Evidemment, le mentaï n'en eut confirmation que deux pas plus tard, en entendant des éclats de voix masculins. Son sourire s'affermit. Il lui était plus doux encore d'imaginer.

Son ombre le devança dans le fumoir, et son esprit dans les Spires caressa une ou deux conscience, alors qu'il avançait vers une des alcôves. De là où il se trouvait, la cigarette était réduite à un point écarlate, qu'il portait avidement à ses lèvres. Makel s'étonna de le voir là, il justifia sa présence d'une pirouette, en prenant ses aises, puis une petite ration de tabac, qu'il roula posément.
Geste régulier et qui permettait d'éviter le contact visuel direct; Dolohov dans les spires se mit à tordre les possibles dans une direction précise; partant de son visuel direct de la cigarette, Dolohov incorpora aux feuilles sèches quelques éléments différents- regrettant, dans la musique des spires, de ne pouvoir entendre l'exacte respiration de Makel.
Juste quelque feuille, et le tour était joué, le mentaï cilla, quand l'autre en était à sa seconde quinte de toux, puis posa une main sur le dos de son ami; l'esprit retourné aux Spires.
Visualisant la gorge, il dessina les fumées qui lui convenait, et créa une substance gelatineuse sombre, s'en servit pour accentuer l'idée d'étouffement.


-Et bien?, s'étonna-t-il, en voyant l'homme penché, devenir de plus en plus rouge; Allons!

Il se mit à tapoter sur le dos de son « ami » mais par crédibilité, interrompit assez vite son geste, en appelant quelqu'un. Le serviteur chargé de fournir les tabatières accourut à toute allure- attirant sur lui l'attention du pauvre Vil Ryval.
Les mains de Makel, crispées autour de sa gorge, et son attention toute focalisée sur sa survie; permirent à Doll de fouiller discrètement les quatres poches apparentes de ses vêtements, trouvant la perle volée dans la dernière.
Il prenait le temps de rire nerveusement, demanda de l'eau à une noble hébétée, qui lui tendit du champagne, soudainement paniquée. Pendant ce temps, à force de tousser, Makel parvint à arracher un des dessins de ses bronches, directement sur son gant gris. L'autre suivit, après quelques tous.
Tous regardèrent, plus ou moins interdit la substance sombre, légèrement ambrée de sang qui glissait péniblement le long du tissu.


-... J'espère que ce n'est pas contagieux, s'offusqua une autre noble, de l'alcove voisine.

Dolohov lui trouva le ton un cheveu trop artificiel, sans s'en formaliser. La perle disparu en roulant entre ses doigts, mais il s'attarda encore quelques secondes dans la salle, prévenant comme face à un aïeul, jusqu'à la limite de la tolérance de Makel.


*

Il glissa sa main le long de son échine, tout à la confidence de la nuit, ses chemises sombres comme paravent. Sa main, dégantée, qui lui courrait par les vertèbres, comme une excuse.
La vanité attendait qu'elle frémisse à son contact, à lui offerte, dans la faveur de la nuit, à nouveau gracile et blessée- à nouveau sienne. Or, son indifférence, jusque dans la peau affola à nouveau son orgueil; elle concéda tout juste un mot, après un temps.
L'autre main, la gauche, posa à côté de la sienne la perle de verre.


« Tu m'attendais, je suis venu
Mais puisque tu veux l'inconnu,
l'inconnu veut garder son rôle. »

Il huma son parfum, une essence inconnue, moins sauvage que précieuse; et ce fut tout. Il s'éloigna d'un pas, puis se ravisa, en voyant que la jeune femme avait déjà refermé sa main sur la perle


-Et si je cède l'honneur à d'autres de vous appeler Sareyn, me concèderiez-vous une valse de votre temps? , murmura-t-il, avec une pointe d'accent.

"Mon masque tient
Garde le tien
Car j'aimerais beaucoup demain
Pouvoir ne pas te reconnaître"



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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeMer 18 Jan 2012 - 3:56

Et tout ça, pour vous, toujours –

J’aimerais pouvoir répondre à ton souffle sur ma nuque, délicat – y entrelacer le mien, et qu’il abandonne tous ses accents apprêtés, qu’ils retrouvent leur chaleur et leur précipitation passée, qu’ils se chassent, qu’ils s’enflamment.

Au lieu de ça, ta main laisse derrière elle une trainée de glace, cherches-tu par là à me poudrer de convenances ?

La jeune femme écoutait le silence distillé entre eux, songeait à leur absence mutuelle de visage. Il aurait tout aussi bien pu être quelqu’un d’autre, ou bien n’exister que sous cette apparence de noble fantasque – c’est ce que tout le monde croyait, dans cette réception. Et elle, elle croyait éperdue qu’il s’y trouvait encore l’identité du Mentaï sans qu’il n’y laissât rien paraître, sans qu’il ne cessât une seule seconde d’afficher ce sourire insolemment galant et contrit.
Les mois d’absence les avaient laissés amers, frustrés, désireux ; la colère l’avait maintes fois emporté, plus d’une fois elle avait proféré des accusations teintées d’agonie, fustigé de murmures cette femme dont elle ne connaissait rien et qui occupait si loin le nobles et ses attentions. Plus d’une fois la faiblesse l’avait égarée et elle l’avait entouré de mille maux, et pourtant.

Rien n’attendait-elle plus qu’un mot ou une parole, une parole pour lui montrer qu’ils étaient encore là, tous les deux, et forts, et que les épreuves avaient laissés intacts. D’orgueil, elle avait refusé à nouveau de mourir, et porté à terme son enfant, et maintenant, fallait-il que le Mentaï s’efface derrière Dolohov Zil’ Urain ?

Oui, d’amertume elle avait cherché à gagner l’indépendance, se prouver que, sans lui, elle pouvait survivre à Gwendalavir. Commencé d’ériger son propre réseau, illusoire très certainement, et squelettique en diable, commencé de constituer sa propre fortune – tué jusqu’à des Hil’ Muran ! - pour n’avoir plus rien à lui devoir.
Uniquement tout à lui offrir.

Pour peu qu’il l’acceptât encore.

Elle expira, se força à fixer l’œil sur les fontaines des jardins qui s’étalaient en corolles au pied des balcons, à ne pas réagir quand elle sentit la main du noble se poser près de la sienne, son corps répandre son ombre sur le sien. Elle entendit ses bottes claquer une fois, et le froid de la bise de lui mordre le dos de nouveau, au point qu’elle en eut la chair de poule – où bien était-ce d’avoir été si proche de son amant, et sans pouvoir le toucher ?
Un reflet de lanterne irisé vint jouer près de sa main, accrochant son œil comme le feu follet, elle baissa le regard, manqua de ne pas y croire.

Irradiée des lumières d’Al-Jeit, sa perle luisait, moqueuse, comme une promesse, ou un accord. L’aurait-elle seulement cru capable de cette attention pour elle, tout au masque et aux mensonges qu’il était ? Ce détail la toucha plus qu’elle ne pensait, comme un battement de cœur plus lourd d’un coup, un petit vertige de reconnaissance. Ses doigts reprirent possession de son bien, petit fragment cristallisé qu’on lui avait ravie et qu’elle recouvrait, entière, ranimée. Rassurée.

Les accents dans la voix douce de Dolohov lui parurent moins étrangers, plus chauds, ses murmures possédaient des échos lointains qui n’appartenaient qu’à eux, en fermant l’œil elle pouvait l’imaginer superbe et passionné, entouré de leur obscurité et de secrets, tout à elle.
De ses doigts graciles, elle raccrocha la petite goutte de verre dans l’une de ses boucles là où elle n’aurait jamais dû la quitter – « étoile manquante au ciel de sa chevelure ».

Combien de fois l’avait-elle entendu lui parler d’étoiles de et ciels, des centaines de ciels qu’il se plaisait à lui décrire et réinventer ?

Pardon, voulut-elle entendre. Invitation à pardonner, à ne pas se laisser prendre à leur propre jeu. A ne plus se laisser aveugler par le masque respectif, à le reconstruire mieux, et sans accroc, sans fausse note.
Il lui faudrait supporter l’accent frivole de sa voix, l’odeur âcre de fumée qu’elle devinait, ses airs maniérés, il offrait en retour de l’accepter comme une partie du monde.
Là gisait la faille qu’elle avait laissé paraître par négligence et par ignorance ; où était-ce encore cette impatience qui lui rongeait les sens quand il se trouvait dans les parages, et qu’elle ne rêvait plus que d’une chose : l’immolation ?

Prise dans ces torsions de pensées qu’elle n’avait pas l’habitude de concevoir, il lui fallut quelques secondes encore, à l’écouter respirer en silence à un pas de là –guettant une réponse- pour adoucir le nœud dans sa gorge et le timbre de sa voix, y apposer les mêmes murmures en écho, et avec la brise :

- Qu’importe qu’ils m’appellent Sareyn, puisque c’est pour vous toujours que je danse ?

Es-tu à ce point aveuglé par les attentions qui m’entourent ?
La jeune femme se retourna et Sareyn Til’ Lisan posa le regard sur la silhouette du noble découpé dans la lumière des rideaux. Il faisait aussi froid sur le balcon quand dans un cachot et aussi chaud dans la salle qu’en enfer. D’un pas plus gracieux que gracile, elle entreprit de retourner à la fête, qu’on ne les voie pas revenir ensemble, alors que la jeune femme avait été vue proche d’autant d’hommes au fil des heures, qu’elle ne commette plus l’erreur d’agir sous le coup de la colère ou de l’orgueil.

Et ses doigts d’accrocher au passage des bribes de ceux de son maître.

*

-
Bien mieux, merci, le vertige de la fête vous comprenez, ces choses sont très nouvelles pour moi, répondit-elle en ponctuant d’un sourire gêné. La réception s’était clairsemée, du moins lui semblait-il à mesure que l’heure avançait et que les bouches se faisaient plus pâteuses – les flatteries plus grossières.
Elle entraperçut du coin de l’œil une petite demoiselle endormie sur un petit tabouret capitonnée, et que sa mère entreprit de réveiller d’une caresse sur le dos de la main. «
Viens, ma toute jolie, la fête est finie pour nous », l’entendit-elle alors qu’elles partaient par le grande vestibule, entourée d’une nuée de valetaille prête à tout pour une dernière pièce glissée dans le pli d’un vêtement.

Une mère de famille s’était attardée avec elles et leur conjurait à toutes à tour de rôle cent conseils et souvenirs de «
quand j’avais votre âge et votre naiveté », Marlyn prit soin d’arborer le visage le plus humble et le moins déchiffrable possible. A la vérité, elle écoutait avec plus d’attention qu’on ne lui aurait cru, avide qu’elle était d’apprendre comment survivre à ce monde d’arabesques et de ronds de jambes.

« On vous pardonne vos erreurs ce soir ma petite, mais surveillez-vos propos à l’avenir, et tous ces hommes avec lesquelles vous avez dansés, ce n’est pas très convenable. »
, telle était sa litanie qu’elle répétait sous d’autres formulations ;
Kara la soutenait en hochant la tête régulièrement, elle crut percevoir dans son regard comme un.. avertissement ? Si elle pouvait seulement se douter, cette petite oiselle, des dangers dont Marlyn tiendrait à être véritablement avertie ! «
Je suis votre débitrice, Madame, j’espère avoir encore l’honneur de vos conseils dans un futur prochain », répliqua Marlyn, l’œil occupé à chercher ces « hommes » que l’on accusait de la courtiser.
La vieille aigrie lui parla ensuite de sa fille, qui avait à peu près son âge et dont elle pourrait certainement être l’amie si elle voulait bien accepter de lui rendre visite, le quartier près des hauts jardins, ceux avec le grand chêne ; Sareyn accepta l’invitation avec enthousiasme et humilité, la Mentaï nota que Makel avait disparu de la salle.

Un sourire en coin manqua de percer sous le masque, qu’elle retint en prenant une gorgée de champagne, une boisson dont elle trouva le goût détestable.

« Vous partez déjà, Kara ? » s’enquit-elle en voyant la jeune fille lancer une œillade à sa mère et commencer de la rejoindre prestement, le regard vide.
Au regard interrogateur de son ‘amie’ elle posa sa main dans la sienne comme elle avait vu nombre de ces demoiselles le faire entre elles, et prit un ton pressant :
« Avant de partir, j’aurai besoin d’un de vos derniers conseils, vous m’avez si gentiment aidé alors que j’étais perdue. »

- Je crains d’avoir fait une erreur de politesse en refusant l’invitation à danser de Sire Zil’ Urain, tout à l’heure, sauriez-vous comment il me serait possible de la rattraper ?

Pendant que Kara réfléchissait à ses différentes leçons de manières et la façon d’arranger la situation, la Mentaï tourna le regard vers l’endroit où son amant s’était négligemment posé, croisa son regard sans le soutenir, il devait sembler trivial et sans importance aux yeux de tous. Un peu plus loin, elle vit le jeune prétendant au sourire carnivore sortir en trombe d’une salle annexe et se diriger vers la sortie du manoir, le brouhaha ne lui permit pas de percevoir plus que quelques mots comme « incapables » ou « incompétents ».

Sous la pression de sa chaperonne, Kara s’éclipsa bientôt en lui expédiant rapidement un court «
Portez-lui vos excuses et arguez sur la rudesse de votre éducation » qui s’entremêla avec le « Si une femme doit s’excuser auprès d’un homme, c’est qu’il n’a pas été assez galant à son égard » proféré par une vieille harpie sur une banquette adjacente.

« Vous devriez chercher à couvrir vos tatouages, mademoiselle Til’ Lisan, d’aucuns pourrait vous associer à ces rudes alines belliqueux ou quelque secte d’illuminés, certainement pas à une jeune fille de cour convenable. »
« Saviez-vous que votre fille arbore sous les crépons de son épaule une fauvette et une branche de houx ? J’ai entendu que c’était la dernière mode à Al-Chen» rétorqua-t-elle d’un sourire tandis que la matronne s’offusquait ; à son époque on ne se serait pas permis ces frivolités !
Et si la Mentaï s’attendait à des questions sur ses tatouages ésotériques, elle avait remarqué avec une certaine ironie que nombreux nobles considéraient comme une somptueuse décadence d’en arborer.

Et avec cette haute dame froissée dans ses moeurs partit la dernière personne à s’intéresser de trop près à elle, ses faits et ses gestes, un coup d’œil vers l’orchestre et elle se rendit du côté de la salle où elle saurait trouver son maître ; elle s’inclina, l’humilité n’était que mi-feinte même si son regard flamboyait en se posant sur lui, et elle put lui demander sans plus que ça n’attire l’attention :

- Je vous dois mes excuses, Sire, et peut-être voudrez-vous toujours de moi pour votre cavalière ?

Poser la main sur son épaule lui semblait de nouveau la chose la plus naturelle du monde, et sentir la chaleur de sa paume sous son gant de soie ; il l’enferma doucement vers lui de son bras, à ce contact si familier déguisé sous une apparente retenue, un frisson lui parcourut la nuque. Elle goûtait à leurs retrouvailles aux senteurs de pardon mais déjà les violons prirent un rythme saccadé, haletant comme la passion, démarra d’une note grinçante l’accordéon qu’on avait rajouté pour l’exotisme, et ces tambours, comme un battement de cœur que l’on emballe.

Les premiers pas étaient langoureux et d’une lenteur exquise, comme une prémisse, les angles de la mâchoire de l’héritier Zil’ Urain frôlaient sa joue, leurs jambes glissaient l’une contre l’autre, se chassaient, revenaient. Déjà sanguine, la danse, et fracassée d’élégance, la grâce heurtée d’impatience, la main de son amant pour une passe descendit jusqu’à frôler la ceinture de fils d’argent et d’or qui gardait ses hanches ; patience, disaient ses yeux,

Et ils semblaient l’embrasser quand leurs lèvres ne faisaient que sourire.


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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeMer 14 Mar 2012 - 14:01

-Oh toi qui mène le coeur Désastre
Le choeur des astres enflammés -


A mesure que se déroulait le temps, rythme incertain de la respiration que Dolohov retenait, en remettant son gant blanc; par habitude.
La question anodine, laissait entendre que des règles nouvelles seraient à définir, mais le mentaï en lui calculait bien au-delà de ça. Le souhaitait-elle? En venant ici, elle revendiquait insolemment l'indépendance qu'elle prenait depuis des mois, depuis que son ventre s'arrondissait entre eux.
Mais sans les blessures que leur lien lui avait imposé; sans ces douleurs qui la fragilisaient et la rendaient contrôlable, à lui offerte? Sans ces plaies entre eux, qui la ramenaient dans ses bras, désespérée et avide?

S'en ferait-elle d'autres, pires, à l'instant où il s'éloignerait en tournant les talons? Et de quelles geôles la sortirait-il, cette fois, sa somptueuse martyr? Dans la lumière de la scène des noble, il se savait plus vulnérable et observé que partout ailleurs. C'était à son monde qu'elle se frottait; au monde où il était époux et seigneur appauvri. Il avait cru jouer, complice ou presque, par-delà les masques, jusqu'à ce moment où sa main n'avait suscité sur le dos de sa compagne aucune forme de chaleur.
Il avait voulu gagner, mais à la fin de partie initiale, n'était pas sûr de n'avoir pas ouvert une brèche plus grande entre eux.

Et c'est Sareyn Til' Lisan qui s'avançait dans son propre murmure, un peu assagie, mais pas domestiquée; et dans ces mots les phrases creuses que n'importe quelle maîtresse aurait servi à un amant pour en apaiser les jalousies. Avait-il l'air jaloux?, se demanda-t-il, en sentant leurs mains s'effleurer au passage de la jeune femme. Illusion de l'étreinte, noyade dans ce parfum qui n'était pas le sien mais entêtait l'homme quand même.

Et la laisser aller, dans son dos, sans pouvoir lui accorder le luxe d'un regard, sans attirer davantage d'attention encore. Cette sensation de commettre une autre erreur, en la laissant ainsi aller, il se surprit à attendre la morsure d'un poignard – mais non, ce n'était que le froid du soir, qui drapait ses épaules.
Dolohov réalisa sa solitude, et comme on sort d'un rêve, se dirigea d'un pas automatique au bar, pour un autre jus de fruit. Un mot échangé avec un couple connu de très loin ne suffit guère à le distraire.
Il songeait à rendre visible son ennui, retenu par une forme de fierté familiale: son importance restait trop négligeable, un noble d'aussi haute naissance que leur hôte n'aurait cure de l'ennui d'un homme comme lui. On ne verrait pas l'insulte, seulement le pathétique de la situation; alors il s'obligea à garder l'air affable et amène.

Ses pensées dérivèrent à l'enfant. Le mentaï n'avait jamais côtoyé de nourrissons, l'idée qu'il gardait de l'enfant de Dienne dans ses premières années était plus que floue. Il savait en revanche que les Spires ne saisissaient pas l'esprit des tous jeunes enfants; que le pouvoir ne serait encore qu'une promesse. Et quel était le nom qu'on avait donné au bébé? Etait-ce un garçon? Préfèrerait-il une fille?
Une fille qui aurait les yeux bleus, et les cheveux noirs, sa peau pâle et des manières de princesse des glaces. Une fille serait plus simple, moins risqué.
Plus Marlyn, pensait-il, incapable de mêler leurs traits si divergents, lui qui pliait l'imagination à ses gloires.

Ses yeux retombèrent, presque par hasard, sur le pourpre de la robe de la mentaï, comme pour en interroger une énième fois la silhouette.
Comment pouvait-ce être crédible? Toute cette encre, ces défauts qu'il chérissait quand les autres jugeaient. Tempérer ce visage, ces manières de flamme, avec sa propre carcasse?
Il tenta de dresser le portrait d'une petite fille qui aurait d'eux; et serait à la foule ce qu'était Kara, exactement: insipide et fondue. Sagement vêtue, avec cette pointe d'extravagance dans les sourires, qui ne demande qu'à s'éteindre, au bras d'un époux riche et puissant.
Etrangement, l'idée lui donna la nausée; il voulut croire que c'était celle de perdre l'enfant avant de gagner le droit de la voir qui le hérissait.

Ailil, et son violon s'épanouirent dans les reflets sombres de la robe. Leurs visages si semblables, déjà, lorsqu'ils se côtoyaient en portrait, dans le salon, l'avaient toujours ampli d'aise. Bien sûr, elle avait des traits plus fins, des traits de femme suave, et bohème jusqu'au bout des doigts dès que l'occasion le lui permettait. Mais rien en elle de cette sauvagerie, de cette écarlate qui auréolait Marlyn d'ombres et de séquelles.

Sa manière de détourner les yeux, comme le faisait la jeune fille qu'elle était, le soir de leur premier baiser, face à ses miroirs innombrables, tira au mentaï un sourire plus doux.

Elle serait ici, réalisait-il. Ici, et sentinelle, sans moi, et j'aurais pu attendre, en la protégeant, la saisir grandie. Elle aurait eu cette silhouette là, et plus de prestance que ne l'aura jamais une nobliarde de campagne. Ils en connaîtraient tous le nom, et moi seul, je pourrais me vanter d'en savoir les ténèbres, tous les nuages d'ombres et de lames de sa peau.

Ensuite, comme pour boucler une boucle, il vit passer non loin de lui le jeune homme offusqué de tout à l'heure, dont il avait ruiné la tenue fort coûteuse. Il n'y avait pas de petites victoires.
Elle s'approcha alors, et s'inclina, et le noble souhaita, juste une seconde, retrouver dans ce geste tout simple la difficulté qu'avait l'adolescente à ployer.

Il manqua de répondre: Seulement si vous m'appelez Dolohov; et se retint à temps, en acquiesçant, désinvolte. Il l'attira à lui, avec ce qui convenait de retenue. Saisir la main, saisir le corps entre sesdoigts, oh, sois mon pantin, encore, toujours. De près, il constata que les perles s'irisaient davantage, au contact des cheveux noirs; plus vives, plus brillantes encore- il ne regretta pas d'avoir complété la parure.

Il effectua les premiers pas, machinalement.
Avant qu'il ne se souvienne que cette danse n'était guère convenable pour les toutes jeunes femmes, pas plus, d'ailleurs, que pour celles que la maturité rendait fragiles. Les violons avaient ce tragique incessant des mains d'Ailil, volubiles. Celles de Marlyn, abandonnées et douce, dans sa paume abîmée, il les savait palpitantes, et toutes de nerfs, chaleureuses comme les spires qu'elle tordait pour lui. Mais pas musicales, non. A quoi bon, des mains qui chantent, quand les voiles seuls de la robe la rendaient indescriptible, quand les lèvres si naturellement rouges, elle lui abandonnait les déclarations d'amour les plus pures?

Et leurs pas chassés, au murmure des tissus, esquissaient dans l'air des images somptueuses.

Dolohov avait fermé les yeux, pour mieux sentir les corps- il y avait dans la danse quelque chose d'important que son esprit manquait, tout brouillé qu'il était par la proximité.
Trop d'hamonie, pensa-t-sa joue frôlant la sienne. Elle n'ignorait rien de l'inconvenance de la situation. Elle avait désiré ce moment où il la dévorerait des yeux, en longeant son visage, la main pourtant distante, avant de l'entrainer jusqu'au hanches délicate, de l'y poser.

Il menait la danse, gracieux et délicat, d'abord sobrement, puis esquissant des pas un peu plus fantaisistes, l'accordéon l'inspirait, autant que les regards que Marlyn lui lançait. Vrilles caracolantes, rejets, et reprises, que les percussions marquaient, subtilement. Un pas en avant, silence, trois pas en arrière, et.
Il s'inclina sur elle, la cambrant toute entière, et croisa leurs yeux clairs, à deux souffles de la chute, en équilibre instable. Lut-elle quelque chose, qui l’inquiéta ? Il la ramena à lui, un peu trop rapidement, le regard baissé, quand leurs visages se faisaient face – et les lèvres, carmines, de s’entrouvrir un peu, sans murmurer rien, que les percussions lascives.

Oh, bien sûr, ils n’étaient pas seuls sur la piste, loin de là, certains dansaient en virtuoses, d’autres plus timidement et un autre couple, mené par un jeunot manqua de les percuter. Dolohov prit le prétexte pour attirer la jeune femme sur son flanc, imaginant l’oblique que devait souligner, du public, le mouvement de ses jupes écarlates, puis son esquive, que le pied droit marqua d’une arabesque dans l’air.

Puis, comme un reflet, longer chacun sans le toucher le visage de l’autre, en se laissant tomber, à demi. Ployer, jusqu’au genou, et sans sombrer, tout à la gloire de l’autre, et juste avant de sombrer, s’éloigner, se tourner autour, guetter du coin de l’œil.
Offrant son dos, ensuite, Dolohov la reprit contre lui, possessif au possible, la main à peine plus bas que la poitrine, refusant de céder au désir violent de mordre ce cou où s’éparpillaient les mèches folles du chignon déstructuré. Encore une étincelle de leurs désordres, là, près des vertèbres. Et Sareyn se laissa aller, quelques secondes, tout contre lui.

Puis s’éloigna, à nouveau volutes de ses jupes, un pas en avant, demi tour, trois autre pas, Et Dolohov s’éloignait au même rythme, arabesque pour rendre plus floue encore cette distance entre leurs corps ; puis la briser.
A nouveau, elle ploya, elle seule, son genou vint caresser le côté de celui de son maître, qui regardait au loin, pour le paraître. Quand, demandèrent ses yeux, quand viendras-tu nous briser ?
Il croisa le regard d’un homme, qui lui souriait, un autre vieil ami, du même ordre que Makel, qui ne s’étonnait pas de voir Dolohov jouer avec le feu. C’était ce qu’il faisait depuis qu’il était tout jeune. Il l’entendit presque dire « On ne me fera pas croire qu’on peut autant changer. Regardez-le qui lutte, et vaincu déjà ».
Ses mains retrouvèrent les épaules de Marlyn, redressèrent des barrières convenables, presque timides entre eux, et même les instruments semblèrent s’en rendre compte, les rythmes infernaux devinrent soudain plus doux, l’atmosphère, moins brutale, plus intime et pesante.

Quelque chose dans le regard de sa maîtresse lui rappela une forme de colère, mais peut-être n’était-ce qu’un reflet passionné, elle voulut à nouveau le sentir tout contre elle, il esquiva ses pas, crochetant délicatement sa jambe, pour créer à nouveau une vraie inclinaison la main entre ses omoplates, laissant son souffle réchauffer la gorge ; les clavicules, presqu’un départ de décolleté. De l’autre main, il tenait sa jambe, puis la laissa à nouveau s’évader. Elle lui sourit sûre d’elle, à lui, abandonnée, naturellement, il répondait d’un regard tendre, infiniment brûlant, peut-être pour une fois s’étaient-ils compris.

Cette fois, deux autres danseurs vinrent percuter son dos, le poussant brutalement vers elle, au point qu’il manqua de l’embrasser. Il se retourna, en colère, alors que déjà, le couple se répandait en excuses. Deux enfants, sans doute à peine fiancés. Le gamin lui rappelait ce qu’il était, adolescent, prenant des cours de danse, avec Shaïlan, et leurs domestiques. Il les chassa d’un faux pardon, furieux d’avoir perdu l’intensité de l’instant, tâchant de n’en faire rien paraître, rendant son regard à Sareyn, comme une excuse. Les derniers accords de la mélodie résonnèrent dans l’air, et tous applaudirent les musiciens, après une seconde ou deux, suivant les danseurs, et leur étreinte finale. Tous fiévreux, songea Dolohov.


-Il serait inconvenant que vous repartiez seule, mademoiselle, permettez au moins que je vous raccompagne, pour me faire pardonner de l’inélégance du final de notre danse ?


[Il y a prétexte, et retard, alors be my guest, fais-moi subir à ta convenance. <3 pirat ]

Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeLun 26 Mar 2012 - 0:11


Ses mains comme cage ou précipice le long de son échine, en cascade de souffle, elle ployait sous son regard, l’équilibre manquant de se rompre, tenue uniquement par la volonté du noble dont les mèches échappées du catogan frôlaient son visage, et il lui souriait, se penchait encore.

Et si tu me lâchais, est-ce que je tomberais pour toujours ?

A nouveau ses mains gantées de soie la redressaient, la relevaient fière et grande, comme de nombreuses fois elles l’avaient fait quand sa vie avait tourné à l’explosion, et comme elles le feraient encore pour peu qu’elle restât, encore et toujours ;
Dans ses bras.

Danser pour lui avec lui contre lui, ensemble, sans accrocs, sans mots, mais des regards et des souffles, ils n’étaient vraiment eux-mêmes que dans l’expérience de leur corps, à se comprendre. Danser procurait à Marlyn une extraordinaire satisfaction, sentir que rien ne la retenait que le masque, et ses mains, elle pouvait sentir chacun de ses muscles s’activer, ses jambes esquisser mille arabesques autour de celles de son maître, et jamais cette impression tant de fois éprouvée de douleur, de gêne, de raideur. Le noble la faisait se sentir gracieuse –femme- quand il la portait contre lui, esquivait entre eux les danseurs alentour.

L’ombre de Géant de Dolohov se répandait sur son corset et les plis feu de ses jupes au gré des lustres, il lui semblait qu’elle pouvait voir à nouveau les paysages qu’il avait créés pour elle à la Vigie, alors qu’elle se laissait aller en arrière, à lui, qu’elle retrouvait la chaleur de son torse et la douceur de ses étoffes contre la peau offerte de son dos.
D’une fuite elle lui échappa, sa course rythmée par les tambourins et les gémissements de l’accordéon, lui appartint de nouveau pour qu’il puisse poser les mains sur elle, et ployait sous son égide, possédée de la grâce de l’abandon jusque dans chaque fibre.
Ils ne parleraient jamais entre eux que de souffles, maîtrisés ou volés détruits et immolés.
Et quand il lui semblait qu’elle allait perdre le sien, la musique apaisa sa cadence infernale, et leurs gestes avec, et malgré tout, il manquait à la Mentaï le déséquilibre de la frénésie, elle regrettait un peu que réapparaisse le public, contempteur ou juge, et qu’il faille ne pas céder à l’étouffement de l’instant, et accepter qu’il détourne un instant son regard, ses mains et ses pas d’elle ; noble à nouveau.
Le masque tiraillait chacun de ses membres, cette nouvelle peau encore trop mal ajustée que la jeune femme ne voulait que : réduire en cendres, mais qu’elle avait collé à elle durablement en venant à cette réception en ce soir, devant lui et pour lui. Il suffisait d’une torsion des Spires, un simple effort, quelques secondes en suspens, ils seraient loin, libres de satisfaire le désir inavoué qui allait croissant à chaque frôlement de jambe, froissement de soie, regard brasier.
Sareyn, tu m’offres une danse avec lui devant le monde, serait-ce en échange de notre univers de ténèbres et de souffles ?

La main gantée de Dolohov Zil’ Urain, dans son dos qui venait la sauver d’une chute qu’il avait provoquée sembla abolir toute idée de réponse, se courber à nouveau sous le souffle chaud du noble rendait honneur à leurs moments, où leurs yeux étaient tout aussi brillants que maintenant. Y avait-il instant plus délicieux que le déséquilibre, l’antichute où seules deux mains de pierre la retenaient dans le carcan de son souffle d’amant incendié ?
Son regard d’acier croisa le sien encore, faisons-nous encore seulement illusion pour les autres ? Mais au font, qu’importe, puisque nous sommes là , et unis de nouveau ?

Et le monde de leur rappeler qu’il n’est pas d’instant éternel, même pour deux Imaginations puissantes et accordées l’une à l’autre. Frôler les lèvres de son maître par accident attisa au centuple la frustration de Marlyn, tout comme son souffle qui explosait contre le sien à cause de la bousculade.
Si son œil océan avait été de venin, le jeune couple qui avait ruiné l’équilibre aurait souffert mille supplices bien plus insidieux et longs que ceux dont allait souffrir Fanye dans les prochaines semaines. Si brutalement rappelée au masque, et surprise par la fin de la musique marquée par le crescendo final des instruments, Marlyn manqua d’un temps l’instant d’applaudir, et de saluer son cavalier d’une courbette.

Réajuster son univers, son personnage, ses mensonges, lui semblait cent fois plus dur qu’auparavant, son esprit était encore rendu à la danse, au tracé qu’avait laissé les doigts, le souffle, l’être de Dolohov contre elle et son regard qu’il lui rendait encore, même après, et qu’elle interprétait aussi fiévreux qu’elle.

- Même les rues d’Al-Jeit ne sont pas sûres pour une jeune femme récemment arrivée comme je le suis, aussi acceptai-je votre proposition avec le plus heureux plaisir, Sire.

Partir de la réception à son bras était une gratification bien plus grande qu’était ce supplice infernal de devoir soutenir le regard et les murmures des nobles et de la piétaille, et qu’elle ne supportait pas encore. Mais l’héritier des Zil’ Urain restait d’une dignité absolue, et la main qu’elle avait refermé sur le bras de son manteau de brocard ne pouvait être interprété que pour ce qu’il semblait être ; un artifice parmi d’autres.

La cour du palace était plongée dans la nuit, illuminée seulement par les lanternes de chaque carrosse qui attendait son propriétaire, dont les cochers attendaient sur les ridelles, la plupart somnolents. La jeune femme était arrivée par Pas sur le Côté directement depuis le manoir du Mentaï à Al-Chen, mais elle n’était pas irresponsable au point de n’avoir prévu aucune retraite dans la capitale ; manquaient cependant encore trop de détails et de plans à son goût, ce qui la fit hésiter une seconde.

-
Je loge présentement dans une suite à la Résidence du Sang-D’argent, dans le Quartier des Murmures. Temporairement, admit-elle devant le regard interrogateur du noble.

Il la fit monter dans son fiacre, d’un luxe ostentatoire qui souleva un sourcil surpris chez la Mentaï ; Dolohov Zil’ Urain était-il donc si ostensiblement riche ?

Après avoir donné des directives à son cocher qu’elle ne put entendre dans le vacarme des carrosses qui partaient autour d’eux, le Dolohov s’assit en face d’elle, par souci de garder une distance temporaire que la danse avait aboli, et qui avait éventé les artifices pour laisser s’exprimer un instant la passion latente qui existait entre eux, seulement étouffée par les mois d’absence, et le masque.
Ce masque qu’elle sentait lâcher petit à petit, dans son univers confiné, mais encore restait-il le cocher comme public, et Al-Jeit qui défilait par les fenêtres du cabriolet.

Al-Jeit et ses merveilles qui maintenait entre eux un silence entendu, patient, elle croisait parfois son regard en détournant le front de l’ouverture du fiacre, toute à la contemplation d’une Al-Jeit qu’elle n’avait jamais vraiment eu l’occasion de voir. Une fois à l’hôtellerie, que lui faudrait-il faire ? Prendre congé de son Maître, et conserver les apparences, se pouvait-il qu’il se risquât à monter avec elle ? Elle ne savait rien de l’habitus de Dolohov Zil’ Urain lorsqu’il se coulait dans son rôle de scène, et n’était pas encore assez informée sur les mœurs nobiliaires pour pouvoir l’extrapoler.
Être sortie vivante de la soirée, au bras de son maître, la colère et la passion tous autant maitrisés et avec une seule mort sur la conscience constituait déjà un exploit pour la jeune femme impulsive, et qu’elle était trop lasse pour prolonger cette nuit.

Sans doute à cette faille s’accrochèrent les mains qui lui enserrèrent le cou, et les ténèbres engloutirent Al-Jeit.

D’autres ténèbres, chauds et étouffants de silence, lui succédèrent, et Marlyn se serait cabrée en arrière, sans les lèvres qui vinrent voler son souffle et emprisonner les siennes, le cou et le bas du visage toujours prisonnier de l’étau des mains de Dolohov. La chaleur ardente de son souffle et la passion possessive de son baiser ne parvenaient pas complètement à expliquer le lourd battement de cœur que Marlyn sentait dans sa poitrine, ni l’amertume du danger brusque qui se distillait encore le long de sa colonne vertébrale, la retraite coupée par la commode qu’elle sentait buter dans son dos.
Elle se laissa aller lentement au baiser, un temps trop tard pour masquer complètement la chimère qu’elle avait cru se ruer à l’assaut de sa vie – le long de son cou. Ses mains vinrent à la rencontre du torse du Mentaï et elle se laissa attirer contre lui par les bras qui avaient glissé dans son dos.
De sang, d’horreur nos étreintes auront-elle toujours le parfum ?

Une immersion brève dans les Spires apporta la lumière flamboyante dans l’âtre et les chandeliers de la pièce, dont elle avait reconnu l’odeur caractéristique de cire et de poussière mêlées, et le souffle de Dolohov n’avait toujours pas quitté le sien ; ses baisers se faisaient plus tendres, plus contrôlés, moins impulsifs ou haletants, à mesure que la frustration la plus pressante passait et cédait le pas au restant de la nuit.
Marlyn se prit à penser qu’il avait toujours le pouvoir de lui tordre le cou ou et de l’étrangler d’un simple mouvement.

La joue contre la sienne, le regard perdu sous sa paupière fermée, elle respira profondément au rythme du souffle de l’homme, pour quelques secondes de paix retrouvée, et son cœur de se taire, jusqu’à ce qu’il la libère, lui permettre de sortir de l’étreinte de ses bras.
Pas qu’elle en eut la moindre envie du monde ; mais l’heure était aux explications, puisqu’elle n’était pas encore complètement apaisée que pour ne pas craindre l’ire du Mentaï ; pas complètement pardonnée, s’entendit-elle penser.

- Ca me semblait la meilleure solution
, commença-t-elle sur un ton d’excuse – d’excuse de quoi, l’étincelle dans le regard anthracite qui la fixait l’interprétait déjà de mille façons.

Elle fit quelques pas dans la pièce, et ses bracelets produisirent un tintement métallique quand elle les défit et les laissa échapper dans une coupe d’ornement, ses poignets désormais libres de la morsure de l’argent et de l’or. Le ceinturon de médailles les y rejoignit un souffle plus tard, le son qu’elle laissa échapper rappela à Marlyn le choc des fers que l’on agite, ou du métal que l’on bat – contre un corps, contre une enclume.

Dolohov, elle le vit du coin de l’œil, s’était assis dans une des causeuses du boudoir, en proie à ses réflexions, son regard allant du feu, à elle, au vide, possiblement. La jeune femme défit les lanières de cuir qui enserraient ses chevilles, et laissa ses pieds nus, meurtris par une soirée de danse, se réchauffer au contact des tapis. Se déparer des atours de Sareyn lui permettait de retrouver son calme et d’envisager ce qu’elle avait à dire avec plus de sérénité ; de tous les apparats de noble, elle détestait par-dessus tout le corset, qu’elle ne pouvait enlever sans aide, mais demander à son maître, en cet instant, lui paraissait déplacé, dangereux. Précipité, peut-être, aussi, ils avaient le reste de la nuit comme futur..

- Al-Jeit ne connaît pas mon visage, et apprendra à le connaître sous cet angle là, si le temps me le permet.

Et parce que le don des rêveurs me l’a permis, as-tu vu à quel point ils me regardaient tous, et toi le premier, sans qu’aucune cicatrice n’accroche à vos yeux ?

- Rester terrée entre quatre murs, à visage couvert, n’est plus une idée… supportable. Pas avec l’enfant
, souffla-t-elle en détournant le regard, glissant sur le dernier mot comme s’il eut été fait de poison. Mieux vaut qu’il grandisse en vrai fils de noble qu’en fils de fugitive.

Marlyn s’assit dans un fauteuil en face de celui du noble, contre le feu. Il gardait un silence pensif – demandeur ? Elle pensa à tous les hommes qui lui avaient tourné autour au cours de la soirée, pourrait-elle supporter ce vampirisme constant sur le long terme ?

- Qui sait, je pourrais peut-être, avec le temps, finir Sentinelle.

Cette idée tirait à Marlyn un sourire ironique qu’elle ne tentait plus de masquer, et qu’elle fit s’épanouir en miroir sur les lèvres de son amant. Elle avait commis beaucoup –trop- d’erreurs au cours de la soirée, par inconscience, ignorance de certains aspects du monde de Dolohov qu’elle avait choisi d’affronter. Lui dirait-elle, si elle se trompait, si le danger planait comme une ombre sur les tapisseries ?
Quelque part dans les étages, l’enfant dormait, oublié par sa conscience, souvent, élevé dans l’ombre, et d’ombre
Sans rêver d’eux, probablement.


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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeMar 1 Mai 2012 - 23:55

l ferma sur eux la porte, avec une impassibilité feinte; tout à l'envie de retrouver la promiscuité de son corps, le confort de leurs ténèbres, et somme toute, la satisfaction de se savoir en terrain connu.
Le mentaï en lui s'interdit néanmoins de céder à l'instant à la tentation.

En lieu et place, il prit place sur la banquette qui faisait face, et suivirent les premiers cahots du chemin du retour. Contrairement à son attente, la jeune femme se fondait dans une attitude silencieuse, voir distante, il songea « absorbée » par le paysage.

Il se mordit la lèvre inférieure, transforma rapidement cette grimace en sourire, alors que ses yeux retraçaient le profil de la jeune femme. Absorbée par la lumière, comme le serait un papillon, naïvement, irrémédiablement. Jusqu'à consomption, mais pourquoi fallait-il toujours se confronter à l'enfer?
Bien sûr, Al-Jeit était scintillante, la plus belle étoile de l'Empire humain. Les maisons y étaient plus blanches que partout ailleurs, et les tours défiaient les possibles, effilées comme des cristaux, dentelées et solides. Leurs ombres y étaient plus grande que partout ailleurs, et les quartiers pauvres regorgeaient de coupe-gorges, de maux bien immondes à attraper le soir, très tard.
Simplement: on l'oubliait. La capitale était splendeur, partout, multiples défis lancés à l'éternité, à l'imagination. Même le Pollimage, qui baignait ses pieds, peinait à rendre la pureté des bâtiments.

Les sentinelles, fières, et par soucis de sécurité, avaient créé ces vasques translucides, toutes remplies de feux différents, qui habillaient les rues de reflets, de couleurs; assuraient des reflets plus profonds aux bijoux, et plus de complexités encore aux oeuvres d'art.
Et Marlyn, qui découvrait toutes ces beautés, tous ces fils mentaux entrelacés, se laissait envahir par l'effervescence.
Sentait-elle, dans les lampions, les trames des milliers d'esprits qui grouillaient, tapis dans les derniers recoins sombres, exposés à la fureur des foules, sur les étales des marchés? Ou n'était-elle toujours que l'enfant, qui voit dans la vigie les murs, et dans son reflet une faible créature sans cesse détruite?

Il avait volontairement cherché à la tenir éloignée, le plus possible, de la ville-lumière, trop dense, pour elle, conscient qu'elle s'y achèverait. Al-VOr, à contrario, était paisible comme un été de bonne récolte, pleine de torpeurs, et de langueurs, perpétuellement figée dans l'attentes d'évènements minables et populaires, qui ne créaient que l'illusion d'effervescence et de vie: ici, une foire des marchands, où les rombières se jetaient sur les plus beaux tissus; là, le bal d'une cérémonie religieuse fastueuse, identique chaque année. Là, vendanges, dégustations des cuvées voriennes, les plus savoureuses. C'était l'écueil qu'il avait voulu pour elle, qu'elle puisse y resplendir paisiblement, attendre son heure, et si possible, y oublier toute forme d'ambition. Ca avait fonctionné, croyait-il. Elle était revenue à elle, à cette peau trop étroite pour elle, mais à lui. Apaisée, dévouée et offerte comme un fruit simple à croquer. Elle n'y avait rien perdu de sa puissance, que du contraire.

La colère emplissait la gorge du mentaï, alors que le sourire de la jeune femme lui répondait par à-coup, avant de se détourner, le plus rapidement possible, pour ne rien manquer du spectacle extérieur.
Au delà de l'échappée, dont il se doutait depuis un petit moment; il y avait ça. Par devers les changements de son corps, de son caractère, peut-être. Elle était ici, et bien loin de se repentir de quoique ce soit, tout au confort qu'il continuait de lui apporter, elle se laissait porter par l'intuition. Pourtant, tu devrais le savoir. Chaque fois que tu as pris l'initiative, tu as manqué de te tuer- ta sauvegarde ne tenait qu'à moi.

Qu'à lui, se répéta-t-il, en voyant son visage constellé de bleu, à la fenêtre de leur voiture. La prudence aurait exigé qu'elle s'en tienne loin, que d'éventuels espions ne puisse voir cette nouvelle venue, de la petite noblesse, partager le carrosse d'un grand nom trop marié et trop vieux pour friponner aussi ouvertement. Le bleu lui allait si bien au teint qu'il aurait pu, un instant seulement, la croire de sa noblesse. La croire d'ici, des paysages utopiques et azuréens, des chimères humaines qu'on mène, de bout en bout. Elle y était destinée, destinée à créer, comme eux, des rives plus distances, des tours plus hautes, des détails plus incroyables encore; et les disperser partout. Faire chanter les Spires, comme la Dame faisait bruisser les flots de son chant: faire partie de l'écho de perfection de la très haute caste. Se fermer, comme elle, à tout le reste, au rouge du sang populaire, qui continuait de bouillonner, sous les briques. Apaisés, pour l'instant, parce qu'il rêvait. Il le faut.

Ses mains, gantées du blanc de la ville, mourraient d'envie de se laisser aller, encore une fois, à ce qu'il avait déjà commis sans remord: il avait attrapé l'ange bleu, démantibulé patiemment. Il lui avait rendu l'écarlate, le feu, rendu sa noblesse tout autre, l'avait fait artisan des ombres, seulement.
Ca ne changerait pas la couleur de ses iris, songeait-il, de la tuer une fois de plus. Elle serait pour lui, plus que jamais, multiple dans sa palette. Son oeuvre d'art.
Il l'avait couturée lui-même, ré-assemblée, elle revenait sans cesse le lui demander.
En la créant, il avait abîmé son masque parfait, et peut-être avait-elle déteint sur son âme. Peut-être était-ce cette cicatrice hideuse, sur le dos de sa main, qui causait toute les faiblesses de l'homme; qui le poussait sans cesse à la sauver. Il avait investi pour elle, jusqu'à sa propre personne.

Ou peut-être, cela lui manquait-il. Il l'avait cru, longtemps. Chaque apparition de Sareyn, chaque erreur qu'elle commettait l'obligeait à se montrer plus fin, plus virtuose, à se mettre plus en danger.

Il y avait le Pollimage, et la nuit pour s'y rendre. L'aube pour l'y jeter, comme en dernier hommage, au pied de la cité; dans cet écrin d'Imagination que l'aurore embraserait. Il suffisait d'oser. Aller suffisamment vite; il savait le faire, il n'était pas novice. Elle avait donné naissance à l'enfant, il serait aisé de le retrouver. Il serait à lui seul.
Elle ne vivait que parce qu'il avait besoin d'elle, besoin de son dévouement, de son terrifiant pouvoir. Elle ne vivait que parce qu'il la sauvait sans cesse, par devers lui.

Il bondit.
Leurs lèvres s'étaient jointes dans le sang, dans l'horreur, et seule son étreinte pouvait la sauver des cauchemars récurents. Lui seul pouvait y mettre fin: il suffisait d'encercler ce cou d'une chaîne supplémentaire. Du blanc, tout deviendrait écarlate, passionel à la déraison. Et il serrait, serrait, jusqu'à ce que revienne le bleu originel; le bleu du sang, et la froideur de la noblesse. Tuer, arrêter ça, régler l'affaire.
Al-Vor, à des milles de là, où il avait choisi de l'apprivoiser entièrement, où il avait choisi de l'emmurer pour sa survie; maladroitement, et mentalement déchiré par les spires, dont le pouvoir se courbait, bien malgré lui.
Tu vois, disaient les lèvres, en l'embrassant à l'étouffer, tu vois, ce n'est qu'un masque, je suis brillant, et tous, vous l'oubliez, et ces bras où tu te jettes: rien, rien, je connais de ton corps toute ligature, toutes les coutures, toutes les marques, tous les battements, as-tu oublié nos souffles, quand tu me griffes, que tu me serres et que je sens, un peu moins la cire, un peu moins la poussière?

J'ai la couleur de tes pansements, le blanc opalin, le gris de l'aiguille, rien que du terne, c'est ainsi que je vis, que je vous survis tous. Et maintenant, petit feu, que l'on s'embrasse à t 'écorcher, que je sens sous mes doigts ton poul qui s'affole, que s'ajoute au blanc la couleur de tes terreurs; dis-moi? Qui, comment vas-tu te sauver?

Elle l'embrassait en retour, réalisa-t-il, avec un temps de retard. Comme elle le faisait d'ordinaire, comme elle l'aurait fait, si elle avait pu, durant leur tango. Et son esprit, dans les spires, dessinait des lueurs qui existaient- pour eux seulement.

Ses baisers s'appaisèrent, en même temps qu'une part de sa colère. Moi, encore. Puisque, je suis de cire, maléable à merci, mais surtout, sensible à tes flammes.
Encore une chance, songea-t-il, en relâchant phalange par phalange le cou délicat.
Il se détourna d'elle, lorsqu'elle enleva les premiers atours de Sareyn Til' Lisan, soucieux de retrouver d'avec son corps une réelle distance, pour la deuxième fois. Et l'écouter, comme il l'avait toujours fait, en décortiquant chaque paramètres, froidement, pour les utiliser à la fois pour et contre elle.

Par soucis de confort, autant que de paraître, Dolohov s'assit, sur l'accoudoir d'une des causeuses, toute proche de la cheminée.
Il retint un sourire, en entendant la première explication, la seule qu'il aurait, peut-être. Parce qu'il n'envisageait pas que Sareyn se soucie de l'angle de son visage, après toutes les batailles qu'elle avait pu mener. Qu'il n'avait pas imaginé un instant que l'idée de plaire, la conscience de le pouvoir lui manquait, lui semblait opportune. Elle ne l'avait pas dit, mais sa bouche, son demi sourire, prudent, l'éclat de ses yeux l'avait fait. Mais surtout, le mentaï mourrait d'envie de rire, par l'idée que la seule permission qu'elle envisageait, comme une sécurité, venait non pas du lui, mais du temps. Comme si le temps avait quoique ce soit à voir avec la couverture qu'il lui avait offert, ici. Comme si son pouvoir, à lui mentaï, ne dépassait pas, et de loin, celui du temps?

Agacé, aussi, de l'idée qu'elle n'envisage rien que du provisoire, le masque comme un sursis, destiné à voler en éclat. Et moi pour te sauver, encore, toujours, c'est ça? En échange de ton absolu pouvoir, de tes baisers de petite fille perdue.

Bien sûr, elle prenait comme excuse l'enfant. Mais, certes, j'ai vu comme tu les as séduit, comme ta robe était ajustée pour être, non pas celle d'une veuve mystérieuse, mais d'une jeune première, qu'on désirerait marier. Et là encore, comme tu es naïve, mon aimée.

S'il y a une chose à laquelle la noblesse tienne plus qu'à son or, c'est ses titres, la légitimité de ses héritiers. Qu'une jeune femme pavane en se prétendant noble, pour peu qu'elle puisse financer ses frasques, pourquoi pas? Ca n'en fera une noble que lorsqu'elle aura prouvé la pureté de son sang, de sa filiation, fait valoir une seigneurerie paternelle. Et quand bien même tu pourrais manipuler suffisamment de personnes pour faire miroiter une noblesse de tierce branche, issue du plus profond des campagnes du sud: ton fils n'en serait pas moins le vrai bâtard d'une noble déshonnorée...
Il cilla, pour ne pas répondre tout de suite.

Marlyn enchaîna, non sans ironie. Leurs lèvres se transmirent un sourire commun, sans même qu'ils aient à s'embrasser pour autant. Assurément, ils ne souriaient pas des mêmes choses.
La colère du mentaï venait de s'envoler. Bien sûr, le ton de la voix refusait d'admettre la possibilité. Mais la Sentinelle était tombée, tout droit dans leur conversation, et ce n'était pas par hasard.

Dolohov n'avait cessé de se demander, au cours de la soirée, comment contrôler sa maîtresse, sachant ses irrévérances, ses désobéissances spontanées, ses frasques de flamme, que la force de son corps retrouvé ne cesseraient de rendre plus évidentes. La réponse était là, aussi claire que les lumières de la ville lui seraient capitales. Avec le temps, devenir sentilnelle. Il comprenait que ça ne devait rien avoir à voir avec son influence, dans le doux rêve de son apprentie.
Et bien soit, disaient les lèvres closes en un sourire de chat: soit. Rêve, tu ne sais t'en empêcher, et chaque fois que la réalité se transforme en cauchemar, reviens-moi plus affolée, oblige toi à rêver toujours plus fort. C'est moi, toujours, qui t'amène au delà de ton imaginaire sans borne. Soit: je ne la baliserai plus. Brûle-toi, cette fois, j'irai en ce sens. Et tu vivras, autant que je l'autoriserai: à moi.


-Je ne peux que te détromper pour l'enfant, répondit-il néanmoins. Je rougirais des moyens qui pourraient te permettre d'en faire...

Il s'interrompit, parce que le fait de le dire lui-même le lui faisait réaliser.
Le fils d'un noble. Il baissa la tête, s'humecta les lèvres, osa la regarder, sans arriver à se figurer sa propre expression quand il murmura:


-C'est un garçon, alors.

C'était comme répandre sur eux le regard d'un tiers absent, dont ni l'un ni l'autre ne figurait trop quoi faire, ni comment. Mais le fait de le verbaliser réveilla davantage que le mentaï le noble. Il avait un fils. C'était comme jeter un voile sur eux, sur un accord tacite passé, brisé une fois, prudemment, et une autre, différemment.

Il crut lire dans son regard une forme de détresse, se demanda s'il était bien portant, bien formé. Il avait toutes les excuses pour ne pas l'être, après tout. N'osa demander, ça viendrait. Plus tard, peut-être. A eux, d'abord.
Il n'aurait pas été vain sans doute, d'énoncer les moyens qu'elle aurait de faire reconnaître l'enfant comme noble, si c'était là son ambition. Mais Dolohov répugnait à faire entrer un père de substitution entre lui et l'enfant. Entre lui et sa mère. Et l'idée de reconnaître le bébé lui paraissait extrêmement risquée. D'une part, parce qu'Ailil saurait sans doute évaluer son âge; et que la coïncidence des dates ne lui plairait guère. De l'autre, parce qu'il mettait en jeu son héritage, et la part Til' Eyvindr qu'il aurait assuré à ses héritiers. Un bâtard n'aurait nulle prétention à les acquérir. Et s'il venait par la suite un fils légitime, il deviendrait tentant de faire abattre le petit gêneur, par soucis de ne pas dispescer le patrimoine. Avaient-ils envie de parler de ça?

Le silence s'éternisait, le mentaï aurait préféré qu'elle reprenne la parole, aille au bout de ce qui la rendait toujours plus vulnérable.


-Tu ne m'avais pas dit que tu savais danser, reprit-il, avec un sourire tendre, un peu carnassier sans savoir s'en empêcher. Y a-t-il d'autres choses que je devrais savoir?

A nouveau, équilibriste. Puisqu'elle avait rencontré le masque, qu'il l'avait repoussé, tuée presque, quoiqu'elle ne le devine qu'à peine. Je te sais rouge et bleu, tu me vois presqu'entier, à présent. Il nous reste à tous deux des zones d'ombres. Voudrais-tu t'y pencher, ou parleras-tu simplement des conséquences?

Si c'est Al-Jeit que tu veux, sois, prends le temps de la désirer. Si c'est être sentinelle, et que ça peut te tenir occupée, crois-moi, tu n'auras qu'à demander. Patienter. Mais si c'est ton fils la raison de toutes ces vagues, et qu'encore une fois tu te déchaînes, si c'est par enfantillage, voir par curiosité. Méfie-toi, Mentaï, il n'y a que moi qui puisse te sauver. Et si, vraiment, il n'y a que moi...



[c'est toujours "moins bien que.. " mais. Sinon, ce sera toujours en chantier, et je n'aimerais pas interrompre une discussion. trololo ]

Marlyn Til' Asnil
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeVen 11 Mai 2012 - 2:41

Et si ses craintes étaient vraiment fondées ?
La jeune femme avait espéré, vainement, qu’apparaisse un sourire de connivence, une idée lancée du néant, et qu’elle n’aurait jamais pu saisir, et dont elle n’aurait pas compris la moitié des termes, mais qui aurait résolu l’univers sur sa route, et tracé de nouvelles comètes incendies, resplendissantes. N’y avait-il pas de réponses dans les ténèbres de son univers à lui ?
C’est un garçon, alors- et cela ne change rien, laisse aux rumeurs leurs chimères et occupons-nous de nous.
Au lieu de ça, le silence.
L’absence d’anthracite.

La conscience d’avoir mis au monde un garçon avait travaillé Marlyn depuis des semaines, sans qu’elle ne puisse le comprendre, et jusqu’à être confrontée au monde de la noblesse, dont elle percevait seulement la surface des constellations de règles et d’us, et qui semblait changer constamment sitôt qu’elle en assimilait une facette. La notion de bâtardise était loin d’être étrangère à la jeune femme, dont l’esprit admettait l’hypothèse qu’elle pouvait elle-même être issue de deux personnes de rien ; qu’elle ne devait sa vie qu’aux tricheries qu’ils mettaient en place. Mais cette tricherie supplémentaire, pourquoi ne marchait-elle pas ? l’univers autour de l’enfant avait toujours refusé de marcher, et le silence du noble Zil’Urain ne pouvait signifier qu’autre chose : qu’il soit un garçon empêcherait d’autant l’univers de tourner.
Ce n’était pas faute d’avoir essayé de comprendre, mais les lois d’héritage, de sanguinité étaient complexes, et elle n’en avait appris la teneur que quelques jours auparavant, n’avait pas su quoi en faire.

Oh, venir à Al-Jeit avait semblé la meilleure solution, mais maintenant qu’il venait de le nier, de mettre par terre ce plan chétif, squelettique en diable, que restait-il à reconstruire ?
Il reprit la parole, une voix aux anciens accents, maitrisés, connus, aimés, et chassèrent le marasme songeur dans lequel la Mentaï avait sombré pendant quelques secondes. Brusquement, peut-être trop, son menton se tourna vers lui de manière heurtée, surprise, non maitrisée – corps, maitrise-toi donc. Elle reconnaissait ce sourire d’entre tous, celui qu’elle avait déjà vu mille fois, dans des miroirs ou des souffles, qui l’appelait à sourire en écho, courber ses Spires, ne voir jamais plus loin comme horizon que ses lèvres, et ce sourire à l’infini entêtant.
Si seulement.

J’ai l’impression de l’écho d’un rire, derrière, dans les ombres, une impression fugace qui me colle à l’œil, et revient dans mes oreilles – pourquoi n’ai-je pas envie de rire aussi ? La soirée aurait du se ponctuer ainsi, et sans conséquences, juste l’amusement, la spontanéité du feu, sa lumière.

Retrouver ça pour quelques secondes – elle joint les mains pensivement, le front posé sur l’extrémité des doigts, et posa à nouveau le regard vers son Maître, et son esprit de forcer l’apaisement, juste gérer l’air, descendre et remonter des poumons, son regard de tracer pensivement les ombres que projetait le feu sur le corps brocardé du noble, et le bleu de ses coutures, et des veines, croiser l’anthracite sans le soutenir, et posément –
Les autres choses qu’il devrait savoir.
Tout un univers de silence absent ne se résumait pas en mots, songea-t-elle, que lui demandait-il là ? Mais ce sont des mains autour du cou le long de la nuque et un baiser, perte de souffle et, oh bien sûr, elle ne percevait pas consciemment tout ce que les phalanges gantées de blanc avaient vraiment cherché à transmettre, mais l’inconscience primitive, la survie, réinstaurait un certain climat de déséquilibre. Les chimères devaient bien avoir une part de vérité quelque part, elles ne mentent pas toujours.
S’il est de nombreux sentiments qui traversent mes veines à ton égard, la peur, non, je ne la pensais pas possible. Pas consciemment. Mais ce soir, cette nuit, toi à me regarder, à me demander les autres choses que tu devrais savoir, devrais-je te craindre ?

- J’ai beaucoup de nouveaux talents
– et son silence se mua en sourire ambigu, tout à la suggestion de l’idée.

A la pensée de tout ce qu’elle avait du et voulu apprendre en seulement quelques mois, dans tous les domaines possibles, et qu’elle avait encore du mal à concevoir comme plausibles, elle manqua de rire, détourna un instant le regard en levant un sourcil amusé, les lèvres retroussées en un demi-rictus.

Un frisson dans sa nuque chassa son sourire progressivement, à mesure qu’elle ressassait mentalement les mots qu’elle voulait formuler. Ca n’était pas censé être difficile ; elle avait répété si souvent cette conversation dans sa tête, seule avec ses ombres monstrueuses, et il venait de lui donner la possibilité, l’autorisation – l’ordre, oui.

Mais son ombre de géant sur le tapis, et ses mains autour de sa nuque, ses lèvres serrant les siennes. Elle n’avait jamais osé le confronter en face, attirer par des mots plus que son amant le Mentaï. Et s’il-

- Mais il en est d’anciens qui resteront toujours
. – elle fixa son Maître sans défi, mais sans défiance- Comme le fait que je suis borgne, pas aveugle.

Avec tout ce que cela implique, que je n’ai pas été si mauvaise élève que tu sembles suggérer, que tout ne m'échappe pas complètement. Elle prit une inspiration plus longue, chercha à la maitriser, et sans cesser de surveiller, du coin de l’œil, qu’il ne réagisse.

- Cela fait des années maintenant, je connais les tapisseries de ce manoir mieux que personne, et le nombre de lustres. Si effectivement, mon pouvoir est aussi grand que vous me le répétez, s’il peut renverser des murailles, et enflammer le monde, pourquoi, pourquoi l’enfermer ici ? Vous ne m’avez jamais demandé une seule fois de l’utiliser, je l’aurais fait –mille fois ; seulement montré comment le taire, et me taire au monde. Êtes-vous seulement Mentaï, en fin de compte…
termina t-elle un peu à part elle-même, incapable de déchiffrer l’expression de Dolohov qui la contemplait, sans avoir seulement bougé.

S’opposer à lui directement lui glaçait les sangs. Et ses mains le long de son cou, et son mouvement de recul involontaire. Le Mentaï, elle n’en avait jamais vu la véritable puissance, juste appris à la respecter. Et en cet instant, elle la craignait. Mais c’était trop tard.
Peut-être comprendrait-il, Jeitien lui-même ?
Se consumer, elle avait toujours fait, Al-Jeit représentait dans son imaginaire une consomption aussi finale que le contrôle était possible. Marlyn s’y était préparée, cette fois, et elle se rendait petit à petit compte qu’il n’en croyait rien, sinon pourquoi ce sourire ?
Ses dents grincèrent d’agacement, mais son œil cherchait toujours le danger – m’appelles-tu traître, toi aussi ?
Alors que toutes mes inconséquences, les Spires qui me rongent l'esprit, c'est parce que tu as été absent, mon maître, mon amant ?


- Vous ne pouvez plus m’obliger à m’enfermer ici, si Al-Jeit se souvient de Sareyn.

Marlyn se leva et se dirigea vers un secrétaire en ébène qui se tenait dans un des angles plus sombres de la pièce, et dont le bois grinça quand elle en ouvrit le panneau. Son regard caressa les tiroirs ornementés, l’encrier, les plumes. Ces objets si profondément étrangers. Mais écrire était devenu une nécessité – un nouveau talent, sans doute, lui aussi. Elle saisit entre ses doigts fins un parchemin au sceau brisé.
Ses pensées dérivèrent, une fraction de seconde, en passant les droits près faux panneaux du secrétaire, où elle avait rangé, temporairement, tous les petits elixirs de mort et la possibilité d'en recréer toujours. Ce serait si simple, tu n’aurais qu’à assumer l’idée. Assumer. Autre chose qu’il devrait savoir ?
Baste, monstre.

Elle revint à lui, jeta le document sur la table basse la plus proche de l’héritier des Zil’ Urain sans prononcer un seul mot ; se reposa à sa place initiale, le menton dans la paume, en silence, tandis qu’il se saisissait du papier.

Qu’il y voie les plans qu’il voulait : elle s’était préparée. Ce testament du vieux Til’ Lisan, le vrai, qu’elle avait, après de longues semaines de tentative, réussi à extorquer de son esprit sénile. Des semaines à apprendre à maitriser ce nouvel aspect du dessin dont elle touchait à peine la surface, former des images dans les esprits faibles, insuffler des idées.
Des existences. Et tout cela en maintenant le silence dans les Spires. Ce testament était son passe-droit, la première brique d'une nouvelle identité ; elle lui accordait le droit d'existence, et la possibilité d'hériter de coffres supposés vides, et qu'elle pourrait transformer en richesses, ces richesses qu'elle commençait d'avoir, en vendant ses talents au plus offrant des monstres..

Est-ce qu’il pouvait lui enlever ça ? Est-ce qu’il pouvait lui en vouloir d’avoir voulu, une soirée, oublier ces tractations mentales, et se laisser à la danse, à lui, croire que les lendemains pouvaient être sans conséquences et les masques fragiles ?
Oh, bien sûr, elle n’était pas encore complètement sûre de sa position, l’esprit des autres membres de la famille lui échappait encore, et d’autres documents devraient peut-être s’ajouter, d’autres extorsions.

Dolohov parcourait le document en silence, et le regard océan de Marlyn contemplait le mur opposé à la silhouette régalienne du Maître, à l’expertise duquel elle faisait appel.
Les plans pour Al-Jeit…
son Imagination consumait souvent sa mémoire, et des efforts ridiculement intenses elle devait fournir pour arriver à se concentrer, à ne rien oublier, à tout prévoir.
Les parchemins brûlaient trop facilement pour qu’elle les consume dans l’incendie de ses actions.

Le regard de la jeune femme, relâchant enfin son attention face au danger que le Mentaï incarnait chimériquement, revint au secrétaire, cette pensée noire de poix, fugace, informe.

C’est un garçon, alors.

Je devrais savoir… Sans se l’avouer, depuis des mois, tout construit dans un univers à un seul centre, pas deux, et des documents je ressens le vide, des plans l’absence.
Sans émettre un son, les lèvres de la jeune femme formèrent pensivement quelques mots, le regard posé sur les lignes galbées du secrétaire.
Il suffisait de trouver le bon dosage, elle savait pouvoir le faire.

Est-ce donc si monstrueux de ne rien trouver au fond de soi lorsqu’on cherche encore une logique, une passion, un feu, quelque chose auquel s’accrocher pour aviver le remords ? Elle avait même songé un temps mentir à son amant, au Mentaï Dolohov Zil’ Urain, elle aurait eu toutes les raisons du monde de faire un mort-né ou de le voir succomber au bout de quelques jours.

- Il pourrait encore disparaître
, répéta-t-elle à voix haute, sa voix, désincarnée.

Elle avait beau chercher, dans les Spires, dans la Mentaï, dans la maîtresse, dans la jeune fille, elle avait même espéré la trouver dans Sareyn mais, non, elle ne la trouvait pas. La mère.

- L’enfant.

Il pourrait appartenir au passé, comme toutes ses autres blessures, toutes ses autres douleurs, brûlé à travers sa vie en trajectoire amère, et puisque le Mentaï n’avait pas la réponse à l’univers ? «
- Il n’a pas de nom. Ce ne serait pas très difficile, rapidement fini, un instant vivant et puis –évanoui. Et ça n’aurait plus de conséquences.

Pas d’importance.
»

Elle refusa catégoriquement de lever l’œil.
Soutenir le regard de Dolohov était, à cet instant, impossible.



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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeDim 20 Mai 2012 - 2:21

Je n’en doute pas, répondaient les iris, tâchant toute fois d’ôter de l’idée toute sensation détestable. Il n’avait pas à être des deux l’enfant.
Il s’était suffisamment laissé aller, ce soir, aux amourettes adolescentes, aux retournements burlesques. Impassiblement, revoir dans sa tête, le gamin au menton carré quitter la salle à toute allure, en vitupérant. Et puis l’autre, l’ami, profitant, s’étouffant.
Les mains crispées, sur la robe rouge, les doigts volants entre les boucles, à la recherche des perles bleues, iris, descente. Et voilà qu’elle se détourne, fière encore, de son sourire qui tremble un peu, gamine, enfant. Comme elle tremblait, au départ, quand ils parlaient. Quelles terreurs il inspirait à l’adolescente, quand bien même il n’avait jamais osé lui dérober même un baiser, qu’elle s’était enhardie à prendre ?

L’imaginer, pareillement, un peu moins rouge – cela, au moins, lui appartenait en plein- moins fragile, plus femme. Et ne pas douter du fait que les baisers étaient mortels, aussi terribles que les poisons qu’elle utilisait en signature, que les desseins qui tapissaient son esprit depuis le tout début peut-être. Mortelle comme l’attrait primitif et viscéral qu’elle avait du danger. A quoi bon Al-Vor, c’était vrai, quand on pouvait conquérir Al-Jeit, à coup de morgue, à coup de dents.

La pomme d’adam de Dolohov marqua la mesure de son désappointement profond, en constatant la hauteur de son regard. Aller-retour, serein, toujours, la gorge tapissée de violences et de sarcasmes. Il le savait, pourtant, que Sareyn y était sourde, autant qu’aux recommandations, et jusqu’alors, rares avaient été les occasions ou l’envie de la saisir et lui hurler dessus avaient pu saisir le mentaï, galant à sa manière, par-delà le nobliau.
“Remember when we use to play:
Bang Bang I shot you down”
Sa voix reprenait, et Dolohov de ciller, l’amertume montant en bouche plus sûrement que le poison. Et le sang du mentaï de lui battre les veines, un peu plus violemment. L’homme restait impassible, affrontait le bleu regard qui n’osait le quitter, en analysait le mélange de défi, et de peur, croissante. Pas aveugle, non, sans doute pas, mais peut-être faudrait-il envisager d’ouvrir les yeux une bonne fois. Que comprendre, sinon que tu deviens aussi gâtée que n’importe quelle personne du milieu que tu singes, et comment, comment oses-tu, après tout ça ? Tout ce que j’ai fait, et que l’éducation m’interdira de nommer. Les pupilles de la jeune femme s’agrandissaient progressivement, avalaient le bleu, happé par l’obscur. Sans trace de désir, cette fois, n’est-ce pas ?
Enumérait-elle toutes les armes qu’elle le savait porter ? Il compta, s’imaginant à sa place, tenter d’envisager les possibles, comme il l’avait enseigné : deux poignards, un dans la ceinture, un dans la botte gauche, tout près de sa main d’épée. Des crochets à poisons, dans les poches cachées à l’ourlet des manches, et peut-être des pointes plus petites, dissimulées ça et là ?

Pourquoi détruire ce qui nous appartient ? Pourquoi te le demander ? Le monde était à nous : me voilà époux, te voilà princesse, et mère, et riche, ton adorable cul posé sur mes coussins de soie.
Peut-être aurait-elle dû appartenir à Amjad, se prit-il à songer, avec l’ironie et la dérision que lui accordait l’absurde de la situation. Lui aussi aurait été pour tout détruire. Pour la beauté du geste.
Mais ses yeux voyaient le beau ailleurs. Dans l’ombre, la conquête, le détournement. Dans chaque journée que le monde voyait passer, en se croyant immuable, et ou son pouvoir grandissait.

“Bang bang You hit the ground
Bang bang I always won”

Mais voilà donc la raison de l’éclosion de ton masque. Sans doute se serait-il débridé plus vite, si seulement les pas de base t’avaient été enseignés plus rapidement ? Et la raison de ta robe, de tes regards, des quelques perles qui constellent encore certaines de tes mèches- où tu ne peux plus les voir, où l’Homme les regarde encore- malgré lui, n’en doute pas.
Plaire pour marquer, être jeune en fleur, plutôt que dame de mort ? Qui irait chercher la carcasse de l’enfant du chaos en Sareyn, soucieuse de plaire, et de savoir comment ?
Si c’était la fuite qu’elle voulait, l’indépendance la plus complète, alors pourquoi se jeter au coup de son monde ? Sinon pour qu’il remarque, qu’il s’en étonne.
Mais pas que. Sans doute était-ce les reliquats du vin, et des multiples surprises du soir, elle avait su lire une part de son dédain, suffisamment importante que pour redouter tout contact physique. Ou de peur, peut-être, que la chaleur de sa peau, au contact des mains du noble, lui brûle les gants.
Ou as-tu peur de tomber, encore un peu plus, dans mes bras ?
Il se saisit du document, le parcourut avec attention, impressionné autant qu’agacé par l’idée des efforts déployés pour crédibiliser Sareyn au nom si proche de celui de Marlyn. Néanmoins, il reconnut une forme de présomption, statua sur le fait qu’elle devait effectivement apprendre de certaines erreurs. Et qu’il pourrait lui déchirer, sous les yeux, pour asseoir une forme d’autorité dérisoire, et déclarer une guerre qui n’avait pas lieu d’être. Un parchemin, et combien d’heure à rêver dans l’Autre monde la vie qu’aurait eu le vieil homme, si l’enfant Marlyn avait été sien. Combien de temps avait-ce dû lui prendre ? Elle avait eu pour mère une femme rigide, et pour père, sinon le vent, peut-être juste une ombre moquée, dans son imaginaire.
Comptait-ce, que celui-là aussi te cède, et qu’il te donne la vie de noble que tu convoites ? Que je t’ai refusé, en ne te mariant pas.

Il releva les yeux vers elle, interrogatif. Est-ce un chantage ? Ton retour à l’ombre contre un service ? Il entrouvrit les lèvres, en voyant sur les siennes apparaître le mot enfant ; et en éprouver toute l’horreur. Ils avaient convenu de nombreux meurtres, ensemble. Et ensemble, ils avaient tissés des avenirs cruels à une quantité d’enfant en les privant de parents, c’est pourquoi le mentaï, loin d’éprouver l’horreur que n’importe quelle autre personne censée ressentirait, se sentait curieusement touché par la voix, invoqué à quelque chose de profondément ancré, au moins entre eux. Mille fois, elle aurait pu choisir de le tuer. Mille fois, elle aurait pu l’achever, pourquoi y aurait-il eu de scrupules ? L’abandonner. Le laisser à l’ombre, dont chaque mot l’arrachait. Comme si dans son esprit, Dolohov avait sur tout être le pouvoir de vie et du monde. Le monde continuait bien de tourner, puisque le noble l’avait souhaité.

Sa main s’approcha de la sienne, théâtralement liante, sans volonté de saisir, plutôt d’interrompre le flux des paroles, le cours de la pensée. Le regard était lourd, sans reproche, mais comme d’une tristesse amère, qui seyait aux hommes que l’âge rattrapait.


-Ne te cache pas derrière l’enfant pour me fuir, car de lui aussi, il nous faudra parler. Plus tard. Tous deux nous le savions. Mais…

Les mots vinrent, lancinants et légers sur son palais de noble ; suspendus à ses crocs, retenus pour la plupart. Il avait les yeux baissés sur ses phalanges, les marques sombres des bagues auxquelles elle n’était pas habituée, les jointures fines, fragiles, immobiles, contractées, presque. Nulle part, sur cette peau que l’encre avait déserté ne subsistait une imperfection réelle, aucun grain de beauté naturel. Cela aussi, en son temps, il l’avait admiré, tenté d’en dénicher, sans doute, par jeu, et pour s’en assurer ; c’était de l’Ombre qu’elle tenait toute parcelle de grâce, toute spécificité. Il aurait aimé en imposer chaque marque, bien sûr, mais ça n’aurait pas été possible. Pas avec elle. Pas dans cette vie.

-Faut-il que j’aie échoué à te guérir de tes réelles blessures pour prendre dans ton cœur la place des bourreaux, mon ange ?

Leurs regards se croisèrent, et chacun de lutter intérieurement avec sa part de colère. Dolohov, à son dépit, et presque franc, avec dans la main un testament qui léguait un empire et un destin à son interlocutrice. Et elle, un peu choquée, peut-être, de l’absence totale de morgue, surprise, peut-être, que l’amant prétende à une forme de fragilité, même après les reproches, les accusations houleuses, qu’il repassait dans son esprit, en la regardant impassible et bouleversée, colère. Pourtant, un rire lui échappa, presqu’une quinte, à peine un éclat. Hurler, à s’en rendre lui-même rouge ou bleu, quelle jouissance cela serait.

-Nouvelles idées, que celles-là, n’est-ce pas ? Depuis combien de temps suis-je pour toi le geôlier, sinon précisément à la seconde où ton propre corps a cessé de te retenir ?

Elle blêmit, releva la tête, et il sentit dans son esprit l’imaginaire cavaler. Pourtant la phrase était dépourvue de cynisme, et si le regard du mentaï était glacial, c’était parce qu’elle menaçait de le couper. Il est simplement de choses, bien au-delà de ce qu’il pourrait encore tolérer ce soir.
« I used to shot you down »

-C’était la thèse initiale de notre contrat : te rendre à la liberté. Tu m’as vu, tout à l’heure, Marlyn, comme tu me vois à présent. Ais-je l’air d’un homme libre ?, demandait-il, comme il pouvait lui murmurer des mots d’amour. Toi qui m’a vu, agir dans ma propre ombre, toi qui connais mon nom, mon amour pour toi, et tous mes visages ; t’ais-je paru plus libre ? Moins bridé dans les Spires, as-tu jamais éprouvé la puissance de ma colère ? La puissance de mon don ? Et pourtant, qu'ais-je jamais eu à me refuser? Dolohov Zil’ Urain est le seul masque que je puis rêver porter, la seule identité qui puisse m’aller à jamais, ce que je suis et mon masque de scène. Celui-là même à qui chaque interlocuteur prête des démons ou des anges, des vices et des talents. Et je vieillis, Marlyn, toi qui voit les lustres passer sur mes traits, cela peut-il t’échapper ? Le masque est rattrapé par le temps que je crée. Mais toi… tu es imatérielle. L’enfant du chaos, et mon petit feu fragile, le cauchemar de dizaines d’adolescents, l’énigme qui ravit, de ci, de là, une vie, et se sert, et s’enfuit, apparait, disparait, multiple, duplice, et merveilleuse. J’ai voulu pour toi tous les luxes, y compris ceux que jamais je n’aurais. J’ai voulu, je le déplore, pour toi, le silence, l’anonymat parfait. Et tu as tué un très noble héritier, et tenté d'abréger les souffrances de l'Empereur.

Un sourire, le sourire triste du début, qui soulignait toute la rancœur, prétenduement celle de l’Homme qui aurait voulu en être. Peut-être. Un sourire qui disait « je sais » et qui prétendait accepter, sans connaître, celle-ci toutes les autres frasques. Si tu as eu le temps d’envahir la cervelle d’un pauvre bougre, bien sûr, tu as pu, plus jeune, rencontrer va savoir qui, à chacune de mes absence. Ton inconstante indiscipline est sans doute ton plus probant talent.

-Reproche-le-moi, si tel est ton désir, je ne suis puis cependant rien regretter de ce que j’ai pu faire.
Tout ce qui a été, je l’ai pensé, je l’ai créé pour toi. Tu t’es donnée à moi, et je te protège. De toi, y compris, s’il le faut encore
, acheva-t-il, la voix tendre et grave.
Il se releva, parchemin à la main, retourna le poser au secrétaire, avec une neutralité évidente. En lui tournant le dos, en détournant parfaitement les yeux. Cavalière manière de lui affirmer qu’à aucun moment, lui ne la prenait comme une véritable menace. A tort ? Jusqu’à présent, au moins, il était plus vivant que mort.


-Je pouvais protéger Marlyn, jusqu’à ce que tu la découvres toi-même. J’ai voulu sauver Sareyn, mais voilà que c’est elle, maintenant, dont on va se souvenir, reprit-il, en lissant le parchemin sur la surface plane. La différence, entre elle et Marlyn… c’est que Sareyn n’est qu’un nom qui enferme ton essence, et pas ton identité réelle. Tu auras besoin de moi pour faire d’elle quelqu’un de véritable.
Tu auras besoin de moi pour en faire une sentinelle.


Suspension, à nouveau, de l’appat dans l’air. Il se tourna, souriant, s’attendant à croiser à nouveau son regard ; mais il était comme accroché aux flammes. Tu n’as jamais su leur résister.

-Le monde est à nous, Sareyn. Regarde-le bien. A quoi bon haïr, et redouter? Tout ce qui ne s’est soumis s’est brisé.

Ce qui est mien, je le protège, de lui, c’est vrai, parfois. Tant qu’il est mien. Et tiens-le pour dit.


Marlyn Til' Asnil
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeJeu 31 Mai 2012 - 3:07

Le gris regard, froid et pierre ; chacun des mots qu’il prononçait, en voix feutrée comme ses gants, lui cinglait la peau comme une pierre glacée, en tirait des frissons, mais n’est-ce pas ce qu’il voulait dire, au final ? Si elle devait craindre chacune de ses phrases en contractant les épaules, comme en attente qu’un coup ne s’y abattît, alors qu’il ne l’avait jamais touchée, autrement que par caresses, et souffles. Elle repensa aux mains autour de son cou, et qu’elles avaient prises pour avides de sa vie, alors qu’il n’avait cherché, elle tenait résolument à le croire, que ses lèvres, et la proximité.
Des images sombres lui apparurent à l’esprit à mesure que les mots fleurissaient sur les lèvres du Mentaï, imaginant son maître, ses doigts frôlant encore les siens après les avoir saisi un bref instant, tantôt bourreau, tantôt geôlier, et mille stratagèmes qui l’enfermeraient à nouveau dans son corps, dans des limites qu’elle avait arrachées à coup de drogues, et d’attente, et de morgue. Il aurait pu tout aussi bien crier, se lever, prendre un ton qui siérait à l’acier de son regard, mais au lieu de cela, les anciens surnoms, un accent grave, profond, celui qu’elle avait aimé entendre lui répéter des promesses, et que tout irait bien quand elle se réveillait de cauchemars blancs.
Nerveusement, ses doigts repassaient sur cette petite imperfection, qu’elle tenait au creux de sa paume, y butaient comme une cicatrice, une couture de plus seulement plus froide, plus immuable.

Quand il évoqua leur contrat, un frisson parcourut sa nuque, là où, il lui semblait, le souffle de son amant allait encore maintenant s’échouer. Le malaise persista tout du long, tandis que des mots, il décortiquait si finement le masque de la noblesse qu’il avait porté ce soir, et qu’elle découvrait pour la première fois. Tant de choses, sur lesquelles ses phrases portaient, avec une précision qu’elle jugeait démente, au bord de l’écœurement.
Faudrait-il avouer, plus tard, qu’elle ne se souvenait pas des termes de leur contrat, qu’elle n’en connaissait plus la teneur que lorsqu’il la serrait contre lui ? Elle se rappelait du jour de leur rencontre l’immense colère et haine universelle qui faisait trembler ses membres et sa voix, le vertige de l’échappatoire, tout pour fuir la claustration dans une Académie qui avait méticuleusement cherché à la briser.
Elle se rappelait l’impuissance face à Slynn qui l’avait rattrapée, la douleur dans son épaule, le contact chaud du sang du noble qui se mêlait au sien, la chaleur de sa voix, et du soleil en contre-jour, dans les hautes herbes des collines de Taj…
Des mots, point.

Et cette liberté… fuir l’Académie, voilà ce qu’elle avait du croire être la liberté, et revenir se jeter dans le monde comme un morceau de bois dans l’océan. Trop souvent, elle avait fini charriée sur le rivage, brisée, ravinée de sel et de sang, de gouffres écumeux. Liberté, oui, d’être sous la protection du Mentaï le plus puissant du monde, et dans son manoir, à l’abri de tous, de tout, du reste. Liberté était-ce, que de se retrouver avec le mugissement des Spires comme seule compagne, et d’avoir pour seule vanité, d’avoir succombé à la folie des combats, pour briser le quotidien-cloaque ;
D’en avoir fini morte, deux semaines, morte dans un corps en vie, comme un trou noir, et qui l’effrayait encore.

Aussi matérielle que lui, elle s’était découverte. Faillible et mortelle, alors que toujours elle avait virevolté pour y échapper. Le savait-il seulement, qu’il s’en était fallu d’une gageure qu’elle ne se réveille plus jamais de coma ?
Et il lui fallait maintenant accepter qu’il ne fût, non plus, impassible au temps qui passe ? Si Dolohov Zil’ Urain appartenait au temps lui aussi, et que ses charmes n’étaient pas éternels, s’il était faillible lui aussi ? Elle l’avait toujours considéré comme indéfectible. Absent, souvent, et contre lequel elle éprouvait encore de la rancœur, des reproches, mais inébranlable.

A l’évocation de l’assassinat qu’elle avait perpétré, juste un léger tic au coin des lèvres, une faille dans le regard qu’elle portait sur lui. Elle n’aurait jamais pu lui cacher longtemps, de toute manière, se força-t-elle à croire. A quel point surveillait-il le moindre de ses agissements ?
Et si le silence qu’elle avait maintenu ces derniers mois n’avait été que test, illusion… elle refusa de se laisser aller à cette possibilité. Toutes ses illusions sur le monde de la noblesse, et la solidité de son nouveau masque, il pouvait lui ôter à coup de mots, et minutieusement, mais pas tout ce qu’elle avait fait. Elle s’y refusait.
La machoîre de la jeune femme frémissait ponctuellement.
Ses dents de grincer, quand il parla de la protéger d’elle-même.


Pourtant, au fond de son esprit, quelque chose s’accrochait viscéralement à écouter la voix du Mentaï, de s’imprégner de chaque accent, de chaque écho. Il l’avait toujours protégée, elle aurait voulu croire que cela continuerait éternellement. Le monde, mille fois il lui avait montré, en rêves, aux fenêtres, sur des cartes, dans les ruelles, ce monde qu’il tenait au creux de sa main gantée, comme elle se l’était toujours représentée.

Les derniers mots du noble de chasser l’adolescente, la jeune Marlyn qui voulait, plus que sa liberté, l’espoir et la protection, et de ramener au galop l’effroi.

Me menaces-tu, encore ? Ou bien ne suis-je qu’aveuglée, et craintive à outrance, quand tu parles de briser nos ennemis ?
Le feu lui brûlait la rétine et estompait les ombres alentour dans un ballet orangé. Les flammes léchaient les bûches mais disparaissaient dans un dernier panache d’étincelles. Envolée, l’effervescence de la soirée, et l’illusion des grands bals, des masques à tenir, des univers à construire. Il ne restait que l’âtre entre eux deux, et le squelette de ses erreurs, de l’immensité de ce qu’il savait, et qui à elle serait jamais accessible, cette immense dépendance qui faisait battre à grands coups son cœur – à l’instant, elle n’était pas sûre que ce fut de reconnaissance. Mille mains enserraient son cou, comme si le regard d’acier se coulait en chaînes invisibles, et la gorge de la jeune femme lui serra au point de lui faire mal.

Devoir admettre que l’univers disparaissait de quelques pichenettes, observer sans pouvoir reproduire l’incroyable complexité et complémentarité de Dolohov Zil’ Urain avec le Mentaï, prendre la mesure de l’étendue de ses failles et de ses déloyautés…

- J’ai cru-
s’échappa de sa gorge sèche, avant qu’elle put le retenir, ou songer à la fin de sa phrase.

Beaucoup de choses, à la vérité.
La jeune femme avait cru, de naiveté peut-être, que si elle incarnait une noble suffisamment méconnue, suffisamment insignifiante, alors rien ne pourrait arriver. Le monde ne s’avisait que des grands, le monde ne retenait que les grands, non ?
Oh, et puis, cesse de faire l’enfant, s’agaça son esprit, tandis qu’elle se levait, contournait la causeuse par l’autre côté, vers la lumière laiteuse qu’Al-Vor déversait depuis les fenêtres aux vitres dépolies.
Du petit meuble ciselé avec plus de précision que ne l’était ses plans de la soirée, elle tira un carafon bouchonné de cristal, au liquide ambré – maintes fois manipulé, comme en rappel des nombreuses fois où, en discutant, le noble lui-même les servait, par habitude.
Sa main tremblait imperceptiblement quand le liquide ambré remplit le fond du verre ; le tremblement disparut, mais seulement parce qu’elle enroula ses doigts autour du verre glacé, par contenance.
Inavouable parmi d’autres, peut-être, de vouloir contenir les prémisses de ses perte de contrôle par la brûlure de l’alcool au fond de sa gorge –mais. Si elle perdait ses moyens et laissait l’Imagination l’emporter de colère, elle détruirait tout ce qu’elle avait tenté de lui prouver au cours de la soirée.
Elle laissa s’échapper quelques secondes, le regard jeté à la fenêtre, le liquide moiré tournoyant lentement dans un mouvement machinal. Les mots s’entrechoquaient dans sa tête, qu’elle tentait d’arranger, et d’apprivoiser. Qu’ils ne s’échappent pas comme le serment autrefois juré, sitôt oublié, et qu’il venait de remettre à l’équation.

Tout ce qui ne s’est soumis…

Ses lèvres se portèrent au gobelet translucide, et le feu de tapisser sa gorge, d’en dénouer le nœud qui s’y trouvait depuis quelques minutes. Ses traits se froncèrent sous la force du breuvage, mais Marlyn, elle, sentait ses nerfs céder, s’adoucir, et sa résistance s’inhiber.

J’aurai besoin de vous…
commença-t-elle, le regard toujours perdu à la lune, j’aurai – j’ai. Besoin de vous, j’ai besoin de votre protection, de votre savoir. J’ai besoin de vous pour faire de quelques illusions une réalité, et éviter les écueils que je ne saurai voir, et les ennemis que je ne saurai vaincre.

La suite buta contre ses dents en un sifflement bas, elle expira, se forcer à décontracter ses doigts d’autour du verre vide, à dévier le regard de la vitre échappatoire. Elle reprit, après un temps d’hésitation, sur le ton lancinant du serment :

- En contrepartie, je vous remets, à nouveau, ma personne, le pouvoir de mes Spires… ma liberté. Je ne sais qu’en faire, et ne saurai jamais qu’en faire. S’il faut pour cela cesser de haïr, renoncer à lutter, renoncer à l’identité que j’ai voulu construire, et les illusions, soit.

L’amertume dans sa voix perçait sans qu’elle ne sache entièrement la dissimuler, mais à quoi bon tenter de cacher quoi que ce soit ? Sa main reposa le verre sur le verre laqué, près du carafon.
« Je ne vous demande qu’une seule chose en retour.»

And who are you, the proud lord said,
That I must bow so low

A son tour, elle se retourna pour le fixer, après lui avoir tourné le dos si longtemps de peur de flincher, de son oeil bleu qu’elle voulait résolu. S’il l’interrompait, elle céderait, et capitulerait définitivement ; tout ce qui ne s’est soumis s’est brisé. Je ne me rendrai pas sans combattre.

- De ne plus chercher pour mon seul horizon des murs. Les murs engendrent la faiblesse, et la colère, l’Imagination s’y fracasse. Al-Jeit plutôt qu’Al-Vor et la mise à l’écart. Sous quelque forme qui vous satisfera, et si Sareyn doit disparaître sous une autre identité, qu’elle puisse avoir la liberté de se déplacer. Je vous en prie-

Marlyn s’était rapprochée, jusqu’à n’avoir besoin que de tendre le bras pour être à portée du Mentaï. Elle gardait le dos droit, malgré le regard un peu bas, mais c’est sans un seul accent de capitulation qu’elle formula, avec plus de difficulté et de réticence qu’elle se rappelait en avoir eu au cours des dernières années, le point final de :

« , Maitre. »

A lion still has claws

Elle le confronta directement, le défia de rien répondre, de rien enlever de la volonté qu’elle avait du mettre à formuler de nouveau un serment, une servitude volontaire qu’elle acceptait en son âme et conscience, mais répugnait à mettre en mots, de nouveau.
Je ne veux pas regarder le monde depuis des fenêtres, si belles et dorées fussent-elles. Je veux en être, t’ai promis de ne plus chercher à le détruire, t’ai promis loyauté et obéissance, aussi longtemps que tu ne seras pas geölier.

Oh, ne plus avoir à craindre ce regard gris, retourner aux illusions adolescentes, aux frasques, aux mots que l’on pouvait oublier…

La gravité fondait de son visage en quelques secondes, trop lourde pour elle, trop lourde de conséquences, qu’elle ne demandait qu’à classer dans un nouveau passé. Elle déplia les doigts, et le chandelier proche renvoya mille éclats feutrés dans sa paume, où luisait l’alliance de Dolohov Zil’ Urain, anneau d’or dont elle avait passé les dernières minutes à frôler l’imperfection de la paume, en la tournant et en la retournant imperceptiblement.

- Me faudra-t-il en porter une semblable, un jour ?

Le Mentaï fit un geste pour reprendre l’objet qui lui appartenait, mais elle referma la main, sans hâte, les lèvres entrouvertes, tout à la mesure de l’instant, l’opportunité qu’elle avait, de lui rendre, de céder, encore. Marlyn leva la bague à hauteur de regard ; la femme que renfermait cette alliance d’or était-elle aussi belle et gentille qu’il s’était plu à le répéter à tout le monde ? Nombre de fois l’avait-elle maudite, sans en savoir seulement le nom.

- Les grands nobles se marient tous, certes, mais les petits… J’ai entendu que les Sentinelles ne se mariaient pas.

Ouverture, sans avoir l’air d’y toucher. Sentinelle… Une vieille chimère, une rébellion, entièrement centrée sur la personne de Slynn Ar’Kriss. Mais spontanément, voulait-elle devenir une servante d’un Empire qu’elle abhorrait ? Plus si sûre… Mais Sentinelle n’était pas le seul moyen d’investir son Dessin publiquement, paraissait-il.

La bague s’était réchauffée dans sa paume.
Quelles flammes devrait-elle créer dans sa tête pour faire fondre l’or de cet anneau, en faire disparaître l’aspérité dans le métal en fusion ?
Elle pourrait le détruire sous leurs yeux, là, ici-même.
Laisser l’or brûler sa main, et creuser des sillons, consumer le sang en fumée, et devenir sien.
Refroidir et entâcher la paume de sa main, une cicatrice qui réverbérait les lumières, et glaçait la joue.

And mine are long and sharp, my Lord
As long and sharp as yours


Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeVen 6 Juil 2012 - 18:51

Elle se perdit dans la contemplation des flammes, seule, cette fois. Dolohov refusait de se laisser éblouir et aveugler encore, le feu exerçait sur lui un attrait trop fort, ce soir. Toutes ces couleurs, tous ces éclats, qui miroitaient, en exècre, sur la
cicatrice qui lui barrait la joue, comme des fantômes en cavale, idées noires que les lueurs reléguaient plus profondément, toujours, derrière les combustions spontanées. Bleue et rouge, le sang, la jeune femme, jusqu'à la trace qu'elle laissait dans l'imaginaire des hommes. Quelle épouse aurait-elle fait, pour une maison qui, comme la sienne, prônait sans cesse l'ostentatoire, et cachait dignement, derrière tous les pavoisages, ses ombres gigantesques?


Elle l'avait dit elle-même: lui-même montrait trop peu, à force de se rendre négligeable, on finirait par douter... si elle le faisait elle-même, qu'en était-il de ses ennemis, qu'il croyait maîtriser?

Qu'il maîtrisait sûrement, corrigea-t-il, ne serait-ce que par leur ignorance.

Seule la cendre subsiste aux flammes. On est peu de choses, si peu...

Mais sienne était la couleur grise, la fadeur, le terne. Sienne était la sur-vie.

Et comme par soucis de suivre les pensées du mentaï, la jeune femme se leva, allant noyer les veilletés de ses brûlures dans un bourbon qui les attiserait peut-être – plus tard.

Il ne vit pas les mains, juste l'arc léger du dos, à peine une seconde, sa silhouette sur le mur avait quelque chose de la plaie béante, trop fine, presqu'autant qu'à sa première convalescence, époque où il prenait bien garde
de la solidifier. Quelque chose de paradoxal, en rapport aux mois où il avait entrevu sa taille s'amplifier, et la
vie cogner jusqu'à la peau.

Une nuit où elle dormait, il s'en souvint, il avait la main posé sur elle, juste sous la poitrine, comme lors du tango. Elle avait glissé sur ce ventre qui les séparait, et qui la rendait plus caractérielle que jamais. L'enfant avait cogné, presque délicatement, comme intrigué par un étranger sonnant tardivement. Rien qu'une fois, et tout perturbant que ça puisse paraître, il avait presque trouvé ça beau.

Elle était belle jusqu'à l'horreur, depuis longtemps, il le savait. Mais il restait du masque, blottit dans son corsage. Elle parla au futur, ça n'arrivait jamais, et quel doux son ça pouvait être. Projeter, pour une fois, plus qu'une
ombre tranchante. Plus que le squelette du serment, transgressé depuis longtemps, des deux côtés, à répétition.

Puisqu'elle avait Elio, et ses années de plus, l'enfant, un futur, un masque qu'elle voulait arranger.
Puisqu'elle ployait la tête, sans en avoir conscience, pour croiser son regard, puisqu'elle parlait d'illusion, et savait comment en jouer. Puisque cette fois, chaque mot, et chaque promesse venait d'elle, ainsi que les conditions.

Un instant, il se sentit fléchir, comme il l'avait fait jadis, et l'idée d'être berné le séduisit. Toutes ses promesses, qu'elle assurait tenir, tous ses désirs qu'il n'aurait qu'à enoncer, cette autre face du masque, la leur, qu'il ne savait nommer. Ôter ce corsage, et aimer jusqu'à l'idée du mensonge, auquel ils feraient l'amour ensemble, dehors, jusqu'aux soirées de nobles. Elle ferait
semblant de l'aimer aveuglément, il ferait semblant de la protéger de l'univers, de le tenir à bout de bras, et ils riraient ensemble de plaisanteries aussi noires que leurs âmes.


Il reste si peu de choses d'un corps en cendre.
Rien qui puisse brûler encore, malheureusement.

Quelque chose d'aussi froid qu'une lueur balaya en un instant le visage de sa maîtresse, à nouveau proche, du sérieux et de l'amertume à une forme d'espièglerie cruelle, si ancienne qu'il l'avait presque oubliée.

Il tendit la main, avec le sérieux qui seyait à la situation. Leurs yeux s'affrontèrent, juste un instant, trop bref pour qu'ils décèlent le
fond de jeu et le fond de menace de chacun. Elle avait confiance, à l'excès, en elle-même, en sa main qui tenait le bijou.
Et ses iris, au travers de l'anneau contemplaient des chimères qui n'appartenaient qu'à elle.
Il se leva, redevenant « Celui qui toise », bien incapable, pour lors, de l'impressionner de sa seule taille.
Elle contemplait le bijou dans sa main, sans l'essayer – l'avait-elle fait? Il n'en avait rien vu, quand bien même son regard ne l'avait pas quittée, au cours des dernières minutes. Il lui semblait qu'il pouvait déjà sentir à cette distance la chaleur de sa
peau, approcha sa main de sa hanche. Les doigts se refermèrent pour protéger l'anneau, de toute veilleté de récupération, alors que celles du noble caressaient les limites du corsage, les premiers entrelacs de rubans.

Ses lèvres retinrent le « essaye-la » qui lui brûlait les lèvres. La lumière dessinait un éclat d'or dans ses prunelles, qui semblait au mentaï bien au-delà de la convoitise, quelque chose de plus profond que ça, qu'il ne définissait pas, mais qui attirait irrésistiblement ses propres pupilles.


[i]
« Oh, you wild one »


-Ca n’aurait su te satisfaire longtemps. Je n'ai jamais fermé la porte du manoir, que tu te plais à voir en cage, pourtant. Alors imagine, tes phalanges et ta vie aussi étroitement liées et bridées, seulement autour de moi ?

Ses mains remontaient le long de son échine, délicates et possessives à la fois. Au seuil de l’étreinte, sans vraiment y céder, ses
doigts traçaient le lassage, il s’étonnait de sa lâcheté. Peut-être l’avait-elle noué elle-même, sans aide, comme elle avait acquis la robe, le titre, l’idée.
Puis à l’extrémité du ruban, hésiter à tirer, à tout suspendre. Redoutait-elle réellement qu’il l’enserre, comme il l’aurait fait jadis, pour étouffer ses peurs ?
Pourrait-il accepter l’idée qu’elle devienne, progressivement, non son égale, elle n’y prétendait pas, mais "simplement" un partenaire de vie.

« Oh, you blind one,
gentle and kind one »


Il déglutit, dénoua doucement le noeud, glissa son index derrière les premiers crans du ruban, machinalement précautionneux. Ses yeux échoués sur l’épaule, entre deux mèches cascadant, où la cicatrice à l’épaule s’épanouissait malgré le travail des rêveurs. Presque discrète.un à un, défaire les ponts.

La traction suivante était plus sèche, plus affirmative. Petit sursaut, jusqu’au souffle qui la saisit, et l’homme de reposer le corsage sur la tranche du canapé, désinvolte.

C’était pourtant ce qu’il aurait voulu. Un univers confiné, dont il serait le centre et la limite tout à la fois ; un univers d’or, de
vide à imaginer, de volume à intégrer. La garder sienne, éternellement soumise, éternellement, fonder avec elle, plus
qu’un empire, dans le secret de leurs ombres. Sa main réajusta d’un coup sec sa manche, assura la fermeture de ses boutons de manchettes.

Ca avait dû commencer avec Elio. Avec la nécessité de penser par-delà soi. Par-delà le masque de l’élève, à la manière de le faire
progresser. Comme chacun à son époque, elle s’était rendu compte, à ce moment-là, de toute la vulnérabilité qu’elle aurait toujours pour Dolohov. Il n’avait rien empêché, et maintenant, c’était trop tard. Bien trop tard.
Il avait envisagé sa mort, quelques instants plus tôt. En avait-elle fait de même ?


Et ses yeux qui brillaient acérés de volonté, et troublés de dessins.

Puis, sa main se dirigea vers sa joue, infiniment plus douce, les doigts caressèrent doucement la pomette, s’arrêtèrent et repassèrent sur la fine cicatrice.


« I don’t want you to be, someone else for me »


-Je ne veux pas que tu changes quoique ce soit que tu as fait. Il n’est plus temps que Sareyn Til’ Lisan disparaisse, et si tu as su t’assurer une place en société qui te convienne. Je t’aiderai à l’asseoir, davantage, ça tombe sous le sens, nul besoin de me promettre ou de m’offrir quoique ce soit.

Petite interruption, en voyant sa colère se préciser, il posa son index en travers de ses lèvres, autoritaire et doux. Puisque tu ploies toujours plus bas, pour me plaire.

-Cela ne signifie pas non plus que je ne t’ai pas entendu. Que du contraire. Il faudrait que tu ailles à l’Académie d’Al-Jeit. Former ton esprit, qu’on imagine trouver en lui un trésor de plus. Tu es assez brillante que pour te montrer
moins puissante ou moins habile que tu l’es. Je puis te fournir jusqu’à un test qui correspondra à un profil idéal. Mais dans ton intérêt, tu devrais éviter un post aussi dangereux que celui des Sentinelles. Il y a tant d’autres possibles, que tu aimeras explorer.


Le mentaï se pencha, comme lors de la danse, tout près de son visage, sans la toucher, en achevant le dernier mot, et son doigt laissa place à un baiser prudent, qui s’acheva sur une étreinte lâche.
front contre front, il poursuivit, son regard plongé dans le sien, galaxie en tempête :


« Stay
as you are,
the darkest star,
shining, for me »


[i]Dut-ce me faire perdre la raison, me faire perdre pied, dut-ce
faire vaciller le masque, ne te marie jamais, jamais je ne cèderai une once de
toi à quiconque, jamais, même pour l’enfant, même pour l’argent, même pour le
titre, tu n’es qu’à moi, infiniment, toujours, mienne.


-Mon ange, je..

Leurs visages se détournèrent d’un même mouvement vers le plafond. Le petit venait de se mettre à pleurer, aussi fort qu’il le pouvait, et Dolohov, qui n’avait jamais approché d’enfant en fut tellement surpris qu’il oublia jusqu’à ce qu’il pouvait avoir voulu dire.
Ainsi que la crispation des épaules de son amante.

Elle répliqua quelque chose, qu’il n’entendit pas.

Puis des pas précipités, qui s’enchainèrent dans l’escalier, pas pourtant lourds, comme leur propriétaire. Quelque chose s’émut en l’homme, à l’idée d’imaginer sa nourrice accourir pour son fils. Claquement de porte, et après quelques secondes, les pleurs s’arrêtèrent. Est-ce qu’il lui ressemblait déjà ? En hurlant de la sorte, pourrait-il seulement être caché, ailleurs que dans le manoir ? De quelle couleur étaient ses yeux ? Marchait-il déjà, parlait-il un peu ? L’idée de regarder quelqu’un apprendre à parler
le fascina d’avance. Il faudrait qu’il apprenne à ne pas hurler pour obtenir ce qu’il désire, il n’y a que le silence pour tout offrir. Quoique ? Comment la nourrice pouvait-elle deviner, rien qu’en un cri, ce qu’il pouvait désirer ?
Lui offrait-elle toujours toutes les possibilités, à chaque fois ?

Il garda ses yeux levés un petit temps encore, l’oreille tendue.
Puis comme un crépitement, près de son oreille, quelque chose à la fois en échos dans son esprit, et dans le réel. Sensation du dessin qui, une seconde auparavant aurait été déterminante.
La main qui ne tenait pas l’alliance resserra leur étreinte, et à nouveau ils s’embrassaient, , à s’étouffer, cette fois. De passion,
peut-être.


Le sang ne ment pas.


[Playing the angel J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] 763433 ]

Marlyn Til' Asnil
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeMar 24 Juil 2012 - 2:34

L’espace d’un instant, dans les reflets de l’or qu’elle tenait entre ses doigts, Marlyn tenta de se couler dans l’image de cette « dame votre épouse », cette ombre fantasque qui planait entre eux, dans les striures mordorées et la froideur du métal. Sa main à elle n’était pas faites pour les bagues, ses doigts trop fins aux articulations saillantes, et l’or au contact de la paume dès qu’elle serrerait le poing, sentencieux, en rappel d’un monde auquel elle se forçait d’apparaître, d’appartenir.
De nombreuses formules et promesses auxquels s’assujettir devant les Dieux, moins belles qu’un serment, moins facilement contournées et avec moins d’ardeur ; et quand bien même. Ils n’étaient pas fait pour ça.
Une fraction de seconde, elle se demanda s’il posait les mains sur son épouse comme il les glissait dans son dos, s’il suivait son échine et lui tirait un frisson aussi. Tes doigts me délivrent-ils de mon corset comme ils l’ont fait mille fois du sien ? Glissent-ils sur sa peau aussi bien que sur la mienne, y suis-tu machinalement le sillon qu’auraient creusé mes cicatrices ?
Un soupçon de sourire, à l’idée qu’encore une fois, c’était les mains de son amant qui défaisaient les liens qui l’oppressaient, ces mêmes mains qui lui rendaient le souffle tandis qu’elles auraient pu lui ôter dix mille fois, sous tous les feux.
Le corsage était un instrument de torture infiniment plus raffiné et discret que tout ce qu’elle avait pu rencontrer jusqu’alors.

Et que des jeunes nobles, par goût ou par mode, choisissent consciemment de se tordre l’échine dans ces toilettes lui semblait encore à la limite du concevable.

Tout autant que de lier sa vie, son nom, son âme pour le bien du masque, et sans remords.

Proche à nouveau, et la chaleur de sa main sur son visage, elle sentait ses résolutions vaciller, affaiblies par le sang que l’alcool diluait –ou enflammait, légèrement, encore. Elle voulut protester, défendre ses positions, qu’il semblait reléguer au silence sous de nouvelles offres, des perspectives qu’il forgerait pour elle, en orfèvre, et dont elle serait la spectatrice, encore ?
L’académie d’Al-Jeit… le mot lui tira un tic nerveux des lèvres, ancré à beaucoup trop de souvenirs. Et quoi, recommencer similairement à l’école de Merwyn, loin dans le Nord ? L’idée l’horrifiait autant qu’elle la séduisait, et plus elle la retournait dans son esprit, plus elle semblait possible, glorifiée par l’aide que Dolohov Zil’ Urain pouvait lui fournir.
D’anticipation, elle sentit son cœur battre dans son cou, à l’endroit où, résiduelle, se trouvait le reste des morsures, et des brûlures. Ce qu’il proposait était vertigineux, maîtriser enfin les arcanes des Spires…

S’il n’y avait eu le baiser de son amant, elle aurait peut-être même commencé à échafauder des plans. Mais relégués loin, les projets et l’avenir, balayés par le souffle qui lui caressait les lèvres, et les iris d’anthracite qui promettaient un tout autre futur que le masque pour les minutes à venir.
Et là, dans ce moment en suspension, une faille, une série de fausses notes, le corps de la jeune femme se crispa involontairement, alors que ses lèvres laissaient échapper :

- Le Dragon t’emporte ..!

La voix du gamin en pleurs avait ce pouvoir remarquable de faire grincer Marlyn jusque dans les tréfonds de son âme, cette petite voix inarticulée, sonnant à toutes heures et dont elle ne discernait pas l’humanité, encore moins les demandes et qu’elle ne pouvait associer ni à son amant, ni à elle-même.
Des yeux, ils suivaient les pas de celle qui avait la charge de l’enfant alors qu’elle se rendait à son chevet, et petit à petit, les pleurs se turent ; encore un mystère que la jeune femme ne parvenait pas à élucider.

Un soirée qu’elle était, par acquis de conscience, entrée dans la chambre où il dormait, elle avait approché cette vieille femme, aux cheveux gris emmêlés retenus par son sempiternel foulard, aux petits yeux chassieux et aux mentons tremblotants. Les lèvres pincées, elle l’avait fixée, le regard mi-torve mi-contempteur, que Marlyn lui aurait volontiers fait ravaler s’il n’y avait eu un bébé dans la pièce. La nourrice lui avait proposé de prendre « son fils » dans les bras une fois qu’elle l’aurait nourri.
Avec toute la patience et la douceur dont elle s’était estimée capable, elle l’avait pris contre elle, la nourrice lui faisait changer le placement de ses mains, et elle avait contemplé quelques secondes ce petit bout de chair, perplexe.
A ce moment-là, l’enfant s’était mis à s’époumoner si fort que la vieille femme lui avait repris des bras aussitôt pour le consoler, et chassé Marlyn de la pièce.
Cela l’avait profondément perturbée.

Marlyn serra les dents.
Elle avait redouté, cela, que l’enfant s’immisce entre eux, comme il avait démoli son humeur pendant les mois de grossesse, et réduit à néant de nombreux moments qui n’auraient dû appartenir qu’à eux. Les yeux de son maître distants, tout à la pensée de ce petit être humain dont il était le père.
L’imagination s’agitait, et presque tard, Marlyn se rendit compte qu’il s’agissait des siennes, mouvant subconsciemment à sa colère. Le dessin avait déjà basculé dans la réalité, si elle avait à peine eu le temps d’en saisir la forme, elle en sentait le but inavoué. Presque fébrilement, dans l’urgence silencieuse du monde de l’Imagination, l’esprit de la Mentaï détruisit ce dessin créé d’instinct, en délita le cœur minutieusement avant de faire revenir ses ardeurs à des Spires bien moins dangereuses.
Marlyn songea à l’effroi qu’elle avait du produire dans la pièce où se trouvait la nourrice, où l’on entendit d’autres pas précipités, un juron. Au diable.

Elle refusait de rien céder au silence.
Ils s’embrassèrent de nouveau, chassant l’enfant de toute existence. Proche, au point de sentir les battements du cœur de son amant contre sa peau, et la certitude que, dans cette étreinte, rien n’avait changé, cette certitude dans leurs regards croisés, profondément indescriptible.
Avec une lenteur à la limite de la patience, la jambe de la jeune femme chassa celle du Mentaï, il pivota, un bras posé autour de ses hanches, son autre main, mécaniquement, cherchait la sienne à laquelle se lier. Il la fit céder, un pas en arrière, deux, ployer, jusqu’à devoir demander grâce du regard, et se rétablir, avec le silence et l’âtre pour tous spectateurs. L’alliance d’or jouait entre leurs deux paumes, parfois saisie par le noble, parfois reprise par sa maîtresse.
Les pas se suivaient, sans accroc, et lents, éclatés, sans avoir d’autre repaire que son regard, qu’elle soutenait avec autant d’insolence que de confiance, et le battement de leurs cœurs comme rythme.
A la limite de la décence, la main de l’homme retraçait les vertèbres dans son dos, accrochait parfois le tissu de sa robe et le faisait glisser, imperceptiblement.
Un murmure, près de sa tempe, qu’elle interrompit en l’embrassant, après avoir glissé contre son oreille un
" Shhh " .

I know when to talk
And I know when to touch

Après une volte, ils s’interrompirent. Les mains de Marlyn glissèrent sous le manteau du noble Zil’ Urain. Ses doigts frôlèrent la fente où se dissimulait un crochet, et déposèrent l’alliance dans une poche intérieure.
Qu’importe, les mariages, les conventions, puisque tu es toujours là, à portée de mes lèvres, et que nous seuls dansons mieux que le reste du monde ? Elle aimerait se confronter à ce masque de l’homme marié, le contourner à demi-mots, défier sans cesse cette nouvelle contrainte, cette nouvelle interdiction, qui disparaitrait à l’instant même où ils se retrouveraient, dans l’obscurité, dos au monde.

Puis elle tourna, une main posée sur son épaule à l’encolure du manteau jusqu’à se retrouver dans le dos de Dolohov, sans qu’il ne la quitte un instant du regard. Son autre main glissa le long de son bras, accrocha l’extrémité de la manche.
Le Mentaï pivota à son tour, se dégageant de son manteau, jusqu’à revenir à son tour dans le dos de Marlyn, les deux mains posées sur son ventre comme il avait pris l’habitude de le faire durant les mois qu’avait duré sa grossesse.
Négligemment, elle jeta son manteau là où reposait le corset.

The world is not enough

La tête renversée tout contre l’épaule du noble, Sareyn esquiva un baiser et s’échappa de son étreinte, seulement retenue par la main de Dolohov autour de son poignet. Elle revint à lui d’une volte, plus rapide.
Il fallut quelques secondes pour que le pourpoint, délacé, rejoigne les autres pièces de vêtement, et qu’il ne lui reste comme tout haut que sa chemise de soie, rehaussée de dentelles aux manches, qu’elle promettait déjà du regard d’ôter au détour d’un pas de danse.

Les doigts de Dolohov passaient à nouveau sur ses joues, avec la délicatesse qui lui était caractéristique, jusqu’à ce que sa paume recouvre complètement l’œil valide, à l’aveugler. A être à nouveau, les seules limites de son univers, la seule existence.
Sans la vue, qu’il tenait en otage sous sa main, elle se laissa guider complètement, et s’immergea dans les sons, de leurs pieds sur le plancher, des étoffes, du souffle de Dolohov qui tournait, et la sensation, l’unisson tactile.

But it is such a perfect place to start

Elle sentit dans l’Imagination le dessin qui se formait, concurremment à leurs deux Dons, sans parvenir à discerner quelle part elle y avait ; seulement que le monde bascula autour de ses sens. Qu’un Pas de danse les avait menés à l’étage, dans la grande chambre.

My love

Les pleurs de l’enfant retentirent de nouveau, beaucoup plus proches, beaucoup plus discordants, comme un couteau au travers d’un rideau de soie, et jusqu’au sang. Débridée par l’impatience, sanguine, la colère de Marlyn converga dans son poing fermé, qui frappa de manière inconsciente le torse du Mentaï, accusateur et sans contrôle.

- Mais qu’il crève !

La surprise, et la distorsion beaucoup trop soudaine d’un instant parfait avaient ébranlé tout son contrôle sur elle-même, comme un coin fiché dans une faille avait le pouvoir d’éclater un bloc de marbre. Les bras du Mentaï s’étaient instinctivement resserrés autour de ses épaules tremblantes.
La jeune femme se força à respirer longuement, le visage niché dans son cou. Des larmes de frustration lui étaient montées aux yeux, qu’elle essuya, doublement agacée. La capacité de cet enfant à l’ébranler dans les pires moments dépassait l’imagination.

Elle s’écarta un peu, se râcla la gorge, remonta machinalement le haut de sa robe, lissa un pli sur la chemise de son amant.

- Autant aller le voir, maintenant, je suppose ?
l’interrogea-t-elle d’un ton qu’elle voulait neutre, mais rien à faire, sa voix trahissait sa perturbation.

Ils sortirent de la chambre, Marlyn en retrait, jusque dans le couloir assombri, au bout duquel se trouvait la pièce où la nourrice s’échinait à calmer les pleurs de l’enfant, et dont on distinguait l’ombre par l’embrasure entrouverte de la porte.
Viscéralement, cet enfant la perturbait, beaucoup plus qu’elle ne voudrait admettre. Elle l’avait tenu responsable de ses douleurs, de sa faiblesse.. de sa mort provisoire, inavouable, ce noir complet qui lui glaçait les sangs. Et que donnait-il en retour ? Qu’était-elle supposée ressentir qu’il ne donnait pas lui-même, alors qu’ils s’entendaient manifestement si mal ?

Sur le seuil, au moment d’entrer, la Mentaï s’arrêta.

- Je… il vaut mieux que je reste là.



Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeSam 1 Sep 2012 - 2:01

C’étaient ainsi qu’ils étaient eux, Dolohov voulait le croire, quand le silence l’emportant sur les mots ils jouaient leurs scènes futures, elle, sur la pointe des pieds, lui conquérant tout en prudence, avec l’air de tout prendre, sans rien revendiquer. La danse était à leurs jambes, leurs attentions aux mains, aux sourires complices et offerts, tournés tout à coup à l’ironie-provocation.
Leurs manières d’êtres intimes, sans rien échanger toutes fois, que leurs désirs et leurs regards, leurs ambitions au gré des déséquilibres. Ils obliquaient comme les pions sur un jeu d’échec, tour à tour, Dolohov était fou, chevalier, et plus souvent roi. Ils jouaient lentement, comme deux adversaires qui se seraient secrètement alliés, qui savouraient leurs victoires autant que leurs défaites.

Quelques fois, je l’aime, peut-être, concédait-il, quelques fois, quand sa robe tombe, quand ses yeux se ferment contre les miens, quelques fois, quand j’oublie.
Mis quelque chose lui échappait toujours, peut-être, partiellement, le contrôle que d’ordinaire, il exigeait total, quelle que soit la circonstance. Ses doigts froissaient le tissu qui aurait dû n’être que de la peau. Bien sûr, elle lui rendrait l’or, mais qu’il ne le porte pas, ou même son manteau.
Bien sûr, qu’elle était sienne, et comment en douter quand chaque pouce de son être, rendu à eux-même manoeuvrait en ce sens ? Sienne, jouant à s’échapper, sienne encore, plus rapidement, lorsqu’il lui poignardait des baisers dans le dos. Et ce n’était pas la peur qui faisait qu’il la suivait sans cesse du regard.
Sienne, lorsqu’elle envolait ses soie au loin, avec dans le regard des morsures Des baisers en couronne, qui lui ceignaient le front.

Ton univers intérieur me broie, quand je le contemple, et entre mes doigts, tes cils battent comme un papillon qui voudrait s’échapper. Prends donc les soies, accroche tes pleurs à mes phalanges.

Fermant les yeux, Dolohov se laissa aller à l’Imagination, où leurs esprits dansaient en tempête. Toujours plus haut, évidemment. Il lui semblait qu’à son contact, même les spires se teintaient de bleus, rendues à leur violente noblesse originale. Il y avait toujours quelque chose qu’il ne pourrait rattraper, était-ce une faute, d’emblée, qu’elle soit en tout plus vive, et plus forte qu’il ne le serait jamais. Il se laissa porter, c’était un peu comme leurs amours, son intuition était maîtresse, mais toujours, Marlyn prenait les devants et le faisait basculer. Et chaque fois, c’était inattendu, et le battement de leurs membres plus sourds, lorsqu’ils regagnaient le sol.
Toujours, le chant des spires dans leurs champs de bataille imaginaires, le pouvoir les liait au-delà de tout, et leurs corps avaient pour habitude de toujours y répondre. Cela aussi, n’appartenait qu’à eux. Et corrompu de dessin il se sentit basculer à nouveau, vers la chambre, sut-il. Le regard encore brouillé, il voulut la ramener sur son cœur, l’étreindre autrement, cette fois.

Au lieu de quoi, un second hurlement, bien plus proche que le premier lui vrilla les tempes, où son esprit était vulnérable, puis le poing s’abattre contre son torse. Quoiqu’en disent les mauvaises langues, l’âge n’avait pas encore flétri suffisamment sa musculature pour qu’il en souffre réellement la surprise et le choc lui ôtèrent le souffle une seconde, mais eurent pour effet de le ramener définitivement dans la réalité terrestre.

Spontanément ses bras se refermèrent sur le corps de Marlyn, qu’il tint serrée contre lui, comme il l’avait fait autre fois, à chaque fois qu’elle l’avait repoussé sans le désirer.
Et comme une mélodie ancienne, tirée de vieux cauchemars, le souffle de Marlyn dansait sur sa carotide, le bruit des larmes qu’on arrachait aux joues, avec rage. Marlyn adolescente, fragile et bouillonnante, il s’attendit presque à ce qu’elle tremble jusque dans sa voix. Mais ce cauchemar-là, Doll l’avait tué de ses mains.
Et il était absolument impossible pour lui d’appréhender que sa maîtresse puisse éprouver la même aversion pour le fruit de leurs entrailles que pour…

Presqu’autant de malêtre qu’à leur retour, quand il manquait de l’assassiner, et qu’elle était Sareyn Til’ Lisan. Il la connaissait trop que pour ne pas sentir son trouble, et le sien s’en voyait accru. Qu’avait donc son fils qui poussait sa mère au dégout ? Avait-il des séquelles, dues à l’imprudence de Marlyn ?
Juste un instant, il ressentit une réelle peur, à l’idée d’avoir engendré un monstre, un monstre dont sa mère souhaitait être débarrassée bien avant qu’il ne vienne au monde. Enième vertige, qui lui mit le cœur au bord des lèvres.

Au moins, il n’est pas muet, s’encouragea le mentaï. Il est de Marlyn, et pas de mon épouse.
Mais que ferait-il d’un enfant sans jambe ? D’un enfant déformé que les regards pourchasseraient ? Le tuer, et risquer de voir se perdre ses seules chances de voir son sang mêlé au pouvoir monstrueux de Marlyn ? Renoncerait-il à s’approprier un être qui serait boiteux, aveugle, malformé, lui qui en était entouré ? Il fronça les sourcils. Encore ces conneries de charité que persifflaient les femmes.

Ses pas le guidèrent hors de la chambre, assurés, à une ou deux ombres près. Le dos courbé sur le berceau n’était pas celui de celle qui avait été sa nourrice, mais la silhouette en forme de poire, étrangement familière, assurait son port. Si une femme supportait la vue de son fils, il pourrait également. Le petit avait un potentiel de pouvoir énorme. C’était son fils, son premier fils, son seul fils.

La roturière se retourna, et sursauta, le salua en bafouillant un « bonjour, Maître » parfaitement plat. Le parler d’Al-Jeit lui abîmait la langue, et le mentaï songea qu’il faudrait l’éloigner quand son fils serait en âge d’apprendre à communiquer. Il parlerait parfaitement, ou ne s’exprimerait pas, affirma-t-il en pensée, avant de se demander s’il vivrait jusque-là.
Il eut envie d’appeler Marlyn, qui restait effrontément sur le seuil, mais s’en empêcha, pas encore assez faible que pour avoir réellement besoin d’une femme.


-Je viens voir mon fils., déclara-t-il, la voix bizarrement détachée.

L’autre inclina la tête, et s’avança, intimidée, un paquet de linge à même les bras. Il se demanda pourquoi elle s’embarrassait publiquement avec du linge, devant lui, jugea cela légèrement indécent. C’était comme changer les draps de son lit au moment où il désirait se coucher, ou en faire la lessive dans la grande salle d’eau. Il pinça les lèvres, se demandant si elle estimait cela moins grossier que de le contempler lorsqu’il découvrirait l’enfant. Elle lui tendit le paquet de linge, et surprit, il failli reculer, et rire de son imprudence. Heureusement, la curiosité l’emporta, et il se pencha, circonspect, sur celui-ci.


C’était petit, un bébé, songea-t-il, bien plus qu’il se l’imaginait. Etrangement disgracieux, aussi, si on omettait les grands yeux qui s’ouvraient sporadiquement sur le monde, luttant contre le sommeil.

« Voulez-vous le tenir ? »

Après tout, il était sien.

-Comment procède-t-on ?, demanda-t-il, un peu guindé, un peu condescendant.
Elle ajusta sa propre position, qu’il reproduit mimétiquement, et déposa l’enfant, qui roula contre la chemise de soie.


« Attention à la tête, maintenez la bien. Il est encore fragile, ne sait pas bien la tenir. Asseyez-vous peut-être, maître, c’plus simple ainsi.»

Petit être tout chaud, comment pouvait-il être d’eux, et si fragile à la fois ? Il s’assit, et pendant quelques minutes cessa tous mouvement. Pas l’enfant. Il sentait clairement, sous les liges, deux petites jambes qui voulaient escalader des monts imaginaires, et par intermittence, quelque chose de très petit qui se tendait. Prudemment toujours, il écarta progressivement les premières couvertures, puis les suivantes, jusqu’à voir l’enfant dans sa petite robe blanche.
Ses sourcils se froncèrent, critiques.

Il n’avait jamais fréquenté de nourrissons. Mais celui-ci avait deux yeux, clairs, un petit nez, une petite bouche qui lui évoquait celle de sa mère. Des petits poings serrés, qui l’évoquaient autant. Des bras articulés, des jambes, des petits genoux grassouillets. De qui tenait-il son nez en trompette ? Fascinant. Ce minuscule corps disproportionné et disgracieux, combien lui faudrait-il de temps pour être un beau jeune homme ? Ou même, comme la fille de Dienne, un petit êtr présentable ?
Les deux êtres se contemplaient, reproduisant inconsciemment la même perplexité. Ils se trouvaient des points communs en devenir, peut-être, ou cherchaient simplement dans l’autre leur propre reflet.

La servante babillait sur l’enfant, sa difficulté a dormir, son sommeil perpétuellement agité, mais le calme de ses gestes, éveillé. Dolohov écoutait distraitement, à présent sur son nuage. L’enfant était normal, et parfaitement formé, sain, à ce qu’en disait la femme. Les femmes devaient savoir ces choses-là.

Pas vraiment de tendresse, dans leurs scrutations, ni d’animosité. Dolohov bougea le bras, le visage de l’enfant se chiffonna, menaçant d’éclater en sanglot.


-Silence, intima Dolohov, de sa voix douce, et ferme à la fois. Silence, quand les adultes parlent.

Etrangement, il l’obtint. Peut-être était-ce parce que Marlov n’avait jamais ouï de voix d’homme, peut-être parce que la voix était rassurante, le mentaï l’ignorait, et seul le fait d’être obéit lui importait. Les yeux de l’enfant étaient grands ouverts, maintenant. Grands, clairs, et indéfinis.

Pourquoi voudrait-on ta mort, petite chose insignifiante, quand ta vie pourrait nous valoir plus que l’Empire ? Ressens-tu déjà le pouvoir ? As-tu, comme ta mre, la rage de vivre, à en hurler chaque jour, chaque nuit, pour qu’elle vienne te voir ? Chercheras-tu, toi aussi, ma protection autant que ses limites ?
Il se leva après un temps, tout à ses conjonctures, il fantasmait un monde qui lui serait parfait. Ses spires chantaient des berceuses intérieures. L’enfant avait saisi son doigt, il s’était amusé de sentir sa petite force, sa toute faible résistance.

Revenant à lui, il tendit l’enfant à la nourrice, la remerciant vaguement. Marlyn le toisait dans le chambranle de la porte ; l’âtre dessinait sur ses joues des cercles tricolores. Elle aussi avait le regard perdu, vaguement inquiet, et le mentaï voulut pouvoir la serrer contre lui, encore.
Mais pourquoi craindre l’ombre d’un bébé, quand un regard de toi suffit m’emporter, mon ange ? Pourquoi ce petit être, le meilleur de nous deux, tire-t-il de toi cette rage ?

Se penchant à son oreille, elle dit, suffisamment bas
: « Maître, vous au moins savez y faire. Elle, elle refuse même de le toucher. Quelque fois il se passe des choses dans cette chambre, des choses dangereuses, savez ? » Puis s’écarta.

Dolohov se releva, et rejoignit sa belle, lui caressant le bras du bout de son pouce. Le petit reprit un geignement menaçant, le mentaï fut fasciné par la rapidité avec laquelle les traits de son élève se décomposèrent. Comme précédemment, il l’avait aveuglée, ses mains se firent caressantes, recouvrirent ses oreilles, en l’attirant à lui.
Il était hors de question qu’elle touche au bébé. Hors de question qu’elle évoque même sa mort. L’enfant avait en lui trop de promesses, trop de potentiels. Il avait voulu cet enfant, depuis les premiers jours, depuis que la possibilité avait été évoquée. Il l’avait voulu, et maintenant, c’était à lui de le parfaire, comme on créait un apprenti.L’amour était étranger à cela, comment aimer quelque chose qui avait si peu d’humain.
Marln était son œuvre d’art, sa pièce maîtresse, avant d’avoir récupéré les pleins pouvoirs sur son corps. Et il ne l’avait façonné que durant quelques années. Ce corps-là était à lui par essence. A lui, son âme, c’est ainsi que dans la noblesse léducation allait. Les hommes créaient de toutes pièces leurs héritiers, et s’ils étaient trop faibles, les femmes leur suppléaient.
C’est par l’esprit qu’il lui parla, plus caressant encore :


-Je peux vous aimer sans scinder en deux mon amour, mon ange. Offre-moi son nom, comme jadis, tu m’as offert le tien.

Ca n’avait pas été ni une alliance, ni un mariage. Mais ils l’avaient conclu irrémédiablement.

Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

La Borgne
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MessageSujet: Re: J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]   J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé] Icon_minitimeJeu 20 Sep 2012 - 1:32

Mon fils.
Son fils, leur fils, son esprit tournait autour de ces formulations, des intonations que le Mentaï y avait mises, ce ton teinté de fierté et d’appartenance, l’accentuation naturelle sur le deuxième mot, comme si ça allait de soi. Elle tentait d’y rattacher sa propre voix, murmura pour elle-même, mais l’attitude était désincarnée, la possession n’y était plus, quand elle le disait, rien ne semblait évident.

La respiration retenue, sourde, presque éteinte – elle ne voudrait pas que l’enfant s’aperçoive qu’elle était là, dans l’ombre, à le contempler, et qu’il en hurle encore.
Je t’ai épargné et sauvé, tu devrais être en train de me remercier, pas de pleurer pour que je t’achève.

Corps tordu contre le chambranle, drapé d’ombre, Marlyn les contemplait, spectatrice. Extérieure, volontairement. Sombre, la gorge amère, l’humeur en berne, pourtant y avait-il spectacle plus touchant ?
Après avoir déposé l’enfant dans les bras de son père, par-dessus son épaule la nourrice lui jeta un regard, plein de suffisance, d’orgueil, auquel Marlyn répondit par un regard également méprisant.

Et quoi, vieille rassie, tu voudrais y voir une victoire sur moi, une raison de répéter à ton maître que je ne devrais pas être là, et dangereuse, et indigne, et ?
Regardez comme il est plus infiniment plus noble que vous, semblaient dire les yeux chassieux, regardez comme l’enfant le reconnaît, et comment un parent digne de ce nom doit se comporter, et combien le maître vaut beaucoup mieux que vous, à quel vous ne le méritez pas.

Le regard de Marlyn se fit fuyant. Ca lui coutait de le constater, de voir si bien installé dans les bras de son amant ce petit être qui refusait ses bras à elle. Et que le silence lui semblait pesant. L’attente douloureuse.
En voyant le visage de Dolohov penché sur celui de « son fils », lui répondant comme un miroir, la jeune femme se prit à penser qu’il vivait quelque chose dont elle serait à jamais exclue.

Jusqu’à quand remontaient les souvenirs ?
Le Mentaï contemplait-il, dans cet enfant, le reflet de ses premiers souvenirs ? Etait-il déjà conscient, se souvenait-il peut-être des bras de ses parents, des visages qui s’étaient penché sur lui. Peut-être leur fils pouvait sentir avec son père cette expérience commune, ce souvenir mutuel d’une main pour soutenir sa tête, un torse comme berceau et le battement du cœur comme berceuse lente. Le mentaï lui communiquait sa première expérience du monde instinctivement, le fils peut-être y répondait.

Et quoi ? Ne puis-je être ta mère malgré tout, parce que je n’ai jamais été enfant ? Si différents, et sans points de comparaison, peut-être ce gosse sentait-il qu’on le mettait dans les bras d’une inconnue, et hurlait pour une vraie mère.

Que ton père y supplée donc, puisqu’il a l’air d’exceller dans l’art d’être aimé de toi.
Et d’être obéi, comme toujours. De la servante, de l’enfant, du silence, du temps-même, toujours. Marlyn sentit le regard de la vieille à nouveau sur elle, comme pour s'assurer que l'éborgnée était témoin de son autorité naturelle.

Cette servante obéissait « au maître » à y laisser un jour volontiers la vie, et à elle toujours refusait d’obéir sans intimation expresse du seigneur ZIl’ Urain, lui rappelait à quel point sa position était fragile, et dépendait si fortement de Dolohov.
Elle songea à quitter la pièce, détourner le regard de cette scène si méticuleusement harmonieuse, retourner contempler les flammes à s’y noyer, attendre, toujours attendre. Mais sa pupille ne pouvait se détacher, par fascination, de la silhouette de Dolohov Zil’ Urain.
Envisagea de mimer, comme l’homme avait repris en miroir la position de la nourrice, de mimer son assurance, l’inclination de sa voix, mais le regard doux, et cette fierté dans toutes les fibres de son corps, non, elle ne pouvait les reproduire
Quel bébé ne crierait pas à ne pouvoir contempler deux yeux de sa mère, plein d’amours et dénués de tempêtes, à les fixer longtemps en cherchant réponses et promesses ? Elle ressentait envers lui beaucoup trop de jalousie et de ressentiment pour pouvoir se modeler à la tendresse, ou même à la condescendance.

Jalouse qu’il soit en vie, et que ses souvenirs se forgent dès l’entrée dans le monde, de sa future enfance, dans un bon environnement, ils y veilleraient par devoir, et sans peur, doté d’un père, d’une nourrice, d’un toit, d’attention, de linges doux.
Il avait combattu à l’intérieur du corps de la Mentaï pour survivre, s’accrochait à sa colonne vertébrale pour naître, mais ensuite ?

Il lui suffisait de crier pour que tout lui soit donné ; ça, elle ne pourrait jamais lui pardonner.

Et toi, Maitre, te rendras-tu désormais plus volontiers dans sa chambre que dans la mienne ?

Enfin le noble se redressa, Marlyn en fut presque surprise, déjà prête à le croire figé pour la fin des temps avec son fils dans les bras, sans qu’à elle ils ne soient jamais accessibles. Et le regard de la nourrice, encore, à guetter chacune de ses réactions pour en faire un motif à victoire, ses messes basses au maître, sa manière nonchalante de montrer par gestes précautionneux comme elle aimait elle-même le petit, et l’emportait à l’opposé de l’endroit où se situait Marlyn, par défi.

La jalousie et le sentiment de l’échec, de la défaite la plus totale, tissés comme en liens autour de son cœur serré, et le cri de l’enfant s’apprêtait à y enflammer l’essence ; s’il n’y avait eu les mains de son maître pour la sauver, encore, l’en protéger. Son corps pour refermer la pièce sur eux et l’entrainer dans le couloir, masquer les derniers rais de lumière, l’attirer contre lui, la sentir tendue, perdue peut-être.

Les Spires sont à nous, à nous seuls, pensa-t-elle comme pour y tenter de s’en convaincre. Sa femme possédait-elle le Don ? Il ne saurait être l’égal du sien, à contempler, elle voulait croire. A son contact, Marlyn y croyait, inconditionnellement, quand elle sentait la présence de Dolohov contre elle sur la terre comme au ciel physiquement et mentalement, contre sa tempe, son cœur, ses Spires.
Elle aurait offert tous les noms de la terre à l’enfant uniquement parce qu’il le lui demandait, mais le trouble persistait. Trop proches, Marlyn ne parvint pas à sceller complètement ce qu’elle ressentait dans un endroit hors d’atteinte de son esprit, loin de l’Imagination glissante et tourbillonnante.
Il la stabilisait, la consolidait dans les spires par réflexe.

Quel nom avait-elle eu le temps de dire à cette rêveuse avant de mourir, déjà ? Elle n’en gardait aucun souvenir, à part de son hésitation, de l’inanité de la question et encore plus de la réponse. Tout ce qu’il en restait, c’était ce vide béant comme une plaie fraîche dans sa vie, ce gouffre auprès duquel sa conscience avait vacillé et manqué de tomber ;

Est-ce qu’il le percevait, cela, quand bien même elle tentait de retenir ces sensations à part elle ? Dolohov abattit chaque barrière mentale qu’elle dressa méthodiquement, envahisseur en terrain conquis et offert, offrant baisers et mâles étreintes en retour.
Elle dut céder, tempes mêlées, lui offrir l’accès à son âme et ses peurs, elle le laissa contempler, sentit qu’il l’interrogeait de nouveau, en douceur.

Elle laissa les Spires dessiner des vertiges nauséeux autour de ses sens – et s’arrêter de trembler, sang de Ts’liche ! Elle ne pouvait lui répondre ne jamais y avoir songé, ou bien l’avoir oublié, négligé consciemment, effrayée qu’en lui donnant un nom, elle attestait de son existence.

«
Astre » sembla-t-elle dire en écho des spires en galaxies tempétueuses, retenues entre les deux mains du Mentaï comme s’il pouvait tenir l’univers entre ses doigts.

Elle attendit un assentiment, un signe quelconque qu’il eut entendu, et qu’il l’accepte, ou bien le dénigre, mais il ne fit que sourire, le regard en attente, une main glissant sur sa joue. Qu’attendait-il de plus qui vint d’elle ? Puisqu’il aimait tellement son fils, il n’avait qu’à lui donner un nom lui-même, avec son attention et sa protection !
A quoi rimait ce jeu ? Son esprit pouvait lire les moindres recoins du sien en cet instant, et il y voyait les horreurs liées à l’enfant sans nom.
- Astre, répéta-t-elle de sa voix physique, tentant d’y mettre la même conviction que Dolohov avait mise en prononçant « mon fils ».

Elle manqua de rajouter « notre fils », n’en eut pas le courage.

Les lèvres de son amant se rapprochèrent, à leur tour prononcèrent silencieusement le nom de leur fils, soufflant contre les lèvres de Marlyn un nom nouveau qui les liait l’un à l’autre, avant de le chasser d’un baiser.
La conquérir toute entière à nouveau comme il tenait son esprit dans le sien, sans la laisser s’échapper, elle sentait ses spires délicieusement entravées par les siennes, entourées comme par des frontières infinies et indissolubles.

Il l’avait fait céder pour un nom, et à lui avouer son inquiétude et les mystères qui entouraient sa crainte de l’enfant – d’Astre. D’orgueil, Marlyn voulut le repousser, sembler à nouveau forte, que rien ne peut plus ébranler, c’était peine perdue. S’avouer vaincue lui coûtait, mais la défaite était étreinte, silencieuse comme un souffle, et les ténèbres étaient aussi soyeuses que le contact de la chemise en noble contre ses bras.

Dolohov l’obligea à reculer, guidant, dans le couloir sombre jusqu’à retourner d’où ils étaient venus. D’une main, fit glisser les plis écarlates de sa robe, étoffées accrochées à ses doigts qui n’avaient qu’à s’ouvrir pour révéler sa peau, de l’autre ferma sur eux la porte, les piégeant dans l’univers clos qui était le leur,
Le leur seulement.

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J'ai l'orgueil des vices qu'on me prête [Terminé]
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