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 Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]

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Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

La Borgne
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MessageSujet: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeSam 5 Fév 2011 - 23:55


Au début, c’était le démembrement.
Et puis la chaleur. Beaucoup d’autres choses. Mais surtout la chaleur amie qui s’insinuait dans les pores et chassait l’engourdissement aux extrémités, dénouait suffisamment les muscles pour déjouer l’impression de mort, emplissait les poumons et s’insinuait sous les paupières collantes. Comme un drap agréable au toucher, ou une enveloppe rassurante. Elle aurait pu rester écrasée contre le sol des heures, les membres froissés, à sentir cette chaleur bénie ; et tout balancer au vent, laisser le sang suinter d’un peu partout et la fuir comme un rat quittait le navire, du moment qu’il ne faisait plus froid. Du moment que le moelleux des tapis s’imprimait contre son épaule parsemée de nuances bleuâtres et répondait comme mille souffles à ses erreurs de combat.
Impossible de savoir si quelques secondes, quelques minutes ou plusieurs heures étaient en train de passer. Le plancher tournait autant que ses Spires dénuées de la moindre énergie créatrice ; elle extirpait son esprit des Spires comme on ôtait des ronces profondément enfoncées dans la chair, les dents serrées et la patience mise à mal par les fibres qui s’y accrochaient machinalement. Comment pouvait-elle espérer retrouver un sens de la réalité si elle confondait les battements de son cœur avec les pulsations maladives de ses Spires harcelées, l’épanchement mécanique de sang contre son cou avec celui de l’Imagination qui demandait un Dessin, toujours un autre, l’arythmie de sa respiration avec les gesticulations de sa tête pour se séparer des Spires. C’était un combat bien plus intimiste et foireux que lorsque ses parcelles de pouvoir s’étaient explosées de colère, quelques semaines plus tôt, à la Vigie.

Un rictus amer se répandit sur ses dents.

Il était loin. Occupé à quelque affaire de cour à Al-Jeit , de celles qui le laissaient absent pour des durées indéterminées et ne permettaient pas de contact régulier, quand bien même elle l’aurait voulu. Oh, il était certainement au courant des évènements de la soirée, de l’annihilation des Mercenaires du Chaos comme des blattes rampantes qu’on écrase sous un coin de dalle, de la modification à présent officielle de leur univers, de tout très certainement. Rien de suffisamment imprévu pour le faire revenir de son manoir de ville, un manoir qu’elle avait entraperçu une nuit qu’il l’avait appelée à l’improviste : la même configuration de pièces, le même luxe savamment organisé, à quelques détails près dont elle n’avait même plus le souvenir.
Faiblesse ou orgueil, elle ne l’appellerait pas. Pas tout de suite. A défaut d’avoir pu éteindre l’Imagination, elle l’avait réduit à ses plus basses acceptations, et se refusait de l’utiliser pour appeler Dolohov à l’aide. Le déjà-vu serait trop voyant ; elle fracassée sur le sol , l’or de ses cheveux et le gris de ses yeux comme plafond, une précipitation inquiétante. Non, elle entrerait en contact quand elle serait sûre d’être vivante. Pas la peine qu’il soit dérangé par sa mort, hein ? Elle n’appellerait pas non plus la valetaille du manoir, plus dérangeante et gênante qu’autre chose, avec leurs lèvres closes et leur regard morne de rebus habitués à agir sans réagir.

Et par-dessus le marché, l’autre s’agitait dans ventre. Pas vraiment des coups, il n’était pas encore passé à l’état d’être membré (de ce que la vieille femme de chambre lui avait dit), mais des palpitations nerveuses étourdissantes. Ses dents grincèrent quand un grognement s’échappa :

- Toi, tu te la fermes si tu veux qu’on continue tous les deux.

Il n’avait pas le droit de lui infliger une douleur en plus, même minime, qui accentuait son étourdissement et l’impression d’être passée entre les griffes de trois Ts’liches réunis. Se décollant péniblement du tapis qu’elle avait auréolé à plusieurs endroits de sang et de sueur, Marlyn se dressa sur les coudes et ramena ses jambes raides sous elle, ignorant autant qu’elle pouvait les craquements des articulations. L’équilibre, elle l’assura en saisissant un coin de commode entre ses doigts, l’autre main toujours crispée sur la morsure bestiale que lui avait infligée Anaïel à un endroit si vital. Un vertige plus violent que les autres faillit la renvoyer contre le tapis ; l’orgueil lui tissait des cales à la réalité et éclaircit suffisamment sa demi-vision pour que le sang qui lui coulait dans les paupières soit le dernier obstacle à un monde véritable. Ses doigts rencontrèrent sur le marbre glacé de la commode un tissu quelconque, sûrement une broderie décorative ou un foulard laissé là pour être rangé, elle s’en foutait ; il lui permit de distinguer la pièce dans laquelle elle se trouvait, bien que l’amalgame coagulé qu’elle vit apparaître sur le tissu l’inquiétait quant à l’état de son visage.

Un éclat de lumière l’attira plus qu’un autre : le reflet des chandeliers dans un miroir, au dessus d’une table de toilette. Elle devait être dans une aile du manoir qu’elle ne connaissait pas, sa propre table de toilette était plus proche de la fenêtre, dans son souvenir. Qu’importe, elle aurait besoin d’un miroir pour voir et soigner ses blessures. Blessures dont certaines avaient vraiment besoin d’attention, à en croire l’inflammation qui les gagnait et lui volait les bords de sa vision.
Un haut-le-cœur manqua de lui échapper quand elle put atteindre la table de toilette et poser ses mains moites et tremblantes de chaque côté du plateau de bois ornementé qui constituait le dessus du meuble. Elle était vraiment salement amochée. Trois grandes entailles lui traversaient le visage, boursouflées, et venaient rouvrir les anciennes cicatrices à certains endroits. Un hématome venait entâcher sa tempe gauche de violet, de jaune et de bleu nuit, mais rien ne lui donnait plus mal au cœur que le sang –était-ce le sien- qui lui recouvrait le regard, coulant des plaies qui avaient manqué de la rendre aveugle. Fébrilement,  la Mentaï saisit un baquet d’ablutions en faïence blanche qui avait le bonheur de se trouver sur une chaise conjointe ; Sa main vint sur son visage, et l’Imagination lui donna l’eau dont elle avait besoin pour laver la crasse et le sang qui lui encroutaient les traits. L’eau tiède lui sortait de la paume, de manière régulière, et elle aurait pu s’émerveiller de cette magie qui faisait apparaître un liquide purificateur, qui ruisselait agréablement sur ses joues et ses tempes, et disparaissait au moment de tomber comme une vapeur s’évapore, parce qu’elle ne maintenait le dessin que le temps de nettoyer son visage.
Mais elle avait d’autres préoccupations. Les dents serrées à cause du reste de son corps qui réclamait aussi son attention, elle observait le sang disparaître de son visage, les blessures paraître plus propres, nettes, les éraflures apparaître presque avec soulagement, la poussière et la terre s’en aller des trois crevasses qu’elle devrait suturer. Plus tard.  

Le métal cliqueta lorsqu’elle défit maladroitement les boucles de sa tunique de protection en cuir, qu’elle laissa choir sur le sol sans un regard pour les dégâts qu’elle avait subie. Sa tunique n’était pas dans un meilleur état ; déchirée en maints endroits, elle lui collait douloureusement à la peau là où le sang l’y aspirait, et frottait contre sa peau abîmée autre part. L’enlever lui semblait une perspective peu enviable, mais elle ne pourrait pas commencer à se soigner avec un tissu sale et déchiré collé au corps. Si seulement il était là, elle pourrait juste décrocher, le laisser s’occuper de tout avec la certitude que tout irait bien, comme avant.. Un nouveau haut-le-cœur la prit quand le tissu se déchira sous ses phalanges, et laissait apparaître son thorax négligé pendant la bataille, et marqué plus qu’elle ne l’aurait cru par les hématomes ultrasensibles et les plaies en tout genre. Mais ce qui l’inquiétait – l’effrayait ? -  c’était cette immense trace laissée par le sang qui coulait de son cou sans discontinuer, et avait tâché sa peau jusqu’à ses hanches, là où commençait, desserrée, la ceinture de ses pantalons. C’était dégoutant. Et tellement horrible, quand elle pensait que c’était des dents qui lui avaient déchiré la carotide, et par là-même, teinté toute sa silhouette d’une blancheur crayeuse.

Elle n’avait que quelques tissus et serviettes à proximité, et pas la force de se décrocher les phalanges du meuble pour partir à la recherche de meilleurs bandages. Et de toute manière, cette blessure béante n’était pas bandable, sans… sans la refermer un minimum.
Elle pâlit encore plus, si c’était possible. Marlyn eut un moment de doute, sur le point de tout laisser tomber, l’orgueil et la colonne vertébrale, et de se servir de l’énergie qu’elle avait maigrement amassée ces dernières minutes pour appeler son Maître à l’aide. Comme s’il pouvait faire autre chose que ce qu’elle devait absolument faire elle-même maintenant, pour refermer la plaie.
Lentement, elle déchira un morceau de linge qu’elle roula aussi serré que ses mains gourdes lui permettaient. La résignation lui crispait les épaules comme elle le calait entre ses dents, attentive à n’avoir plus aucun moyen de se mordre la langue si elle perdait le contrôle. Oh et puis active-toi, n’éternise pas et débarrasse-toi au plus vite de. Sa main vint recouvrir entièrement la plaie qui crachait encore du sang à l’intersection du cou et de l’épaule. Les micro-flammes basculèrent de son esprit dans sa paume, bleues de chaleur. Lui dévorèrent la peau ; lui arrachèrent un cri étouffé en grognement par la cale qu’elle avait ajusté entre ses deux mâchoires. L’odeur de chair brûlée manqua de la faire tomber dans les pommes et pour la énième fois de la soirée, la bile lui brûla la gorge.

Ce qui n’avait duré qu’une poignée de seconde -et venait probablement de lui assurer la survie en fermant ses artères- avait été plus capable de lui briser les genoux que tous les évènements de la soirée. Le front appuyé vaguement contre un coin de la table de toilette, les jambes repliées sous elle, Marlyn hésitait entre perdre connaissance et perdre la face. Tant pis. Mentalement aveuglée par la douleur qui irradiait de la brulure cautérisante, elle prit plus de temps et d’énergie que d’ordinaire pour parvenir à formuler un

* Aidez-moi.. *

Dénué de volonté et de la moindre contenance.



Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeDim 27 Fév 2011 - 1:31

Une étude.

Comme on observe une carte, avant d'en hâchurer les morceaux, les contours, les reliefs. Comme un pirate jaloux, qui garderait en sa mémoire un parcours alambiqué- une quête sommaire et inutile; qu'il aurait créé lui même avec délectation, un jeu intime de soi à soi. Une étude minutieuse, rigoureuse, même, si tant est que Dolohov pouvait être qualifié de rigoriste; les convenances exigeant autre chose.

Une étude d'infleuces, de mentalité, où l'on jauge chaque aspect voluptueusement, en reportant des conclusions verbeuses, rassurantes et pourtant illisibles. Au final, des conclusions qui ne trompaient personne. Rien à voir avec l'encre. Passant ses messages avec célérités au dessus des flammes, le mentaï cherchait un indice minimaliste mais potentiel. De quoi?
Allons, il s'agit des affaires du chaos, elles existeront toujours de manières plus réelles et moins présomptueuses si on en devine que l'ombre; ou à défaut, la portée.

Consulter un guérisseur pour des prétextes imbéciles avait été plus rapide et plus productif que prévu. C'était une attraction tout à fait retorse que de voir à quoi s'ingéniaient ce genre d'individus, si heureux de trouver oreille pour écouter et croire à leurs palabres.
S'il en croyait le vieux guérisseur; il suffisait d'une pression de onze seconde pour assassiner quelqu'un , si elle était effectuée dans un point précis; celui où, avec une force exacte et dosée, on pouvait bloquer totalement une « artère » des plus importantes. Il avait médité l'information, en un sourire rêveur et vaguement dégouté. Moins d'une minute pour envoyer un être aux pays des vers. Et les hommes s'estiment impuissants, vraiment?

Comme tous les êtres issus de la noblesse moyenne, et vaguement décadente, quand elle y pensait, l'héritier des Zil' Urain faisait preuve en toutes circonstance d'économie; admirant paradoxalement les dépenses outrancières, fasciné par la légerté des choses. Le faste que le temps balayait plus sûrement qu'un revers de main.

Le domaine de l'imagination était sans doute celui où il faisait preuve du plus d'avarice; sans doute celui où il existe le moins de borne et de façade. Alors qu'à l'Académie d'Al-Jeit, la majortié des leçons étaient portés sur les dessins primitifs – les flammes, les armes, en un mot, ce qui venait instinctivement- ou au contraire, les dessins intellectuels – qu'on basait sur l'éternité, comme des fétus de paille, et qui dessinaient dans l'air des courbes de diamants, de rubis, d'invisibles dessins; et creusaient dans le sol des bassins somptueux, aux reflets de laves... Des dessins somptueux; à l'image de l'Arche, qu'on voulait inégalable.
Tout cela était la faute de Merwyn, bien sûr.

On pourrait dire ce qu'on veut, c'est bien Merwyn qui a inventé le dessin. Le dessin comme l'humanité pouvait le concevoir; comme une discipline et une finalité en soi. Comment aurait-il pu en être autrement? Merwyn tenait l'univers sous ses paupières, et du pouvoir, oh, tellement... tellement de pouvoir.
Quand on en possède autant, comment le renier? Comment ne pas chercher les limites, les bornes possibles? L'éternité. La longévité. La liberté. Et puis, l'humain.

Dolohov voyait les choses différement. Son pouvoir venait également de son esprit- il l'avait gagné, acquis, à coup de frics, et de satins, de services et de serpents; des Sbires il ne gardait que l'aspect servile, et foncièrement limité de celui qui se veut maître, et se sait maîtrisé.
Il regardait les autres créer les flammes, comprendre le fonctionnement des choses, le sublimer. Et gardait en tête que c'était les métamorphoses qui étaient les plus compliquées à basculer dans la réalité. Les métamorphoses, et la vie, bien sûr. Trop de microcosmes, de grains de sables à gérer pour un esprit humain- même Merwyn avait manqué.
Dolohov voyait les choses comme un manipulateur. Le dessin était une arme sans trace, il convenait de créer des éléments plus microscopiques et inexistants possibles- ceux qui seraient indétectables et suffisants.
Une pression de 10 secondes à un point précis, plutôt que mille et une botte de frontalier- aussi efficaces soient-elles. Vaincre l'instinct, et se réserver. Réserver sa force, son imagination, sa dextérité, ses potentiels coups d'avance.

Il souriait au frère d'Aïlil, lui parlait comme à un vieil ami; les choses suivaient leur cours, ce soir là. C'était une nuit morne, agitée et par là même quelconque. L'éphèbe avait un sourire de coupe gorge, et l'alcool heureux- il gardait juste une certaine forme de silence, une quasi retenue. Quelque chose qui leur rappelait à tous deux qu'ils restaient des hommes, inégaux, et probablement adversaires. Que Dolohov n'était pas le seul à pouvoir faire échaper des choses. Et jusque dans les rires se glissaient quelques échos. Des échos teintés du bleu du sang.

Il le salua naturellement, quand fut venu le moment- laissant l'autre, un peu gris, c'était vrai, à la sortie de la taverne. Et traversant la ville, jusqu'au manoir, en souriant à l'Air : ah, délicieuse soirée que celles où l'on pense à autre chose.
En rentrant, il congédia les domestiques -il y en avait très peu, la majorité du temps, le gros n'était employé que pour les soirs de réception, ou préparer la maison du maître avant sa venue. Aucun ne le contredirait; aucun ne lui était réellement attaché, ou détaché. Simplement, il n'était pour eux ni pire ni meilleur qu'un autre, juste la main qui fait transmettre le salaire, le regard qui juge; et à qui on le rendait bien. Il se demandait régulièrement combien de personnes parmis les quelques qu'il employait pouvaient rendre des comptes à un adversaire quelconque, et créait régulièrement des petites attrapes stupides, susceptibles de démasquer un malhonnête un peu simple. Mais cela, c'est accessoire.

Seul, enfin, il s'approcha de la cheminée de granit, retirant la fine enveloppe de soie qui gantait sa main, avant de poser la paire sur le coin, d'un geste assuré et machinal. Cette cicatrice là lui laissait plus d'amertume que de réelle angoisse. Qui se souviendrait du propriétaire d'une épée un peu différente, et mort depuis longtemps? -C'était surtout une question de laideur, une fierté un peu féminine qui le poussait à toujours couvrir ses mains. Les braises craquaient délicieusement, parfumaient l'atmosphère d'une odeur chaude et ambrée, vaguement résineuse. Ses doigts défirent le ruban qui enserrait sa gorge, puis les premiers bouton de son col de brocard. Son regard caressait les flammes comme on caresse la peau des femmes, le faisaient penser à son petit incendie, à tout ce qu'il continuerait toujours de donner, quoiqu'il en soit. Toute sa beauté venait de là.

Il ne réalisa pas tout de suite au contraire. Le bruit, à l'étage, n'effleurait même pas ses pensées que le début d'ivresse rendaient moins précises ou intéressées, les contours nostalgiques. Mais quelque chose -un grincement de planche, une goutte traversant les lattes du parquet pour tomber au rez de chaussée? - finit par focaliser son attention. Il n'était plus seul.

*
Une étude.
Le long des sons, en grimpant silencieusement les marches, étouffant ses pas sur le tapis un peu usé qui courrait sur les marches. Non pas qu'il ait besoin d'armes, les siennes hantaient les coins de son cerveau. Simplement le sons lui apprenaient, la statique presque totale de l'intru. La faiblesse de sa voix, la rage qu'elle contenait pourtant. Symphonie en désaccord, et sa respiration sifflante, mal aisée. Blessée. Vint ensuite l'odeur du sang, à la limite de la porte.
Quelqu'un dégoutait dans sa propre chambre, sans sanglot, sans fracas. A moins que...?

*

Quand il fut auprès d'elle, il n'était plus temps pour les mots, les gestes, les explications. Inutiles.
Il voyait une carcasse rongée, à vif, brûlée- et l'odeur de la mort qui collait à cette peau aimée suffisait à pousser l'ivresse à la nausée.
Car son ange était l'Ange Martyr, l'ange aux bleus; l'ange offert, carbonisé de pouvoir- et il l'aimait pour ça, pour les flammes; l'exubérance folle des couleurs et des actes, la manière insensée qu'elle avait de se retrouver toujours plus près de lui- et de la mort. Il serra les dents pour ne pas vomir, laissa son corps l'entraîner à nouveau vers l'escalier, le couloir, la salle d'eau. S'appuyer un instant sur l'évier, recracher l'air. Prendre les outils adéquats qui conviendraient pour... la suite des opérations. Laisser le corps agir, ramener de la gnôle.

Et à nouveau dans la chambre, où le corps gisait- comme un squelette de mariée devant la glace. Et pour parfaire au gothique du décor, le satin ambré des rideaux qui ne tombaient pas loin, les chandelles à moitié consummées, le miroir que le temps tâchetait. Et les décombres de chair que les vêtements avaient emporté.

L'esprit entra dans l'imagination, spontanément, avec calme. Dans les très basses spires, comme un réflexe, composant doucement ce qui serait plus qu'un message. Il frôlait la présence de son élève dans les sbires, posant la main sur la crête de son omoplate. Sans parole, sans ordre, sans jugement, composant de mémoire une symphonie de douceurs.

Violoncelles très bas, à l'arrière plan- comme lorsqu'elle s'acoudait à la fenêtre de la tour du manoir, les soirs de fêtes populaires, et qu'ils lui parvenaient, la poussaient à sourire.

L'aiguille entre ses doigts brodait en vitesse et précision, traçant sur l'arcade un fin corsage de sang.

Un battement grave, plus avant- moins exigeant pour les sbires que Dolohov faisait ployer; au diapason de son propre coeur, en créant juste l'amplification nécessaire. Quand il prit le linge d'eau glacée pour renettoyer une plaie au saignement abondant; il s'autorisa également l'amplification du bruit sur la peau de Marlyn. Qu'il dessine, quelque part dans son inconscience les pétales de fleurs qui parsemaient le bain, lors d'un autre soir.

Une onde plus douce, qu'il voulait échos de sa propre voix, quand il découvrit avec dégout une autre plaie à cautériser. La conscience ou l'inconscience de Sareyn lui importait moins que les sons que produisait le battement régulier de son coeur, le remous des Sbires auxquelles sont pouvoir s'accrochait encore.

La musique qu'il articulait ne prenait pas d'ampleur, reflétait les rythmes vitaux, entourait Marlyn et le mentaï, qui se laissait emporter à une composition complexe- détournant sa conscience de l'horreur qu'imposait la vision des blessures, la conscience de la cause de ces blessures, l'odeur de la faiblesse, le dégoût à l'idée que son travail, aussi soigné soit-il, serait imparfait, et qu'elle risquerait d'en pâtir. Tout comme la vie qu'elle portait.
Il aurait pu empêcher ça, peut-être, en lui donnant les clés du Dessin telles que les concevaient certains grands mâitres peu connus des foules, clé qui auraient permis à la jeune femme de s'économiser et se préserver d'avantage...

Vint le moment où le mercenaire estima ses compétences dépassées pour pouvoir faire quoique ce soit de plus. La musique disparu petit à petit; il s'essuya le front sur la chemise qui un jour avait été blanche; et serait bonne à jeter aux flammes, après ça. Tout était bandé, désinfecté. Il y avait dans l'air une odeur de saule, de chlore et d'alcool. Son élève était allongée sur le couvre lit – à jeter, lui aussi- il ne savait pas trop quand ou comment il avait pu la déplacer- n'osait plus la toucher. L'eau dans la petite vasque avait une couleur rose immonde.
Il partit la vider dans la gouttière; le vit scintiller sur le métal, sous le reflet de la lune, et frissona.
Puis, tournant vers la jeune femme qui respirait douloureusement, il se saisit d'une autre cruche, qu'une domestique attentionnée avait posé près de la cheminée. Déchirant un bout encore immaculé de sa chemise, il le trempa dans le liquide tiédit, pour le poser sur le front de la blessée, dont les sourcils se froncèrent douloureusement.

Les mains du mentaï se rejoignirent sur l'arrête de son nez. Il pensait déjà à autre chose. Quelque chose comme « et comment es-tu arrivée là, petit feu? Tu défierais même les lois d'Avalon? »; « J'aurais dû savoir que c'était ce soir. Penser à trouver une alternative. Elle aurait dû fuir tout de suite, bon sang, penser à moi, à l'enfant. ». Trouver amère et indélicate sa façon de la trouver belle, jusque dans la morsure.


-Tu possèdes tellement de dons. Tellement que c'est improbable. Qu'ils rendent aveugles l'univers. Et toi, plus sûrement.

C'était la dernière fois. Il le fallait; c'était prévu. Depuis moins longtemps que prévu, mais étudié malgré tout. Nous avons gagné, mon ange.

- A présent, c'est terminé. On va s'occuper de toi. De nous.

Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

La Borgne
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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeMar 1 Mar 2011 - 22:32

Elle ne le vit pas arriver : elle avait perdu le monde visible avec l’équilibre, l’avait abandonné sans remords. Une dépouille inutile.
Non, elle le sentit arriver. Les vibrations de ses pas sur le parquet, quand il s’approchait, s’éloignait, revenait, explosaient sur sa peau bleuie en ondes nerveuses ; des cailloux qui agitaient l’onde. Une main qui passait, frôlait, laissait en traîne un murmure de douceur amère par son picotement infecté.
Sa respiration, qu’elle connaissait par cœur, qui agitait irrégulièrement l’air près de son visage et relevait les contours déchirés. Marlyn cherchait chaque écho sur son corps qui ne lui était étranger, chaque pli de tissu qui lui froissait encore les jambes, la chaleur diffuse du chandelier plus haut, la goutte de sang qui avait fini de redessiner sa tempe et venait échouer dans son cou, se noyer dans ses semblables ; même l’attente palpable dans l’air quand le parquet tangua moins fort, le silence tactile, la surdité dermique. L’angoisse fugace qu’elle avait déliré son arrivée. Avait-elle vraiment envoyé un appel dans les Spires, ou l’avait-elle seulement voulu sans trouver l’énergie de l’achever, l’avait-elle rêvé ? Elle ne se sentait plus capable de gérer deux mondes, de rester consciente et de retourner dans les Spires en même temps, d’écouter le monde palpable et de suivre son pouvoir mental. Elle resterait enfermée dans son corps inutile par orgueil, parce qu’elle le sentait revenir, parce qu’elle sentait sa présence salvatrice quelque part à côté.
Elle entendait. Le bruissement de tissus, le clapotement de l’eau dans un récipient proche, le déplacement d’objets inconnus. Sentait l’odeur d’alcool à bruler et une vague senteur boisée, ternie par l’odeur omniprésente de sang, de sueur et de poussière. Eut la vanité de vouloir rester consciente quand le Mentaï la soignerait, de ne pas céder à l’épuisement et à la perte croissante de sang qui la tiraient vers l’inconscience comateuse. En un sens, subir pleinement la défaite et l’humiliation de s’être consumée sans penser au futur, à ce qui ne lui appartenait pas : l’enfant, et sa vie.

Elle ne crierait pas, ni de s’évanouirait pas. Resterait aussi inutile qu’immobile, même quand l’aiguille lui transperça le visage, vint lui fermer les traits et certains abcès. Même quand ses mains d’homme qu’elle aimait tant ôtèrent le sang hors de ses blessures, vinrent créer des étoiles de douleur dans sa colonne vertébrale. La pensée qu’IL provoquait par nécessité tous ces spasmes nerveux l’effrayait ; elle l’avait mérité.
S’accrocher à la musique, aux Spires, quand on déplaçait son corps, enflammait sa chair de mille morsures. Perdre le sens et la notion de temps, mais entendre résonner les notes, c’était déjà une victoire dans ce soir de défaites. Fuir un instant son corps dont elle ne sentait plus que des ondes sourdes, retourner aux sons – juste le temps de le laisser finir, jusqu’à ce qu’elle n’entende plus rien.
Il l’impressionnait, la surprenait. Par le rythme régulier de ses expirations, le calme apparent qui le gouvernait, la précision de ses gestes et la rapidité avec laquelle sa belle mélodie n’eut plus besoin d’être. Il lui avait rendu un corps entier, lourd comme du plomb – et surement blanc comme de la craie à cause de l’hémorragie, mais la vision lui échappait toujours. Et elle avait réussi à ne pas perdre conscience, malgré l’imprécision dans laquelle son esprit flottait et les moments de perdition des dernières minutes. Parler était hors de question – le sang lui collait trop la gorge, et les points de suture lui pétrifiaient le visage. Et l’épuisement la rattrapait. Sa voix était aussi douce que la musique, aussi rassurante qu’une étreinte ; il était là.
Le corps est faible. Dépendant du sang, inutile si on l’en prive. L’esprit est naïf. Qui croit qu’il peut maitriser l’inutile, faire lever un bras sans énergie, poser des doigts éraflés sur le brocard, qui croit qu’un geste peut rassurer le silence et marquer sa victoire sur le corps.
Volition noyée dans l’inconscience.
L’esprit est faible.

_________
_________

Au début, ce n’était pas des jours. Il y eut quelques cycles imprécis et embrouillés : ce n’était pas une question de combat : aucune de ses plaies n’aurait pu la tuer individuellement, mais leur addition et la carotide déchirée auraient pu la vider de son sang. C’était une question de patience : comater de longues heures dans l’attente de sentir les points de suture tirer moins fort, les brulures cautérisantes cicatricer, le sang courir dans ses veines. C’était une question de maitrise : être lavée, ne pas pouvoir changer les bandages seule les premières fois, sentir comme une frustration les pansements qui lui enserraient la peau et qu’on n’enlevait toujours pas. Savoir que la lumière signifiait l’absence de Dolohov, que la nuit le voyait revenir tard, que tout cela, elle ne le devait qu’à elle-même. Se raccrocher à la fierté de n’avoir ni point de suture ni bandage, ni hématome sur le ventre et les hanches, à la certitude que c’était la dernière fois qu’elle se laissait consumer et démolir le corps par sa promptitude au combat, que c’était la dernière fois qu’elle avait l’envie –le courage ?- de soutenir la douleur et la convalescence interminable.
Dès qu’elle put ôter la bande qui recouvrait son œil intact pour maintenir la suture de son front, le monde redevint visuel, presque entièrement. Qu’elle se trouvait à Al-Jeit fut la première découverte : impossible de ne pas reconnaitre les tours effilées qui se profilaient à la fenêtre et la configuration particulière des rues en contrebas. Impossible aussi d’ignorer ce sentiment supplémentaire d’erreur, de défaite : elle n’avait pas réussi à atteindre Al-Vor et mettait en péril la couverture sociale du noble rien qu’en étant dans ce manoir-là.
Le moins qu’elle pouvait – devait - faire était de guérir rapidement, de rester silencieuse et immobile quand des bruits de conversation lui parvenaient des étages inférieurs, de n’entretenir presque aucun contact avec les quelques domestiques qui lui apportaient les repas.

Elle avait passé une partie de la journée à mettre des bandes fraiches sur ses blessures, avait constaté que, débarrassée du cataplasme sur sa jambe, elle pouvait marcher, pas très sûrement. De dissimulé par des tissus odorants, il ne restait que son cou, son bras toujours immobilisé par l’étoile de jet qu’elle avait reçu dans l’épaule et une partie de son visage. C’était encore trop. Même au bout de cinq jours. Même après avoir réduit la douleur et les vertiges avec les quelques plantes et drogues qu’elle avait pu ramener de l’Académie sans les abimer, dans sa sacoche.
La nuit était descendue sur Al-Jeit alors qu’elle se trouvait dans les Spires, à passer le temps, à tester son énergie, à guetter l’arrivée de son maître et le moment où il se trouverait seul. Cette certitude, elle l’eut quand elle entendit des pas – les siens - à l’étage en dessous, le craquement régulier des buches que l’on entretient dans un âtre, et le silence progressif qui excluait tout départ vers une autre pièce. Cette fois, elle n’attendrait pas qu’il monte, qu’il vienne vérifier sa guérison, qu’il l’entoure de mots et des gestes qu’elle ne pouvait pas rendre à cause de l’immobilisation des plaies, suturées ou non. Marlyn avait passé une des chemises de Dolohov ; elle n’avait aucune affaire à Al-Jeit, n’avait rien emmené d’autre que la médecine en fuyant l’école, avait jeté les tissus déchirés, sales et encrassés de sang qu’elle avait sur le dos en partant. Un peu de recherche dans les meubles lui avait procuré une ceinture qui maintenait la chemise ouvragée sur ses hanches et la laissait descendre à mi-cuisse ; elle était obligée de laisser le col très lâche sur ses épaules pour ne pas frotter contre les plaies.

Précautionneusement, la jeune femme descendit les escaliers, le bruit de ses pieds nus masqué par le velours des marches. Déséquilibre étudié, lenteur affligeante, chaleur lancinante dans le mollet.
Dolohov lui tournait le dos, adossé sur une banquette proche de l’âtre embrasé et environné de silence –méditatif, soucieux, fatigué ? Aucun moyen de savoir. Elle posa la main sur l’épaule endimanchée du noble pour officialiser sa présence, croiser son regard gris –le feu les ornait d’étincelles- le soutenir, lui répondre, lui demander la permission de le rejoindre.
Permission qu’elle aurait prise de toute manière pour soulager ses vertèbres fatiguées par l’effort –intense. Maudite carcasse- d’avoir descendu les escaliers et maintenu Marlyn debout plus d’une poignée de minutes. Mais le voir se lever à moitié, sentir ses bras la guider sur le divan, la soutenir, c’était la plus belle des défaites : il serait toujours là pour l’aider, malgré les erreurs et les aveuglements. Et surtout, crainte irrationnelle née du silence de ces derniers jours, il ne la repoussait pas malgré son visage fendu sous les bandes et le trouble qu’aurait pu causer son arrivée accidentelle à Al-Jeit. Cette pensée rassurait la mercenaire et apaisait son sentiment amer de culpabilité.

- Je vous dois tant. Je suis prête à tout donner pour me racheter, à tout faire. Même si-

Elle dut s’arrêter à cause d’une brève toux qu’elle tenta de ravaler au possible, suffisamment irritée par le fait qu’elle ait du mal à parler correctement sans tirer sur les fils de suture qui lui mordaient la moitié du visage. Si elle passait les doigts sur les pansements, elle pouvait sentir toutes les mutilations qui couraient déjà sur sa peau, et celles qui s’étaient rajoutées. Défaite, oh amère défaite.

- Même si je n’ai guère que mes Spires à vous offrir, ces temps-ci.

Cinq jours de silence pour dire ça, c’était pitoyable. Aussi démunie de langage que de force. Même le feu craquait avec plus de conviction que ses articulations. Elle ne doutait pas de son engagement complet pour l’homme blond dont l’épaule frôlait la sienne, mais de sa capacité à lui être vraiment utile à quelque chose. De le satisfaire.



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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeSam 12 Mar 2011 - 17:41

Terminé.
Ah, Dolohov aurait voulu en rire, à présent qu'il descendait les escaliers, réalisant lui-même sa fatigue, et l'importance capitale de ce qui ne tarderait à suivre.
Capitale, oui, c'était le mot. A connotaton cérébrale, casse-tête, mortelle. Prise de tête, vulgairement. Mais le moment n'était pas aux jeux de mots solitaires, aux belles lettres, aux plumes en général. Il avait en tête la musique sourde du sang qui goutte sur le sol. Et réalisait que ce soir, et à partir de cet instant, il serait autant maître que domestique. Les choses étaient à ce prix.

Il se glissa dans les quartiers désertés de ceux qui devaient le servir, saisit de quoi nettoyer, et remonta, le pied aussi léger que possible sur les marches. Son petit ange blanchi par les bandages n'ouvrirait pas l'oeil, non. Et quand bien même, il ne verrait rien.
Il épongea méticuleusement le sang qui coagulait sur le sol, admirant malgré lui le reflet troublant que le feu de cheminée y faisait encore naître. Mieux valait sans doute trouver des considérations esthétiques aux choses.

Quand enfin, il en fut à achever son nettoyage de la commode, il croisa son regard sur la psyché. Cette victoire nous en coûtera, cher masque.
Il redouta, juste une seconde, de ne pas savoir adapter son « personnage » à un ces cernes peu seyantes. Elles s'effaçaient commodément à ses vingt ans, mais ce temps là s'éloignait inéluctablement. Au moins les angles de son visage étaient-ils toujours aussi net. Voilà. Replacer une mèche dans le catogan, passer un peu d'eau fraiche sur ses traits -ce serait bien plus commode.
Le reflet dans le miroir, serait tellement fugace. A peine celui d'un soir, un soir un peu trop noir, le réel, c'était lui-même. Et lui-même n'était vu que par les autres, libre de faire refléter un léger refroidissement, une petite fatigue, ou simplement, des nuits encore frivoles, effrénées.
Les autres ne verraient que du feu.

*

Il souriait avec douceur à la petite fille d'une de ces anciennes protectrice, avec qui il entretenait encore un rapport tout à fait intime et amical. Son hôtesse lui était reconnaissante de son désintérêt manifeste, de sa superficialité d'homme.
Lui était reconnaissant à cette sage maîtresse ses boissons revigorante, l'espèce de bulle d'air qu'elle ménageait régulièrement dans son quotidien.
Dienne, comme il l'appelait en privé, ne demandait pas grande chose, qu'un peu de compagnie pour elle et la seule fille qui lui restait; et bavardait de la cours, de la santé de l'empereur. Elle était fort convenable depuis longtemps, Dolohov avait oublié ce dernier soir, où, un enterrement aidant, il l' avait serré contre lui.

Il était reconnaissant de sa volubilité à sens unique, du témoin qu'était cette petite fille châtain de huit ans. Il pouvait penser à autre chose sans rien risquer, en prenant un biscuit, ou une poupée de la maison de l'enfant, en simulant avec elle un thé ou une vie de famille. La veuve souriait alors, sans rien oser interrompre.

Chaque femme dans sa vie apportait son lot de pensées. Et son élève les éclipsait/nécessitait toutes, évidemment.
Car sa présence, dans la capitale, obligeait son maître à raffermir chaque parcelle de son empire de silence, à en redéfinir les contours, avec une précision chirurgicale.
Il n'était plus temps de laisser des doutes à qui que ce soit; il se devait d'être affreusement indiscret, et surtout, parfaitement conscient de tout.

De chaque domestique, il avait dû étudier l'emploi du temps, modifier à une très grande vitesse les attributions et les contacts. Impérativement, qu'une femme blessée dorme sur sa couche, ou dans celle qui était attribuée à sa mère, lors de ses visites, ne devait être connu de personne.

Il croyait savoir que trois personnes qu'il employait pouvait être envoyées par sa belle famille. Ceux-là plus que tous les autres se devaient d'être ignorant.
Il était aussi obligé d'éviter que les enfants, pris à son service pour afficher pleinement son soutien aux entreprises d'Ailil, ne voient l'ange des brume, ou ne devinent sa présence.
Dolohov connaissait très peu de choses des enfants, de leurs visions du monde, lui-même n'était plus sûr d'avoir jamais été autre chose qu'un esprit adulte.

Mais il savait que la fille de Dienne laissait échapper une quantité phénoménale de choses qu'elle entendait. Sans même le vouloir. Comme son inquiétude, parce qu'elle le trouvait pâle, son invitation à elle cet été, dans la demeure d'été que sa famille possédait dans une ville du sud.
On devait appeler ça l'innocence. Actuellement, c'était un sacré foutu danger. Bref.

Les changements, relativement radicaux et rapides devaient passer sans la moindre trace, ou du moins, en limitant toutes rumeurs corolaires. C'était maintenant que Dolohov Zil' Urain le noble devait afficher une prospérité de plus en plus visible, une santé de fer, une assurance et une maturité réelle.
Pas pour ses fiançailles, non. Pour être à tout prix dissocié de tous soupçons liés à la chute du chaos.
Comme si ça n'altérait en rien ses capacités.

Il n'ignorait pas que, lorsque ça arriverait, il devrait fournir deux fois plus d'efforts pour maintenir une cohésion et une sécurité dans ses affaires de ténèbres, ses quêtes de pouvoir, ses protections. Il avait espéré être parfaitement rétabli de sa dernière entrevue avec Lindörm au moment où ça arriverait; et la Dame l'avait exaucé.

Mais même la divinité était économe et pernicieuse dans ses bontés, semblait-il. Puisque tout manquait à chaque instant de vaciller.
Dienne lui lança une oeillade paisible.
Il lui répondit par un sourire : en pensant au sang qu'il devrait faire couler ce soir, lui-même.

*

Il rentrait le dos droit, après avoir dormi quelque minute, dans son carrosse. Il prenait en ce moment de la fleur d'Aer, une drogue bien douce et prescrite chez un médecin verreux. Cela contrait les effets du sommeil, le temps d'un traitement. Il s'obligeait à dormir malgré tout, juste 3 heures par nuit. La nausée mêlait ses relents à ceux des pâtisseries diverses, et même des viandes.
Son sens du goût s'accroissait maladivement, il ne supportait plus les viandes sanglantes. Celles dont le père Til' Eyvindr était friand, qui accompagnaient les discussions d'affaires qu'ils menaient entre hommes.

Puis venaient les loisirs, auquel on ne peut couper. Le bal d'un tel, les salons de réflexions menés en ville, où l'on rencontrait les mondains intellectuels, et souvent vieux d'un demi siècle au moins, pour disserter de choses et d'autres, abstraites.
De plan de dessin, de temples à dédier ici et là, d'esthétisme.

Dolohov avait dû dessiner, lors d'une de ses soirées, et pour un gage idiot, l'ensemble d'un conte qu'avait narré une lointaine cousine à lui, dépourvue de don. L'exercice, en plus de monopoliser ses pensées, et de le forcer à couper court à ses conversations très privées et relativement indétectables avec des personnages fort importants, avait été long, extrêmement ardu.
Son masque devait donner une impression de légerté, continuer d'impressionner, de moins en moins ironiquement. Et toujours prétendre aimer ces dépenses idiotes et ces futilités de l'Art. Prétendre avoir le temps et l'énergie à dépenser.
On lui avait demandé pourquoi, avec un tel talent, il n'avait pas souhaité devenir sentinelle.

Cela l'avait mené dans un cercle différent, plus stratège, plus diurne, également, où d'autres hommes discutaient de l'Empire, et du Don du dessin. De stratégies, de zônes à étendre, de manière de calmer les Alines. Tout cela était très flou, et relativement officieux, bien sûr. Aussi, son esprit évitait de s'y attarder.

Bien sûr, des éléments d'une importance toute relative continuaient à lui échapper. Où était Amjad, ce qu'il pouvait bien faire. Pourquoi certaines sphères s'agitaient. Qui sortait, ou entrait pour le moment à la Grande Académie de la Capitale. Ce que faisaient les mentaï qui dépendaient de l'ancien propriétaire de l'Auberge bien connue du côté obscure. Qui savait quoi. Comment Marlyn était-elle parvenue à atterir dans la capitale, et non à Al-Vor. Des subtilités du langage muet. Etc.

Le silence même de l'ange des brume l'exaspérait. Il était fatigué, avait hâte que les choses puissent s'apaiser.

*

Il s'affaisa dans le fauteuil, après un ultime allé-retour. Les tournures qu'il donnait aux évènements n'annonçaient rien de fatal. Ses muscles dorsaux le tiraillaient vicieusement, surtout ceux qui se prolongeaient sur sa nuque. Ses iris caressaient les flammes avec reconnaissance. La chaleur et la beauté du feu effaçaient les contours gris de la journée « d'intendance ». Brûlaient de son crâne les préoccupations les plus inutiles. Il hésita à prendre un roman d'opérette, et de se laisser tomber dans un univers autre, vaguement paillard, très simple surtout. Quelque chose qui lui permettrait de ne pas penser à la suite ou à la fin, juste au présent d' un héros pathétique de naïveté, et perpétuellement surpris.

Se posa alors sur son épaule la main délicieuse de Sareyn, il tourna vers elle ses prunelles, à la limite de la surprise, lui-aussi. Elle était alitée depuis presque une semaine, en silence, et si ses cicatrisations s'étaient passées sans heurt, il ne s'attendait pas à la voir prendre les moindres devants, quant à un retour actif à la vie.
Mais après tout, une pseudo-autonomie était exactement bonne à prendre, dans ces moments... prenants.

Galamment, pourtant, il tâcha d'accompagner son approche, son assise, comme il l'aurait fait pour n'importe quelle dame, et plus sûrement encore pour une maîtresse. Il l'écouta plus attentivement que toutes, s'adoucissant sans s'en rendre compte.
Comme rassuré de son pouvoir sur elle.
De son pouvoir tout court.
De sa capacité à soigner, raccomoder tout ce qui touchait à une partie de ce chaos qu'on prétendait fini.

Il tourna vers elle son regard gris, sur la fin de sa seconde réplique.


-Tu m'apportes à chaque fois ton lot de surprises. Ton arrivée, ton état. Tes états.

Il souriait doucement, en regardant les flammes. Il la voulait, et l'aimait flamboyante, et savait qu'il devrait pourtant lui donner les clés d'une survie un peu plus assurée. Pour qu'il reste de la peau à caresser, et des cils à ces paupières qui protégeaient le bleu de tout ce rouge, du violet des veines éclatées.
Il avait remarqué, aussi, et peut-être au-delà de tout ça, l'attention extrême, et la protection suicidaire qu'elle avait porté à ce qui l'unissait plus que tout à lui. Elle était donc capable de tout, c'était une question de volonté.


-Tu m'obliges à consolider mon empire- passe-m'en l'expression. A ne jamais baisser ma garde. Je doute que qui que ce soit puisse permettre à quelqu'un d'autant se dépasser, et aussi longtemps.

Et tes cicatrices me rappellent sans cesse que tu payes toujours plus que moi.

Sa main frôla celle de Sareyn, le long de son petit doigt, Sans arrière pensée – il était trop fatigué pour ça.


-Je voudrais croire, réellement, que tout sera terminé pour toi, tout ce qui a trait aux plaies, mais j'avoue que j'ai de plus en plus de mal à y croire. Tu n'es pas faite sur le modèle des gens comme moi. Tu...

« n'imagines jamais ce qu'aurait pu être ta vie si tu avais pu être nuancée et distante, taiseuse et sage ».
Il ravala sa question, la jugeant trop cruelle. Ça ressemblait à peine à une méditation, un changement de ton, vers quelque chose d'encore un peu plus confidentiel.

-..n'as jamais aimé ou voulu suivre les chemins ternes. J'aime cela aussi, chez toi. C'est aussi inexpliqué qu'inexplicable, je présume

Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeDim 20 Mar 2011 - 23:32

Un petit feu dans chaque veine.
Sous cloche, juste de subtiles pulsations comme autant de languettes enflammées, endormies dans l’âtre. Des étincelles lancinantes dans les sens, au coin de la vision, certaines mêlées aux braises qui craquaient dans la cheminée. Leurs fantômes qui luisaient dans les fils d’or, qui s’étalaient dans les soies, dans les cheveux. Chaque objet de la pièce crevait sous les flammes – sous leur couleur, qui se répandait comme du métal en fusion dans les reflets, et teintait d’orange les contours de l’univers. La cheminée irradiait une chaleur inégale, brûlait l’épiderme au coin des tempes et glaçait les épaules, les entourait de cette vérité que, s’il n’était pas contenu dans sa cage de pierre, il serait le prédateur, et ils n’auraient aucun contrôle – et brûleraient.

Une autre chaleur, ce foyer intérieur que chaque nerf assimilait à l’image du noble blond dont elle était si proche : les doigts sur sa main avaient cette douceur confortable que le feu ne pouvait pas apporter, trop extrême qu’il était. On ne peut pas être magnifique et contenu. Marlyn s’ajusta, replia l’autre jambe, laissa la tiédeur douloureuse des cicatrices obstruer sa colonne vertébrale et ses machoires –juste un temps. Jusqu’alors, elle n’avait pas remarqué les ombres qui se creusaient juste au coin des lèvres de Dolohov ; ni cette légère aliénation de peau sous l’univers de ses yeux. Elle l’avait senti, dans les vibrations de sa voix, dans sa manière d’ajouter plus de mots que nécessaire à ses phrases, de les ponctuer par un écart de regard. L’empire, c’était sa manière de se consumer ; la dispersion, l’atomisation. Un univers où elle évoluait en périphérie, où elle infiltrait son pouvoir sans se montrer, et dans lequel elle ne pourrait jamais complètement s’intégrer. Autant par manque de volonté que d’éducation.

Et c’est ce qui les différenciait fondamentalement. Il était noble ; il connaissait l’importance de la pondération, il avait appris la Nuance, il savait ce monde sur le bout des doigts et régnait sur les autres mondes par son intelligence et sa capacité à assujettir la force des autres à la sienne, ou de s’en entourer ; de l’aimer ? Il avait un univers de départ, un univers duquel il avait appris à créer le sien, et auquel il avait conformé ses Spires et ses sbires dans une harmonie quasi-arachnéenne. Et la certitude que quelque chose s’effondrerait s’il venait à disparaître, s’il ne se préservait pas.


- Les rêveurs savent créer des fins. Ils en créeront encore, pour peu on leur demande.

Elle ne pensait pas exprimer ce projet si tôt dans sa convalescence. Ni passer aussi rapidement dessus. Mais lui comme elle savait que, malgré leur aversion pour ces confréries de reclus, ils étaient incroyablement doués pour redonner forme à un corps – quoiqu’en soit le modèle. Elle attendrait. Que son corps lui appartienne à elle seule de nouveau, que les blessures se soient imprimées dans son être suffisamment pour y être intégrées, que l’univers du Mentaï se soit suffisamment stabilisé pour que cette visite se passe dans l’anonymat et la banalité la plus totale. Elle ne laisserait pas l’Académie ployer son corps. Non, elle ne laisserait pas de passé derrière elle, ni d’univers. Elle en avait brûlé les ouvertures, il en avait cousu les bords, les rêveurs créeraient le néant.

Il ne pouvait pas comprendre ; parce qu’il n’y avait pas d’explication tangible. Juste des manques. Des lacunes. Vingt ans perdus, et une démesure dans tous les domaines, un déséquilibre permanent qu’il avait choisi de redresser. Il ne pouvait pas comprendre les négations, lui qui avait tout appris, non ?

Jusqu’à peu, elle n’avait jamais envisagé les conséquences. De ses actes, de ses mots, ou de ses allégeances. Même l’autre soir, sur les toits, il n’y avait plus vraiment d’univers, juste de la survie, et la flamme de vingt ans de combats erratiques. Même les conséquences qu’amenaient Dolohov, et la réglementation stricte des univers. Il lui donnait un passé. Court, très monochrome. Mais un qu’elle avait accepté de ne pas brûler.
Et il était le premier aussi à lui avoir appris. Même indirectement, par les bandages qui lui restreignaient le visage et la cicatrice qui lui vidait le regard. Les épaules de Marlyn laissèrent transparaître ses réflexions ; elle aurait laissé échapper quelques éclats de rire, si elle avait pu. Ou un soupir. Ou juste une expiration. Un peu des trois, peut-être.


- Je ne me rappelle pas que quiconque m’ait dit dans quelle direction étaient les chemins. Encore moins les ternes. Ni pourquoi les Spires criaient si on n’apprenait pas à les faire taire.

Y’avait de ça, aussi. Le pouvoir déchainé, qui tirait l’âme en avant et n’accordait aucune seconde de repos. Détruisait le passé. Aussi loin qu’elle pouvait se souvenir, elle avait utilisé –laissé agir- son Don du Dessin comme offensive, ou dans des combats. Même à l’Académie, quand ses souvenirs devenaient plus nets, cette chienne de Slynn avait décuplé son manque de contrôle au lieu de lui apprendre à quoi servaient les Spires. C’était de l’instinct. Spontanément, elle brûlait. Parce que les flammes ne posent pas de questions, ni n’ont besoin de contrôle. Et elle s’était consumée à cause de ses Spires incontrôlables. Parce qu’il y avait du feu partout dans sa vie. Une colonne de flammes qui, désormais, brûlait pour lui, même diminuée.

- Je ne peux pas spontanément contrôler un incendie, ou l’éteindre, ou faire autre chose. Rester assis à regarder l’âtre d’une cheminée, ce n’était pas concevable.

Mais maintenant, ce l’était plus que tout. Plus que toutes les morsures physiques. Les Spires n’avaient pas leur place ce soir, en dehors de celle de moyen. Elle voulait pouvoir effacer les soucis qu’elle causait ; doucement, comme il pouvait visualier dans son propre univers. Son corps changea de position, et si la convalescence gémissait, elle la faisait taire ; ce n’était plus son heure d’être soignée. Ses mains glissèrent le long des étoffes de brocard, dans la nuque chaude du Mentaï, le long de ses épaules sous la chemise : elle était suffisamment proche de son visage pour compter les braises qui se reflétaient dans les pupilles grises. Des années à percevoir toutes les anomalies et les raideurs de son propre corps lui avaient donné une certaine connaissance de l’anatomie humaine, et ses doigts autrefois éraflés pouvaient sentir la raideur des muscles de Dolohov, à vouloir maintenir l’univers en place. Tenter d’y remédier. Le feu n’avait rien à voir dans ses Spires, ce soir, ni dans la tiédeur immatérielle qu’elle matérialisait dans ses paumes, contre la peau de satin.

Savoir qu’elle pouvait l’immoler si son esprit perdait le contrôle ou si la peur de créer un passé la prenait, avait quelque chose de terriblement vicié. Qu’elle rejeta : elle avait rejeté pour la dernière fois l’Académie, et l’impulsivité qui allait avec.

- Mais rien n’empêche de faire flamboyer les chemins ternes, même artificiellement. Je ne connais pas d’autre manière d’être vivant que de se consumer. Pas d’univers dans lequel évoluer… que le vôtre.


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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeDim 3 Avr 2011 - 18:34

Est-ce de mon chaos que tu parles, mon Ange, quand tu évoques les fins?
Tes charmes ont toujours fait désordre, comme tes chignons, quand tu les fais. Ca ressemble aux chutes d'eaux, aux gerbes de vapeurs, et au fer, tout à la foi. Les spirales sans enfers, sans vices, sans calculs. Débordantes, abandonnées, et ces mèches qui effleurent ostensiblement tes vertèbres...

Obsidiennes, et joueuses, ces mèches qui lancent leurs ombres à l'assaut de ta peau. Et puis.
Les marques abstraites, intemporelles, de bourreaux qui pourraient n'être qu'égaux à moi.

C'est comme si tu t'en moquais. Certes, tu n'as rien des rêveurs. Ce que renvoie ton miroir ne laisse la place à rien d'autre que toi. Rien au delà du bout de ton nez- on t'en excuse, on t'en envie.
C'est toi le martyr. C'est vrai, ils n'ont qu'à rêver. On a tout fait pour, et ce serait justice que, juste une fois, ils nous rêvent sans paresse.

Dolohov orientait les angles de son sourire à l'opposé de son interlocutrice, là où l'illusion d'une ombre subsistait. Et ce fut bref. Il tourna vers elle ses prunelles argent -à défaut d'être vives- ravivées, peut-être, par les éclats de flammes qu'on ne précisera pas.

Le feu projette l'Ombre. Nul n'existe, sans éclat, c'est vrai. Et je crois avoir tenté de te montrer, voilà longtemps. Tu devais avoir 18ans, tes lèvres, à ce moment là, ne souffraient encore que je les approche. Mais ça n'a pas duré, et aujourd'hui, il me semble que c'est un baiser qui reste accroché, là où quelqu'un a achevé ses découpes.
Une fine ligne blanche, un trait de contour. Celui qui a fini de te jeter dans mes bras.

Elle avait dû oublier. C'était peut-être un moyen de survivre mentalement. Renier qu'il y avait eu choix, transgression, à ce moment là? Qu'importe.
Marlyn parlait de spires – même ces fils semblaient l'agresser. Cela sans doute faisait partie de la quantité de choses que Dolohov ne pouvait appréhender. Les limites qu'entraine un pouvoir trop haut pour être contrôlé correctement. Avait-elle été analysée? Comment se situaient volonté et créativité dans son cercle de pouvoir? Ou était la faille, l'explication? Ce n'était donc pas une légende, la Dame chantait-elle dans les spires?

Le mentaï voulut l'interrompre, mais elle continuait, la voix étrangement distante. Il nota l'imparfait, comme une victoire personnelle, et une forme de mise en garde. Trop de choses dénotaient la non-perfection, l'étendaient depuis un temps relatif sur ce qu'il croyait contrôler au mieux. Nota son propre imparfait, plus lâchement, les paupières clauses, le dos calfeutré dans le canapé.
Canapé dont le velours se mit à gémir- oh, sans vulgarité, sans douleurs. Juste comme un prélude.

Le parfum de sa peau l'envahit, curieux mélange d'herbes, d'ambre et d'autres choses qu'il ne pouvait nommer. Sa jambe se glissa naturellement entre les siennes, et ses bras l'entourèrent, approchant leurs deux visages pour un baiser qui ne vint pas. Il ferma à nouveau les paupières, entrouvrant les lèvres de surprise et de soulagement, en sentant les mains apaiser les tensions qui lui rongeait la nuque. Il expira doucement, profondément; cela seulement lui parut être incroyablement apaisant.

Mon univers?
Celui de tapisseries, de briques voilées sous les soieries, les éclats, les statues, les écrins? Celui sur lequel on accroche les portraits, pour ne pas oublier, où sonnent les pièces qu'on lance, sans jamais chercher à les rattraper?
C'est le panache de la noblesse. Chaque considération matérielle est petit-bourgeois.

Le chaos est la fange, la fange qui court après les ombres, les pièces, la fange et la paille qui tapissent les toitures, les plumes noires des oies qui composent les matelas, les boues améliorées qui cimentent les façades? Le chaos est bourgeois, perpétuellement intéressé, perpétuellement jeté à l'ombre. Ceux qui flamboient sont ceux qui s'anéantissent. Tu verras qu'on continuera de parler de la Noblesse des siècles et des siècles durant. Et que le peuple, s'il arrive à quoique ce soit un jour, ne sera pris en exemple que pour parler de laideur. Ou pire, encore... de vraisemblance.

Il étouffa un léger grognement, quand les doigts de sa maitresse dénichèrent une zône particulièrement douloureuse. Il entrouvrit un oeil, crut la voir sourire, un peu trop tendrement, choisit de se reprendre, un peu de dignité, que diable.


-Je pense qu'on peut trouver dans le terne, le noir, ce qu'il convient pour tracer l'Histoire... Les pages sont blanches, et l'encre noire. Sanguine. Violacée. Ou Bleue. Obscure, violente, ou noble. J'ai ouï dire d'une encre verte... jalouse, peut-être? Quant à la main qui rédige, elle n'est jamais visible, ou regardée.

Il ouvrit les yeux, cherchant les siens, tout proches.

-Ce n'est pas une apologie de quoique ce soit; j'aimerais sans doute ne pas écrire, et être l'acteur au centre des attentions. Le nom tracé, tout ce qui concerne le vu, lu, supposé connu.
Mais... ma position me permet de m'offrir d'incroyables avantages.


Les mains de la jeune femme descendaient lentement sur le haut de son dos, les rapprochant encore. L'écartant des coussins de la causeuses, comme de l'étoffe de ses propres vêtements. La main libre du mentaï détacha le premier bouton de sa chemise, et desserra la cravate qui commençaient à la gêner.

Si une extrême proximité avec Sareyn n'était pas pour le déranger, il redoutait, comme souvent au cours de ses derniers mois, la sensation d'intimité et de relâchement qui tissait leurs rencontres. Il savait qu'exhiber ses faiblesses, qu'elles qu'elles soient était dangereux; mais que paradoxalement, il n'était plus temps d'être docte.
Que l'enfant et les blessures qu'elle portait fermaient à leurs instants des possibilités d'amour charnels -il ignorait tout des femmes enceintes, n'ayant consciemment jamais touché l'une d'elles, ni vu sa propre mère porter un autre corps. Les femmes mariées, c'était une chose.
Les femmes de l'ombre étaient comme toutes les affaires qui touchent à l'obscur. Fugaces, ténues, chacune dans leur petit appartement, dans le moment précis du calendrier. Dans leurs salons cossus, ou leurs chambres austères. Lorsqu'on les rencontrait ailleurs, on savourait cette connaissance de leurs vies, et de ce petit monde qu'on créait pour deux, pour une durée volatile. Sans importance.

Là, c'était autre chose. L'ange des brumes, dans une maison où il n'avait pas ou terriblement peu, été convié. Qui connaissait de lui et son visage, et son nom, et tout un tas d'autres choses. Qui s'épanouissait en déclarations d'amours, en silences confiants... c'était trop rassurant pour ne pas baisser sa garde. Il connaissait pourtant ce pouvoir des femmes, il lui avait suggéré dans user, il y a longtemps. Elle l'avait peut-être plus écouté qu'il ne le croyait.

Comment entretenir la future mère de son enfant, sans s'en lasser? Dolohov songeait à ses fiançailles, à tout ce qu'elles impliquaient, et contracta des masséters. Il aimait la séduction, les victoires sentimentales, les romances épistolaires, tissées de mensonges, les liaisons dangereuses, ou à défaut, lucratives. Et si Marlyn laissait avec ses plus jeunes années... oh, comment nommer ça?

Du temps du manoir, ils avaient certes vécu ensemble. Mais c'était un « ensemble » assez rêveurs, assez naïf. « Hors du temps » et des affaires, quelque chose de relativement superficiel, même si le noble savait qu'elle s'y était offerte corps et âme. Il croisait aujourd'hui un regard de femme, et plus de jeune fille, un regard complice, et même si biaisé, en voie de devenir lucide, s'il se laissait aller à l'âge. Il ne la retiendrait pas avec une alliance. Il ignorait même comment fonctionnaient réellement les liens conjugaux, comment un homme se doit de prendre femme, de la garder.
La grande liberté qu'il s'accordait allait bientôt se réduire considérablement. Il avait conscience de la frustration qui le guettaient, Ailil et ses manières ne l'amuseraient qu'un temps. Les yeux gris tombèrent sur la nuque gracile de son interlocutrice, là où battait le sang, langoureusement.
Oh, le masque ployait déjà à l'idée d'être un homme bien, manquait les nuits d'ivresse, avant même la noce, on regrettait de ne plus pouvoir la faire.

Bien sûr, Sareyn avait d'autres choses à offrir. Autre chose que le corps et une conversation polie, s'entend. S'il l'aimait? Il ne le croyait toujours pas. Il éprouvait ce qui pouvait y ressembler le plus, et c'était très bien comme ça. Ca ne devait pas changer. Ca ne pouvait pas.
Deviendrait-elle, avec le temps, une sorte de Dienne, qui s'accrochait à lui doucement, et sur laquelle il s'appuierait sans qu'elle sache comment, ou pourquoi?
L'idée lui vint que ce serait peut-être lui qui jouerait le rôle de la vieille maîtresse qui regarderait tendrement une scène où elle n'était pas actrice. Il en fut profondément horrifié. Et s'il était dupe?

Il attrapa le bras de son ange, et l'éloigna de son dos un peu trop rapidement, peut-être, sans brutalité toute fois. Sa main entoura le poignet ténu de son apprentie, et embrassa ses lèvres, comme un défi à relever.

Défi de ne pas rouvrir les blessures, et pourtant, de faire retomber ce moment dans quelque chose qu'il connaissait. Qu'il maîtrisait – croyait maîtriser.
Il connaissait par coeur le goût de sa bouche, la sensibilité de ses muscles, au moindre touché, sa manière de céder, puis de s'écarter quelque peu, l'oeil ouvert, pour le toiser, s'assurer que, non, ce ne serait pas un cauchemar de plus.
Il connaissait l'emplacement de ses plaies, qu'il avait fermé lui-même. Moins, l'arrondi de son ventre, de sa poitrine, qui tendait davantage le tissu de la chemise.


-Artificiellement? , interrogea-t-il, les sourcils s'élevant avec humour ou ironie.

L'interprétation dépendant sans doute de ce que dessinait l'ombre sur les iris, supposés ternes.


[U_U ]

Marlyn Til' Asnil
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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeJeu 7 Avr 2011 - 0:26

[Si le moindre truc te dérange, surtout en fin de post, don't hesitate]

Ca avait quelque chose de profondément rassurant.
Les bruits familiers. Le craquement des buches que les flammes dévorent paresseusement, dans un caisson en brique. Le chuintement des mains qui glissent le long de la soie et du brocard, des tissus qui glissent l’un de l’autre pour choir en silence là où on leur demandait de rester : ailleurs. Et le grave de la voix du noble qui s’élevait lentement, comme des volutes, dans l’air statique et qui faisait vibrer sa peau de satin sous les paumes, à la base du cou. Et cette capacité incroyable qu’il avait de toujours trouver les bons mots pour qualifier l’instant, de les entourer d’une aura quasi spire-ituelle, Imaginative, d’y faire résonner l’univers. Elle savait que l’encre coulait dans ses propres veines, cinabre, répandue à travers le monde sans distinction, avec une frénésie quasi-léthale ; elle savait qu’elle avait mêlé plus souvent que de raison l’écarlate au violet des veines déchirées, et que le bleu océan s’était éteint, avait été coupé de noir pour devenir tempête, ou chaleur qui transcendait le rouge.

Et l’encre restait sur le papier comme les cicatrices sur la peau, jusqu’à ce que quelqu’un décide de brûler la page. Qu’elle fût historique ou non.

Il y avait un effet de transfert, à évoluer du bout des doigts dans les vertèbres de Dolohov, à noter le silence qui étouffait son souffle quand il retenait –par orgueil- la satisfaction que lui procuraient les caresses. C’était quelque chose de terriblement catarthisique, une alchimie en déséquilibre constant, où l’esprit contraignait les poignets à rester au niveau des épaules et les lèvres à rester closes alors que même les Spires appelaient à plus de tendresse et d’attention.

Et que sa peau tendue par les fils de suture criait au supplice. Ce que le fin tissu de la chemise masquait.

Ca aussi, limite, c’était rassurant. De savoir qu’elle n’était pas encore assez brisée pour rester dans le convenable, et le précautionneux, qu’elle pouvait toujours prendre le risque de rouvrir une plaie sans jamais penser aux conséquences. Son esprit n’était pas encore assagi. Et il redoutait de l’être un jour, parce que seule la mort pourrait apporter le calme de la sagesse, pour elle qui était aussi déformée par le pouvoir incontrôlable de l’Imagination. Et les mille instants qu’elle avait encore à immoler en compagnie du noble. Il n’y avait pas encore assez d’atomes de feu dans l’anthracite, et elle s’accoutumais maintenant suffisamment aux tiraillements à travers tout son corps pour en allumer beaucoup d’autres.
Quand bien même elle devrait s’effacer devant la nécessité de l’officiel, devant une femme plus légitime qui se trouverait – s’était trouvée ?- à la place qu’elle occupait ce soir, quand bien même toutes ces modalités qu’elle ne pouvait pas envisager dans un futur organisé, quand bien même elle devrait retourner bientôt dans un manoir anonyme, loin des coins de cheminées confidentiels ; quand bien même, elle savait qu’elle resterait l’encre de flammes, et que les brasiers, son esprit s’en consumait, et en allumait ailleurs.

Alors qu’elle allait atteindre la cravate desserrée pour ôter complètement l’étoffe qui lui recouvrait délicatement le cou, une main se referma sur son poignet, suffisamment ferme pour déterrer les démons ; en filigrane, imprimé sur la rétine, des fantômes qui profitaient de sa surprise et de la faiblesse manifeste de ses membres pour aspirer leur part de chimères. C’était une main carrée qui lui enserrait le bras, calleuse d’avoir travaillé dans les navires, une odeur mentale d’alcool et de perfidie galeuse, un souffle puant qui la maltraitait ; c’était une main de fer et d’acier, glaciale et rivée au mur, qui râpait contre sa peau déjà flagellée. C’était, dans un océan de brume et de confusion, beaucoup d’autres mains différentes –ou bien était-ce une seule ?- qui appartenait à un passé lointain, dont elle n’était plus sure de pouvoir retracer l’identité ou l’appartenance, ni même le crime. C’était la poigne d’une corde que l’on sert autour des métacarpes, sur un échafaud flou, et la caresse du vent sur le sol froid dans la nuit. Battement de cœur en désunion.
Et cette chaleur qui se répandait sur ses lèvres, était-ce son sang, qui lui échappait irrémédiablement ? C’était pour ça que son cou la tiraillait sous les bandages ? Elle entendait Ivan glousser.

Et reconnut l’odeur, qui chassait tous les ténèbres que le mouvement brusque avait invoqués, Marlyn reconnut la fragrance du parfum complexe des foulards, et le gout délicieux de lèvres connues, le souffle chaud sur son visage, la finesse et la délicatesse avec lesquels les doigts du noble tenaient son bras hors d’atteinte de son corps d’aristocrate. Reprise du battement cardiaque. Le surprise lui laissait les lèvres entrouvertes et la pupille plus dilatée qu’elle ne l’aurait voulu ; la bouche parfaite du Mentaï s’écarta trop tôt, quand elle avait remis une image au présent et chassé les images détestées loin dans son esprit et se laissait seulement aller au baiser.
Inconsciemment, les muscles de son bras se desserrèrent –elle les avait tendus inconsciemment en croyant devoir échapper à quelque chose- et la douleur vive dans la blessure de son épaule s’apaisa comme elle était venue. On n’échappe pas toujours aux chimères. Laisse ton esprit se relâcher dans la quiétude chaleureuse d’un instant privé, et les voilà qui te dévorent les poumons parce que la surprise t’envahit brusquement.

Elle priait la Dame que son regard ne retranscrive pas trop à quel point elle était heureuse et soulagée de voir le noble devant elle, de sentir la chaleur de son corps sous ses jambes et son parfum sur ses lèvres.

Elle voulait immortaliser le présent. Qu’il n’appartienne qu’à eux deux, et pas à ses souvenirs, aux plaies qui lui traversaient le corps ou l’être qui lui arrondissait –encore modérément- le ventre. Une moquerie aux chimères, et à tout ce qui ralentissait sa démarche, et leurs projets. La raideur de ses traits détint en un sourire, à la déformation qu’il apportait au mot artificiellement.
Et aux nombreuses possibilités qu’il laissait sous-entendre, et qu’elle n’avait pas forcément eues en tête à ce moment-là. Qu’elle aurait besoin d’un silence pour rendre éclatantes. L’esprit de Marlyn nota l’harmonie que provoquait le bruit du velours avec celui, purement mental, de blessures qui crissent, alors qu’en se redressant légèrement, elle fit passer ses jambes de part et d’autres de celles de Dolohov ; question de confort, à tous les niveaux. Jusqu’à reposer sa colonne vertébrale mise à mal par la torsion de son corps pour masser les épaules du noble blond, et depuis l’évidence que la distance entre eux avait encore diminuée, pour être réduite au futile.
Elle possédait d’avantage sur lui que, dès qu’elle eut retiré la cravate en soi qui était déjà lâche autour de la chemise de brocard, la peau du Mentaï se retrouvait exposée à son souffle et ses caresses, alors que la sienne était emprisonnée sous les bandages désinfectés. Marlyn croisa les yeux gris, fugacement, qui observaient avec intérêt, et sa résolution de recourir d’abord aux mots manqua de flancher. Les coins de ses lèvres, même retenus par la peau recousue, s’animèrent – si elle avait connu le mot, elle les aurait qualifiés de mutins.

- Comme un feu d’artifice, ça me semble évident.

Ses lèvres s’approchèrent de celle de Dolohov, et les effleurèrent avant de retracer sa mâchoire, de retracer son lobe d’oreille, en soufflant quelques mots que seul le voisin à la longue-vue l’univers privé de ce soir pouvait entendre. Son bras se libéra en douceur de l’emprise du Mentaï aux cheveux ondulés, et repassa sous la chemise de brocard malgré l’interdiction, là où les boucles blondes échouaient sur la nuque gracieuse et cascadaient dans son dos. L’univers avait besoin de déséquilibre, de cette adrénaline qui voulait recréer le désir alors même que tout les limitait. Rien ne les retenait vraiment. Elle ferait que. Elle ne connaissait pas les risques dans son état, et ce qu’elle ne connaissait pas ne pouvait pas lui nuire, leur nuire. Et au fond, n’était-ce pas un défi en soi, pour lui, de ne pouvoir agir sur la peau hypersensible du cou de la jeune femme ?

Bien sûr, ce serait toujours au final le Mentaï qui aurait la maitrise des univers, et des flammes qu’elle pouvait créer. Et ce n’était pas mutinerie d’appliquer –certes à plusieurs mois de distance- une demande prononcée la voix rauque, à des milliers de kilomètres de là. En toutes circonstances et en tous états, elle savait créer.
Son autre main frôla la paume de celle du noble qui s’était égarée sur sa cuisse, là où la soie de la chemise empruntée s’arrêtait, voulut s’y arrêter. Le laisser maitriser. Mais les chimères avaient écorché en elle un besoin de s’assurer qu’il ne pouvait pas la surprendre. Autrement que positivement. Les Spires, dénuées de but et vidées de tout danger, se réverbéraient dans son esprit, incapables à éteindre, et qui cherchaient compulsivement la présence de Dolohov autour de laquelle entourer leur puissance brute, à laquelle se crocheter sans déborder, juste cette présence brulante dans son esprit, cette union purement mentale qu’aucun fantôme ne pouvait toucher par ses ténèbres épineux, et qui transcendait un autre genre d’union.
Elle ne pourrait jamais se lasser de sentir le cœur de Dolohov battre sous ses doigts -qu’elle avait laissés se perdre dans son cou-, résonner contre sa propre poitrine ou même sous son autre paume, quand elle quitta les genoux du noble pour venir étendre les flammes au creux de ses hanches.

Dolohov restait, malgré tout, un homme, et tous les artifices ne pourraient pas effacer ça, ni le sourire de Marlyn devant ce pouvoir qu’elle avait partiellement sur lui.


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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeVen 8 Avr 2011 - 1:46

[Indépendamment de notre volonté, il s'avère que le rp vire encore romantique. Foutu Doll.]


L'embellie, c'est.


Comme un carnage, dans nos nuages, dans nos écueils.
Quelque chose au delà de l'instinct, à tort et à travers. Inscrit quelque part, entre la main et la poitrine, dans les veines qui serpentaient jusqu'au bout des doigts du mentaï, dessinant des serpents clairs sur sa peau déjà laiteuse. Un rythme particulier que prennent les choses, un rythme pulsionnel. Pas comme un battement de coeur, trop sentimental, pas comme un tic tac, talon aiguille sur le plancher, ou une symphonie, déjà trop réquiem.

Dolohov savourait cet instant d'attente, dont il devinait déjà l'issue. Comme un comédien, censé ignorer qu'après « l'être » de Shakespeare viendra la question du « ne pas » être; et accroché pour l'instant à toute cette perspective: être.
Le plus longtemps possible, le plus flamboyant possible, le plus anarchique possible.
Prétendre ne pas avoir un coup d'avance, mais, déjà, sentir sa bouche s'entre-ouvrir enfermé dans le carcan de ses jambes.


Quel écrin plus élégant, plus parfait que ses membres qui se courbaient par et pour lui, quelle autre limite que celles de bras pouvait-on vouloir dépasser-renverser-contempler sans cesse, sans discontinuer? Se laisser effleurer doucement, comme si un simple contact pouvait bouleverser le cours du jour et de la nuit; la fatigue et les renâcles attendraient. Le ciel ce soir était incandes-cyan.

Il sentit son sourire, déjà ravivé par le carmin des lèvres qui s'y étaient posées, muer en quelque chose de plus rêveur, de plus franc, en sentant à une soierie de le royaume édénique de ses hanches.
« Evidence », c'est un autre mot pour « preuve », un de ces mots que l'ange ou le mentaï ne prononcent pas. Elle arriva à son oreille, lui arrachant un premier souffle un peu court lorsqu'elle y passa sa langue, qui pouvait passer, et c'était le cas, pour un rire de connivence.

Vinrent les mots qui arrachèrent à son sourire les restes de retenues; leur réalité découpait des fossettes sur ses joues, assymétriquement. Le temps d'un battement de cil, d'une inclinaison de tête, de sa joue à celle de Marlyn, quand déjà elle s'écartait, elle ne les aperçut peut-être pas.
Il sentit son poignet se libérer, ne chercha plus à le retenir. Il aurait voulu jouer, à cet instant, les jeux d'amoureux qui consistent à se laisser vaincre du regard. Esquissant plus qu'offrant les baisers, en bouquet de souffles, frôlements de nez, de pomettes, parfois. Non. Elle lui présentait son cou, encore blessé, comme en rappel.

Il laissait échapper son souffle, contrôlé, cette fois, le long de la nuque, jusqu'à la base de la mâchoire, en partant des clavicules. Juste de quoi disperser les derniers nuages qui flottent de nos artifices. Qu'il ne reste que les paysages nocturnes, pas de spectres de cages explosées.
Les doigts passèrent entre les siens, puis sous la chemise, au niveau de sa nuque. Sa propre main remontaient doucement, de bas de la cuisse vers les pans de la chemise.
L'arrondi d'un ongle dansait sur ses cervicale, des entrechats à chaque fois qu'une cassure -trace minime d'un combat qui semblerait presque vieilli- entrait en contact avec la peau sensible du noble.

La main de sa maîtresse se posa sur la sienne, il cilla, inclina la tête. Les manches de sa chemises étaient trop longues, trop lourdes pour la jeune femmes, leur tissu dissimulait tout, la dernière phalange mise à part. Mais les plis en tombaient en cascade, traçaient d'autres arabesques que celles des cicatrices et tatouage. Quelque chose de plus écumeux, de plus froid, sans doute. Un peu de lui sur son petit corps-flamme sauvage. Une chute vertigineuse, mouvante, qui capturait jusqu'aux respirations -va et vient vague, sur son torse, très léger, encore. Patience.
Leurs tempes se caressaient, jusqu'à ce que le mentaï parvienne à s'arracher à la contemplation, embrassant sa joue indemne- bombant le torse sans y penser.
Tomber dans l'imagination, à ce stade, serait précipiter les choses. Il la sentait rôder aux spires, quand lui-même tâchait de les faire taire, trop à la chair pour vouloir même s'atomiser encore. L'Empire disparaissait avec la distance des corps. L'an pire s'était déjà...

Patience. Au premier qui cèderait. Lui ses spires, elle l'accès aux flammes sous la neige du tissu. Il s'embrassèrent, farouchement. Au premier qui cèderait à l'autre- l'empire ou le bûcher. L'oeil bleu, quand il le croisait, dansait d'iris à iris, relançait la mise.

D'ordinaire, on se demande plutôt de tuer la lumière. D'ordinaire, on ne l'est jamais- même être conventionnel a quelque chose d'inédit, dans tes bras. Je veux regarder, ce soir. Regarder tes dessins quand ils éclaboussent l'air, regarder tes lèvres, quand elles gémissent, tes joues, quand elles rougissent.
Et faire pleurer ton corps d'arc – en ciels contraires.

Sa paume monta le long de son ventre, sans retrousser le tissu, puisqu'elle le lui interdisait encore- l'autre, sous celle de sa partenaire, jouait avec les doigts arachnéens, avec les rebonds des doigts, puis la petite tubérosité qui gonflait son poignet; puis le long de l'avant bras, avant qu'elle le chasse, au point de départ, en basculant des hanches, un peu plus fort. Comme pour l'allonger, le forcer à ployer de l'esprit, vers l'imagination.

Il restait plus concentré sur les courbes que rencontraient ses doigts. Les dernières côtes, et puis, enfin- redessiner les tatouages sur sa poitrine. Les baisers en labyrinthe qu'il y déposait sans cesse. Là, sur ce petit soleil sombre, invisible encore, dessiner les rayons, les noyaux en fusions, les étincelles frusques. Et écouter les séquelles d'explosions, traduites en souffles et sons volontairement ténus; confidentiels, toujours.

Elle le repoussa encore, reproduisant, probablement en toutes connaissances de cause le geste que le mercenaire avait eu tout à l'heure. Ses poignets prisonniers, tenus en respects, après un nouveau baiser -coup de rein plus profond, que son corps suivait plus sûrement que jamais, l'obligèrent presque à capituler. Il préféra embrasser la clavicule indemne de Marlyn, la pousser à se cambrer encore, pour chercher par delà le tissu, les courbes. Qu'elle cède encore un peu; comme la chemise qui tombait mal, dénudait son épaule en bandage.

Enième baiser. Leurs mains encadraient, leurs visages, se séparaient presque à regrets, puis enlevaient, avec empressement, quasi colère, les chemises respectives. Tous les deux, de haut en bas, elle s'attardant sur les abdominaux finement sculptés de Dolohov, lui, dévalant la série en cascade, préférant l'absence de limite, la frustration de l'air sur la peau.

Le blanc continuait de lui couvrir le dos, là où la lumière aurait dû s'éteindre, là où les coutures traçaient comme des comètes sales. Il n'osa l'arracher, comme le dictait son désir- de peur encore de la blesser. Il avait vu la légère grimace- sûr qu'elle voulait la retenir- quand sa main avait ouvert le tout premier bouton, un peu trop empressée, et touché la clavicule blessée.
Elle l'embrassa plus fort, le souffle plus court. L'air un peu bravache, un peu vacillant, tout de même, voulait-il croire. Qui poussait sa main à allumer un peu plus l'homme. Encore plus. Risquer plus.


-Rythme-moi...

C'était comme un écho à quelque chose d'ancien, dont il n'avait pas eu conscience. Quelque chose qui lui était venu en posant son front contre son front. En se laissant aller comme elle à l'imagination. En lui accordant le luxe de maîtriser, si c'était là son désir – il y avait eu des amantes plus exigeantes.
Il le répéta plusieurs fois, les yeux fermés, par syllabes détachées de soupirs, de caresses qu'il continuait à offrir, loin des limites de la décence.

Puisqu'elle lui offrait les oublis en chimères, la volupté en cascade, et ses jambes en écrin.


Marlyn Til' Asnil
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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeMar 19 Avr 2011 - 5:14

Que mon corps lâche. A tous les vertiges prodigieux que tes mains retracent, aux comètes que souffles dans mon esprit, inlassablement, et que je te rends au centuple, instinctivement, d’un baiser, d’une morsure, d’un mouvement de hanches.
Chaque centimètre qui séparait son corps du sien était un centimètre à abolir, une distance à franchir dans un souffle court, alors que leurs lèvres cherchaient à prendre le contrôle, à embraser l’autre comme les buches craquaient sous les flammes qui les consumaient, et s’illuminent de braises incandescentes.
Marlyn savait comme elle était sensible aux mille caresses de son amant, et comme il était facile d’y céder, de s’abandonner dans leur poison délicat, sans mesure, et de le laisser lui couper le souffle. Chaque mouvement contre la soie qui les séparait de l’extase était une petite torture en soi, mais une frustration magnifique qui alimentait son désir, la poussait à y résister, jusqu’à ce que les lèvres du noble soient rougies par ses baisers, et qu’elle puisse enrouler ses Spires autour des siennes comme ses jambes l’entouraient, l’enfermaient dans leur intimité silencieuse et brûlante.

Ses doigts graciles saisirent les mains du noble et l’empêchèrent de causer plus de ravages délicieux dans sa volonté, et sur sa peau rendue toujours plus sensible par les coutures qui la tranchaient, et diffusaient une chaleur sourde dans son corps, une légère amertume qui venait transcender les sensations, et ajouter ce gout de risque à leurs baisers, et leurs souffles déjà brûlants.
C’est hâtivement qu’elle ôta la chemise de brocard de Dolohov, et qu’il fit de même, en profita pour parsemer son corps de nouvelles caresses alors que les lèvres de la jeune femme retraçaient langoureusement le tracé de son torse apollonien, là où la lumière du feu peignait des ombres, des arabesques à l’égal des siennes.

Ses lèvres s’étirèrent quand elle sentit le corps du noble réagir parfaitement au sien, et suivre les mouvements que ses reins imprimaient à leur impatience. Il était difficile de ne pas céder, de ne pas laisser ses mains descendre plus bas et défaire la ceinture de cuir, et laisser l’instant s’embraser immédiatement, sans plus aucune retenue.
Mais son propre corps la retenait, par les fils qui lui brodaient la peau et le tissu qui les recouvraient, cachaient à leurs yeux ce qui n’avait pas sa place ce soir ; ces fils qui poussaient la jeune femme à embrasser encore les lèvres du noble, hors d’haleine, pour sentir cette satisfaction de le sentir lui céder, pour sentir que malgré les blessures, elle pouvait le surprendre, et l’aimer plus farouchement encore.

Il y avait quelque chose de terriblement victorieux au murmure de Dolohov, éclaté par les soupirs que provoquaient leurs caresses et leurs corps si proches que le vertige la prenait déjà. Quelque chose de déjà jouissif, l’impression que l’univers perdait ses limites et que les limites perdaient leur sens. Alors que, le front collé au sien, il lui ouvrait le monde de son Imagination, à envahir insidieusement ; ses propres spires palpitantes de pouvoir pur se mêlaient à celles de son maître, sans chemin précis à prendre, juste cet univers infini dans lequel valser sans mesure, pour transcender les limites de la réalité, des corps, aviver encore plus –si c’était possible- le désir qui les guidait. Pour elle, c’était la possibilité de s’atomiser tellement que, quand son corps protestait, cette douleur légère soit transformée en étincelle supplémentaire, sensation ambiguë que provoquait le souffle de son amant dans son cou. L’Imagination stérile, comme réalité supplémentaire, moyen de transcender le toucher de leurs caresses.

Marlyn put saisir le soupir de frustration qui s’était échappé des lèvres entrouvertes du noble, quand elle éloigna légèrement sa poitrine de la sienne, juste de quoi saisir à nouveau ses poignets d’homme, et les guider là où la crainte de lui faire mal les avaient arrêtées. La soie de la chemise luisit lorsqu’elles coulèrent enfin de ses épaules, avec une lenteur difficile à soutenir, tant le désir de presser à nouveau son corps contre le sien était grand. Elle ne voulait pas de barrières, même si c’était juste une chemise déjà ouverte qui lui couvrait le dos, même si c’était juste un col en dentelle qui soulignait sa nuque.
Elle voulait que seules les mains de l’aristocrate lui frôlent le dos, et la fassent se cambrer dans la cage de ses bras.

La chemise disparut enfin, ses doigts s’entremêlèrent un moment, joueurs, avec ceux de Dolohov, à l’image de leurs deux Imaginations liées par leurs visages proches, leurs souffles mêlés. Elle ne retenait la danse impatiente de ses hanches, car elle savait que chacun de ses mouvements tirait un soupir, voire un gémissement d’anticipation, au noble ; et qu’elle lui répondait en écho, l’œil fermé, les pommettes rougies.
Elle céda en sentant le souffle chaud du Mentaï dans son oreille, à répéter d’une voix douce, tremblante de désir, cette demande qui n’était plus un ordre, presque une supplique, et que tout son corps et tout son esprit réverbéraient maintenant ; elle céda, à ça, à ses lèvres qui, connaisseuses, la faisait frémir, à ses mains de velours le long de ses courbes, à ce vertige qui leur faisait déjà tourner la tête.

Les mains de la jeune femme glissèrent fiévreusement vers la ceinture de cuir, et l’étoffe de ses pantalons. Elle s’arrêta juste le temps d’un souffle. Sourit en sentant sous ses paumes à quel point Dolohov la désirait, à quel point elle avait su allumer sa passion malgré la fatigue, malgré les coups durs et le silence, l’enfant qu’elle cachait dans son ventre, et qui était oublié ce soir.
Elle ne put s’empêcher, par jeu toujours, et tentative de garder encore quelques secondes le contrôle de ses pensées et de leurs actes, de laisser sa main descendre au creux de ses hanches, et d’entendre, contre sa tempe, le Mentaï lâcher une exclamation de surprise, qu’il voulait contrôlée, qu’elle savait frémissante. Les secondes qui suivirent furent vertigineuses, fébriles, les mains de l’homme sur les siennes pour finir d’ôter la soie, en désordre, muées par le brasier qui consumait la dernière parcelle de patience.

Enfin ils se possédèrent complètement, fiévreusement ; les limites du corps de l’un, de l’esprit de l’autre, explosées.

Le front appuyé contre celui, tout aussi brulant, de Dolohov, Marlyn voulut retrouver son souffle, un minimum, tâche impossible tant l’artifice la traversait, la faisait frissonner. Céder, volontairement, et amorcer la danse voluptueuse de ses hanches, alors que ses lèvres, tremblantes, cherchaient celles du noble à embrasser, ou mordre, faire s’ouvrir de plaisir. Les Spires perdaient leur contenance, leur forme et pulsaient au même rythme que leurs reins, trop liées à la chair pour pas l’influencer.
Les mains du noble glissaient le long de sa colonne vertébrale, la soutenaient et rapprochaient, si c’était possible, son corps du sien pour qu’il n’y ait plus un seul souffle d’air pour les séparer, avec cette frénésie langoureuse propre à leurs moments d’amour. Mélange de passion et de douceur, il l’entourait de ses bras avec une délicatesse traversée de frémissements. Marlyn ne put retenir, entre les soupirs passionnés, un gémissement dénué de toute mesure, quand les lèvres fines du Mentaï recréèrent à nouveau le contour des ombres et des arabesques sur sa poitrine. Elle se cambra, impulsivement, les bords de la vision constellés d’étincelles, et son dos de creusa dans les bras du noble. Elle cédait, elle savait, aux caresses et aux coups de reins de Dolohov.

Elle reprit le contrôle de l’instant en imprimant des mouvements plus profonds, plus intenses à son corps, de ceux qui vous laissent fiévreux et assoiffés à chaque ondulation, de ceux qui, elle le savait, ôtaient toute décence au silence auquel Dolohov voulait se restreindre, et le muaient en gémissement murmuré, confessé.
Les bras de Marlyn passèrent tout contre les épaules du noble, et sur le velours derrière, alors qu’elle s’arquait vers lui, l’emprisonnant complètement de ses membres et de son corps tout entier ; il lui offrait son cou, la tête posée en arrière sur la causeuse, savourant la moindre parcelle du plaisir total qu’elle leur procurait. Elle y posa ses lèvres, le long de la carotide battante –arythmique, chaotique-, et sa langue vint suivre les veines en filigrane. Referma ses dents, tendrement, sur cette peau pâle que le début de sueur faisait luire.

Décidée à laisser sa marque, qu’elle était la seule à le posséder, ce soir, la seule à faire danser aux Spires la même valse que leurs hanches, et à le faire ployer volontairement.
Voluptueusement.


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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeVen 22 Avr 2011 - 13:54

Et l'envie de croître, comme on accumule les tensions du jour. L'imagination dispersée, en créativités d'amants- c'était une petite douleur que de laisser s'éparpiller ce pouvoir qu'il affectionnait tant, et de lui refuser toutes formes.

Les images de l'esprit de sa maîtresse refusaient la mimésis. Et ses sens abstraits possédaient l'érotisme absurde des vieilles blessures. Un peu de cicatrices, dans l'air, cousues en fil de pensées; d'amours monstres en filigranes. Toujours un peu fumeux, comme tous les artifices- il métamorphosait en paillettes et poudres d'or les fureurs alambiquées qui passaient dans ses cheveux. Et tombant, elles devenaient micas, bris et cendre.
Qu'importe. Il parvenait mal à ne pas fermer les yeux. L'amour, c'était ça aussi, le laisser-aller brutal; sans parler ici de diriger les étreintes. Juste: ce silence de mots, et liberté des cordes vocales. S'écouter respirer, vivre. Lui qui n'était réellement profond que pour lui-même, et jamais totalement lui.

Il ne pensait évidemment pas aux autres, dans les secondes qui passaient. Ni aux bavardes, ni aux grivoises, et qui murmuraient à son oreille plus qu'il ne fallait, rappelaient à elles le mentaï, le manipulateur, la poudre aux yeux. Qu'importe les raisons qui poussaient, ou avaient poussé l'homme, à désirer sans cesse, sans complaisances; elles sont forcément moins reluisante qu'il veut le croire.

Il entre-ouvrit les paupières, le regard glissant sur les doigts de Marlyn. Avide de l'image de ces mains qui ouvraient sa ceinture, avide des détails; la boucle qui accrochait les étincelles de leurs esprits, et lancait sur la soie sombre des primes. Avide, et déjà trop fortement troublé.

Et un instant, pris par surprise, les ténèbres se firent jusqu'à l'esprit- oh, à peine un souffle, une seconde, qui appartenait à son adolescence, quand ses doigts descendirent, comme elle dit, « au creux de ses hanches ». Il l'imagina juste un peu plus garce qu'elle ne l'était, un peu plus pâle, un peu plus grande, et manqua de la repousser, de peur que ce soit vrai.

Il l'entraina plus précisément à lui ôter ce vulgaire vêtement qui l'obligeait à se contenir encore; alors qu'elle, voluptueuse... et. Brûlante.
La fièvre de sa peau, quand elle se mouvait sur lui, quand il devinait entre les ombres l'érubescence de ses pommettes, et son souffle brasier. Pouvait-on être plus gitane, laisser entendre davantage que son bleu regard brouillé des dessins qu'elle se plaisait à assassiner. Immolée qu'elle était- jusqu'au bout des liens, de leurs baisers au goût d'offense. Essence de fer, et de bataille qui ravivait le noble vers ses fantasmes de grande victoire et de conquête.

Leur étreinte était pourtant saturée de ces délicatesses, il n'y avait que le désir pour être violent. Celui de Sareyn, explosait de toutes parts, alors que Dolohov, inconsciemment, concentrait sur son corps des formes moins fictives. Arabesques de bijoux, que son souffle emmêlait. Cascade de perles et rubis, qui cerclaient sa nuque ou ses hanches; et en corsage, il dessinait des paumes des entrelacs, qui la serraient toujours davantage contre lui, et arquaient son dos.
Eperdu qu'il était, au creux de ses reins, avide toujours, de ses frissons que la secouaient; il jeta ses lèvres à l'assaut de sa poitrine affriolante.
Et les coups s'imposaient à ses hanches plus anarchiquement.
Plus franchement dépendants – et bourreau, elle torturait ses résistances -jusqu'aux tons les plus rauques de sa voix, des murmures aux râles d'excès.
Mutine, elle laissait ses lèvres papillonner en douceur sur son cou; il crut rendre l'âme quand sa langue effleura ses veines, ses mains tremblantes serrèrent convulsivement les courbes de sa partenaire.

Lorsqu'elle mordit, tendrement d'abord, ralentissant son indécente danse, le souffle lui manqua. Une de ses mains retrouva le chemin de ses cuisses, le remonta jusqu'au haut, dans une lenteur et une maîtrise toute feinte.

Les dents se plantèrent plus sûrement dans sa chair, relançant les rythmes infernaux de leurs ébats- cette fois, c'était lui qui menait, qui soumettait ses reins jusqu'aux plus profonds chaos. Lui qui perdrait pied le plus impulsivement, il le savait. Mais à peu de choses près.
Et frénétiquement, quand la conscience de leurs gestes devint plus qu'improbable, il fallut pour se taire l'obliger à lâcher son cou pour un baiser d'étouffement, possessif, aveuglant, matamore.

*

Et déjà, la peine capitale.
Il n'osait caresser ses cheveux. Elle s'était effondrée, à ses côtés, et délabré, encore en elle, il s'était endormi, pour une heure ou deux. La drogue prise empêcherait qu'il ait des vraies nuits avant un moment- c'était nécessaire, presque autant que cette nuit qui le laissait plus adolescent qu'il n'était.
Il avait constaté, un peu honteux, que ses passions avaient rouvert une longue coupure, dans le dos de la jeune femme- la couverture doublée de brocards s'était auréolée d'une galaxie cinabre; plutôt modestes, d'ailleurs, ça devait être très superficiel.

Il ne voulait pas de son réveil, pas tout de suite. Pas à l'aube.
Il se glissa hors des draps, fluide. Dernier regard, par dessus l'épaule, qu'il rhabillait. Il sentait sur ses épaules le même poids que la veille, et son esprit criait scandale, quand il essayait de le percher aux spires, où, peut-être, l'inconscient de son élève.
Il quitta la porte, après avoir tiré les lourdes tentures: que le soleil, lui-même soit interdit de la tirer de ses rêveries. Arrivé en salle d'eau, il se saisit presque de voir à la base de son cou la marque précise des dents de la belle , cernée du bleu imprécis de leurs nuits.

Un arc pervers vint courber son sourire, entre appréciateur et satisfait. La journée laissait entendre qu'il se crèverait à ses capitaux nobles, à ses empiriques amours et ses fatras d'embrouilles, qu'il aimait plus encore. Et le désir de prendre des risques plus grands s'insinuait en lui, ,par défi, les yeux gris s'allumaient.

L'ange des brumes avait ce talent infernal de lui rendre son orgueil fantaisiste, ses grands airs supérieurs, et de faire disparaître les chemins raisonnables qui recommandaient repos et prudence. C'était tout son charme, tout son danger. Il noua, comme à l'ordinaire, son col de dandy qui se voulait sage. Il restait une ombre plus violettes, il la caressa d'un doigt. Et si d'autres voyaient...?

*

Il se fit plus retors, encore. Non pas énergique, à la vérité, il était aussi épuisé que la veille, mais moins las.
Le jeu retrouvait une saveur moins ordinaire, plus subversive encore. Et il y avait la question de ce pouvoir encore inexpliqué qui le taraudait. Ce soir, ce soir, bientôt...
La corruption de ses organes faisait paraître éternels les dîners mondains. Et pourtant, que de toilettes, de jolies mains qui dansent, d'autres rythmes encore.
Se pourrait-il que tes vapeurs, Anges de Brume, suffisent, à emporter mon imagination trop loin?
Et tracassé par les messages, à porter encore, par l'idée de céder encore, Dolohov n'était pas si dupe, elle calculait tout ça, mieux qu'il n'aurait pu lui apprendre, il devait penser pour deux ce qu'il convenait de faire, c'était à lui qu' appartenaient les nuances, elles aussi, capitales.
Aussi, se débrouilla-t-il pour créer dans les deux semaines qui devaient suivre un problème dans un de ses domaines, qui nécessiterait son déplacement pour être résolu.


[I love you ça peut être un post de fin, ou à ta guise, on continue? ]

Marlyn Til' Asnil
Marlyn Til' Asnil

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MessageSujet: Re: Les brocards ont pleuré rouge [Terminé]   Les brocards ont pleuré rouge [Terminé] Icon_minitimeSam 7 Mai 2011 - 2:40

Je sens le sang incendié qui bat, sous mes dents, dans ses bras, sa tempe pressée contre la mienne, trouve écho dans les souffles qui explosent sur la peau, anarchiques et déliés. Des Spires, plus d’idée distincte, juste ce vertige, cette perte de sens supplémentaire.
Et la fièvre de perdre contrôle – dans tous les sens. De ne plus pouvoir parler de danse, tant le rythme était instinctif, sanguin, soupiré ; démesure. De laisser leurs corps se soumettre à l’envie, l’envie de posséder jusqu’à chaque parcelle de l’autre, et de céder, de se cambrer sans aucune décence entre ses bras. Dans ses mains d’homme crispées à sa taille, en maître.
Et toujours le battement qui envahissait l’air intimiste, qu’ils reprenaient passionnément. Aveuglés.
Sa bouche, ses lèvres, son insatiable langue, ses mains rapaces, ses Spires, son corps ; ses reins.
Univers artificiel. Et.
Artificié.

¤¤¤¤¤¤

Les ténèbres n’avaient jamais été aussi paisibles.
Aussi dénués d’angles et de tensions, juste un état déraisonné et sans horizon, où la conscience de Marlyn n’était pas encore assez éveillée pour situer la réalité. Elle aurait pu rester éternellement dans cette somnolence, et se laisser dériver des heures juste pour le plaisir de sentir son corps dénoué, ses membres souples et sans une once de raideur ; juste une lassitude bienvenue. Et ce contact délicieusement soyeux ? Elle savait que c’était Dolohov contre elle. Que ça avait été, à un moment, le noble assoupi à ses côtés, et sa respiration qui avait rythmé son propre sommeil. S’il était encore là, ou si c’était le contact des draps de satin, elle n’en avait aucune idée distincte, ni ne savait exactement où elle se trouvait, juste dans un environnement soyeux, chaleureux, rassurant.
Et cette satisfaction qui imprégnait tout son être, cette éclaircie dans des jours difficiles. La Mentaï pouvait encore sentir les mains du noble sur sa peau, la chaleur de son souffle, elle pouvait sentir palpiter son désir infini pour ce corps d’éphèbe, et celui qu’il avait pour elle.
Rien de réfléchi, juste cette fatigue ouatée qui suivait la décadence sublime de l’amour.
L’assurance qu’il n’arriverait rien.
Que la soie des draps la protégeait du monde.

¤¤¤¤¤¤

Quand elle se réveilla à nouveau, la réalité se traduisit par un grognement surpris. La douleur lancinante coula dans son dos comme du métal liquide, pas incapacitante, pas extraordinaire, juste dérangeante. Un rappel que les risques existaient.
La jeune femme sourit à part elle. Ca aurait pu être bien pire. Qu’une blessure aussi superficielle soit la seule à s’être rouverte alors qu’ils avaient été… et bien, moins attentifs pendant leurs ébats. Marlyn ouvrit l’œil. La pièce était baignée dans l’obscurité, les rideaux tirés, l’air immobile. Elle était seule dans les draps de brocard. Ce qui ne l’étonnait guère, même si elle avait eu un instant l’espoir qu’il serait resté, ou l’ait réveillée. Mais son esprit savait parfaitement qu’il n’était jamais là en journée, dispersé à travers tout Al-Jeit, atomisé dans son Empire quand il ne s’atomisait pas en elle.
Et ce silence. Les Spires qui attendaient paresseusement dans un coin de son esprit, sans l’envahir, sans demander encore et toujours de l’énergie ; Marlyn les déploya sans hâte, à la recherche de la présence de Dolohov à effleurer, épier comme un jeu. Elle le savait occupé. Concentré, tout à son réseau, à ses multiples points d’attaches dans les Spires et dans la réalité de l’endroit où il se trouvait. Juste une impulsion, une vibration de pouvoir contre le sien, et elle quitta les Chemins.

Déjà se lever était tout un stratagème pour éviter au maximum de tirer sur cette coupure enflammée et malmenée. Elle ne pourrait pas se laver ni s’habiller complètement seule aujourd’hui, et cette pensée la frustrait énormément. Non pas que la femme de chambre fut plus indiscrète qu’une autre, mais elle refusait d’être blessée par lui. Parce que cette pensée mettrait fin à tout élan de passion imprévu jusqu’à ce qu’elle fut guérie - puis seule dans son corps. Elle refusait.
La Mentaï se vêtit autant qu’elle pouvait sans avoir à tirer sur les muscles de son dos, puis dut faire appel à la femme de chambre pour la chemise, et demander qu’on lui trouve des vêtements à sa taille, car ceux du noble, autant qu’elle aimait les porter par défi, et pour en sentir chaque seconde le parfum qui les imprégnait en fragrances subtiles, étaient décidément trop grands pour elle.

¤¤¤¤¤¤

Et ce soir-là, c’était retrouver l’ambiance intimiste. Des sourires en coin qui s’esquissaient dans l’ombre, parce que malgré les rubans, Marlyn pouvait discerner clairement sur le cou du noble la marque qu’elle avait volontairement laissée, discrète, certes, mais là. Et retracer mentalement le toucher de ses lèvres, et leur rougeur quand elle les avait embrassées mille fois, sur cette même causeuse. Mais la fatigue mutuelle, et cette douloureuse mise en garde qui zébrait son dos de rouge privaient de cette soirée tout désir physique, bien que la volonté bravache et adolescente y fut.
Il était prévu qu’elle quitte Al-Jeit, vers un des manoirs secondaires de Dolohov, de la même manière qu’elle s’était réfugiée à Al-Vor, la ville du Sud, auparavant. Il était question de voyage à cheval dans tous les cas, d’affaires à déménager entre temps, et de dispositions à prendre auprès des rêveurs tôt ou tard. Voyager par les moyens traditionnels ne l’enchantait guère, uniquement dans la perspective qu’elle serait, d’ici maximum deux semaines, assez remise pour voyager sans encombres, et qu’en l’accompagnant, Dolohov serait plus longtemps proche d’elle qu’il ne l’avait été pendant des mois entiers. Mais les absences, limite, se compensaient par les risques.
Il y eut une autre nuit, pour jeter tous les risques et l’épuisement au vent, dès que plus aucune blessure d’aucune sorte n’empêcha le désir de prendre le dessus et de laisser retomber la soirée, à nouveau, dans une étreinte avare de paroles, mais qui explosait en souffles soupirés, en audace déraisonnée.

¤¤¤¤¤¤¤


- Al-Chen ?

Au début, elle avait été surprise. Elle s’attendait franchement à devoir retourner au Manoir que Dolohov possédait à Al-Vor, mais la cité sur le La, en plein milieu des plaines, c’était innattendu. La Mentaï pouvait comprendre et apprécier ce choix. Elle avait souvenir de jours à tourner en regardant Al-Vor depuis les balcons, à assister aux festivités marchandes depuis la fenêtre. Et même si elle n’appréciait pas cette liesse barbare et inconsciente, et aurait brûlé la ville plutôt que de s’y trouver, se confiner à un lieu connu était une perspective qu’elle ne voulait de préférence pas retrouver. Mais Al-Chen… Une ville qu’elle ne connaissait pas, et surtout, qui ne la connaissait pas. Parce qu’elle n’était jamais venue dans cette région de Gwendalavir, que l’Académie de Merwyn n’y avait aucune influence significative, et que Fériane était accessible relativement facilement en cas de problèmes. L’univers changeait de décor. Comme pour signifier que le passé pouvait être immolé dans ses souvenirs.
Dolohov Zil’ Urain était encore revenu tardivement ce soir-là, et elle l’avait attendue avec d’autant plus d’impatience que d’habitude que c’était la veille du départ, et le choix définitif de l’endroit à atteindre. Habillée avec les vêtements neufs demandés au bas personnel du manoir – et au Mentaï lui-même-, elle l’avait donc attendue debout, accoudée au manteau de la cheminée. Son corps était complètement libre quand elle se cantonnait à des mouvements simples et sans brusquerie ; et le reste de sa convalescence, elle l’artificialisait par les plantes plus ou moins fortes, celles qui lui restaient de la sacoche qu’elle avait ramenées. Elle voulait être prête.
Marlyn regarda le noble blond qui se tenait dans le fauteuil, face au feu, comme à son habitude ; confirmer du regard.

- Moi qui croyais qu’il n’existait que votre domaine d’Al-Vor comme déplacement possible, et qu’il faudrait y retourner encore…

Alors qu’aller se cacher autre part, même plusieurs mois s’il le fallait, ça semblait tellement plus supportable, même si elle devait y rester seule la plupart du temps, même si elle devait éviter les sorties publiques, et les trop grands remous dans les Spires. Ses Spires avaient d’ailleurs retrouvé leur ancienne puissance ; peut-être juste assagies, à cause de leur stagnation pendant la convalescence. Elle regarda dans l’âtre - sentit sa pupille se rétrécir sous l’apport soudain de lumière. Et reprit pour son Maître :

- Al-Chen, une des seules villes à ne pas expatrier les fugitifs vers la justice d’Al-Jeit. Et où la Dame est vénérée plus qu’ailleurs. Comment ça se passera ?

Les choses bougeaient enfin. Même si cet intermède à Al-Jeit avait permis de dénouer la crise qui avait suivi la fin officielle du Chaos, même s’il avait ponctué par l’insolence de leurs étreintes..
Comment tout se passera ? Le voyage, la vie provisoire là-bas, et après, ce séjour obligatoire chez les rêveurs à cause de l’enfant ? Son absence de nouveau, et les affaires du Chaos en général ? Qu’est-ce qui va se passer, maintenant ?
Elle le fixa de nouveau – tut les fantômes du désir qui restaient accrochés à sa conscience, quand elle le regardait.

[Buh uu’ Si quoique ce soit niveau initiative convient pas...]


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