Ceux qui partent sont les meilleurs, mais ceux qui sont restés ne sont pas mal non plus [Terminé]

Ils avaient peut-être un nouveau professeur de combat, mais lui manquait d’un professeur chantelame. Tifen avait murmuré un truc vague dans sa barbe y’avait quelques jours, et depuis ces quelques jours, elle était introuvable. Elle lui avait sans doute dit ça quand elle avait murmuré, mais il avait pas entendu. Du coup, Einar ne savait pas ce qu’elle était partie faire, ni combien de temps elle serait absente.
Qu’à cela ne tienne. Il n’avait pas le droit d’entrer dans la Tour Marchombre sans elle, ça Monsieur Krysant lui avait répété plus d’une fois, et du coup il était condamné à s’entrainer parmi la plèbe dans le clos d’exercices.
Enfin, tout le monde. Ceux qui étaient pas partis en voyage. Et puis il faisait moche. Genre un ciel gris plomb, une bruine un peu froide et un vent mauvais qui se foutait dans les vêtements. Comme tout le monde, il serait bien allé dans la salle d’armes à l’intérieur, chauffée, mais tout le monde avait eu la même idée et elle était pleine. Alors il s’était rabattu sur le clos d’exercices pour réviser ses exercices chantelames et essayer de travailler un peu l’arc d’Elera. Ca faisait des plombes qu’il avait plus eu le temps de s’entrainer à l’arc, surtout avec toutes les corvées qui lui étaient tombées dessus.

Travailler avec son sabre sous la pluie l’emplissait d’une étrange quiétude pour quelqu’un d’aussi agité qu’Einar. Les gouttes d’eau fouettaient l’extrêmité de la lame quand il la faisait tourner, et les vêtements lui collaient à la peau. C’était comme ça qu’on devait se sentir sur un champ de bataille, comme Bomon d’Ombreuse quand il avait tranché la tête du Roi des Raïs.
Il manquait tout de même quelque chose d’essentiel.
Quelqu’un avec qui partager ça.

Tourner, il aimait ça. Virevolter, pas forcément très vite, mais sentir l’équilibre de ses membres s’ajuster quand il se dressait sur une jambe et pivotait dessus, quand il laissait son bras retomber par la force centrifuge et faire tourner le torse avec, quand le sifflement de son sabre lui passait si près des oreilles qu’il aurait pu se les trancher accidentellement. Ca, il aimait plus que tout, bien plus que les crampes musculaires quand on tapait fort, les vibrations quand on courait vite, ou la pesanteur quand on grimpait haut.
Et puis ses yeux tombèrent sur quelqu’un d’autre dans la bruine. Son uniforme Kaelem rouge brillait sous le mauvais temps comme un feu de bois – il l’avait déjà vue ! Elle était parfois en cours de combat avec eux alors qu’elle était Dessinatrice. Un peu embarrassé, il essaya d’essuyer un peu la pluie de dans ses cheveux et de sur la lame de son sabre.

A l’intérieur, son cœur était tout chose qu’on lui demande de l’aide.

- Oh euh… oui si tu veux ! ‘Fin… j’ai jamais appris de trucs à personne, j’serai probablement sans doute nul.. Waouh surtout pour une future sentinelle quoi, t’es genre la crème de la crème ici, Lyuuna c’est ça ?

Dans sa tête, ça tournait à toute allure. Il avait aucune idée de comment on était censé apprendre des trucs aux gens, ni de ce qu’il conviendrait d’apprendre à une future méga über sentinelle de la mort qui tue qui avait déjà un Dessin de la mort qui tue. Et puis il avait pas le droit de montrer ses techniques spécifiquement chantelames.

- J’pourrai pas t’montrer tout c’que t’as vu, j’ai des trucs j’ai pas le droit de les dire aux autres , c’est Tifen qui l’a dit. Mais.. Tu t’es échauffée, déjà ? Faut toujours s’échauffer, pour pas se casser quelque chose. Et des trucs de respiration et de concentration, ça j’ai droit d’te montrer. Et puis les dessinateurs ils en ont sans doute aussi. C’est super important l’échauffement, j’serai pas un bon maître si on commençait pas par ça.

Et puis ça lui donnerait un peu de temps pour réfléchir à "OH MON DIEU MAIS COMMENT ON FAIT CA, ENSEIGNER?!".

Bon, ok, l’entrainement était peut-être pas censé être aussi long. Mais c’était difficile, quand on s’était déjà échauffé, de s’échauffer à nouveau et de déterminer si c’est assez pour l’autre, surtout si c’est une dessinatrice et qu’elle passait plus de temps assise à dessiner des cubes qu’à courir ou se faire taper dessus comme lui.
Et puis il réfléchissait en même temps qu’il fermait les yeux et respirait du haut de sa tête au bout de ses doigts.

Lyuuna fit éclater sa petite bulle de réflexion en exprimant son impatience. Trancher des ennemis imaginaires, déjà ? Elle savait sans doute même pas correctement tenir une épée… Et puis il avait plutôt en tête de l’apprendre à se défendre, en tant que Dessinatrice, d’apprendre à parer et à esquiver et à la légitime défense… Trancher des ennemis imaginaires, elle pouvait le faire avec ses Spires, non ?

- Ouais j’vois l’genre ouais, fit-il en finissant de tourner ses poignets.

Il saisit son sabre chantelame et la vit prendre son épée d’entrainement de la main droite. Droitière.. Ca compliquerait un peu la tâche pour lui. Mais Tifen l’avait forcé à se servir de son sabre des deux mains, parce qu’on « ne sait jamais si tu te blesses la main au combat et que tu dois encore te battre ». Du coup, il fit sauter son sabre de la main gauche à la main droite pour lui montrer et mit sa main gauche derrière le dos.

- Avant de taper les ennemis, faut savoir comment manœuvrer sa lame sans se trancher tout seul. Y’a des séries de mouvements qu’on apprend par cœur pour ça, et qu’on peut réutiliser parfois en combat, essaie de suivre ce que je fais et de faire les mêmes. Oh et le placement des pieds c’est important donc suis-ça aussi, fit-il avant de l’oublier.

Il lui montra la position de base, l’aida avec ses propres mains à avoir la bonne position, lui remonta un peu le bras et poussa un peu son pied en avant, dans une intimité physique qui le perturbait un peu avec quelqu’un qu’il ne connaissait pas.

Elle était pas mal, en soi, pour quelqu’un qui avait jamais tenu une épée. Possédait cette grâce propre aux dessinateurs, qui avaient toujours des mouvements légers, et justement elle essayait de compenser ça en se crispant beaucoup trop. Sans doute parce qu’elle croyait que les guerriers, ça devait être tendu et frapper plus fort que gracieusement… elle serrait la poignée de l’épée trop fort, et il essayait de l’aider à corriger ça en lui montrant comment il tenait la sienne, en lui montrant comment faire des moulinets pour assouplir un peu la prise, ce genre de choses.
La question le prit un peu de court… surtout parce qu’il était bien en peine d’y répondre. Ca faisait si longtemps qu’il était à l’Académie qu’il savait plus exactement où finissait sa vie à Al-Far et où commençait celle à l’Académie. Surtout qu’il avait vingt ans en arrivant et qu’il en avait désormais seize, et ça l’aidait pas à faire les calculs.

- Je, euh… Ca fait longtemps. Ca fait… j’crois presque cinq ans qu’j’suis là. J’aurais du être Acier mais j’ai.. été recalé, du coup j’suis encore Fer. Mais à la prise de l’Académie, M’sieur Til’Lleldoryn il m’a fait devenir son apprenti, et on a passé les quatre mois de la prise à s’entrainer dans une grotte tous les jours, et après c’est Tifen qui est devenu mon maître, et du coup j’m’entraine… beaucoup, genre tous les matins et presque tous les après-midi, et parfois la nuit. Voilà, finit-il d’un air un peu confus, parce que ça paraissait être de la prétention de dire qu’il était Chantelame alors que tous les autres étaient bien meilleurs que lui.

- Mais t’inquiète pas, hein ! C’est juste que j’suis super lent. Hal’ elle elle savait manier un sabre en même pas un an, elle est trop forte. Tu veux essayer Bomon ? Il est super équilibré et fait pour les gens un peu plus légers comme toi et moi, pt’êt que si tu refais les exercices avec tu arriveras mieux à sentir le truc ?

Il lui tendit son sabre, garde en avant sur l’avant-bras, comme on lui avait appris à faire comme protocole.

Il aimait bien la regarder utiliser son sabre. Sous la pluie le sabre brillait, et il avait pas souvent l’occasion de le voir utilisé ailleurs que dans sa propre main. Elle le manipulait avec précaution, presque respect, et ça lui indiquait que définitivement, Lyuuna c’était quelqu’un de bien.
Et puis elle lui dit des trucs qui firent que définitivement. C’était quelqu’un de super, super méga bien.
Quelqu’un qui connaissait la légende de Bomon ! Alors qu’il l’avait même pas encore tannée des dizaines de fois avec ! Il en aurait sauté sur place, et c’est à moitié ce qu’il fit, le visage tout tranché d’un énorme sourire et tout illuminé.

- Ouiii ! Moi aussi je l’ai lue, c’est ma légende préférée ! Bomon d’Ombreuse il est tellement génial. D’un seul coup, la tête du Roi Raï, schlack ! J’connaissais personne qui le connaissait, c’est vraiment trop cool qu’on se soit rencontrés toi et moi, c’est la Dame qui voulait ça j’suis sûr.

Quelqu’un qui aimait les mêmes légendes que lui… C’était inespéré. Personne aimait lire, à l’Aca, parmi ses potes.

- Il parait que si on donne un nom à son arme, ça lui confère les propriétés du nom en question… J’voulais être grand, fort et courageux comme Bomon d’Ombreuse, mais ça a pas trop réussi…

Sortant de ses pensées, il secoua la tête.

- Si tu veux tu peux garder Bomon pendant qu’on s’entraine, du moment que tu m’le casses pas, t’apprendras mieux qu’avec ça ! Il ramassa lui-même l’épée d’entrainement et tous ses réflexes le perturbèrent tellement elle était pas équilibrée et différent de son parfait Bomon. Essaie de refaire les mouvements que je t’ai montrés plus tôt, avec Bomon et en m’attaquant. Comme ça t’auras de la résistance entre chaque mouvement et tu verras qu’on peut trancher des ennemis avec.

Il laissait d'ordinaire pas les gens toucher à son sabre, à part Tifen et M'sieur le Prince. Mais là c'était différent. Elle connaissait Bomon d'Ombreuse. C'était quelqu'un de bien.

Einar songeait à comment vraiment axer l’entrainement pour elle, Tifen lui disait qu’il n’y avait pas deux manières d’apprendre similaires et qu’il fallait toujours faire attention à son élève et sa manière d’apprendre. Idéalement, comme il avait lu dans les légendes et dans les biographies comme celle de Slynn Ar’Kriss, il faudrait qu’elle puisse combattre et dessiner à la fois, genre sabre dans une main, boule de feu pleine de piques de l’autre.
Mais il savait aussi que c’était carrément trop tôt pour ça. Avant de pouvoir apprendre à manier les deux à l’unisson, il fallait maitriser un tant soit peu les deux séparément… Il ne savait pas comment elle dessinait, mais il savait que pour l’instant, elle avait encore pas mal de bases à apprendre en terme de combat.
Et si le sabre n’était pas son arme ? Il n’était vaguement qualifié que pour apprendre les techniques au sabre et au baton, lui…

Perdu dans ses pensées, il en fut tiré par le son des sabres tintant l’un contre l’autre et par un compliment de Lyuuna, qui le fit beaucoup rougir d’un seul coup.
Et puis elle l’appela un grand héros, et c’était fini. Ca le déconcentra tellement qu’à la prochaine passe d’armes, au lieu de préparer sa défense haute, il se trompa d’appui et fut déséquilibré par la force du coup de Lyuuna. Bomon ripa contre la lame d’entrainement pour mettre une grande estafilade sur le dos de la main d’Einar. Petite aboiement de surprise de sa part.

- Argh, Ah, je meurs, maudit sois-tu, Bomon d’Ombreuse, tu m’as touché au cœur ! fit-il d’une voix dramatique en titubant et se mettant à genoux. Puis, d’un air encore plus dramatique, il tomba dans la boue et prit son air le plus mort possible.

Quand il la sentit se précipiter pour voir comment il allait, Einar ne put se retenir très longtemps et éclata d’un rire bête en rouvrant les yeux – pour une fois qu’il n’était pas le plus crédule !

Crénom, elle av ait trouvé la faiblesse ultime d’Einar : il était méga ultra chatouilleux et couinait comme une petite souris en sursautant dès qu’on lui touchait les côtes. Les filles de Teylus ne se lassaient pas de le faire squeeker à tout bout de champ, d’ailleurs..
C’était une piiiire torture, il en avait les larmes aux yeux tellement ses côtes le chatouillaient et tellement il n’arrivait pas à arrêter de rire et de couiner. En bon chantelame, il essayait de se dégager sans lui casser les articulations, et il fallait admettre que c’était dur ! A un moment, il parvint à la déséquilibrer… Ce qui n’eut pas l’effet escompté de la faire tomber sur le côté, mais de la faire tomber sur lui.
Si.
Proche.

Il en rougit autant qu’elle, de la proximité et du fait qu’il sentait son souffle à elle sur ses joues. Il en rougit d’autant plus qu’elle avait le genou enfoncé dans ce qu’on appellera la région approximative de son bas-ventre et que Fiente de Ts’Liche arc-en-ciel ça le fit réagir ET rougir de manière d’autant plus incontrôlable.

- Tu..

Son souffle était encore coupé des coudes dans les côtes, et de ce genou qui.. il essayait de se contrôler, mais c’était au-delà de ses hormones d’adolescent.

- Euhm. Ton genou, fit-il d’une petite voix aigue.

Lorsqu’elle se rendit compte, elle se leva aussitôt et Einar put respirer. Toujours extrêmement gêné, il se releva et essuya un peu la boue qu’il avait sur les vêtements.

- Dis en tant que dessinatrice, tu aurais pas un truc dans les Spires pour nettoyer un peu la boue qu’on a foutu partout ? Il pleut certes mais… ils étaient vraiment crades, maintenant.

Pendant qu’il parlait, il nettoyait un peu le dos de sa main pour éviter que la boue se foute dans l’égratignure. C’était rien comme blessure, mais si on pouvait éviter que ça s’infecte… Et puis le temps que sa gêne à lui descende, il évitait un peu son regard, histoire de pas d’autant plus rougir.

On pouvait dire ce qu’on voulait, les Spires étaient parfois plus belles qu’effrayantes.
Surtout quand ça faisait disparaitre toute la boue de leurs vêtements en grandes volutes de vapeur. Le chantelame savait pas qu’on pouvait changer la matière des objets au lieu d’en créer un de but en blanc, et il s’émerveilla de ce qu’il était en train de vivre sur ses propres vêtements.
Est-ce qu’on pouvait changer les gens en pierre, avec ça ?

Mais avant qu’il ait pu répondre à la question, Lyuuna tomba dans ses bras, évanouie, à sa plus grande surprise.
Ca le terrifiait de penser que Lyuuna soit devenu un légume, comme les gens dans les histoires qui allaient trop loin dans les Spires.
Après avoir pris leurs affaires et calmé un peu sa panique en tâtant son pouls –elle était vivante-, Einar chargea la jeune fille évanouie dans ses bras et marcha lentement en direction de l’Académie sous une pluie battante, comme le ferait le héros d’une légende sauvant sa princesse d’un forêt hantée et la ramenant au château de son père.
Le chemin jusqu’à l’infirmerie lui parut extrêmement long, et ses avant-bras étaient douloureux quand il y parvint enfin, boueux et les cheveux collés sur le front par la pluie.
L’infirmière rêveuse de charge lui jeta un regard convenu en le voyant arriver – il était presque abonné à l’infirmerie.

- Ca arrive aux dessinateurs novices qui ne connaissent pas encore les limites de leur pouvoir, lui dit-elle pour le rassurer, ils utilisent trop d’énergie sans faire attention, mais il suffit d’attendre qu’elle se réveille et tout ira bien. Ne fais juste pas trop de bruit, Sire Cil’Eternit se repose dans la salle d’à côté après un malaise ce matin.

Le temps lui parut extrêmement long, assis à côté du lit de Lyuuna, les cheveux plaqués en arrière et encore humides, la mine un peu malheureuse que les nouvelles rencontres ne se passent jamais bien.
Au bout d’un moment, fatigué par un début de rhume et la journée, il finit par s’endormir comme une loque, la tête posée contre le mur et la chaise en équilibre très précaire.

Ce qui est amusant avec les rêves, c’est que lorsque nous sommes en plein dedans, nous ne savons pas du tout que nous rêvons.
Tout y semble logique et normal.
Même quand vous vous tenez en haut de l’armoire de M’sieur Krysant, tandis que le-dit M’sieur Krysant se tenait en dessous de vous, en caleçon, et que des cornes lui poussaient sur le front, et qu’il lui lançait les plantes en pot de M’sieur Jildwin à la figure.
Et puis à un moment, le démon Krysant arracha jusqu’à ses sous-vêtements, qui se désintégrèrent remplacés par une fumée dense et noire comme les ténèbres, et de ses griffes immenses et sanguinolentes, il saisit l’armoire de ses quatre bras, et la hissa au dessus de sa tête.
Einar fut secoué- et tomba.
Tomba si violemment, si brutalement qu’il voulut crier, mais la chute infinie avala son cri et le voile se fit devant ses yeux.

Non, je vous dis, le voile se fit littéralement devant ses yeux, étouffant son cri lorsqu’il se retrouva les quatre fers en l’air, empêtré et en train d’étouffer.
Mais la nymphe du soleil Nÿa, venue terrasser le démon Krysant, se pencha sur lui et l’aida à se dépêtrer de son linge. Il fallut plusieurs secondes à Einar pour réassocier le visage qu’il avait devant les yeux avec Lyuuna, et aussitôt qu’il s’en rendit compte, il rougit. Rougit de l’avoir pris pour une déesse pendant quelques secondes.
Se relevant tout penaud, il la fit rasseoir, l’air inquiet, et se frotta les cheveux déjà en pétard.

- J’voulais pas m’endormir j’suis désolé. Mais rien de cassé j’crois. T’as l’air d’aller mieux, tu m’as fait une de ses frayeurs t’sé…

Pour changer de sujet et ne pas laisser percer son inquiétude, Einar rebondit sur ses pieds comme s’il était monté sur ressorts, et lui raconta :

- J’ai fait trop un rêve de dingue en plus, j’ai rêvé que M’sieur Krysant, c’était un démon et qu’il était en caleçon, et qu’il avait la rage contre les plantes de M’sieur Jildwin, et il voulait me dévorer tout cru, mais c’est là que t’es arrivée et que tu m’as sauvé et –

Il s’arrêta brutalement, son cerveau venant de se calculer qu’au lieu de dire la Nymphe du Soleil Nÿa, comme dans les contes, il avait dit « tu ».

Parfois, Einar se demandait si Lyuuna n’était pas un peu cassée quelque part. Elle semblait incapable de tenir en équilibre sur deux jambes, comme une chaise à qui il manquerait un pied, elle vacillait tout le temps.
Et lui, il était là à chaque fois pour la soutenir, ou lui servir d’amortisseur. Ca lui allait, comme rôle, c’était le rôle des héros de soutenir les demoiselles en détresse, même quand elles n’étaient pas en détresse. Et Lyuuna lui semblait super fragile, en équilibre précaire sur ses petits talons aiguille ses jambes, avec sa peau qui avait une teinte de porcelaine à cause du malaise et la délicatesse dans sa voix.
C’était étrange, comme journée, Einar avait l’impression de la connaitre depuis des lustres alors que ça faisait même pas deux heures qu’ils s’étaient rencontrés. Il aimait bien, c’était confortable, et il se sentait un peu moins gourd que d’ordinaire avec elle. Avoir quelqu’un à soutenir en lui tenant les bras, ça lui faisait du bien, il se sentait plus fort que d’ordinaire où il était entouré de toutes ces guerrières et marchombres plus fortes et indépendantes que lui.

- ‘ttention, c’est la faute du drap j’crois. Tu as rien de spécial aux jambes, hein ? Elle le rassura, et ils continuèrent de marcher hors de l’infirmerie, dans un silence bizarre.

Plusieurs fois, Einar ouvrit la bouche comme pour parler, tandis que leurs pas les ramenaient automatiquement vers le grand Hall, d’où on pouvait avoir accès à tout. Plusieurs fois, il se ravisa. Dans le Hall, dansant d’un pied sur l’autre, il finit par se décider :

- Dis euhm.. si t’as rien à faire dans les prochaines heures, genre de cours ou de devoirs urgents et tout, ça t’dit d’venir manger à Al-Poll ? J’connais un coin où ils font des ragouts de bœuf et de légumes à la mode du sud, ça change pas mal des cuisines de l’Aca… enfin j’sais pas si t’aimes ça, sinon on peut aller ailleurs..

C'est fou à quelle vitesse un coeur humain peut passer de l'extase fluffy à la sombritude la plus profonde. Alors qu'ils entraient dans la gargote qui se spécialisait dans les plats alines, Einar se traitait mentalement d'idiot toutes les deux secondes, et serrait les poings dans ses poches pour ne pas crier.
Pourquoi, pourquoi est-ce qu'il lui avait dit ça ?
Crétin crétin crétin crétin crétin.

* 

Il s'était senti le coeur au bord du gouffre quand elle avait évoqué Al-Jeit et du coup le fait qu'elle était une Particule. Ca s'tenait et il aurait du le savoir : la manière de marcher, les jolis vêtements sous l'uniforme, le fait que les dessinateurs étaient quasi tout le temps nobles...

- J'ai vu Al-Jeit une fois quand j'étais petit, mentit-il avant de penser à qu'il était en train de dire, c'était vraiment... Superbe ouais.

Crétin, tu n'as aucune idée d'à quoi ressemble Jeit, à part ce que t'en a dit le Prince un jour.

- Ma famille vient de V- d'Al-Vor, c'est vraiment joli aussi, on a vue sur la mer. 

Plouc. 

* 

Il se serait bien tapé la tête contre les murs, parce que maintenant il pouvait plus faire machine arrière. Si elle découvrait qu'il avait menti ET qu'il était un infame Farie n, elle le détesterait. Essayant de se rappeler les miettes d'étiquette que M'sieur Eternit avait essayé de lui inculquer, il tint la porte pour Lyuuna, puis sa chaise quand ils s'assirent. 

- Euhm...

La vérité, c'est qu'il ne savait absolument pas quoi dire pour converser comme les nobles qu'ils étaient.

A vrai dire, Einar avait la gorge tellement serrée qu’il n’aurait pas pu avaler la moindre miette ou la moindre goutte d’eau. Déjà qu’émettre le moindre son était un combat de tous les instants… Il sentait de la sueur lui couler derrière les oreilles, et c’était dégueu.

- Ouais euh, jus d’raisin, ça m’v- ça me va aussi. C’était pas faute de faire des efforts sur son accent de Far, maintenant qu’il était enlisé jusqu’au cou dans des mensonges débiles.

Du jus de raisin ? Jamais gouté. Pour dissimuler son trouble, il plongea le nez dans le menu que l’endroit avait artistiquement gravé dans des tablettes de bois. Sans prix avec, c’était ce qui lui faisait le plus peur. Il avait pas grand-chose, et on devait toujours payer pour les demoiselles, Papa disait, alors fais gaffe de trouver des demoiselles à la taille de tes bourses.

- J’te parlais de leur ragout, j’crois que je vais prendre ça perso, j’en avais déjà gouté et il était vachem- très bon. Ca te va aussi ?

Ils prirent commande, et c’était de nouveau le silence bizarre. Tous les sujets de discussion qu’il trouvait lui semblaient terriblement mondains, nuls et sans intérêt, genre le beau temps, les cours, toussa.
Et puis, honnêtement, le jus de raisin… c’était pas très bon. Il tournait son verre machinalement sur la table, en se disant qu’il aurait jamais les gouts d’un noble et que ça lui paraitrait suspect, à Lyuuna.

- Alors euhm… Ouais j’vais vu Al-Jeit que quand j’étais petit mais tu connais genre carrém- beaucoup mieux que moi, tu as un endroit préféré à Al-Jeit ? Ca te parait pas trop.. rustre, Al-Poll du coup ? ‘Fin y’a beaucoup de roturiers à l’Aca quoi.

La bibliothèque des Œuvres et Mythes Obscurs et Nébuleux…
Il en rêvait déjà. Mais ce n’était qu’un rêve, justement. C’était à Al-Jeit, et lui n’irait probablement jamais à Al-Jeit de sa vie, on ne le laisserait jamais entrer par la porte avec son nom et sa dégaine. Et même s’il parvenait à entrer dans la ville, la bibliothèque ne laissait surement entrer que des grands pontes très riches et très instruits. Il n’était ni grand, ni ponte, ni riche, ni instruit.

NI UN PIGEON PAR LES BALLOCHES DU D- par les grâces de la Dame.
Ou une tourterelle même.
Et puis la percutation le percuta de manière percutante, et il ne put s’empêcher de rougir en croisant le regarde de Lyuuna à cette remarque. Eux ? Allons, ils se connaissaient à peine, et puis ils faisaient que manger, il faut bien manger dans la vie sinon on meurt, et il avait juste partagé l’info avec Lyuuna parce que le ragout était grave bon à cet endroit, et qu’on partage toujours les bons tuyaux avec ses amis, non ?
Et puis quelque chose qui le surprit et lui fit chaud au cœur, le fait que Lyuuna n’était pas comme les autres nobles. Ca ne lui venait pas à l’esprit qu’elle pourrait lui mentir, parce qu’elle n’était… juste pas une menteuse ? Elle était trop gentille et trop douce pour être une menteuse. L’émotion l’étreignait, en découvrant qu’elle ne considérait pas les Particules supérieurs, et il aurait pu en sourire et se sentir soulagé, s’il n’avait pas déjà menti sur ses propres origines. Le nez dans son ragout, épicé comme il les aimait, il se sentait honteux et indigne, mais cette fois pour des raisons complètement différentes de d’habitude.

- T’sais, c’est la première fois que j’entends des gens comme to- nous, dire ça, surtout depuis que M’sire Ril’ Krysant est là. ‘Faudrait plus de gens comme toi dans l’empire, ça en ferait clairement un monde meilleur. On aurait plus être à avoir honte de.. ‘fin des noms et tout, d’où on vient, et – ‘tin je suis vraiment trop nul.

Headdesk. Gchabam.
Regard courroucé des tables d’à côté qui regardaient Einar comme s’il était un cancrelat.

- J’suis juste un menteur, un sale menteur, j’voulais pas qu’tu sois comme les autres et qu’tu m’détestes parce que j’viens de qued’, mais c’pire maintenant et si tu pars j'l'aurais entièrement mérité.