Dessin d'enfant. [Inachevé]

Il était six heures et quart à peine lorsque je me faufilais dans la bibliothèque. Je respirai une bouffé de l'air aux senteurs de vieux papier et de poussière si familière. Je soupirais de soulagement : je supportée de plus en plus mal l'atmosphère de l'Académie. Depuis que des rumeurs couraient comme quoi Monsieur Hil'Jildwin, l'ancien Intendant, serait parti contre sont gré, les élèves étaient surexcités et inventait les histoires les plus abracadabrantes. Même la bibliothèque devait une véritable ruche en fin de journée lorsque les élèves faisaient leurs devoirs et échangeaient les derniers ragots.

Pour l'heure, elle était encore déserte. Je souris. Il n'y avait vraiment qu'entre les étagères remplies de vieux papiers poussiéreux que je me sentais à ma place.
Je me déplaçais le long des rayonnages, laissant glisser un doigt sur les livres. Je trouvais qu'il n'y avait rien de plus passionnant que de se plonger dans les tréfonds d'une bibliothèque à la recherche de trésors de connaissances oubliées.

« Quoique disent les gens, la lecture sera toujours ma passion. »

Cette pensée me fit revenir quelques années en arrière.

***

C'était un bel après-midi d'été et malgré tous les efforts de mes parents, je n'étais pas sorti de la bibliothèque. En désespoir de cause, mon père avait demandé à mon frère Silas, de trois ans mon aîné, de venir me convaincre.

-Franchement Joyce, tu devrais sortir de temps à autre. Ce n'est pas bon pour la santé de rester enfermé lorsqu'il y un si beau soleil.

-Pourquoi sortirai-je ? Il n'y a qu'ici que je me sens vraiment bien.

Silas avait secoué la tête en soupirant et s'était assis dans fauteuil près du mien.

-Je ne sais vraiment pas comment tu peux rester ici toute la journée. Moi, j'ai besoin d'air, de soleil, d'eau pour me sentir bien.

Effectivement, Silas avait toujours été passionné par les activités de plein air et tout particulièrement la navigation qu'il pouvait exercer à loisir sur un petit affluent du Pollimage qui passait en bordure de notre domaine.

-Tu viens de le dire. Toi, tu as besoin d'être à l'extérieur et moi, de l'atmosphère feutré des bibliothèques et de l'odeur du parchemin. C'est comme ça, dis-je en haussant les épaules.

-Je sais mais j'ai entendu dire que trop lire donne des rides.

-C'est pas vrai ! Répliquais-je en me jetant sur lui.

Ainsi commença une bagarre amicale qui se termina par la victoire de Silas.

-T'inquiète tête de linotte, même si t'es toute ridée comme une veille pomme, je t'aimerais quand même.

Oui, nous étions très liés malgré les nombreuses différences de nos caractères.

***

Quelques mois après, Silas était parti suivre une formation de navigateur à Al-Chen et je l'avais très peu vue depuis. Il me manquait terriblement, plus encore que mes autres frères.
Je me replongeais dans ma recherche. Tout était comme je le souhaitais. Ma journée s'écoulait paisiblement. Je n'avais pas de cours, je pouvais donc rester à la bibliothèque sans me soucier de l'heure.

La matinée était déjà bien avancée quand un garçon vient me sortir de ma lecture.

La bibliothèque.

Depuis qu’il était là, son ombre papillonnait dans son esprit ; les images surgissaient – des étagères entières de papier, des enluminures tourbillonnantes, des parchemins qui se déroulent à l’infini. Il était venu ici pour cette salle – venu ici pour poser les doigts sur les tranches des livres, pour pouvoir boire dans ce vase de savoir.

Et pourtant, il ne s’y était pas rendu immédiatement. Il avait laissé traîner, pendant des jours entiers. A se promener dans les couloirs, à faire des détours pour éviter sa porte, à se prélasser dans la bibliothèque qu’il inventait mentalement, à défaut de la véritable ; un peu comme un cadeau dont on ne défait pas le papier, que l’on garde fermé sur notre table de nuit. On prolonge l’attente, on se délecte de l’idée de l’ouvrir, en la repoussant toujours à plus tard, pour que la joie de l’ouverture soit toujours devant nous, jamais derrière. Pouvoir penser toujours à un plaisir futur. Bien sûr, il y en aurait d’autres après celui-là ; mais il avait toujours eu une très grande patience, et il ne se précipita pas dans la salle.

Il s’y rendit un matin, tranquillement ; le soleil blafard d’Al Poll formait des rectangles de lumière dans les couloirs et éblouissait ceux qui jetaient un œil à travers les fenêtres, inondant la cour et les jardins. Il en avait profité quelque peu, s’installant sur un banc devant un plan de jonquilles, puis l’envie de lire s’était éveillée, doucement, avant de s’accrocher sûrement.

Alors il avait poussé la porte de la bibliothèque – et il resta un certain temps, à s’imprégner de la réalité, et à la laisser prendre la place de l’imaginaire.

Tellement, tellement d’ouvrages. Bien davantage que ceux qu’avaient sa famille, et peut-être que la seule aussi conséquente était celle d’Al Jeit, où il n’avait jamais eu l’occasion de mettre les pieds. Un véritable paradis.

Et ses yeux qui se baladent sur les titres – qui s’illuminent, en reconnaissant le nom de grands scribes, de grands explorateurs, et puis, surtout, sur des mots dont il ne connaissait pas le sens. Il y avait des langues étrangères, des sons qu’il croyait alines, et des lettres qui exprimaient certainement la langue faëlle.

Il attrapa un livre de linguistique ; un autre qui recensait les guildes de Gwendalavir ; un troisième qui décrivait les créatures dangereuses pour les humains, et les moyens de s’en défendre. Il avança bientôt vers une table avec une dizaine de bouquins dans les bras, dont celui tout en haut de la pile concernait l’Histoire de la création de l’Empire.

Ce qui devait arriver arriva ; on ne peut pas tenir tant de sagesse entre ses mains sans qu’un accident regrettable ne nous atteigne. Les yeux fixés sur un énième titre qu’il hésitait à prendre, il ne fit pas attention à ce qu’il se passait autour de lui, et son pied vint se prendre contre un pied de chaise. Il se rattrapa d’une main au dossier, pour ne pas tomber – et tous les bouquins s’étalèrent par terre. Une jeune fille qui lisait à la table leva les yeux vers lui, et il lui fit une grimace embêtée. Chuchota.

- Je ne voulais pas vous déranger dans votre lecture, désolé…

Se pencha pour ramasser les livres, et les poser sur la table, en face d’elle. Sourire contraint.

- Cet endroit est tellement impressionnant… Combien de manuscrits, combien de temps pour rassembler tout ce savoir en ce lieu ?

Et le visage qui pétille, encore, à l’idée d’avoir la chance d’être dans un tel endroit.

- Je ne me suis même pas présenté, pardon – Soren Til’ Alavir. Qu’êtes-vous en train de lire, si je peux me permettre la question ?

[Ne t'excuse pas pour le temps que tu prends à répondre, j'ai bien peur de ne te faire attendre beaucoup plus longtemps que toi de manière générale ^^"]

- Joyce Sil’ Ellastra… C’est moi qui suis ravi de vous rencontrer.

Le nom lui dit immédiatement quelque chose, et il sourit encore plus.

- J’ai eu l’honneur d’emprunter un ouvrage à votre père et de lui en offrir un en retour, une fois – c’est si rare, de pouvoir avoir une bibliothèque, et il décrivait la vôtre avec tant de fierté !

Fierté – c’était le mot. Rares étaient les véritables bibliothèques en Gwendalavir ; il y avait celle de l’Académie de Merwyn, celle du Palais Impérial, et celles des autres Académies, qui étaient de véritables trésors. Mais les familles, même nobles, pouvaient rarement se permettre des ouvrages personnels. Quelques familles aristocrates pouvaient se targuer d’avoir un nombre considérable de manuscrits, sans pour autant pouvoir dépasser une – voire deux – étagères. Soren s’était, lui-même, lancé dans la copie de certains manuscrits, et se souvenait bien du prix du temps passé à gratter le parchemin. Il ne pouvait être qu’en admiration totale devant le lieu dans lequel ils se trouvaient à présent.

- Vous permettez que je m’installe à côté de vous ?

Il posa les livres sur la table, avant de continuer à chuchoter, à un ton propice à la complicité.

- Je suis en effet arrivé il y a peu, c’est la première fois que je rentre ici… Et je suis la voie des Dessinateurs, bien que je n’aie pas, moi-même, le Don du Dessin. Je viens ici purement pour les connaissances que je peux y trouver… Les Spires m’intriguent.

Il hésita, un instant, à continuer ; il était souvent peu avenu de trop étaler ses vues. Mais, à regarder la jeune Joyce, qui semblait être une jeune fille vive mais discrète, et qui partageait avec lui les joies de la lecture, il ne ressentait aucune méfiance, lui qui, de nature, avait tendance à avoir confiance et à croire aux autres.

- J’ai une théorie – selon laquelle chacun a accès à l’Imagination. Oh, je sais bien que beaucoup trouvent l’idée absurde, et qu’ils réservent Ses chemins aux Dessinateurs, mais… Quand je pense aux Rêveurs, aux Sculpteurs de branches qui les cheminent si différemment, et surtout, quand je pense à la Dame – il me semble si évident que tout le monde a son chemin pour La rejoindre.

Et, comme à chaque fois qu’il pensait à la Dame, il se sentait paisible. Regard curieux, mais respectueux, vers la jeune fille :

- Mais vous ? Etes-vous ici depuis longtemps ?

Regard amusé vers le livre qu’elle avait choisi, puis vers elle-même.

- Avez-vous l’intention d’écrire votre histoire à la suite de la leur ?

Soren l’écouta attentivement alors que les yeux de la jeune fille s’humidifiaient et qu’elle expliquait, la voix tremblante, ce qui la mettait dans cet état. Il posa sa main sur son épaule, avant de la serrer un peu, de manière rassurante, et puis continua la conversation, sentant que Joyce Sil’ Ellastra ne voulait pas s’appesantir sur la question, ce qu’il pouvait très bien comprendre. Un incendie… Quelles circonstances ? La maladie de son père y était-elle liée ? Il bénit la Dame de protéger encore la santé de tous les membres de sa famille, et de la chance qu’il avait sur ce point… Retirant sa main, il l’écouta ensuite sans la couper. Quatre mois – elle devait commencer à bien connaître l’endroit, et avoir appris énormément de choses. Sa réponse le fit sourire ; elle lui plaisait.

Apparemment, la jeune Dessinatrice n’était pas une aventureuse ; mais au vue de sa passion pour la lecture, elle devait, par contre, être une rêveuse sans bornes. Quelque part, le fait qu’elle ait le Don ne l’étonnait pas, ni au vue de son rang ni au vue de sa personnalité. De la créativité à foison, il n’en doutait pas – mais, peut-être, une volonté plus faible, la peur de l’utiliser véritablement, de se faire taper sur les doigts si elle osait Dessiner ses Rêves. Il était curieux – curieux de savoir ce qu’ils étaient, ces rêves, et ce qui l’avait menée ici, et ce qu’elle voulait accomplir, en apprenant à utiliser son Don…

- Aimeriez-vous faire un tour dans les jardins ? Je pense dommage de troubler ces lieux de nos chuchotements, et dois avouer que je profiterai bien de votre conversation – les ouvrages nous attendront certainement…

Il passa la main sur les tranches de ceux qu’il avait choisis.

- Ils nous apprennent énormément. Mais ce sont des gens, qui les ont écrits, et les gens ont eux aussi beaucoup à nous apprendre, non ? Par exemple, pourquoi être venue ici plutôt que de tenter d’entrer à l’Académie d’Al Jeit ? Comment visualisez-vous les Spires ? Et puis, avec tout ce que vous lisez, n’avez-vous jamais pensé à écrire ? Peut-être, comme ça, créer les futures lectures des autres…

Puis, attrapant un recueil de poésie, il fit un clin d'oeil à Joyce.

- En fait, nous pouvons même en apporter un, nous pourons partager une lecture, comme ça...