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 /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]

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Dolohov Zil' Urain
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Blond-en-Chef
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MessageSujet: /! +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeLun 8 Avr 2013 - 1:07

Lorsqu’elle était partie, les mots étaient tombés, seuls, impulsivement, dans l’urgence. Parce qu’Elle était la seule issue possible, et que lui-même était trop faible que pour résister la tentation de voir cette solution s’évader. Tant pis, si elle était le prix à payer, il faudrait qu’il paye, qu’il paye maintenant. La vérité, c’était qu’à la regarder passer, et basculer hors du réel, il s’était senti un peu plus déchiré, et qu’il aurait tout fait pour la retenir. Tout.

Les mots n’avaient rencontré que le vide, et il était resté seul, les bras ballants, les lèvres tremblantes d’il ne savait trop quel sentiment. Peut-être une forme de soulagement.
Il était rentré, aussi digne que possible, avait lancé les instructions prévues, et puis, simplement, était retourné à sa chambre, avait tiré les rideaux, et s’était assis sur le fauteuil, la tête dangereusement en équilibre sur ses doigts joints en prière muette. Longuement. Et les flammes ne lui avaient apporté ni réconfort, ni chaleur.

La pièce semblait si vide, si impersonnelle, si étrangère.  Oh, tout ce vide.
Il sentait crépiter en lui l’envie de détruire chaque chose que contenaient les murs, et l’envie que revienne Varsgorn, pour l’achever, pour qu’il n’ait pas à décider de cela lui-même. Même si à choisir, il aurait préféré crever d’autres mains.  Presque timidement, il défit la cravate qu’il avait autour du cou, puis déboutonna la chemise, avant de chercher, en déplaçant ou compressant sa chair, pour essayer de la voir, puisque jusqu’ici, il avait complètement dénié son existence.

Il comprenait ce qui fascinait Marlyn dans cette simple entaille, presque invisible. N’était-ce pas lui qui ne pouvait détacher ses yeux de toutes les marques qu’elle portait ?
Sur lui, il les jugeait curieusement déplacées.
Il soupira, laissant retomber le tissu. Léthargique, il se força à méditer, encore une fois, longuement, sans plus tenter d’ouvrir la moindre porte – tellement c’était sans espoir. L’Imagination lui manquait tellement.
Comment pouvait-on espérer vivre sans ? Comment survivaient ceux qui en étaient dépourvus, quel sens donnaient-ils à leur vie ? C’était un monde tellement grisâtre, tellement lent, tellement… petit.

Toutes les sensations étaient fades à crever, lorsqu’elles étaient agréables, et amplifiées à l’extrême, lorsqu’elles étaient dérangeantes.
Les limites de son propre crâne, clos, lui donnaient envie de s’ouvrir les tempes à la lame ; alors qu’il ne souffrait même pas de migraines.  Il aimait pourtant ce monde, passionnément, et la réalité dans laquelle il vivait. Il aimait le système, il aimait ses secrets, et les nourritures terrestres. Il fallait reconnaître dans les choses simples un charme puissant, et, lorsqu’il possédait son pouvoir, il pouvait en éprouver toutes les saveurs, sans efforts. C’était incroyable de se dire qu’il avait pu être aussi totalement heureux, et en harmonie avec l’univers qui l’entourait, maintenant que son esprit le retenait plus sûrement qu’une prison, dans toute la petitesse de son existence.

Mais jamais il n’avait envisagé sérieusement jusqu’ici que sa situation soit irréversible, que ce soit profondément désespéré. Et tout cela, pourquoi ?  Parce qu’il ne pouvait parler que dans le vide. Ca l’obséda pendant des heures : pourquoi ? Pourquoi ne se faisait-il pas passer en premier, comme il l’avait toujours fait ?
Parce que, s’il avait définitivement perdu le Dessin, Marlyn était sa seule, son unique possibilité de s’en sortir. Il ne pouvait pas hypothéquer ça pour… pour une théorie issue d’une herbe, elle-même fourguée par une petite fille. Non.
Ce pouvoir, après tout, était sans égal. S’ils agissaient vite, et en fédérant tout le monde, comme ils l’avaient fait, une première fois, ils pourraient…  ils pourraient encore tout inverser.

Le système actuel ne serait plus rentable, Dolohov n’aurait plus de raison de le protéger, de le maintenir. Makel serait corruptible, et Ailil sous-entendait d’étranges alliances, dans ses lettres, et puis, il y avait Dienne, les bas-fonds, Amjad. Il pourrait, oui, s’assura-t-il, au moins faire tomber le reste du monde avec lui, perturber tant de choses que sa propre faiblesse passerait plus ou moins inaperçue.  Il ferma les yeux. S’ils étaient fulgurants, peut-être, c’était possible, il pourrait même rallier Vor et Poll contre Jeit,  Chen et Far contre Poll, ou l’une contre l’autre, et lui, il avait déjà pu admirer ce que donnait le don de Marlyn, débridé. Même sur une seule personne, même si la personne en question…

Tout à coup, Dolohov ouvrit grand les yeux, se sentit obligé de se lever, titubant presque, puis de se rasseoir, secoué d’un rire complètement névrotique.
Il restait une alternative. Il lui restait une et une seule alternative.


*


La lettre, une fois hors de sa portée, laissait comme une béance dans son estomac. Au début, les mots, la quête des mots avait saturé son être d’une euphorie très étrange, quelque chose de très profond, qui le faisait respirer bien plus amplement qu’à l’ordinaire, et plus vite, également. Il y avait eu, bien sûr, avec la plume, avec le soin du choix des encres, cette sensation d’urgence, si péniblement éprouvée tout au long de ce mois dépourvu de pouvoir, un tremblement léger, au moment de poser les dorures. Mais la sensation d’avoir quelque chose réellement entre ses mains, fut-ce un parchemin, le rassurait. Il avait été remarquablement bref, lui qu’on disait loquace en toutes circonstances, et effroyablement direct, lui semblait-il.
Il fallait. Il ne pouvait plus se permettre les circonvolutions. Marlyn avait raison, il fallait faire vite.

Une fois que la lettre lui avait été prise des mains, le vide s’était reposé, en chape de plomb sur sa langue, et tout avait repris un goût, non plus de fer, mais de sang. L’attente, les magouilles à Vor, à propos du Manoir, avec le retour du propriétaire officiel, le regard soupçonneux et toujours défiant du Seigneur de Vor, l’achat du cheval- il s’était occupé comme il avait pu, s’obligeant à rester aussi actif et productif que possible, par devoir.
Dolohov était sûr qu’au moindre arrêt, il se remettrait à trembler comme une vieille feuille et que tout serait perdu, qu’il n’y avait que la fatigue pour mater les bouquets de nerfs qui poussaient avec les prénoms qu’il connaissait. Toutes ces femmes auxquelles il avait des comptes à rendre, tous ces gens qu’il n’entendait pas, et qui tentaient de le contacter, et dont les informations, cruciales, peut-être, lui échappaient. A combien d’occasions,  combien de moments de fièvre, combien de moments de rêves devait-il encore renoncer ? Non. Il préférait s’effondrer, en se posant la question, et dormir du sommeil des morts –oh, juste quelques heures, dans un oubli total.

Il ne s’était pas éternisé au manoir, de peur que Marlyn revienne y rôder – après tout, il n’avait jamais été capable de l’empêcher de faire quoique ce soit.  Il y avait cette peur insidieuse qu’elle soit auprès de lui sans qu’il le sache, peut-être même dans son esprit. Elle aurait pu.
Et certainement, elle aurait eu des raisons de le tuer elle-même, si elle savait ce qu’il  mettait toute son énergie à préparer. Ce ne serait peut-être pas plus mal, songeait-il.

Dans ses rêves, s’il était assassiné, c’était toujours par une des grandes dames de sa vie, d’une mort artiste, et très belle, qui lui aurait convenu. Dolohov aimait la beauté, quelle que soit sa forme.

Céder la lettre, ça avait été un peu absurde. Elle était noyée dans le reste de se correspondance, pourtant, et  Dolohov savait que les dessinateurs qui se chargeaient du passage des courriers n’étaient que la partie visible de l’iceberg, que ceux qui étaient susceptibles d’ouvrir ses lettres étaient terrés dans les ombres. De toutes façons, il ne transparaissait rien. Seulement un lieu, à l’évidence. Il avait chassé ses réflexes paranoïaques, penser en permanence qu’il pouvait avoir été trahi l’horrifiait, il avait ensuite tendu le paquet de lettres, indissocié, et fait un joli sourire, un peu contrit, à la dessinatrice.
Quelque chose en lui s’était dit qu’il aurait pu être à sa place, peut-être, s’il s’était entêté à devenir « ce genre » de dessinateur.
Tout le monde ne pouvait pas être sentinelle. Les très bons pouvaient s’occuper de transmettre les courriers, d’un bout à l’autre de l’empire, ils se crevaient le don, et ça leur évitait de penser à surpasser les sentinelles en place, disait l’Analyste. Et ils pensent qu’ils ont de meilleures chances de prendre leur place, si un des treize vient à manquer.  Quelqu’un de très doué, songea-t-il, et dont il n’avait rien perçu, que le sourire métallique et insipide, et un air de fatigue latente, quelque chose d’un peu brouillé dans le regard, et qui lui fit envie.

L’ivresse des spires, l’euphorie douce du chant des chemins, qu’on parcourt à la hâte, en retenant son souffle, comme s’ils pouvaient s’effondrer sur eux, et parce que le but, le doux vertige, venait après, au moment où ils se rejoignaient en bouquet avec  le cours de la pensée de chacun. Il voyait dans les yeux de son interlocutrice la sensation unique de concrétiser une image mentale, de sculpter une idée de bout en bout, de la parfaire, la difficulté du renom aux Spires, qui poussaient sans cesse à être parcourus plus loin, plus intensément. Le cerveau n’arrêtait jamais de penser, et dans cet univers, chaque idée prenait vie, et corps, alors, oui, c’était épuisant, et certains en revenaient vides, abrutis, presque. Bien sûr, le mentaï les comprenait, tout comme il comprenait que quelqu’un comme elle, qui parcourrait sans cese l’autre monde n’ait aucune attache réelle dans cette réalité-ci, et y circule comme un somnambule. Était-il lui-même autre chose ?

Il s’était éloigné, les dents serrées, crispé jusque dans la mâchoire, du manque, des obligations parfaitement plébéiennes dont il fallait s’acquitter encore.

Lorsqu’il fut face aux écuries, à l’odeur des chevaux et de leurs vendeurs, il hésita, le plus sérieusement du monde à faire demi-tour, se déguiser comme il l’était rarement, et profiter des services d’une autre sous-sentinelle pour voyager jusqu’à Al-Poll, de la manière la plus efficace possible. Sa fierté se froissa plus vite que prévu, à l’idée qu’il deviendrait un de ses parasites, incapables de s’accommoder de leur propre faiblesse, et qui épuisaient inutilement le pouvoir des autres. Sa seule chance de réchapper à… et bien, la vie qu’il menait en ce moment, restait effroyablement ténue. Il fallait sans doute prendre les devants, au cas où ce serait un échec. S’accomoder, à défaut de s’habituer.
Fort heureusement pour lui, et à l’éducation première qu’il avait reçu en tant qu’héritier des Zil’Urain -petits nobles dont la seule richesse était celle de leurs terres, et qui n’avaient du don que le lointain souvenir d’ancêtres- il n’avait pas eu trop de difficultés à trouver un cheval qui serait en tous points acceptables, et assez discret que pour aller d’une ville à l’autre sans trop se faire remarquer.


*


Il n’avait jamais éprouvé d’amour pour les chevaux, ou pour la monte en général, même si les convenances exigeaient d’un homme de son âge et de son rang de savoir s’y prendre correctement. Socialement, le cheval restait une forme de symbole, et Dolohov aurait monté sa mère, si ça avait pu lui éviter l’humiliation de marcher comme un moins-que-rien dépourvu de demeure.

Il avait choisi un destrier à la robe très banale, et aux proportions classiques, qui semblait effroyablement insignifiant, entre les deux très beaux étalons noir, et les chevaux nordiques, plus robustes. C’était une bête nerveuse, qu’il fallait tenir avec fermeté, et qui semblait guetter la moindre occasion pour partir au grand galop. Ca aurait ses avantages, s’était dit Dolohov, qui préférait, à la réflexion, être éloigné des sujets de préoccupations qui lui revenaient sans cesse, et sur lesquels il n’avait, de toute façon, aucune prise.

Bien sûr, les deux compères de voyages ne tardèrent pas trop à s’habituer à leurs attitudes respectives, même si Dolohov fronçait toujours le nez en s’approchant du cheval, et que celui-ci couchait les oreilles dès que le mentaï, descendu de son dos, passait dans son champ de vision. Les circonstances désespérées, à défaut de créer des amitiés sincères suffisaient parfois à créer un esprit d’équipe. Le noble avait décidé de s’attarder le moins possible dans le sud, qui l’avait vu grandir, et où il se savait d’avantage observé, et proche de ce qui pouvait le compromettre de la pire des façons.
De toutes façons, il avait toujours aimé planifier ses rendez-vous dans les moindres détails, réétudier parfaitement les lieux, les accès, les sorties, se faire une idées des habitués, des places établies, de l’endroit d’où les tenanciers avaient la meilleure vue sur vous, et la moins bonne sur ce que vous vouliez cacher. Bien sûr, dans un lupanar, ce n’était pas vraiment les employés qui étaient à craindre, plutôt les filles, avec lesquelles certains se laissaient bien trop aller. Dolohov se demanda ce qu’elles pouvaient lire, rien que des corps, pour ceux qui, comme lui, répugnaient à besogner bassement, le pantalon descendu sur les genoux.

Sans doute la même chose que lui, finit-il par se dire.
La chevauchée épuisait le cheval, et le mentaï, mais pas suffisamment pour qu’il ne subisse pas les angoisses nocturnes. Les nuits étaient courtes, et la paranoïa l’inclinait à choisir plus facilement les clairières, et les ornières plutôt que les auberges, du moins, tant qu’il n’avait pas à souffrir des intempéries. Il s’étonnait chaque soir de la célérité d’un homme seul face à celle d’un carrosse, et en éprouvait une forme de soulagement léger. Au moins, il restait des filons à exploiter, s’obligeait-il à penser. Le fait même d’être obligé de pratiquer intensivement quelque chose de physique était pour un mieux, il sentait ses muscles et sa prise s’affermir rapidement. Cela pourrait toujours être utile, en temps voulu.

Il n’y eut pas d’attaque, c’était sans doute dû à sa tenue de voyage, et au catogan strict, qui refoulait loin les prétentions de beauté et de faste. Il était trop pressé pour se soucier de sa prestance, et trop épuisé le soir que pour vouloir risquer sa sécurité en rixes de tavernes. Les convois le regardaient d’un drôle d’air, et les carrosses allaient rideaux clos, sauf lorsqu’ils contenaient des enfants, et il y avait quelque chose de profondément étrange à les regarder s’éloigner paresseusement, à être de l’autre côté de la vitre.


*


Il était arrivé à Al-Poll avec plus qu’un jour d’avance, avec une discrétion inaccoutumée, qui lui rappelait de très anciennes missions pour le chaos, ou de nobles alliés, lorsqu’il n’était encore personne.
C’était toujours pour lui un étrange mélange de frustration, allié d’une touche d’ironie, et de supériorité mal placée. Il se demanda si Lev avait bien reçu son courrier, et si celui-ci avait été préalablement ouvert. Il avait hésité, en passant à Al-Chen, notamment, à en expédier une copie identique, tant il était important de croiser le jeune homme, mais s’était refréné. Il était plus important de conserver un secret parfait sur l’affaire.
Les cheveux attachés nets, et empoussiérés de la route, les vêtements de monte sobres, de bonne facture mais sans élégance, et la barbe d’une grosse semaine n’avaient attiré l’attention de personne, et surtout pas des gardes de la porte, plus braves qu’efficaces.
Arrivé en ville, il avait laissé son cheval aux écuries locales, contre une pension correcte pour le type de voyageur qu’il était. Il avait reconnu un rat, qui plantait sa fourche dans la paille, mais celui-ci semblait plus intéressé par la vendeuse de pomme que par un énième cavalier. Dame, merci d’avoir fait ma chance, ressassa-t-il, l’ombre d’un sourire étirant ses lèvres.

Il ne s’attarda pas en ville, adoptant naturellement l’allure de l’homme qui sait où il désire aller, mais qui est ouvert au monde qui l’entoure, et hésite parfois à se laisser distraire. L’allure de ce « Monsieur Tout le monde » dont personne ne faisait cas. Accessoirement, il transmit son message au Talion. Bref. Il passa la première nuit dans un bauge quelconque, incapable de dormir, ou même d'approcher la paillasse qui servait de lit, par crainte de la vermine. Dès le lendemain, après le zenith, il serait libre de se consacrer à Lev entièrement. En attendant, il se fit violence, comme souvent, ces derniers temps.

Lorsque le tenancier du Serpent Blanc le vit pousser la porte, il s’avança, bien moins qu’avenant, barrant presque le petit corridor d’entrée, de sa carrure large. Pour le coup, Dolohov ne s’était pas attendu à avoir l’air à ce point populaire, et cilla de surprise, en s’entendant dire que peut-être il s’était trompé d’adresse. Peut-être était-ce l’absence de dessin, qui transformait ses gestes sans qu’il le sache, qui en ôtait toute forme de grâce ? Il répondit d’une voix indifférente, le visage neutre :

-Mon voyage a été fatiguant, j’aimerais une chambre, et un bain. Votre auberge n’en propose donc pas ?

L’autre n’arqua pas de sourcils pas plus qu’il ne sembla le reconnaître- et c’est peut-être ce qui le trahit- mais son attitude se radoucit, il s’effaça presque, obéissant à l’injonction. Au moins, ce pouvoir-là, le mentaï ne l’avait pas perdu. Certes, cet homme avait pu, et dû, voir une quantité tout à fait impressionnante de visages, et de clients… mais le blond espéra pour le tenancier que tous n’avaient pas adopté le comportement que lui avait eu, lorsqu’il était entré par hasard dans l’établissement, accompagné d’Einar Soham. Donc, en tout logique, il aurait dû être remarqué, un minimum. Ce qui avait poussé Dolohov à retourner au même endroit était que les frasques du « Sire Vil’ Ryval » n’avaient fait aucun remous, ni dans le monde de la noblesse, ni dans celui de sa Majesté. Peut-être également à cause de l’incident, s’obligeait-il à penser.

Et puis, ce genre de « patron » avait la mémoire des noms, des visages, et probablement des goûts des gens. On pouvait donc en attendre une discrétion plus spontanée. Il ne se fit guère prier trop longtemps, une fois le prix approuvé par le mentaï, le tenancier n'ajouta qu'une condition: "Le bain d'abord".

Il n’y avait pas de raison de cacher ses richesses ou son identité plus longtemps. Même s’il parvenait à garder en permanence le tenancier dans son champ de vision, il ne pourrait pas surveiller l’ensemble du personnel du Serpent Blanc, seul et dépourvu de Dessin, et il ne faudrait au macro qu’une demi minute pour transmettre une éventuelle information. Il fallait être réaliste, et faire acte d’un peu de foi, en sa chance au moins.


*


Il était encore en vie, au moment de s’immerger dans la baignoire, et cela seulement aurait presque pu suffire à son bonheur, et lui rappeler tout ce que le monde réel avait d’agréable à offrir. Il s’accorda un moment aussi détendu que possible, savourant la morsure délicate de l’eau brûlante, et le fait de pouvoir décrasser sa peau, ses cheveux, retrouver les habitudes de hauts civilisés. Il avait failli s’assoupir, et s’était donc décidé à quitter la baignoire pour parfaire sa toilette, choisir les effets qu’il porterait au cours des prochains jours, coiffer sa longue chevelure, et surtout se raser.

Ce n’est qu’en faisant à nouveau face à son miroir qu’il retrouva toute la mesure de sa situation. L’homme qui lui faisait face dans le miroir avait laissé une barbe éparse et parfaitement disgracieuse lui manger les joues, en plaques de poils inégales. Il avait des cernes, et lui semblait implacablement mortel et vieux. Quelque chose du naufrage, du gouffre, là-dedans, c’était l’évidence.
Le plus grave, c’était sans doute qu’ils se ressemblaient.

D’un geste machinal à tous les hommes, il exécuta les gestes ordinaires, saisi le blaireau, étala sur ses joues la crème doucement odoriférante, puis se saisit de la lame, et se rasa d’aussi près que possible. Quelqu’un, dehors, demanda s’il désirait une quelconque assistance, il déclina, entre colère et honte.


*


Lev Mil’Sha.
Il attendait Lev Mil’ Sha depuis des heures, passées sagement à étudier tout et n’importe quoi, dans l’espoir aussi vague qu’imbécile de faire passer le temps plus vite, et de s’ôter de l’esprit toutes les angoisses possibles. Avec ses vêtements, et l’enfermement dans le huis clos de l’auberge, Dolohov avait chassé à toute allure le cavalier dégingandé, et récupéré le masque ordinaire, pour son plus grand soulagement. Il l’attendait en embuscade, dans sa chambre, aux premières lueurs de l’aube, et ses pensées ressassaient ce nom avec plus d’intensité que jamais au fur et à mesure que le jour se levait, puis déclinait.

Lev Mil’ Sha, qu’il apprivoisait dans ses souvenirs, et dont le visage était presque totalement effacé- il n’en restait que le Don.
Dolohov soupesait tout le poids du simple mot « Don » dans la conjecture actuelle, toute la justesse de ce terme. Ce que Lev Mil’ Sha avait reçu, ce qu’il avait à offrir.
L’infini, martela-t-il. Tout ce qui existe. Tout ce qui reste.
Comment pourrait-il en être autrement ? Le pouvoir de Lev, Dolohov l’avait vécu, affronté directement, emporté par Marlyn dans son sillage de chaos luminaire. Il se souvenait d’avoir trouvé les yeux du jeune homme effroyablement bleu, et d’avoir pensé ça de Marlyn, tout d’abord.

Buté, il attendait, silencieux, à vif comme il ne l’avait jamais été, et effroyablement sûr que tout se jouerait à une vitesse considérable, s’il restait quoique ce soit à jouer. La chance, s’obligea-t-il à penser. Mais s’il avait parlé à la petite Miaelle, en échange d’une promesse de Marlyn, Dolohov n’était pas impatient de renouveler l’expérience, avec un jeune homme capable de coucher à terre un mentaï, une dessinatrice capable de prétendre à devenir sentinelle, et une dizaine d’autres personnes. Tout simplement, un dessinateur capable de résister à la force sublime d’une seconde Mercenaire, toute dévorée de spires.

Il avait attendu Lev Mil’ Sha depuis la seconde où il avait été prêt, il l’avait guetté dans chaque recoin de l’auberge, ouvert à la possibilité que le jeune homme soit comme lui : « Du genre prévoyant ». S’il avait eu le Dessin, Dolohov se serait même accordé deux jours d’attentes, sans doute. Il ne fallait pas qu’il pense à ça, qu’il pense que peut-être l’autre l’avait guetté plus discrètement, et depuis plus longtemps, c’était inutile. Et quand bien même Lev l’aurait fait, ça ne lui aurait appris que le menu de Dolohov, et qu’il était impatient.
Un frémissement se fit, sur le sol de sa chambre, Dolohov se retourna, en garde, près à défendre sa vie. Mais contre qui? Il n’y avait que le vide, derrière lui, aussitôt, il jeta un coup d’œil au plafond, puis aux fenêtres, mais rien. Jusqu’à ce que la chose s’enroule comme une chaussette à sa jambe, affolé, tout à coup, à l’idée de mourir de la morsure d’un serpent, il tomba à la renverse, le poignard dégainé. Mais, non, ce n’était qu’un chuchoteur. Il poussa un soupir,  inclina la tête, comme pour désapprouver la pauvre créature, qui elle continua son escalade, presque timidement, s’arrêtant au genou, et puis, gentiment sur le ventre, avec l’air de demander l’autorisation. Mais qui prendrait le risque ? Quelque chose de grave s’était produit ? Le chuchoteur excluait presque forcément Ailil, mais pas Dienne, se dit-il. Peut-être Miaelle ? Peut-être Marlyn ? Il n’était pas vraiment en état pour gérer quoique ce soit de plus, mais… souvent, ne pas s’attaquer instantanément à un problème le rendait triplement gênant.

Le chuchoteur le fixa, et le mentaï sut que c’était trop tard pour reculer l’échéance. Dolohov attendit, longuement, la connexionde son esprit avec celui de l'animal, les images, le message obligé, la sensation un peu désagréable de se faire érafler le cerveau de quelque chose qui ne nous appartient pas. Il n’y eut rien. Un vague sentiment de solitude, et de contentement, à l’idée d’être regardé, enfin, qui semblait émaner de la petite bête, mais que Dolohov ne comprenait pas vraiment. Puis, simplement, perplexe, Dolohov rompit le contact, saisissant à la main la petite bête, qui semblait bruyante. Il se demanda si on pouvait tenter de charger ce genre de petit messager d’une maladie, puis ses pensées revinrent au grand point d’interrogation de l’expéditeur, qui signifiait une potentielle menace. Le mentaï installa le chuchoteur dans une malle, fermement. Plus tard, se promit-il, à défaut d’autre chose.


*


Il quitta sa chambre bien plus tôt que prévu, et descendit prendre ses aises dans la salle de séjour, choisissant sa table avec un soin religieux, dont le patron fit semblant de ne pas s’agacer.
Lev Mil’ Sha ? s’interrogeaient les yeux gris, à chaque fois qu’une silhouette s’encadrait dans la porte, s’accordant un délais de quelques secondes avant de jeter un coup d’œil, se rassurer : non.

Était-il du genre à se faire désirer, plutôt ? Ce serait toujours une information bonne à prendre.
Comment se présenterait-il, déjà ? Ah, oui. Les mots tournaient, tournaient sur son palais, et proche de la nausée, il tentait de repousser l’idée que, peut-être, il ne viendrait pas.
Que peut-être, il aurait l’orgueil de croire qu’il pourrait atteindre Marlyn autrement que via lui. Ca changerait un certain nombre de choses, oui, assurément, et sans doute, ça écarterait un nombre infini de subtilité dont Dolohov comptait s’encombrer.

Il souriait lâchement à son verre, guettant dans la robe pourpre du vin son propre reflet. C’était d’une ironie infinie, de se trouver là, à attendre un jeune homme dont il ne désirait que l’esprit.
D’être celui qui attend, de l’autre côté d’un miroir qu’il avait vécu, bien avant les rides, l’argent et le mariage. Et bien, peut-être qu’au moins ça lui servirait, et qu’il saurait jouer l’amoureux, à défaut de pouvoir formuler ce qu’il désirait clairement.


*


Lev Mil’Sha ?

Quand il était entré dans la pièce, rien n’avait changé, si ce n’était le regard de certaines filles, lorsque leurs yeux se posèrent sur lui, si ce n’était son souvenir de Vor, qui se réajusta à une réalité moins fantasmagorique qu’au préalable, si ce n’était son pouls, qui ralentit dangereusement.

Sans ciller, Dolohov poursuivit de son regard le moindre micro-geste que fit le jeune homme, en entrant dans l’établissement, retenant l’allure de son pas, la violence du regard qui guettait les choses et contemplait la vie droit dans les yeux, et puis, sa manière d’arquer le cou vers l’arrière, quart de cercle brutalement, sans raison, jusqu’aux limites des vertèbres. Le mentaï n’entendit pas le craquement, mais il le devina intérieur, bruyant, glissant jusqu’à la racine des cheveux une détente provisoire, tellement provisoire qu’elle était frustrante avant même d’avoir existé- et parfaitement inéluctable.

Il y eut ça, puis son sourire au tenancier, un sourire d’angélisme et de morgue mêlés qui fleurait l’interdit à des kilomètres, la satisfaction de la transgression.
Bien sûr, Dolohov n’eut aucun doute sur son identité, pas une seconde, tout comme il n’eut pas la révélation d’une facilité ou d’une faille à exploiter. Le jeune homme balayait le monde des yeux, l’expression était juste, il savait ce qu’il voulait, en entrant ici, et il l’avait trouvé à l’instant où leurs yeux s’étaient croisés, et son assurance pour l’obtenir n’était tout simplement pas naturelle.
Comme lorsqu’il s’approchait de Marlyn, Dolohov éprouva une impression d’exacerbation de ses sens, de fébrilité, et d’adrénaline. Celle de Lev, comprit-il, quand il put discerner d’avantage les pupilles, et le flou des rétines. Le flou du pouvoir, et quelque chose de la flamme, oui, ils avaient ça en commun, au moins.
Dolohov eut l’idée de se lever, comme on se lève de table au moment où une dame prend place ou quitte une assemblée, par réflexe autant que par urgence. Maintenant, il était là, et il n’y avait plus de doute à avoir, tout était étrangement différent, il offrit à Lev un sourire cordial de bienvenue. Tout signifiait quelque chose.

Etrangement, ce fut Lev qui prit la parole en premier, et cela amusa Dolohov, qu'on croie qu'il pouvait ne pas mener la danse.


Lev Mil'Sha
Lev Mil'Sha

Etincelle
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MessageSujet: Re: /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeLun 10 Juin 2013 - 0:53

«Ce jour-là, à Vor».

La main tenait le papier du bout des doigts, et trembla. Il la contempla d’un regard vide, et froissa brutalement le papier. Squelette désaxé. Le mouvement ne partit que de son poignet, sans qu’il ne trésaille ailleurs. La boulette rebondit contre le mur, et roula en tressautant pour revenir contre son pied d’où les tendons saillaient.

Il se détourna et aperçut le reflet de son corps nu dans la vitre, du coin de l’œil. Après tout. La brume chiffonnait les frontières. Même ses yeux aux dires si bleus n’étaient que de pâles dessins d’enfants. Il ne se trouvait même pas vide. Non, à vrai dire, il ne pensait plus.

Il attrapa un sous-vêtement qu’il enfila comme un automate. Puis l’uniforme de l’Académie. Des cernes et des cheveux en batailles, il ne se déparait pas / plus.

Sans aucun doute, l’état de déchéance de Lev était un fait. Il ne dormait plus, ne mangeait que quelques miettes de pain. Des côtes en pagaille sous la peau, les gestes brusques et stéréotypés, ceux d’une araignée famélique. La nuque pliait et ne craquait plus, il n’avait même plus la force de tordre les limites. Et puis ses yeux… Des yeux vides, non, pas vides. Hantés. Hantés d’un trouble profond qui gênait, dérangeait. Différemment d’ « avant », où il jouissait d’embarrasser, d’incommoder. Non, finalement, la véritable déchéance de Lev c’était celle-ci. Lorsqu’il descendait dans la salle commune, que les bruits lui hérissaient la peau et qu’il s’arrêtait, la main traînant sur la rambarde de bois. Et que personne, personne, ne s’apercevait de sa présence.

Quelque chose de l’humanité, peut-être. De la douleur qui sèche et déshydrate. Rétracte. De la substance en moins, voulait-il se persuader, son poids qui avait diminué, ciselant durement ses épaules osseuses. Quelque chose qui ne devait rien à la douleur de son cœur qu’il ne croyait pas avoir. Diffuse, et les nerfs comme des épingles plantées. Tout le long du corps, tout le long.

Il avait des spires jusque dans le sang.

Il avait eu peur. Une peur primale, et plus organique que jamais. Lorsqu’il était rentré de Vor, il avait pensé que le gommeur l’avait suivi, parce que loin du château, les chemins étaient restés silencieux.

Il en fallait sans doute plus que ça pour traumatiser Lev Mil’Sha. Plus qu’un gommeur et quelques altercations, plus qu’une avalanche de spires portées au rouge et brûlantes comme des braises appliquées à même la peau. Il fallait surement plus que ça. Il fallait qu’il embrasse spontanément sa sœur jumelle, et qu’un désir aussi puissant qu’incontrôlable ne s’empare de son corps tout entier.

Tic tac.

Il triturait un morceau de pain entre ses longs doigts. Les yeux mis clos, il regardait sans le voir son petit déjeuner, les oreilles bouchées par l’irréalité des spires qui dansaient comme des serpents à sonnette.

Terreur, lorsqu’il avait perdu son don, le soir de Vor. Qu’il avait été convaincu que le Dragon lui-même avait décidé de le punir pour le blasphème dont il avait fait preuve. Une punition terrible qui l’avait enterré en lui-même, parce qu’il savait qu’il avait eu tort. Et c’était quelque chose qui lui arrivait tellement peu souvent…

Il gardait en tête comme un mauvais goût tenace en bouche, des images stroboscopiques de cette terrible soirée. Les ascenseurs émotionnels comme de vicieux uppercuts, les retrouvailles avec sa sœur qu’il avait tant cherchée, la désillusion profonde de son regard noir-bleu de déni, le refus de l’accepter, lui, comme ce qu’il était réellement, visuellement. Etait-elle aveugle ? Etait-elle… Non, plus de reproches. Il ne se supportait plus lui-même, il n’accepterait pas d’en vouloir en plus à sa sœur nouvellement retrouvée.

Non, pour une fois dans sa vie, il y avait quelqu’un qu’il souhaitait de tout son cœur faire passer avant lui.

Une bourrade dans le dos le bouscula, envoya une rasade de lait de siffleur sur son uniforme. Un tic agita momentanément le coin de sa lèvre. Les rires en sonnets flous qui s’éloignent, plus que dans l’espace, dans le temps qui s’étiolait.

Il était revenu à l’Académie. Détruit comme jamais. Silencieux comme une tombe, la nuque ballotant au gré des cahots, le regard perdu aux horizons. Aux horizons, justement, perdus. Son légendaire entrain, le feu de ses gestes, profondément atteints, profondément éteints. Quelques questions aux confins, mais finalement pas tant que ça. La rancœur de sa conduite tirait vers le bas, vers le silence buté. Rien n’aurait, de toute manière, pu le réveiller de son semi-coma d’auto-flagellation.

Tout était de sa faute. Il méritait d’avoir le cœur ouvert en deux, de souffrir sur son avenir troué, sur sa défaite et sur son incapacité à se contrôler lorsqu’il le fallait. Sa vie n’était qu’un gouffre amer. Une illusion fade et grossière où son talent de beau parleur n’était que le masque de ses vices et de ses fantômes. Il était une tare. Un frère incapable de protéger sa sœur. Juste bon à sauter sur tout ce qui bougeait, à rechercher le contrôle par la violence des gestes et des paroles. Par la brutalité des spires. Il était un monstre.

***

Plusieurs semaines s’étaient écoulées. Très lentes, et fantomatiques. Rythmées par les trilles joyeuses des oiseaux le matin. Des trilles qui lui évoquaient les dents d’une scie sur une plaque de métal rouillé. Et puis les repas. Le demi-sommeil qui ne le quittait jamais tout à fait, sans jamais l’emporter complètement. Epave ambulante. Les autres, après s’être moqué de lui, un temps, s’en étaient désintéressés. Seul son cœur se continuait de se battre pour irriguer sa tête. Et cela même le fatiguait au-delà de tout.

***

Et puis un jour, les spires étaient revenues. Comme ça, d’une seconde à l’autre, après un petit battement de cil. En torsion, tire-bouchonnant sa tête, l’ouvrant des tempes aux vertèbres. C’était inespéré, et de toutes ses dents, il s’y était férocement agrippé. Instinct de survie ou habitude ancrée.

Oh, il n’avait pas vraiment changé de comportement. De lymphatique, il était devenu fantomatique. L’esprit ouvert aux spires comme jamais, elles avaient terminé le lent travail de la dénutrition, sans que, finalement, ses muscles ne fondent vraiment. Les cours de combat devenaient un exutoire inespéré, et en même temps que les chemins dansaient, il avait envie de cogner. De se faire du mal. Il maniait l’épée comme un barbare, grognant en l’assenant sur le mannequin de bois pour faire mordre le bois par l’acier presque en entier. Et recommençait. Seul, le plus souvent. S’usant les nerfs et les muscles, ses mains de nobles couvertes de cloques et de sang.

Il n’avait pas progressé, n’écoutait pas les instructions. Il frappait, frappait encore. Et dans chaque pulsion de pouvoir, il palpitait d’une énergie farouche qui le guidait vers sa propre destruction. De ce qu’aucun aurait conclu à la vaillance d’un esprit qui cherche à se relever, il n’y avait que la brutalité bestiale du corps que l’on châtie à tort des tourments de l’esprit.

Marlyn n’avait pas quitté ses pensées une seule seconde.

Son don à elle étincelait violement, se répercutait avec une précision haletant en chacune de ses circonvolutions. Les volutes lui semblaient liées comme ne peuvent l’être que deux dons jumeaux. Il en concevait un vif remord, de se souvenir à ce point, parce qu’en chaque réminiscence, son corps réagissait avant ses pensées pour dévoiler le trouble qui était le sien. Sans qu’il ne comprenne d’où pouvaient provenir de telles pulsions, il aurait simplement été capable de l’embrasser à nouveau, sur le champ. Pour la première fois lui venait la possibilité qu’il était effectivement malade. Pas simplement différent. Mais vraiment malade.

De terreur refoulée, il s’était immergée en les spires, ne vivant pratiquement, si cela s’appelait vivre, par elles. Les dessins miroitaient la réalité, la tordait pour lui apparaître moins fade, moins amer. Un peu plus de couleurs, peut-être, mais finalement aucun exutoire. Aucune fuite possible.

***

Oh, il avait bien essayé de la recontacter. Des lettres, et surtout des lettres. Son don perdu, il n’avait aucun moyen d’essayer de la contacter autrement. Aucune réponse, jamais. Pourtant, il sentait qu’elles étaient parvenues à destination. Et malgré les excuses qu’il s’imaginait, il savait qu’elle ne les ouvrait même pas. C’était plus intuitif que tout. Et il en conçu une tristesse plus grande encore.

Et lorsque son don était revenu en sursaut, il avait été incapable de la contacter par ce biais. Non pas que son pouvoir n’était pas assez grand, non. Il ne parvint pas à prendre cette initiative, accablé d’avance par un éventuel refus. Il savait qu’un déni à travers même l’univers des possibles le briserait. Parce qu’il serait à nu, et que le doute ne persisterait plus. Si elle le rejetait en cela même qui caractérisait leur gémellité, pouvoir et sang mêlés, il n’y aurait plus aucune alternative. Plus aucune.

Entre deux eaux. Et continuer de frapper sur le mannequin de bois. S’abimer irrémédiablement les jointures, et son torse taillé à la serpe. Quelques regards, tous de même, de la gente féminine. De celle qui aime les torturés aux veines sous-cutanés, et les muscles bandés comme des ressorts sous la peau qui luisait. Plus que beau, son corps devenait sexuel. Terriblement masculin, l’attrait des mauvais garçons qui aiment frapper au-delà des limites que leur impose leur propre corps.

Mais en réalité, il sombrait. Irrévocablement.

***

La journée se passa comme se passaient toutes les autres. Tantôt lentement, tantôt par spasmes organique. A croire que les horloges, de sang et d’organes, prenaient la fièvre et la physiologie, adaptable à toute logique qui ne concernaient qu’elles.

Il reconnaissait son épée à la manière dont elle se coulait dans ses paumes, aux zones de douleurs qu’elle pointait entre les cloques, dessinant un schéma précis d’automutilation. Une cartographie de chaire à vif et de sang coagulé. Elle n’était même pas adaptée, trop lourde et trop peu affutée. Mais il se serait agi d’une hache que rien n’aurait changée, et il la manipulait approximativement comme telle.

Dans son coin, il levait l’arme lourde, et l’abattait, tranchant plus ou moins visé. Un râle, lorsque la douleur fusait dans ses paumes. Le manche glissait entre ses doigts et les cloques qui explosaient, poissaient la garde. Il dégagea la lame du bois en grognant. Leva à nouveau son épée. Pour l’abattre. Encore. Et encore.


« Nous en sommes accommodé dans le plus fallacieux silence. »

Les mots venaient, comme tout le reste, par crampe. Les spires se dressaient, crépitantes. Comme un ersatz de colère que Lev n’était plus vraiment capable de ressentir. Il ne vivait qu’en contorsion, par les spires et en elles.

Et par les mots et les images qui s’imposaient à lui, venimeuses.

Son visage crispé se tordait. Avec une hargne redoublée, il cogna le bois. Les calls n’avaient jamais le temps de se faire. Et aujourd’hui, dans l’insidieuse sensation de glisse froissée, la lettre boursoufflait les quelques raisons qu’il avait de rester en vie. Et lui donnait envie de cogner avec plus de colère que jamais. A coups redoublés. La sueur roulait sur son front, dessinait son torse. Ses muscles pleins d’angoisse en convulsions.

Ce n’était pas vrai. Il ne s’en était pas accommodé, loin de là. Il dépérissait. Se détruisait. Ce Dolohov ne comprenait rien. Rien de rien. Il ne pouvait plus l’aider, ne pouvait rien faire. Et qu’est ce qui lui laissait penser que lui, le dessinateur à la ramasse, puisse faire quelque chose pour l’aider en retour ? Rien. Rien. Rien.

Des gouttes coulaient sur ses joues. Il grognait, grognait et assénait. Un sanglot s’échappa de sa gorge. Il s’étrangla, l’air bloqué dans la trachée comme un poids de plombs. Le sang se mit à couler le long de la garde. Sinuait, cramoisi.

Les spires crépitèrent, alors que le tourbillon de ses terreurs et remords devenait vortex, et l’emportait. Des larmes lourdes coulèrent comme du sang. Son cœur battait une chamade désordonnée, et ses poumons, dans un spasme, ne semblèrent plus capables d’ingérer la moindre parcelle d’oxygène. Sa vision se brouilla, mais il continua, à l’agonie, débitant le mannequin avec une rage démesurée, inhumaine.

Soudain, alors que l’inconscience tant espérée menaçait de l’emporter, une main rude s’empara de son poignet, stoppant implacablement le geste suivant.


- Tu devrais peut-être te battre contre quelqu’un d’un peu plus fort. Je ne sais pas, un siffleur peut-être.

Par-delà les brumes qui envoutaient ses sens, une voix. Il reconnut les fragrances de rire du jeune qui l’avait bousculé le matin même, et l’ironie piquante. Des rires répondirent à la raillerie.

Lui ne ressentit que l’attaque, l’affront, l’injure.

Son poing trouva dans un craquement la pointe du menton de l’autre. Puis son sternum, son estomac, et son nez. Un flot de sang jaillit, lui éclaboussant le visage. Son regard fou fit reculer fébrilement l’homme à terre, alors que Lev avançait, implacable. Il lui laissa le temps de se relever. Et de se mettre en garde, le nez explosé, une lueur mauvaise dans le regard. Et il le laissa porter le premier coup. Et le deuxième. Il se plia en deux, une douleur brutale explosant dans son estomac vide, le faisant vomir sur place. L’autre hésita. Sembla penser que sa supériorité était acquise. Son honneur l’empêchait probablement de frapper un homme à terre.

Mais Lev se releva. Plus rien d’humain dans les gestes. Il se jeta sur son adversaire comme un lion, de tout son poids, ses coups démultipliés par la rage, les spires enflant dans ses tripes et brûlant tout sur leur passage. Des flammes crépitèrent sur les vêtements, de plus en plus chaudes. Les trois amis du perturbateur se joignirent à la bagarre.

Pour la première fois depuis bien longtemps, un sourire tordu trancha les lèvres de Lev.

***

Il était debout et il tremblait. A ses pieds, les corps inanimés mais vivant de 4 jeune hommes. Du sang coulait de son arcade gauche fendue, et sa langue titillait méchamment l’entaille profonde de sa lèvre. Sa joue enflait de chaleur. Ses poings compacts se serraient convulsivement. Et craquaient. Il avait cru entendre un craquement quand son poing avait percuté un crâne. Probablement un métacarpe. La douleur irradiait dans son bras jusqu’à son épaule. Doucement, il pencha la tête de côté. Continua. Jusqu’à la rupture des vertèbres, et au-delà. 7 craquements écœurants résonnèrent dans la salle silencieuse.

Il souriait comme un dément.

En boitant, il retourna dans sa chambre. Décidé.

***

Son reflet lui renvoya l’étincelle bénite. Les spires dansaient, folles de joie, et dans ses prunelles ça embrasait les méandres comme un enfer de galaxies. Il aurait hurlé de douleur, si la douleur ne lui était pas si profitable. Elle affutait ses sens. Une fièvre bienvenue excitait ses gestes, les rendant plus heurtés que d’habitude, bien loin de la lenteur arythmique des semaines passées.

Il toucha du bout des doigts sa joue bleuâtre.

Un rayonnement pointa dans sa poitrine. Il grossit, grossit, et prit toute la place. Lev renversa la tête en arrière et partit dans un éclat de rire tonitruant, le corps agité de spasmes d’adrénaline et d’endorphines à droguer tout un troupeau d’éléphant.

***

Al Poll résonnait à toute heure des cris des commerçants, des grognements des manutentionnaires, des rires des enfants. Il y avait une vie fantastique dans cette ville, une vie certes bien rustre, mais rayonnante, un peu brutale, organique.

Lev observait, tout incisait durement ses sens atrophiés. Son visage attirait les regards, il irradiait profondément, comme jamais. Le pas ferme à défaut d’assurée, il prenait sa place, regardait, sentait, goutait, entendait, répondait, par des sourires le plus souvent. Sur son sillage, le regard des femmes, jeunes, âgées, toutes flattait son orgueil de jeune mâle.

Il avait du sang sur les phalanges.

Finalement, il avait opté pour des habits simples, passe-partout, de ces tissus qui se révèlent bien plus confortables que leur apparence ne le laisse supposer. Il ne savait vraiment pas à quoi s’attendre. Des bribes de souvenir se retrouvaient spontanément dans sa tête, aux moments où il ne s’y attendait le moins. Des cheveux blonds, surtout. Et des yeux très gris. Lev aimait beaucoup les yeux gris.

Mais dans l’ensemble, c’est avec un abandon total qu’il appréhendait ce rendez-vous. A vrai dire, il n’avait pas encore dégrisé de son récent éveil, et si les fantômes se tenaient à distance, ils piquaient néanmoins le réel de tâches pourpres, par moments. Electrique. Tout était électrique.

Il n’osait pas penser à Marlyn. N’osait pas imaginer une porte de sortie, qu’il ne méritait pas. Ses spires chéries à nouveau en lierres dans les méandres de son cerveau étaient un pardon qu’il n’était déjà qu’à peine en mesure de valoir. C’était dur, très dur de rester en vie. Il avait l’impression qu’à la moindre bourrasque mentale, son monde entier s’effondrerait et qu’il se volatiliserait dans le néant, sans personne pour se rappeler son existence. C’était sa plus grande frayeur, le vide. Et s’il ne sombrait pas, c’était parce que son instinct de survie combattait sans rien lâcher. Mais à tout moment la fatigue mentale pouvait l’emporter. Le risque d’affronter le noble Zil’Urain était réel, et il en avait terriblement conscience.

Mais, étrangement, il en avait envie. Douloureusement envie. Sans s’autoriser à penser à sa sœur, il avait tout de même en tête l’objet de cette rencontre. Et puis de toute manière, Lev n’était pas un planificateur. Advienne que pourra, tout cela serait plus réel que tout ce qu’il pourrait trouver à l’Académie.


Et en soit, tout cela méritait… tout ça.

***

Il trouva les yeux gris. Comme on trouve un oasis, mais sans avoir soif. Simplement, cette sensation de savoir que quelque chose de très important est à portée, et qu’en cas de nécessité, il y avait un point d’ancrage. Un point d’ancrage pour le trouble qui viendrait, inévitablement. C’était réconfortant de penser qu’à tout moment, il y aurait ces yeux gris pour le scruter, et qu’au fond il y aurait ce chantage qui les maintiendrait à flot, ensemble.

Oui, parce qu’au-delà des apparences, le contrôle filait jusqu’aux moindres faits et gestes. Mais le regard. Tout est regard. Et celui de Dolohov trouvait douloureusement écho dans ses propres mots, ce qu’il avait perdu. Et qu’il souhaitait retrouver grâce à Lev.

Le dessinateur n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être, ç’aurait probablement été trop facile. Mais en tout état de cause, une chose était sure : Lev n’avait pas la force de chercher les failles. Son instinct tintait dangereusement face au sourire fin que lui octroyait son acolyte. Il y avait trop de contrôle dans tout ça, et ça surclassait celui qu’il tentait toujours d’imposer au monde autour de lui. Clairement, il ne se sentait pas en position de force. Et ne l’était véritablement surement pas.

Alors qu’importe l’apparence, qu’importe les devoirs et manipulations, les masques, tout ce foutoire qui l’avait amené dans une telle situation. Qu’importe ce qu’il avait à offrir, à vendre, à marchander, à donner. Il en avait sa claque de prendre garde, d’être dans l’épreuve, constamment. Ce soir, il baissa les bras, mentalement s’entend.

Il s’approcha, boitant légèrement. Des coups d’œil curieux par-dessus l’épaule, et de jolies filles qui lui rendaient des regards ingénus de sous-entendus. Le tavernier lui adressa un salut de la tête, mais ses yeux restèrent froids et calculateurs. Il était certes jeune pour fréquenter pareil bâtiment. Il ne chercha pas à spéculer, pas pour le moment, même s’il devait bien s’avouer curieux de toute cette mise en scène et de ses objectifs. Pour plus tard, les questions, il se contenta de trouver à nouveau les yeux de Dolohov Zil’Urain et de s’approcher de lui, à défaut d’être sûr de lui, avec un sentiment de justesse qui le surprit.

Les spires dressées en tête, ses prunelles vrillèrent de feu le gris liquide. Aucun don à l’horizon, et cela le surprit un temps. Avec assurance, il tendit la main spontanément, serrant celle du noble fermement mais sans épreuve de force excessive.
Il sourit en remarquant le coup d’œil de Dolohov sur ses phalanges encroutées. Sourire qui s’éternisa lorsque l’œil remonta le long du bras, puis le cou et la lèvre qui n’avait pas cicatrisée, et l’arcade encore un peu gonflée.


- Bonsoir Monsieur Zil’Urain. Enchanté de faire votre connaissance. Al Vor m’a laissé un goût amer, et je suis heureux de diluer ce mauvais souvenir dans un nouveau plus… conventionnel.

Il jeta un coup d’œil ironique autour de lui. La petite table était à l’écart du centre de l’auberge, mais les belles serveuses ne perdaient pas une miette des coins les plus sombres de la pièce. Il se demandait dans quelle mesure ce qui s’échangerait demeurerait privé. Mais après tout, il se fichait bien des racontars et de ce qui pourrait parvenir aux oreilles de l’Académie.

Se laissant guider par les méandres tordus de ses pensées, il continua, d’un ton docte :


- Je ne connaissais pas ce Lieu. Je suppose que je dois vous remercier pour cette découverte.

Il tira la chaise en la faisant racler par terre pour s’assoir face à son acolyte qui n’avait pas encore dit un mot.

- Je crois me rappeler que vous avez quelque chose qui…

Soudain, Lev blanchit. Réellement. Ses cils papillonnèrent. Les mots lui revinrent, billes en tête.

« Nous avons tous deux cru perdre quelque chose qui représentait énormément pour nous ».

Et avec eux, leur sens profond, ce qu’ils signifiaient. Le secret, éventé, s’il interprétait véritablement ce que Dolohov Zil’Urain avait voulu dire. Quel crétin. Non mais quel crétin. Il aurait dû s’en rendre compte plus tôt, et cette soudaine révélation fit bouillonner son pouvoir qui bulla sous la surface. Après s’être résolu à agir de la manière la plus spontanée possible, voilà que les questions comme un essaim d’abeilles furieuses lui trouaient la tête. Et l’évidence, qui en disait long sur la facilité avec laquelle son jeu avait pu être percé.

Dolohov était au courant pour Marlyn et lui.

Il le regarda d’un autre œil, le visage plus blanc qui se recomposait la seconde suivante, l’instinct de survie, toujours. Et le danger, soudain, plus présent que jamais. Le noble voulait monnayer un contact avec sa sœur contre quelque chose qu’il ignorait.

Et cette conjoncture le fit terriblement flipper. En même temps que pointait l’espoir, soudain, d’avoir quelque chose à y gagner. Il passa une main légère sur son visage, et lorsqu’il la reposa sur la table, nouée à l’autre, son visage était à nouveau serein. D’une voix grave, il demanda, le fixant intensément :


- Qui d’autre est au courant ?

Le don dressé, près à l’attaque, paré à toute éventualité. Il se fit la réflexion qu’il ne sentait toujours pas celui de l’autre. Et ça l’intrigua un moment, avant qu'il ne réponde.


[Je n'ai pas beaucoup avancé contrairement à ce que j'avais dit, donc si tu n'as pas assez de substance, je peux éditer la fin et rajouter quelques trucs à ta convenance ^^]

Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeLun 10 Juin 2013 - 20:17

Lev Mil’ Sha. Dolohov en avait gardé une vision désincarnée, abstraite, de couleurs, certes, mais c’étaient les siennes propres qui avaient saturé sa vision de Vor. Le corps lui avait échappé, ça avait été comme une gerbe fracassante, une vague en ressac, paradoxalement, comme la plupart des dessinateurs ce jour-là, sans doute, Dolohov avait eu dans les rétines un aperçu de l’être, de l’esprit. C’était plus fracassant qu’un physique. Plus effrayant, aussi. Le mentaï se sentit aveugle, aveuglé par la peau, les tendons, les muscles fins de la mâchoire, la peau des paupières, qui dissimula une fraction de seconde la seule chose qui trahissait les spires : les iris, le bleu.

Aveugle et vulnérable.
Il tendit la main, pourtant, avec le naturel du masque. C’était déjà une victoire que Lev soit là.

Pour Dolohov, la situation était monstrueusement inédite, et déplaisante : le mentaï était terrifié, terrifié au-delà des mots, terrifié par le marasme de sentiments et de sensations qu’éveillaient en lui la simple présence du jeune homme- l’espoir à la dérive, l’éclat, dans les prunelles de l’autre…

Le corps, comme face aux spires, cherchait désespérément à s’ancrer dans la réalité. Les doigts identifièrent, à travers la soie, comme un accident sur les phalange, et les yeux s’y posèrent, plus légers que l’air, glissèrent, suivant les marques sur la peau pâle.
Ce n’était pas le déshabiller, pas encore.

Bleu et rouge, songea le mentaï. La volonté, et le pouvoir. Le rouge outrepassait toujours le bleu. Les veines étaient bleues, volonté d’aïeuls, comme Dolohov aurait aimé les connaître, ceux qui avaient engendré ces démons d’esprit. Le sang rouge, qui resurgissait toujours, chez Marlyn, comme en provocation, sans qu’elle puisse s’en empêcher. Elle s’entourait de rouge, toujours, et son pouvoir… Dolohov n’aurait sû dire comment précisément, il n’avait jamais assisté aux combats de Marlyn… mais il était sûr que c’était ce pouvoir qui était responsable de tout ça.

Il aimait son sang, il aimait ses plaies. La plupart, elle les avait eu à cause de lui, sans qu’il n’ait jamais ordonné ou fait quoique ce soit.

C’était un trouble similaire, qu’il ressentait à contempler les blessures de Lev : l’excitation de l’artiste devant une toile encore blanche, et dont il pourra faire surgir les couleurs les plus brutes. Glissant des doigts, des veines, jusqu’à la carotide, qui palpitait impitoyablement dans cette gorge si frêle…

Il se souvenait de son envie de le tuer, de son besoin impérieux de le tuer, moment où ses spires basculèrent… Il avait un reste de plaie à la lèvre, presqu’au coin du sourire, une très légère trainée cinabre. L’indécence d’un baiser enfiévré qu’on a donné, qu’on a pris, qu’on aurait arraché de ces lèvres- un écho de féminité, aussi, l’idée d’un rouge à lèvres qu’une nuit d’amour peut abîmer.

Quelque chose qui évoquait Vor, dans son esprit, sans qu’il put dire pourquoi, peut-être l’adolescent pensait-il trop fort.
Il n’avait pas les mêmes yeux qu’elle. Pas exactement mais…
il cilla, tenta de chasser les spectres, un minimum, y compris celui de son propre pouvoir, qui lui manquait tant. Vulnérable, nous disions donc, et en colère.

Leurs mains s’étaient lâchées, et le sourire de Lev s’épanouissait en contemplant l’endroit, puis en prenant place. Dolohov avait ramené son gant contre sa joue, l’index et le majeur glissèrent comme en réflexe sur les veines de sa tempe- ce simple petit geste suffisait à rendre les rats mal à l’aise, à faire redouter aux ennemis de sa Majesté de s’effondrer sans explication.

Si seulement.

S’il suffisait de contempler Lev Mil’Sha, et de se laisser envahir par les sentiments, au point de colorier son propre don, rendu invisible jusqu’alors ? Mais non. Simplement une petite pression, qui réduisait sa vision périphérique, qui ramenait près de ses narines l’odeur imaginaire du sang séché.

Et tout à coup, Lev s’interrompit en milieu de phrase, et sa peau, déjà pâle, prit la couleur des craies, et les yeux cerclés de noir prirent un éclat dérangeant. Le mentaï sentit son cœur accélérer, entre-ouvrit la bouche, avide, avide de ce pouvoir qui dévorait l’autre, affolé de ce qui le suscitait. Aveugle, muet, sourd, de nouveau, cramponné aux murailles de sa pauvre tête, pris en étau dans ses propres pensées et sensations. Avide du choc qui pourrait lui ouvrir le crâne.

Juste une seconde.

Etaient-ils seuls à cette table ? Ciléa Ril’ Morienval était-elle dans l’esprit du jeune homme ? Qui d’autre pouvait avoir pris ce garçon sous sa protection ? Quelles informations transitaient à la périphérie des ces pensées, quels paysages, quelles attaques ? La fascination de Dolohov pour les blessures avait comme occulté leur présence.
Qui avait porté les chocs à son arcade ? Qui détruisait la peau de ses mains avec cet acharnement esthète ?

Tout redevint normal, et Dolohov aurait cru avoir rêvé, s’il ne restait la fièvre, dans le regard, la blancheur, aux jointures qui se serraient, les circonvolutions de cyan.
Il ne se souvenait presque plus de Marlyn, lorsqu’elle avait encore ses deux yeux. Il ne se souvenait plus de ses traits, avant les cicatrices – avant que sa présence de la façonne. Il ne se souvenait plus de ce qu’était son regard avant qu’elle ne l’embrasse, avant qu’elle ne lui cède sa liberté.

Il devait ressembler à celui que lui lançait l’adolescent.

Sa gorge était sèche. Impitoyablement sèche.
Sensation d’avènement qu’il chassa encore. Pour le moment.
Et la question tomba, comme une tête qu’on tranche, une tête alliée, une roche sous le pied.

Dolohov se souvenait de l’infini vertige des esprits qui se combattaient, du flot mental des pouvoirs entrechoqués. Et c’était d’une beauté infernale, chaque fois qu’il y repensait, et qu’il lui manquait les mots pour définir tout à la fois.
Qui pouvait dire jusqu’où les êtres étaient entrés les uns dans les autres, cette fois-là, ce que leur individualité avait intercepté, fait sienne ? Combien de pensées, d’idées, d’individualités perdues ? Combien de dons transformés, combien… ? La colère lui contracta les tripes, et il se permit d’être aussi acerbe qu’en esprit pour répondre.


-S’il y a quelqu’un d’autre, ce n’est pas de mon fait. Croyez-vous qu’il y a là prétexte fanfaronner?

Miaelle n’était personne, pensa-t-il. Personne.

Puis, comme à rebours, en se rappelant qu’il n’avait encore rien dit, Dolohov se demanda s’il parlait bien de Marlyn, de son existence autant que sa présence. La croyait-il seulement Sareyn Til’ Lisan ? Que savait-il d’elle ? Que lisait-il en lui ? Ou parlait-il de leur rencontre à tous deux ? C’était impossible de le dire. Mais dans le doute, quel que soit le sujet, il valait mieux que Lev croie au secret. Le secret créait des liens bien particuliers.

Le mentaï avait la sensation du pouvoir qui irradiait du jeune homme, il lui semblait, comme là-bas, à Vor, voir se distordre les iris de l’autre, tant le pouvoir corrompait les chemins. C’était de l’orgueil, s’obligeait-il à penser. Ici, le pouvoir de Lev n’a aucune raison de grimper aussi loin dans l’Imagination. Il n’a guère d’adversaire à dominer. Personne à son niveau.

Mais Dolohov n’avait aucune idée de la sensation que pouvait produire un dessinateur entrant dans l’esprit d’une personne dépourvue de pouvoir.

Si l’aveuglement et l’engourdissement des sens était parfaite… Lev pouvait en ce moment même piloter le cours même de ses pensées, sans qu’il en ait la moindre idée, et emmagasiner toutes les informations qu’il pouvait trouver.
Sensation d’urgence, qu’il fallait calmer. Il but une autre gorgée e vin, en jaugeant l’adversaire.

Les angles un peu plus forts. La même fièvre, la même flamme, les mêmes couleurs. Les cheveux plus courts, et deux yeux. Seulement des égratignures, à ce qu’il pouvait voir… Avait-il rougi ?


-.. c’est incroyable, votre ressemblance, murmura-t-il, comme à lui-même.

Qu’aurais-je fait, si je vous avais rencontré en premier, Lev Mil’ Sha ? Vous avez les mêmes travers, les mêmes aisances, sans doute, mais pas les mêmes constellations dans les yeux. D’autres tempêtes.

Tout aurait pu être si étonnamment similaire- hormis le fait qu’elle serait morte. Hormis qu’il y avait Astre, maintenant. Un univers de possibilités en plus.
Les yeux s’attardèrent ses lèvres, un bref moment, avant que le mentaï s’autorise à sourire, comme rasséréné, une fraction de seconde, puis de se pencher.


-Il y a une infinité de façons d’avoir cette discussion. Nous pourrions être dehors. Je pourrais vous avoir fait enlever. Vous pourriez forcer mes défenses, et arracher ce que vous désirez à mon crâne, nous le savons. Mais nous sommes là, tous les deux, alors nous allons privilégier deux manières…

Son annulaire bagué vint caresser, très doucement, la part supérieure de sa lèvre supérieure. Il s’autorisa un petit moment de réflexion, en balayant le décor du regard. Une fille s’approcha, aguicheuse, elle posa sa main sur l’épaule du jeune homme, qui sursauta. Dolohov se demanda s’ il avait failli la consumer d’un coup. Marlyn aimait tant le feu, qui lui venait spontanément.
Elle demanda s’il désirait quelque chose, et le mentaï fut patient, tension, comme son interlocuteur.

-A votre entrée, j’ai cru que vous préfériez celle où nous serions tous les deux plein d’égards, et de civisme, et qui serait très lente et très prudente. Mais ce sera l’autre.
Vous considérez-vous comme un homme, Lev ? Puis-je vous appeler Lev ?


La différence était là, fondamentale. C’était ce pour quoi il était ici. Le choix le moins atroce. Un homme pouvait encaisser ça, il en savait quelque chose.

-Alors je vais vous exposer la situation de la manière la plus claire possible.

Il n’osa cependant prétendre que ce serait bref. L’avantage de cette table sur les autres était que chaque approche de tiers pouvait être repérée bien à l’avance par le mentaï. Lorsque la serveuse revint, il fit un petit signe au jeune homme, puis remercia l’employée en même temps que lui, et affirma que ce serait tout, qu’on appellerait au besoin, avant de fixer son attention sur le dessinateur.

-En tant qu’homme, vous avez non seulement la responsabilité de vos actes, mais aussi celle de vos choix. C’est pour cela que je ne suis pas en train de vous assassiner, et que je ne le ferai pas.

Est-ce que l’autre en avait honte, est-ce qu’il revendiquait ses décisions, ses accidents, ses conséquences ? Détaché des expressions de Lev, il se concentrait sur le monde extérieur, les possibles auditeurs, qu'il jugea inexistants. Il pensa à tous ces choix qu’il avait fait lui-même.

Cette table. Celui de se marier, celui de choisir Ailil, bien antérieurement, celui de protéger et de maintenir Marlyn en vie, et à lui, celui d’être sa Majesté, celui d’avoir tu à tous son secret. Celui de quitter le Manoir familial. Celui de laisser Jeit derrière lui. Celui de ne rien imposer à Marlyn, préserver ce qu’il avait d’elle à tout prix –de tout imposer à Lev. Et comme chaque choix, il celui-là devrait lui coûter énormément.

La simple idée qu’un pouvoir aussi puissant que celui de Marlyn soit en liberté, et hors de sa portée aurait pu rendre fou le mentaï. Il ne résistait pas au pouvoir. En en étant dépourvu, il était simplement jaloux. Effroyablement jaloux, et vulnérable, martela-t-il.
Si Lev retrouvait effectivement Marlyn, et reproduisait à répétition ce qui s’était passé à Vor, il risquait de tous les tuer. Il y avait tant de conjonctures possibles qu’elles étaient impossibles à calculer. Il baissa les yeux.


-Vous comprenez pourquoi je vous dit ceci à voix haute, n’est-ce pas ?

Il me semble me souvenir que votre Don est « erratique » lui aussi. Il ferma les yeux, comme dans l’attente d’un coup qui ne venait pas.
Résolu à la vie, il poursuivit donc, caressant au travers de son gant les cicatrices laissées par Ivan Derkan. Encore un choix qui avait laissé ses traces. Il pensa à Miaelle, cilla. Hésita.

Fallait-il dire qu’il était un théoricien du dessin, à ses heures perdues ? Dire qu’il connaissait son don par cœur ? Parler de l’analyse… ? Mais il ne pouvait s’arrêter trop longtemps. Il se souvenait de Miaelle, du temps et de son incapacité à verbaliser ses maux. Mais quels mots employer ? Hiatus ? Fallait-il mettre des mots tout de suite ? Ses poumons s’emplirent d’air, mécaniquement, juste un peu plus, un peu plus longtemps, comme avant une longue plongée.


-Je sais que vous… Je sais ce qui cause le problème, je sais comment le corriger, mais je ne peux le faire seul, reprit-il, en détachant les syllabes, comme si ça pouvait ôter le sens aux mots, la gêne de son palais.

Il observait son vin, se demandant s’il serait plus simple de parler de cela ivre.
Il jugea que non, et repoussa le verre, ses derniers scrupules. Comme lorsqu’il avait fallu, pour le chaos, torturer un enfant, en chauffant à blanc ses menottes. Ce n’était pas un plaisir- c’était une question de survie. Il fallait, c’était tout. C’aurait juste été plus simple s’il était totalement certain de ladite correction, de sa réalité.

-En tant qu’homme, je choisis toujours de protéger les miens et ce qui m’appartient, dans la mesure du possible. C’est ainsi qu’on nous éduque, n’est-ce pas ? Et croyez bien qu’elle m’appartient. En tant qu’homme, je choisis d’être pour elle ce qu’elle n’aura jamais d’aucun autre ; mais vous, Lev ?

Il laissa planer un silence, un autre. Il était étrangement fébrile, comme il l’était rarement. Dolohov concluait ses affaires, toujours. Ce n’était pas que le marché était forcément alléchant pour son interlocuteur- c’est qu’il lui proposait le choix le moins insupportable.
Cette fois… il n’était pas sûr que ce soit pareil ; il n’était pas sûr que ce soit pour Lev que la solution proposée soit la moins insupportable- pour lui seulement.


-Vous ne pourrez pas le lui prouver à elle, pas tant que je ne l’aurai pas décidée. Mais vous pouvez me le prouver à moi.

Retour au regard- noyade dans le bleu. Dans les iris scintillants, il n’arrivait pas à distinguer son propre reflet. Il pensa au naufragé de ce matin, qui avait parcouru Gwendalavir du Sud au Nord, cavalé après l’espoir, en toute hâte. Ce regard have, hagard, de l’homme en manque, et qui n’a plus le choix.

Il ne fallait pas qu’il ressemble à cela, il s’imaginait ressembler au masque : l’assurance, le charme, le vice, certes, mais les formes. Il se focalisait sur sa haine de Lev, sur sa colère accumulée depuis Vor pour avoir l’air inflexible.


-Je vous parle à voix haute. Et nous sommes dans un bordel. Vous savez pourquoi les hommes vont au bordel, monsieur Mil’ Sha ?

Il avait été jeune. Il n’avait aimé que tard, mais il avait su très tôt, fantasmé très tôt. C’était il y a une vie, et l’eau, depuis, avait coulé sous les Arches. Il y avait des chances pour que l’autre, malgré sa beauté, n’en soit que là. Qu’il soit moins homme qu’enfant, plus orgueilleux qu’autre chose… ils l’avaient tous été, un jour. On ignorait certaines choses, parfois toute sa vie durant.

Il avait sa propre réponse : Les hommes de sa trempe n’y allaient pas pour l’amour ou le plaisir – ils y allaient pour le vice. Pour l’exutoire. Ils n’y cachaient aucun sentiment, aucune fragilité, seulement des martyrs, pour préserver les équilibres, et épargner.
Mais ceux de la trempe de son interlocuteur, dont il ne savait rien, qu’une ou deux égratignures, que le pouvoir… ?


[Je n'ai juste pas pu résister, en fait. ]

Lev Mil'Sha
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MessageSujet: Re: /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeMar 9 Juil 2013 - 21:55

 Cette conversation ressemblait par certains aspects à un rêve, songea-Lev. L’adrénaline, déjà, une adrénaline batarde et diluée qui lui coulait jusqu’au bout des doigts pour en faire crépiter les extrémités. Les réminiscences foudroyantes de ces dernières semaines, le fantôme qu’il avait pu être et qu’il était toujours. Mais surtout, surtout, Dolohov Zil’Urain qui le regardait. Qui le regardait vraiment, le transperçait de son regard gris. Il avait une puissance de regard qui confondait le dessinateur, et c’était bien rare, peu de personnes parvenaient véritablement à soutenir l’intensité de son propre regard – sans s’y perdre. Hors, il lui semblait bien que c’était à son tour de se sentir chasser.

L’élan brusque de terreur se mua progressivement en une peur plus simple, plus facile à dominer alors que les paroles acides de l’autre dévalaient ses lèvres. Torrent d’eau calculé. Agité, néanmoins, il en était persuadé. Il se demanda un instant le pourquoi de cette animosité franche. Ce n’était pas l’attitude propice au marchandage. On se familiarisait, d’abord, avait-il cru, on ne montrait pas ses faiblesse. La colère en était une.

Mais pouvait-il vraiment lui faire confiance ? Il y avait quelque chose de terriblement fragile dans leurs paroles à tous deux. De terriblement perturbant, également. Quelque chose qui n’aurait jamais dû avoir lieux, du secret, du vice, du chantage que rien ne permettra jamais d’officialiser.

Lev souffla néanmoins, en partie rasséréné. Il se rendit compte qu’il devait paraître bien frivole, à fleur de peau. Ce qu’il était, pour sûr, mais déjà ses résolutions de naturel et de spontanéité se diluaient dans la fièvre de cette situation qu’il avait de moins en moins l’impression de contrôler. La faute à l’adrénaline, tout ça. A son esprit qui se contractait par spasme, à ses spires entortillées qui gigotaient, comme frustrées de ne pas pouvoir s’emparer de l’esprit du noble. Non pas qu’il essaye, simplement il y avait quelque chose. Quelque chose qui titillait son pouvoir, le dressait au-delà des limites de son crâne. Crâne qu’il prit à deux mains, brusquement. Les muscles de son cou saillirent alors qu’il serrait douloureusement les dents.

Des questions, encore des questions ! Il ne voulait pas penser. Ne voulait plus. Simplement se laisser porter par le chantage, et la nouveauté, aussi, quelque chose qui le sortirait de sa routine morbide, du purgatoire quotidien de son existence.

Mais quand même…

La réflexion de Dolohov le prit au dépourvu. Il haussa un sourcil, soudain attentif à ce regard pénétrant posé sur lui, sur ses moindres faits et gestes. La plupart des gens auraient été déroutés par ce type de regard, réalisa Lev. Mais pas lui. Non, il était plutôt… oui, plutôt captivé. Captivé devant quelque chose qu’il ne comprend, pas, une fois n’est pas coutume. Les rouages qui tournent dans le vide et l’absolu miroitement des deux yeux gris.

Il ne savait pas encore pourquoi il était là. Mais il savait ce qu’il avait à gagner. Dolohov avait posé les empreintes de leur future négociation, si négociation il y avait. Il dictait les règles, jouait son propre jeu, que Lev devait suivre. C’était serpentin, et terriblement envoutant, de se retrouver la cible de pareil maître en la matière.

Lev décida que le noble lui plaisait.

Fasciné, il garda le silence, détaillant à son tour son adversaire, la ligne dure de la mâchoire que piquetaient les lucioles rouges et discrètes d’un rasage récent et intensif. Et les sourcils, qui bougeaient, au gré des pensées, sans que l’œil ne suive, jamais. Les yeux restaient froids, calculateurs, enfiévrés. Il était noble, terriblement, bien plus que la plupart de ceux que Lev avait pu rencontrer. De ce genre de noble qui calcule et manipule ses pairs, sans que ceux-ci ne s’en doutent. Le genre de noble qui n’appréciait pas qu’on empiète sur son terrain, à moins d’y être invité. A moins d’y être convoqué.

Ce jeu ci était bien différent de celui d’avec Shawna. Il se rendit compte avec un léger étonnement, que le statut de proie lui plaisait. Il était toujours plus facile de fuir que de pourchasser. Et la facilité, présentement, le satisfaisait.

Ses yeux se posèrent sur les doigts clairs de Dolohov, sur la mince ligne de contact avec la joue. Il sourit. Sa ressemblance avec Marlyn… Il en avait tellement rêvé. Il avait été elle, elle avait été lui, jusque dans ses souvenirs, ses terreurs les plus enfouies. Une sorte de double échogène, le miroitement de son sang, jusque chaque molécule composant son faible corps humanoïde. Et le dessin ! Le dessin, le don, les spires qui claquaient de leurs deux forces conjuguées. Il aurait pu la retrouver, il en était persuadé. Que de temps avait-il passé à le ressentir, à l’imaginer, à le chercher par-delà les barrières du possible, des conditions réglées. Il en connaissait toutes les pièces, de cette maison merveilleuse, il aimait croire que le don de Marlyn était comme le sien, sans avoir l’orgueil de l’imaginer à l’identique. Néanmoins… Néanmoins, il lui avait manqué la clef. Mais quel bonheur, lors de leur rencontre ! Quel bonheur lorsque cette clef, à portée de spire, avait révélé l’incroyable construction de son don, ses courbes magnifiques à l’épurée, auxquelles il était parvenu à rendre hommage sans l’avoir jamais rencontrée ! Il en avait éprouvé une terrifiante et trop courte fierté. Ainsi que l’absolue certitude qu’à présent, peu-importe ce qui pouvait les séparer, il serait capable de la retrouver. Mais l’obstacle de ses remords lui apparaissait maintenant comme beaucoup plus ardu à surmonter que ce qu’il avait de prime imaginer. L’emprise qu’elle avait sur lui, ce lien de sang et de passé, son besoin organique de lui plaire, d’être pour elle ce qu’il voulait qu’elle soit pour lui, avait laissé des traces profondes sillonnant son apparente désinvolture des souhaits d’autrui. Il n’avait pas eu la force de la retrouver par les spires, de s’imposer à nouveau à elle. Il n’en aurait pas supporté le rejet.

Il restait, à présent, Dolohov. Dolohov Zil’Urain, ses phrases mystères qu’il ne se pensait pas capable de comprendre dans toutes leurs dimension – il était tourbillon. Des facettes qui miroitaient, et des yeux gris à tomber à la renverse. Quelque chose de la séduction qu’il pensait, surement à tort, retrouver chez lui. Mais ce n’était pas la question, se fustigea-t-il intérieurement. La question, véritable, c’était Marlyn, et ce qu’il avait à marchander. A offrir.

Quelque chose de la considération peut-être ? De la « fanfaronnade non autorisée » ? Lev concevait parfaitement son attitude comme batarde et vilaine. Son propre comportement le dégoutait profondément, et cette phrase acide qui avait jaillit des lèvres du noble, et bien il aurait pu l’énoncer avec les mêmes notes salées teintées de dégout. Il se demandait avec une pointe de curiosité ce que le noble pouvait avoir à se reprocher qui fasse autant l’écho à son acte d’inceste public.

Mais déjà, les courbes de possibilités qui se tordent. Lev eut l’envie de pointer sous le crâne de l’autre. L’envie seulement. Non pas qu’il ait des remords à ce genre de pratique. Non, seulement il ne contrôlait absolument pas cet aspect de son don. Entrer dans la tête de quelqu’un avait déjà eu l’effet dévastateur que nous connaissons. Et il n’y se serait risqué pour rien au monde. Pas tant que les cartes ne soient pas misent à plat.

Il sourit, de travers, en plantant ses yeux dans ceux de Dolohov Zil’Urain. D’une secousse à l’autre, le voilà qui mettait des mots clairs sur les pensées qui lui traversaient le crâne. Il trouva ça cocasse, pareil coup de chance. Cynique, il haussa les épaules, lèvres closes, manières d’affirmer avec bravache qu’il aurait bien pu essayer de le contraindre. Par quel qu’effort que ce fut. Manière, également, de dissimuler le trouble né de ces vérités qu’il venait lui-même de s’infliger. Non. Tout comme la première, cette possibilité « d’ avoir cette discussion » n’aurait pu voir le jour, parce qu’il était incapable d’entrer dans l’esprit de quelqu’un.
Manière de proposer les solutions violentes, et de les nier pour mettre en confiance ? Si c’était le cas, Dolohov aurait lu à chaque seconde dans son propre esprit, et c’était terrifiant. Une pointe de doute s’insinua dans les spéculations de Lev. Malgré son pouvoir, l’autre pouvait-il s’introduire dans ses pensées sans qu’il ne s’en rende compte ? Sa capacité à dissimuler sa signature était la preuve de son contrôle spirituel.

Ses prunelles se voilèrent imperceptiblement, alors qu’il entrait en lui-même, qu’il tâtonnait doucement les limites de son crâne à la recherche d’un accroc qui n’aurait pas dû être là. Il connaissait parfaitement son don. Mais il ne trouva rien. Rien dans les circonvolutions floues, belles à en mourir, toutes de bleues barbelées, du rouge, de l’orange, en florescences ignées…

Son corps se contracta violement, soudain. Ses yeux roulèrent dans ses orbites. Un serpent dressé à l’attaque, ses spires douloureusement contenues dans sa petite boite crânienne menacèrent de déborder, de brûler les contours trop flous de la réalité.

Il croisa les yeux gris. Et s’y arrima, comme à une ancre. Une seconde. Une seconde pour attacher cette main au bras d’une jeune femme, et ne plus vouloir l’y désolidariser. Il souffla, son torse gonflé d’air, à défaut de sérénité.

Et l’autre, l’autre qui continuait ! Comme s’il ne s’était rien passé, comme si l’architecture de toute l’auberge n’avait pas failli ne plus exister. Il grogna un non agacé en dégageant son épaule, peut-être un poil trop brutalement. Elle comprit, à l’évidence, et n’insista pas. Lev concentra à nouveau son attention sur Dolohov qui l’observait en silence. Il ne lui fallait plus se laisser distraire. Il était encore trop instable, encore au bord du gouffre. Garder Marlyn en tête, mais non plus comme un but, simplement comme ancre, comme aide à la réalité. Ne plus se laisser bouffer par les spires. Rester, lui, chair et os, sang mêlé.

Il hocha la tête comme dans un rêve, et cette affirmation s’apparentait aux deux questions, énoncées trop rapidement pour en différencier la spontanéité. La familiarité de la seconde lui semblait totalement hors de propos. Tellement terre à terre. Tellement qu’il en fut reconnaissant au noble de l’avoir ajoutée à la conversation. Simplement, elle aurait été plus agréable à l’esprit si elle n’avait pas été précédée par cette autre qui ouvrait à nouveau un abime de questions. Mais il savait, sentait, que ça prenait place. Il n’était surement pas assez intelligent et vif d’esprit pour comprendre les rouages de la conversation. Mais il sentait le puzzle prendre forme, les coins, puis les bordures – le cadre.
 
Et enfin, sous tension, le claquement bref et violent de ce qui craque, et colorie le dessin comme une tâche de sang en rafale. Comme des gouttes projetées trop brutalement, les mots laissèrent des trainées pourpres.

Clac.

Son don. Il avait perdu son don.

Soudain, tout, ou partie, se mit en place. Le venin des mots, l’air hagard, et ce trouble dans le gris des yeux – si évident ! N’avait-il pas eut le même, des semaines durant ? N’était-ce pas précisément la raison pour laquelle il avait cessé de se regarder dans le miroir, bannissant toutes les surfaces réfléchissantes de son environnement immédiat ?

Mais en même temps que cette petite révélation, la question : que pouvait-il bien faire, lui, à son faible niveau ? Alors même que les hiatus étaient son quotidien maudit ? S’il avait la solution, il l’aurait utilisée depuis bien longtemps. Mais pas tout de suite, ça, il ne fallait pas le dire tout de suite. Quelque chose à marchander, toujours.

Il se demanda dans quelles conditions cela avait pu arriver. Lors de ses hiatus personnels, c’était à priori lorsqu’il quittait complètement les spires, ou lors d’une trop grande émotivité de son don. Il réfléchit un instant et repensa aux mots du noble, dans sa lettre « Nous avons tous deux perdu quelque chose à Vor ». Se pouvait-il… Se pouvait-il que son altercation avec sa sœur ait tellement chamboulée l’Imagination qu’elle en ait altérée le don même des dessinateurs présents ? Cette possibilité nouait des abimes de perplexité, et aussi, avouons-le, une certaine fierté. Une fierté qui se consuma légèrement sous le regard de Dolohov.

Lev n’était pas un être empathique. C’était pathologique, ou presque. Simplement, il connaissait la douleur d’un manque, plus encore que celui de la drogue ou de l’alcool, celle des spires lui apparaissait comme le plus horrible de tous. Il était responsable de pareille douleur. Ca le fit presque frissonner. Frissonner de pouvoir.

Bien, les choses se mettaient en place tout doucement. Avec amertume et taches de sang – qu’importe. Il pencha la tête sur le côté, goutant du bout des lèvres cette fragilité, cette douceur, si incongrue dans les mots de Dolohov. Oh, à ne pas prendre comme une faiblesse, même si l’absence de son don l’était certainement. Simplement comme une facette de plus parmi la multitude, et l’incroyable contrôle que son paire imposait à la discussion. Il releva les yeux, cilla. Et Lev lui sourit doucement, sans compassion, presque avec violence. Juste, le laisser continuer, et surtout finir. Rapidement je vous prie.

Le menton imberbe, encore, s’appuya dans le creux de la main. Tordre les routes. Les destins. Et, plus à propos, les cervicales. La torsion imprimée à son coup déflagra d’une demi-douzaine de craquements, certains plus sourds que d’autres. Dolohov ne cilla même pas.  En revanche, Lev ne put s’en empêcher aux mots suivants.


-    Je… tu… Oh.

Lev jeta un œil autour de lui. Un bouillon fait tournoyer ses méandres dans son estomac. Avait-il bien compris ? Il n’en était même pas sûr. Mais dans l’hypothèse… Oh que c’était nouveau. Son hésitation n’était pas marque de faiblesse, simplement de surprise. Une surprise qui l’excita terriblement. Pas du désir sexuel, non, pas encore. Simplement… Simplement c’était bien la première fois qu’un homme, à fortiori un homme comme Dolohov, cherchait par monts et détours à s’offrir le luxe de son corps pour résoudre un problème lié à l’Imagination.

Il se calla dans son siège, balancement léger des pieds, et les doigts qui craquent à force de les triturer. Ses propres spires, sous l’impact, grésillèrent. Lui donnèrent un sentiment de pouvoir, sur Dolohov. Quelque chose de trop puissant pour être véritable. Evidemment, ce fut bref. Mais pas assez pour l’empêcher de dire, avec cynisme :


-    Surement pas pour trouver des excuses telles à un comportement si farfelu. Est-ce réellement par soucis de protéger Marlyn – sa voix portait les stigmates de l’adoration qu’il lui vouait – que vous souhaitez coucher avec moi ?

Il rigola, mais pas méchamment. Il avait utilisé le terme farfelu par aisance de langage, mais après tout, pour reconquérir l’Imagination, tout moyen était le bon. Il s’interrogeait simplement sur les méandres de l’esprit de Dolohov qui avaient pu l’amener à pareille hypothèse. Etait-il comme certains nobles, à ne se rassasier que de jeunes hommes ? Le chantage n’avait-il lieu que par manipulation et vice ? Quelle vérité dans cette discussion hors du temps ?

Son regard se fit suspicieux. Il continua, plus franc.


-    Comment pourrais-je vous prouver quoi que ce soit ? Physiquement, s’entend. Elle a failli me tuer pour l’avoir embrassée. Vous pensez vraiment que… Oh.

Soudain, il comprit. Ses prunelles s’écarquillèrent, étincelèrent. Et avec elle, une nouvelle lueur d’effroi. Une intuition qui se cristallise, et coupe méchamment l’esprit. Il repensa à Loïca. A sa promesse. Et surtout, à ce qui la motivait. La protection de l’homme, ses sensations archaïque mais terriblement puissantes, l’afflux de testostérone /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] 562937384 , et l’impression que la juste place de l’homme était bien celle de protéger la femme. Et il n’y avait pas mille manières de prouver telle valeur… Mais dans quel esprit tordu aurait-elle pu naître, cette manière ?

Lev dévisagea attentivement le visage calme de Dolohov. Rien, pas un tressautement de sourcil. Juste un demi-sourire, et les doigts de soie blanche en contact, toujours. Il se demanda bêtement si le noble ne l’avait pas fait suivre pour énoncer si calmement des vérités qui avaient été longues à s’imposer, mais qui retraçaient clairement les besoins maladifs de son esprit. Lui qui se croyait maître manipulateur… La désillusion avait un gout amer. Mais le fantôme de Marlyn l’empêchait de simplement sortir pour ne plus revenir. Et puis… Il y avait toujours du trouble, dans tout ça.

Il se demanda jusqu’où allait la vérité dans les propos de Dolohov. Cette excuse, en était-ce vraiment une ? Avait-il tellement à cœur les intérêts de Marlyn pour lui proposer pareille union ? Etait-ce faire d’une pierre deux coups, en recherchant à travers l’acte fusionnel, la valeur d’un Lev à l’agonie, tout en tentant de récupérer son don, ou n’était-ce qu’une manière de s’approprier son acceptation pour cette drôle de requête ? Il n’avait pas de réponse à tout ça. Simplement le pouvoir, ou pas, de remettre les choses  à plat, de chercher les failles, pour les écarteler et en faire jaillir la vérité en flot de sang barbouillé.

Articulant lentement, il pencha la tête de biais, légèrement.


-    D’accord.

Ses doigts cessèrent leur lent ballet macabre. Il posa les mains à plat sur la table, trouvant dans le contact rude du bois quelque chose de rassurant. D’ancré.
Il ne contrôlait plus rien. Plus rien du tout.


-    Je comprends… Oh, je comprends votre point de vue. Mais Je…

Sa propre hésitation, l’esquive d’un regard face au fer de l’autre, lui dérouilla l’esprit. Non pas qu’il se sente inférieur. Mais ce n’était pas la bonne solution. Il se devait d’être homme. D’être homme pour Marlyn.
Sans qu’il en ait véritablement conscience, les mots de Dolohov commençaient leur travail de sape. Lorsque ça touchait Marlyn, il y avait beaucoup de pouvoir à trouver sur l’âme de Lev. Et celui-ci, déjà, se prenait à se munir d’un passe-droit pour la retrouver. Celui de devoir plaire à Dolohov Zil’Urain en qualité d’homme.
Sa voix s’affermit, et il redressa la nuque. Doucement, en coulure d’instant, un masque à peine retouché. Ce qu’il fallait de bleu dans les yeux, d’amertume entre eux deux.


-    Mais dans tout ça, quelle réalité ? Vous souhaitez coucher avec moi pour retrouver votre don. Par quelles circonvolutions, je n’en ai aucune idée. Vous me promettez Marlyn, comme un trophée à gagner. Et vous voulez que je croie en votre excuse fallacieuse sur la valeur d’un homme à se démener au lit pour satisfaire l’amant de sa sœur ?

C’était un peu brutal comme résumé, et ç’aurait pu également l’être dans l’énoncé. Simplement, les yeux de Lev scintillaient d’avantage. Crument. Il n’y avait pas vraiment de remontrance dans son ton, pas vraiment. Plutôt une certaine mise à l’épreuve, et un sourire en coin à faire craquer un Boudaïne Cwéole.
Il ne put pas vraiment mettre de mots sur ce qui traversa, alors, le visage de Dolohov. Mais par il ne savait quel mécanisme abscons, il y eut de l’acceptation, et une sorte d’épreuve relevée avec délicatesse et victoire.

Lev hocha la tête, comme pour lui-même. Il continua, ses paroles plus rauques, plus graves :


-    Vous n’avez pas besoin de ça. Pas besoin de fioriture. Je suis Lev Mil’Sha.

Il hésita. Sans quitter l’illusion bistrée du regard de son homologue. Mais après tout… Il avait l’intime conviction que Dolohov souffrait. Que cet échange n’était pas en sa complète défaveur, que le noble n’orchestrait pas tout ceci simplement pour s’amuser. Quelque chose de la tension dans l’arc de la mâchoire, du cou qui se tend en avant, qui oscille. Des mots crachés. Il y avait véritablement marchandage. Et Dolohov, en prenant les devants, se faisait maître du jeu, mais se mettait également à nue, fragilisait sa défense. C’était un  acte, quoique Lev puisse en penser, de confiance. Il décida subitement d’en faire autant. En fermant les yeux, il continua :

-    Ou plutôt, Lev Thanaveys.

Une brûlure, au coin de l’esprit. Une fierté, ancestrale, primitive. Les spires chantèrent, sifflèrent. Des serpents dressés d’orgueil. De pouvoir. Il se sentit maître de ses mots pour, peut-être, la première fois ce soir :


-    Et je suis capable de tout. Absolument tout.

Pour retrouver Marlyn. Mais ça, il n’avait pas besoin de le dire à voix haute.

Il se leva soudain, sans laisser à Dolohov le temps de répondre. La nuit serait agitée, et rien ne laissait présager de la suite. Il y eut un flottement, à peine. Lev énonça simplement :


-    Je vous suis.


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MessageSujet: Re: /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeMer 17 Juil 2013 - 12:34

Le cliquetis sourd des doigts aux articulations torturées ponctuaient ses mots depuis tout à l’heure, il tâchait de ne pas attacher son regard aux mains du jeune homme- de ne pas se laisser piéger. Tout cela serait en sa défaveur.
Mais la violence de la manipulation le fascinait, un peu moins que la conclusion, tout de même :
Tout cède, tout craque, tout se réorganise, parodie de l’harmonie initiale, effets en chaîne, catastrophe de sons.

Juste une seconde, appuyé comme une jeune fille sur sa main, tous les traits de Lev Mil’Sha se contractèrent, décontractèrent  en une seconde. L’exacte même image qu’à son entrée : intense satisfaction, à peine assouvie, à nouveau torturante, l’éclat dans ses yeux en changeait, transformait les étincelles en braises paresseuses.


Dame d’Opale, dans votre bonté, répondez  à mes prières,


Le « tu », surtout, trahissait le profond décontenancement.  Dolohov s’étonnait toujours que ce rapprochement des syllabes précède celui des corps. Il aimait la désincarnation de la forme polie, policée, tout ce qu’elle recelait de retenue et de conquête tout emmêlée.
Marlyn s’obstinait à le vouvoyer, ses tentatives de tutoiement étaient récentes, ils en partageaient tous deux une forme d’amertume : mais les choses ne pouvaient qu’évoluer, n’est-ce pas ?
Elle ne l’avait tutoyé qu’une fois, au tout début, il s’en souvenait  parce que ce moment lui avait offert un univers de possibles – ça lui avait échappé, alors, c’était comme emprunter les mots d’une autre, voler au destin quelque  chose d’imprévu, une formule magique ancestrale, un code précis, qui aurait dû les aliéner tous les deux, puisqu’il l’avait changée, elle.

Il ne se souvenait pas de la forme, même pas du son exact. Juste du déferlement de conséquences que l’ensemble avait pu avoir, jusque dans les vertèbres de son interlocuteur, à nouveau fébrile.
Fuyant successivement dans chaque recoin du décor, Lev semblait décidé à se trouver une voie de secours, une faille, peut-être, où il pourrait s’engouffrer – et le mentaï s’enorgueillit de la faculté qu’il avait de rendre autrui sa proie. Le mentaï se serait raccroché à n’importe quel souvenir ou sensation qui pouvait le tenir à distance de ses terreurs, de son espoir atroce.

Ils les sentaient grandir en lui, dévorer ses chairs et ses organes, le moindre contrôle qu’il avait sur ses membres ou ses muscles. Il lui semblait, s’il décollait ses mains de l’endroit où il les avait posées, qu’elles seraient saisies d’une volonté propre : que les tremblements reviendraient, que le corps, le primal, reprendrait le dessus sur l’esprit, de manière définitive : et ses spires seraient soit définitivement perdues, soit définitivement retrouvées. Ses mains, livrées à elles-mêmes, lacéreraient le visage de l’adolescent, libèreraient le regard bleu de tous ses tendons inutiles, et cueilleraient le pouvoir à la source.

Lev éluda la question- il ne lui en voulut qu’un tout petit peu ; surtout parce qu’il lui refusait un sujet de réflexion supplémentaire, une échappatoire à ses propres sentiments.


Son pied droit se mit à danser sous la table, juste une seconde ou deux- c’était vaciller devant les faits, devant le rire du jeune homme. Avait-il seulement compris ? L’autre avait appelé Sareyn « Marlyn ». Il savait donc ce qu’il cherchait, qui il cherchait, et le ton qu’il employait était celui de l’idolâtrie. Le rire, surtout, rendait vivides ses angoisses, ramenait les chances et les possibilités qu’il entretenait dans son crâne à des conjectures profondément dérisoires. Ténues.

Et son pauvre cou de se raidir, comme pour une révérence particulièrement élégante.




Dame, vous qui savez, vous que j’honore de toutes mes pensées, de toutes mes confidences…


Il supportait le regard de Lev, marbre illusoire, mais si Ailil s’y était laissé prendre, si Marlyn se laissait  séduire, pourquoi pas cet avorton ? Qu’importait, s’il était liquéfié, s’il tremblait, s’il mourrait d’envie de le soumettre – c’était systématiquement le cas, et toujours il avait été inférieur en pouvoir à ses interlocuteurs.


Ailil avait l’argent, Marlyn, son Don. Lui n’avait que lui-même, l’ersatz de lui-même pour continuer de prétendre l’inverse, pour renverser en permanence les conjectures.


Son regard chût sur les lèvres du jeune homme, et la trace de rouille lui devint une injure insupportable. Comment ? Il avait posé ses plaies sur la bouche de son Ange ?
Quelque chose en lui s’amusa de connaître – enfin !- les raisons de l’incident de Vor, de ce maelström de peurs qui l’avaient jeté contre Lev, placé en rempart entre elle et lui.
Un baiser.


C’était probablement la cause la plus infime, la plus imprévisible, la plus invraisemblable que Dolohov aurait pu concevoir.
Il ne savait pas à quoi ressemblait le masque, mais il vit l’effroi dans les yeux de Lev, et sur l’instant, cela lui suffit.


Il se sentit sourire, d’un sourire en demi-lune, qui d’ordinaire ne présageait rien de bon. Ses interlocuteurs appréciaient peu, en général, que Dolohov s’amuse d’une situation au point d’en sourire lui-même.

Et Lev pouvait sans doute y voir l’écho de son propre rire, quelle dérision, oui ! Tout ça pour un baiser, des mois larvaires, l’insécurité sempiternelle, le doute de sa propre subsistance, l’image persistante du choc qui l’avait jeté d’abord  genou, puis convulsant au sol.
Le jeune homme pouvait y voir la cruauté d’un jugement, presqu’un défi : « Et une femme qui menace votre vie vous inquiète-t-elle, monsieur Mil’Sha ? »

Félins, les crocs découverts cachaient tout cela, et plus encore l’instinct de propriétaire face à la profanation de son domaine,  le dégoût du noble face à un désir incestueux, menace sempiternelle pour la lignée, la condescendance de l’amant pour le rival éconduit, de l’homme pour l’adolescent.

Les yeux gris ne lâchaient pas la plaie de la bouche,  la possibilité de faire saigner ce petit dieu des spires,  et avec elle, sa mort,  si désirable. Il était trop vieux pour s’ombrager d’un simple baiser, pour laisser son jugement s’altérer à cause d’un stupide élan, à sens unique en plus.

Mais pourquoi Lev avait-il soulevé ce détail précis de Vor ? Qui le poussait, qu’est-ce qu’il souhaitait, qui se cachait dans les éclats ? S’il avait la moindre idée de qui était réellement Marlyn, et qu’il admettait que Dolohov fut également au courant de cette.. « subtilité », comment pouvait-il envisager de le dire, de le faire de cette façon, et d’y ajouter en plus une confession de baiser ? Ce garçon pouvait-il être plus inconscient encore que Sareyn, désirer la mort avec plus d’ardeur encore ? Quelle folie… ?

Les premiers mots d’accord lui firent l’impression de déchirer ses tympans, quand bien même ils ne lui étaient pas destinés à lui – simple marque de compréhension du marché.
Le battement de cœur furieux que les mots avaient suscités plantait le mentaï sur sa chaise, coupant court à toute tentative de s’intéresser aux détails réels et significatifs de leur conversation.
C’est peut-être à ce moment-là seulement que Dolohov réalisa à quel point il avait besoin de voir tout ceci résolu, mais surtout besoin que Lev accepte.  Il réalisa, vrillant ses pupilles dans les siennes, que rien, jamais, ne l’empêcherait d’obtenir sa volonté.  Qu’importaient les « mais », qui suivirent très vite.

De manière à présent consciente, Dolohov savait qu’il ne pourrait souffrir aucun refus, que c’était le besoin animal de survivre, et de récupérer les Spires qui prendrait le dessus sur lui, sur Lev, sur Marlyn, qui se superposa à lui dans son esprit. Ils avaient les yeux si bleus…

Le gain de pouvoir était déjà passé avant son bien propre, lorsqu’il avait conclu son accord avec Lindörm : Dolohov ne pouvait simplement pas résister à son appel. Son absence en ferait un fou, il préférait de loin se transformer en animal en se donnant toutes les chances de le retrouver.
C’était la seule réalité qu’il entendait, la seule qu’il put concevoir :

Il pourrait passer de l’homme à l’immonde en quelques secondes, et ses nerfs n’étaient déjà que trop rongés- bientôt, d’une manière ou d’une autre, Dolohov cèderait, il cédait en permanence.
Son éducation, son amour qui le portait à protéger Marlyn ne feraient pas long feu, il les remettait en question en permanence, depuis son dernier passage à Vor : seul Lev empêchait qu’il ne sombre tout de suite, et si cette voie s’avérait une impasse, il ne donnait pas cher de ses bons-sentiments.
Il cèderait.  Il ferait ployer les êtres à sa volonté ; oubliant jusqu’à leur réalité à eux.
Seule la sienne comptait.

Par quelles circonvolutions… ? Si seulement il le savait.
Il crevait de trouille à l’idée que le corps et la confrontation aspirent et dilapident les reliquats de Spires. Il mourrait littéralement de peur à l’idée de tout ce qu’un échec impliquerait sur le long terme, sur ses plans qu’il façonnait, su les possibles qu’il avait créé.
Si seulement il avait la moindre idée de ce que pouvaient être les fameuses circonvolutions, peut-être ses maudites tripes cesseraient-elles de se tordre en tous sens ?


Vous qui êtes Quiétude, Lumière, vous qui illuminez nos chemins



La peur effaçait Marlyn, la repoussait loin, si loin – c’était encore un moyen de la protéger, il voulait le croire. N pas l’invoquer, ne pas attirer son bleu regard sur cette situation, sur sa gêne. Ne pas, plus jamais, se retrouver face à elle avec cette requête-là. Que comprendrait-elle, que verrait-elle, sinon la même vulgarité que Lev ?
Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il enjolivait toujours, que présenter les choses de cette manière, déjà extrêmement dérangeante, avait pour but d’occulter une réalité pire.
Devinerait-elle ? Elle le surprenait si souvent.

Il avait attendu la moquerie dans le ton de Lev, l’arrogance qui retroussait ses lèvres, la morgue, encore.  Comme plaire pouvait avoir de l’importance, à cet âge.. !
Après tout, il l’avait partagée, lorsqu’il était de l’autre côté de la table.

Fort de ses vingt ans, de son ambition démesurée, de son regard qu’il savait beau, de sa peau trop pâle, parfaite.  Comme il était invincible, alors,  et comme le regard du premier homme lui avait semblé… qu’était-ce ? Incongru ? Terriblement inattendu, flatteur. Il voulait ce pouvoir, ce pouvoir que Shaïlan lui avait cédé.


Protégez vos enfants des profondeurs, pardonnez-leur leur innocence.


Fort de ce qu’il croyait être de l’expérience, il s’était cru invulnérable- il n’avait pas imaginé une seconde d’alternative à son propre scénario, et avait été bien surpris. Ce n’était pas qu’il en éprouvait du remord, pas plus qu’il n’en avait pour quoique ce soit, et il ne pouvait pas appeler « scrupules » ce qui le retenait de sourire : il s’était sorti de tout cela, victorieux, n’est-ce pas ? Puisqu’il était là.
Du côté de la table qu’il avait toujours méprisé, puisque la roue tournait.

Lui qui était l’araignée de son réseau, guidé instinctivement par la moindre ondulation de ses fils, sans jamais s’empêtrer avançait à l’aveugle, plus muet que son épouse, vers cette proie qui s’empêtrait allègrement.
Il donnerait ce qu’on lui demanderait.
Il y perdrait ce qu’il y perdrait.

Les yeux, caressant la mâchoire, la bouche, les circonvolutions des iris demandaient,  mendiaient, le oui, débusquaient les potentielles retenues. Ses lèvres tenaient closes ce qui pourrait encore influer le jugement, et les prières aux dieux, qu’il mourrait d’envie d’invoquer.
Mais l’inconscient continuait- qu’importait la sentence, l’attente était terminée, Dolohov le savait.
Ce serait bibliquement infernal, si ça ne pouvait être négocié en gens de bonnes intelligences.

A nouveau, il lui sembla que le temps se distendait, que tout s’amplifiait, que chaque donnée du monde extérieure était assimilée comme au ralenti, mais que chaque information avait l’intensité d’une explosion ; l’univers continuait d’avancer, accélérait brutalement, et lui, entraîné d’abord au fond de lui, se retrouvait en réaction propulsé vers l’avant.
Chaque nerf noué, le souffle coupé –l’impression que sa boite crânienne était fracassée de l’intérieur, mais sans que ça ait la beauté révoltante des spires.

La voix avait changé, moins que le regard, mais c’était ce qui le frappait. Les mots qui tombèrent étaient ceux d’un homme, jeune, oui, fier, sans doute.  Résonnance des pierres qui roulent le long d’une gorge profonde, vertige du titre, que le jeune homme réaffirmait, ré- apprenait.
C’était ce que Dolohov avait voulu, c’était ce qui ferait tenir Lev, quoiqu’il tente de lui imposer.


Dame, faites qu’il cède, que je n’aie pas à le briser  complètement.


Il hochait la tête, comme le diable d’un jeu d’enfant, désarticulé, qui prétendrait tenir debout, encore, si on le lâchait. Les parallèles lui traçaient des frissons sur les vertèbres,  Marlyn, encore, avouant son prénom dissimulé, celui que Dolohov n’avait pas demandé, celui dont il n’avait rien fait, celui qui n’incarnait rien, pour lui qui préférait renommer les choses selon une nature qu’il leur inventait. Il écarta tout ce que Lev Mil’Sha pouvait mettre dans ce nom de famille qu’il avait en commun, vraisemblablement, avec celle qui était sienne – mais il se saisit mentalement des fils de feu qui tressaient les syllabes, c’était comme la métaphore de ce qui allait suivre.
Inéluctable.

Il se dressa, soudain, vague de pouvoir contre laquelle il allait encore devoir résister, s’imposer comme individu libre, strict, mentalement indépendant- et cette digression de l’espace flotta entre eux comme le décalage dans la tête de Dolohov –il acceptait.

Comme c’était ce qu’on attendait de lui, et bien que tout lui sembla trop brusque, Dolohov se leva à son tour, prétendant l’inviter, d’un geste, à lui emboîter le pas, prétendant qu’il continuait de mener le jeu avec la même décontraction. Puisqu’ils étaient capables de tout.
Il lui était facile d’avancer, élégamment incliner la tête vers une jeune fille pour observer du coin de l’œil le barman, résolument détourné –qui voulait la paix, ne rien avoir à faire avec tout cela.

Chaque regard le crucifiait, en le croisant, et il lui sembla d’un coup étouffer tant il y avait de témoins, tant ses intentions devaient être claires, tant l’adolescent était désinvolte, tant il brûlait de se mettre lui-même à courir, à dessiner autour de lui cette chambre. Tout en lui hurlait- comment les autres auraient-ils pu l’ignorer, se laisser berner par son teint de cire de survivant ?
Ca allait trop vite, ils n’avaient pas assez parlé, etlui, pas eu suffisamment de temps pour se prévoir ensuite.  
Ca allait trop lentement, ça aurait déjà été terminé « sans fioriture ». Il aurait son pouvoir, ou le regard aussi vide que le monde sans les spires.

Il ouvrit la porte, sous l’œillade dédaigneuse de la barrista, repoussant les questions qui lui brûlaient les lèvres, tant elles lui semblaient dégradantes pour lui. Il tint la porte à Lev, par réflexe autant que par habitude, la ferma sur eux, en gardant les yeux rivés à la poignée.
Lorsque ses yeux revinrent à Lev, à sa manière de croiser les bras, en levant un sourcils- cette façon d’être conquérant et colonie consentie à la fois, l’aisance parfaite du moment présent. Le futur leur pendait aux lèvres ; foutue trace de sang.


« Pas de fioriture »

Dolohov tentait d’apaiser son pouls en songeant à ce à quoi ça ressemblerait, s’il avait l’irrespect de ne pas s’encombrer de fioriture. Loin de le calmer, il se sentit juste un peu moins noble, un peu plus exclusivement mentaï.
Ses yeux scrutaient les phalanges, hésitaient à s’en saisir déjà, simplement dans le couloir, à ne s’embarrasser de rien d’autre que de sa propre réalité : l’urgence de récupérer ce qui était sien, d’assouvir son désir de spires.

Portant sa main à hauteur de la joue de Lev, il hésita, entre l’autodérision et le simple désespoir.
Il devait avoir l’air d’une vieille tanche, une de ces foutues folasses qui lui avaient permis tant de choses. Finalement, plutôt que la joue, le gant se résolut à montrer négligemment la direction.


-La deuxième, au fond, à l’étage. Après vous.

Surveiller et empêcher toutes fuites physiques de la proie. C’était les accents de Sa Majesté, plus que ceux de Zil’ Urain le noble, mais qu’importait celui qui montait : Dolohov se refusait à la tendresse, pour ne pas se dévorer lui-même.
Oui, il aurait voulu, par acquis de conscience, fustiger Lev, le décourager, peut-être, rendre tout cela moins pénible, parce qu’il ne pouvait s’empêcher de voir leur ressemblance profonde, et que Dolohov  avait pour lui-même la plus profonde affection.
Est-ce qu’il savait seulement comment ça se passait ? Lui serait-ce moins insupportable si le Mentaï lui offrait l’étreinte d’une femme, la distraction de la nudité d’une autre, pour oublier ? Voudrait-il fumer une de ses fantaisies dont Makel faisait mention dans ses lettres, et qui semblaient miraculeuses, puisqu’elles flattaient son égo d’amant ?

Tout cela était absurde, résolument absurde, contraire à sa volonté première.
Dans son pouvoir, la volonté primait sur la créativité.

Devant lui, le jeune homme avançait, les épaules carrées dans une démarche de force indolente, volontairement séductrice, trop assurée pour l’être, à son sens. Il se serait presque attendu à une œillade en quoi, l’ultime bravade- mais non.
Le mentaï imaginait son sourire, goguenard, satisfait, de la jeunesse, se concentrait sur sa haine pour solidifier sa propre marche, son self contrôle. Un léger boitement lui échappa, dérapage incontrôlé sur sa partition de charme.

Le noble se satisfaisait fort logiquement de l’accord. Il y avait consentement, prix à céder et à payer, et celui qui le précédait n’était qu’une sorte inédite de putain, qu’il réservait non pas à son plaisir, mais à sa fin. Il le fallait, c’était une raison suffisante.
Dolohov, pour sa part, ne pouvait ignorer le hanches chaloupées, les lèvres fines, le regard, et se laissait happer par l’esthétique en finesse du jeune homme, recherchait Marlyn, quelque chose qu’il assimilait à de la pureté. Penser à elle était désarmant, le ramenait à Vor, à son regard lorsqu’elle disait « Fais vite », et qu’il ne pouvait rien ajouter.

Lorsque Lev posa sa main sur la poignée de la porte, Dolohov bondit, tous ses sens rués, sur lui, pour suspendre son geste.
La main se retrouva plaquée sur le bois clair, plaqués aussi, son corps contre le bois, leurs lèvres démentes, avant que les mots ne les explosent en plaie, que les critères du marché changent.
L’étreinte de Dolohov était celle du noyé qui veut serrer l’air, s’en emplir et retrouver la surface.

L’angoisse était un frein, le désir un moteur, s’obligeait-il à penser.

Cette porte, cette foutue porte qu’il avait ouvert par l’esprit des dizaines de fois pour retrouver le royaume des spires,  il la redoutait comme il n’avait jamais redouté personne.
Il n’aurait laissé le symbole à personne, personne, et « sans fioriture », il l’aurait baisé là, comme un animal affamé, il aurait explosé le bois en y fracassant le crâne de Lev Mil’ Sha, le corps et l’esprit en ruade sur toutes ses barrières, physiques et mentales.
Le front posé contre son front, tout doucement, à l’endroit qui aurait explosé la boite crânienne de Lev, en cas de coup de boule,  il retenait le baiser, et plus fermement le poing.
L’homme se jaugeait, au bord du gouffre, les yeux fermés, avec l’impression d’étincelles de spires qui lui courraient sur les vertèbres : celles d’un autre.


« Sans fioriture »

C’était marteler qu’il était commanditaire, maître à bord, décideur. Peut-être lui était-ce difficile de le croire, de s’accorder ce droit, parce qu’il savait ce que cette opportunité représentait pour lui.
Peut-être parce qu’il ne parvenait jamais à se passer de l’accessoire, que la réalité qui en était dépourvue perdait la moitié de ses couleurs, qu’il préfèrerait et de loin le plaisir à la douleur.
Peut-être, surtout, parce que cette façon de le penser, de se penser, était plus que tout celle de Marlyn.
La brutalité de leurs étreintes saturait de sincérité les sentiments qu’il avait pour elle, qu’il n’admettait pleinement qu’en elle, ivre d’elle, à elle ; et qu’il n’aurait cédé cet empire sur lui-même à personne d’autre, redoutait déjà que le jeune homme soit aussi sorcier que sa sœur. Croiser son regard, là, aurait été fatal.


Ma Dame, j’ai posé les yeux sous l’écume de vos draps
J’ai vu certainement des choses que vous ne me réserviez pas



Le mentaï l’embrassa alors, avec la rage du noyé qui désire une goulée d’air- et son désespoir. Baiser naufrage, baiser appel, offrande sacrificielle de conquistador- comme il aurait embrassé Marlyn, si elle avait été devant lui, s’abandonnait à lui.
A sa plus déconcertante fascination, malgré toutes leurs ressemblances, tous les fantômes, il ne ressentit strictement rien. Rien de plus qu’avec n’importe qui d’autre.

Son regard était pourtant très trouble lorsqu’il rompit leurs étreintes, affrontant l’abysse de cyan. C’était toujours sa propre angoisse qui le tenait à la gorge, qui rendait ses mains incertaines- celle d’échouer encore une fois.
Il actionna la poignée sans même la regarder, les narines frémissantes, la gorge complètement bloquée d’angoisse.
Encore une qui s’ouvrait sur rien, sinon le sourire de chat de son interlocuteur.
La petite plaie ne s’était pas encore ré-ouverte, mais menaçait manifestement. Et joueur, comme si la situation –le trophée futur ?- l’amusait, il s’effaça, presque timide, de l’étreinte de l’homme, dérobant son cou et sa colonne vertébrale pour entrer dans la chambre, l’air de rien, une cavalcade de craquements lui traversa les doigts, suivi un premier souffle audible, qui ne devait sans doute rien au mentaï.



Dame je vous suis aveugle et sourd, je vous en conjure, guidez-moi



Il n’oserait pas se passer de fioritures- et il redoutait que Lev non plus.
Parce que Lev n’était pas n’importe quelle putain, qu’il pourrait le faire exploser littéralement.
Parce qu’il se souvenait de la putain d’Al-Chen, en pointillés.


*



Il se souvenait de ce que les mots de Miaelle avaient déclenché en lui, de ses désirs d’homme qui avaient rugis, à peine évoqué, du battement du sang à ses tempes.
Le fait qu’elle soit dessinatrice avait été le seul critère.

La maquerelle s’était étonnée, mais pas plus que d’autres choses. Elle avait bien tenté de contourner la difficulté, d’étoffer de critères physiques la sélection de son client- pour ne pas déranger toutes les filles.

Elle s’était d’emblée méfiée de la somme monstrueuse qu’il avait promis ; mais n’avait pu se résoudre à y renoncer.  

Les dessinatrices étaient peu nombreuses, et souvent médiocres : pourquoi une fille Dotée irait-elle se perdre dans une carrière de froufrou ? Mais il y en avait une, une qui n’était pas jolie, ni très maligne non plus, qui avait quitté l’Académie d’Al-Chen pour un tas de raison dont Dolohov se moquait, autant qu’il s’était moqué de son apparence.

Ce n’était pas la première femme qu’il payait, pas la première avec laquelle il montait, c’était sans doute pour cela que sa médiocrité l’avait sidéré.  Pleine de bonne volonté, à l’idée d’éponger d’un coup une si grande part de sa dette, la fille avait demandé ce qu’il attendait d’elle et s’était bornée à des tentatives plus ou moins risibles de le satisfaire, sans comprendre ce qu’il voulait dire lorsqu’il lui demandait de dessiner sans retenue.

Il ne parvenait pas exactement à ce souvenir de la manière dont ça avait dérapé.
Il avait joui, une première fois, sans croire à l’immersion de sa comparse dans l’Imagination, ou aux orgasmes qu’elle feignait trop bruyamment, sans prendre la peine d’essayer de partager son plaisir, même pas libérateur.

Jouir sans spires lui avait semblé tellement vide, tellement plat en regard de ce qu’il avait vécu qu’il  en avait ressenti , il en était presque devenu suppliant. Il avait caressé, invoqué, prié, murmuré, dialogué avec la Dame plutôt qu’avec cette putain. Il avait ressenti le changement dans son vecteur, vu les dessins, l’immatérialité des formes, la créativité manifeste, tout d’un coup, du monde intérieur de la femme qu’il prétendait dominer pour retrouver son pouvoir, mais..

C’était de la beauté inaccessible, à détruire, donc, et la vacuité de son propre crâne, l’aberrante et déconcertante manière de se mouvoir en l’autre dans le silence mental le plus profond du monde lui avait fait le même effet que l’intrusion de Varsgorn.

Il ne se souvenait pas de ce qui avait déclenché exactement tout ça, si c’était une étincelle en particulier, en soi, il s’en moquait.


Il se souvenait de l’état de la fille, de son regard, de son monstrueux regard tout embrumé de spires.
De son propre désir de lui crever les yeux pour récupérer ce pouvoir, le revoir, juste une seconde. Il se souvenait de bleu ; qu’importe la force et l’intensité de ses coups, de ses menaces, la fille était entrée suffisamment profondément dans les spires pour négliger son propre corps. Après tout, c’était son métier de ne pas avoir de réel soucis de son client.

Il avait oublié le comment, la manière, ses propres névralgies absurdes, ses tremblements, son état déplorable. Tout comme son esprit refusait de revenir au moment où la raison avait rattrapé le désespoir, pour le relever, l’obliger à continuer, à aller au-delà, à faire autre chose.


Ca ne l’avait pas apaisé. Ni le fait de la blesser, ni de se vider, ni le fait d’être dans l’impasse, ni qu’elle survive, s’éveille des spires alors qu’il se rhabillait. Même demander s’il lui devait un supplément n’avait pas calmé ses nerfs. L’argent qui pouvait tout était impuissant à le soigner, à le sevrer.

Cette fois –là, il avait échoué. Débilement échoué.

En regardant Miaelle dormir, il s’était imaginé toute la facilité qu’il aurait eu à la tuer. Froidement.
C’était vain, mais tout semblait l’être, et si l’enfant avait ravivé l’espoir… il rendait plus cruelle chaque tentative.



*


Il y avait eu un temps, plus long que dans la salle du bas, peut-être que cela tenait du décor, de la conscience, pour Dolohov, du chuchoteur dans sa boite. Le blond rasait les murs, alors que Lev s’avançait vers le centre de la pièce, promenant ses yeux partout, à la recherche du moindre signe.

Ses gants blancs blanchissaient encore au contact du plâtre trop sec, l’adrénaline lui fusillait les rotules, et il n’osait encore affronter son adversaire, ses spires, un espoir qui gagnait en force avant de vaciller- feu d’artifice de possible.

Ses foutus yeux bleus scintillaient de malice, d’un tas de choses que Dolohov ne cherchait pas à comprendre.
C’était une des « fioriture » qu’il devait se résoudre à ajourner, pour vaincre les derniers relents de conscience:


Avez-vous déjà aimé ?


Il aimait pourtant la parodie qu’ils jouaient, l’aisance absurde de deux inconnus qui ne partagent rien, que des transferts névrosés et des hiatus imparables. Il frissonna, s’avançant encore, un peu moins franchement.  Habitué aux mots, ceux qui faisaient sourire ses conquêtes anciennes, qui les charmaient parfois, son angoisse étrange le réduisait à un silence un peu absurde.

L’autre trônait, comme un petit dieu appelant la crucifixion, sacrifice volontaire. Dolohov le rejoignit au centre dans la pièce sans qu’il ne recule, sans qu’il semble seulement respirer-  le feu du nom de famille dansait maintenant au niveau de sa pomme d’adam, délicieusement marquée. Il admira l’aplomb, l’air de défi, la manière de chasser une mèche de cheveux, comme une contradiction.

Les doigts trop blancs tracèrent une première ligne de poussière sur la carotide, en se glissant dans son cou, en l’attirant à lui, lentement, très lentement, irrévocablement.


Est-ce que ça vous aiderait de croire que je vous aime, que vous me plaisez atrocement ?


L’adulescent avait battu des cils très vite, et posé en réponse sa main sur l’avant-bras du noble. Il n’osait ni le chasser, ni l’attirer. Les yeux du mentaï tressautaient le long des hématomes, invoquaient miséricorde, espéraient ne pas reproduire d’erreur.

Puisqu’il ne devait pas  avoir à s’encombrer de délicatesse, et que de toutes façons l’époux d’Ailil ne pourrait rien promettre sur rien, il avait joint leurs lèvres prudemment, après une plongée qui lui sembla durer une éternité, presque chastement, attentif au moindre mouvement de recul.
Ca avait été une forme de soulagement, que Lev l’embrasse en retour, amorce le un autre baiser, déterminé, et plus vorace que ne l’aurait cru le mentaï.

Il n’était pas idiot au point d’imaginer pouvoir réellement plaire au jeune homme : à son âge on boutait le désir comme le feu dans la paille, le feindre était aussi aisé que pour une fille.
Sa propre capacité à ne pas être repoussé venait moins d’un franc désir que d’une habitude prise à la sauvette, pour des raisons évidente de sanité. Il ressentait d’avantage de trouble à soumettre un désir au sien qu’à regarder le corps masculin.

Bien sûr, certains détails pouvaient le prendre à la gorge. Ils s’apparentaient à de la nostalgie, tout au plus.

Mais Lev n’avait pas la répulsion du corps des hommes que Dolohov aurait spontanément imaginé en le voyant- et que la majorité des hommes se prêtaient entre eux. Un obstacle de moins.

Les mains descendirent du cou au dos, puis aux hanches, avec une facilité déconcertante, presque de la légèreté. Le jeune homme sursauta néanmoins, lorsqu’elles affermirent leur prise, l’attirant tout contre lui.

Les mains étrangères avaient saisi son col, sans dénouer la cravate, et s’accrochèrent aux pans du tissus, après quelques secondes de baiser. Parodie de fille, songea le mentaï, qui avait envie de déchirer à coup de griffe ce corps là pour découvrir les gerbes nues du Pouvoir. Il avait les joues pâles, encore,  une détermination à transformer sa gêne en autre chose – il fallait que Dolohov cesse d’imaginer des interlocuteurs et observateurs secrets partout.

Leur regard qu’il lança au jeune homme était celui d’un joueur qu’il n’était plus. « Alors, c’est tout ce dont Lev Thanaveys est capable, pour m’impressionner ? »

Les dents que Lev lui planta ensuite effrontément dans le cou l’amusèrent, presque autant que sa manière de se lover contre lui, câlin comme un chaton qui voulait se faire adopter, en ayant vaguement l’idée de la manière qu’il convient d’utiliser, sans oser totalement.

Alors qu’il soulevait doucement la chemise du jeune homme, le corps de Dolohov restait de glace, pour son plus grand malaise. Ce n’était pourtant pas que Lev soit dépourvu d’appât, au contraire, et en fermant les yeux, le mentaï pouvait retrouver sa maitresse. Il redoutait tant ce moment, de manquer ce moment.

Comme on peut être terrorisé devant la première fois, il redoutait que son propre corps le trahisse –ce serait une première, certes, mais depuis Vor, il fallait dire qu’il n’avait spontanément pas désiré quoique ce soit.

Il déglutit, les yeux fermés, plongeant son nez dans la chevelure de Lev Mil’Sha, qui devait bien s’en rendre compte, lui aussi.
Il sentait bon, un mélange de cendre, d’agrumes- il reconnut aussi les notes du plâtre qui lui barraient le cou d’un étranglement invisible. Le garçon osa poser une main à sa hanche, et Dolohov se mit à sourire dans ses cheveux, un peu caustique.

Ce n’était qu’une question de temps, se répéta-t-il.

De pressions extérieure dont il mettait un peu de temps à se défaire, de contrariétés orageuses. Au pire, Lev lui avait assuré qu’il serait prêt à tout, et même s’il n’avait visiblement aucune idée de ce que ça pouvait impliquer, le mentaï ne doutait absolument pas que ce soit sincère.


Il songea qu’étant commanditaire, il pouvait effectivement lui demander n’importe quoi ;  les circonvolutions étaient sienne : il pouvait contraindre Lev à tenter d’allumer par tous les moyens l’étincelle qui ne venait pas encore,  s’agenouiller, parler, supplier, caresser, tout cela n’était que des façons simples. …Lui demander n’importe quoi.

Etrangement, cela suffit à déclencher les choses.

Tordant son cou vers le haut, Lev caressait sa joue de la sienne, quêtant ses lèvres, encore. Il aimait l’idée que l’autre  pense maîtriser leur situation, redoute et guette « la véritable réalité de tout cela »
Il s’écarta pour achever d’ôter sa chemise, croiser le regard gris avant de la laisser tomber au sol, en l’observant choir.

Le torse du jeune homme était glabre, presque lunaire, hérissé d’os. Faute de tatouage, le réseau bleuté de ses veines courrait juste sous la peau, delta meurtrier. Il y a là la force de Lev, son cœur qui le bat jusqu’au coup, ses clavicules délicieusement marquées.
Dolohov souriait obliquement, de son demi sourire. Regarde, invoquaient les hématomes, le sourire de pénible triomphe, la simplicité démente du corps blessé, des mains qui restent en suspension, faute d’être saisies au vol.

Les mains de Lev auraient pu le fasciner, dans une vie antérieure, tant leur ciselage était gracieux. Il les avait fines, effroyablement fines, pour un garçon, et longues et laxes, ses doigts formaient des arches de cercles d’analyse invisibles.
Arachnides, fossilisées, lactescentes, il imagina lui-même les flammes qui devaient lécher ses doigts, lorsqu’il dessinait, la manière dont leurs langues intangible s’enroulait sur ce squelette adoucis de peau. Si fine !, criaient les croutes des jointures, si perméables au monde qu’il pourrait dessiner avec son propre sang, si les flammes stagnaient suffisamment.

Il se tourna vers le lit, offrant son dos, ses vertèbres, la vague des omoplates, l’anonymat du visage.
Le dos n’et qua fragilité. L’autre face, celle que les yeux gris peuvent rattacher aux mains.
Celle qu’il peut ramener à Marlyn, celle d’avant Astre, d’avant ses mystérieux changement d’apparence. Celle qui ressemblait à un squelette, qui lui piquait le cœur de dizaine d’os, et qu’il redoutait de perdre à chaque seconde, tant elle lui semblait friable.
Quelle force il avait trouvé en elle, quelle flamme…  

Le premier pas qu’il fit dans sa direction arracha au plancher un grincement indélicat, Lev le guetta du coin de l’œil, avant de se retourner, narquois, sûr de lui, de sa sève, de son corps.
Il l’attira donc, en reculant jusqu’aux frontières du lit.
Son propre désir s’accentuait, au fur et à mesure qu’il sentait Lev se débattre, attendre de sa part des signes, des indications qui ne venaient pas.


Est-ce que ça vous aiderait de prétendre mener le jeu où bon vous semble, un temps ?


Fort heureusement pour lui, Dolohov était moins vêtu qu’à l’accoutumée. Le sac de voyage ne lui avait pas permis d’emmener une tenue trop complexe, et connaissant les vents glacials qui soufflaient sur le Nord au cœur de l’été, il s’était résolu à préférer la chaleur à la complexité des motifs. Il s’était interdit de porter trop d’armes sur lui, de peur que les nerfs le tentent trop, d’en utiliser. Il se souvint de la première fois qu’il s’était déshabillé devant Marlyn, préfèrant le faire lui-même ; pour être sûr de ne pas la blesser.

Enfin, les doigts osèrent se poser sur  son torse, caressant davantage le tissu du gilet que sa peau. Les yeux du jeune homme courraient déjà sur son ventre, son sexe, remontaient aux yeux, comme brûlés.  Les yeux  gris se moquaient gentiment : Pas de fioritures, hein ?



Dame, faites que ça fonctionne, faites que…



Le mentaï chassa l’angoisse, défaisant naturellement sa propre cravate, en tirant sur un ruban bien particulier, tendit le bras pour l’envoyer sur le lit plutôt qu’au sol. Il n’était tellement pas capable d’envisager le cours des évènements qu’il préfèrerait ne pas être surpris, et avoir de quoi attacher ou ligoter l’autre, s’il le devait. Comme dans un sursaut, pour s’assurer lui-même, pour garder l’illusion de mener le jeu, Lev descendit sa main plus vite, jusqu’au ceinturon, qu’il entreprit de défaire, comme une excuse.


Dolohov se souvenait du marasme d’émotions d’Al-Vor, il se souvenait que le mur de Pouvoir de Lev était tentaculaire, et tetait d’attirer à lui toutes les consciences que Marlyn soulevait de sentiments plus forts, plus primaux : peur, colère. Lev voulait l’apaisement, il voulait la fusion, si peu naturelle, sa curiosité le poussait à l’aimer lui, à redescendre avec lui, à le comprendre.

C’était seulement face à l’hostilité brute et sourde de toutes qu’il s’était fermé, concentrant ses seules idées sur l’ordre « d’arrêter ». Il eut l’intuition qu’il y avait là quelque chose de naturel, chez lui, quelque chose d’exploitable pour trouver son don, le rallumer.

Leurs lèvres s’étaient rejointes, par jeu, pour anéantir  le sourire, la gêne innée – baiser d’orgueil, de conquête encore, que l’adolescent croyait mener, qui le rendait vulnérable.

Incapable, encore, de caresser volontairement, il préférait se fondre entièrement contre le corps de l’homme, liant ses bras autour du coup, puis son torse, puis le ventre, puis les reins, qu’il avait rabattu d’un coup, puis immobilisé. Le noble avait répondu  par un mouvement plus doux, plus continu marqué par la descente de ses ongles le long de la colonne, jusqu’aux  liens du pantalon, à la limite du bombé des fesses.

Le jeune homme détacha leurs bouches, de surprise peut-être, ou saisi par une irrépressible envie de parler ? Les doigts d’une de ses mains vinrent s’entortiller dans une mèche de cheveux, y traçant une ondulation plus organique, moins floue.

Était-ce possible qu’il ait déjà le souffle un peu court ? Oh, comme il avait dû aimer peu, dans ce cas.


As-tu déjà fait l’amour en dessinant ? –Et comment le contraire serait-il possible, alors que moi, qui n’ait pas le tiers de ton don, je ne pouvais m’en abstenir ?


Affamé de ce qu’il voyait luire dans les prunelles de son futur amant, Dolohov tenta d’imaginer. Quelles spires ? Quels chemins ? Quels frissons ?  Il posa son front contre celui de Lev, les yeux fermés, quémandant l’infini, l’inaccessible, l’intangible encore- ses reins ondulaient lentement.
Il imaginait les parallèles de leurs spires, les impétueuses attractions de leur lueurs, la manière dont ils plongeraient. Le souvenir du vortex de Vor faisait scintiller les souvenirs sous son crâne, tant l’ultime fusion d’avec Marlyn lui avait dévoré les sens.

Il attendait depuis des mois la morsure suivante, les retrouvailles, la fureur. Mais comment dire ça ?
C’était trop tôt, pour lui, en tous cas. Trop tard pour qu’il tolère un recul maintenant.
Trouve-moi, Trouve-moi.


Les gestes de puceau qui l’attiraient jusque-là lui devinrent insupportable, et la lenteur de leurs gestes bien trop théâtrales. Il n’était pas ici pour jouer, quand bien même il préfèrerait, pas ici non plus pour ménager la moindre sensibilité. Le souffle des lèvres entre-ouvertes de Lev caressait les siennes d’un invisible baiser beaucoup trop doucereux.

Il ouvrit les yeux sur la scène, l’attente délicieuse et abandonnée qui précède l’embrassade.

-Et bien ?, nargua-t-il.


Sa voix était douce, presque malicieuse, pour adoucir en défi ce qui était avant tout de l’agacement. L’autre ne sursauta pas, pas tout à fait.
Tenter, d’abord, de voir comment les choses se dérouleraient, s’il laissait venir à lui sa proie. Ce serait le plus simple, le moins traumatisant pour eux.

Le sourire était mielleux, écarlate, et Dolohov désira instantanément en arracher des gerbes de sang.


[Tain, le bordel que ça m'a fait, à l'édition XD j'espère que tout y est dans le bon ordre, maintenant  ]

Lev Mil'Sha
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MessageSujet: Re: /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeJeu 1 Aoû 2013 - 22:15

 
Son pouvoir palpitait, désarticulé et surtout, chauffé à blanc. Electricités, et l’orgueil de penser, une seconde, que peut-être « ce serait si facile ». Il gardait dans un coin de son corps la petite boule duveteuse et confortable octroyée par sa volonté de retrouver Marlyn. Comme un talisman vaudou qui l’empêcherait, le temps donné, de fondre, de craquer. D’exploser.

 

Le regard de Dolohov, dans sa nuque, aurait bien été capable d’incendier la mèche. Il n’y aurait plus eut, alors, de Serpent blanc.

 

Ses pieds foulaient le sol avec une certaine délicatesse, pourtant. Pas grand-chose en preuve de trouble, ceux qui agitaient ses spires – les éreintaient de tension. Il rendit, vaguement, sourires sur sourires, l’aplomb au fil des dents blanches, sans que l’âme n’y soit véritablement ancrée, pourtant.

 

Je suis prêt à tout.

 

Encore la faute à l’adrénaline. Sans doute. Conjoncture plus agréable que celle de n’être effectivement qu’un imbécile pervers, prêt, presque avec plaisir, à donner son corps en pâture à l’amant de sa sœur. C’avait semblé si facile, quelques minutes plus tôt. Si… naturel.

 

Le silence de la barrista lui écorcha les oreilles. Et son regard le brûla, le toucha dans cette fierté que pourtant il se targuait de ne pas avoir. Dolohov soulevait les remous de son âme, en jouait, et devait probablement, de son regard trop gris, tirer les fils de ses gestes, de son corps qu’il avait si facilement acquis - N’avait-il pas fait une grosse connerie ?

 En flash, la superposition des traits de Dolohov. Un sourire, ce qu’il y avait de plus serein, de plus compliqué. Puis soudain, sans que rien ne change, pourtant, les mêmes couleurs, les mêmes teintes, les courbes et les lignes entrecroisées, tout était pareil. Sauf qu’une partie de Lev s’était révoltée de la brutalité bestiale qui avait alors pointillée les lèvres trop fines de Zil’Urain. Il en frissonna presque. Une sonnette d’alarme un peu tardive gigotant dans les méandres primitifs de son cerveau. Il l’éteignit d’un sursaut de conscience. Presque avec colère. Avec un sourire.

 

Pourtant… Quel homme fascinant. Il était noble, jusqu’au bout des ongles, jusqu’au bout des tripes. Noble, sans toute cette foutue noblesse d’apparat, noble dans tout ce qu’il y avait de plus majestueux, dans tout ce que Lev admirait, secrètement, chez les gens. Le sublime de l’élégance, la délicatesse ourlée d’une fourberie olympienne. Un prédateur, un vrai, de ceux qui nagent dans les eaux limpides de leur propre puissance, innée, et par-dessus tout acquise. L’absolu contrôle des choses, le cliquètement parfaitement huilé d’une machine prête à tout pour parvenir à ses fins. Trop parfaitement, sans doute. C’était la névrose psychotique, qu’un instant plus tôt il avait entr-apperçu.

 

Cette évidence lui sauta aux yeux avec un étonnant réconfort. Oui, de la névrose. La perte de son don l’étiolait, courait le long des agrafes soigneuses de l’apparence et de l’orgueil. En ça, Lev se retrouvait. La folie latente qui bouffe les nerfs, détricote la réalité, la tord, jusqu’au point de non-retour où tout explose. En gerbes de sang. 

 

Instant parfait. Dolohov lève la main, en hésitant. Galaxie et métal ardent. La fièvre, quelque chose de profondément troublant, de brûlant. Les yeux plantés dans les siens, Lev eut la soudaine et sublime impression de pouvoir, une fraction de seconde durant, lire au plus profond de l’âme de son compagnon. Il fut, de tout son corps, happé. Une fraction de seconde d’éternité, où il se fondit en lui, trouva le chemin tortueux de ses angoisses, sa détresse –tellement évidente ! Quelque chose de profondément viscéral qui se débat, transgresse les barrières de la réalité, et pousse, boursouffle, cherchant à jaillir. La bête, toute la bestialité que les êtres cherchent à cacher, elle était là ! Au creux, des reins, des yeux, du ventre et du sang, comme une empreinte primitive, l’horreur de ce que tout le monde porte en lui, la volonté féroce d’être prêt à l’immonde, parce que la nature de tout un chacun est diabolique, abominable. Il y avait des yeux pleins de sang, dans ce regard de désespéré, une angoisse monstrueuse et tentaculaire. Dévastatrice. Fasciné, Lev observait l’animal, soudain, en face de lui, l’être de chair et d’os dont l’aura dépassait la simple enveloppe charnelle, et hurlait au monde ses miasmes infernaux.  Lev eut soudain la certitude que ces doigts blancs allaient se refermer sur sa gorge et serrer, serrer dans le muscle, et faire jaillir de la perfection d’albâtre, comme d’un pinceau trop pur, les serpents lourds de ses veines écrabouillées, de son sang éclaté charriant la couleur vive de tout ce qu’il y avait de bouillant, de terrible en lui. Par le Dragon…

 

Lev cilla. La main chercha plus haut, et sembla trouver, comme par elle-même, le geste adéquat, conventionnel. Plus loin. La porte était plus loin. Il cligna des yeux, à nouveau, l’air douloureusement rêveur. Il se détourna mécaniquement, chaloupant légèrement, après une hésitation qui pouvait tout laisser paraître.

 

En secouant la tête, il offrit son dos, à nouveau, à l’homme qui cette fois, le lui avait explicitement demandé. Comme après l’éveil, les détails s’étiolaient. Par quel mécanisme…  Qu’est ce qui… Pourquoi ? Comment avait-il pu concevoir ce qu’il venait de comprendre – puis d’oublier ? Il baissa discrètement les yeux. Troublé et presque honteux de ce que son corps affichait en dessous de la ceinture. Presque honteux de son esprit qui avait explosé –oui, vraiment – sur le simple détail des yeux de Dolohov. Mais il y avait… Oui, il y avait forcément, quelque chose. Loin des corps, de ces couloirs bien éclairés, de ce lupanar étonnant, du monde qui tournait, autour, tout autour. Il y avait l’irraison, la peur du noir et des prédateurs. La survie qui jaillissait par saccade dans tout ce qu’elle avait de plus animale. Dolohov survivait.

 

Dolohov le suivait.

 

Lev eut soudain énormément conscience de son propre corps. Comme si celui-ci lui affirmait la vie qui coulait en lui, comme si soudain, le danger se faisait plus proche – et c’est véritablement ce qu’il ressentait, réalisa-t-il. Oui, Dolohov Zil’Urain lui apparaissait à présent comme douloureusement dangereux. D’un danger auquel ses spires  inefficaces ne pouvaient le protéger. Oh, ce n’était pas faute de se tortiller, de prétendre déborder, à l’attaque, comme d’elles-mêmes. Songeur, Lev analysait la situation sous ses angles les plus angoissants, frissonnant, avec une certaine satisfaction, également. Il était devant une situation inédite, des sentiments profonds et viscéraux qu’il n’avait jamais ressenti alors, et cela était assez exceptionnel pour qu’il tente de comprendre son propre fonctionnement. La manière dont Dolohov parvenait à se jouer d’eux.

 

Il tendit la main, et toucha la poignée de la porte.

 

Et l’explosion, tant attendue, le renversa, fit exploser son pouvoir, écartelé par sa propre tête. La brutalité du geste, sa bestialité, l’instinct qui en dissociait la férocité, amena ses spires animales à se dresser. Plus encore par le dos, il sentit sa nuque s’embraser, comme pour se soustraire aux dents de l’adversaire. Le mur larda sa colonne vertébrale dans un choc mou qui lui coupa la respiration. Ses doigts trop fins se posèrent doucement sur le poignet blanc. L’éclat, dans les prunelles, indécent. Qui rencontre l’étincelle démente, plus encore que l’image brûlante qui menaça de sombrer dans la réalité, de décoller les chairs de cette main rude et invasive. Le dessin’stinctif glissa les barrières fades du monde. Une arborescence ardente qui le brûlerait tout entier. Il ne resterait que…

 

Leurs regards se croisèrent.

 

La flammèche soudain soufflée. Soufflée ce qu’il avait sous les yeux. Un être rongé, rongé en profondeur, les nerfs sous la peau comme des couteaux prêts à mordre, il n’attendait que ça. Lev ouvrit la bouche, comme pour feuler, mais se ravisa. La raison forçant les portes de son cerveau : c’était encore trop tôt. Il nota, cependant. L’affront, la faille, le gouffre obscène que l’autre exhibait de ses gestes devant ses yeux. Devant sa bouche. Devant ses lèvres. Lev ferma les paupières, gouttant la rage du bout de la langue, comme il aurait sucé une plaie sanglante. Ce baiser n’en était un que par définition. Lev avait davantage l’impression d’une remise à niveau, d’un test, ultime ou non, de quelque chose de nécessairement violent et choquant.

 

Il ne ressenti rien d’autre que de la brutalité, dans ce premier baiser. Et c’était profondément fascinant d’associer à cet acte pudique, le déroulé complet, le résumé de ce qu’ils vivaient, là, maintenant. Un contrat basé sur le sexe, sans rien de désir ou du besoin, juste l’acte charnel en tant que tel. Jamais Lev n’avait été aussi loin. Jamais il n’avait eu besoin de dissocier la chair et le plaisir. Il en ressentit une certaine forme de frustration, que l’autre, finalement, n’en veuille qu’à son corps comme avec, presque, n’importe lequel, sans qu’aucun désir, manifestement n’ébroue quelque corde sensible. Il s’effaça doucement. Sa main alors posée le long de la joue fraichement rasée, qui s’échappe, lui revient. Presque à regret.

 

Manipulateur, hein ? Tout cela était-il prémédité ? Dolohov parvenait-il réellement à se couler au visage l’hypothétique sérénité de ce début de soirée, pour enfin la faire voler en éclats bruts de bête traquée ? Etait-ce encore autre chose, une fourberie quelconque chargée de l’effrayer, de lui faire comprendre l’indécence et le danger de la situation ? Si c’était le cas, vraiment, c’était pervers. Profondément vicieux. Pas assez, pourtant, au regard de l’esprit névrosé de Lev, pour qu’il trouve ceci impossible.

 

Lev grimaça. Il aurait presque pu croire en un défi – relevé avec brio – de qui est le plus fou des deux. Quelques minutes plus tôt, la réponse aurait forcément, et orgueilleusement peut-être, été sa propre personne. A présent, et pour la première fois de sa vie, il eut l’intuition que, peut-être, il existait plus fou que lui. Plus… En manque.

 

Il entra dans la pièce, et le concert craqué de ses doigts squelettes résonna contre le haut plafond.  

 

Oui, c’était cela. Le manque. La drogue qui appelle, murmure au supplice les affres de la privation. L’esprit qui tressaute en tango diabolique, au rythme des spasmes du corps qui se contracte, dans l’attente. Lev le connaissait, ce manque. Ses hiatus étaient fréquents, et terriblement traumatisants. Preuve en était ces dernières semaines mort-vivantes.

 

Il eut l’intuition, que peut-être, il avait sous-estimé ce qui animait le noble. Oh, les termes du contrat étaient clairs. L’enjeu, définis, rudement. Mais. Mais Dolohov lui apparaissait, bizarrement, comme quelqu’un d’exceptionnellement doué pour obtenir ce qu’il voulait. Un véritable manipulateur. Hors, un véritable manipulateur, malgré toutes les émotions violentes du monde, ne dévoile jamais des troubles qui pourraient le desservir. La problématique était donc la suivante : Soit Dolohov avait fait exprès de laisser craquer le masque pour amplifier les termes du contrat, la nécessité de sa résolution, en trouvant un tremplin provisoire face aux névroses qu’un Lev ardent ne pouvait que conceptualiser, soit il y avait un gouffre en lui, quelque chose de cassé, de prêt à mordre, d’effroyablement violent qui menaçait de jaillir. Les coutures craquaient. Et Lev ne savait pas laquelle des deux solutions était la plus agréable à l’esprit. Parce que simuler à ce point la furie, la folie, c’était inhumain et profondément dérangeant.

 

Un sourire. Les épaules de Lev se détendirent imperceptiblement. La petite boule duveteuse, dans sa cage thoracique, changea d’aspect, changea de couleur. Changea de but. Il promena un regard perçant sur l’entrelacs délicat des poutres apparentent au plafond. Un lourd baldaquin ouvert trônait dans la pièce voisine, séparée par une arche élégamment sculptée. La pièce n’était sans doute pas la plus onéreuse de l’établissement, mais elle avait un cachet certain. Un cachet d’anonymat –probablement lors du paiement. « Croyez-vous qu’il y a là prétexte à fanfaronner » ?

 

Lev laissa ses doigts courir sur l’albâtre des murs. Texture crayeuse, poussiéreuse, qui tâche les doigts. Il lécha sans y penser la coupure à sa lèvre, et finit par la rouvrir de la langue. Le sang tapissa son palais, et trouva directement le chemin de ses sens : il avança. Cilla, lorsque son visage fit face à celui de Dolohov. Hésita.

 

Observer l’homme, l’enveloppe charnelle, et s’armer de couleurs, de teintes et d’ombres. Ses prunelles glissaient, presque lascives, purement joueuses, ou presque. Jouer des formes, il déshabilla littéralement du regard le noble, qui encaissait, restait. Immobile. Il semblait avoir retrouvé une partie de son calme, et Lev n’avait plus l’impression qu’il risquait de lui sauter dessus et de le mordre à tout moment. Non, il se contentait d’observer, silencieux, presque glacial. L’éclat dans les yeux, froid comme une étoile.

 

Puis ce fut lui qui s’avança.

 

La différence, qui étonnamment s’imposa à l’esprit de Lev, fut la chaleur. Il avait l’impression d’être douloureusement chaud. D’avoir au creux des mains des flammes brûlantes, qui irradiaient ses veines, jusque ses tempes qui tambourinaient doucement. Une vague de chaleur qui ne fut pas brutale, mais irrévocable. Aussi lente et dévastatrice que la marche en glissée de Dolohov à travers l’espace.  Dolohov, qui posa un doigt maquillé de blanc contre son cou. Finition du geste qu’il avait ébauché, avant de lui indiquer le chemin, la marche à suivre ? Non, il n’y avait là qu’un glaçon blanc. Une trace polaire qui cisailla sa carotide. De la buée aurait pu sortir de la bouche fermée de Dolohov. Et s’il avait léché les prunelles métalliques, le froid l’y aurait probablement collé irrémédiablement. Il frissonna de ces étranges conjonctures qui jaillissaient par salves. Frissonna de ce contact, tellement différent en apparence, mais tellement semblable au baiser volé contre la porte.

 

L’esprit. C’était l’esprit qui contrôlait les gestes, cette fois-ci. Lors du premier baiser, c’était la folie, quelque chose qui avait fait craquer, pour la première fois peut-être, Dolohov. Mais toujours, d’apparence, le cognitif qui tirait les fils. Lev en grimaça d’agacement, presque. Bien entendu, c’était un contrat. Un marché. Mais à ce point dénué de frissons et de désir ? A ce point vissé à la symbolique qu’il en perdait tout attrait de chaleur humaine ? Lev se sentait emblème, médaille, trophée. Dans tout ce qu’il y avait de plus illusoire, métallique, froid. Un biais oblique, une route à manger. A s’injecter. Dolohov ne désirait rien d’autre que la finalité, et Lev s’était probablement illusionné lui-même, d’en concevoir, peut-être, l’extension séductrice qui aurait pu être, à elle seule, sa motivation.

 

C’était bien la première fois de sa vie que l’on voulait coucher avec lui sans aucun appât du corps. Et contre toute attente, ça le bloqua désagréablement. D’autant que sa propre faiblesse tirait ses méandres d’une vérité toute simple qu’il ne parvenait pas encore à conceptualiser complètement : Dolohov lui plaisait, décidément.

 

Oh, l’âge n’y avait rien à voir. Il se prenait à pester contre la raison qui empêchait les corps de prendre le relais, mais il devait bien s’avouer que c’était cette même raison qui tricotait les fils de son attirance pour le noble blond. Ce n’était pas le corps, parfaitement conservé, du reste, non, c’était la virilité excessive de ses gestes, ce qu’il ne parvenait plus, de moins en moins à véritablement camoufler, ce soir-là. Quelle extase d’être au cœur de ce vortex animal, lorsque celui-ci exploserait enfin. Lorsque le contrat s’étiolerait, et jaillirait en bouquet d’étoiles blanches : Lev voulait observer ces muscles se contracter jusqu’à la rupture. Jusqu’à la rupture de l’esprit.

 

Peut-être qu’il pensa que jouer les pucelles effarouchées était ce qu’attendait le noble. Ou peut-être que c’était ce qu’il était réellement, que le fait de ne savoir sur quel pied danser, pour honorer de manière optimale, sa part du contrat, le rendait débilement candide et hésitant.

 

Il voulut dire quelque chose, pas vraiment s’excuser – un Thanaveys ne s’excuse pas – peut-être expliquer. Quoi ? Le tumulte des sentiments qui jaillissaient de sa poitrine ? Le souffle trop froid de Dolohov sur sa clavicule ?  Il n’y avait rien à expliquer, rien faire pour apaiser la tension dure qui émanait d’eux. Lev se retrouvait à présent embarqué dans un tourbillon trop rapide de choses, d’actes, de paroles tues, d’odeurs et de couleurs, et peut-être que c’était la faute à sa léthargie précédente, mais il n’était plus en mesure de s’agripper, de stopper le flux, de réfléchir sereinement.

 

Il gémit, parce que les gants accentuaient le trouble terrible. Spontanément, il les porta à sa bouche, et les tira délicatement par le bout des dents. Honorer sa part du marché. Voilà au moins une certitude qu’il convenait de ne pas oublier. Mais comment l’honorer, suffisamment ?

 

Il se demanda, une seconde, s’il n’avait pas été banalement, drogué. Les brumes de son cerveau, pourtant, n’avaient pas la couleur des plantes, et… Non, c’était autre chose. C’était Dolohov. C’était ce foutu Dolohov, l’amant de Marlyn, avec lui, là maintenant, qui l’écrasait de sa froidure, ses dents de givres tirées vers le haut par les lèvres obliques. Il voulut contraindre ce corps à la chaleur, alors il tenta de lui transmettre un peu de la sienne. Sa joue posée contre son épaule, sa langue prit les contours des muscles fins du cou, cherchant la saveur épicée de la transpiration. Il grimaça, lorsque ses papilles se révoltèrent des traces, et de rien d’autre, que de l’après rasage. Agacé, il mordit, comme si les dents pouvaient trouver, à défaut de la langue, le goût véritable de l’homme.

 

L’autre n’eut pas même un frisson.

 

Les mains de Lev se firent un peu plus inquisitrices. C’était troublant, tout de même. Parce que l’autre bougeait, également, des airs de faux désirs peints sur la bouche. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Les masques se creusaient, mais se durcissaient, c’était terrible. C’était illusoire. Ce n’était qu’une farce, tout ça.

 

Il y eut des caresses, il y eut des souffles, il y eut des transferts de chaleur. A sens unique. De Lev à Lev, pour tout dire. Il y eut l’entrelacs des choses, du temps et de leurs doigts, du nez de Dolohov dans ses cheveux, comme lui-même un peu plus tôt. Il y eut ces sortes un peu puériles de préliminaires, les jeux des premiers amours lorsqu’on se cherche et qu’on ne se trouve pas. Pas la bonne longueur d’onde, sans doute. Lev était bouillant. Dolohov était glacial.

 

Puis, il y eut l’effeuillage, presque délicat. Un peu trop, sans doute, pour les deux hommes qu’ils étaient, pour la situation atypique et certes un peu glauque. Mais Lev prit son partie de profiter de ça, de tout le reste, après tout. Il y avait une certaine langueur, malgré tout, malgré la chaleur. Une langueur faite de regards en travers, de flous irisés, des pensées qui tourbillonnent, et cherchent à se fixer. Encore ce foutu cérébral. Il se demanda un instant si c’était ce que, finalement, Dolohov souhaitait. S’il prenait véritablement du plaisir à toute cette lenteur, à toute cette « fioriture ». Il était l’instigateur du contrat, pourquoi, si non, n’aurait-il pas prit la suite des choses en main ? Il y avait certes, là, quelque chose à méditer, à comprendre. Sur l’homme, le personnage, le masque.

 

La peau, et son torse nu que l’autre regardait, le visage sombre comme une nuit glacée. S’il y eut sourire, il fut bref, et sans âme. Lev s’avança à nouveau, une parodie de danse que son corps évoquait par percées de tendresse maladroites. La vérité était qu’il n’avait jamais fait l’amour avec un homme. Non pas qu’il n’en tire quelque gène que ce soit, ou qu’il n’en ait alors pas eut « l’occasion » simplement l’envie ne s’était pas présentée jusque son terme. Il n’en avait pas eu besoin, alors, c’était simplement ainsi, ce n’était pas un aboutissement. A la différence d’aujourd’hui. Aujourd’hui, où l’acte en lui-même était une finalité. Sans aucun chemin pour y parvenir, cette perspective était vertigineuse, d’angles morts et de spéculations vaines.

 

Pourquoi ne prenait-il pas, enfin, les choses en main ?

 

Lev eut un geste un peu brusque, en regardant Dolohov se décider à se déshabiller. Comme on s’assoit pour diner. Etait-ce de la morgue ? Du dépit ? Du regret ? Du mépris ? Il se révolta soudain de cette maitrise parfaite de ses gestes, trouva en la lenteur des doigts une allusion torve à ce qui allait suivre. Soudain, il se sentit dans la peau d’une bête traquée.

 

La tension montait. Alors que ses sens aiguisés par l’étrange situation tentaient de se fier à l’expérience malheureusement vaine de son passé. Aucun point d’appui, aucun garde-fou. Dolohov semblait attendre de lui qu’il fasse le premier véritable « pas », mais Lev ne savait tout simplement pas quoi faire. Oh, des caresses et des lovures en coulées, des baisers, voraces et/ou non, ça oui. Mais le reste ? Quoi, comment cela se passait-il véritablement entre « homme » ? Si l’autre avait besoin de ça, de l’acte en lui-même, pourquoi ne faisait-il pas avancer les choses « plus vites » ? Peut-être que ça l’amusait, de voir Lev se dépêtrer dans ses spéculations griffues. Peut-être qu’il était pervers au point de lui imposer ça, que c’était le seul moyen de prendre son plaisir. Et pourtant… Pourtant, la bosse sous la ceinture était loin d’être feinte. Pourquoi, alors, par le Dragon, Lev avait-il toujours l’impression qu’ils étaient en train de diner, malgré ses tentatives certes un peu timides ?

 

Comme s’il avait lu dans ses pensées, Dolohov, drapé de sa superbe, le nargua, comme si tout ceci était évident, qu’il n’y avait rien à en tirer qu’une banale pénétration. Lev leva le visage vers lui, les prunelles soudain plus dures. Il se retourna lentement, et se dévêtit complètement, avant de se redresser, toujours de dos. Ses poings se contractaient régulièrement, ses tendons dansaient.  

 

Lev était un être binaire. Il pouvait passer du tout au rien en une fraction de seconde, ou plus familièrement péter une durite d’un instant à l’autre. Peut-être que Dolohov n’en eut pas conscience, ou peut-être que c’était ce qu’il attendait, finalement. Le pousser à bout, comme il l’était depuis le début. Retrouver un pied d’égalité dans la folie furieuse ? Qui serait assez stupide ou inconscience pour vouloir provoquer ça en Lev ? Il aurait dû avoir peur. Il aurait dû comprendre qu’un Lev fou, sauf pléonasme, était plus dangereux que tout. Ou peut-être qu’il savait. Que le défi, de taille, ne lui semblait pas insurmontable. Dans un doute affreux, Lev envisagea la possibilité, qu’éventuellement, ce défi pourrait être de force égale.

 

Qu’importe, Dolohov se colla contre lui, nu lui aussi. Sa main remonta le long de son ventre, dessina les pectoraux avec une lascivité un peu méprisante. Et toujours cette froidure diabolique. Lorsque la main effleura son cou, il se retourna soudain. D’une immobilité granitique, il explosa, littéralement, ses muscles bandés attrapant le corps de Dolohov, profitant de son déséquilibre pour le plaquer brutalement contre le mur le plus proche. Il n’eut pas le temps d’aller plus loin, qu’un atémi sauvage lui explosa le plexus solaire.

 

Il n’était pas un pantin.

 

Les yeux fous, il réajusta sa vision trouble, constatant qu’il était tombé à genoux devant Dolohov. Il se demanda vaguement pourquoi les coups ne pleuvaient pas, et pensa que l’atémi était une réaction instinctive. Peut-être. Mais pas que. Une multitude de liens avaient jaillis en sifflant, et maintenaient le noble plaqué au mur comme un vulgaire papillon.

 

Lev se redressa lentement, ses articulations malmenées. Un sourire tordu déplaça ses lèvres. Dolohov ne se débattait pas, et c’était inutile. Ses spires chantaient, alors que l’Imagination, ouverte comme un cosmos, pulsait dans ses tempes folles.

 

Son regard avait changé. Il était diabolique. Et Dolohov le regardait sans ciller. Le sentiment de toute-puissance n’effaça modestement devant le tableau jouissif d’un Dolohov nu épinglé au mur. Il voulait du dessin, il allait en avoir. Et Lev, soudain, avait très envie de « ça ».

 

Sa main arachnéenne s’approcha doucement, esquissa un geste vers la joue, parodie mesquine de celle de Dolohov dans le couloir. Sa voix prit les accents rauques d’un plaisir à demi contint :
 
-          Je ne l’ai jamais fait avant. Pardon pour ça, mais quand je disais « sans fioriture », je parlais sans tout ça.
 
Le bout de ses doigts entra doucement en contact avec la carotide palpitante. Le torse imberbe attirait son œil comme une lenterne, et il laissait son regard apprécier à sa juste valeur le physique avantageux de l’homme mûr. Il devint presque rêveur en disant :
 
-          Mais j’ai changé d’avis.
 
Il eut l’impression que Dolohov allait parler. La bouche s’ouvrit-elle ? Il y dessina un bâillon efficace, le privant de protestation ou d’objection. Son poing fermé s’appuya sur le mur, à hauteur de l’oreille de Dolohov. S’appuyant dessus de son poids en bascule, il fit craquer méthodiquement ses phallange, tout prêt du pavillon. Un frisson ? Enfin.

 

Lev se rapprocha un peu plus. Dolohov fixa ses lèvres, les yeux grands ouverts, et Lev n’y pu lire quoi que ce soit. Le bâillon disparu, mais ses lèvres se posèrent à sa suite sur celles du noble. Elles ne lui parurent plus aussi froides lorsqu’il mordit dedans comme un forcené, faisant jaillir le sang.

 

Lev atrappa la tête de Dolohov et l’attira contre lui, plus encore, alors que la canine plantait la blessure déjà formée, qu’il tendait le cou en avant pour lui faire mal, encore un peu plus. Soudain, il cessa. La main de Lev se resserra très légèrement sur les parties génitales du noble, lui signifiant de lâcher prise. Ce qu’il fit avec un regret évident. Lev grogna, et s’essuya d’un revers de l’autre main le sang qui barbouillait son menton.

 

Les spires brouillaient son regard. Son sourire de dément sembla faire réagir le noble impuissant, mais il n’eut pas l’envie de creuser plus le sujet. Il murmura, provoquant :
 
-          Quel dommage, nous aurions pu jouer à qui domine l’autre par le dessin.

 
Sa main n’avait rien perdue de sa douceur, lorsqu’elle commença doucement à masser l’entrejambe de Dolohov.
 
-          Mais c’est bien le but de cette rencontre, non ?
 
A nouveau, Lev eut l’impression que Dolohov voulu parler. Il pencha la tête de côté, et s’approcha par le biais du cou du noble. Dernière mise à l’épreuve. Si Dolohov échouait, Lev le tuerait immédiatement. Le bâillon se dématérialisa, et imposa un silence entrecoupé de respirations rapides et sifflantes dans la pièce. La vie de Dolohov ne tenait plus à grand-chose, à cet instant. Oubliée, Marlyn, il trouverait bien le moyen autrement. Sa langue darda et toucha la peau hérissée.

 

Un instant de flottement sembla les rapprocher, soudain, bien plus que la proximité évidente de leurs corps nus.

 

La main de Lev, inoccupée, vint caressée très délicatement le cou de Dolohov, massant presque le début des trapèzes, sinuant le long de la clavicule. Il ferma les yeux. Enfin. Enfin il y avait « quelque chose ». La peau du noble était salée. Subtilement, et poivrée, une pointe de musc : ce qu’il fallait. La mort attendrait.

 

Rêveur, Lev remonta le long de sa mâchoire, mordillant, et murmura au creux de son oreille :
 
-          Bravo, tu viens d’éviter une mort un peu barbare mais qui aurait été divertissante.
 
Le tutoiement revint spontanément, et cette fois-ci sans gêne aucune.

 

Ce n'était même pas du sadisme, juste une constatation. Ce n'était pas pour rabaisser Dolohov, tout ça, enfin, ce n'était pas le but en soit. Non, c'était autre, c'était chaleur. Comme une excuse, il lui expliqua :

-         Ce... C'est nécessaire, tu vois. Sinon, tu aurait pu mourir de froid. Et j'veux pas, ça.

Sa bouche reprit ses va-et-vient, gouttant avec plaisir la trace du trouble de Dolohov. Joueur, il embrassa son sternum, tandis que ses deux mains se réunissaient au même endroit. Il ne sut pas vraiment pourquoi, peut-être était-ce le simple contact physique, ou la situation d’impuissance, mais il n’eut pas à masser trop longtemps. A vrai dire, l’excitation sexuelle de Dolohov était évidente, et Lev en fut tout émoustillé. La faculté de parler sans attendre de réponse lui plaisait. Dolohov était quelqu’un de véritablement trop dangereux, et son pouvoir des mots pouvait rivaliser avec ses spires à lui. Alors il ne se priva pas, et laissa l’Imagination danser le tango contre ses reins, à mesure que son désir grandissait, et que les spires palpitaient.


 

A présent, il était temps d’entamer les choses sérieuses. La liberté était un luxe venimeux, et terriblement jouissif. Lev avait une conscience accrue des liens qui entravaient le noble, leurs volutes se mélangeaient aux chemins que son esprit, fondu à l’Imagination, arpentait constamment, et ce devait être la même sensation que de soustraire un esprit à sa volonté propre. Dolohov ne pouvait à présent plus rien faire, hormis subir les sévices qui déjà, s’esquissaient dans sa tête malade.

 

Il posa sa joue contre le ventre de Dolohov, et ferma les yeux.

 

Sans lui, rien de tout ça n’aurait été possible. Il ne serait probablement pas sorti de sa léthargie, il végéterait toujours dans cette putain d’Académie, le teint blafard et des cernes à fleur de peau. Il chuchota, plein de ferveur :
 
-          Merci.
 
Puis, il prit le sexe de Dolohov en bouche – il n’eut qu’à baisser la tête. Il entendit un vague halètement, mais il ne put l’interpréter, qu’importe. Ca il savait faire, et bien. Ses mains prirent position le long des flans, redescendirent sur les hanches, effleurèrent les fesses. Sa langue susurrait des caresses du bout des papilles, tentant d’accentuer le plaisir à chaque aller et retour. Ses dents mordillèrent doucement la fine peau des testicules, histoire, peut-être, de lui faire sentir la proximité de ses dents. Il aurait pu y mordre à pleine dent, si cela ne desservait pas ses intérêts. Non, il se contenta de frotter son visage contre l’entrejambe du noble, en parodie d’animal obéissant. Finalement, alors que le membre dressé tressaillait, il ouvrit la bouche et le sentit fondre le long de sa gorge. Il ferma les yeux, savourant le parfum rude d’un sexe d’homme, admirant sa douceur et sa force, sa rudesse, alors qu’il sentait Dolohov contenir ses reins, crispés sous ses mains.

 

Son plaisir, à lui, grandissait de même, alors que les spires chantaient leur pouvoir et le corps de Dolohov enserré entre leurs mains expertes. C’était comme si son propre corps recouvrait celui de Dolohov de filins, comme s’il était plaqué contre lui, tout en étant dissocié. Que se devait être dégradant pour lui d’être à ce point impuissant, aux affres d’un plaisir qu’il ne pouvait pas contrôler, ni décider ! Lui, le manipulateur, ses mots ne pouvaient à présent plus lui être d’aucun secours. Il lui faudrait, à présent, se laisser aller. Ou mourir.

 

Avec satisfaction, Lev constata que Dolohov choisissait la première solution. Un premier coup de rein, léger, de par les liens qui l’entravait, signifia au jeune homme qu’il était sur la bonne voie. Espiègle, il ralentit la cadence, pour accélérer à nouveau, ses lèvres se faisant plus dures, plus brutales. Ses mains se serrèrent, crispées à la peau comme une épingle à son tissu, et quelques liens se desserrèrent, afin de laisser plus d’amplitude au noble.

 

Les reins animés d’un feu brûlant, Lev sentait son désir augmenter, augmenter, chavirer les spires qu’il tentait de contrôler, mais celles-ci se rappelaient à lui d’elles-mêmes, vrombissant de pouvoir, d’irréalité infernale. La sensation terrifiante du plaisir spirituel et physique tira plusieurs gémissements d’anticipation à un Lev expert dans ce qu’il faisait. D’un coup d’œil, il jaugea la nuque de Dolohov, renversée en arrière, la tête appuyée contre le mur, et le cou crispé d’un ardent plaisir. La vue de ses veines saillantes excita encore davantage Lev qui se releva d’un bond et se cola contre l’homme, mordant sauvagement ses muscles offerts, sa respiration chaloupant quelques mèches de cheveux humides de sueur. Leurs deux corps s’imbriquaient parfaitement, les courbes de Lev trouvant leurs places dans celles de Dolohov, mais il n’y avait aucune élégance, aucune délicatesse. Juste l’envie, organique, le frottement du bassin contre celui de l’autre, dans l’espoir d’une délivrance subite.

 

Lev ferma les yeux, son visage brossant celui de Dolohov, son nez à l’affut des courbes dures, des os sous la peau. Sa main droite vint continuer le travail de sa bouche, alors que l’autre griffait les fesses du noble.

 

Il y eut une sorte de compréhension, voulut-il croire. Quelque chose qui céda, lorsque Dolohov poussa son premier râle de plaisir. Un râle animal, qui venait des tripes, un râle trop longtemps réprimé qui jaillissait à la face d’un Lev bouleversé. Son visage coula, ses traits se crispèrent, changèrent imperceptiblement. Lorsqu’il ouvrit ses paupières aux cils dorés, deux flèches de métal se plantèrent directement dans l’âme de Lev. Il lui rendit son regard, et leurs deux fièvres se mélangèrent.

Le jeu avait assez duré. Dressé d’orgueil, les sifflements de son pouvoir envahirent son cerveau et son corps tout entier, mais il n’y prêta, étrangement, aucune attention. Le regard toujours cloué à celui de Dolohov, à sa bouche, ses lèvres, ses dents, le sang qui maculait sa joue, son nez droit, et son front plat, il eut envie de lui, comme jamais il n’avait eu envie d’un homme.

 

Dans un sursaut déchirant, les liens multiples disparurent, sillonnant d’une terrifiante esthétique, le corps de Dolohov d’un entrelacs cinabre et bleuté. Lev, après une seconde de contemplation infinie, lui tourna alors le dos. Et s’allongea sur le lit.

 Il lui offrait sa nuque. Et Seul le Dragon saurait ce que Dolohov en ferait, à présent.


Jouons.

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MessageSujet: Re: /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé]   /!\ +18 | Donnez-moi de nos âmes à damner [Terminé] Icon_minitimeMar 3 Sep 2013 - 19:15

D’abord, le sourire fut effacé par une marée noire-pétrole. Des nappes de combustibles qui découlaient du cerveau, presque liquides entre les doigts, pour chasser le regard abyssal. Effacer le rouge, la quête du vermeil, du cercle parfait de ce qui composait les corps.
Le corps ployait, arrachait les tissages qui le dissimulaient, courbé brutalement, presque colère. Ses fesses apparurent indécentes, des gouttes blanches.  Ce fut moins l’image que l’impulsion intérieure qui le poussait. Un peu d’habitude, aussi, même si son cœur battait effrontément de crainte.
Comme si le corps percevait les spires à l’aveugle, une autre catastrophes qui le jetterait convulsant au sol ; l’anticipait autant qu’il la désirait, qu’il désirait exploser la charpente qui s’offrait à son regard. Automatisme de ses propres mains, comme pilotées  : bon sang, que c’était adolescent -Chasser le pantalon, en lissant bien contre la jambe la poche contenant l’anesthésiant- toujours à titre de sécurité.
L’autre, déjà, carrait les épaules, les muscles jouaient sur ses omoplates des parodies d’ailes, battant l’insurection, le retour à la droiture. Et Dolohov avait toujours eu pour le sexe indéterminé des anges les plus furieux fantasme.

Il n’y eut pas, en lui, d’intuition de la fureur, rien que sa paranoïa ordinaire, rien d’insurmontable à autre chose que son égo. N’était-il pas mentaï, son corps seul était-il dépourvu des moindres défenses ? Oh, contre les visions, la chair est faible, et en Imagination, il dansait contre ce pouvoir fait d’os. La main dansa sur le tronc, là où la poitrine de Marlyn soulevait ses tatouages devant les flammes, là où l’encre semblait danser, lorsqu’il fermait les yeux assez fort, et ouvrait les cercles de son Imagination pour l’accueillir en lui, infinie et totale. – Là où manquaient les courbes, Dolohov les dessinait, et c’était comme les faire apparaître en givre sous ses doigts, et rien ne manquait sous ses paupières closes, rien,  même pas les lignes blanches qui avaient dévoré l’encre au coup, galaxie toujours figée ; par quelqu’un d’autre, cette fois.
Était-ce à cause de l’inversion (là où la peau de Lev était pleine, plus douce sous les doigts que celle de sa sœur) était-ce l’arrivée au buste, l’arrivée au visage, l’afflux nerveux qui lui faisait crépiter les iris, la détonation de peur à laquelle le mentaï s’attendait à devoir faire face ?  Le regard continuait de l’abrutir, tant les vides y laissaient des trainées noires, que l’immobilité du corps rendait insupportable.
Là, ce fut très net.
Comme le coup qu’il porta / et il sut que ç’aurait dû être la tempe, mais Dragon, comment, sans la conscience, percer ce crâne de sauvage et les vagues d’obsidienne pure sans enflammer l’univers ? / il perçut le désastre comme il avait claqué l’os-astre. Est-ce qu’il avait rêvé le nuage de plâtre, sa sensation poussiéreuse et crue, dans le dos ? C’était un linceul immonde d’os broyés. D’autres os, encore, oui, et Lev agenouillé semblait offrir les siens à ses pieds sans botte.
Rien pourtant, rien, du tout ne lui évoquait sa propre grandeur, ou une quelconque maîtrise. C’étaient ses propres illusions qui se couchaient, mauvaises joueuses.

De l’instinctif, un peu dérisoire.
Dolohov n’avait pas d’émotions face aux coups- que face aux yeux, que face aux spectres et aux dames. Jamais il n’aurait ravagé ce corps –là, pas comme ça, il n’était précisément pas un brutal. Juste … il fallait montrer à la porte qu’il ne serait pas qu’un timide galant, qui frapperait très posément, et attendrait le bon vouloir de la Dame. A force, il avait envie de fracasser l’accès à l’Imagination, et cet accès, présentement, c’était Lev. Lev qui n’avait pas le droit de prendre le moindre pouvoir sur lui.
Puis, ce fut comme vivre les choses en trois temps distincts, différents. Diffraction de lumière, toujours à cause des spectres. La distorsion temps/espace/vécu et vivant.
Il perçut les liens, juste avant qu’ils apparaissent, comme si ses propres spires larvaires n’abandonnaient pas complètement sa protection…. Ou que le pouvoir de Lev chamarré de tempête chantait des détonations de soies.
Des tonnerres de lui – qui s’enroulèrent instantanément partout autour de sa chair.
Les spires cavalèrent et rongèrent, frein de son corps-amas, qu’elles pétrifièrent et pétrirent à leurs guises, et la sensation de leur frisson, leur réalité douce, leurs fusion miraculeuse d’entre deux mondes, tout cela le sidéra.
Même pas le temps de ciller : le mur était derrière lui, les spires sifflaient à ses oreilles des biais impeccables. Il fut saisi, dans tous les sens du terme, et comme lancé hors de lui-même. Lev avait-il deviné les contacts, désiré les points d’attache ? Le mentaï et le noble s’horrifiaient, Dolohov exultait malgré lui de la sensation monstrueuse d’avoir des spires enroulées aux chevilles, des spires qui cherchaient et dont, tout à coup, il n’avait plus à anticiper ni chercher la présence.
Il les percevait, cela, un quart de seconde, lui suffit, avant de raviver en lui la totalité de ses désirs insatiables, insatisfaits depuis des mois. Un quart de seconde, Lev disparut, et il ne resta que Dolohov saisi au vif par la toute-puissance, dans les filets de la Dame.

La voix de Lev était un chant de chemin / tortueux, et dangereux, un appel du vide auquel n’importe qui cèderait. Et l’homme de se retrouver, à nouveau, à l’intérieur de lui-même, de sa propre enveloppe, de remercier la Dame, pour « tout ça », pour le flux qu’incarnait Lev, d’abandonner les repères et le visage. Oh, comme il voulait voir les spires qui lui enserraient les doigts.
Il voulut parler, oui, ouvrir la bouche pour domestiquer –parler à l’Impulsion dans sa langue artificielle. Choc et comme l’acte de le faire. Sa raison lui échappait, l’étau des liens vivants sur sa boîte crânienne, du bâillon, bouscula l’humain loin dans son crâne, et laissa la place à ce qui restait de reliquats bruts.
Ceux qui étaient dépourvu de tout, et subsistaient comme une essence, à l’intérieur de lui.

Il voulut dire « Mets-les en moi » et les doigts craquèrent, comme les structures parfaites des Spires, quand Marlyn les tordait – quand elle transformait une cascade de sons en flammes, et immolait la Mer mentale de la Dame. Déflagration en série, détonateur dont on s’horrifie, oui, parce qu’on en voit le danger, mais l’attrait des flammes est trop fort, la fumée trop douce, la brûlure presque une tendresse. Dolohov l’observait les yeux fermés – adrénaline, mais pas peur, s’il fallait analyser, juste adrénaline, infiniment dans son être, pour gommer les contours de ses propres limites.
Puis il céda – faible, il cédait toujours à la furie, il ouvrait les yeux sur la réalité des corps, sur la bouche de Lev, le sang qui pulsait : l’Imagination, c’était ce mélange furieux des couleurs primaires, il le savait, il l’avait toujours vécu comme ça, l’importance du bleu, mais la suprématie totale du rouge.

Vermeille, encore, la plaie qu’une perle de sang bosselait, coagulée, presque cristallisée, s’il allait au bout de sa pensée.
Mets-les en moi, disaient les yeux, sans aucune crainte, injecte-les.
Il ajoutait Putain, les dents mâchant ce qui entravait ses lèvres, impuissant qu’il était à faire sienne les excroissances de l’imagination de Lev. Et comme il le désirait.


Elles disparurent alors, remplacées par la chair, qu’il mordit avec la même soif, comme pour rattraper l’intangible. Ecarlate. Le sang laissait à son palais quelque chose de choquant. Ainsi tout ceci existait ? Il avait jusqu’aux reins des sensations imatérielles, un goût réel, fort / et des vagues de douleurs qui détournaient l’être du spirituel pour se rabattre sur le corps/ c’était de la corruption à même la bouche, qu’il ne désira plus, non, il voulait se détacher de la blancheur des dents qui le déchirait, puis s’y soumettre, encore, infiniment, parce qu’il imaginait son sang bleu mêlés de plaies rouges, de bouillon noirs, quand il aurait suffisamment déchiré la lèvre de Lev – les trois couleurs, comme le disait la légende, réunies dans l’équilibre parfait d’une trinité.
Sans les liens, comment auraient-ils pu, déséquilibrés qu’il étaient, oblique qu’il était, lui, dans toutes ses recherches. C’était Lev qui le tenait, qui le tenait encore au seuil de sa dérive – et qui croyait le maintenir ? Oh, quand il aurait retrouvé ses spires….
La main suffit pourtant à le faire obéir, renoncer à la fusion parfaite dans laquelle, certainement, il manquerait l’or liquide, toutes façons. Mais c’était à regrets, oui, tant il avait aspiré, instantanément, à la force de ce lien supplémentaire.
Et l’autre qui étalait le rouge sur son menton- avec la négligence d’un noble, lorsqu’il atteste de la pureté de son sang. Les bleus à ses tempes , violent vitriol.

Les chemins barbouillaient les yeux plus que le sang le menton et Dolohov était comme un papillon près d’une bougie, suppliant, affolé. 

Qu’elles me brûlent, qu’elles me déchirent, qu’importe !

Et il les appela dans sa langue cloîtrées de spires visibles, il leur ouvrit cœur et esprits,  à tel point que le regard lui-même était aussi vide de sens pour lui que la situation : il n’y avait qu’un enjeu, qu’une seule sainte horreur, les spires n’étaient pas plus siens que les iris, et le pouvoir transitait hors de lui, infini, aussi terrible que les mots de Lev, qui trouvèrent, eux, chemins pour se ficher dans son cortex.



Dans son corps texte/ les premiers va et vient d’une main qui l’invente, et les vides de sa propre constitution qui cherchent, par les doigts maudits à prendre le pas sur la contraction – des années de mise en forme réduites à rien/ ça lui sortait en vapeur du nez / il sent qu’il faut ça, transformer sa peau de cire nervurée ‘façon marbre’ en quelque chose de fondamentalement poreux. De l’espace, du vide pour que le pouvoir le comble
Alors le visage de Lev s’approche, et la furie de ses spires se dérobe aux yeux gris. Les perdre, encore, c’était  mourir totalement et les cordes qui le tendaient le savaient, serraient sa chair à la rendre, telle qu’elle était au départ

Bleue, bleue et striée d’univers antérieurs. Les vers qui la rongeaient, plus bleus encore, dansaient sur ses avant-bras, pulsaient son impuissance, leur terrible aliénation. Le rouge avait partout sur lui des teintes violacées, mensongères, putrescentes, il bénit les liens de l’empêcher de contempler lui-même l’étendue du désastre- cette vie qui le quitte.

Volonté d’être, de reproduire, de tisser en lui des cercles féroces, toiles si dense, nourrir de sang neuf l’araignée qui se dessinait sur sa cage thoracique, et battait, à l’endroit où il aurait dû posséder un coeur, le dévorait.

Il y avait, aussi, l’inaltérable rideau d’or qui lui frangeait les paupières, un accessoires qui barrait sa vision, les larmes qui lui montaient aux yeux Ah, oui, l’étranglement, l’absolue soumission de tout son corps et le sang qui pulsait partout, comme une triste fontaine, ailleurs que ses lèvres.




Et les mains de Lev qui rougissaient son sexe, appelait les sucs, les flux, le sang à couler, encore.


Et ses doigts glissent, le sang à couleur, ça devrait être, il songe, et qu’il voudrait que ça gicle, que les doigts de Lev sont les plus belles spires coagulées du monde – presque des chemins, des réseaux noués à chaque jointure, et comme il aimerait les regarder le toucher, ses doigts machiavélique qui rendent son souffle aberrant. Qu’il faudrait les tatouer, c’est l’évidence même.

Il y a un flottement, traumatisé, dans son inertie, dans le vide, béant, en lui, malgré son abandon- il y a l’absence de ce que Lev désigne par « tout ça », et avec lequel il joue. Son élément, son air, son eau, sa terre natale il manque l’infini, et il en crèverait, sans les fils pour lui rappeler qu’il ressent toujours. Il y a ce manque de Spires, Pitié, qu’il les lui mette, que les serpents qui  le tiennent serrent plus fort, transpercent la chair et s’y immiscent, qu’il puisse ouvrir la bouche et les accueillir, les avaler, les sucer jusqu’au fond de ses entrailles.
Les mains de Lev, sur son trapèze –il se demande si elles prennent la couleur du plâtre, du vide hiatal, ou s’il en fait de la lumière. Il ne sait plus si les trois primaires mélangées sont censées être aussi noires que les pupilles dilatées du psychopathe, ou si, rendues à la lumière, elles se dissolvent en étincelles de blanc. Il penche pour l’étincelle furieuse.

Et elle disparait, se niche invisible dans son cou, Dolohov en pleurerait, tant la pièce est vaste, et la vacuité lui prend la gorge. Sa pomme d’Adam danse sous les rubans qui pulsent, ne parvenait plus à lacérer l’angoisse, qui se met à l’étrangler plus sûrement encore. Il ferme les yeux à l’univers entier, et les dernières traces de perception humaine se délitent sous les paupières qui battent.
Le miel qui les borde lacère furieusement le rien de traits solaires – la part du pouvoir qu’il possède presqu’à part égale avec la volonté, mais qu’il renie et oublie toujours, celle dont il se fout, et qui est la clé qu’il ne parvient pas à tourner. Il se laisse aller aux ténèbres andrinoples de ses paupières closes sur la lumières de la chambre. Le rouge, c’était le désir, encore, contre la dissolution.



Circonvolutions contre sa peau, peut-être, finalement, béance. Aveuglé de pourpre, le mentaï abandonnait ses sens au profit du touché, se vautrait dans les liens comme dans un carcan très doux avec la sensation que l’imagination le léchait, reniflait les battements de son cœur, à deux doigts de se laisser apprivoiser par-delà la domination.
Ecart, presque, lorsque la souvenance d’être homme se réverbéra en lui –braises dans ce membre que la créature caressait, sang dans son être qui le réduisait à l’état de corps.  Le corps enfermait la confiance dans cette part de lui-même qui était dos au mur, qui était close encore, et laiteuse, et

Il les voulait en lui, ces liens, ces palpitations de pouvoir qui usait sa folie dans d’interminables poursuites. Que la Dame voie, il était sien, à elle, à elle, à son écume et à ses voiles, aux lueurs de sa voluptueuses poitrines, aux goutes qui se perdraient le long de ses joues, mais qu’elle soit sienne, que le nuage prenne corps, ô pitié, et qu’il le dévore, et qu’il l’enserre si fort qu’il l’absorberait.
Et les liens bougeaient à son contour, juste un peu trop loin, et bandaient les muscles de micro-morts. Les veines éclataient, mais qu’était-ce, le sang, sous toutes ses couches, que d’autres couleurs encore ? Qu’elles le prennent, qu’elles le colorent, qu’il soit sauvé.
La nuque entravée était rabaissée vers son propre ventre, son sexe désespérément tendu qu’il méprisa de ne pouvoir atteindre les spires le bistre avala le sang, et l’angoisse de la grande nuit lui fit ouvrir des yeux, presque éperdus, pour chuter sur la créature qu’il ne reconnut plus.


Il vit l’incarnat des lèvres dénuder l’ivoire / et aveugle, c’était tout ce qu’il souhaitait / bouger sur le vide, comme pour l’embrasser     et puis plonger vers ses reins     le flot noirs des cheveux, en cercle parfait autour du crâne /Merwyn analysé /le plaisir de l’idée lui crevait les reins de frustration /entrer en Merwyn par le cercle de pouvoir au-delà du blanc
 
Alors, Dolohov eut une révélation, quelque chose comme l’absolue certitude de l’incompréhension de tous les théoriciens de l’imagination, son maître et lui-même compris. La matière, quelle qu’elle soit, était avant tout composée de vide. Ce n’était pas le filet des spires qui aurait dû attirer leur attention, ils n’auraient pas dû s’y coller, planctons imbéciles qu’Elle dévore. Non, derrière l’opalescence, derrière le filet, il y a avait l’infinie plénitude de la Dame le cercle parfait, noir, complet, chaud, doux, mouillé.

Intuition de l’aveuglement par la couleur, par la perception des couleurs nées de la lumière qui font redouter leur absence. L’univers est binaire, noir éclairé de blanc, le blanc dévoile le noir cache, mais seul le halo est défini, cachot. Ailleurs, dans les flots tumultueux de peur et d’inconnu est le chaos, le cahot primaire /comme un râle, une goulée d’air avant la plongée dans cette gorge infinie, s’y laisser couler, doucement, mais prendre / il serra les dents de toutes ses forces, à cause du corps-piège, cortège protège la pâleur lunaire de leurs peaux, de ce que l’ivresse en arracherait, et s’il agrandissait le filet, s’il créait le sien propre ? Mais résister à ça ? / Comme en réaction, les entraves  choisissaient de durcir son sang, devenu grenat jusqu’aux poignets, et le long de ses fesses, radiance de flammes bleues qu’il devinait à chaque fois qu’il cédait à la curiosité, et ouvrait les yeux. Le corps les tirait plus loin dans leurs limites, à deux doigts de l’explosion, et ruait pour maintenir l’esprit dans sa cage matérielle, loin de tout appel du vide.

En dernier recours, il bascula la tête en arrière – ne rien voir, ne rien savoir, juste entrer et faire sien que le corps en crève l’indifférait, mais en jouir        Il devint son, air et vide que les prunelles et le vie-sage tentaient de maintenir en liens.      Sien, plus que son.      A lui-même entièrement délivré, à son âme, que des dents qui n’étaient pas siennes marquaient de dents rouges.  Insupportable férocité de son sang, voile de cils, et aux plafonds, encore l’ombre et la lumière, mais pas le bleu, et l’âme voulait de l’outremer.
C’était dans son iris une implosion-miroir de la quasi aniridie de Lev -Mydriase fragmentaire- quelque chose dans son muscle oculaire cédait à l’impulsion des synapses folles, tentait de compenser une forme d’albinisme mental par une concentration plus dense de mélanine. Les yeux se noyèrent en Lev, aux contours de ses iris, puis, dans l’infernale noirceur de sa pupille, qui l’appelait en contractions féroces.
Les liens se défirent, et Dolohov retrouva, un instant, pleinement des spires, de l’air éthéré de l’Imagination , et son bonheur fut total et infini figé éternellement dans la seconde qui s’écoula

Jaune                                                                                  Cyan                                                                           Magenta

Jusqu’à ce qu’il veuille se mouvoir, se jeter sur la peau luminescente – pas encore assez cyan et qu’il fallait conjurer absolument. Il s’engouffra en Lev, dans le dessin le plus total qui était né de son esprit, inconscient reflet de ce que voyaient les yeux de Lev sur son propre corps. Qu’il voyait à travers Lev, et qui l’attirait aussi, perversement.
Il réalisa, un rien trop tard, et avec une sensation de désarmement total que les spires qui courraient n’étaient pas les siennes.

Celles de Lev.

Qu’il en drapait les contours, qu’il en soulevait des toiles entières, jusque dans sa nuque, dont les petits poils duveteux furent chassés par un invisible souffle.
Le pouvoir courrait en lui, Dolohov s’en saisit, l’attira aux extrémités, le fit convulser par les yeux, par le vouloir, créant des appels aux bouts des doigts, aux impulsions qui lui contractaient les muscles, avec une forme de satisfaction parfaite, glaciale à nouveau, et qui continuait de le faire brûler.

Il jeta son corps sur le sien, à la recherche des fils, qu’il voyait entre les cellules de Lev, entre ses cuisses, entre les plaies qui ressemblaient à des puits de poisons / s’arracher aux rubis /les ongles ovales qui terminaient les mains quadragénères couraient après les crépitement, convulsivements rivées à leurs sursauts / la lumière hoquetait dans ce corp- aimant et chaque parcelle était dévorée de l’intérieure Lev les respirait à même la flamme, il inspirait sans cesse la contention, l’enveloppement, la présence et son être crépitait de milliers d’incendies toujours affamés, toujours en brûlure et / ses  propres mains qui ne résistaient jamais à l’attrait des flammes voulaient atteindre, enfin,  l’incendie formidable que contenait les reins. La bouche parlait à l’oreille de la créature / ça ressemblait à un coquilage où on entendrait la mer / et qu’importe s’il le blessait.


Faute d’impact, irrévocables, les doigts imbéciles se contentèrent de la peau, chercher où ils trouvaient une brèche, avides absolument.
Front contre front, Dolohov sentait son corps à deux doigts des convulsions, mais flots comme il ne l’avait jamais été, avide du rayonnement de Lev, d’aller en lui, de prendre les spires, de les étreindre, il entra en lui par le regard, par la langue,  et par le sexe d’un même mouvement

La création par le vide   Révolutionnaire     condenser la matière d’après le rien, et pas d’après la composition, les formes émergeraient d’elles-mêmes, là où le vide se retirerait   Le potentiel absolu    l’intuition rendait fou le corps qui se défragmentait presque autour des disques des vertèbres sinueuses / Vagues, encore, et ressacs de noyades
Il crut dire « Dame » c’était peut-être Lev, peut-être que Lev n’était plus capable de rien qui échappe à la volonté de Dolohov, rien qui échappe à son emprise totale de contour de spires. Il n’y avait pas de différences entre les corps, entre les mouvements tremblés de leurs lèvres

L’intuition était démultipliée par le plaisir effréné de retrouver une enveloppe, des sensations, des hoquets goulées buttoir au fond de lui les incendies furieux du vide de l’autre étaient presque à portée, presque, s’il battait du corps plus fort, peut-être, pêut-être, s’il s’enfonçait plus loin ?
Dans une autre dimension, quelqu’un d’extérieur aurait pu voir une couverture de laine engloutir deux corps en culbute aveugle, dominée par un corps d’homme, les cheveux tombant sur son amant comme un rideau d’or liquide, qu’on aurait presque pu qualifier de pudique, si une main arachnéennes ne s’y crispait pas si violemment, le long de la nuque, si  l’ondulation était moins évidente, plus lente, plus languide. Ne dépassaient que les pieds de l’amant invisible, presque joints au-dessus des hanches du blond, qui se tendaient par a-coups.
Dans une autre, on aurait pu voir un monstre de Spires s’acharner sur du vide pour serrer le plus étroitement possible deux corps absurdement mêlés, comme si la moindre blessure était prétexte à d’autres caresses. Les fils flavescents s’agglutinaient dans les griffures, et gerçaient d’or les croutes violacées. Le chatoiement des sons  animait leurs danses infernales. Hasard – le drap était d’un bleu céruléen changeant, aussi artificiel que la couleur choisie, presque cyan.

Dans la dernière, déploiement de textures, diffraction de lumières, ils étaient binaires, leurs actes entremêlés de futurs et de maintenant, à répéter inlassablement leurs vécus imaginés des actes de l’autre, des manquements de l’autre, et comme deux voix faites corps, appel, vie et mouvement, qui imperturbablement unissaient leurs imaginaires dans la surprise la plus totale, la plus curieuse, la plus extatique, puisque c’était celle d’un plaisir incongru d’être Dieu qui fait jouir.
 
Dolohov ne s’appartenait plus, il le sentait, et son plaisir des corps atténuait de beaucoup trop ses plaisirs d’âmes, les spires absentes et vacillantes lui creusaient les viscères, et c’était sa volonté seule qui le faisait tenir en  Lev. Il était tenaillé d’un tas d’étincelles parasites, visions, apocalypses d’anatomie ou de peintre, acharné à l’idée de tout percevoir, tout ressentir, tout voir, un temps pleinement satisfait, il était à présent à deux doigts de l’essoufflement, de la hantise d’achever le moment, ou de se perdre en lui, comme il avait eu peur de se perdre dans la vague de Vor.

Dans les yeux de Lev, lorsqu’il parvint à les rouvrir, de très loin, il crut La voir- ce n’était pas son regard à lui, ce n’était pas le vide, c’était un regard qui le lisait et le dénudait des pieds à la tête, qui n’était rien pour lui qu’un spectateur-acteur dont il était inconscient. Mais qui le regardait, qi le rendait consistant, infiniment belle pour cela. Simplement pas sienne ; alors il revint à Lev, à sa peau à la texture dansante, à son plaisir incendiant qui lui rappelait…

Lev avait des spasmes de plus en plus incontrôlables, il le sentait au bord de la disjonction, aux frontières de ses paupières, se demanda ce qui sortirait, où ça irait, puis l’oublia, oublia tout, sauf les couleurs. Il se demanda à quoi elle ressemblait, l’analyse de ces vides énormes, juste pour se refroidir, de pouvoir à la périphérie, de volonté dévorée d’écartèlement  et centrale  pourtant, qui le tenait contre lui, qui criait toute seule, avec ses couleurs quelque chose qui ressemblait à « Viens » et qui affirmait l’homme, appuyant ses coups de reins, oscillant contre lui  comme un enfant sur un pont de corde pour accentuer l’ivresse

Alors il vint, râle, foutre, sueur, cambré par-dessus la créature  jusqu’au fond de son corps, frôlant les flammes de pouvoir rouges et bleues / L’implosion, oui, il l’avait vécue, et les sensations fusionnelles totales, les mêmes, les vides remplaçaient la vraie intimité qui l’unissait à Marlyn, qui SUFFISAIT couplée à la palpitation presque imperceptible du pouvoir. Il avait l’impression, s’il tendait son absence d’image d’elle, de pouvoir presque la sentir, mais  si seule, si affolée, si désespérée que ça ne pouvait être vrai /
 Les iris de Lev étaient injectés de rouge, comme s’il pleurait, sans que le mentaï sache depuis quand
 
Alors la volonté exigea « Encore » au fantôme Dolohov qui agitait les vides autour des incendies, et promettait sans le savoir de le remplir de lui, d’amour, de souvenirs, de passé, de force, de Marlyn, d’enfants, de plaisir, de douleurs, de sang, depuis le départ.
Dolohov était entré en lui, en son crâne, en son corps en croyant retrouver les spires. Le long de ses vertèbres, il l’avait attiré à lui des doigts, griffé, électrifié comme, peut-être, il l’avait intuitivement fait, la toute première fois, à la première vision du monde de la Dame et du dragon.

La volonté le renversa sur le lit, fit grincer les ressorts en plaquant de tout son poids contre le corps, que la jouissance avait rendu pesant. 
Les lèvres roulaient sur les « o » d’encore comme pour l’engloutir d’avantage, les faisaient trainer en énième morsure dans le cou. 

Voleur, avide, il avait dérobé pas l’image, juste l’idée, l’idée d’elle au-dessus de ses reins, reine implacable de ses désirs, il attirait le visage du mentaï au creux de sa poitrine, invitant celui-ci à embrasser plus ou moins voracement son torse, à retracer le dessin sans que Lev sache lequel, ou ce dont il s’agissait réellement.


D’abord séduit par le pouvoir, les sensations qui revenaient, engourdies, l’impression communicative de besoin, maintenant qu’il s’était détaché du corps de Lev,  l’intuition réelle que celui-ci voulait lui communiquer sa chaleur, sa force douce, solidifier ce pouvoir dont ils avaient eu l’éclosion, tant qu’il était aux portes de leurs lèvres, Dolohov répondit à l’appel, laissant ses ongles retracer l’exacte chemin que prenait les tatouages /noirs encore / au poignet droit de Marlyn, et de masser l’entrejambe de Lev de l’autre.
Jusqu’au moment où ils joignirent leurs fronts au niveau du troisième œil, lien que Lev voulait coupler à celui de leurs hanches,  où il imposerait son rythme, cette fois, tout fut d’une perfection quasi absolue. 

A ce moment précis, une peur corticale naquit en Dolohov avec la sensation de Marlyn, proche. 
Lev avait un sourire merveilleux, en le guidant en lui, en serrant encore plus son corps contre le sien.
Lev avait pensé, de chaque micro-parcelle qui le constituait « Reste ». Un « reste » énorme, infini, abyssal.

Dans ce reste, Dolohov entendit la volonté d’absorption, de compréhension totale, de fusion parfaitement inhumaine et capricieuse. Son propre pouvoir était très faible ; il ne pourrait jamais absorber personne, même s’il lui suffisait à « diriger » parfois – celui de Lev suffirait à fondre leurs deux mentaux et corps en un. 
Frère et amant infiniment proche de Marlyn de toutes les manières possibles. Le pouvoir, la volonté, le contrôle, les milliers de vies sinuées de Dolohov – ça, c’était ce que Lev désirait.


Et l’esprit de Lev, aussi binaire qu’empathique comprit instantanément le changement qui s’opérait en son amant.
D’abord tendre, il argumenta, pensées lèvres mouvements que ce n’était pas grave, qu’il l’aimait et qu’ils seraient entiers, entiers d’âmes et de pouvoir, que tout irait bien, et que ce serait bon. Il ne lui voulait pas de mal. Juste le réchauffer. Sans aucun doute. Il l’aimait. Ils s'aimaient, et ce serait enfin la plénitude.

En rien, cela n’atténua la terreur née du corps et de la profonde individualité du mentaï qui faisait face au psychopathe. 

Dolohov protégeait.

A nouveau, Lev comprit le serra plus fort, encore, convulsivement.



Là où Marlyn et lui créaient, Lev et lui-même s’entre-dévoraient. Là où Marlyn le densifiait, lui apportait une image, un rôle, presqu’une attitude sur mesure, là où elle l’inventait, le réinventait en permanence, et réciproquement, Lev et Dolohov  se donnaient toutes les latitudes, les possibles, les impossibles en étant strictement « Rien ». Le mentaï cilla, persuadé d’avoir vu sa propre peau créer une onde, où les doigts de Lev se refermaient. 



Heureusement pour lui, il commençait aussi à comprendre comment fonctionnait l’autre, et il avait retrouvé une forme de… peut-être accès à la dimension de la Dame, à défaut de spires. Il se concentra, concentra toute sa peur, toutes ses ambitions, tout ce qu’il avait – et l’engouffra dans les ténèbres de l’autre dimension, se ferma de toutes ses forces – et s’abandonna au vide par impulsion.

Pas sur le côté aveugle, saut dans le grand noir tout disparut



Les bras de Lev se refermèrent sur du vide.


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