Sten Orun

Il est de grande taille et pèserait, à première vue, un bon quintal et demi. Il possède une musculature puissante et imposante. Un coup de taureau, des bras tout en deltoïdes ainsi que de grandes mains calleuses telles des battoirs que de longues années passées à la forge ont formé.
Il n'est pas très avenant de par sa mâchoire carrée, mangée par une courte barbe d'un noir de jais, toute aussi noire que sa longue chevelure emmêlée qui repose sur ses épaules musculeuses.
De petits yeux noirs saillent sa figure au teint buriné par le soleil, en dessous de sourcils broussailleux. L'un d'eux est coupé en deux par une cicatrice sur l'arcade, vestige d'un combat contre des Raïs.
Il porte toujours son armure et ne s'en sépare jamais de même que son estramaçon ainsi que de son lourd marteau de pierre sauf quand il travaille à la forge où il s'équipe de gants et du tablier de cuir usé de son père.

Ses maîtres mots sont devoir et honneur, si bien qu'il n'agit qu'en fonction du premier et il déteste que le deuxième soit bafoué de quelques façons.
Il n'est pas très loquace, il ne parle que lorsqu'il le juge utile.
De plus il n'aime pas se mélanger avec les autres alaviriens et essaie le plus possible de se tenir à l'écart des grandes villes.
Il ne fait confiance qu'aux membres de son peuple mais apprécie quand même les Itinérants qui sont, pour lui, des citadins particuliers.
Conformément à ses mœurs, il exècre les Frontaliers bien qu'il n'en ait pas vu un de sa vie.

Il est le fils d'Harf et Vilna Orun, des Thüls, qui le mirent au monde dans leur village situé à l'ouest des collines de Taj, près de la forêt de Barail, vers Al-Far.
C'est ici que son père commença son apprentissage de forgeron à l'âge de dix ans, parallèlement il apprit à se battre comme tous les garçons de son âge, quoique avec un peu de retard car il était souvent occupé à la forge.
Il ne connue que ce village, les seuls contacts qu'il eut avec le reste du monde étaient les visites d'autres clans Thül, dont la plupart avaient de nombreux guerriers, qui achetaient les marchandises de son père.
Ils se fournissaient en matières premières en commerçant avec les Itinérants, et c'est ainsi qu'un jour, il eut envie de rejoindre ces convois. Il put enfin découvrir le monde car il reliait Al-Far et Al-Vor. En même temps, il se perfectionna quant au maniement des armes, il voyageait avec des guerriers expérimentés qui lui apprirent beaucoup.
Il passait son temps sur les routes ou à la forge de son père si bien que, dès qu'il fut en âge, on le maria avec une jeune fille de son village qu'il n'avait pas même remarqué jusqu'à ce moment. Elle s'appelait Lyra et il l'aima comme il le devait.
Son père mourut peu après et il en fut bouleversé mais la vie reprit son cours.
Depuis il passe la moitié de l'année sur la route avec les Itinérants et l'autre moitié dans son petit village auprès de sa femme qui, bientôt, attendit un enfant.

Aujourd'hui, c'était le grand jour.

Aujourd'hui, il se sentait fort.

Aujourd'hui, il allait avoir sa première arme.

Sten avait dix ans et, comme tous les garçons de son âge il allait commencer son apprentissage. Cela faisait des heures qu'il ne tenait plus en place, éveillé quand le soleil pointait à peine à l'horizon, l'attente avait été insupportable. Les garçons de son village qui avaient démarré leur apprentissage, le raillaient encore hier mais quand ils verraient la superbe épée que son propre père lui avait forgé, pour l'occasion, ils ravaleraient aussitôt leurs quolibets.
Il s’imaginait déjà en guerrier sans peur, partant à l’aventure et affrontant de nombreux et redoutables ennemis. Voyageant dans de lointaines contrées, jusqu’à l’Œil d’Otolep, en passant par la jungle d’Hulm et surtout en ayant franchi le Polimage.

S’arrachant à sa merveilleuse vision, le petit garçon sortit de la petite maison où il vivait avec ses parents. Il faisait magnifiquement beau, un ciel dégagé d'un bleu limpide où brillait un soleil ardent. Sten se dirigea vers la forge de son père qui jouxtait l’atelier où il entreposait toutes ses créations. Il y arriva tout essoufflé d’avoir couru et surtout excité. C’était enfin le moment qu’il attendait tant !

L’atmosphère torride qui y régnait était accablante, l’air chaud lui brûlait la gorge, il avait l’impression d’être cuit vivant dans un four gigantesque. Sten avait l’habitude maintenant et cela faisait plusieurs heures déjà que les charbons ardents se consumaient. Il fut attiré par les coups assourdissants de la pierre rencontrant le métal, son père maniait un énorme marteau et déformait une tige de fer rougie.

Harf était solidement bâtit, il utilisait son marteau comme s’il s’agissait d’une plume. Des cheveux courts et en bataille, une barbe datant de quelques jours, sa figure était tordue par l’effort. Couvert de sueur, il avait le torse nu, tapissé d’une fine toison noire.

Dès qu’il vit Sten, il posa son pesant marteau de pierre sur l’enclume et plongea la barre de fer dans un baquet d’eau. Il y eut un long sifflement, comme si le métal chauffé à blanc souffrait de ce bain forcé, puis des volutes de vapeur s’élevèrent dans la forge.

« Ah… Tu es là, approche-toi mon fils. » fit Harf.

Sten cherchait désespérément des yeux, la lame que lui avait créé son père mais quand il approcha, se fut un marteau de pierre qu’il lui tendit, identique en tous points à celui qu’il maniait un instant plus tôt, quoique légèrement plus petit.

« Voilà pour toi. J’ai passé un temps fou à chercher la pierre idéale, j’espère que tu es content ! s’exclama son père avec un large sourire.
- Mais… Mais… Ce… Ce n’est pas une épée ? croassa le petit garçon.
- Tu ne pensais tout de même pas que j’allais te donner une épée sans que tu ais travaillé un peu ?
- Mais… Les autres… commença-t-il.
- Il n’y a pas de "mais" qui tiennent ! Tu auras la lame que tu forgeras mon garçon ! Allez, prend cette barre de fer et essaie de la tordre.»

Le ton était sans appel et ne tolérait aucune réplique. Sten prit son marteau en main, il était vraiment très lourd, il faillit le lâcher, comment pouvait s’y prendre son père ? Il le brandit au-dessus de sa tête et l’abattit de toutes ses forces sur la tige de fer brûlante. L’impact fut rude, il en lâcha le marteau qui alla rouler à terre, des fourmis se propageaient tout le long de son bras. Ce n’était pas si facile finalement ! Reprenant le marteau en main, il s’attela à la tâche.
Ce n’est que quand le soleil allait terminer sa course, qu’il rentra chez lui, épuisé. Il avait réussi, cela lui avait pris un temps incommensurable mais il avait tordu cette barre. Ce soir-là, il s’endormi tout poussiéreux et sans manger tellement la fatigue l’avait vidé de ces forces.



C’est ainsi qu’il était devenu forgeron, c’était il y a longtemps maintenant, une éternité. Sten rentrait à son village, il avait laissé derrière lui les caravanes des Itinérants aux alentours d’Al-Far le matin même. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas vu un membre de sa famille, il avait hâte de revoir sa femme, de la serrer dans ses bras. Il allait bientôt être père et les souvenirs du siens étaient apparus tout au long du voyage. Il se pencha sur l’encolure de cheval et s’accorda un long galop, l’air frais du soir lui fouettait le visage. Il sourit.