Dites, vous pourriez me fermer la tête ? [Inachevé]

Einar prit une longue inspiration.
La porte de bois ne semblait pourtant pas bien menaçante. Comme il avait grandi, il pouvait en toucher le linteau en tendant le bras. Et puis la poignée dorée avait un air mignon, et le panneau indiquant « Myra Ril’ Otrin : primat des Kaelem et Maître de dessin » avait les bords ronds. Il n’était donc pas dangereux, au premier abord.
Mais là, il arrivait pas à se décider à taper à la porte.

Pourtant, ses camarades l’avaient limite emmené ligoté devant cette porte. Astragal l’avait tanné pendant trois petits déjeuner pour qu’il y aille avant les premiers cours de la journée, Halina pendant les déjeuners, et même Kloa et Ewall s’y étaient mis pour les diners. Ils arrêtaient pas de lui répéter qu’il fallait qu’il y aille maintenant, que ça serait mieux, qu’il valait mieux que le nouvel Intendant s’en mêle pas, et qu’il était grand.
Mais le truc qu’ils pouvaient pas savoir, c’est qu’Einar était terrifié.
Enfin, non, ça, ils le savaient, mais ils savaient pas pourquoi ça le terrifiait.

Il avait le don du dessin, certes. Mais il avait un don du dessin super microscopique, au point qu’il devait prendre ses congés pour créer une flamme, et il était incapable d’accéder aux Spires tout seul, ni même ne savait comment on pouvait en sortir. Du coup, il avait espéré qu’à force de ne pas les utiliser, il pourrait ne jamais plus y retourner, et il y était presque arrivé. Avant que Lev ne débarque à l’Académie, Einar n’arrivait plus à accéder aux Spires, ni les Spires à envahir sa tête.
Le problème, c’était que Lev avait réussi à envahir sa tête.
Et ça, il voulait plus jamais que ça se reproduise. Plus jamais. Il supportait pas qu’on entre dans sa tête ou bien qu’on communique dans sa tête directement. Le truc, c’est qu’il était incapable de savoir comment on faisait pour fermer définitivement les Spires, ou même comment les fermer tout court. Ou même comment y accéder tout seul tout court, en fait.
Il en voulait pas, des Spires. Ca lui servait à rien d’autre qu’à avoir peur que Lev puisse entrer dans sa tête sans sa permission, ou quelqu’un d’autre. Parce que depuis qu’on savait qu’il avait le Don, des abrutis de son dortoir s’amusaient à lui dire des bêtises dans sa tête la nuit et il arrivait pas à les chasser.

Du coup, on lui avait conseillé d’aller en parler à M’dame Otrin, parce qu’elle était maître du Dessin, et que si quelqu’un savait comment on enlevait les Spires de la tête des gens, c’était bien elle. Mais si elle décidait d’entrer dans sa tête aussi ? Si elle décidait qu’il devait dès à présent suivre les cours de dessin pour développer son Don, au lieu de l’aider à le retirer ?
Il avait pris son courage à deux mains et il avait demandé d’abord conseil à M’sieur Guidjek et à M’sieur Eternit, mais ils lui avaient tous les deux répondu la même chose : va en parler à M’dame Otrin.

Sur le pas de la porte, donc, il attendait un miracle. Genre, que M’sieur Ril’ Krysant passe par là et le mette aux cachots pour vagabondage, comme ça il aurait pas à entrer chez M’adame Otrin. Ou alors qu’il se découvre une soudaine passion pour la poterie et décide d’aller expérimenter ses nouveaux talents à l’autre bout de l’Empire pour gagner sa vie.

Y’eut effectivement un miracle. Mais c’était plutôt pas un bon miracle.
La porte de M’dame Otrin s’ouvrit, et M’dame Otrin en sortit.
Le truc, c’est qu’elle remarqua qu’Einar était là à faire le pied de grue sur le pas de la porte, alors qu’il essayait de son mieux de passer pour un pan de tapisserie, à cette seconde précise. Il devait pas avoir une très bonne tête à tapisserie. Tant pis.

- Euh… euh.. B’jour M’dame.

C’était pathétique. Mais il se sentait tellement faible depuis qu’il avait plus le droit d’avoir Bomon à sa hanche pour se donner du courage ; et puis il aimait pas l’uniforme, il avait l’impression de se rendre à un enterrement tout le temps, alors qu’il portait toujours des vêtements clairs. Et ça grattait, en plus.

- Euh j’pourrais vous parler rapidement s’il vous plaît ? C’est à propos du dessin…

Incroyablement, elle entendit et acquiesca, alors qu’il avait murmuré le plus bas possible. Avec un grand sourire, elle le fit entrer dans son bureau, où Einar était jamais entré auparavant. Il voulait un bureau comme ça quand il serait plus grand. Avec plein de bibelots dont il avait aucune idée à quoi ils servaient. Elle le fit asseoir sur une chaise en face de son bureau avant de s’installer elle-même et de lui demander plus de précisions.

Le regard d’Einar se fit encore fuyant pendant quelques secondes, mais elle avait fermé la porte derrière eux, il était donc pris au piège.

- C’est que en fait, j’voulais savoir si.. je suis l’enseignement guerrier de M’sieur Guidjek, et j’m’appelle Einar, de Teylus, mais c’est qu’en fait.. J’suis pas censé avoir le Dessin, mais j’l’ai. Et j’me demandais si c’était possible, enfin si vous pouviez –si vous voulez bien, hein- m’enlever le don du Dessin.

Voilà, il l’avait dit.
Bon, il l’avait dit à la plante qui se trouvait à côté du bureau. Mais la plante était une plante qui savait très bien écouter les gens. Ses joues s’empourpraient, il voulut continuer à se justifier :

- Y’a des gens qui me parlent dans la tête alors que je veux pas, et y m’montrent des choses horribles, je veux plus jamais qu’on entre dans ma tête.

Elle pouvait pas l’aider.
Einar avait l’impression qu’il allait s’évanouir.
Elle pouvait pas l’aider.
Il pâlit en l’espace d’une seconde.
Elle pouvait pas l’aider.

Il y connaissait rien en don du dessin, mais ça, il aurait jamais cru, qu’une dessinatrice aussi puissante et aussi réputée que M’dame Ril’ Otrin puisse pas faire ça. Pourtant ça avait l’air plutôt simple, non ? Elle allait dans ses Spires, elle regardait les siennes, elle leur disait de le laisser tranquille, elle verrouillait sa tête, et lui, il aurait même pas besoin d’aller dans les Spires lui-même, il sentirait rien, elle fermerait les yeux un instant, et elle les rouvrirait en lui disant « c’est bon, je t’ai enlevé tes Spires, tu peux t’en aller tranquillement, Einar ».
C’était pourtant pas compliqué.
Ca avait l’air super simple.

Elle servait à rien, M’dame Ril’ Otrin.
Il avait envie de pleurer. Il avait basé tellement d’espoir, il avait fait tellement d’efforts pour s’obliger à venir lui demander, et tout ça pour rien… il leur dirait quoi aux copains ? Ils le croiraient jamais quand il devrait leur dire qu’elle avait rien pu faire, ils le traiteraient de menteur et de lâche, ils lui diraient qu’il y était pas allé et qu’il inventait ça pour leur faire croire qu’il y était allé.

Quoi ?
Verrouiller les Spires ?
C’était quoi la différence avec enlever le Don ?
Et comment il pouvait se tenir éloigné des Spires alors qu’il parvenait même pas à les détecter ? Et ça voudrait dire qu’il faudrait d’abord qu’il entre dedans, non ? Il savait pas comment on entrait dans les Spires consciemment, lui. Il y était pas souvent entré, et chaque fois, c’était par accident. Et si elle se trompait, et qu’il se retrouvait bloqué dans les pires pour toujours une fois entré dedans ?

- Euh..euh..

Ca le paniquait un peu. Déjà, elle le regardait dans les yeux, et lui il essayait de fuir son regard. Alors par défaut, il fixa le petit rat qui trainait sur le bureau, en cage, histoire d’avoir autre chose à fixer que les yeux de la Primat des Kaelem.
Ce qu’il en disait ?
Il voulait pas, voilà. Il avait peur, les Spires lui faisaient peur, et M’dame Ril’ Otrin il avait pas confiance. Mais il avait pas trop le choix, elle disait que c’était le seul moyen.

- J’suis pas sûr… je sais pas. C’est que en fait… ‘fin.. Ca veut dire qu’il faudra que j’entre dans les Spires et tout ? J’sais même pas les repérer, j’sais même pas si j’suis connecté aux Spires maintenant ou pas, en fait, et j’saurais pas entrer dedans si vous m’le demandiez là maintenant…

Il voulut se lever à moitié pour fuir, mais le regard de Myra le pétrifiait sur place. Est-ce qu’elle comprenait au moins ce qu’il tentait d’exprimer ? elle devait pas comprendre, elle, qu’on puisse pas accéder aux Spires, elle avait qu’à cligner des yeux pour créer des merveilles…

- Y parait que les gommeurs ça empêche les spires d’exister. Y’aurait pas… ‘fin, une solution dans le genre ? ‘Fin j’ai pas envie de trimballer un gommeur dans ma poche toute la journée, mais y’a pas des objets similaires, des p’tits machins comme ça, non… ? ‘fin j’voudrais pas tant empêcher mon propre esprit d’entrer dans les spires qu’empêcher les autres d’y accéder en fait, jesaispasdutoutsic’estpareilouquoienfait…

Et puis, il percuta un truc
Un élève avait pas le droit de se trouver seul en compagnie d’un professeur, d’après le règlement, pour des raisons bizarres qu’il ne connaissait pas. Et si M’sieur Ril’ Krysant il passait à ce moment-là ? Il allait être renvoyé, et M’dame Ril’ Otrin avec.
Il se leva vraiment à demi, cette fois, encore un peu plus paniqué qu’avant.

- J’devrais pas être là, en plus. C’est vrai, c’le règlement, j’devrais pas être venu vous voir, et puis M’sieur Ril’ Krysant il va m’attraper et me renvoyer, et-

Tout en parlant, il reculait vers la porte, mais une main se posa sur son poignet et le coupa en plein élan de fuite.

Einar se rassit, circonspect, sous les injonctions de Myra. Il avait toujours peur qu’Aziel apparaisse brusquement de derrière la plante verte ou de sous le tapis. Il se demandait s’il aurait le temps de se planquer sous le bureau ou sous le tapis lui-même si ça devait être le cas. Et malgré tous ses calculs complexes de vitesse et de fuite, il en arriva à la conclusion que Si Aziel apparaissait, il était fichu de toute manière. Ce qui n’arrangeait pas son angoisse. Il aurait jamais du écouter les copains. Si ça se trouve, ils voulaient qu’il soit renvoyé, avec tous les points qu’il faisait perdre à Teylus ces derniers temps…

Une des remarques de Myra le fit accidentellement rire, tellement ça lui semblait absurde.
SON esprit, vaste ? Il était un peu lent, mais s’il y a une chose qu’il savait de manière certaine, c’était qu’il était très loin d’avoir un esprit vaste. Ou alors c’était le contraire, c’était vaste à l’infini, un peu comme un trou noir. Il était pas encore bien déterminé à ce sujet. Enfin en tout cas, vaste ou pas, il ne comprenait rien à ce que disait Myra. Bon, il savait vaguement que volonté, créativité et pouvoir avaient quelque chose à voir avec le dessin et des cercles étranges, mais jamais il ne saurait répondre si elle lui demandait à quoi ça servait.
Et puis faire barrage avec son esprit, quoi !

Il n’avait pas le moindre commencement d’idée de comment s’y prendre. Ni de comment agir dans son propre esprit. Genre, euh… visualiser quelque chose ? Fermer les yeux ? Arrêter de respirer pendant deux minutes en se bouchant le nez ? Ouu quelque chose comme ça ? Pas le moindre commencement d’idée de comment on construisait des barrières par la seule force de son esprit. Et Myra s’en apercevait. En même temps c’était pas bien dur à deviner. Si Einar n’avait pas l’esprit vaste, son regard avait pris la vastitude des plaines désolées d’Astariul, quand un vent désert souffle sur le vide.

Et le truc, c’est qu’elle lui expliquait pas comment faire.
Genre ça lui semblait évident et tout, qu’on pouvait faire poper des barrages dans son esprit. Lui, non. Lui, il était pas une grande Madame de Dessin –en soi c’était tant mieux-, et il pouvait pas comprendre les trucs un peu philosophiques. Déjà quand M’sieur Eternit il parlait de trucs abstraits, il arrivait plus à suivre, mais là, il était complètement paumé.

Pas capable.
Ca, c’était la goutte qui aurait fait déborder le vase si Einar avait eu un vase à la place de la tête. Sauf qu’Einar avait pas de vase ni de barrage dans la tête, et que ça le fit juste rougir. De honte, de colère, de un peu tout ce qui pouvait le faire rougir.
Ca faisait juste la troisième fois de la semaine qu’on lui disait des trucs comme ça. Sans compter toutes les fois où M’sieur Guidjek le trouvait lent et inutile, et qu’il le convoquait dans son bureau pour lui dire, qu’il le trouvait lent et inutile.
Oui, c’est vrai, il se sentait pas capable de créer des barrages dans sa tête.
Mais qu’elle le dise, ça, ça lui faisait mal.

Il avait pas vraiment d’orgueil, Einar, pas plus qu’il n’avait d’honneur, mais il avait un cœur, et ça lui serra tout fort à lui faire mal.

- Si si, j’suis capable. C’est pas que j’suis pas capable, j’le serais toujours si j’voulais, c’est juste…

Que j’ai aucune idée de quoi vous racontez ? Que j’ai la sensibilité psychique d’un Sifleur ? Que j’ai aucune idée de comment fonctionne ma tête ? Que vous me faites peur, parce que vous allez m’imposer des images dans la tête ? Que je sais pertinemment que je vais échouer à les contrer, et que ça vous fera sûrement rire ?


- ‘Vais tenter. Fit-il d’un ton bougon.

Il ferma les yeux, même s’il avait pas trop confiance. Et si M’sieur Krysant apparaissait de sous le tapis au moment où il aurait les yeux fermés ? Ca réduirait ses chances de s’enfuir encore plus. Bon. Se concentrer. Visualiser des barrages.
Le truc, c’est qu’il avait jamais vu de barrages de sa vie.
Les castors, ça pullulait pas trop à Al-Far, et il en avait jamais croisés dans la forêt de l’Académie. Et s’il visualisait des barrières, ça irait pas. Une barrière ça avait des trous, et M’dame Otrin passerait forcément par les trous. Un mur alors ? Ca, des murs, il en avait vu pas mal dans sa vie, quand même. Mais quel genre de mur ? Fallait qu’il soit haut, large, en pierre, en torchis, avec des sentinelles pour garder les coins de son esprit, des tours, des portes pour qu’il puisse quand même accéder à son esprit, des ponts levis, des fossés, des dou-
Il en était à visualiser le mur parfait dans sa petite tête quand soudain, elle ne lui appartint plus.
M’dame Otrin y était entrée comme dans un moulin. Et il avait beau rien y connaitre en dessin, il percevait à quel point il était faible par rapport à la grande puissance de M’dame Otrin. Il aurait beau visualiser tous les plus hauts murs du monde, soit il s’y prenait pas de la bonne façon, soit il aurait jamais assez de volonté pour repousser qui que ce soit.
Il était complètement impuissant.
L’image de Myra lui emplit complètement l’esprit, sans qu’il puisse la repousser ou la changer. C’était à pleurer tellement il détestait cette sensation.

Il rouvrit les yeux ; sans s’en rendre compte, il était tombé de sa chaise. Penaud, il se remit dessus, les yeux fuyants.

- C’pas vraiment ça, hein.. ?

Je passerai toujours, quoi que tu fasses.
Tant que tu n’auras pas encore confiance en toi, je passerai toujours.

Autant dire qu’il n’y arriverait jamais.
Jamais.

S’il n’avait pas déjà les larmes aux yeux, il aurait eu les larmes aux yeux. Mais il avait déjà les larmes aux yeux. C’était une simple image, une simple petite image, et il n’arrivait pas à l’empêcher d’apparaître. Lev pourrait toujours passer dans son esprit. Lev pourrait toujours lui montrer des milliers de fois les images de… de… y’avait plein de sang et de feu.
Il s’entrainait déjà tous les jours pour être assez fort pour empêcher les gens comme Lev de le martyriser, mais il pourrait jamais l’empêcher d’entrer dans son esprit, parce qu’il aurait jamais confiance en lui. Il aurait jamais vraiment confiance en lui-même. Einar fonctionnait pas comme ça. Il pouvait se dire qu’il était blindé bon en dessins, il pourrait se dire qu’il construirait une forteresse mentale digne de la Citadelle des Frontaliers, et il suffirait qu’il soit défait une fois pour que toute cette petite confiance s’écroule et qu’il ne la retrouve plus jamais.
Autant ne pas avoir confiance depuis le début.

- Oui, M’dame.. fit-il d’une petite voix.

Y’en a plein. Y’en a des tonnes. Mais on les a déjà dites, toutes ces choses, et ça servirait à rien de les répéter. Il pouvait pas changer le fait qu’il avait réussi à tomber de sa chaise comme un idiot alors que c’était un petit dessin de rien du tout.
Et puis il y repensa. M’dame Otrin, elle était prof de dessin. Ca voulait dire qu’elle avait forcément Lev Mil’Sha en cours. Et tous les autres aussi. Comme Azarie, ou Ello, ou tout l’monde, en plus elle était Primat de Kaelem et ils étaient tous des Kaelem.

- Ils vont forcément recommencer, et j’serai pas assez solide à temps pour les empêcher de m’embêter. Il détourna le regard.

Elle lui demanda des noms, finalement, vu la gêne occasionné. Elle fronçait même les sourcils. Einar se sentait de plus en plus mal à l’aise. Sans doute aurait-il du commencer par en parler. ‘Fin il en avait déjà parlé au début, mais il aurait du en parler avant. ‘Fin il aurait du aller en parlant quand ça avait commencé. Mais bon, il se faisait régulièrement harceler par des abrutis alors bon…

- Y’a Ello, M’dame, vous l’avez en cours j’crois, Azarie lui a appris comment faire, ‘fin elle est Brasier et elle est aussi à Kaelem et tout, vous voyez d’qui je parle ? Elle approuva de la tête. Ben il aime bien m’embêter, en cours ou dans les couloirs, ‘fin pas trop méchamment mais il sait que j’aime pas les araignées, et il me met toujours des images d’araignée dans la tête. Et de chiens morts, aussi. Einar frissonna.

- ‘Fin eux c’est pas trop grave encore..

Le sourcil de Myra se haussa de nouveau. Des images de chiens morts ça devait sans doute être grave à son sens.


- Lev Mil’Sha il est élève avec vous aussi, il est à Kaelem et tout et.. et…. Il bloquait. Il bloquait totalement. Il me fait peur, M’dame. Il est vraiment vraiment dangereux. Faudrait avertir M’sieur Krysant au plus vite. Sinon il va recommencer. Il va recommencer.. ça.

Ca, elle lui avait caché.
Non, elle avait menti. Elle avait menti depuis le début.
Elle aurait du lui dire depuis le début qu’on n’avait pas besoin d’avoir les Spires pour ressentir celle des autres.
En gros, elle pouvait rien pour lui. En gros. Et du coup, Lev, Ello et les autres.. Pas étonnant que ça les amuse autant d’ennuyer les gens, si les gens pouvaient pas se défendre…

Deux jours. Ouais, c’était sûrement le temps qu’elle lui demandait pour trouver un autre mensonge et tout. T’façon, y’en a qui le disaient, M’dame Otrin, elle était pas aussi puissante que Moiselle Morienval, si ça se trouve, elle elle aurait pu lui faire quelque chose. Sauf que ouais, de base, Morienval elle accepterait jamais d’aider quelqu’un qui avait pas de particule, surtout quelqu’un qui cherchait à supprimer les Spires, du coup ça servirait à rien d’aller lui demander. Mais bon en même temps, là, il était un peu désespéré.
Du coup il partit, en se promettant que si dans deux jours, elle avait pas de solution, ben il laisserait tomber, et il irait tout seul casser la gueule à Lev.
Enfin, il le ferait pas, mais il pourrait y penser très fort.

*

Il osait pas non plus approcher M’dame Morienval. Surtout qu’elle avait perpétuellement l’air occupé, et que surtout, elle était pas souvent là. Paraissait qu’elle avait toujours plein de trucs à faire à Al-Jeit, quelque chose à voir avec une autre Académie et des sentinelles partout… Mais y’avait déjà assez de sentinelles à l’Académie, M’dame La Gardienne elle y veillait, alors pourquoi aller en recruter dans d’autres Académies…
Einar avait passé le soir entier à faire ses devoirs et des bracelets, ce qu’il faisait toujours quand il était un peu énervé. Il testait différents motifs, il avait les doigts suffisamment plats pour tenir les fils, et il était toujours moins gourd là dedans que quand il tenait un sabre ou quelque chose de lourd. Des mains de fille, lui avait dit Grand Siffleur, un jour.

Pis le lendemain, quand il avait attendu Miss Morienval à la fin d’un de ses cours en séchant lui-même un cours de botanique, elle l’avait totalement rembarré. Déjà, il avait fallu qu’il se manifeste au moins trois fois jusqu’à ce qu’elle le remarque, et encore, quand il lui avait expliqué son problème, elle avait dit exactement la même chose, que y’avait pas besoin d’avoir les Spires pour recevoir des messages des dessinateurs, qu’elle pouvait rien faire, que c’était à M’dame Otrin de s’en occuper parce que c’était son boulot, et qu’il devait se pousser pour la laisser sortir de sa salle.

Du coup, ben… il avait pas d’autre choix que de retourner voir M’dame Otrin le lendemain. Ca lui plaisait pas du tout du tout. Il en avait même pas parlé à Astra’ et Hal’. Valait mieux qu’il règle ça en interne. Et puis il leur avait pas parlé du jour où Lev l’avait acculé dans un coin de bibliothèque, qu’il avait du le frapper et que…oh, c’était horrible rien que d’y ressembler, Einar se mit à trembler dans son fauteuil.

*

M’dame Otrin, elle mentait encore, il était sûr. Elle disait avoir une solution, mais ça, elle le disait déjà avant, et encore avant.
Mais aujourd’hui, il se laisserait pas faire. Aujourd’hui, il avait mis Bomon à sa ceinture, parce que quand il avait Bomon à la ceinture, Einar se sentait toujours plus grand, plus fort, et un peu plus menaçant. Même si, en partant de zéro points de menace, on arrivait à pas grand-chose.

Par contre, que Myra ait passé la nuit rien qu’à essayer de trouver une solution pour lui.. ben ça le touchait, voilà. Ça le touchait beaucoup, parce que de base, il était qu’un petit élève guerrier, et de Teylus en plus, donc elle lui devait rien.
Il était sur le point de dire non. Et puis, peut-être que finalement, un Gommeur ça serait pas si pire que ça ? Un tout petit, qu’il mettrait dans une petite cage à sa ceinture, qu’il nourrirait tous les soirs… Bon il avait pas les moyens de le payer, mais peut-être que l’Académie pourrait lui en prêter un ? Enfin ouais non après y’avait toujours le souci que ça allait déranger tout le monde dès qu’il se mettrait à marcher dans le couloir. Plutôt oublier.

- C’est dangereux ?

Bien sûr que ça l’était, on parlait de sa tête et des Spires, c’était forcément dangereux.

- M’dame Morienval, elle disait que ça existait pas les solutions.. Mais c’est vous la Primat. Et puis j’ai pas trop le choix. Enfin si j’aurais pu ne pas revenir mais… enfin j’suis là alors… ben faites c’que vous voulez. J’veux juste pas mourir.

Réflexion.

- Mais si jamais j’meure, vous enverrez Bomon –mon sabre-, à Papa, hein ?