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 C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]

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Ambre Naeëlios
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Marchombre
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MessageSujet: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeDim 17 Juin 2012 - 2:04

Les jours se succédèrent, et pour la première fois depuis au moins l’enfance, il semblait à  Ambre qu’elle pouvait prétendre à un certain bonheur.
La fatigue des jours, la satisfaction de son utilité, des paysages qui peu à peu se métamorphosaient, non seulement  aux couleurs automnales, mais des forêts aux plaines, au lacs, aux maisons différentes ; tout cela l’enivrait aussi sûrement que l’odeur des siffleurs rôtis aux flammes, les rires des enfants trop jeunes, et les claquements perpétuels des pieds sur le sol.
Même l’odeur de la poussière lui semblait moins abrupte, et quand le vent venait balayer ses cheveux dans son visage, Ambre l’inspirait à plein poumon : pourquoi rebrousser chemin, déjà ?
Mieux valait emporter tout cela loin, à l’intérieur.

La jeune femme, pourtant, ne perdait rien de l’austérité de son attitude, pour un œil non-aguerri. Einar s’y trompait toujours éperdument, et si leur regards se croisaient, ça ne durait jamais longtemps- ou il s’empourprait.
Le petit chantelame avait le don de susciter en elle des sentiments extrêmement contradictoires. Elle l’estimait toujours, comme au prime abord, comme un obstacle qui séparait Tifen de sa liberté et de sa véritable voix, un petit quelque chose de Valen qui resterait dans l’air.
Mais elle ne pouvait s’empêcher de s’attendrir devant la bonne volonté manifeste, ses maladresses chroniques, et surtout son humilité. Pour un académicien, c’était quelque chose de très, ou trop, rare.
Elle s’agaçait intérieurement de le voir porter si fièrement son sabre, lui qui en combat risquait d’avantage de se blesser que de tuer quiconque. Et sachant qu’elle n’en avait aucun droit, elle se taisait, et le guettait dès que possible, comme le faisait Khan, aussi spontanément.
Elles étaient parties ce matin-là, après le départ du camp, toutes deux éclaireuses. Ambre savait que si on leur avait permis à toutes deux de s’éclipser, c’était principalement parce que l’endroit excluait toutes possibilité d’attaque, mais pouvait déceler du passage de potentiels assaillants à attendre, au niveau du col des Dentelles Vives. Elle avait néanmoins été extrêmement reconnaissance à Gord de cet accord, qui signait un début de véritable confiance entre eux. Croyait-elle.

La journée avait commencé dans leur paix personnelle, quasi silencieuses. Tifen et elles n’avaient guère besoin de beaucoup de mots- leurs silences étaient bien plus confortables.
Mais finalement, au moment de manger, la discussion s’était faite, pavée de choses et d’autres. Les sujets survolés refusaient de revenir à l’intérieur des murs, Ambre parlait d fils de Gord, qui venait souvent plaisanter, de choses et d’autres, puis le silence revenait. Tifen parlait naturellement d’Einar, de la difficulté de former ;ce à quoi Ambre avait répondu assez sèchement que c’était certainement parce qu’elle s’obstinait à en faire un guerrier.
Elle ne se souvenait plus des mots exacts, mais ça avait fortement dégénéré.
Dégénéré au point que Tifen lui avait demandé de la fermer, puis de s’excuser immédiatement, glaciale comme avant un combat. Cédant à l’impulsion, Ambre avait sifflé entre ces dents qu’elle n’avait qu’à mourir, cette voix, et brûler, ces foutus codex. Tout ça, ce n’était que des freins.

Elles s’étaient affrontées comme des enfants, des enfants entraînées à tout sauf à se dire les choses. Ambre avait su, dès le départ, qu’elle n’aurait aucune chance,  combat singulier loyal ou non. Elle connaissait sa sœur d’arme par cœur, sa capacité mécanique d’abattre, sa manière de vaincre.
Couchée sur le sol, le plat de la lame du sabre sur la gorge, en la voyant aussi essoufflée qu’elle-même, elle comprit qu’au moins, elle lui avait donné du fil à retordre.
La demande, à nouveau, de s’excuser. Admets et reconnais.
Et si tu me tranchais la gorge, puisque tu es guerrière ?  Si c’est ce que tu revendiques, au moins assume-le, entraîne le gamin, il a davantage besoin de toi que moi, on a toutes deux survécu seules si longtemps.
Mais elle s’était tue, ça avait fini par les faire éclater d’un rire un peu fêlé, un peu terrible, d’orage qu’on préfère gommer, tellement c’est un cul de sac.
Ambre commençait à trop aimer le bonheur pour vraiment le risquer.

Le lendemain, en revenant de leur excursion vaguement cachée, la demande de Tifen l’avait laissée assez interloquée. L’idée d’enseigner quoique ce soit à Einar l’effrayait au plus haut point. Elle rétorqua qu’elle refusait d’être maître, Tifen n’avait qu’à se débrouiller. Il était loin d’être nul. Sa force augmenterait très vite, il avait de la rigueur, et de l’agilité.

*

Elle était dure avec lui, réalisait-elle, un peu plus à chaque heure, par pure peur.  Elle le testait également, du coin de l’œil, dès que possible, par réflexe. La simple idée de ce qu’elle deviendrait, en prétendant lui transmettre quoique ce soit, l’affolait. Elle fonctionnait par plaie et coup de poing, et lui, avec son sourire rempli de chamallow, au coin du feu, et ses cheveux en bataille, ses grands yeux brillants, il n’était pas taillé pour ça.

*
Cette nuit-là, elle le savait, ils seraient du même tour de garde.
Il la réveilla, avec une timidité extrême puis, en la voyant s’asseoir, enfila ses chaussures doublées de métal qui faisaient mal à Ambre,  à chaque fois qu’elle les regardait, tant elles lui semblaient lourdes et inadaptées.
Elle fit sa première ronde, puis s’approcha de lui, noyée parmi les ombres. Elle sourit sans pouvoir s’en empêcher de son air concentré et crevé à la fois. De sa garde bien placée,  mais que sa position, trop près d’un mur, gâchait.
Elle s’approcha, lui toucha l’épaule, le faisant sursauter/tenter un coup de poing, qu’elle arrêta par réflexe.


- Désolée.

Elle toussota, en relâchant sa main, puis replaça une mèche derrière son oreille., en détournant les yeux. Il dit quelque chose qu’elle n’entendit que de manière lointaine, tout à sa recherche de mots.

-Tu sais, finit-elle par dire, ma vie et celle de n’importe qui dans ce convoi risque de dépendre de toi, dans les prochains jours. Je ne t’apprends rien, je sais… je. Je ne suis pas…  Je- je sais que Tifen est quelqu’un de très solitaire. Qu’elle t’enseigne un tas de choses typiques de vos… chemins, et dans lesquelles moi, je ne peux, ni ne veux me lancer. J’ai souvent combattu avec elle, et on est peu à pouvoir dire ça, mais. Bref.

Elle avait l’impression, à nouveau, d’être face à Ena, ou au conseil lui-même. A part qu’ici, elle n’était pas sûre d’être de la meilleure volonté qui soit.

- Elle n’a sûrement pas commencé à t’enseigner le combat en duo. Je ne peux pas non plus. Ne m’appelle pas maître, jamais. Et si je t’emmerde, tu t’en vas, tu ne me dois rien. , acheva-t-elle la voix à nouveau durcie et pleine de crachats.
Il est des domaines dont la seule défense était l’attaque, souvent. Mais elle ne pu se résoudre à lui demander de se poster en arme derrière elle, pour lui enseigner les bases du combat en duo.
Elle hocha simplement la tête, e regardant un enfant endormi, tout près.


-Alors surveille, la garde n’est pas finie.  Et tiens-toi à au moins un mètre de cette foutue famille, pour peu qu’il y ait une alerte, vos positions respectives vont vous gêner, grogna-t-elle en s’éloignant vivement.

Khan réveillé, avait surveillé la scène. Et Ambre le lendemain matin n’interpréta aucunement le sourire de Tifen.


*

- Comment ça, il ne sait pas marcher sur les mains ? Mais plusieurs ponts-sauts à la suite, il sait ? … Mais qu’est-ce que tu lui apprends à part mumuse avec son coutelas ? Je t’en ficherais, moi, des codexs, Tifen, va donc écrire des poésies dessus, tiens.


*

Elle le hissa sur la roulote de bois solide, ce jour-là. Les cahots de la route rendaient l’ascension difficile, et encore plus le fait de se maintenir en équilibre à bord. Il se redressa pourtant, plus vite qu’elle ne l’aurait cru, les sourcils froncés par la concentration.

-J peux venir aussi, demanda d’en-as un bambin, et Ambre éclata de rire, en promettant de lui montrer, d’en hau du toit, quelques constellations ce soir.

Einar demanda s’il pourrait écouter aussi. Elle haussa un sourcil, et finit par hausser les épaules, pas sûre qu’après l’exercice, il en aurait toujours envie.
Elle était armée de son bâton, et proposa quelques passes, sabre-couvert. Histoire d’avoir un point de vue plus clair. Il était rapide. Mais trop gentil, constata-t-elle. Visiblement habitué aux adversaires qui faisaient des coups bas, remarqua-t-elle, puisqu’il para son premier. Elle hocha la tête, en posant le bâton.


-La majorité des gens imaginent qu’un combat en duo c’est très simple, qu’on est dos à dos, et qu’on fait ce qu’on peut, en espérant survivre.  A titre personnel, je te conseille de considérer ton dos sur ta seule garde. Tu ne risques pas de mourir sans être au courant. Si tu te retrouves obligé de combattre derrière quelqu’un, en revanche, tu peux clairement faire une différence.

Elle se tourna, lui demandant d’imaginer un adversaire devant eux. Si elle était devant, elle parrerait les coups. Lui, il devrait profiter des ouvertures. Etant donné leurs failles et leurs forces personnelles, ce cas de figure ne devrait pas se produire. Elle attaquerait d’abord, et lui en même temps, et l’adversaire devrait parer. Ils pouvaient mettre au point, pas une technique, mais une sorte de stratégie commune.

-Ca fonctionne en trois temps, commença Ambre. Je dis A ou B, A veut dire Gauche, B droite. C'est ma manière de te dire vers quel côté j'oriente mon coup. La première fois, je fais ce que je dis. La deuxième fois, je fais ce que je dis. La troisième fois le contraire.  On ne s’arrête que s’il est mort. La quatrième fois, je fais ce que je dis, puis le contraire, puis ce que je dis. Si la saloperie n’est toujours pas morte, contraire, contraire,  ce que je dis, ce que je dis.
A ce moment là, s’il n’est pas mort, il pensera avoir compris, et qu’on est dans un système « régulier ». A ce moment là, ce sera trois fois contraire. Puis trois fois ce que je dis, puis l’inverse global.

Elle se tourna vers lui, râclant sa gorge, enrageant sur son propre ton. Mais lui offrit son dos, sans être sûre qu’il ait tout compris. Refusant de le demander, ou de s’appesantir sur le fait qu'elle l'avait vu vaciller

-Si on survit tous les deux, cet après-midi, Tifen aura besoin de toi, et viendra te chercher. C’est un coin à siffleur, j’ai entendu que tu avais une dent contre ces trucs-là.

[edition à volonté]

Einar Soham
Einar Soham

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeVen 13 Juil 2012 - 3:12

Einar avait beau retourner sa carte un peu abîmée de Gwendalavir dans tous les sens, l’ausculter à la loupe et la montrer régulièrement à Narsès et à d’autres membres de la famille des Mini-Egon, comme il les surnommait, il n’arrivait pas à comprendre par où ils passaient.
Les Mini-Egon étaient une branche cousine de celle de Gord, chef du clan Egon, dit le Grise-Roche, et ils étaient les propriétaires du 5ème chariot après Gord, chef du clan Egon, dit le Grise-Roche. Eux transportaient des pierres de différentes couleurs aussi sous différentes formes, et Narsès, la fille ainée de la famille qui avait à peu près son âge, avait tenté une fois de lui apprendre les noms des cailloux.

- C’est pas difficile pourtant, regarde, les bleues là c’est des zircons, et là des béryls,et là c’est une petite aigue-marine, on est les seuls itinérants à transporter des aigues-marines, c’est super rare tu sais ?

- Et les vertes là c’est quoi ?
surenchérit Einar en pointant une autre cassette. J’ai une pierre verte sur mon sabre aussi, Tifen m’a dit que c’était de la tsavorovitch ou quelque chose comme ça…
- Oh tu veux plutôt dire de la tsavorite !
s’exclama Narsès en éclatant de rire devant la confusion du jeune homme qui était perché à l’arrière d’un chariot à côté d’elle.

Einar rougit de son erreur, mais il aimait bien le rire de Narsès et les blagues de son père. Par contre, il aimait moins les regards contempteurs de sa mère, si contempteurs qu’il descendit du chariot instantanément et alla faire sa ronde ailleurs, en adressant un petit signe de la main à sa nouvelle amie.

*
N’empêche, même quatre jours plus tard, il voyait toujours pas dans quel coin de l’Empire ils se trouvaient. D’après ses glorieuses estimations, et parce qu’il avait entendu Ambre parler des Dentelles Vives, ils auraient du croiser le Lac Chen depuis un moment déjà, soit pour le longer par l’Est soit pour le traverser à bord de grandes barges, comme il avait déjà entendu faire. Mais de Lac Chen, point. De forêt ombreuse ténébreuse pleine de machins à dents pointues, que nenni. Einar avait même fini par se demander s’ils étaient passés complètement à l’est du Lac Chen, mais il se souvenait pas d’avoir traversé ni le Pollimage ni le Gour.
Mais s’ils étaient passés à l’Ouest par les collines de Taj, ils auraient pas besoin de traverser les Dentelles Vives pour se rendre à la Foire d’Al-Vor. Et ils seraient passés par Al-Far. Et ils n’étaient définitivement pas passés par Al-Far, ou alors il l’aurait su, quand même, c’est de ce coin là qu’il venait tout de même.

Il n’osait pas demander plus de précions à Ambre. Il avait vraiment l’impression qu’elle ne l’aimait pas, à le regarder toujours de travers. Du coup, il avait tenté aussi du côté tifenien de la force, mais elle avait répondu « J’en ai strictement aucune idée » avec le grand sourire des gens qui adorent être dans la nature sans avoir à se soucier des repères. Alors il s’était tourné vers Gord directement, un soir qu’il n’était pas occupé à surveiller un chariot.

- Les Itinérants ont leurs propres routes, garçon, et jamais une carte ne nous figera dans un seul itinéraire
, lui avait-il répondu.

N’ayant rien compris, le jeune Chantelame en déduisit qu’il valait mieux ne pas trop se poser la question. C’était même plus simple d’admettre que sa carte, dont il était très fier parce qu’il l’avait chapardée à la bibliothèque de l’Académie en prévision du voyage, était obsolète ou fausse.

*
Dans les autres épisodes auxquels il n’avait rien compris, il y avait cette nuit où il était en train de veiller vaille que vaille, et où Ambre était venue, et dans la même minute, lui avait fait peur, lui avait fait un compliment, dit des trucs sur Tifen, proposé de lui apprendre le combat en duo, insulté, envoyé paître et demandé de l’auto-envoyer paître. De toute la tirade, il n’avait rien dit, mais quand elle fut partie, avec cette démarche claquante qui la caractérisait, Einar était resté à contempler sa silhouette, dans un coin d’ombre, d’un air absolument perplexe.
Tellement perplexe qu’il n’en dormit pas, n’ayant aucune idée de ce qu’il devait faire, ne pas faire, dire ou demander.

*

- Dis, Tifen, s’est passé un truc bizarre hier nuit, j’crois qu’Ambre elle m’aime vraiment pas trop, mais je sais pas quoi faire sans la vexer.

Elle avait juste souri en silence, comme à son habitude, avant de réajuster sa garde lors d’un exercice. Ca avait le don de profondément le frustrer, quand même. C’est pourquoi il essayait de trouver toutes les bonnes excuses pour se trouver en présence d’aucune des deux depuis plusieurs jours et de se faire des amis dans la caravane, parce qu’il se sentait pas trop le bienvenu nulle part.

*
Tous les jours, il espérait qu’on lui dirait qu’on approchait d’Al-Far et qu’on allait y faire une escale. Tous les jours, il osait pas demander s’ils y passeraient à un moment du trajet. Et tous les jours, il butait dans un caillou d’un air morose. Ses parents lui manquaient jamais quand il était à l’Académie, mais sur la route, c’était différent. Ils lui manquaient horriblement, et le Teylus se demandait souvent combien de lettres ils avaient envoyées à l’Académie de Merwyn sans qu’il les recoive. Et les oiseaux voyageurs qui pouvaient trouver une petite auberge d’Al-Far et trouver au retour un convoi qui était à des endroits différents tous les jours, ça existait pas.

*

-
Tupourraisrépéters’ilteplaitj’aipasvraimenttoutcompris ?

Manifestement, elle ne l’avait pas entendu. En déglutissant, Einar ajusta sa prise sur son sabre. Penser aux Siffleurs, et à Tifen qui viendrait le sauver dans l’après-midi. Non, penser au combat. Non, à visualiser un gros monstre en face d’eux. Non, les paroles d’Ambre.
A pour Droite.
B pour Gauche.
Non, flûte, c’était l’inverse. A pour Gauche, B pour droite. Systèmes par trois mouvements, on regarde si le monstre est mort, puis re-trois mouvements. Il allait réduire en D pour « Ce que je dis » et C pour « Contraire ». La première passe c’était DDC. On regarde s’il est mort. La deuxième c’était DCD. On regarde s’il est mort. Après c’était CCDD.
Et après, il se souvenait plus.
Et il avait rien compris au « inverse global ». Ca voulait dire qu’on reprenait du début, mais on inversait quoi ? Les lettres, A pour Droite et B pour gauche, l’ordre des passes, l’ordre des C et D dans les passes, la signification des C et des D ? Il avait la gorge serrée tellement il se sentait mal de rien comprendre. Et Ambre était pas du genre à apprécier qu’on lui dise qu’elle expliquait mal.

Elle se tourna dos à lui, et se mit à égrener les lettres, A et B, lentement, devant un ennemi invisible. Quand ça allait lentement, qu’Einar avait le temps de calculer mentalement que A = gauche mais comme on était en C = contraire alors elle voulait dire B = droite dont il devait porter son propre coup à A = gauche.
Mais au bout de trois, il se trompa, et il bouscula Ambre.
Il arrivait à peu près à maitriser les deux premiers enchainements de passe, mais comme il ne se souvenait pas de la quatrième et qu’il était pas sûr pour la troisième… C’eut tôt fait d’agacer Ambre.

Einar était même pas sûr qu’il serait vraiment efficace un jour à combattre comme ça. Ca lui semblait tellement pas naturel de devoir annoncer et convertir des lettres dans son esprit.
Il n’osait même pas imaginer ce qu’il allait causer comme catastrophe s’ils arrivaient un jour à « inverse global ».

Arriva forcément un moment où la pointe de son sabre érafla le baton d’Ambre qui passait par là alors qu’il le croyait parti de l’autre côté, et le petit Chantelame pâlit. Il aurait bien détalé séance tenante, mais alors il n’aurait jamais osé retourner au campement le soir, et il aurait été obligé de s’exiler tout seul dans la Nature pour toujours.
Il s’attendait à être invectivé splendidement, mais elle se contenta de lui jeter un regard qu’il interpréta comme mauvais. C’était carrément pire, en fait. Mais il était tellement déconcentré que la nouvelle tentative ne fonctionna pas mieux.
Il rangea son sabre à l’abri de toute catastrophe.

- Je.. ça marche pas, ‘fin on.. J’y arrive pas. C’est pas ta faute, c’est juste que.. ‘fin… C’est pas une technique que.. nous deux on.. ça marcherait peut-être mieux avec autre chose ?

Il savait tellement pas comment se sortir de ce pétrin. Il voulait pas vexer Ambre, il pouvait pas non plus lui dire ce qu’il pensait exactement, il avait pas envie qu’elle le déteste encore plus et qu’elle refuse de lui apprendre quoi que ce soit, mais comme ya il y arrivait pas.
Et puis Tifen arriva, et il lui sourit un peu maladroitement, en essayant de faire comme si tout allait bien, en évitant de croiser le regard d’Ambre.

*

La harde de Siffleurs ravageait les buissons sur son passage tandis qu’il courait derrière eux pour les rabattre jusqu’au promontoire rocheux sur lequel s’était perchée la jeune femme pour les abattre depuis les hauteurs. Courir sans réfléchir l’apaisait un peu, mais dès que venait son tour de bander son arc et de viser, il se remettait à trembler, et manquait sa cible la plupart du temps, blessant et mutilant les animaux plutôt que de les abattre proprement d’une flèche juste sous la boîte crânienne.

- C’est pas juste, pourquoi le courant passe pas entre ta sœur d’armes et moi ?
demanda-t-il en ronchonnant, tandis qu’il dépeçait ses proies en compagnie de Tifen et des autres chasseurs venus récupérer la viance. J’lui ai rien fait, j’ai même tout fait pour être gentil, et j’ai l’impression qu’elle veut me bouffer dès qu’elle me regarde ! Et on fait que marcher et marcher et marcher et débloquer des roues et chasser des Siffleurs, et là spontanément elle veut que j’essaie d’apprendre des lettres dans l’ordre alors que j’ai toujours été nul en orthographe. Et c’est pas juste, ponctua-t-il en tranchant les tendons des jarrets pour séparer la peau de la carcasse.

Il découpa une première livrée de viande et la posa dans une nasse en osier, les doigts ensanglantés glissant sur le manche de son couteau en pierre. Pourquoi c’était plus aussi idyllique de voyager alors que les premiers jours étaient tellement bien ? Il avait qu’une envie, c’était qu’on l’oublie, ou juste qu’on passe par Al-Far et qu’il puisse faire le plein de soleil et poussière de ville.
Sa colère passa à de la tristesse quand il posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis quelques jours :

- C’est à cause de moi que vous vous entendez plus, c’est ça ? J’ai vu comme vous êtes plus exactement en harmonie le matin quand vous vous entrainez et tout.

Lui avouer qu’il les avait regardées tous les matin lui coutait beaucoup, même si elles devaient sûrement l’avoir répéré depuis longtemps, elles étaient beaucoup plus balèzes que lui, et il était nul en discrétion. Et en tout, du point de vue de l’Itinérante aux yeux violets.

- Vous auriez du partir en voyage toutes les deux, vous seriez contentes, en harmonie complète, j’aurais continué à m’entrainer à l’Académie, et j’aurais des lettres de mes parents et pas de problèmes avec Ambre, et tout irait bien pour tout le monde.

Le couteau se planta dans l’aine du Siffleur et il en découpa soigneusement l’araignée, toujours réservée aux chefs du clan.

[B’ouais. Edition possible, j’peux avancer « plus » if needed]


Tifen Layan
Tifen Layan

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeVen 31 Aoû 2012 - 22:41

Les jours se suivaient et ne se ressemblaient pas. Certes, il y avait toujours la route, le convoi, la poussière des chariots, les gens. Mais les paysages changeaient au fil de leur avancée, et même si la jeune femme se fichait complétement de savoir où ils pouvaient bien être, elle savait qu’ils se rapprochaient des montagnes. La seule chose qu’elle avait retenu des informations données par Ambre, c’était qu’ils passeraient par les Grandes Plaines, et elle se constituait discrètement un petit stock de glands à semer en prévision de cette partie du voyage. Comme ça, il y aurait peut-être des arbres dans ce coin de Gwendalavir la prochaine fois qu’elle y passerait, avec un peu de chance.
Malgré l’approche de l’hiver, la température s’adoucissait considérablement, signe indéniable qu’ils se dirigeaient vers le sud. Mais en tout cas, leur trajet avait l’air d’inquiéter son élève, qu’elle avait vu à plusieurs reprises penché sur une carte d’un air perplexe. Pourtant, ce n’était pas si compliqué. Ils avaient le soleil dans les yeux presque toute la journée, et la mousse sur les troncs indiquait clairement qu’ils marchaient droit vers l’endroit où il n’y avait presque jamais de neige et où les arbres ne poussaient pas très haut.


**

Ambre avait accepté d’enseigner à Einar. C’était Khan qui le lui avait dit, dès qu’elle s’était réveillée ce matin-là. Elle avait souri. Ca lui apprendrait, à sa sœurette. Elle verrait bien si c’était si simple que ça d’enseigner à quelqu’un. Mais au final, ça n’avait pas empêché l’ancienne Corbac de continuer à lui reprocher les ignorances de son élève, et les manquements dans la formation qu’elle essayait de lui apporter. Et avant même d’avoir commencé à montrer au jeune homme le combat en duo. La chantelame était partie avec Khan sitôt le campement monté, le soir même. Soit disant pour inspecter les environs.

Officieusement, elle s’était arrêtée au pied d’un arbre en boudant, les mains dans les poches. C’était pas juste qu’Ambre lui reproche tout ça. Elle n’y était pour rien, elle. D’abord, elle ne savait même pas qu’Einar ne savait pas marcher sur les mains. Tout le monde savait marcher sur les mains, non ? On lui aurait menti ? Et l’autre grande brute qui était devenu maître d’arme à la place de Valen, le Lockart, là, il servait à quoi s’il n’enseignait pas à ses élèves à marcher sur les mains ? Elle pouvait pas deviner, elle. Et puis Valen avait pas eu besoin de lui apprendre à marcher sur les mains, d’abord. Alors certes, elle avait surtout entraîné son apprenti au maniement du sabre, mais c’était ce qu’elle avait appris auprès de Valen. Le reste, elle le savait de sa formation marchombre ou de son expérience de la vie dans les bois. Mais c’était ça aussi qui faisait qu’elle était chantelame, sans doute…

- Et toi, Khan, t’en penses quoi ?
-Haussement d’épaule félin- Je sais, tu t’en fiches. Merci, hein.

Blasée devant cette absence totale d’aide de la part du grand tigre, Tifen retourna à ses pensées. Peut-être qu’elle devait laisser de côté le maniement du sabre pour former Einar à d’autres choses, comme le disait Ambre ? Mais comment savoir ce qu’il fallait lui enseigner ou pas ? Si ça se trouvait, il ne savait même pas jongler, ni attraper les feuilles tourbillonnant dans le vent, ou pire, aller toucher la cime des arbres. Elle se cogna l’arrière de la tête contre le tronc qui lui servait de dossier dans un geste désespéré. Elle était un maître nul, horrible, affreux, même pas capable de savoir si son élève savait grimper aux arbres. Elle voulait entraîner Einar pour en faire un chantelame et ne savait même pas s’il pouvait rentrer par une fenêtre. Si quelqu’un à l’Académie s’occupait de consigner les pires maîtres de l’Histoire, elle aurait certainement une place en tête de liste.

La jeune femme fit tourner entre ses doigts quelques glands qu’elle n’avait pas eu le temps de ranger dans sa besace et qui traînaient dans ses poches. Peut-être qu’il fallait faire ça, en fait. Un test pour savoir ce que savait faire son élève et ce qu’il ignorait, comme ça elle pourrait se rattraper un peu et combler ses lacunes. Un test avec un parcours dans les arbres. Mais ça voulait dire qu’elle aurait moins de temps pour récupérer des glands.

- Tu pourrais m’aider pour ça, au moins ? Sinon j’en aurais pas assez en arrivant dans les plaines -grognement perplexe- Oui, je sais, t’es un tigre des plaines, et alors ? La forêt, c’quand même mieux.

Bon, tant pis. La reconquête de la forêt patienterait. Soon.


**

Elle les avait retrouvés sur un chariot, en rentrant de sa mission d’éclairage. Einar était pâle comme un lapin des neiges et Ambre semblait sur le point de mordre. La jeune femme s’empêcha donc lancer une œillade ironique à l’ex Corbac. Elle lui avait bien dit que c’était difficile d’enseigner. Au moins, elle, elle avait réussi à apprendre à Einar à manier correctement un sabre, d’abord. La chantelame répondit donc au sourire du jeune homme et l’entraîna rapidement à la chasse, comprenant qu’il voulait mettre le plus de distance possible entre lui et sa sœur. Les Siffleurs étaient quand même des proies particulièrement stupides, et la chasse fut particulièrement prolifique, ce jour-là. Tout en récupérant les flèches, Tifen songea qu’il faudrait bientôt en refaire, car de nombreux tubes s’étaient cassés et elle commençait à avoir un tas conséquent de pointes non montées.

Le découpage de la viande avançait vite, chacun sachant à la perfection quelle était sa tâche. Ainsi, à quelques pas de son élève, Tifen s’activait à récupérer une ultime pointe de flèche coincée dans l’articulation de l’aile d’un gros siffleur suite à un tir maladroit quand ce dernier commença à la questionner. Surprise, ses mains s’immobilisèrent, lâchant la pointe qu’elle tenait enfin, tandis qu’elle relevait la tête pour observer le jeune homme.

- Quoi ? Mais d’où tu sors ça ?

Il allait répondre mais d’un geste elle glissa la pointe de flèche dans sa paume et crocheta la manche de son élève pour l’entraîner vers la forêt.

- Viens avec moi. Faut trouver des tiges pour des flèches, on en a presque plus.

Ainsi, sans laisser à personne le temps de les arrêter, Tifen dirigea le Teylus dans les bois, donnant ses instructions.

- Il faut des branches fines, et les plus droites possibles. Environ un mètre de long, on les retaillera une fois sèches.

Ils commençaient à prendre assez de distance avec le groupe des itinérants pour ne plus être entendus, même à travers les arbres. Faisant une pause au pied d’un noisetier qui présentait des branches intéressantes, elle reprit donc.

- Ambre t’aime bien. Non, vraiment, crois-moi. La preuve, c’est qu’elle a commencé à t’apprendre le combat en duo. T’sais pourquoi ? Parce que si on est attaqué et qu’on doit combattre face à un ennemi suffisamment fort, elle veut t’éviter de finir en pâté pour Siffleur, parce qu’on pourrait plus facilement t’aider. Et si elle t’aimait pas, elle s’en ficherait complétement de savoir si tu survivras ou pas à la première attaque. Et j’sais bien que ça peut paraître complétement incompréhensible au début, mais ça viendra avec l’entraînement, comme tout le reste.

Elle fit une pause, mesura cinq longueurs sur une branche avant de la découper et de la glisser dans son carquois pour en faciliter le transport.

- Elle te surveille parce qu’elle parvient pas à savoir ce que tu vaux vraiment en combat et que ça l’inquiète. Et aussi…t’as une branche là, à juste à droite. J’crois que le seul truc qui l’empêche de te montrer qu’elle t’aime bien, c’est que tu es apprenti chantelame. Ambre aime pas tout ce qui a un rapport avec Valen. C’pour ça qu’on s’dispute ces derniers temps. C’est un peu…habituel entre nous, ça fait pas qu’on s’aime moins ou quoi, mais elle a jamais aimé que j’sois devenue une chantelame, j’crois. C’est pas à cause de toi, ça date de bien avant que tu sois à l’Académie, tu vois.

Restait un dernier point à aborder. Un point qui la perturbait rien que d’y penser. Ses parents. Einar voulait des lettres de ses parents. C’était possible de vouloir écrire à ses parents ? Genre, avec du vrai papier et de l’encre, comme les beaux rouleaux sur le bureau de Monsieur Cil’ Eternit quand il donnait les cours ? C’était une idée particulièrement étrange et absconse de son point de vue.

- T’aurais pas pu continuer à t’entraîner à l’Académie. C’plus Valen le maître d’armes, et demander à son remplaçant d’envisager le combat comme les chantelames, c’est un peu comme demander à un marchombre de combattre avec une épée à deux mains. Ca aurait plus pu t’apporter grand-chose. Et ça aurait rien changé sur le fait qu’on se dispute ou pas avec Ambre sur la voie chantelame et la manière d’enseigner. J’crois qu’elle m’en aurait encore plus voulu si tu n’étais pas venu, tu sais. Les marchombres donnent trois ans de leur vie à leur maître, pour leur apprentissage, et elle aurait pas compris que je te laisse à l’Académie. Et…

Elle hésita, ne sachant pas vraiment comment formuler la chose. Coupa quelques branches supplémentaires pour les ajouter au petit nombre déjà récolté.

- S’tu veux, on ira les voir, tes parents. J’sais pas si le convoi passera par là-où-ils-habitent, mais le voyage s’arrêtera pas avec le convoi, on ira où on voudra, après.


**

Ils étaient finalement revenus au campement les carquois remplis de futures tiges, et la jeune femme avait montré à Einar comment les nouer pour qu’elles sèchent en restant bien droites, puis ils avaient de nouveau vaqué à leurs occupations habituelles. Mais cette question des parents taraudait toujours l’ex Lupus qui se mit à y réfléchir particulièrement. Si c’était normal de vouloir écrire à ses parents et de vouloir les voir, alors peut-être qu’Ambre voulait voir les siens aussi. Et les parents d’Ambre étaient Itinérants. Mais alors… Grand Castor était le père d’Ambre ? Ca collait, les parents de sa soeur travaillaient les bijoux, elle le lui avait dit un jour qu’elles discutaient de leurs familles respectives. Mais non, Ambre avait dit que c’était une famille proche de la sienne, le jour du départ. Et pas « sa » famille. Soupir de soulagement. Sinon, elle aurait jamais pu recroiser le regard de Grand Castor.

Mais il y avait d’autres possibilités. Et elles tournaient dans l’esprit de la chantelame au fil des pas, des jours et des nuits, jusqu’à ce qu’elle se résolve à demander à sa sœur à l’occasion d’une garde qu’elles avaient en commun. Elle s’était donc approchée de l’ex Corbac installée sur un rocher et avait questionné d’une voix hésitante

- Dis, Ambre ?... Toi aussi, tu veux r’voir tes parents ? C’pour ça qu’on est parti avec des Itinérants ?


[J'espère que j'avance quand même assez =\ Et j'suis encore vraiment impardonnable pour le retard]

Ambre Naeëlios
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Marchombre
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeLun 3 Sep 2012 - 2:34

Lorsque le sabre heurta le bâton, y marquant une première et fine entaille, ils durent tous les deux savoir que c’en était fini. Mais Ambre était façonnée de volonté ; et elle voulait qu’il y parvienne, alors se contentant d’un regard assez neutre, elle recommença à engrener les lettres, plus lentemement encore.
Peine perdue, c’était à croire que ça résumait sa vie.
Elle lui fit face, prête à mordre, à réexpliquer, à cogner un bon coup sur son petit crâne inapte, mais il la désarma instantanément.
Avait-elle regardé Ena ainsi, au premier jour, quand elle avait su que tout cela serait vain ?
Elle referma la bouche, pinçant les lèvres, et le regrettant instantanément : Ena aussi les pinçait sans cesse.
Il vacillait sur ses mots, mais elle l’entendit bien, ce n’était pas « la technique » le problème. C’était le « tous les deux ». Un moment immobile, elle céda finalement, hochant brièvement la tête. De toute façon, Tifen arrivait, et suffisamment de gens avaient dû assister à sa déconvenue. D’un saut léger, elle se réceptionna au sol, et reprit la marche, en passant la main dans les cheveux du petit spectateur, qui lui fit promettre une fois encore qu’elle lui montrerait les étoiles ce soir.

Ce n’aurait pas dû être une surprise, mais pouvait-on s’en vouloir d’espérer ? Même en Einar, on pouvait placer secrètement des ambitions profondes, il serait toujours temps de lui apprendre à marcher sur les mains. Quelque chose d’un peu trop profond pour qu’elle en parle jamais, et maudite sois Tifen de l’avoir compris avant elle. Ambre s’était d’emblée juré de ne pas enseigner. De ne pas reproduire la faute originelle.
Et chaque fois c’était pareil. Elle l’avait tenté malgré elle, de manière détournée. Qu’en avait fait Ewall ? Elle lui avait dit de partir, ouvert tant de choses qu’il n’avait pas su lire. Mais ce petit foutriquet était resté très sourd, et de toute façon Ambre se moquait de ce qu’il adviendrait de lui.
Qu’Anaïel s’en occupe ; elle au moins était tout ce qu’il y avait de plus marchombre. Elle secoua la tête, serrant les masséters. Plutôt crever que repenser à tout ça.
Ses doigts cherchèrent la fente, l’imperfection sur son bâton, bizarrement fascinées. Au moins, il avait un bon sabre, ça ne le sauverait pas, mais ce serait joli à planter sur sa tombe, quand on la reboucherait.
Elle frappa dans une pierre, mais ni cela ni le reste n’était suffisant pour apaiser son humeur.

*

Plus tard, bien le soleil ployait déjà vers les cîmes quand il lui toucha l’épaule ; elle fut rejointe par le second fils de Gord, qui apréciait ses sarcasmes. Il lui lança d’entrée de jeu une éloge sur ses efforts pour grimper sur les chariots et se prendre volontairement des coups d’épées. Ambre voulut croire qu’elle faisait illusion en répondant d’un sourire maladroit.


-Ton père n’a pas dû en rire, s’excusa-t-elle, en baissant les yeux.

-Je pense que tes capacités à faire passer le frère de ta compagne de voyage pour un guerrier se sont limitées à votre premier négoce. Mais c’est important pour une itinérante, de savoir se vendre. Il ne peut décemment pas t’en vouloir. De plus, jusqu’ici, votre contrat est parfaitement honoré.

-Mieux que cela, s’autorisa Ambre, nous vous rapportons moitié plus de Siffleur que ce qu’il vous faut, notre contrat devra être révisé à la sortie, compte sur moi pour ça.

Le frère de sa compagne, voilà ce pour quoi Einar passait. Un instant, Ambre avait songé à détromper son interlocuteur. Les liens de sang suffiraient à excuser les faiblesses d’Einar. Il y avait plus important à faire. Elle lui suggéra de commencer ce combat qu’ils s’étaient promis, un peu en avance. Elle en avait besoin ; de cogner sur les choses, de retrouver la simplicité de sa roture, de sa boue, de ses coups.
Mais cette fois elle les donnerait. Destan se mit à rire, lui demanda si elle voulait choisir son arme, elle rétorqua que le cas échéant il ne s’en relèverait pas ; en demandant au cocher le plus proche de garder son bâton.
Mais quand il se releva pour la centième fois, au moins une heure plus tard, en se massant les reins et admettant qu’elle n’était peut-être pas si mauvaise que ça ; Ambre comprit que cela même, ce ne serait pas suffisant. Il aurait suffi qu’il la batte, mais il ne pouvait pas.


*
Elle avait la nausée, ce goût dans la bouche, le goût de l’Académie, de la sortie de l’Anh-Ju, où se souvenait-elle, elle n’était pas parvenue à déterminer d’emblée si elle avait devant elle un conseil d’Ena ou un conseil de marchombres. Quelque chose de la rouille, des cheveux d’Elera. Rien que le fait de s’asseoir, partager le repas du groupe, les regards, c’était insupportable, communautaire. Il ne manquait que l’inquisition, et la serre pour se réfugier, avec Tifen, en se demandant si elle était de lumière ou d’ombre. Mais Tifen n’était qu’elle-même, et pour Einar, aussi chantelame qu’elle pouvait. Ambre avait au moins la satisfaction de voir que le sac où sa sœur rangeait les codexs n’avait plus bougé.
Lui aussi, elle avait l’envie dévorante de le brûler. Tout brûler, ça lui rappelait l’ermite, et la feuille incandescente sur sa main. Personne au moins, ne lui enlèverait ce passé, les heures à la bougie, les lectures prohibées. Un jour, elle annoterait, elle écrirait, peut-être, à défaut des poèmes marchombres, de rès longs traités très intellectuels, qui aboutiraient à la conclusion que l’univers, c’était la merde, et les riches aussi.


We march along
Don't care who's wrong
We still stand strong
Keep marching on

-Et ça, tu vois, la spirale, là ? C’est les Spires. Certains racontent que c’est là que vont par l’esprit les dessinateurs. Et s’ils y vont trop, ils se brûlent, incapable de retrouver leur chemin dans le Grand Labyrinthe de la Dame.

-Nous, on s’perdrait pas, même si on y allait, assurait l’enfant. Mon papa, il connait la route, toutes les roches grises la connaissent.

Et Ambre, qui avait le don du dessin d’acquiescer, attendrie.

We do what we are told
No matter what’s been done
*
Lorsqu’Ambre vit Tifen s’approcher à l’aube avec Einar, elle raidit le dos, mais parvint à contenir tout autre signe qui indiquait son agacement. Ils avaient leurs sabres, bien sûr. Mais les gestes étaient les mêmes, qu’ils soient deux, ou trois. Il semblait à Ambre qu’elle entendait le souffle, trop retenu, d’Einar, et même ses battements de cœur, lorsqu’ils posaient leurs pieds en cœur.
C’est un défi, s’obligea-t-elle à penser. Comme Ena qui affirmait qu’elle ne serait jamais marchombre. Il fallait prouver que si, qu’elle pouvait enseigner. Essayer plus fort, voilà tout.
Pas encore une défaite. Ce n’était pas obligé.

*
Tifen faisait semblant de ne pas le voir, ou pensait à autre chose. Elle discutait longuement avec Khan, profitait des arbres, de toutes les sollitudes possibles. Ambre respectait ça, chez sa sœur, et finissait par le considérer comme une invitation à prendre possession du temps d’Einar.
Il fallait qu’il forcisse, jugeait-elle. Et il se plaignait à cette petite fille d’avoir mal aux pieds.


-Parfait. Enlève tes chaussures. Viens ici, maintenant. Pose tes mains, ça ne devrait pas être trop compliqué. Ouais. Tu sais faire le poirier ? … Bien.

Ses mains assurèrent quand même la tension de ses jambes, et la contraction de ses abdominaux, pour qu’il ne s’écroule pas, puis tendit le bras derrière son dos.

-Avance, maintenant. Combien de pas ? Tous ceux que tu tiendras. Puis le double.

Un, deux, péniblement. Elle recorrigea sa posture, demanda qu’il assure sa base de sustentation. Il tourna vers elle son visage, déjà trop rouge. Ils finiraient à la fin du convoi, c’était sûr. Il tomba quelques fois. Au bout d’un moment, fort bref, jugea Ambre, il se massa les poignets. Ils y passèrent la matinée, le corps d'Einar en tremblait. Et puis, alors qu’il parvenait à en succéder 10, à condition qu’Ambre maintienne son ventre à deux mains, Bomont chuta par terre. De surprise, et avec un glapissement quasi blessé, Einar voulu retrouver le sens commun, manqua de flanquer un coup de pied à Ambre, qui de colère balança un coup de pied dans le manche du sabre. A nouveau un regard, tellement blessé, cette fois.
Ca lui faisait peur, tellement peur, mais elle était habituée à ce qu’on ne comprenne pas.
Il aurait des cloches, demain, et là, certainement des coupures. Mais c’était un bon sol pour apprendre, moins c’est confortable, moins on a envie de tomber, plus on apprend.


-Pose cette saleté. Sur le charriot, si tu n’as pas envie qu’il soit plein de boue. Il est très beau, tout ce que tu veux, mais si on te désarme, il ne te restera que tes deux foutues mains. Et tes deux foutus pieds. Et ta foutue tête de pioche quad tu parviendras à l'utiliser pour autre chose que couiner. Viens ici, on avance plus, viens te battre.

Ena avait renoncé, elle, elle refusait de le faire. Si Ena avait montré suffisamment de patience, suffisamment de dureté, peut-être… peut-être que ça aurait été différent.
Elle voyait la colère, à présent, mais surtout le dépit, et le goût dans sa bouche s’accentuait. Avait-elle pincé les lèvres, encore ?
Accessoirement, elle avait envie de le cogner à le tuer elle-même. Ca lui ferait un échec en moins, et un cadavre de plus. Et de son expérience, les morts étaient bien moins pesants sur la conscience que les vivants.
Son poing fusa, l’avant-bras d’Einar répondit. Rapide, précis, académique. Quelques échanges lui suffisaient. Il tapait bien haut, dans les problèmes de garde, qu’il ne détectait pas mal du tout, d’ailleurs. Mais pas assez fort. Comme pour l’entrainement, pour apprendre des mouvements, et ses gestes étaient usés de s’être répétés sans cesse, vides de sens. Les yeux violets allaient d’un poing à l’autre. Il dansait bien sur ses pieds. Mais qu’il cogne, bordel. Le sang chassait bien l’Académie.


-Combien d’année d’entrainement, pour ça ? … Autant que ça ? Et j’imagine qu’avant, tu n’avais jamais sorti le nez des jupes de ta mère ? Un bébé pourrait te faire couler le sang du pif avant que tu aies fini de battre des cils. Ils te laissaient gagner, tes amis, ou bien tu mangeais systématiquement le sable de l’arène ?

Sa mère l’avait fait réagir. Plus que ses propres défaites, mais. C’était facile, c’était tellement facile de retrouver ce réflexe-là. Celui qui rendait les entrainements réels, celui qui devenait sérieux. Celui qui montrait ce qui restait de l’entrainement quand les gestes l’emportaient sur le reste.

-C’est arrivé qu’on te félicite, quand tu n’étais pas seul, ou entouré de filles? Et à la reprise, dis-moi, tu devais être très fier de t’être caché. Tu t’es caché, pas vrai, Einar ?

Il s’arrêta, cette fois, la toisant avec tout son défi, et elle le reconnut chevaleresque lorsqu’il se retourna pour l’ignorer. Elle n’hésita pas. Son pied glissa entre ses jambes, et les crocheta, juste après qu’elle l’ai gifflé de l’index et du majeur, à l’arrière de la tête.

Si tu te détournes de l’ennemi tu meurs.
Il n’était pas tombé, et il n’avait pas bougé. Ambre était prête, et en garde. Cette fois, c’était un vrai poing, qu’elle eut du mal à parer, tant il était agressif. Et c’était le premier. Einar explosa.

*

La question de Tifen la prit suprêmement au dépourvu. Elle avait vu ce voyage comme une fuite en avant, qu’il serait bon de faire. Bien sûr, l’avenir était lié au passé, et toutes les routes de l’Empires se croisaient sur les cartes, mais. Elle hésita, longuement, en regardant la route s’étendre devant elle, en se demandant à quoi ressemblerait la mer.


-Non… non, pas vraiment, Tifen. Je… j’ai eu ma boussole, tu sais ? Ca veut dire que je peux et pourrai toujours me repérer seule et trouver mon chemin.

Elle se passa la langue sur les lèvres. La lune éclairait bien les environs, rien ne pourrait les approcher, pas encore. Et les itinérants dormaient. Peut-être pas Khan, Einar et lui dormaient quelque part, proche, blottis l’un contre l’autre.

- Mes parents ont renoncé à moi et j’ai renoncé à eux. Je ne me marierai, ni n’enfanterai, je suis marchombre, et plus leur fille. Ils m’ont quittée enfant, et ne comprendraient pas ce que je suis devenue. Nos chemins divergeront toujours… souvent, je regrette leur absence, je me demande ce que je choisirais, en connaissance de cause. Pas toi ?

Ce goût, encore, dans la bouche. Amère, amère, amère, je suis tienne, océan, jusqu’au goût de mon sang.
La tête sur les genoux, elle ne voulait regarder ni la lune trop claire, ni surtout les étoiles.


- Souvent je me demande s’ils arriveraient à être fiers, et si moi, face à eux, j’y parviendrais. Je ne sais pas si j’oserais les saluer. Leur dire… je ne sais pas. « Je suis rentrée, c’est moi ». J’me dis souvent « Je suis partie parce qu’il fallait ». Ca n’a juste pas changé, depuis, je crois. Il faut, alors, on y va. Sans ça, j’aurais crevé. Je voulais retrouver le chemin. Ca a été pareil, avec Ena. Pardon, j’parle trop.

*

Ce matin-là, alors qu’ils dépassaient les dernières frondaisons, et pouvaient apercevoir à l'est la fin du lac Chen, Ambre, en passant derrière un charriot eut la surprise de voir que le foutu sac à codex était ouvert. Bizarrement, les codexs avaient disparus, remplacés par des glands, que les secousses dérangeaient. Elle fronça les sourcils, incapable de concevoir autant que de comprendre,et pas sûre de vouloir poser de questions.

Tifen avait la main sur l’échine de Khan, paraissait mal à l’aise de laisser Ombreuse derrière eux. Ambre posa tout doucement la main sur son épaule. Devant elle, il y avait bien d'autres richesses, les cols des Dentelles vives, et loin à l'horizon, les collines de Taj, dont le convoi se détournait.
Du menton, l’ex-lupus lui désigna Einar, qui racontait aux enfants les frasques du Chevalier Bomont d’Ombreuse, avec tant de sourires, d’expression, et de scènes d’épée qu’il faillit embrocher une rombière du public.
Destan les regardait, marchant à reculons. Il sourit à Ambre, la saluant de loin.


I've seen the end ahead
But I still keep marching on
No where to go but off the edge
All sense we had is gone

-We march alone, murmura Ambre, dans le vieux parlé populaire qui venait des mines où sa famille se fournissait. C'était de circonstances, et tant mieux si on ne la comprenait pas.
[The March-Hypnogaja ]

Einar Soham
Einar Soham

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeLun 17 Sep 2012 - 1:16

Il le savait, lui, ce qu’il valait en combat : rien, et c’était pas difficile de le voir. Il savait pas jongler avec des lettres, il savait pas très bien jongler tout court d’ailleurs. Et il savait pas se battre. Ambre aimait peut-être pas tout ce qui avait trait à Valen, mais il était aussi loin de Valen que faire se pouvait. Il savait se battre aussi bien que s’il avait eu un de ces rameaux souples entre les mains. De toute manière il avait jamais tué personne, comment on pouvait prouver sa valeur au combat si on n’a jamais tué personne ? Ou même vraiment défendu des gens ?
Il donna les tiges à Tifen qui les stockait dans son propre carquois, et serra les doigts autour de son arc. Même son arc était pas à lui. Il appartenait à Elera. Et Bomon, il avait été créé par Tifen. Il avait beau lui avoir trouvé un nom et avoir mis un de ses foulards à la garde du sabre, ça restait pas un truc qu’il possédait entièrement.
Il y croyait pas trop, à revoir ses parents. Ils étaient pas du tout dans le coin, et ils étaient forcément plus au Sud qu’Al-Far. Et le voyage était manifestement pas fait pour ça. Mais c’était gentil de la part de Tifen de l’encourager.
On irait pas où on voudrait après, non. On irait jamais où il voudrait lui.
Il était que l’apprenti, t’façon.

*

- Wow, et tu feras quoi plus tard, du coup ?

- Euh ben… Chantelame, ça parait logique, si j’suis apprenti chantelame.

Elle lui répliqua en riant alors que chantelame était pas un vrai métier pour plus tard, alors que les itinérants, eux, ils étaient à la fois des gens et des métiers, et une façon de vivre et une unité, alors que chantelame, ils étaient pas tout ça.

- Tu gagneras pas ta vie en étant chantelame, pâté de siffleur, tu crois quoi ? Que tu peux vivre en mangeant ton sabre ?

- Euh ben, c'est-à-dire que..

Ca l’avait complètement déprimé que Narsès lui dise ça. Il y avait jamais vraiment réfléchi parce que Tifen était juste chantelame et semblait plutôt bien le vivre. Mais il passa la journée à shooter dans une coquille d’escargot vide en ressassant qu’il pourrait jamais faire chantelame dans la vie. Pourquoi Tifen et Ambre lui avaient jamais dit, ça ? C’était beau de l’entrainer, ou de lui taper dessus, mais ça lui servirait à quoi ?
Il pourrait peut-être s’enrôler dans la garde ? Être soldat, et peut-être lieutenant un jour, peut-être capitaine ? Et les légionnaires noirs ? Non, c’était pas pour lui, la légion noire, ils avaient aucun sens de l’humour.
Note qu’il avait l’impression de perdre le sien un peu plus chaque jour.

*

- Y’a qu’toi qui m’comprend, ici
, murmura Einar en s’agrippant à la fourrure d’Appa de Khan, blotti contre lui. Le tigre bailla et posa son énorme patte en travers du torse de l’adolescent, qui enroula ses bras autour, en laissant échapper dans la nuit noire une larme. Il s’était juré de plus jamais pleurer en public devant des gens, et surtout devant Ambre et Tifen. Mais la nuit, ça comptait pas, et devant Khan non plus.
De toute manière, Khan n’existait pas.

*
Einar explosa.
Je Te Hais Je Te Hais Je Te Hais Je Te Hais Je Te Hais. Les larmes se mêlaient à la poussière qu’il avait plein le visage et les cheveux à cause de ses nombreuses chutes, et il savait pas si le sang qu’il avait sur les jointures ça venait aussi des chutes ou d’Ambre ou de lui-même. Il en avait marre, il avait le cœur plein de fissures, encore plus fissuré que Grand-Mamie n’avait de rides sur les paumes. Il détestait Ambre. Il s’était pas caché, c’était faux, il savait pas se battre mais il s’était pas caché, il refusait, il était pas un lâche. Il était froussard, et faible, et il pleurait tout le temps, mais il était pas lâche. Jamais. Jamais, jamais, plus jamais il serait lâche.
Il dût percuter une fois la mâchoire d’Ambre, car la douleur irradiait sa paume, mais elle le lui rendit bien. Il avait fait tout ce qu’il pouvait, marché sur les mains toute la matinée pour lui faire plaisir, et fait ses exercices de parade comme elle voulait, mais merde c’est pas sa faute s’il était nul ! Ils étaient par terre, il se rappela avoir eu une fois le dessus, mais elle l’avait repris.
Elle cognait plus fort que lui.
Comme tout le monde sur terre.

Il avait tenté de se dégager et de se contorsionner pour atteindre Bomon, et trancher Ambre en morceaux. Ca avait eu le don de mettre Ambre particulièrement en colère, parce qu’elle lui mit la main à la gorge et le gifla. « Ca suffit », lui avait-elle fait. Non, ça suffirait jamais. Alors elle s’était levée et avait mis un autre coup de pied dans son précieux sabre avant de le ramasser et de le garder. Et de s’en aller avec.
Il la détestait tellement. Tellement.
Même quand elle le lui rendit le lendemain, après concertation avec Tifen, il la détestait toujours autant.

*
Qu’est-ce qui l’empêchait de s’en aller, au fait ? Il avait transvasé ses livres dans ses propres fontes, parce que Tifen commençait à les tâcher à force de glisser des glands dans la reliure, et il savait où ils étaient. Et donc où aller lui-même pour être le plus loin possible d’ici.
Il était pas vraiment lié par contrat, lui, au moins, vu qu’il était pas marchombre.
Mais à défaut de s’enfuir pour de vrai, il s’enfuyait de temps en temps quelques heures, quand il était pas de garde. C’était déjà ça.
Il allait le plus loin possible, là où personne pourrait le trouver, et il apprenait à grimper aux arbres. Tifen lui avait lancé un regard tellement douloureux quand il lui avait appris qu’il ne savait pas grimper aux arbres et encore moins sauter de branche en branche qu’il se sentait encore plus mal qu’avant. Elle lui montrait parfois elle-même, mais il fallait de plus en plus souvent surveiller directement les chariots parce que les chemins étaient dangereux et rocailleux, et les heures qu’il avait de libres…
Il les passait à fuir.
Alors il grimpait, d’abord de petits arbres, et de grosses branches. Et sans admettre qu’Ambre avait raison, il tenta aussi, sur une branche très large de marcher sur les mains. Il tomberait pas de très haut, mais de suffisamment quand même. Il tomba, une fois, cinq fois, dix, cent peut-être.
Mais il apprenait à la fois à tomber sans se faire mal, à marcher sur les mains, et à se rattraper aux branches. Et au fur et à mesure, il tenta sur des arbres plus hauts, des branches plus étroites, jusqu’à savoir grimper correctement aux arbres, se balancer correctement aux branches, tomber correctement et marcher sur les mains correctement aussi.

*

- Regarde, Ambre.

Et il se laissa tomber en arrière jusqu’à poser les paumes au sol, et se hissa à la verticale, en faisant deux fois le tour d’un des gamins qui suivait toujours Ambre, et qui rigola en tentant d’éviter Einar tête en bas. « C’est pas trop mal », elle lui avait dit. C’est pas trop mal.

- Mais je dois faire quoi pour que ça t’aille ! C’est parce que j’ai pas la Voix Marchombre qui me parle dans la tête comme madâme, que je fais forcément tout moins bien, c’est ça ?!


*
Fallait qu’il devienne plus fort. Qu’il puisse cogner plus fort qu’elle. Et qu’il puisse se hisser à des arbres plus grands. Narsès commençait à le trouver bizarre à venir jouer de moins en moins, et parce qu’il leur avait jamais raconté la fin de la légende de Bomon et que les gamins la réclamaient. Mais plus ils s’enfonceraient dans les Dentelles Vives, moins y’aurait d’eau et de végétation, et il avait encore besoin d’eau et de végétation s’il voulait se venger d’Ambre.
Un soir, de garde, perché dans un arbre pour pas être dérangé, sans s’être rendu compte qu’il commençait à prendre les habitudes de Tifen, il sortit un des bouquins qu’il avait piqués à la bibliothèque de l’Académie et regarda attentivement les dessins. Puis il sortit des longues fibres de chanvre qu’il avait récoltés sur les bords du lac Chen, et l’arête dorsale d’un poisson qu’il avait récupérée dans les cendres du feu commun. Une longue arrête de vingt centimètres de long, aussi dure que le fer, et plus pointue que l’extrémité de Bomon. Et consciencieusement, il se mit à tresser les brins entre eux, pendant de longues heures et jusqu’au matin.

*
Mais avec tout ça, il avait complètement oublié sa promesse à lui-même envers Tifen. Elle lui avait dit qu’elle savait pas très bien lire et écrire, une fois, et il s’était promis qu’il lui apprendrait, un jour.
Et maintenant était l’occasion rêvée. Le convoi devait rester quelques jours au même endroit pour une obscure raison qu’il n’avait pas comprise. Du coup, un matin, il prit trois gros bouquins entre ses bras et vint se poser près de Tifen, qui affutait des pointes de flèches.

- Regarde, j’ai trouvé une illustration de Khan
, fit-il en lui montrant une aquarelle représentant un tigre des plaines beaucoup plus vieux et beaucoup, beaucoup plus gros et vilain pas beau que ne l’était Khan, mais qui lui ressemblait beaucoup en dehors de ça. T’as vu, c’est toi, fit-il au gros tigre qui s’apprêtait à s’enfuir discrètement pour échapper au ridicule.

- Tu te souviens encore de ton alphabet, dis ? Comment ça, ça sert à rien de savoir bien lire et écrire ? Mais si j’t’assure… Si c’est vrai. Si c’est vrai. Si. Si. Siiiiiii, c’est vrai. Regarde, comme ça, je pourrais t’écrire des lettres, et tu pourras les comprendre, et tu pourras écrire des lettres à Ambre si vous vous séparez un jour. …Non mais parler dans la tête c’est de la triche…. Siiiiiiii, c’est vrai, ça sert à quelque chose-euh.

*
Le reste du temps, il les fuyait encore. Surtout Ambre. Elle essayait visiblement de le coincer pour l’humilier encore, mais il s’enfuyait toujours avant.
Il avait fini par relier la longue arête de poisson crénelée à la corde qu’il avait tressée, et il s’entrainait avec. D’abord, à le manier. Et faire tourner la corde autour de lui, de plus en plus rapidement, à trancher des roseaux de loin dans des mouvements circulaires, ou à accrocher des branches avec l’arête. Son problème, c’est qu’il arrivait pas encore à gérer la corde et l’arête à la fois d’une seule main, alors que c’était son but final. Il était persuadé qu’en tenant la corde avec les deux derniers doigts, et en lançant l’arête avec le pouce, l’index et le majeur, il pourrait gérer Bomon de l’autre main.

Et il avait déjà décidé de quand il ferait son premier essai avec une seule main.

*
Ca devait forcément être de nuit. La journée, elle le tenait toujours en main, au moins autant que lui il tenait la garde de Bomon. Ou alors faudrait que ça soit à un moment où elle était distraite. Et où lui pourrait se cacher. Finalement, l’opportunité se présenta. Ambre discutait avec l’autre Siffleur, le fils de Gord, qui le méprisait aussi, et tenait son bâton dans une pose relâchée.
L’arête fusa ; la corde s’enroula plusieurs fois autour du bâton et se coinça dans les crans dentelés de l’arête, et le bâton fut arraché de la main d’Ambre par la traction d’Einar. Il bondit aussitôt, le bâton dans une main, la corde fléchée dans l’autre, et s’enfuit en courant dans les bois. Il sauta sur plusieurs branches basses et lança à nouveau sa corde, qui s’enroula autour du tronc d’un autre arbre. L’élan lui permit de tourner autour de ce tronc, accroché à la corde, et il atterrit juste derrière Ambre, qui l’avait talonné jusque là.
Elle était tellement vive qu’il se mangea un coup de poing dans les côtes aussitôt, et recula de plusieurs pas, la corde tournant et l’arête sifflant pour maintenir Ambre à distance.

Il pourrait casser le bâton. Le trancher en deux avec Bomon. Mais tout au fond de lui-même, Einar était pas cruel. C’était comme si Ambre décidait de casser Bomon en deux devant ses yeux. Sans un mot, il jeta le bâton aux pieds de l’Itinérante, et s’enfuit. Il s’en foutait de combattre. Il avait prouvé ce qu’il voulait lui prouver.
Courir, ça, il savait faire. Courir et éviter. Et maintenant, il apprenait aussi à courir, éviter, et ligoter. Pour qu’on ne puisse jamais avoir le temps de se rendre compte qu’il n’était pas assez fort au corps à corps.

*
Maîtriser un truc qu’il était le seul à utiliser lui avait un peu rendu de sa confiance en soi, même si on l’avait regardé bizarrement au début. Mais Tifen approuvait qu’il sache désormais grimper et sauter d’arbre en arbre, alors elle faisait fi de la corde fléchée qu’il utilisait parfois pour prendre de l’élan ou se rattraper lorsqu’il glissait d’une branche. Après un parcours particulièrement éprouvant qu’elle avait préparé autour du petit étang où le convoi s’était arrêté et qui s’était fini en plongeon dans l’eau – avec Einar gagnant discrètement un endroit où il avait pied le plus rapidement possible, après ce parcours donc, ils avaient préparé le miam, et Einar était reparti à l’attaque avec ses bouquins.
Etrangement, Khan avait fui, en écho à la volonté farouche de Tifen de se trouver ailleurs aussi, mais le petit chantelame persistait.

- Non, non, ça s’écrit sans « o », « s’enfuir », regarde, comme dans à cette ligne-là, sinon si tu rajoutes un « o » ça se prononce pas pareil et ça veut pas dire la même chose..

Il s’enorgueillissait du fait qu’elle lisait super bien, maintenant, ou qu’au moins, elle faisait super bien semblant de lire super bien. Mais elle avait beau être une maître chantelame, elle avait jamais la patience de rester écrire assez longtemps. Son rêve, c’était qu’un jour, quand ils seraient séparés, il recevrait des lettres de Tifen. Là, il se sentirait tout heureux. Après plusieurs dizaines de minute, il sortit petit carnet brun avec plein de feuillets dedans et le tendit à Tifen :

- Dis… tu pourrais lui donner ça ? ‘Fin à Ambre, j’veux dire, j’ai recopié tout ce que j’ai pu trouver dans mes livres sur les légendes alines et les légendes des mers en général, et sur les îles alines en soi, j’me suis dit que ça pourrait l’intéresser, mais j’ose pas lui donner moi-même. Et puis ça c’est pour toi. Je sais pas c’est quand ton anniversaire, du coup ben j’te le donne maintenant…


Il sortit un petit livre rigide d’une autre poche et lui tendit. Il était plein d’illustrations de feuilles et d’arbres, et de fruits et même de glands, avec leurs noms soigneusement ajoutés à côté à chaque fois avec son écriture un peu penchée et tordue. Il avait aucune idée de pourquoi Tifen passait son temps à ramasser des glands et des feuilles de toutes les couleurs, mais elle pourrait tout faire correspondre à leurs noms respectifs, maintenant.
Il espérait vraiment que ça lui plairait.
Et qu’aux yeux des deux, il aurait un peu de mérite. Ou au moins qu’il serait pardonné.


Tifen Layan
Tifen Layan

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeMar 11 Déc 2012 - 22:34

Einar savait grimper aux arbres, maintenant. Et ça, c'était cool. Et ils pouvaient faire plein de parcours de branche en branche, et même partir en éclaireurs sans toucher le sol, ce qui était quand même vachement plus furtif, n'en déplaise à Grand Castor.

*

Pff, Khan, il était carrément plus joli que ça, d'abord. C'était qui, le pâté de siffleur qui avait fait ça ? Parce qu'il devait jamais avoir vu de tigre des plaines de sa vie, lui.
Wait, it was a trap. Ca servait à rien, la lecture et l'écriture-euuuh. Puis elle savait déjà le faire, d'abord:na : Elle les avait lu, les codex de Valen. Bon, en regardant beaucoup les images, mais quand même. Et elle aurait pas pu le faire si elle savait pas lire, d'abord. Mais Einar s'acharnait, et elle se pencha à contrecœur sur les ouvrages qu'il lui montrait, pour lui faire plaisir. Pendant que Khan fuyait dans les fourrés, le veinard.

*

Le silence. Et leurs respirations qui se synchronisaient, quand ils posaient leur pied au sol dans un même temps. La nuit s'éclaircissait à peine derrière leurs paupières closes. Le calme, absolu. C'était ça, l'harmonie. Et c'était bien.

*

Elle prit les ouvrages qu'il lui tendait. Ouvrit celui qui était son cadeau, vaguement inquiète. Elle se méfiait de tout ce qui touchait aux livres et à Einar combinés, tant l'un et l'autre réunis en un même espace pouvaient être dangereux. Ow, des feuilles. Et des glands, plein de glands partout. Elle en sortit quelques uns qui traînaient dans ses poches, cherchant à retrouver dans les images ceux qui correspondaient. C'était génial, ce truc. Avec un grand sourire, elle prit Einar dans ses bras

- Merci ! Je donnerai le sien à Ambre, promis.

*

Dans un grand fracas de métal et de vociférations, une nuée d'enfants poursuivie par une itinérante bedonnante et particulièrement agitée passa devant Tifen, qui leva un sourcil perplexe. Les itinérants avaient quand même de drôles de coutumes, parfois. Haussement d'épaules, elle retourna à son occupation première, à savoir le tri des plumes qu'elle avait récolté lors de la dernière chasse pour les futures flèches.

*

Ambre était partie en éclaireur ce jour là, et Tifen avait passé son temps à rôder à distance réduite autour du convoi. Puis elle s'était postée dans un arbre, attendant le retour de l'ex-Corbac qui devait normalement passer par là pour rejoindre les chariots. Elle avait dans son sac le carnet réalisé par Einar, puisqu'elle avait promis de le transmettre. C'était l'occasion.
Pour patienter, elle feuilletait son propre ouvrage, essayant de corréler les illustrations aux feuillages qui l'entouraient. Un bruissement en contrebas attira son attention, et elle se laissa basculer en arrière, tête en bas, pour vérifier les environs, ne gardant que ses jambes en balancier sur la branche. Et aperçut le dos de la marchombre qui se glissait entre les arbres.

- Ambre ! Attends-moi !

Ses jambes glissèrent de la branche, tandis qu'elle en crochetait une plus basse pour redonner au monde son sens originel et pour se balancer en direction de sa soeurette. Une fois sur le sol, en quelques pas, elle l'avait rejointe, sortant de sa besace le cadeau d'Einar.

- Tiens, fallait que je te donne ça.
Elle ajouta, pour répondre à l'interrogation sous-jacente d'Ambre. C'est de la part d'Einar.

Elles reprirent côte à côte le chemin à travers les sous-bois, pour parcourir les quelques dizaines de mètres qui les séparaient du campement.

*

Les tiges séchaient bien, elle les redressait régulièrement, vérifiant l'absence de fissure ou de nœud trop développé qui déséquilibrerait ou fragiliserait les flèches. Ils commençaient à longer vraiment les Dentelles Vives, les ressources en bois potable pour faire de bonnes flèches devenaient faibles. Ca en devenait ridicule, cette absence d'arbres. Que des cailloux, des buissons, et les Grandes Plaines qui s'étendaient à perte de vue dès qu'on prenait un peu de hauteur. Mais trop loin pour partir en mission commando pour la coloniser en futurs chênes. C'est à cela qu'elle pensait à chaque fois qu'elle grimpait légèrement pour mieux appréhender le paysage lors des missions d'éclairage, parce que c'était quand même plus simple de repérer les choses qu'en haut que d'errer au milieu des cailloux en espérant tomber sur les éventuelles menaces. Elle entraînait d'ailleurs régulièrement Einar avec elle. Savoir grimper aux arbres n'était pas une excuse pour ne pas savoir grimper aux montagnes.

*

Le camp était monté, le repas avait été pris, chacun vaquait à ses occupations. Son apprenti venait de finir une histoire aux enfants du convoi et Tifen écoutait, perchée sur un chariot. On lui réclamait déjà une autre légende, mais la jeune femme avait d'autres idées en tête lorsqu'elle se laissa glisser souplement au sol.

- Eh, Einar !

Il tourna la tête vers elle, surpris. En deux pas, elle l'avait rejoint et posé la main sur bras.

- Coureur !

Et elle disparut dans l'ombre du convoi. Un sourire amusé apparut sur ses lèvres lorsqu'elle entendit les cris et les bruits de courses enfantins derrière elle. « Hiii, c'est Einar le coureur ! », « Vite, cours ! », « Attention à Einar ! ». Le jeu était lancé. Elle l'observa toucher sans trop de mal une fillette qui restait un peu trop près de lui, s'éparpiller avec les autres pour éviter les différents coureurs qui se succédaient rapidement, puis se laisser finalement toucher par un tout petit chancelant encore presque sur ses jambes qui n'arrivait pas à rattraper les autres enfants.

Nouveau sourire, quand elle sortit de l'ombre pour attirer son attention. Changeons un peu le jeu, Einar. Viens affronter un adversaire à ta hauteur.
Il se dirigeait vers elle, répondant à ce défi implicite. En garde, elle l'attendait, genoux fléchis et les mains négligemment croisées devant elle. Elle connaissait la distance, elle connaissait le temps. Et quand le bras de son apprenti fusa vers elle, Tifen n'eut qu'à se décaler d'un pas pour le laisser passer, entraîné qu'il était par son élan.

- Sois plus souple sur tes appuis, contrôle la force que tu donnes à tes attaques.

Elle conservait la distance, le laissant faire de vaines tentatives pour la toucher. Il allait bien se rendre compte qu'il était trop loin. Et effectivement, assez vite, il cessa ses attaques pour se contenter d'observer, se plaçant à son tour en garde les bras légèrement fléchis dans sa direction. Il était temps de jouer avec la distance.
Pas en arrière, pas à gauche, demi-pas pour réduire la distance et voir si son apprenti utiliserait cette ouverture. Il ne la repéra pas immédiatement, ce qui fit qu'elle continua à jouer. Un pas de plus, un pas de moins. Il finit par bondir, un instant où la distance était plus courte, et ses doigts effleurèrent son bras de justesse.

- Allez, je suis sûre que tu peux faire mieux !

Retour à la distance. Force-moi à te laisser des ouvertures, c'est à ton tour de jouer.
Il fallut quelques instants, quelques tentatives, mais Einar commença à comprendre. A jouer sur les pas, sur la distance, sur le temps. Pour finir enfin par la toucher franchement après l'avoir obligée à avancer un peu pour conserver la distance.
Sourire.

- Je te conseille de courir.

Une demi seconde pour saisir le sous-entendu, et le jeune homme partit à toute allure, poursuivit de près par la chantelame, dans une course poursuite autour du cercle formé par le convoi. Ils firent plusieurs tours, passant devant Khan qui les regardait d'un air blasé, jusqu'à ce que Tifen parvienne à rattraper son apprenti dans une pointe de vitesse.

- Bien joué !

*

C'était trop calme. L'ennemi le plus redoutable qu'ils avaient eu à affronter jusque là était un gros siffleur, ce n'était pas normal. Elle avait bien aperçu quelques ogres dans les plaines au lointain quand elle prenait de la hauteur dans les montagnes, mais rien n'avait vraiment menacé le convoi jusqu'à maintenant. Et c'était vraiment bizarre. Surtout que visiblement, les cailloux de Grand Castor avaient l'air d'être assez importants. Plus les jours passaient, plus elle était aux aguets, convaincue que ça devenait franchement anormal. Et elle entraînait Einar, l'obligeant à travailler ses réflexes plus que jamais. Quelque soit le truc qui leur tomberait dessus, ils seraient prêts.


Tarus Tal'Oursian
Tarus Tal'Oursian

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeSam 29 Déc 2012 - 4:39

Un homme est posté sur un rocher, assis, l'air opiniâtre. Il regarde au loin une caravane d'Itinérant. Cela faisait longtemps qu'il avait prévu ce coup... Mais putain bordel qu'est ce qu'il faisait froid. Une énième fois le chef souffla dans ses mains devenues calleuse. Avant, il avait les mains douces... Dame, ce qu'il regrettait l'ancien temps... Avant la plus grosse bêtise de sa vie... Avant la prise de l'Académie.
Avant, il était riche, née des célèbres Tal'Oursian, capitaine de père en fils jusqu'à ce que le boulot devienne trop dangereux pour son arrière-arrière-grand-père. Du coup, la famille est passée du statut de « Capitaine » à « Requin en affaire ». Ayant un capital de départ important - oui Capitaine, ça rapporte, si vous voyez ce que je veux dire - les affaires furent florissantes rapidement. Ce qui fit passer les Tal' Oursian au titre de noble-que-l'on-invite-dans-les-fêtes-mondaines. D'ailleurs c'était ce qu'il regrettait le moins dans son ancienne vie. Ces soirées où la fausseté et la traitrise prenaient place. Hmf, lui il voulait juste être libre, être connu et tuer...
En fait, son plus grand problème psychologique venait de son enfance... Tarus devait avoir dans les huit ans, il était né avec l'envie de combattre, d'apprendre à manier une épée... Du coup son cher papa bien riche lui avait acheté une petite arme en bois, pour s'amuser. Alors que le jeune garçon courrait dans les bois, son épée à la main et juste devant lui s'arrête un siffleur, genre farouche, qui cherche à se rebeller contre les humains qui les oppressent... Vous voyez ? Oui un animal qui va charger sans rien dire. C'est ce qui arriva. Le siffleur s'élança vers le petit garçon qui, souhaitant se protéger, assena un fulgurant coup. Ce qui brisa les os de l'animal en mille miettes. C'est alors qu'un truc s'alluma dans la tête de Tarus, il trouvait la vie si fragile, si facilement cassante... Et lui étant un enfant, ce qu'il aimait c'était brisé des choses... Alors, la petite idée de détruire plein de trucs s'incrusta dans sa tête comme une graine qui pousse et qui pousse. Et qui finalement au bout de dix ans donne un tueur.
C'est bien à dix-huit ans qu'il devint un tueur recherché... Bon pour trois peccadille, mais quand même. Il avait tué trois braves marchands - et emporté leurs biens - par pur plaisir. Il commença sous le nom du tueur perçant. Ce nom lui était donné à cause des trous laissés dans les cadavres. Ils étaient produis par une rapière plutôt resplendissante offert pour son diplôme d'escrimeur. Ensuite vint le clown, à cause du rire qu'on entendait après ses crimes... Et finalement quand commença la véritable légende, il devint le Tueur Del Arte. Tout ça à cause du masque qu'il portait, un splendide masque affichant un sourire gigantesque, presque démoniaque. Et sa prime augmentait, pour son plus grand plaisir. Car, en plus de tuer, il s'était découvert une autre passion... La célébrité. Le fait d'être connu procurait chez ses victimes un visage apeuré à la limite du jouissif... Et en plus de ça, sa véritable identité n'avais été jamais révélée. Le pimpant et courageux Tarus Tal' Oursian, reprenant les affaires de son père, personne ne pouvait le soupçonner.
Jusqu'au jour où tout à basculer. Le jour où il fit la plus mauvaise des affaires... Et il avait retenu la leçon... Ne jamais, oh grand jamais, s'allier avec les Mercenaires du Chaos. Pourtant, cela semblait si alléchant... De l'or, côtoyer la plus grande terreur de toute Gwendalavir et le plus grand projet que Tarus n'avait jamais vue... S'attaquer à l'Académie même ! L'Académie du grand Merwyn ! Ah, si tout c'était bien passé... Sauf que... Il s'était un peu emporté, normalement il devait capturé en douceur un des élèves d'une marchombre. Discrètement... Mais les raïs avaient tous gâché. Dans la panique générale, l'un d'entre eux allait tuer sa cible... Du coup, il était intervenu de manière théâtrale et avait réussi à capturer le jeune homme. Tout le monde avait eu vent que le tueur Del Arte était passé à l'action dans la bataille de l'Académie.
Puis vint le plus gros soucis du plan des mercos, ils avaient placé Tarus comme maître d'arme, histoire de contrôler les élèves. Donc tout le monde avait bien sûr reconnu le tueur Del Arte et la vie du jeune homme devint vite infernale lorsque les Académiciens reprirent leurs bien... Dorénavant le monde ENTIER savait qui il était... Du coup, son père le renia, lui enleva les vivres, il fut recherché sous sa véritable identité, obligé de fuir, ne plus vivre au grand air. Maudissant autant ces foutus élèves que les mercenaires, il se planqua pendant des semaines qui lui parurent durer une éternité.
Et vint la résurrection. Fuyant les grandes villes, chassant et volant pour se nourrir, il fut attaqué par une bande désorganisée, d'environ six criminels. Ils trouvaient qu'il avait une bien jolie rapière pour un mendiant et qu'elle devait valoir un bon pactole. Tarus en tua trois, avant que les trois autres s'agenouillèrent et demandèrent pitié. L'homme leurs laissa la vie, non pas par gentillesse, mais parce qu'il était intelligent et que l'idée de montée une troupe de grand-banditisme était plutôt bonne.
Plusieurs mois plus tard, après avoir entrainé les trois premiers pions, ils commencèrent leurs besognes. Il n'éprouvait aucune amitié envers ses compères qui étaient plus inutiles qu'autre chose... Il espérait rapidement recruté un quelconque voleur valable. Après une ou deux semaines de travail intensif, les Itinérants firent passé la nouvelle. Le grand Tarus Tal' Oursian, tueur Del Arte, avait une bande et sévissait sur les routes commerciales. Des troupes furent envoyé à sa recherche, aucune ne revit le jour. Bientôt la Comedia Del Arte, comme ils aimaient s'appeler, grandit. Des bandits éparses venaient et augmentait la troupe.
Et vint Elyne Muon. Une forte tête qui voulait prendre la tête de la Comedia. Elle affronta Tarus, perdit, mais garda un caractère plutôt vif dans la défaite... Et c'est ce qui plut au commandant. Il l'épargna et après quelque semaine de réflexion, il en fit son bras droit. L'homme lui accorda sa confiance et participait à l'élaboration des patrouilles, des différents plans pour attaquer une caravane.
Après plusieurs mois, les deux personnages étaient respectés par leurs hommes et avait une confiance mutuelle si forte qu'on aurait pu imaginer une relation sous-jacente... Ces rumeurs n'étaient pas pour déplaire à Tarus et Elyne. Ce n'était pas le grand amour, mais c'était bien.
Un jour, l'un de ses espions vint les voir, annonçant une caravane d'Itinérant pleine de pierres précieuses. Un de ces coups qui « vous remplissent les poches assez pour faire vivre Al-Jeit entière » disait-il... Quoi de plus alléchant ?
Donc l'homme était assis sur un rocher surplombant le passage. En fait il y avait plein de roc par ici... Mais celui-ci était le meilleur point de vue de la région. Stratégique, surtout que de là, il voyait ses hommes s'approcher, corde au point.

-Cap'taine, on est près !

Capitaine, il se faisait appeler ainsi car, il avait toujours rêvé d'être marin comme l'était ses ancêtres... En quoi c'était risqué de combattre les Alines, découvrir des trésors et des continents ? Mais bon, c'était dorénavant impossible. Tarus lança un regard à Elyne qui était venu le prévenir.

-Alors, on y va.

Il imita le siffleur, comme il avait appris dans son enfance. Soudain, un éboulement se fit entendre, s'écrasant devant la caravane. Les chevaux devant se cabrèrent, pendant que les Itinérants demandait une replis. A cette seconde précise, un autre éboulement pris part à la fête. Enfermant le convoie dans un traquenard en pierre. Le tueur Del Arte posa son masque sur son visage, souriant... C'était une mécanique bien huilée. Il regarda sa seconde.

-Ne te fais pas tuer. D'accord ?

Elyne lui offrit son plus beau visage carnassier et posa un masque de théâtre. C'était la patte de la Comedia, ils étaient tous en costume de scène. Les armes aux poings.

-Toi non plus... Cap'taine !

L'homme descendit vers la bataille, épée au poing, cheveux verts aux vents, une cape flottant dans le dos. La caravane était protégée par une petite troupe de vaillants combattants. Tout en marchant vers le combat, il remarqua que trois se démarquait, deux femmes par leurs incroyable prouesse et un gamin imberbe qui semblait se débrouiller avec un peu de mal. La troupe de bandit s'en sortait plutôt bien à vrai dire. Les forts et les habiles s'attaquaient directement aux gardes, les rapides et endurant volaient et ramenaient le butin. Une machine vraiment bien huilés. Il manquait juste la cerise sur le gâteau. Et Tarus sauta dans l'arène. Sa rapière au poing, il perça la bedaine d'un Itinérants qui passaient par là et s'approchait de plus en plus du trio presque infernal. Sous son masque, il remarqua un petit truc qui pendait au doigt du jeune garçon remarquer plus tôt. Une bague, du même genre qu'il avait vu à l'Académie... Mais avec un petit quelque chose de différent. Sans réfléchir un peu plus, il l'attaqua.


Einar Soham
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeVen 11 Jan 2013 - 1:00

- Coureur ! exulta-t-il joyeusement en taclant la petite sœur de Narsès qui lui avait échappé pendant trois bonnes minutes en se faufilant sous une des roulottes. Les gamins étaient vifs, tous, et il finit une ou deux fois à terre assaillie par une horde de coureurs tous unis pour le faire redevenir Coureur à son tour.
Voj, c’était le tout petit du clan, plein de mamans s’occupaient de lui toute la journée, et tous les enfants le surveillaient aussi, histoire qu’il ne se fasse pas mal. Il lui rappelait son petit frère, Peklar, celui qui avait maintenant neuf ans, mais qu’Einar avait connu aussi petit que le pain de campagne que faisait parfois cuire Papa, et Woj lui rappelait le petit Peklar par moments, et ça le rendait toujours tout tendre en y repensant.

- Zut, tu es trop rapide pour moi, me voici redevenu le vilain coureur !

Come at me, Tifen.
Il se mit en garde basse, comme il en avait l’habitude. Sauf qu’elle lui échappait à chaque fois, beaucoup plus souple et rapide que lui, et il ne parvenait pas à combler la distance qu’elle maintenait entre eux pour ne pas redevenir un vilain Cureuil-Coureur à son tour. Il s’agaça quelques minutes jusqu’à ce qu’elle lui dise de se concentrer.
Il comprit à ce moment-là qu’il s’agissait d’un véritable exercice, et qu’il fallait qu’il se concentre. A chaque fois qu’il bougeait, elle bougeait en conséquence, comme pour maintenir une distance réglée entre eux. Première tentative. Trop rapide.
Comprendre l’environnement et en jouer.
Ambre et Tifen lui disaient ça toutes les deux, de manière différente. Ambre souvent de manière beaucoup plus compliquée, du coup quand Tifen lui disait il comprenait mieux.
Jouer sur distance et temps. Check.
Et Check son bras !


… Une seconde pour comprendre.
… Une autre seconde pour se mettre à détaler à travers tout le camp, sous le regard courroucé de toutes les matrones, la mère de Narsès, la mère de Voj, la mère de Gord, chef du clan Egon, dit le Grise-Roche.

*
Et bowdel de Siffleur, l’arête s’était complètement cassée.
Il s’en servait comme harpon et comme grappin dans les montagnes, depuis que Tifen s’était mis en tête que grimper dans les arbres, c’était bien, mais que grimper dans les montagnes, c’était cool aussi. Faut dire qu’il grimpait vraiment comme une daube. Il avait donc découvert qu’il fallait pas se hisser avec les bras mais se pousser avec les pieds. Et qu’il fallait qu’il se muscle, encore, parce que c’était pas suffisant, sa stature de crevette bronzée. Enfin du coup en attendant, il se servait de sa dague à corde comme d’une corde de sécurité, il la lançait en amont pour qu’elle rippe dans la pierre, et il se la nouait dans la ceinture ensuite.
Oui sauf que voilà, là, l’arête s’était brisée alors qu’il commençait à grimper, et Einar dégringola le long de la paroi comme une poupée en chiffon. Heureusement, la chute n’était pas haute, mais il s’en tira avec une belle écorchure tout le long du bras.
Grmgmlgrll arête de mince. T’as tenu quoi… trois semaines ? Un mois ?

De dépit, il laissa la corde inutile au fond de son sac pendant au moins deux jours, et bouda complètement les petites esquilles cassées. LE chemin était encore long jusqu’à Al-Vor. Là, il en achèterait une vraie, ou alors il en ferait fabriquer une, mais en attendant…

*
Leur temps libre avait réduit au strict minimum pour manger. Désormais, ils devaient surveiller le convoi constamment, et ne partir en éclairage qu’à des rythmes ponctués, et toujours par groupes de trois. Les Itinérants craignaient les montagnes, les défilés et les passes dangereuses étaient le repaire des bandits et des attaques faciles, et il serait facile de les bloquer.
Au moins, il n’y avait tellement plus d’arbres maintenant qu’on pourrait pas brûler leur chemin. C’était la grande grande hantise d’Einar, ça. Il avait peur du feu comme son prochain et il craignait par-dessus tout la mort par incinération, qui était dans son imaginaire florissant la plus glauque de toutes.

Patrok vint le trouver, un jour. C’était un grand gaillard un peu bourru à qui il causait pas beaucoup, mais qui faisait partie des guerriers du clan. Il était là pour lui expliquer en détail leur rôle pendant une attaque. Lui, son contrat, c’était de surveiller le chariot au fanion bleu et vert à tout prix. S’il lui disait ça, c’est parce que Patrok était aussi assigné à ce chariot là, et que Tifen et Ambre étaient toutes les deux sur une autre partie du convoi, parce qu’elles étaient expérimentées et qu’elles protégeaient les chariots principaux, ceux qui transportaient les pierres. Lui, c’était le chariot de cuisine de la famille Egon.
Il défendrait vaillamment son chariot de cuisine. En plus, il n’était pas sans valeur. Il contenait tout l’étain et tout le fer, et surtout plein de petits pots en verre contenant des épices rares que le clan Egon allait également vendre pendant la foire, et dont certaines coutaient un bras.

Il stressait un peu, maintenant. Les entrainements de Tifen étaient clairement à visée vraiment défensive, elle lui avait appris comment rouler sur le sol tout en tenant son sabre pour éviter de s’embrocher.
Ambre s’était contentée de lui expliquer ce qu’il devrait faire en urgence s’il était blessé. Garots, bandes, comment manœuvrer avec une jambe cassée. Elle insistait aussi pour qu’il tienne son sabre un peu de la main droite pour s’entrainer. Bien sur, sans jamais oublier tous les détails glauques.

*

Quand ça arriva, Einar n’était pas sûr d’être psychologiquement prêt. Physiquement, il l’était plus ou moins, même s’il avait clairement perdu de l’allonge depuis qu’il avait plus sa dague à corde. ‘Fin il portait quand même la corde à sa ceinture, des fois qu’il en ait l’usage, mais c’était un usage très limité.
L’éboulement le prit par surprise. Son premier réflexe fut de saisir les rênnes du cheval qui venait de s’emballer et menaçait de briser hors de son attelage. Il fallut que Bradok, le frère de Patrok, vienne l’aider pour que le cheval se calme.

Il entendit qu’on l’appelait. Mais il ne vit pas si l’appel venait de Tifen ou d’Ambre, ou des deux, si ça signifiait qu’il devait les rejoindre, ou juste pour signaler qu’il devait se tenir prêt à appliquer tous les A, B, C, D qu’il avait appris au cours du voyage. Bomon sortit de son fourreau prestement.
Il avait les mains moites.

L’autre éboulement les avait complètement bloqués dans le défilé. Patrok cracha un juron et sortit une lourde hache de la bâche où elle était rangée. Garder le chariot.
Empêcher qu’on vole ce qu’il y avait dans le chariot, et dans les autres chariots alentour.

… Ils étaient nombreux. D’un coup d’œil rapide, Einar en dénombra vingt, mais il ne voyait qu’un côté du défilé, vers le début du convoi où il se trouvait. Les chariots de pierres précieuses se trouvaient au centre, là où étaient Tifen et Ambre. Ca faisait beaucoup. Ils n’étaient pas tous formés au combat, et les guerriers comme Patrok n’étaient pas légion non plus.

Khan avait disparu.

- OK p’tit, j’espère que ta grande sœur disait vrai quand elle disait que tu savais t’battre
, lui grogna-t-il en guise d’encouragement.

La mêlée le prit presque par surprise. C’était des flashs intermittents, des masques effrayants, des clochettes qui se mêlaient au rire des brigands.

- Hé vous, arrêtez, c’est à nous ça !
cria-t-il en courant vers deux brigands qui extrayaient un coffre à épices de son chariot alors qu’il se débattait avec un troisième. Son premier réflexe fut de foncer dans le coffre pour le faire tomber. Les brigands étaient déséquilibrés, et Bradok leur asséna deux coups magistraux de sa masse en bois, celle qui ressemblait à un shillelagh. « Derrière toi ! » Einar n’eut que le temps de se baisser, il sentit un gourdin passer à ras de sa chevelure, et le malfrat, continuant dans sa lancée, bascula par-dessus une ridelle.

- Merci Pat’ !


Le conflit devenait confus. Il était difficile de savoir combien de brigands il y avait en tout, parce que les vivants prenaient les masques ou les costumes des morts et les rajoutaient aux leurs, ce qui empêchait à Einar de tenir un compte exact.
Alors il le vit.
Celui au masque souriant. Il était plus grand que les autres.

Et il embrocha Brad’. Les boyaux d’Einar se nouèrent autant de peur que d’horreur. Brad, c’était un grand gars, costaud, il se battait moins bien que Pat’ mais il pouvait pas être écarté aussi vite, si… ? Le grand Souriant s’approchait de lui inexorablement, et Einar n’osait pas s’enfuir. IL n’en avait pas le droit. Il devait protéger ce chariot au-delà-même de sa propre vie, les filles avaient dit. Alors il fit face. Genoux fléchis, léger sur ses appuis, en garde basse, parce que c’était celle où il se débrouillait le mieux.

Il ne para le premier coup du Souriant qu’in extremis, et le choc se répercuta dans toute son épaule, et manqua de la plier en deux. Souriant était puissant. Terriblement puissant. Einar défendait. Souriant était trop rapide pour qu’il l’attaque, et il ne parvenait à se défendre qu’à grandes parades maladroites qui le déséquilibraient à chaque fois. Il s’était contenté d’assommer les brigands jusqu’alors, mais il sentait dans chaque fibre de son corps que contre Souriant, soit il tuait, soit il serait tué.
Il se trouva finalement acculé contre la bâche du chariot de cuisine. La rapière de Souriant trancha à grand coup dans le tissu alors qu’Einar roulait pour l’éviter, traçant une estafilade dépourvue de sang dans le chariot.
La roulade avait permis à Einar de prendre un peu de recul. Souriant riait, derrière sa perruque de cheveux verts.

- Einar !

L’appel retentissait derrière lui, la voix de Pat’ était urgente, et Einar eut à peine le temps de détourner la tête. Pat était dans une mauvaise posture, et il ne se défendait que difficilement contre deux assaillants en même temps, sa lourde hache était trop lente pour lui permettre de parer tous les petits coups vifs que les acrobates lui portaient. Mais il pouvait pas se défaire de Souriant pour aider Pat’. Faudrait que Pat’ se débrouille tout seul. Comme ils le faisaient tous.
Un bruissement trop tard, Einar bondit en arrière.
Une douleur cinglante éclata dans sa cuisse. Souriant avait profité de la distraction pour feinter, et si Einar n’avait pas bondi, ce n'est pas sa cuisse qui aurait été percée de part en part, mais son ventre. La douleur atteint des sommets inégalés quand Souriant retira sa lame pour le coup final.


Des cris retentièrent vers l’arrière du convoi, et une colonne de fumée empuantit l’air.
Un des chariots était en feu, et les femmes allaient et venaient pour protéger les enfants, écarter le chariot pour qu’il n’atteigne pas les autres, et éteindre les flammes.

Un deuxième chariot s’enflamma.
Le voisin du sien.

Einar jeta une des couvertures des chariots à la tête de Souriant. La demi seconde de liberté où Souriant se dépétrait de l’épais tissu permit à Einar de sauter par-dessus une caisse renversée, de boitiller vers le brasier et de saisir le cheval effarouché du chariot en feu, pour l’écarter le plus vite possible du trajet des autres. Il avait quelques secondes tout au plus pour maitriser les flammes.

La bâche embrasée émit un gémissement terrible quand une lame la fendit de part en part.
Souriant réapparut, entouré de flammes.
Un démon, un démon sourieur.
Il allait devoir tuer un démon rieur.


Ambre Naeëlios
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeDim 20 Jan 2013 - 23:56

Une petite fissure à l’âme, en regardant les enfants qui courraient entre les contes, entre les pierres. Ils étaient dans leur élément, c’était visible. Elle se demanda comment aucune famille n’avait suspecté que les Roches Grises puissent être originaires de ce pays de caillasses et de failles gigantesques, d’horizon terre de sienne.
Elle le voyait au sourire d’Egon, et de certaines femmes, à leur manière de caresser du pied certaines pierres, aux rides de leurs visages, échos de marbres et de dentelles. Dans ces cas-là, ses yeux se baissaient systématiquement, à ses propres bottes, sa boussole, les débris de ce qui restait, de ce qui composait le présent.
Ambre inspirait à plein poumons les vapeurs du feu de bois, observant la course folle des enfants qui zigzaguaient entre tout et tout le monde, elle admirait en eux l’endurance, la volonté de jouer coûte que coûte, la formidable capacité de tenir le rythme, de le dépasser ; et puis de sombrer, dès qu’on les bordaient, dans ce sommeil de plomb, entier, tranquille, parfait. Et plutôt que courir auprès d’eux, elle répondait aux sourires rugueux des adultes, s’attardait aux questions sérieuses, administratives du convoi, sans parler trop. Sa voix dérangeait, agaçait trop facilement. Et rien d’elle n’oubliait qu’elle n’était qu’employée, certainement pas intégrée, même si en tous cas, personne ne semblait la déprécier.

A elle-même, elle justifiait la drôle de lâcheté par un « Il faut bien qu’un d’entre nous s’en occupe. Ce ne sera pas Tifen ». Quelque part, aussi, elle se sentait importante, quelques secondes, lorsqu’on la consultait, qu’on la considérait. Ce n’était pas arrivé si souvent que ça.

*

Elle s’en voulait, quelque fois, d’avoir cédé si facilement à Tifen, sur la question de « rendre Bomont ». Pourtant, sa sœur d’arme refusait, tout comme Ambre, de considérer la fragilité d’Einar comme argument, elles avaient, lorsqu’elles parlaient de lui, de sa formation, une forme de cohérence spotanée qui venait de leur perception du monde.

Ca n’avait pourtant pas été vraiment violent, juste… sec. Comme si la question de divergence de voie avait longtemps été discutée, qu’il n’était plus question d’y revenir, pas plus que sur leurs dissensions de parcours.
Simplement : Einar avait besoin d’un maître. Tifen était son maître, et Ambre pas. Les chantelames avaient besoin d’une arme, les marchombres, non. Et Einar n’était pas marchombre.

*

Le monde continuait d’avancer, et le plus clair du temps, peut-être était-ce l’effet des coups d’Einar, de la présence intemporelle des pierres et des chemins d’ancêtres, mais Ambre se sentait bien. Aussi bien qu’elle avait pu l’être. Les conversations avec Destan étaient longues, naturelles. Ca lui avait manqué, tellement manqué, de parler, et qu’on lui réponde, d’échanger sur tout et rien. D’avoir avec des gens des points communs d’emblée, des points de vue d’idées. C’était limité, c’était toujours limité, ils ne pouvaient pas disserter de n’importe quoi. Mais quelques fois, elle se sentait comprise. Et le paysage changeait.

Et Einar avait déboulé, ce matin là, et elle avait obéi, regardé. La position, l’impact assuré des paumes, l’inflexion des jambes, la rapidité de ses gestes. Ca avait eu quelque chose d’un peu perturbant, une seconde, de prendre conscience du fait qu’il continuait de s’entrainer sans elle. Malgré elle, plus précisément. Et qu’il avançait droit.
La pensée, fugace, et néanmoins perfide émergea dans son esprit : peut-être avait-elle fait le bon choix, peut-être que ça avait marché. Peut-être que c’était possible, qu’elle pouvait être un bon professeur.

Et ça l’avait tétanisée, un peu, cette perspective. D’oser l’avoir formulée, ne serait-ce que dans sa tête. Alors, elle l’avait regardé, raidie, et de peur de trop s’avancer, elle avait lancé un petit compliment timide- que sa voix rendait sec à crever, par hébétude, vaguement condescendant.

Et cette lueur dans ces yeux, quand il s’était redressé. Un peu de feu dans la tourbe. Elle s’enfonçait les ongles dans la paume, discrètement, en haussant les épaules, se détournant déjà.

Elle n’était pas « Madame », elle n’était pas Ena, elle était demoiselle- et elle n’avait pas le droit de revendiquer quoique ce soit de ses progrès, de ses victoires. Il n’était pas à elle.

*

Elle n’osait pas aborder le passage de la marche sur les mains avec Tifen. De peur que les progrès viennent de l’entrainement de Tifen, et pas du sien. De peur de ressentir encore une fois une forme de jalousie qui n’avait pas sa place entre elles-pas ici. Khan la quittait rarement, ils se regardaient comme toujours, avec la neutralité des chiens de faïence. Juste au cas où l’un ou l’autre ferait un pas dans la mauvaise direction. Plutôt qu’Einar, les deux sœurs abordaient des plans de défense, et quelque fois des sujets plus vastes, de suite, de futur, d’intérêt ou non de se lier à un convoi.

Ce soir là, Tifen se demandait à voix haute s’il resterait pour elles une place à l’Académie à leur retour. Ambre songea qu’elle détestait déjà ce mot « retour ». Alors, du bout des lèvres, Ambre évoqua son envie démesurée de voir, de prendre la mer. De voir le bout du monde, les rives, les vagues, avant tout. Qu’elle n’était pas sûre qu’elles pourraient trouver, elles, ce qu’il leur restait à découvrir de la vie et du monde dans les murs, dans le froid du nord.


-Je ne sais pas. Tu as pensé à ses progrès là-bas ? A ce qui vous fait avancer, tous les deux ? Je ne sais pas s’il n’y a pas plus de choses qui nous « retiennent » là-bas. Tu as choisi de ne plus être seule dans l’existence, de ne pas prendre davantage de temps pour toi… mais lui, même si tu as une vie, et pas trois ans, tu vas devoir le former. C’est toi son maître, tu l’as choisi.

Elle l’espérait, en tous cas. Que l’assignation complètement hasardeuse des élèves n’était pas effectuée de la même manière pour les chantelames que pour les marchombres de l’Académie. Elle avait les mains croisées sous sa tête, et le ciel en toiture était parfaitement clair, tout scintillant d’étoiles.

-Faudra aussi… que tu considères que visiblement lui n’envisage absolument pas de non-retour. Il n’est pas… comme nous. Il a toujours connu les murs, et il n’a pas l’instinct de voir qu’il peut ne pas y en avoir. Et qu’il n’est pas très habitué à la solitude ne général… tu dors déjà ?

Ambre tourna la tête, cherchant l’expression de Tifen-mais elle ne vit que le dos de Khan, qui se soulevait régulièrement, et lentement.

*

Elle discutait, au hasard, avec l’un ou l’autre, évitant ceux qui l’évitaient, et ces femmes que ses pantalons ou ses cheveux courts suffisaient à mettre mal à l’aise. Et ces instants volés au monde, elle les chérissait par-dessus tout, elle chérissait le sentiment d’appartenance spontané, de partage total, d’adéquation avec le monde. Tout était bien, et étant elle-même, elle découvrait l’harmonie de sa propre liberté, de ses choix, de ses pairs.
Quelques fois, elle surprenait sur ses épaules le regard songeur de Gord Egon, et carrant les épaules, savait qu’il reconnaissait dans ce mouvement non pas une bravade, mais le sens profond du geste : je veux que tu me voies droite, et telle que je suis et ai toujours voulu être – le sien non plus ne possédait plus d’ambiguïtés. Il s’agissait simplement d’évaluer sa valeur, en permanence. Et Ambre aimait ce perpétuel défi.
Autant que les moments passés avec Tifen, que les histoires que lui racontaient les tout-petits du convoi, qu’elle n’intimidait plus. Ou ces moments où elle parlait à Destan, et d’autres, comme s’ils étaient également ses frères, ses cousins d’avant.
Il ne lui manquait rien, voulait-elle croire.

*

C’était arrivé pendant un de ces moment-là.
Et le baton gisait au sol, elle le regarda une longue seconde, avant que ses yeux se remettent à chercher Einar. La confusion de sentiments, entre la fierté la plus haute et un reste de rage – qu’on l’aie privée de son bien, et en public, qu’il l’ait fixée avec tellement de hauteur, comme si, même lui, il avait la capacité de la dédaigner. De la rendre moins que rien. Eternellement apprentie, jamais autre chose. C’est l’orgueil qui lui fit ramasser le bâton en jurant. Mais elle souriait, en retournant au campement. Ca faisait deux fois. Même si forcément, il en venait à la haïr. Deux fois qu’elle produisait simplement sur lui un effet inédit. Qu’il avançait, et plus vite.

*

Tout était bien.
Elle était éclaireur, et parfaitement sereine. Tout tenait ses promesses, quand bien même rien n’était parfait, les choses étaient telles qu’elles devaient être. Telles qu’elles devraient toujours être.

Tifen ne la surprit même pas, mais elle attendait ce moment où elles seraient seules, dans les dernières traces de forêt. Là où ce serait parfait pour en discuter.
Mais avant toute amorce, ce fut comme un acte manqué.
C’était un livre.

C’était un cadeau empoisonné. Elle le prit très vite, ses doigts machinalement caressèrent la tranche. Elle se tut, en l’enfonçant dans son sac, précautionneusement, mais très vite, comme on enfouit un secret mal gardé.

*

Ca l’avait un peu choquée, un peu blessée, quand elle avait vu Einar, et Tifen, jouer avec les gamins du camp. Ses yeux avaient marqué un temps d’arrêt. Le même que ceux des mères, en voyant le trio rejoindre le camp. Qu’étaient ces étrangers qui s’intégraient aux leurs ? Qu’y perdraient-ils, à se laisser tomber dans la masse, à ne plus se reconnaître entre eux ? Et rapidement, la sensation était remplacée par un sourire un peu attendri.
Elle le savait, et elle le désirait du fond de son être : que Tifen aime également cette vie, et y trouve suffisamment de bonheur que pour ne pas vouloir la quitter.

Qu’elles puissent toujours compter l’une sur l’autre, être une équipe dans le futur. Dans les bois, dans les convois. Ensemble, comme devait l’être une famille.
Et Einar, puisqu’il y avait Einar, même s’il ne lui appartenait pas, et bien, il avait été rapide à s’intégrer. A s’adapter. Et c’était une grande force.

Elle sentait à son côté le poids du livre, qu’elle n’avait osé feuilleter, et pour lequel elle n’avait pas non plus été le remercier. Le poids du livre, des mots à découvrir, l’odeur du cuir et du papier. Ca lui rappelait avec une telle force le manque. Le manque de pages, de bibliothèques, de savoirs nouveaux, de discussions pour le plaisir.
Destan se porta à sa hauteur, lui lança une vanne ou deux, l’air de rien, en regardant les enfants , Tifen et Einar.
Elle osa demander :


-Est-ce que nous transportons des livres ?

-Des livres ? répéta-t-il surpris. Non. Dans l’autre sens, parfois. Il y a un acquéreur, de là d’où nous venons. De là où vous venez tous les trois.

Les pensées d’Ambre caressèrent le souvenir de Duncan, de la bibliothèque gigantesque qu’une marchombre prenait soin d’entretenir, de recopier pour ne rien perdre du savoir acquis. Et lui, il l’étoffait, érudit et curieux de tout, et capable en rien.

-Est-ce que tu les lis, alors ?

-… Quel intérêt pour moi ? Le paysage est bien plus joli. Et j’ai du travail à faire.

Elle se mordit les lèvres ; et tout à coup, redressa la tête, les yeux absents, droit devant elle, s’immobilisant. Lorsqu’elle reprit pleinement conscience, il la regardait encore, interloqué, mais pas malveillant.

-Est-ce que ça va ?

Elle avait la bouche sèche, et le regard hanté. Bien sûr, elle était la seule à réagir.

-Il… Il s’est passé quelque chose à Vor. Maintenant… je n’ai pas compris quoi. Mais c’était … Je vais trouver ton père.

Bien sûr, elle était la seule que la Mer pouvait hanter. Encore, toujours, comme un souvenir dont on ne pourrait pas se détacher plus qu’on ne pouvait choisir de se débarrasser du Dessin. Elle en avait la nausée, tout d’un coup : envie de s’asseoir, envie de s’arrêter. Comme mue par instinct, elle avança vers une caravane plus écartée, y posa son bâton, puis tâtonna sa besace, de plus en plus livide, en sorti presque maladroitement le livre offert par Einar, qu’elle n’osait pas consulter.
Elle l’ouvrit, parcouru deux ou trois lignes, le referma brutalement, les yeux encore plus écarquillés, avec l’absolue et impérieuse envie de pleurer.

*

Ambre était d’une humeur d’orage et Khan, qui le sentait, s’en tenait depuis des jours à bonne distance. Dès qu’elle pouvait, elle allait s’asseoir sur la caravane de tête, méditer. Et comme elle avait peu de temps pour le faire, et qu’on la dérangeait en dehors de son tour de garde pour ce qu’elle qualifiait de peccadilles : ça n’arrangeait rien.
L’ambiance avait changé, depuis quelques jours. Leur mère montagne représentait un danger énorme, les itinérants le savaient. La maison est toujours l’endroit le plus dangereux : celui où le voyage peut s’arrêter.

Ses vengeances s’effectuaient comme elle pouvait, contre elle-même principalement.
Elle fixait d’un œil noir la couverture du livre pendant des heures, jaugeait son contenu, tentait de l’imaginer, méditait longuement sur ce qui avait mené Einar à ce thème-là précisément. Par soucis de professionnalisme, elle tentait aussi d’inculquer rapidement au gamin comment se sortir vivant de blessure. On était pas à l’Académie, ici. Les confréries les plus proches étaient à des jours de marches, il aurait largement le temps de se vider de son sang.

Elle n’y connaissait pas grand-chose, que des souvenirs de sa propre vie en famille. Elle tentait de lui inculquer l’importance de l’hygiène, de la lucidité sur nos propres plaies. Si c’est douloureux quand tu touches, c’est bien, mais si l’odeur est doucereuse, si les chairs sont flasques, il faut non seulement le voir, mais surtout le dire.
Etre prêt à perdre ses membres plutôt que la vie.
Et le vent balayait ses mots, il lui semblait qu’ils étaient sans impact aucun : que le dégoût, l’éternel dégoût.

Elle fut aussi surprise que les autres, plus peut-être, parce que ça dérangeait son précaire univers intérieur, lors de l’éboulement, et de l’attaque.
Simplement, avec ses réflexes de bondir se réveillait celui, tout mental, de « solution ».
Quelqu’un pour cogner, quelqu’un pour la cogner. Quelqu’un pour valoir, quelqu’un pour oublier le reste. Et cogner, cogner, cogner.
Elle hurla, comme d’autres, que les enfants aillent à l’abris ; s’obligea à se cantonner, comme tous les autres à la défense : elle qui crevait déjà d’aller au-devant de ces adversaires parfaits et impersonnels que le destin lui offrait.

Ils étaient censés être trois pour garder ce chariot, elle, Tifen, et le fils ainé de Gord ; parce que le chariot contenait des diamants, qu’Ambre le savait.
Mais Tifen s’agaçait déjà, c’était visible, de l’espace que prenait l’autre, de sa désharmonie. Elles beuglèrent ensemble :


-MAIS VA AIDER AILLEURS !

Ils ne s’échangèrent pas de regards, de toutes façons, dès les premiers bandits tombés, leurs voix avaient fait autorité. Ainsi que le feulement de Khan, leur attitude. En se retournant, Ambre ne put s’empêcher d’observer Tifen, son dos, les courbes toutes félines que décrivaient muscles et arme.

La machine de guerre était en marche : personne ne la retiendrait dans un couloir de montagne, loin de la forêt. Et ceux qui essayeraient , elle en ferait du petit bois.
Elle bondit sur un téméraire, qui tentait de parer sa défense, menaça du baton, asséna un coup dont elle avait le secret, dans le sternum, puis à la tempe : une fois par terre, utiliser enfin le bâton, d’un coup fort, et très sec, là où le crâne était le plus fragile : le faire craquer.

Mais ça n’empêchait pas que l’adversaire était multiple, rapide, fort entrainé. L’envie de sauter de chariot en chariot la démangeait : de rattraper ceux qui fuyaient.
Elle avait peur pour les enfants. Peur aussi pour les femmes qui les gardaient à l’intérieur, et sa rage contre le système qui faisait les hommes seuls avaient droit à une formation correcte l’enrageait- rendait ses coups plus vicieux, plus douloureux et efficaces.

Elle avait peur pour Einar, peur que la seule personne qui ait jamais entendu ce qu’il y avait à entendre dans ce qu’elle pouvait dire crève avant qu’elle ait pu se prouver qu’elle pouvait être pour lui une bonne enseignante, à défaut d’un bon maître.
Que c’était possible.
Que la Voie lui offrirait, peut-être, la possibilité de n’être pas si stérile que ça.
Les grimaces des sourires qui lui faisaient face s’agglutinaient en masse, oblique ou non, et dans chacun elle envoyait son baton de marche avec la même hargne. Personne ne la ferait interrompre le voyage. Rien ni Personne d’autre qu’Elle-même.
Que l’ermite apparaisse en personne, et se gausse d’elle, qu’il lui dise qu’Einar était son élève à lui, ça n’y changerait rien.

Quelqu’un hurla : FEU ! Elle eut ce réflexe de se tourner vivement- recevoir un coup dans la rotule gauche, grogner, rendre, rendre, rendre.


-Tifen… couvre-moi, cria-t-elle, dans le chahut ambiant.

Immersion aux spires, qu’elle détestait pourtant- mais dont elle ne se départirait jamais, ils lui avaient tous dit. Qu’elle utilisait toujours, malgré elle à peu près.
Comme le reste : il fallait.
Le dessin de l’eau était un de ceux qui lui venaient le plus naturellement, le plus spontanément, le moins douloureusement. A sa volonté déjà brutale se conjuguait le souvenir de sa créativité pour punir Slynn, pour se débarasser de Slynn. Et ça avait été son plus haut pouvoir, lui jeter des trombes d’eau à la tête. S’enfuir dignement.
Elle concentra sa force sur les trombes d’eau nécessaires à ce que le feu n’atteigne pas le charriot où on cachait la seule femme enceinte, et les tout petits qui traînaient depuis Al-Poll entre ses pattes.
Elle ne le vit pas, mais elle le sentit, lorsqu’elle le bascula dans la réalité- comme elle sentait le parfum du sang, la sueur de Tifen, le contact de sa natte fouettant sa joue pour la protéger : ses trombes d’eau se déversèrent d’un coup sur les flammes.

Sur Tarus Tal’Oursian aussi, évidemment, même si elle l'ignorait.

Revenue à elle, elle acheva, spontanément, l’adversaire de Tifen, sans songer une seconde que sa réaction sera imprévue.
Elles avaient toujours combattu ensemble. Personne ne pouvait rien tant qu’elles étaient deux à défendre. Mais le feu risquait d'être mal éteint. Simplement ralenti, c'était déjà ça.
Mais Tifen se tourna, et Ambre lut dans ses yeux que quelques chose se passait pour Einar.
Elle l’entendit dans sa tête quand Tifen hurla dans les Spires pour appeler- invoquer- Khan.


-Vas-y aussi.

Après tout, il est à toi, pas à moi.

Tifen Layan
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeMer 27 Fév 2013 - 13:49

Cette partie du voyage était soit disant une des plus dangereuses. Probablement parce qu’il n’y avait pas d’arbres, et que des cailloux. Enfin, d’après ses sources –c’est-à-dire des bribes de discussion qu’elle avait pu glaner au détour d’un chariot- à côté des ogres et tigres des plaines, c’était un moindre danger et il valait mieux faire un tel détour pour rejoindre Al-Far. Face à de telles considérations itinéresques et itinérantes, Tifen avait haussé un sourcil perplexe avant de partir en éclaireur parmi les pierres. Qu’ils se débrouillent avec leur trajet. Elle savait bien, elle, que les tigres des plaines n’étaient pas si terribles. Khan en était la preuve vivante. Puis bon, il n’y avait pas plus d’arbres dans la plaine que dans les montagnes, vu qu’elle n’avait pas encore pu mettre son projet de colonisation à exécution. Et l’avantage des Dentelles Vives, c’est qu’elles étaient moins… désespérément plates.

Le convoi avançait doucement, ralenti par les blocs qui occupaient la route et par les détours imposés par la pente parfois trop raide pour permettre le passage des chariots. Les missions d’éclairage étaient réduites, il fallait rester au plus près du convoi pour aider à la progression parmi les pierres et, même si personne ne l’avait dit à voix haute tant c’était implicite, pour être sur place en cas d’attaque.

C’était extrêmement frustrant, cette tension ambiante qui habitait la caravane depuis qu’ils avançaient dans les Dentelles Vives. Tout le monde semblait sur les nerfs, sur le point d’exploser. La présence de tous ces gens avait quelque chose d’insupportable, dans ces moments-là. Oui, plus les jours passaient, plus ils avaient de chance de se faire attaquer, surtout que le début du périple avait été particulièrement calme. Mais ils transportaient des cailloux, c’était leur problème, aussi… Ils avaient qu’à transporter des feuilles, et personne n’essayerait de les attaquer. Cet état d’attente angoissée était insupportable, vivement que quelque chose se passe.

Ambre restait souvent à l’avant du convoi, pas très loin de Grand Castor. Trop près de Grand Castor pour qu’elle essaye de l’approcher, en fait. Elle n’aimait pas trop le chef des Itinérants, qui ressemblait trop à un des cailloux qui occupait tout le paysage. Alors elle passait la plus grande partie de son temps libre à faire travailler Einar, lui répétant encore et encore les conseils les plus vitaux ou en l’attaquant par surprise pour l’obliger à réagir rapidement.

Cri de siffleur. Dans les montagnes ? Le temps que la jeune femme se fasse cette réflexion, le bruit de l’éboulement avait retenti, trop rapidement suivi par un second pour que ça soit une coïncidence. Et les cris qui descendaient les flancs de la montagne indiquaient assez clairement que l’attaque qu’ils pressentaient depuis plusieurs jours était survenue. Enfin.
L’instant d’après, elle avait son sabre en main et allait se diriger vers les assaillants, avant de se souvenir qu’Ambre lui avait indiqué un chariot qu’elle était censée protéger en cas d’attaque. Elle jura mentalement et dévia son trajet pour rejoindre le chariot en question, qu’elle atteignit en même temps qu’un des hommes qui discutait souvent avec Ambre et qu’elle avait fini par identifier comme un des fils de Grand Castor. Qu’est-ce qu’il faisait là, ce fichu siffleur ? Il entravait l’espace, occupant inutilement une place trop importante et les gênant dans leurs mouvements. Et il négligeait souvent son environnement, devenant dangereux quand il se déplaçait sans prévenir. Insupportable.
Sa voix se mêla à celle d’Ambre pour lui demander de virer. Qu’il aille se rendre utile ailleurs, au lieu de trainer dans leurs pattes. Le convoi était attaqué, par Merwyn !

Dos à dos, face à leurs adversaires. Elles savaient quoi faire. Ce n’était pas pour rien qu’elles étaient sœurs d’armes.
Les bandits arrivaient rapidement, nombreux et organisés. Et ils étaient visiblement plus au courant qu’elle du contenu du convoi, puisqu’ils se dirigeaient sur les chariots les plus protégés, dont le leur. Il faudrait qu’elle demande à Ambre quels étaient ces cailloux qui poussaient ces gens à venir mourir, quand même. Mais plus tard. Là, un des ennemis arrivait beaucoup trop près pour son propre bien.
Sabre pointé vers le bas, parallèlement à sa jambe gauche, elle attendit l’instant. Sa lame tinta contre celle de son adversaire lorsqu’elle prit le fer pour arrêter le coup qui filait vers elle. Changement de garde, pas en avant. Son attaque s’engouffra dans l’une des failles de son attaquant et l’acier transperça son cou.
Pression forte contre son sabre. Le brigand était conscient de sa force, et espérait en profiter pour l’écraser. Elle laissa la lame glisser doucement en se décalant d’un pas. L’homme voulu réagir mais c’était trop tard, et il se fit emporter par son élan tandis que le bras de la jeune femme remontait brusquement donner un coup de taille précis qui mordit l’épaule jusqu’à l’os.

Le feu, l’odeur de la fumée, le crépitement des flammes. Cris d’Itinérants. Ambre disparut dans l’imagination. Changement d’organisation. Il fallait entrer plus vite dans la distance, maintenant. Et empêcher ces fils de Raïs d’approcher. Elle para un premier coup en avançant sur son ennemi, et profita de la distance courte pour repousser fortement les coudes du bandit vers la droite. Il fut emporté, laissant une ouverture gigantesque sur tout son côté droit dans laquelle le sabre s’enfonça, transperçant les côtes. Déjà, un autre arrivait et elle contra une nouvelle lame, entrant une fois de plus dans une distance courte. Agissant pendant l’instant où les lames étaient arrêtées, l’une contre l’autre, son bras gauche s’enroula autour de l’épée ennemie et elle attrapa un des quillons. Le sabre pointé sur la poitrine du bandit, elle tira sur le quillon qu’elle avait en main, laissant le choix à l’homme qui lui faisait face. Soit il lâchait son arme, soit il subissait une rencontre douloureuse avec la pointe de son sabre. Il refusa de défaire sa prise sur l’épée, et ce fut tant pis pour lui. Rapide, elle tournait autour d’Ambre pour la protéger, pendant tout ce temps où l’ex-Corbac avait disparu dans les Spires.
Une lame, qu’elle arrêta en se décalant sur la gauche, posant dans un même temps la main gauche sur le faux tranchant de son sabre, et avançant. Pointe alignée avec la gorge. Encore un de moins. Bruit de déluge qui masqua le tintement du fer lorsqu’elle protégea Ambre d’une nouvelle attaque. Le bandit tomba avant qu’elle ne puisse faire autre chose. Sa soeurette était de retour.

Pensées paniquées de Khan. Les images envahissaient son esprit, se mélangeant dans sa tête. Les flammes, la chaleur. L’homme masqué qui attaquait Einar. Einar en danger. Et ces flammes, toujours plus hautes, jusqu’à ce que l’eau dessinée par Ambre les dispersent en partie. Regard à la marchombre. Hésitation. Il fallait qu’elle aille aider son apprenti. Mais elle ne voulait pas laisser Ambre non plus. La voix de cette dernière trancha dans ses doutes, la poussant à la recherche de son élève. Dernier regard avant de disparaître parmi les chariots.

- Fais gaffe à toi.

Il fallait faire vite. Et rejoindre son apprenti, MAINTENANT. La chantelame se raccrochait à cette idée, tandis qu’elle naviguait entre les chariots. Certains étaient renversés, des bâches déchirées, et défendus par les Itinérants avec un succès qu’elle trouva relatif. Tant qu’à faire, elle plaça un ou deux estocs dans les dos de quelques ennemis déjà trop occupés avec leurs adversaires pour se rendre compte de sa présence, sans ralentir dans sa progression.
Elle n’avait aucune idée de l’endroit exact où était le jeune homme et espérait le trouver en se rapprochant des endroits incendiés, guidée par les pensées que lui envoyait Khan. Deux bandits s’interposèrent lorsqu’elle contourna un chariot, arrivant droit sur elle. Lorsque le plus rapide arriva dans la distance, elle lança une attaque sur la gauche, qu’il para de justesse. Retour rapide pour porter un coup diagonal de la droite, tout en avançant qui le tailla profondément au niveau de l’épaule. Elle perçu un mouvement de recul dans l’attitude du second qui arrivait sur elle, mais il lança quand même une attaque dans sa direction, qui lui parut totalement maladroite. Le sabre le toucha à la tête avant même qu’il n’ait eu le temps de terminer son geste, et Tifen continuait déjà sa route comme une flèche en direction des restes de l’incendie. Trouver Einar.

Elle passa à côté d’un Itinérant qu’elle croyait avoir vu avec Einar au début du combat, l’aidant à se débarrasser de ses adversaires, et enfin, elle l’aperçu. Exactement comme dans les visions de Khan, il se défendait face à un rapièriste masqué souriant, à l’endroit où l’incendie avait le plus frappé. Les deux combattants étaient trempés, le sol humide sous leurs pieds. Einar se débrouillait, mais ce siffleur était fort. Et bien entouré, constata-t-elle en s’approchant un peu plus et voyant un groupe de bandits arriver menaçants. Ils risquaient de l’empêcher d’aller intervenir pour aider son élève, ou voulaient visiblement au moins la retarder. Si au moins elle trouvait un moyen de donner un avantage à Einar le temps qu’elle s’occupe de ces imbéciles ! Il lui restait quelques instants avant que les premiers du groupe ne soient sur elle. Prise d’une impulsion soudaine, elle se baissa, ramassa le plus gros des cailloux qu’elle trouva à ses pieds. Plus petit que sa paume, mais il faudrait faire avec. Viser avec précision. Le galet fendit les airs.

- EH, Grognasse !

Pas sur la gauche pour éviter l’attaque, l’empêchant de voir si la pierre avait atteint sa cible. Maintenant, se débarrasser de ces bandits, vite. Courage, Einar.



Tarus Tal'Oursian
Tarus Tal'Oursian

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeJeu 21 Mar 2013 - 19:57

Attaque en pointe lente. Paré in-extremis par l'élève. Un sourire diabolique s'affichait sous le masque de théâtre. Dans les yeux de Tarus perçaenit une pointe de jubilation. L'homme ne faisait pas attention au champ de bataille qui l'entourait. Le feu avait débuté, lancé par un de ses sbires, histoire de créer encore plus la panique. Le son des morts raisonnaient dans les oreilles, il ne savait pas de quel camps étaient les cadavres, mais sûrement des deux. Le sort de ses propres hommes l'importaient peu et ils le savaient parfaitement.
Sur le champ de bataille, chacun devait survivre par ses propres moyens en remplissant son rôle. Personne n'en voulait au boss, car lui ne dérogeait pas à la règle. Il était certes le chef de la bande, mais il n'était pas de ces hommes qui regardaient leur propre armée mourir pour leur cause et tout ça sans lever le petit doigt. Tarus était au coeur de la bataille, survivant pour permettre à d'autre de voler les trésors.
L'homme se fendit de nouveau et encore une parade. Le gamin se débrouillait bien, mais le Tueur Del Arte n'était pas encore à son maximum, là, il s'amusait. Puis la bague du jeune garçon lui revint en mémoire... Cela ressemblait étrangement à celle de l'Académie... D'un coup de tranchant, il déchira la bâche d'une caravane. Oui, c'était ça ! Le jeune homme était de l'Académie !. Cette monstrueuse Académie qui l'avait fait courir à sa perte... Il allait payer pour les autres ! Il allait souffrir longtemps ! D'un cri rageur, le boss fouetta l'air avec sa douce rapière et... *PLOUF*
Une trombe d'eau s'était abattu sur sa tête.Sa première impression fut « Froid » le liquide était glacé et fit frissonner le guerrier. Sa seconde pensée qui lui vint fut « Dessinateur ». Tarus grogna, dommage que son élevage de gommeur n'était pas au point... Mais il devait réagir. D'un rugissement, il ordonna :

-Chercher tous les Dessinateurs et exécuter les ! Ils sont trop dangereux !

Se concentrant sur son propre combat, il nota que le sol était trempé et qu'il devrait y prêter attention. Puis il repartit à l'assaut. Se servant du nouvel environnement, il prit de l'élan et glissa, bien stable sur ses deux pieds. Épée au vent, il trancha l'air en passant à côté du jeune homme. S'arrêtant en se retournant vers le garçon, il se remit en position d'attaque. Sourire.

-Près pour un deuxième...

-EH, Grognasse !

Un caillou en pleine tête. Le masque amortie la plupart du choc, mais la vitesse le fit tomber à terre, libérant son visage. Le champ de bataille se figea. Emporté par l'élan de la pierre, Tarus avait plié légèrement la tête. Un grognement sortit de sa bouche, il se massa la joue et se tourna vers l'idiote qui lui avait lancé la pierre. Il lui envoya son meilleur regard noir. Son visage était à découvert, mais qu'importe ! Tout le monde savait qui était le Tueur Del Arte après tout. La bataille reprit quand il se remit en garde. L'homme ne se sentait plus et une aura de folie commençait à l'entourer. Un rire démoniaque sortit de sa gorge. Il se tourna vers la fautive du lancer de pierre.

-Laissez la passer. Elle veut se battre au côté de son ami, qu'elle le fasse ! Je ne vais pas lui enlever l'honneur de mourir de ma lame !

D'un mouvement hésitant, les brigands la laissèrent passer. Intérieurement, Tarus la laissait venir à lui pour sauver ses propres hommes. Si elle avait réussi à traverser le camp sans avoir d'égratignure, c'était bien pour une raison. Grognant, cela lui faisait un ennemi de plus... Enfin, s'il comptait l'élève de l'Académie comme un ennemi. L'homme fit craquer son coup et ses doigts puis se lança dans quelques moulinets, comme s'il était à un entraînement. Il se prépara à un assaut de tous les diables. Tout d'abord, attaquer le plus fort, l'entraîner dans une routine. L'homme s'élança, Tentant de percer la défense de la jeune femme. Il ne pouvait parer les attaques de son sabre, sa rapière n'étant pas assez solide pour supporter un tel assaut. Du coup, il esquivait, mais la garce était rapide. A chaque coup qu'il portait, son sabre se trouvait là, contrant impitoyablement sa rapière qui rebondissait en tanguant légèrement. Il grogna en tentant un dernier assaut. Finalement, il s'écarta en quelque bon, histoire de reprendre un peu son souffle. Grommelant, il décida de tirer une dague de son pantalon, lui offrant une chance de parer maintenant. Dorénavant, il allait devoir la jouer un peu plus stratégique.
L'homme donna une impulsion dans le sol, s'élançant de nouveau dans le combat. Sa rapidité avait toujours été son point fort, peut être pourrait il s'en servir. Il lança une attaque en pointe, parée. Il s'écarta puis trancha, de nouveau parée. Tarus grogna encore une fois. Décidément, c'était la première fois qu'il se sentait en véritable infériorité. Sentant monter la colère, il se calma... Penser boule stratégique. Il jeta un coup d'oeil a l'élève qui avait plus ou moins participé au combat, puis son regard se porta sur le sol boueux. Une idée lui vint à l'esprit. L'homme s'élança, encore une fois, vers la guerrière. La femme se prépara à parer et contre-attaquer, mais au dernier moment, il fit un quart de tour et appuya de toutes ses forces pour freiner d'un coup. Sur un terrain glissant, cette tentative pour s'arrêter était voué à l'échec, seulement, ce n'était pas ce qu'il cherchait. Tout ce qu'il voulait, il l'obtint. En pillant ainsi la boue se souleva légèrement, mais c'était juste suffisant pour tacher les jambes de la jeune dame. L'homme se plia, préparant l'épaule à l'impact, cherchant à parer la lame de la jeune femme avec sa dague. Dans un bruit mat, les deux épéistes s'entrechoquèrent. S'entre-mêlant dans un bel ensemble de bras et de jambes, Tarus s'écroula sur la jeune dame, pointant sa dague vers la gorge, sa rapière coincé entre leurs deux corps. Un liquide chaud coulait doucement de son épaule. Elle avait réussi à le toucher, mais elle était plutôt superficielle et elle était immobilisée... Un mal pour un bien en quelque sorte.


-Je te tiens.

Son sourire s'afficha encore sur son visage, ses yeux grands ouverts avait un éclat de jubilation Tout en lui évoquait un démon, un démon souriant aux cheveux verts.


Einar Soham
Einar Soham

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeMar 26 Mar 2013 - 11:49

Au début, il crut que c’était du sang, qu’on venait de lui verser par boisseaux entiers sur la tête. C’était glacé et mouillé, terriblement mouillé, et surtout, ça venait de nulle part. Ses vêtements pesèrent soudain aussi lourd que du plomb sur ses épaules et il dérapa à moitié dans la boue en voulant mettre le plus de distance entre lui et Souriant, claudiquant, crachotant. Pleurant à moitié, mais comme il était détrempé, ça se voyait pas.
Einar aurait bien fait une crise cardiaque lorsque Souriant le rattrapa, aussi stable et placide qu’auparavant, et aussi goguenard, et aussi dangereux et mortel. Et en étant incapable d’être parfaitement en équilibre sur ses deux pieds comme il avait appris depuis le début de l’apprentissage chantelame, il se sentait incapable de bretter correctement. Il tremblait de froid, des cheveux devant les yeux, résolu à ne pas couiner, puisant dans la maigre petite réserve de courage qui lui restait et de l’ordre de protéger les caravanes. C’était pas dur d’obéir aux ordres, fallait juste qu’il survive et qu’il se batte.

Soudain, Souriant perdut son sourire en céramique, qui éclata sur le sol, et une voix aussi chaude qu’un chocolat chaud parvint aux oreilles d’Einar : c’était Tifen, qui venait le sauver. Le petit guerrier se sentait terriblement honteux d’être incapable de s’occuper de son brigand alors que les filles avaient sans doute autre chose à faire, comme taper sur d’autres brigands. Et puis même, il avait sûrement gaté la moitié de la marchandise avec les trombes d’eau – car il était persuadé que c’était une apparition magique causées par les bébés Spires qu’il avait dans la tête, il avait entendu que des gens dessinaient quand ils paniquaient ou qu’ils étaient vraiment pas contents.
Et là, du coup, Tifen elle se mettrait en danger pour lui.

L’assaut entre les deux commença, et les autres brigands goguenards se tournèrent brusquement vers lui, voyant que leur Souriant-sans-sourire était trop occupé avec son maître, et ils allaient lui faire une misère.
Un grognement-rugissement les dissuada rapidement, Khan bondit devant Einar, poil hérissé et crocs dénudés. Difficile de dire qui d’Einar ou des brigands ouvrit les yeux le plus grand de peur devant le félin féroce plein de dents et de griffes pointues, mais Einar avait un avantage : Khan était de son côté. Le petit Teylus se serait volontiers jeté sur lui pour l’ébouriffer comme un gros chien s’il avait eu le temps.
Il avait très mal, très peur aussi, sa jambe arrêtait pas de trembler, tant bien que mal, il chercha dans la boue son sabre, qu’il avait laissé tomber quand toute l’eau du ciel leur était tombée sur la tête, frénétiquement.
Khan rugit. Où était Ambre, pourquoi elle n’était pas avec Tifen ?

Où était Tifen ?
Elle avait disparu, alors qu’elle était là la seconde précédente, et il n’y avait plus que Souriant-pas-souriant au sol, qui semblait se débattre…
Tifen était en dessous.

C’était pas, pas normal.
Ses mains se refermèrent sur la lame de son sabre, le fil tranchant lui érafla la paume. Premier réflexe, enrouler un morceau de bache déchiré autour de la lame pour pouvoir la saisir ; ça prenait beaucoup moins de temps que de chercher la garde de son sabre à l’autre bout de la lame.

Tifen était toujours pas vainqueure. Ca commençait à l’inquiéter. Et ça le paniquait même complètement quand il entendit ce qu’il interpréta comme une exclamation de douleur de sa part.
Tifen était en danger.
A cause de lui. Khan le poussa en avant plus qu’il n’encouragea Khan à se dépêcher, ce qu’il croyait être en train de faire, et arrivé à la hauteur de Tarus, tout son enseignement sembla disparaître, où transpercer un homme pour le tuer vite, où trancher, et comment trancher pour avoir le plus de force et pas abîmer la lame.. tout ça lui échappait, et puis il n’aurait pas su le mettre en pratique, vu qu’il tenait Bomon par la lame.

La petite tsavorite contenue dans la garde de métal ouvragé se fendilla comme un œuf quand le pommeau de Bomon heurta de plein fouet la tempe de Souriant-pas-souriant. Il roula sur le côté, surpris, libérant Tifen qui se redressa beaucoup plus vite que lui ; mais Einar n’eut pas le temps de le voir, parce qu’il s’était jeté sur le brigand, au cri de :

- Laisse. Nous. Tranquilles !

Ses mains pleines de boues forcèrent sur celles, caleuses, du méchant, pour le faire lâcher ses armes et l’empêcher de toucher à un seul cheveu de sa maître chantelame, ce qui était formellement interdit.

Pendant cette empoignade, les autres brigands ne restaient pas inactifs, voyant leur chef en position de faiblesse, ils profitaient de l’attention portée sur lui pour fouiller les caravanes, trois prirent le pas de course, des coffres sous les bras, et du métal dans les poches. Einar n’eut le temps d’apercevoir ça que du coin de l’œil, mais Khan courait déjà derrière, et il espérait de tout cœur que Tifen remplirait leur mission aussi, parce que lui, il était occupé à tenir la mort loin d’elle, comme il pouvait.
Tarus comprit rapidement que son jeune adversaire était blessé, et incapable de tenir en équilibre stables sur ses deux jambes. Einar ne le lâchait pas, il savait que sinon il se retrouverait à portée de sabre et qu’il allait mourir. Ils glissaient dans la tourbe, dans leur lutte pour désarmer l’autre. Les lames s’entrechoquaient dans le capharnaüm, inutiles, coincées les unes dans les autres.

Un coup de poing vient le cueillir au creux du menton, et Einar dérapa. Mais il ne tomba pas tout seul, parce que Tarus, désarmé, avait refermé l’autre main sur son col, pour l’étrangler, ils tombèrent tous les deux en vrac, avec grand fracas.
Einar était coincé sous Tarus, du sang lui coulait sur le visage, mais ce n’était pas le sien, non, il venait d’autrepart. De la bouche de Tarus. L’homme crachait du sang ! Dans sa lutte pour se dégager de sous le poids du brigand, Einar voulut débloquer son sabre, mais alors Souriant se mit à glapir. Le sabre était profondément coincé.

Sauf qu’il était pas coincé n’importe où.
Il était enfoncé jusqu’à la garde dans le torse de Souriant-sourire-de-sang.


Tarus Tal'Oursian
Tarus Tal'Oursian

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeLun 8 Avr 2013 - 20:18

Tarus était sonné, sa tempe en feu, des éclats de lumière dansaient devant ses yeux. Après l'assaut du jeune bretteur, il s'était relevé en cherchant son équilibre et sur un sol instable, croyez-moi, c'est très dur. Lorsque le tueur fut debout, il se frotta le crane, cherchant à calmer la douleur qui lui vrillait les neurones. Il avait légèrement abaissé sa rapière et sa dague avait disparu dans la boue. Lorsqu'il fut un peu plus alerte, il entendit le hurlement du jeune homme. Les laisser tranquille ? Fallait mieux choisir ta caravane, mon grand.
Ce que le tueur Del Arte n'avait pas prévu, c'était l'assaut qui suivait le cri. Et comme il n'était pas totalement remis du choc sur sa tempe, il n'eut pas de réel temps pour esquiver. La bataille qui s'ensuivit fut assez... Dérisoire. Un combat corps à corps, mains contre mains, lame contre lame. L'un cherchait à désarmer l'autre. Un détail fit tiquer Tarus. Le gamin tenait son épée par la lame. Ne cherchant pas à comprendre outre mesure, l'homme tentait de se dégager de l'attaque furieuse du gamin. Les lames s'entrechoquèrent à nouveau.
Le chef de la Comedia aperçu ses sbires s'enfuirent, les bras chargés de bien. L'attaque semblait avoir plutôt bien fonctionné, faible consolation au vu de sa posture. Tuer ou être tué. De toute manière, il n'avait pas envie de s'enfuir. Tarus ferait payer à l'académicien sa déchéance et ça le soulagera enfin de sa colère envers cet établissement maudit. L'homme grogna, tuer ou être tué... Choix aisée, il devait s'adonner à son pire passe-temps... Le meurtre.
D'un air féroce, il se lança dans la bataille pour désarmer l'autre. Le jeune garçon avait déjà pris son sabre par la poignée. Aveuglé par un instinct de survis et une rage poussée à bout, le tuer glissa. Tentant de retrouver un semblant d'équilibre, il fit des moulinets avec ses bras et lâcha sa rapière. L'homme ragea encore une fois. Il était debout, mais désarmé. Bandant son poing, il le décocha, direct dans la mâchoire. Qu'à cela ne tienne, Tarus tuerais le gamin à mains nues. L'homme s'élança un peu précipitamment, attrapa l'élève au col pour l'étrangler, mais sa vitesse l'entraîna un peu trop loin et les deux bretteurs glissèrent dans la boue.
Le tueur Del Arte écrasait de tout son poids le jeune homme. Tentant de sourire, il essaya d'étrangler l'académicien. C'était si facile maintenant qu'il était à sa portée... Mais pourquoi n'arrivait-il pas à bouger ses bras ? Pourquoi son énergie semblait s'échapper de son corps petit à petit ? Pourquoi ses forces l'abandonnaient maintenant ? Pourquoi un liquide chaud lui remontait dans la gorge, le forçant à tousser ? Il cracha quelque chose de rouge foncé qui macula le visage de son opposant. Du sang.
Le jeune homme se débattit, comme pour débloquer son sabre et sortir de l'étreinte morbide de Tarus. Le tueur glapit, la douleur lui broyait le ventre, remontait dans son échine, brûlait son abdomen. Rapidement, le bretteur se reprit. Lui ? Tarus Tal'Oursian, le tueur Del Arte, chef de la Comedia, glapir ? JAMAIS ! Dans son sursaut de courage et de force, l'homme roula pour se retrouver face au ciel, libérant ainsi le garçon.
Grognant, il repéra la zone de sa douleur. Un sabre droit comme un I, ficher dans son torse. C'était celui du gamin. Le brigand soupira, s'en était fini de lui, de son aventure, de son épopée. Une quinte de toux ensanglanté lui saisit la gorge. L'homme eut un sourire. Il trouvait son sort assez ironique. Sa vie entière avait été détruite par l'Académie de Merwyn. Au début, il voulait juste prendre part à la plus grande folie de tous les temps : attaquer l'établissement et en prendre son contrôle. Plan qui a totalement foiré, ruinant sa propre vie de noble au même instant. Et maintenant, sa vengeance à porter de main, tuer par un élève de cette maudite école. Décidément, son sort était vraiment ironique.
Il avait perdu sa seule famille, sa Comedia, juste par esprit de vengeance... Tout perdu... Même Elyne. Tout ça pour son stupide ego. L'homme partit d'un rire fou, se rendant compte de sa bêtise. C'est souvent à l'article de la mort que vos erreurs surgissent, montrant vos regrets, votre passé, votre futur si tout s'était bien passé. C'était peut-être ça, voir sa vie qui défile... Son rire s'éteignit dans une autre toux sanglante. Il mourrait, doucement, à petit feu, dans une agonie qu'il méritait amplement.
Tarus regarda la lame qui se plantait dans son ventre. Un détail le titilla. Cherchant un brin de force, il attrapa l'épée et l'enleva de sa plaie. Étrangement, cela n'engendra qu'une douleur infime et le sabre ne rencontra pas de résistance. Le bretteur avait réussis l'exploit de le transpercer sans toucher un seul os. L'homme toussa encore. Il posa une main sur sa plaie béante et tenta de contenir le léger flot de sang qui en sortait. Non, pas mourir, survivre jusqu'au dernier instant.
Le tueur approcha l'épée de son autre main et observa le sabre. Jolie, souple et solide, la garde attira tout particulièrement son attention. Sur la poignée trônait une magnifique pierre verte. L'homme sourit. Une tsavorite. Ses années de brigandage avaient entraîné son oeil à reconnaître les pierres plus ou moins précieuse. Mais même cette sorte de pierre là, il l'aurait reconnu entre mille et une pierres vertes. Elles avaient une longue histoire avec la famille Tal'Oursian. Celle là était assez rare. Dommage qu'elle soit légèrement brisée, cela faisait perdre de la valeur à la belle arme.
D'un coup, Tarus se trouva stupide de penser à de tels détails, alors que la vie s'échappait doucement de son ventre. Il ria, plus doucement cette fois-ci, rapidement rattraper par une toux de sang. Pourtant, il resta fixé sur cette pierre détruite. Son coeur de brigand hurlait de faire quelque chose, que cette arme retrouve sa beauté et sa valeur. Sans réellement réfléchir, il lâcha le sabre et fouilla de sa main disponible une bourse qu'il avait sur le côté. L'homme en sortit une autre tsavorite. Le seul cadeau que lui ai fait sa mère avant de mourir d'une maladie rare. Il la fit tourner dans sa main, réfléchissant à ce qu'il allait faire. Il chercha le garçon des yeux, se demandant ce qu'il devenait. Il le trouva à côté, immobile, comme si quelque chose l'avait choqué. La mort ? Peut être, mais actuellement, Tarus s'en foutait. Il lança :


-Hey, gamin !

Il toussa un peu, cherchant à voir s'il avait l'attention du jeune homme.

-Je ne sais pas ton nom, mais j'aime beaucoup ta lame.

Son sang remplit sa gorge, il cracha à nouveau.

-Et comme je trouvais dommage que la pierre soit brisée, je t'en offre une autre.

L'homme toussa, puisa dans ses dernières forces et lança sa tsavorite dans les mains du garçon.

-Pour la remplacer, cadeau de la maison.

Il se trouvait ridicule... Cherchant à avoir pourtant un semblant de classe, il avait l'impression d'être un putain de gentil et il n'aimait pas ça. Doucement, il ferma les yeux, gardant un rictus démoniaque pour les charognards et laissa sa vie s'échapper.

***

Citation :
Rapport n°42
Comedia Del Arte

C'est leurs plus gros coup. Une caravane d'itinérant chargée de pierre rare. Il y a beaucoup de mort dans les deux camps. Les Itinérants sont déjà partis, laissant les brigands décédés sans sépulture. Comme à leur habitude, la Comedia vient récupérer leurs morts. Ils semblent pourtant chercher quelqu'un en particulier, surtout la seconde, Elyne. Quelqu'un vient de crier « ici ». Je crois qu'ils ont trouvé la personne qu'il cherchait. Attendez. C'est Tarus Tal'Oursian, il est mort ! Sa seconde s'agenouille et pleure quelques secondes. Elle le prend dans ses bras et l'emmène dans leur planque. Le tueur Del Arte semble couvert de boue et avoir subi des sévices post-mortem. La Comedia s'en va dans une procession mortuaire, entonnant un chant. Attendez, quelqu'un s'arrête.. Un de leurs morts est vivant. C'est... Non, ils m'ont découvert, ils viennent vers moi ! Fin du rapport, Fin de la mission... Fin du

-C'est la dernière missive ?

-Oui, elle est arrivée ce matin par les spires.

-Pratique ces petits parchemins produit par Merwyn.

-Ce n'est pas le sujet. L'espion est sûrement mort, du coup on ne sait toujours pas où est leur base ?

-Non, tous nos espions se sont fait tuer avant d'avoir pu les suivre jusque là-bas. Il semblerait que Tarus a appris la prudence à ses sbires.

-Hmpf... Irritant... Mais ce n'est pas eux qui ont volé une cargaison de sphère graphe récemment ?

-Si ! Ce serait pour ça que l'on n'arrive pas à la percevoir ?

-Sûrement... Mais bon, il faut tout de même garder un oeil sur leurs activités. C'est un véritable danger pour l'Empire.

-Sauf que leur chef est mort ! Je pense qu'ils vont se tenir tranquille, pas besoin de les surveiller de plus près encore.

-Mais on ne sait même pas s'il est réellement mort ! Vous avez entendu, quelqu'un qui devait être mort est vivant.

-Ça peut être n'importe qui dans leur équipe, et au vu des coups qu'il a reçus, ça ne peut pas être lui.

-Il faut quand même le prendre en compte ! On n'est jamais trop prudent !

-Calme. Faisons un vote à main levé pour prendre cette décision. Bien, qui est pour le relâchement de surveillance ? Bien, qui est contre ? Parfait, donc la majorité décide qu'on laisse la Comedia tranquille. Que l'on close le dossier sur la Comedia et son chef.

Citation :
Registre Impérial

Rapport d'espionnage n°142

[Classé]

Nom de l'observé : Tarus Tal'Oursian

Activité officielle : Aucune

Observation Physique : Physique entraîné pour la course et le combat au corps à corps. Cheveux étrangement vert (tare héréditaire ?).

Activité suspectes enregistrées : Chef de la troupe de bandit nommée « Comedia Del Arte ». Rechercher pour forte somme.

Danger pour l'Empire : Fort danger. Action désastreuse pour le bien de l'Empire Aucun, décédé.

Mesures à prendre : Le tuer par tout les moyens possibles Aucune, décédé.


Ambre Naeëlios
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeDim 2 Juin 2013 - 1:01

L’avantage des combats par définition était qu’on n’avait pas à penser. A rien. Suffisait de cogner.
Suffisait d’abattre ce qui venait à contre sens. L’éternité des combats était un éternel présent où rien ne comptait. Toute vérité était révélée durant un combat :
Il y avait ceux qui fuient, qui courent pour leur vie, et en dernier recours ont tout abandonné pour ça.
Il y a ceux qui se cachent. Il y a ceux que l’on cache, et qui cherchent à voir, ou aider, tout en sachant qu’ils ne le peuvent. Il y a encore ceux qui protègent, défendent exclusivement, économisent leurs forces, non par crainte du combat, mais par soucis d’endurance. Il y a les emportés, il y a ceux qui aiment ça, il y a ceux qui détestent ça. Puis, il y a ceux qui, comme Ambre, ne peuvent jamais lâcher prise, malgré leur fatigue, malgré leur haine, malgré tout le reste, malgré l’éternel choix de la facilité et la tentation de fuir.

Elle avait dit qu’elle suffirait seule. Elle avait fait partir Tifen. Livrée à elle-même, et sans l’effet régulateur et apaisant de sa sœur d’arme, Ambre était livrée à son besoin d’abattre, et de valoir ce qu’on avait investi en elle. Livrée à la bataille – c’était le prix.
L’efficacité des gestes s’était progressivement accentuée, ballet mortel où l’honneur ni l’académisme n’avaient plus court. Ce n’était pas que chaque partie de son corps était une arme, c’était qu’elle dansait au milieu de ses ennemis comme une feuille au vent ; et tout à coup, se faisait vent elle-même. Il n’y avait aucune volonté d’être spectaculaire, mais chaque irrégularité du sol sur lequel elle posait son pied devenait un tremplin, un piège pour l’adversaire, chaque élément de son décor devenait une arme potentielle, muscles et intelligence, neurones et nerfs, tout était d’une harmonie parfaite pour elle, seulement pour elle.

Chaotique à tous les regards, traitre et imprévisible, elle feintait autant qu’elle abattait. Le souci était la mort, la mort directe –mais elle pouvait passer par un fracassage de genou, une impulsion directement prise sur la clavicule de son adversaire. La symphonie des os qui craquaient sous le bâton, et des hurlements de douleur lui donnait envie de chanter.
Elle était son propre maître. Aucun des visages n’avait l’apparence d’Amjad, de Ena, de quiconque qu’elle connaissait ou pouvait haïr. Elle était son propre maître, quoiqu’en dise le sang qui éclaboussait son visage ses cheveux coagulés de sueur, ses feulements de chat furieux, même si elle avait oublié Einar, Tifen, ou toute notion de temps.
Un adversaire avait encore cogné l’épaule – l’épaule qui jusqu’ici causait systématiquement sa perte, en fin de combat, où elle se retrouvait écroulée, abandonnée quelque part. Les dieux s’acharnaient sur le bras qui cognaient, comme pour l’empêcher d’atteindre la fusion parfaite avec le corps, avec la vie dans son ensemble.

Comme pour lui interdire la moindre victoire.
Mais que les Dieux aillent chier. Son bras tenait encore- et elle comptait encore l’abattre, plus fort, si nécessaire.
Soudain, à la périphérie de sa vision, elle vit Gord Egon, qui gardait, comme tout bon chef de clan, la roulotte où étaient les plus vieux de sa famille, et les richesses en pièces du convoi : c’était le trésor le plus précieux. Elle vit qu’il était tombé, et qu’il allait mourir- et elle le refusa.
Tant pis pour le reste.

Elle bondit, comme si c’était son père qui était agenouillé, et pas lui. Comme si c’était ses propres aïeux qui étaient armés à l’intérieur. Elle avait attrapé la pierre, écho à Tifen, qu’elle n’avait pas vu faire, et l’avait lancé non pas vers la tempe, mais vers l’emplacement futur, suivant le mouvement du coup qui allait suivre.
Le caillou fut le plus rapide d’eux deux. Le temps que l’homme porte la main à sa tempe, furieux, Gord lui tranchait les deux genoux, et Ambre, parvenue à hauteur l’achevait, enfonçant l’extrémité de son bâton dans la blessure faite par le caillou. Elle se tourna vers le chef du clan, pour s’assurer qu’il allait bien, rencontra la fureur de son regard.

-Retourne aux diamants, aboya l’autre, entre deux halètements.
C’était son contrat, après tout.


*

Le rythme avait été brisé, et la périphérie de son regard ne voyait plus rien. Un connard à fronde l’avait eu à la tempe, et ça lui aurait coûté la vie, si le mécanisme du bâton ne s’était pas déclenché pour libérer la lame.
Ce n’était pas de la chance, ni plus de la danse, cette fois, c’était de la rage.
Ambre ne savait pas combien avaient réussi à voler. Elle savait qu’elle irait sur leurs traces, dès qu’il n’y en aurait plus pour venir. Qu’elle les ramènerait ici, devant la bâche, et qu’elle les tuerait tous après leur avoir coupé les mains.
Ambre ne savait pas combien d’itinérants étaient tombés. Elle savait qu’elle était debout, encore, et la douleur la tenait debout. Debout et en colère. Chaque coup la dévalorisait. Chaque vol lui amputait un droit. Chaque adversaire qui tombait n’aurait plus la chance de la tuer, de mettre fin à ce cercle infini d’échecs. Elle devait s’en sortir seule. Toute seule, comme les autres.
Les adversaires ne ressemblaient ni à Ena, ni à Elera, ni à Amjad.
Mais ils parvenaient quand même à l’épuiser, à rendre ses impulsions plus faibles, à la toucher, quelques fois.
Et ça la rendait un peu moins maître à chaque fois.

*

Ils étaient nombreux, et ils s’acharnaient contre elle spécifiquement ? Fort bien.
Tous ceux qui ne s’y intéressaient pas, elle se débrouillait pour leur envoyer dès que possible un projectile. Un bout de leurs potes, par exemple. Lorsqu’elle était suffisamment encerclée, son esprit hurlait quelque chose d’intuitif dans les spires, et certains tombaient d’un coup. Comment elle ne savait pas. Comment, elle s’en foutait.D’autres venaient, plus nombreux, comme des mouches autour d’un tas de crotin.
Qu’ils viennent. Qu’ils viennent tous. Elle les attendait -tellement.

*

A un moment, c’était bizarre, au lieu d’accourir, ils avaient eu l’air de s’évaporer.
Elle devait attendre que le dernier se tire pour leur courir après. Si les combats étaient finis, il fallait que Tifen revienne, Tifen, et l’autre qui devaient l’aider à garder le charriot.
C’était à son tour de courir.
C’était son putain de contrat.

Et Ambre rongeait le peu de frein qui lui restait.
Tifen apparut tout d’un coup, et peut-être Einar, Ambre n’en savait rien. Tifen se tenait bizarrement, comme si elle avait été touchée à la jambe, mais le cerveau n’était pas sûr de l’information et pas disposé à la traiter. Y avait encore du cadavre à aligner, et elle n’était pas encore tombée.


-Tu le gardes, le charriot, éructa-t-elle, en la dépassant.

Elle aussi, on l’avait touchée à la jambe. Elle utilisait son bâton comme bâton de marche, tant qu’elle pouvait. Les autres avaient dû cavaler, avec tout leur butin, et les autres avaient tellement trainé à prendre sa place…
Quelqu’un l’avait apostrophé, de derrière, par son prénom, mais aussi bizarre que ça paraisse à rebours, elle l’ignora, à répétitions, même. Les adversaires ignoraient son nom. Ils étaient devant, et le vent la poussait dans leur direction, vaille que vaille.
Khan bondit en travers de son chemin, alors. Lui non plus n’avait pas été épargné en sang. Son regard était vrillant, scintillant de la bonne chasse. Pourquoi lui interdirait-il la sienne ? Elle n’était pas terminée. Elle tenait debout. Mal, mais debout.

-Dégage, articula-t-elle, de chaque parcelle de son attitude, en avançant d’un pas.

Khan montra les gros, grondant et sans bouger lui-même, si ce n’était pour s’arc-bouter sur lui-même. Elle feula, en faisant le pas suivant. Au troisième, il lui rugit de toutes ses forces à la gueule, alors, elle tombait assise, et ça faisait trop mal pour se relever tout de suite, même si après, c’était sûr d’être trop tard pour les rattraper.

*

Tifen dormait, elle en avait besoin. Einar était assis, hébété, à côté d’elle. La mâchoire d’Ambre faisait mal, à force d’être contractée, mais l’alcool lui brûlait les plaies.

-Tu devrais vérifier et traiter maintenant. Si y a pas de sang, et que tout bouge, c’est que c’est pas grave. Si y a du sang, tu montres. Si c’est superficiel, on met de l’alcool, et on bande serré. Si c’est pas superficiel…, commença-t-elle d’un ton neutre, ni compatissant, ni spécialement engageant.
Elle tira sur la bande, avec les dents, pour nouer correctement.

-Tu as plusieurs choix. Ou tu demandes à quelqu’un, et il fera ce qu’il faut pour cautériser. Ou tu fais comme moi et tu prends le risque. Tu dois alors vérifier tous les jours, comment ça évolue, si ça devient mou autour, quelle couleur ça a. Si ça change de couleur et que ça commence à faire des bruits style « spouitch » autour, là, t’auras un autre choix, pas forcément plus assuré. Soit on essaye de cavaler aux Confréries au plus vite, soit tu te tues proprement, soit on tente de couper le membre, et on cautérise. C’est pas plus garanti, et au mieux, tu seras handicapé –mais vivant. Dans tous les cas, tu douilles. Il continuerait de ricanner dans sa tombe, l’autre crevé, s’il te tuait à retardement, tu crois pas ? .. Thhh, acheva-t-elle en sifflant.
Elle avisa la blessure, d’un œil critique, puis en posant ses doigts autour –ses doigts encore poisseux de la bataille.


-Là, par exemple, moi, je vais en avoir besoin, acheva-t-elle, en lui montrant à quoi ça ressemblait, lugubre.
Elle lui lança un regard évaluateur. Non, elle ne lui confierait pas sa plaie. Elle prit appui sur son bâton, siffla à nouveau en se redressant, prit un instant pour reprendre son souffle, debout, appuyée sur une bâche.

Elle rejoignit Destan, qui lui fit un pauvre sourire. Sa lame chauffait.
Gord Egon, pour sa part, tenait les comptes alité et pansé de frais. Il daigné poser les yeux sur elle, alors qu’elle s’affaissait près de la lame. Elle remonta le pantalon jusqu’à la mi-cuisse, sans plus de pudeur qu’un autre, et il lui sembla que le fils de Gord n’en éprouvait pas non plus.

-A te voir comme ça, on pourrait penser que tu es en fait une bien piètre guerrière.

Elle soutint son regard, par-dessus les flammes. Destan les interrompit, demandant à voir la plaie, avant d’attacher les mains d’Ambre dans son dos.

-File-moi une loque aussi. J’ai pas envie de réveiller les petits qui sont parvenus à s'endormir, grogna-t-elle.

- Y a que ça, là, mais on a épongé une autre blessure avec, s’excusa le jeune homme, comme il semblait s’excuser, depuis la fin des combats, d’en être sorti indemne.

-Sans façon. Mets mon bâton entre mes dents, alors. Et fais vite et bien, mais plutôt bien que vite.

Et puis, elle mordit de toutes ses forces et rugit un flot d’abord discontinu puis de plus en plus insultant, en fermant les yeux très forts, tous adressés à Khan.


*

Il faisait nuit noire, sous la bâche, et les quelques braises du feu rougeoyaient à peine dans la pénombre. On l’avait détaché tout de suite après, bien sûr, et nettoyé la bile qu’elle avait craché tellement ça avait fait mal.

-Je pourrais aller le récupérer, murmura Ambre.

-Quoi donc?, demanda Gord Egon, étonnamment doucement.

-Ce qu’ils ont pris.

-Ils ont pris suffisamment que pour qu’on perde encore, rétorqua l’autre, fataliste.

Il y eut un long silence, même pas troublés de râles – on avait achevé ceux qu’on savait perdu. Peut-être des sanglots quelque part.

-Ambre ?

Elle ne répondit pas. Khan n’avait jamais léché ses blessures devant elle. Tifen non plus.

-Je vous ai mal évaluée, reprit le vieil homme, encore plus bas. Je voulais vous le dire.

Elle ferma les yeux, pour ne pas entendre ça. Elle aurait encore l’occasion de répondre de sa valeur, demain, par exemple, au moment où ils édifieraient le bûcher pour les morts du clan. Ou bien, encore…

Ce qu’il lui dit lui vrilla tellement les tempes qu’elle se redressa. Complètement éberluée, elle ne sut que faire d’elle-même, de ses mains. Elle finit, sans un mot par se redresser, en grognant, quitter la tente avec toute la hâte possible.
La lumière des étoiles ne l’apaisa pas, rien ne pouvait. Elle se pinça le nez, s’empêcha d’aller trouver et houspiller Einar, se re-écroula, sentinelle dérisoire.
Au moins, si les bandits revenaient, elle serait parmi les premiers tués. Peut-être qu’elle aurait le temps de dessiner l’égorgement d’un ou deux quand même.

*

Elle évitait de parler avec Einar, ou avec quiconque du clan Egon. Destan avait essayé, plusieurs fois, d’autres aussi. Avec Einar, pour couper court, elle parlait toujours en premier, lui demandait comment ça allait, s’il avait vérifié plaies et pansement aujourd’hui, ça le dégoûtait tellement que ça le bloquait avant qu’il ait pu parler de ce qu’il voulait. Boîter lui vrillait l’expression la plus patibulaire du monde au visage.

-On serait mieux sur le toit, non, demanda-t-elle à Tifen, assise à ses côtés, en cocher de ce chariot à bœuf.

Aucune des deux n’était tout à fait remise, mais aucune ne tolérait aisément la sollicitude et le fait de rester assise. La gorge de l’itinérante continuait de se nouer d’humiliation, tellement qu’elle n’osait pas raconter, pas plus ça qu’autre chose.

-Oui, tu as raison, n’importe où ailleurs. On les largue en ville. Tifen… ? C’est toi qui m’a sauté dessus pour m’empêcher d’y aller, hein ?

*

Elle avait été complètement désarçonnée quand Einar s’était mis à pleurer, juste assis à côté d’elle, sans la regarder, sans lever les yeux, en disant qu’il était presque guéri.
Elle ne le prit pas dans ses bras, elle n’était pas ni sa sœur, ni son maître, ni encore sa mère.
Mais Ambre ne parvint pas à le chasser, ou se chasser pour lui.


-Tu as fait ce qu’il fallait, Einar, murmura-t-elle, alors, la voix rauque. C’est toi qui as fait ce qu’il fallait. Tu avais raison, quand tu as lancé Khan à mes trousses, et avant. Faut que tu continues à le faire maintenant, quoique ce soit, c'est trop tard pour être mort.


Tifen Layan
Tifen Layan

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeJeu 8 Aoû 2013 - 13:52

Fiente de T’slich de grognasse. Il savait se battre, contrairement à la plupart des patates qu’elle avait croisées jusqu’ici. Et même si sa rapière le limitait grandement dans sa manière de combattre, il maîtrisait suffisamment bien ses incartades pour se mettre à l’abri de son sabre. Et puis il tenta quelque chose de totalement stupide. Mais qui fonctionna à la perfection, la prenant par surprise. C’était de la triche, ça. D’habitude, c’était elle qui tentait les manœuvres totalement stupides pour se sortir d’une mauvaise posture face à Valen, pas l’inverse. Dans tous les cas, là, elle était vraiment mal. Et ça faisait mal.  

L’intervention d’Einar lui sauva probablement même certainement la vie. Elle se releva immédiatement. Trop vite. Beaucoup trop vite. Le noir emplit brusquement son champ de vision depuis l’extérieur, elle eut juste le temps de voir Khan partir en courant derrière des bandits et Einar aux prises avec le grognasse avant de tomber à genoux, en appui sur son sabre, la tête douloureuse. Il lui fallut quelques minutes avant que la douleur reflue. Longues et douloureuses minutes où elle se sentit totalement vulnérables. Longues minutes où les bruits des combats proches résonnaient dans son crâne sans qu’elle ne puisse ni voir, ni comprendre, ni analyser, ni réagir, ni... rien. Juste un amalgame de sons qui lui vrillaient les tympans.

La lumière revint enfin et elle cligna plusieurs fois les yeux avant de distinguer avec netteté le champ de bataille et de se redresser à nouveau. Einar était immobile, figé et droit comme un sapin. Et le grognasse sur le sol, à ses pieds. Une bonne chose de faite. Mais il fallait retrouver Ambre, poursuivre les bandits encore vivants qui s’enfuyaient. Elle posa sa main sur l’épaule de son élève, et le détourna du cadavre. L’entraîna sur quelques pas, qu’ils boitillèrent en s’appuyant l’un sur l’autre.


- Courage, c’est bientôt fini.


D’un geste, elle l’obligea à croiser son regard, le déviant des chariots détruits, des corps, des flammes.

- Tu as bien fait. C’était lui ou nous, et tu m’as sauvé la vie. Et celle de nombreux autres gens.

Petite pause.

- Il faut retrouver Ambre.

Les messages de douleur envoyés par sa jambe se perdaient au milieu de l’adrénaline et de la peur. Retrouver Ambre. Si quoique ce soit était arrivé à sa sœur, ils payeraient tous jusqu’au dernier. L’adrénaline l’emporta et elle accéléra le pas, distançant légèrement Einar. Retrouver Ambre. Ambre qu’elle aperçut enfin, en arrivant aux chariots qu’elle aurait dû continuer à garder. Ambre qui s’éloigna après un ordre, boitant au moins autant qu’elle, et sourde à tous ses appels. Désespoir. Miuuuuuuuuuuu. La douleur revenait, demandant son dû. Elle ferma les yeux un court instant –ou peut-être était-ce plus que les quelques secondes qu’elle croyait ?-, espérant que quelque chose fasse reprendre ses esprits à sa sœur de cœur. Entendit le rugissement de Khan percer le silence qui tombait sur la caravane.

Apaisement. C’était fini. Ils étaient vivants. C’était fini. Ils n’avaient pas pu empêcher le pillage de certains chariots, mais sans eux le convoi entier serait mort. Que Grand Castor aille voir chez les Raïs s’ils y étaient s’il trouvait encore le moyen de mugir. Le reste de ses pensées disparut dans le brouillard de la douleur.
 


**


Ils formaient une belle troupe de boiteux, à eux trois.

Sa blessure à elle n’était pas excessivement grave. La rapière du grognasse avait glissé dans ses jambes au moment où ils roulaient au sol, traçant une longue estafilade de profondeur variable du haut de sa cuisse jusqu’à son genou où la pointe avait fini par se bloquer en partie. Ca faisait mal, et c’était handicapant pour marcher, et encore plus pour grimper aux arbres, comme quoi même mort, l’autre arrivait encore à lui pourrir la vie. Elle avait dû consacrer une partie de son temps à la couture. De sa jambe, pendant que tout le monde soignait ses blessures, parvenant à rapprocher assez convenablement les deux bords de la plaie pour faire un travail relativement propre, puis de son pantalon, plus tard, quand la blessure l’empêcha de participer trop activement aux missions d’éclairage et qu’elle était coincée sur ce stupide chariot trop lent. L’air de rien, le textile avait tout de même amorti une partie du choc, et sans aucun doute diminué l’ampleur de la blessure. Ambre la rejoignait, parfois. Tout aussi exaspérée qu’elle de son immobilisation forcée.

- On serait mieux n’importe où ailleurs. Où tu veux.
 



**
 

Un soir, en revenant du feu pour rejoindre son couchage, elle avait trouvé Einar blottit contre Khan, les épaules tressautant d’un sanglot silencieux. Elle avait frotté une main dans son dos, dans une maigre tentative de consolation, en attendant qu’il se retourne vers elle et qu’elle comprenne entre les larmes qu’il était toujours affecté par l’issue de son combat avec le grognasse masqué et par l’attaque. Maladroitement, elle l’avait pris dans ses bras, le laissant pleurer sur son épaule, murmurant à demi-mot qu’il ne devait pas s’en vouloir, qu’il avait fait ce qu’il fallait, qu’elle était fière de lui, et d’autres paroles de réconfort sans queue ni tête. Elle ne comprenait pas vraiment son désarroi. Il leur avait sauvé la vie, il avait tué ce fils de Raï, il avait fait ce qui était nécessaire, point. Et puis il avait participé aux batailles pour l’Académie, ça n’était probablement pas la première fois qu’il était confronté à la mort d’un adversaire. Mais dans tous les cas, il allait mal et elle fit de son mieux pour le réconforter. Ou essaya, en tout cas.

Et y réfléchit encore longuement dans la nuit, le regard tourné vers le ciel, quand il finit par s’endormir contre Khan.
 


**


La route défilait sous les pas des bœufs, longue et monotone. Trèèès longue. Elle détestait ça. L’inaction ne lui laissait que la possibilité de penser, encore et encore, à cette attaque et au reste. La résignation, la peur et cette volonté brute de survivre coûte que coûte quand le grognasse l’avait coincée, poignard sur la gorge. Et l’horreur, quand elle avait compris qu’elle ne parviendrait pas à sortir de sa poigne. Elle avait eu peur. Peur pour sa vie, peur pour Ambre, peur pour Einar, peur de ne jamais revoir sa sœur. De l’avoir abandonnée. L’inquiétude n’avait pas cessé quand elle s’était relevée, et la culpabilité lui était revenue en pleine face quand elle avait retrouvé l’ex-Corbac blessée. C’était de sa faute, elle n’aurait jamais dû quitter son poste. Mais elle n’aurait pas pu laisser Einar. Elle ne regrettait pas, mais ça n’empêchait pas sa gorge de se nouer à l’idée qu’elle aurait pu mourir là, loin de sa sœur d’armes et de cœur.

Cette fois-là, quand Ambre s’installa à ses côtés, maugréant encore sur sa blessure, elle n’eut pas d’autre réaction que de l’attirer dans une étreinte brusque, serrant sa sœur de toutes ses forces contre elle pour s’assurer encore une fois qu’elle était là, en vie, et qu’elle ne disparaîtrait pas. Elle avait eu peur.
 
 

**


Limitée par son immobilisme forcé, elle avait missionné Khan en repérage, pour accomplir la première partie du plan qui avait germé progressivement dans son esprit.
 


**


Ils approchaient bientôt d’une ville. Elle le savait, et ça se sentait. L’ambiance se détendait imperceptiblement dans la caravane, parce que la ville signifiait une étape du voyage sans embuscade et sans attaque fortuite. Mais cela contredisait les plans de la chantelame autant que ça les arrangeait. L’idéal serait tout de même de mettre son idée à exécution avant de retourner dans le tumulte des cités. Elle boitait encore un peu pour certains mouvements, mais sa blessure était en bonne phase de guérison, comme une grande partie des autres blessés du convoi. Le temps faisait son œuvre, pansant les plaies du corps et de l’esprit.

Ainsi un soir, lorsque Grand Castor décida de monter le campement pour quelques jours le temps d’une pause et de préparer les différentes transactions qui auraient lieu en ville, elle sauta sur l’occasion et disparu dans les herbes qui entouraient le camp, arc à la main, une sacoche en bandoulière en guise de gibecière et Khan sur les talons. Les nouvelles qu’il lui avait apportées étaient bonnes, et elle se dirigea sans hésitation vers l’Est. Si elle gérait correctement son trajet, elle serait de retour avant que tombe une seconde nuit. Elle marcha de longues heures, trop longues heures où elle sentait sa jambe lancer douloureusement, parfois entrecoupées de pauses où elle chassait, amassant rapidement deux ou trois faisans et lièvres. Khan la guida, orientant légèrement son itinéraire vers le sud, et les premières lueurs de l’aube n’allaient pas tarder à apparaître quand elle arriva à destination. Un petit corps de ferme composite en pierre et torchis se dressait derrière les hautes herbes.

Elle s’approcha silencieusement, espérant ne pas s’être trompé. Mais Khan avait eu raison, et lorsqu’elle s’approcha d’un bâtiment entrouvert dans lequel les habitants entreposaient les récoltes, elle entendit de petits jappements et ronflements. Elle passa la tête par la porte et sourit au spectacle qui s’offrait à elle. La chienne des fermiers avait eu des petits quelques semaines plus tôt et tous les chiots dormaient dans un empilement aléatoire contre leur mère, sauf un petit réveillé qui jouait avec un os. C’était parfait. Silencieuse comme une ombre, elle se glissa dans la pièce et attrapa le petit animal, après avoir déposé sur un seau de bois un faisan, un lièvre et un poignard qui provenait du butin récolté sur les bandits après l’attaque du convoi. Et elle avait disparu avant même que les autres chiens ne se rendent compte de sa présence.
 
Le trajet du retour lui parut bien plus long que l’aller, le chiot pesant lourd dans sa besace. Et elle avait dû en retirer ses autres proies qu’elle portait sur l’autre épaule. Sa blessure tirait de plus en plus, elle espérait que les points ne sauteraient pas, ou le cauchemar de la longue attente immobile reprendrait dès son retour. Et le soleil du Sud qui tapait sur la plaine vierge de toute ombre rendait le trajet plus pénible que dans la fraicheur de la nuit, contribuant également à lui faire ralentir le pas.

Ces petits contretemps firent que la nuit était bien noire quand elle parvint au convoi. Les itinérants étaient assis en cercle, racontant des légendes ou discutant à voix basse, Ambre était installée parmi les enfants encore éveillés qui écoutaient un conteur, un sourire nostalgique sur le visage. Einar, quant à lui, somnolait un peu plus loin, adossé contre un chariot. Il entrouvrit les yeux et se redressa un peu en la voyant arriver, la jeune femme lui sourit doucement. Puis elle plongea la main dans la sacoche et en sortit le petit animal, par la peau du cou. Elle le laissa tomber dans les bras de son apprenti où il se réfugia avec un jappement.
 

- Tiens, c’est pour toi.

Spoiler:
 
 
 
[Edition à volonté, tout ça hug surtoutquej'airienrelunirien]

Einar Soham
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeDim 18 Aoû 2013 - 20:58

Le sang que crachait Souriant par la bouche l’hypnotisait. La toux, les rires qui se fracassaient, le sang qui coulait entre ses doigts, le sang qui commençait déjà à sécher sur Bomon couvert de crasse, le sang sur ses mains à lui…
Le chantelame était resté dans la boue, pétrifié par tout. Pétrifié par la vitesse effrayante avec laquelle tout venait de se dérouler, la vitesse effrayante avec laquelle il venait de… de…
Les yeux d’Einar oscillaient au rythme des lèvres de Tarus. Il l’entendait sans l’écouter, le regardait sans le voir, c’était comme si le monde était devenu immobile tout autour, et il n’y avait plus rien d’autre qui existait à part tout le sang.

Le sang, et la boue. Il en avait la moitié du corps couvert, les mains, la bouche emplie. Tarus en avait les mains couvertes. Le sang séchait dessus.
Un espoir un peu vain broyait les tripes d’Einar, que peut-être, si Souriant était capable de parler, il allait peut-être pas mourir, que peut-être il allait juste s’évanouir gentiment, le temps qu’ils finissent tous le combat, et il allait être rétabli, se repentir, et—
Les mains d’Einar se crispèrent autour du col de Tarus – tu n’as pas le droit d’arrêter de parler, d’arrêter de bouger, d’arrêter de saigner, tu n’as pas le droit d’avoir mis si longtemps à mourir, il secouait le plus fort qu’il pouvait pour obtenir une réaction, juste un sourire, juste une respiration, juste un battement de paupières, il lui mit des claques, il le secoua encore, il lui mit un coup de poing dans la figure - l’impact était glacial.

Le fracas alentour lui arriva brusquement dans les oreilles. Et les odeurs. L’odeur de sang, surtout, et la fumée, les cris, les tintements du métal, les cavalcades sur la terre et la pierre, le sang, le fer, le goût de fer partout. Il ne se souvenait pas s’être levé, ou avoir récupéré son sabre, ni de voir Tifen arriver à ses côtés. Il sentait juste dans sa main gauche la poignée boueuse de son sabre, dans sa main droite la rugosité du cuir, et la dureté d’une petite pierre crispée au fond de sa paume.

Les yeux de Tifen étaient insoutenables. Le reste du monde lui paraissait insoutenable.

- Il faut retrouver Ambre
, répéta-t-il un peu mécaniquement, comme émergeant d’un rêve.

L’ordre prit la priorité absolue dans son esprit, pour recouvrir le trou béant que la mort de Souriant avait créée, et les muscles répondirent automatiquement.
L’idée d’aller tuer d’autres gens pour sauver Ambre ne lui paraissait plus vraiment insoutenable. Il avait tué quelqu’un. Ca faisait de lui un monstre. Il pouvait en tuer d’autres, maintenant, ça n’avait plus d’importance.


*

La lame était restée coincée entre les côtes d’un des sbires sur lequel il s’était jeté, et il avait beau tirer dessus, la poignée glissait entre ses doigts couverts de beaucoup de choses pas nettes. Et Ambre était déjà loin. Et sa jambe le brûlait, chaque mouvement était un vrai martyr, comme si on lui enfonçait mille griffes pointures dans sa blessure, il pouvait pas espérer la rattraper.
Khan pourrait.
Khan qui était à côté de lui, en train de déchiqueter la gorge de la cible qu’il avait aidé à abattre avec lui en lui mordant les jarrets, Khan qui avait le museau couvert de tripailles et qui semblait aux anges.

Einar, dans une inconscience de ses gestes plus que totale, saisit le félin à pleines mains par les oreilles pour le distraire de son repas. Un feulement, une patte qui se posait sur lui sans violence mais suffisamment puissante pour l’envoyer bouler.

- Mais t’es bête, espèce de chat !
Son bras désignait Ambre, qui courait après les ennemis malgré tous les appels, alors que tout le monde avait déjà arrêté de se battre, même Tifen. Allez ! Il lui tira la queue. S’il te plait Khan, j’te donnerai toutes mes portions de siffleur rôti jusqu’à la fin du voyage ! Le tigre releva enfin le museau tout grouillant de bouts d’humain. Va la chercher ! Allez ! Un coup de pied dans le derrière rayé du digne félin. Alleeeeeez ! Arcbouté contre le dit-derrière rayé, Einar poussait de toutes ses forces en direction d’Ambre un Khan réticent planté de toutes ses griffes dans le sol. J’dormirai plus avec toi ! couina-t-il en désespoir de cause.

Avec un grognement de basse agacé, Khan se détourna enfin de son repas et s’élança avec toute sa puissance vers la cible. Einar, qui s’était appuyé de toutes ses forces contre le matou grognasse, glissa comme une loque dans la boue, où il décida qu’il ne bougerait plus jusqu’à ce qu’on vienne le chercher.


*

Tous ses efforts étaient vains. La poignée d’herbe sèche dont il se servait pour gratter sa lame ne servait pas plus que ses ongles, pas plus que les morceaux de tissu arrachés un peu partout, pas plus que les cailloux, qui ne serviraient qu’à rayer la lame s’il continuait à frotter comme un demeuré.
Le sang ne partait pas.
Y’avait des parties encore vaguement collantes et d’autres complètement séchées, comme de la peinture écaillée.
Juste après le carnage, on était venu voir s’il était mort, et quand on avait constaté que ce n’était pas le cas, il avait été trainé sur quelques mètres hors de la zone de combat. D’où il était parti instantanément pour aller retrouver son sabre en clopinant sur un seul pied. Sabre qui était resté profondément enfoncé dans une cage thoracique quelconque, et qu’il eut toutes les peines du monde à extraire jusqu’à ce que finalement, Narsès, qui était restée cachée pendant tout l’affrontement, vienne l’aider, avec ses mains propres et son corps plein d’énergie.
Il ne lui murmura pas le moindre remerciement.
Il avait pas envie de parler.

Un blob bizarre séché sur le fil de la lame, qu’il gratta comme un forcené pour le faire partir. Ca ne servait à rien. Il ne pourrait jamais ôter ce sang-là de ses mains, ni le rire de Souriant, ni même les os de l’autre qui crissaient quand il l’avait embroché. Et qu’il n’avait rien ressenti. Pas comme Souriant.
On finit par lui prendre son sabre des mains, on allait lui nettoyer, il fallait qu’il aille voir le coin où on soignait les blessés. L’apprenti chantelame protesta faiblement, s’agrippa à lui –comment pouvait-il tuer des gens si on lui prenait Bomon ?!
Quelqu’un dut le poser près d’Ambre, peut-être Tifen, peut-être quelqu’un d’autre, peut-être personne.
En tout cas, son esprit ne se reconnecta à la réalité que lorsqu’elle commença des explications sur les blessures.
C’est seulement à ce moment-là qu’il se rappela qu’une rapière lui était passée au travers de la cuisse.

Y’avait du sang. Il aurait voulu montrer à Ambre, qui avait l’air de s’y connaître, mais elle était déjà partie vers Destan et le clan de Grand Castor en général. Il y connaissait pas grand-chose en blessure, mais rien qu’autour de lui, des gens avaient des blessures et des brûlures bien plus graves et bien plus dégueulasses.
Il resta longtemps à contempler ça.
La perspective que ça fasse spouitch et qu’il faille tout trancher le terrifiait.
Mais les cris d’Ambre, derrière une tente, et des autres blessés, le pétrifièrent.
Non. Pas de cautérisation.
C’était vraiment trop terrifiant.
Plutôt le spouitch.


*

Se laver s’était révélé plus difficile que prévu, pour une bonne raison : y’avait pas d’eau, dans le coin. On lui donna quand même le contenu d’une gourde, histoire qu’il se lave la cuisse et qu’il puisse nettoyer la blessure, parce qu’il y avait plein de boue, de sable et de sang dedans. Narsès lui avait expliqué comment mettre des bandes de tissu et comment presser pour que les herbes machées qu’elle avait mis à chaque endroit où la lame avait percé ne tombent pas.
Et elle était revenue avec son sabre tout propre, et ça, ça avait touché Einar plus que ça n’aurait du.

Mais ça ne changeait rien au fait qu’il avait toujours pas, vraiment pas envie de parler.


*

La nuit, c’était le pire. Nanar avait pas assisté au bûcher des victimes, malgré toute la tradition qui l’entourait. Les bandits ne seraient pas enterrés, on n’avait pas le temps, pas les ressources, et pas envie.
Souriant, il aurait peut-être personne pour le ramasser et lui offrir un vrai bûcher.
Ou peut-être qu’il aurait une femme, et plein d’enfants, et plein d’amis qui lui dresseraient un grand bûcher, et qui pleureraient sa disparition. Que ses enfants ils allaient pleurer, et il pouvait tellement comprendre. Ses pensées dérivèrent sur la réaction qu’il pourrait avoir si ses parents étaient assassinés aussi, et la boule dans sa gorge se transforma en mastodonte dans sa gorge. Il resserra compulsivement les bras autour de la grande peau toute chaude de Khan, qui veillait à ce qu’Einar remplisse sa part du marché en dormant avec lui.
Il avait tué un gens.
Il avait tué un autre gens, et il en avait même pas eu honte.
Il avait vu plein de gens mourir.
On avait du achever encore d’autres gens. Le cousin de Narsès, çui qui était gentil. Il avait tué Souriant, et il arrivait pas à détacher son esprit des rires ensanglantés qu’il avait eu, et la vision du sabre qui se dressait dans sa poitrine, et le sang qui coulait à gros bouillons.
Comme les larmes sur ses joues, par torrents, qu’il essayait de faire couler silencieusement parce qu’il voulait réveiller personne avec ses sanglots.

Il avait jamais eu autant besoin d’un calin de sa vie, et quand Tifen le prit dans ses bras, il y resta le plus longtemps possible, intarissable.

- J’suis un monstre Tifen.
Ses reniflements brisaient les syllabes, il devait être complètement incompréhensible. J’l’ai pas tué proprement, il a souffert et – c’est pas chantelame. J’veux plus jamais tuer de gens. J’veux juste sauver des gens, sans en tuer d’autres.

Il pourrait jamais s’en remettre. C’était impossible, c’était trop lourd.


*

Devant Ambre.
Il s’était mis à pleurer devant Ambre.
Il s’était retenu, tout ce qu’il avait pu. C’était la dernière personne devant laquelle il avait envie de pleurer. La dernière. Il se retenait toujours quand il essayait d’aller lui parler, mais là, il avait pas pu.
Et il se sentait incapable de la regarder en face, ou même de bouger.

C’est trop tard pour être mort.
Il ne savait pas trop ce qu’elle voulait dire par là, mais ça lui tira un petit sourire fatigué. La manière dont Ambre l’avait tenu à distance pendant quelques jours l’avait profondément marqué. Même elle, ça la dégoutait, ce qu’il avait fait ? Même Ambre, qui était peut-être la personne la moins dégoûtable qu’il connaissait ?
Qu’elle lui montre enfin de la reconnaissance… Einar en avait terriblement besoin. Il espérait pas non plus de la fierté, mais rien que quelques mots, c’était suffisant pour qu’il essaie de se tenir droit, qu’il se râcle la gorge et qu’il essuie ses larmes avec le dos de sa main.

- J’voudrais..

Il s’interrompit, prenant conscience qu’il était sur le point de dire le truc qu’il fallait surtout pas dire devant Ambre. C’était comme ça, devant elle il essayait toujours de paraitre le plus costaud possible, même s’il n’y arrivait pas tout le temps. Et lui dire, là, maintenant, qu’il voudrait rentrer à l’Aca, qu’il voudrait retourner à la maison, que les gens lui manquaient et que l’attaque du convoi l’avait vraiment secoué, et qu’il avait plus eu de nouvelles de personne depuis des lustres, et qu’on pourrait peut-être aller dans une grande ville pour qu’il puisse en demander, c’était inimaginable.
Elle le fixait de son regard violet qui le perturbait toujours.

- … savoir, on reste encore longtemps dans l’convoi ?


*

Bientôt.
Bientôt, c'est-à-dire, quand ils entreraient dans le village, Tifen lui avait dit avant de partir en excursion, ils se sépareraient du convoi. Et après, ils seraient liiiiiiiiibres comme l’air.
Einar espérait de tout cœur qu’on retournerait quelque part vers le Nord. Même si cet espoir là, il pouvait s’asseoir dessus. Le petit chantelame essayait de rationaliser, de se dire que le sud ça pourrait être cool aussi, et puis ils iraient probablement à Al-Vor, parce qu’il y aurait la grande Foire, et que c’était là qu’ils pourraient trouver les trucs qui leur manquaient et les meilleurs cadeaux à ramener aux gens à l’Aca. Et pendant qu’ils seraient à Al-Vor, il pourrait espérer trouver un moyen pas trop trop cher d’avoir des nouvelles de l’Académie. Et comme ça, il y aurait plein de choses pour lui faire oublier Souriant.
C’est la tête pleine de ces pensées rassurantes qu’il dut s’endormir, en écoutant de loin l’histoire du Verrou et de Merwyn par le conteur de la caravane.


*

La tête complètement embrumée, Einar mit quelques secondes à calculer que la touffe de poils que Tifen venait de lui fourrer dans les bras était en train de lui lécher le visage. Dans la pénombre, il n’en distinguait que les contours, et la petite tâche toute blanche qu’il avait sur le museau. Et il sentait ses petites patounes qui fouillaient sur son torse pour s’installer.

- .. Pour moi, vraiment ?
Il en revenait à peine. Tifen, t’es la meilleeeeeeeeeure, couina-t-il de bonheur en se relevant, le petit chiot dans les bras, et en glompant intempestivement sa maître chantelame sans faire attention aux regards courroucés du conteur et des enfants.

A la lueur du feu, entouré par les gosses qui voulaient tour à tour caresser le petit chien, Einar put l’observer un peu mieux. Il était tout plein de poils, et tout plein de pattes, et il avait cette petite tâche blanche sur le museau qui le rendait totalement unique. Son pelage lui faisait comme un demi-casque sur la tête et un caparaçon sur le dos et les pattes. Un vrai petit chiot de chantelame. Carrément plus classe que le vieux petit dachshund à moitié édenté de Papa qui servait à garder les poules. Il jappait, un peu tremblant, il avait sûrement jamais vu autant de monde d’un coup.

- Il a un nom, dis, A’nar ?
hasarda une des plus petites puces du camp, les deux mains dans la fourrure de l’animal.

- Pas encore. J’sais pas encore trop… On va attendre quelques jours pour voir lequel lui convient.

- T’as qu’à l’appeler Egon, comme ça il sera aussi fort et costaud que Papi !

- Nan, faut un truc super classe vu qu’A’nar est un grand guerrier, genre Ténébreux ou Eclipse du Dragon Céleste !

Einar parvint à extraire Eclipse du Dragon Céleste des griffes des petits et à se trouver un petit coin tranquille pour le reste de la nuit. Il avait réussi à sauvegarder sa part de viande de siffleur, même s’il avait promis de tout donner à Khan jusqu’à la fin du voyage.
Rompre la viande en deux et la fragmenter en petits bouts prémachés pour le chiot tissa un premier lien très fort entre les deux êtres, un lien dans lequel Einar venait d’accéder au rang suprême de Donneur-de-Miam-Sacré dans la tête d’Eclipse du Dragon Céleste.


*

La douleur de la séparation d’avec les gens chouettes du camp fut un peu atténuée par le fait qu’Einar avait le chiot le plus mignon EVER du monde entier, et qu’ils étaient déjà les meilleurs amis de l’univers.
Einar n’avait pas encore osé faire les présentations formelles avec Ambre et Khan. Connaissant le caractère des deux, il faudrait sûrement du temps pour qu’ils ne le transforment pas en sac à main dès que le chiot s’approchait, et il ferait un très mauvais sac à main. Et puis le fait d’être enfin dans une ville lui laissa très peu de temps libre, si peu qu’il eut à peine le temps de croiser Ambre, en pleines négociations avec le conseil du clan pour la rupture de leur contrat.
Tifen lui donna une liste longue comme le bras d’objets de première nécessité à aller chercher dans la ville, parce qu’elle avait pas envie d’y aller ou qu’elle aimait pas les rues trop bondées, et il fallait de toute manière qu’il aille trouver un armurier.
On lui avait donné l’argent qui avait été trouvé sur Souriant, et il avait eu des scrupules à l’utiliser jusque là.
Mais pas quand l’armurier lui assura qu’il pourrait réparer la garde de son sabre en changeant la pierre, ni quand il lui forgea une pointe en fer suffisante pour aller au bout de sa dague à corde cassée. Au final, il était revenu chargé d’une nouvelle casserole, de nouvelles pointes de flèches, de nouveaux vêtements et de provisions, le petit chien trottant allègrement à ses talons, lui mordillant les lacets ou lui sautant impulsivement dans les bras.


*

Einar tenait le chiot sous les aisselles et le tenait devant lui, les bras tendus, tandis que Khan le reniflait d’un air circonspect. Eclipse du Dragon Céleste – un nom provisoire qui lui allait pas si mal que ça- lécha d’un coup de langue vicieux l’énorme museau félin. Feulement tigresque. Khan renifla une dernière fois, décréta qu’il n’y avait pas là matière à danger et qu’il était trop petit pour être mangé, qu’il y aurait encore moins de viande à manger que sur le petit humain maigrichon, et lui tourna le dos pour s’en retourner vaquer à ses occupations.
C’était un succès.
La prochaine étape, ce serait Ambre.


*

Ils étaient enfin partis. Gord Egon avait mis du temps à rompre leur contrat, et ça avait rongé les nerfs de tout le monde, mais au final, ils avaient réussi à se dissocier de la caravane. Einar devait reconnaître que c’était l’étonnante pugnacité d’Ambre qui avait réussi, là où sa timidité et l’anthrophobie de Tifen auraient échoué misérablement, et qu’ils lui devaient vraiment beaucoup, pour toute l’intendance du voyage.

C’est presque par accident, deux jours et beaucoup de jurons plus tard parce qu’ils avaient encore tous les trois mal à la jambe, qu’ils tombèrent sur la Grande Mer du Sud. Au lieu de poursuivre sur la grande route, ils avaient obliqué dans un sentier à travers une forêt assez dégarnie par rapport aux forêts luxuriantes des collines de Taj et d’Ombreuse. Voyager à trois à pied s’avérait beaucoup plus rapide qu’avec tout un convoi plein de vieilles dames et de petites dames.
Einar courait en tête, une main sur le sabre qui battait contre ses hanches, l’autre trainant derrière lui la dague à corde complètement déroulée. Le petit chiot pourchassait le bout pointu qui hoquetait par terre dans la course folle d’Einar, un petit bout de viande accroché au crochet de métal. Ils zigzaguaient entre les arbres, parfois il sautait sur une branche ou glissait sous un tronc affaissé, parfois il faisait décrire un arc de cercle à sa corde pour faire bondir le petit chien.
En bref, il était plus heureux que depuis des semaines entières, et l’esprit beaucoup plus léger que les jours précédents.

Soudain, Einar pila des quatre fers et dérapa sur quelques mètres, à temps pour ne pas tomber de la falaise qui terminait brusquement la forêt.
Sauf qu’en face, il n’y avait que le ciel. Le ciel, et un deuxième ciel en dessous, luisant, qui ondulait, et qui sentait le sel à plein nez. Chiot percuta les jambes d’Einar en oubliant de freiner, et le petit chantelame le prit dans les bras pour lui faire admirer le paysage. Y’avait que du ciel à perte de vue, et un dégagement de terrain glissait en pente douce vers une sorte de plage en contrebas de la falaise, sous ses pieds. Les arbres s’arrêtaient tout net au bord de la falaise, certains étaient même penchés vers le vide.

C’était la première fois qu’Einar voyait la mer, et il en était profondément heureux.

- Dis Ambre,
lança-t-il par-dessus son épaule, aux deux marchombres qui n’étaient plus très loin derrière, c’est ça, le Grand Océan ? C’est aussi grand que le Lac Chen ? Tu crois qu’on peut s’baigner dedans ?

Elle leur avait pas mal parlé du Sud, et des grands océans, on avait l’impression qu’elle était née dessus, et elle connaissait plein d’histoires de navires, de monstres, de fantômes, d’orages et de pirates. Les histoires les plus terrifiantes avaient fasciné Einar.
C’était gigantesque, encore plus grand que dans les histoires. De l’eau et du ciel à perte d’horizon, et qui faisait du bruit, et qui avait une odeur, qui avait une respiration, et qui semblait ne pas avoir de fond. Il avait peut-être la phobie de l’eau, mais il n’arrivait pas à détacher les yeux des vagues, des récifs et des rochers qui parsemaient la plage.
Le Sud, en fait, c’était plutôt cool.


Ambre Naeëlios
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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeDim 15 Sep 2013 - 15:53

Il y a toujours un contre-coup aux combats. Voire, peut-être deux, suivant la complexité des êtres et leurs capacités propres à se dissimuler les choses.
Dans un premier temps, Ambre s’était coupée de tout, continuant pourtant, comme tous les autres, de se lever le matin avec le soleil, de mettre en place les morts pour leur décès, de s’asseoir pour ne ralentir personne, sur un char.
Des moments vides, et absurdes, hantés des mots de Gord Egon, de sa propre frustration perfectionniste, du mutisme de Tifen, et des yeux jaunes, millénaires de Khan.
Ambre pouvait s’enfermer en elle-même et se le cacher très longtemps, ce n’était pas un problème.


On pouvait bien lui taper l’épaule. On avait eu beau la remercier, discrètement, certains après les comptes, certains avant, ceux qui  s’étaient battus tout prêts.
L’odeur de la chair brûlée avait ramené l’Académie beaucoup trop près de sa tête, et toutes sa kyrielle de fantaisies absurdes.

Destan pouvait bien tenter de sourire de loin. La présence de Tifen à ses côtés l’écartait définitivement – et regarder le soleil de face lui brûlait les yeux assez fort, le reste du temps. Sa jambe, là où la brûlure l’avait striée lui faisait mal, un bon mal de plaie qui guérira bien.
D’autres ne pouvaient pas en dire autant, elle le voyait.

Les femmes jetaient sur leurs porteurs les regards qui jaugent, qui méditent, qui hésitent. Les épouses faisaient semblant de rien, prétendaient ne pas s’alarmer et soignaient, soignaient encore tout ce que leurs mains savaient. Les blessés eux-mêmes ? Ca dépendait. Ambre espérait qu’ils arrivent à se mentir assez longtemps que pour qu’Einar ne voie pas ça ;ou qu’un miracle survienne, savait-on jamais ? Peut-être que les plantes, près des villes, fonctionneraient mieux, qu’on trouverait enfin un cataplasme efficace, et qu’on ne priverait aucun enfant de son père.

Elle pensait à ça, le soir, en s’allongeant, en vérifiant, discrètement : qu’elle au moins, elle ne laisserait personne, personne, que sa mort serait propre, sans remord, sans perpétuations.
Ca l’apaisait étrangement, cette possibilité de mourir quand elle le jugerait bon, sans qu’en souffre le moindre enfant, le moindre époux, ni aucun élève.  Et quelque part, le froid polaire que ça tissait dans ses tripes ne la dérangeait pas tant que ça.

Tifen  se jeta sur elle, alors, sans qu’elle ne le comprenne vraiment. Ce n’est pas que ça la réveilla, ou qu’elle comprit tout de suite les tremblements légers ou profonds de la guerrière. Mais ils trouvèrent échos, tout au fond d’elle, lorsqu’elle ferma les yeux, en réalisant qu’ils étaient plein de larmes, et que tout gagna un cran de vrai, une micro-once de chaleur.

Elle était moins amochée, Tifen. Elle parvenait encore à se lever, relativement correctement, à marcher seule, bien plus longtemps qu’Ambre, qui essayait de ne pas lui jalouser ça. Elle n’avait de toutes façons par vraiment d’énergie à mettre dans l’accélération de sa propre guérison, et s’effondrait très tôt le soir, comme si, depuis l’attaque des bandits, elle avait combattu avec la même force tous les jours.
Sa sœur et elles avaient très sommairement discuté de la possibilité de partir – pour Tifen, qui n’était pas négociatrice dans l’âme, ses paroles avaient valeur d’or. Pour Ambre, c’était seulement une réflexion à chaud, qui tiédissait dans sa volonté, mais qu’elle n’oserait pas reprendre.
Ce n’était pas qu’elle voulait rester. Elle était encore furieuse à l’idée de la présomption dont avait fait preuve Gord Egon en croyant que son entrée dans le convoi était une tentative du clan Naeëlios à montrer en sa fille une épouse valeureuse pour la fondation d’un clan nouveau, pour un fils de Gord Egon qui voudrait créer son propre convoi.
C’était que, contrairement à Tifen, elle se sentait bien au milieu de ces gens qui partageaient ses valeurs,  une part de son mode de vie, et qui lui rappelaient l’enfance perdue. Contrairement à Einar, elle n’avait pas de lieu qu’elle désirait revoir, et qui ne l’aurait pas fui, pas d’amour pour cette Académie à laquelle elle avait fait ses adieux, pas de projet en dehors du fait d’être- avec honneur.

Mais Tifen souriait aux arbres, dans le lointain, qui marquaient l’au-delà de Vor.
N’avait-elle pas raison, ne fallait-il pas s’affranchir des dernières structures connues, pour être libres ?

Lorsque le convoi arriva aux portes de la ville, elle demanda à parler au Conseil, ferme, à défaut d’heureuse. Gord Egon n’avait d’autres choix qu’acquiescer, de toutes façons, et il le savait. Qu’ils viennent, tous, elle était prête pour ça.

*
-Je dis que le contrat est rempli.
-Je dis que la fille est présomptueuse.
-Moi, je dis les vies sauves.
-Et les morts, comment les Naeëlios les comptabilisent-ils ?


Gord Egon entendait à ce bourdonnement perpétuel la division du conseil. Si ces yeux avaient perdu de leur acuité d’antant, et ne percevaient plus très bien les chiffres qu’il traçait encore,  il déplorait en silence que ses oreilles ne fussent pas sourdes, et son âme moins molle.

Ambre avait volontairement choisi la dissension, il l’aurait parié à sa manière d’être très droite, très à l’aise dans ce chaos, très ferme. C’était sa manière de lui faire payer les mots qu’il avait eu. Peut-être.
Gord était un vieil homme, oui, il devait l’admettre, quand ses doigts craquaient, quand son dos était raide au réveil, quand ses petits enfants devaient le réveiller. Mais un homme, tout de même, respecté par ses fils, par ses frères, par les femmes qu’ils protégeaient tous. Il avait sa poigne, rude, et les pogne assez larges pour vous fracasser les petites pommettes de cette foutue guerrière, n’empêche, elle avait dû venir l’aider, et il n’avait pas su la remercier. Alors ils étaient là.


-Est-ce que la chasse doit être prise en compte, au vu de ces conditions ?
-Et l’enfant, qui courrait derrière ma fille, qui est pourtant trop jeune, l’a-t-on compté ?
-Je dis qu’elle a sauvé les anc-


Il fusilla Destan, droit dans les yeux. Foutu gamin. Il le savait, que des trois, c’était le numéro deux qui serait une complication infinie. Le troisième, envoyé dans le clan minier avait trouvé une position à l’aise, loin de ses cousins mineurs, à contempler et sélectionner les pierres. Il taillait de belles choses, ah, de çui-là, il pouvait être fier. Et même, son aîné, il était bien à l’aise, bien proche de lui, bien dans ses comptes, il ferait tenir le clan, au besoin, il serait à poigne, et respecté. Mais le second, ça, c’était..

Ca aurait été idéal, pourtant. Il l’avait vu au regard, à toutes les trop belles perspectives que représentait la Naeëlios en souhaitant rejoindre son clan. Son fils était trop ambitieux pour se contenter d’un charriot de second ordre. C’était de sa faute, de celle d’Eulalie, un peu aussi. Avant Bertram, Eulalie et lui avaient eu un premier né qui était mort le mois suivant, et dont le nom lui écorchait encore l’âme, tellement qu’il n’osait même plus le penser. Depuis était subsisté le doute : et si Bertram mourrait ? Destan avait été élevé davantage comme un « premier » de remplacement que comme un second. C’était de sa faute, oui.  Et maintenant que son cœur était vieux, l’idée que Destan le quitte pour partir de rien, qu’avec sa part des ventes, et leurs contacts dans les mines… Oh, si au moins il pouvait lui conclure une belle alliance, lui apporter cette sécurité-là, à ce moufflet.
Il y avait des femmes très bien, du Nord au Sud. Une Djee, peut-être, une Crianne, sinon. Ou une autre Egon, lointaine lointaine, alliée aux frontaliers ? Même une aline, Gord s’en serait fichu, vraiment, pourvu qu’elle ait fait marcher son sang droit, et que la fortune leur ait souri.

Et l’autre était apparue, comme une aubaine, il l’avait lui-même fait remarquer à Destan, lui demandant de la tester, de s’assurer de sa valeur- entremetteur facile, et père confident. Bien sûr, ça avait fonctionné, comment en vouloir à son fils ? Elle avait de jolis yeux, et un caractère. C’était comme ça qu’Eulalie l’avait séduit : elle avait sa propre poigne, sa propre morgue, ses propres colonnes de chiffre, et il fallait se battre bec et ongle pour oser les relire.
Et elle se taisait maintenant. Foutus Naeëlios qui regardaient le cours des choses et des enchères avant de lâcher leurs bombes. Foutus Naeëlios qui étaient si foutrement imprévisibles en négociation qu’on finissait par leur préter plus de ruses qu’ils n’en avaient.

Ambre regardait Gord, sans ciller, sans sourire.
Le verdict devait venir de lui, c’était le seul vrai piège. Elle le condamnait simplement à entendre tout ce que tout le monde aurait à lui dire, à entendre le récit de sa propre incapacité à protéger le charriot de son épouse, à choisir d’écouter ou non. Elle le condamnait à se cacher derrière un trancher patriarcal, ou des excuses venues d’autres. Il la détestait pour ça. Valait-elle plus ou moins que ce qui avait été fixé au départ ? Avait-il acheté les possibilités, ou la guerrière ? Un peu des deux sans doute, dirait son aîné, qui était pour le compromis en tous temps, moins par facilité que par honnêteté.


« Et le fruit des butins, qu’on a laissé au gamin, les termes en étaient-ils discutés au départ ? »
« Laisse-la aller. Comme si on en avait besoin tout court. »
« Donne-lui plus. Elle a nourri le conteur avec des histoires, Einar aussi. »
« Je dis le tigre a fait fuir les autres fauves. La chasse a été abondante, les enfants sont bien portants. »
« Je dis l’argent ne ramène pas les morts, sa présence les réduit. Garde-la et double le prix de l’enfant et de la femme-fauve. »
« Je dis changer les routes, déduire de son salaire chaque mètre qu’elle ne fera pas, et engager des thülls ou de véritables guerriers. »


-Laissez parler la fille, suggéra Bertram, qu’elle dise ses doléances exactes, et assiste aux discussions plutôt que l’inverse. Cette discussion nous fait perdre du temps à la foire.

Un bon fils, celui-là, et malin, avec ça, il avait prit énormément de sa mère, et énormément de lui-même, Gord voulait le croire.
Il songea aux deux autres, qu’il écartait trop volontiers, qui s’écartaient trop volontiers des discussions, comme si elles ne les concernaient pas-  pas ses fils, les deux étrangers qu’il avait engagé sans les voir et tenu à l’œil depuis.  Ce n’était pas des comportements d’itinérants, de commerçant, mais de guerriers, peut-être. Nombreux pourtant étaient ceux qui se seraient tus face à Tifen Layan et à son fauve. Quant à Einar Soham…  Il avait tué le chef-brigand, même si ça ne le rendait pas, ni plus vieux, ni plus virile, il avait prouvé sa compétence et son courage mieux que bien des fils- exactement ce qu’Ambre avait dit.
Il s’attendait à peu près à ce qui suivit- parce qu’il avait traité avec elle.

Elle voulait, comme prévu, une prime pour Einar, et pour Tifen le prix de ses chasses, ou à défaut, ce qu’ils pourraient en emporter. Ayant pris la responsabilité d’assurer seule la sécurité du charriot contenant les diamants, elle acceptait que chaque pierre manquante soit enlevée à son salaire initial, et que ça ne suffirait pas à racheter ses fautes.



Ce qui revenait à rendre sa part nulle, voir, à l’endetter, souleva encore le fils aîné. Le contrat, d’ailleurs, exigeait un accompagnement pour le retour, ce qu’Ambre semblait oublier. Il faudrait, donc, au minimum, diviser par deux le salaire initial.
Et Gord carra les épaules, juste une seconde trop tôt pour que ça passe inaperçu, lorsqu’elle commença à répondre, présentant un coup bas. Posée, sèche, les yeux brillants, oh, pas de plaisir, voulut-il croire ; mais ça importait peu, au final.


-Le salaire initial était juste. Mais le convoi n’a pas acheté mon savoir-faire, et l’accord conclu alors est caduque, hormis en ce qui concerne ma part d’eau et de nourriture : je refuse de faire affaire plus longtemps avec ceux qui prétendent acheter davantage que ce que je  vends.  J’exige la valeur de mon travail, 20 pourcent de la valeur des diamants restants, une prime pour l’incendie que j’ai éteint et


Gord sut que ce ne serait que le début des négociations du conseils qui débutaient pour eux. Elle aurait pu se contenter de sa petite vengeance, se dit-il, sans la rendre publique.  Foutue bonne femme offensée, qui se prenait d’un coup pour une poissonière, à tout étaler dans le vent. Finalement, il était bien content que son fils n’ait pas à l’épouser.

*

Dire qu’elle était satisfaite ? Non.
Dire que ça l’aidait à partir, sans avoir trop de regrets ? Aucun doute la-dessus.
Et qu’elle en avait besoin, reconnaissait-elle enfin. Bec et ongles, acérés, mais elle n’avait pas été la seule à en user, et ils l’avaient eue, à bien plus d’un égard, ce que Tifen et Einar ne semblaient pas comprendre. Pour eux, seul le départ comptait, et c’était peut-être vrai.

Le fait de partir libre, et avec de quoi subsister un temps. Elle aurait aimé qu’ils négocient pour eux-mêmes, qu’ils ne la forcent pas à se battre sur trois plans à la fois, parce qu’elle avait certainement mieux défendu le leur. Peut-être même qu’elle aurait aimé qu’ils négocient pour elle.
Elle jura encore une fois, sur sa maudite jambe débile, qui se traînait, et qui l’empêchait de marcher à son rythme. Parce qu’elle pouvait. Elle aurait tout aussi bien pu jurer sur la foutue tentative de bête féroce qu’Einar se trainait aux chaussures et qui lui avait fait manquer un lapin, la nuit, en se mettant à hurler à la lune.  Même, elle aurait pu jurer sur Tifen,  pour avoir été absolument  sourde à l’idée de ne pas entrer dans la forêt. Comme si on marchait mieux en forêt qu’en plaine, sur une belle route, bien dallée, avec de la terre bien battue ? Hein ? Qu’on lui donne un foutu argument, plutôt qu’un sourire réjouit. Ceux-là, au moins, elle pouvait les briser sans réfléchir.
Einar courrait devant. Putain de jambe, vraiment. Elle l’espérait en tous cas, abruti comme il était, il aurait tout aussi bien pu tomber dans un trou. Quoique non, ils l’auraient entendu, Khan au moins.
Tifen souriait, d’un sourire complice à peu près tout ce qui l’entourait, Ambre se sentait obligée de bredouiller une grimace vaguement équivalente quand leurs regards se croisaient. Et puis, sans qu’elle fasse attention, ça devenait un peu plus consistant, et elles se parlaient dans leurs relatifs silences. Tifen ramassait certaines choses avec un intérêt nouveau, comme si elle les redécouvrait, Ambre se demandait si elle vérifiait bien ses plaies, s’il n’aurait pas fallu cautériser, dans le doute. Et puis sa propre langue, moins tenue que celle de Tifen finissait par laisser échapper des choses, des observations. Pas des projets, pas encore, des récriminations sur les foutus brigands, et le fait de ne pas avoir pu trouver un moyen de les attaquer, surtout, qui à Tifen faisaient rouler les yeux.

Ambre continuait à sursauter chaque fois que Khan se faisait entendre, et continuait de vouer au félin une farouche opposition tacite teintée de peur, depuis qu’elle avait eu l’occasion d’admirer d’extrêmement prêt sa dentition impeccable.

La beauté du renouveau du paysage finissait par l’apaiser,  par recréer entre elle une forme de sérénité et de présent plus complet, au fur et à mesure que les journées passaient, et l’idée d’une destination commençait à doucement faire place à l’idée d’un très long et très impétueux voyage.

Voyage, tout simplement.

Avec le petit chien qui grandirait pour attester que le temps passe, la jambe qui ferait de moins en moins mal, et semblerait plus forte qu’auparavant.

Quand Einar appela, questionna plus tôt, elle était en train de rire d’un vieux souvenir, avec Tifen, où il était question de ses propres difficultés à l’escalade. Elle mit d’abord un instant, un premier et imperceptible mouvement de tête dans sa direction –chasser la possibilité- devant de réellement comprendre et entendre ce qu’il pouvait bien avoir soulevé, comme hypothèse.

Elle fronça les sourcils, soudain interdite, presque cognée par le fait que ça puisse être vrai. La Mer ?
Oui, la lumière était différente, là où il était, moins sombre, moins densément lumineuse, plus offerte et plus plate, oui, ça marquait la fin de la forêt…

Mais c’était sûrement la Plaine, n’est-ce pas ?
L’idée de la mer avait pris ue telle place, dans son imaginaire, une telle densité de couleurs qu’elle se prenait à ne plus l’imaginer vraiment réelle, et surtout pas accessible, pas sans les silences de l’ermite pour la perdre, pas sans l’odeur du tphs et des carnages du port des villes, où petite fille on lui interdisait rigoureusement d’aller.

Ambre devenait très pâle, à l’ombre des frondaisons, frileuse presque, de quitter ses ténèbres pour marcher vers les lueurs, vers l’image.
Elle haussa les épaules, avec son rire mal achevé, comme pour l’inviter à aller voir.
Quelque chose dans son crâne lui hurlait le glas du combat, le vicelard refrain qu’elle avait étouffé, qu’arriver à la moitié, c’était déjà se rapprocher de la fin  -de toutes façons, après la mer, qu’est-ce qui resterait, hein ?
Et son cœur battait très fort, très très fort, en voyant Tifen caresser le tronc voisin, en reniflant l’air comme un vieux souvenir, ou cherchant l’odeur d’un fauve dont il faudrait se méfier, de villages humains, de tout ce qu’elle pouvait redouter et que les feuillages cachaient.
Mais qu’est-ce qui resterait, après leur beau voyage, que des boitements crétins ?

Les marchombres allaient libres et seuls, et Tifen, elle irait dans les murs, ou se perdrait loin d’eux, comme elle l’avait fait avant d’émerger à l’académie ? Et Einar se mettait à courir, le chien aboyant contre des créatures qu’elle ne vit que lorsqu’elles s’envolèrent, en riant du rire des très vieilles dames. Le rire du garçon sonnait de très loin, c’était sûrement parce qu’il s’échappait enfin de leur huis-clos à ciel ouvert, de son influence de goudron, qui l’endurcissait, oui, mais lui polluait l’âme.
De lui, de toutes façons, elle ne pourrait rien exiger. Ni les années, ni l’implications, ni rien, il n’était pas sien ; Tifen lui avait tout juste prêté, comme elle lui prêtait son temps.

La seule perspective, c’était l’Océan, alors, avec un naturel déconcertant, elle avança pas à pas, dans sa direction ; le vent redevint horizontal, dès qu’elle atteignit la butte qui délimitait la frontière du royaume des herbes, brutal et hurleur, ô, comme elle l’aimait, ainsi.
Elle avait fermé les yeux, et écouté de toute son âme, déviée dans ses pas vers la gauche, par habitude : ne pas lutter contre les forces, s’en laisser guider.
Sous ses paupières closes, il n’y avait que l’ombre noire, celle des cheveux en cascade de son ermite, qui lui manquait, alors, affreusement, et qui devait, oui, peut-être, l’attendre ?  Il serait là avec une barque – elle n’en avait pas l’image mentale, juste les mots, les mots pour parler des bâteaux qui seraient les plus pauvres- il aurait une voile invisible, quelque chose cousu du ciel, et la tempête chasserait dans sa direction les cheveux, et le sourire oblique qui sait et aime toutes les méprises et les terreurs du monde.
Elle imaginait à ses pieds, le sable, en chorégraphie, qui écrirait dans l’air des signes qui seraient très beaux, et très clairs tout à coup. Elle comprendrait, bien sûr, et qu’il la tuerait en l’égorgeant, et qu’elle irait à la mer, jetée par lui, dévorée de l’idée de lui, qu’une fois morte, ou mourrante, elle ouvrirait la bouche et que sombrant avec elle, il lui dirait enfin, enfin, tout ce qu’elle rêvait d’entendre, et ne percevrait jamais, que sous forme de sphères parfaites.
L’air sentait les larmes, le vent la baffait, et il y avait, là-bas, le ronflement du sommeil proche, si proche, où ils pourraient s’endormir, ensemble, peut-être, enfin ensembles, à nouveau.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux – ça devait être une respiration plus tard- elle le fit froidement, avec l’idée que la déception serait infinie, pour ça comme pour le reste.
Il n’y eut rien de visiblement spectaculaire en elle, pas de tremblement, pas de larme, pas de crise. Elle ne tomba pas à genou, comme elle l’aurait cru, ne courut pas ni à sens contraire, ni vers la berge, là où frissonaient les vagues.
Mais tout s’imprima en frisson dans son cou, et toute son âme se mit à sourire. A mer, enfin rendue.

Le ciel était tombé sur un sol mouvant, où il s’engluait, se débatait merveilleusement, et animé d’une énergie incroyable et millénaire, il tentait de reconquérir le sable encore sec, les auteurs, et bavait ses dentelles, en longs traits.
Elle le voyait, enfin, le chaos qu’elle avait toujours présenti comme vérité ; et l’ermite était là, oui, pas en chair, c’eut été  trop beau, trop fatal, mais das chaque mouvement de vague, dans chaque odeur, dans toute la plénitude du paysage du ciel imobile jeté en lui-même.
Le ciel n’était qu’un reflet de la mer, un reflet encrouté, mais qui suffisait à la plupart. Alors que ça… ça… ça, c’était la Vie, la Liberté, la Force, rendue au monde.
Elle se demanda quel marchombre avait pu écrire sur le vent quelque chose d’aussi beau que cela, et son sourire se figea de manière définitive sur celui de l’ermite. Celui qui a vu, et qui sait, qui a disparu, mais lui avait offert ça, qui ne l’avait jamais déçue, même dans cette réalité.


*

Ils avaient passé leur journée à cet endroit. Ambre, assise, à regarder, à s’imprimer de la mer, de sa mouvance, à en tirer un tas de choses qui n’appartiendraient qu’à elle. L’itinérante voyait avec précision s’y dessiner les routes, et savait qu’en se levant, elle s’y serait jetée, âme et corps, et que rien n’y personne ne l’aurait plus arrêtée.
Elle en crevait d’envie.

Mais Einar, Khan, ou Tifen apparaissaient, devant l’impossible spectacle, et elle se rappelait que ce n’était pas fini, qu’elle s’était engagée, qu’elle n’avait pas le droit.
Elle leur souriait quand même, et il lui sembla, bien plus tard, percevoir une sacrée gêne dans leur attitude, lorsqu’ils lui parlèrent, qu’ils lui demandèrent « tu ne viens pas ? » pour aller nager.
Peut-être que c’était parce qu’après tout, elle ne souriait pas souvent.


Le soir, alors que Khan, le chien et probablement Einar se furent endormis, complètement épuisés par l’air, par sa richesse, et un peu frigorifiés par le vent, et que Tifen faisait semblant, en l’observant d’entre ses cils, Ambre n’arrivait pas à s’arracher à sa surexcitation intérieure, à la beauté de la lune découpée en milliers de reflets sur les vagues, et au chahut, continu et éternel du recommencement.
Je pourrais encore courir, se disait-elle personne ne me verrait, ne pourrait rien y faire, et je serai enfin chez moi, c’est évident, c’est là. Ca lui brûlerait les blessures. Tifen avait soufflé entre ses dents comme un chat furieux, en entrant dedans. Ca lui laverait la boue qui lui servait de sang, qu’est-ce qu’on en avait à foutre que ça fasse mal ?


Et demain, quand ils repartiraient, et qu’il ne lui resterait rien, que ça ne lui semblerait plus rien, ce premier moment face à la mer, qu’elle se mettrait à y penser rationellement, et que tout serait gâché ? Qu’est-ce qui resterait, bon dieu, comment peut-on construire quoique ce soit, quand on voit la mer ?

La mer s’était éloignée, au fil des heures, comme pour la narguer, pour la tenter moins, pour lui faire présentir tout ce qui suivrait, pour lui laisser le champ libre : des plaines de sable où rien ne pousseraient, que des dessins très plats, figés, enfin.


-Tifen ? 

L’autre avait les yeux, grands ouverts, une flamme orange pour les faire briller, un incendie jamais éteint, toujours chaleureux, acceuillant comme un foyer.

-J’ai envie qu’on aille tout près. Qu’on fasse un château.


L’air était glacial, et elle avait toujours froid, mais ses doigts en trouvant le sable humide,  elle les imaginait très rouges, comme si le sang affluait pour l’aider. Le château se transformait en Académie. Bien sûr, elles n’en avaient pas parlé, mais c’était l’évidence, le seul que toutes deux connaissaient.
Ca amusait Ambre, l’idée que pour élever l’Académie, il fallait forcément du sang dans les doigts.
Elle s’était coupée à la tranche d’un coquillage sans nom, que de toutes façons, elle ne ramasserait pas. Les tours s’élevaient, d’abord, celle des marchombres, puis la prétentieuse vigie, puis les tours d’enceintes, nombreuses, tellement, concentriques à l’infini.
Elle creusait des fenêtres, mais des portes ouvertes, jamais.



-Est-ce qu’on met la serre ?

Est-ce qu’on veut voir la serre détruite, Tifen, dis ? Est-ce que c’est ça qu’on est venues faire ? Est-ce que ça aussi, on peut l’offrir, et que ça brûle un peu, quand la mer l’engouffre, mais que ce soit désinfecté, balayé, tout vierge, après ?
Elle pleurait, elle ne savait pas depuis combien de temps, mais Ambre pleurait, en voyant les doigts trop fins de sa sœur ériger le monument aux morts. Elle pleurait, et ça attirait la mer, inexorablement, dans leur direction.
Et bientôt, le soleil découperait toutes les ombres, toutes les fenêtres de la vigie, comme en vrai, mais Tifen le saurait, verrait ses yeux rouges, tout serait clair.


Ambre s’écarta. Elle avait aussi un truc à enterrer. Elle prit le sable en poignée, figurant la forêt proche, et quelque part, au milieu des mottes mal retournées, elle creusa la seule porte, celle de la caverne où il l’avait enmenée, dans le labyrinthe, la dernière fois.
Fallait l’inonder. Tuer l’ermite une bonne fois, comme Tifen enterrait son grand-maître mort.


Peut-être qu’elle comprendrait.  Peut-être qu’elles en parleraient. Ou peut-être que ça serait noyé, aussi. Vaguement pardonné, ouais, un truc du genre.

Elle allait déjà mieux, l’ironie revenait.



[N'hésitez pas si ça manque d'ouvertures]

Tifen Layan
Tifen Layan

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitimeSam 28 Déc 2013 - 23:20

Succes.

Einar ne pensait plus qu’à son chiot, qu’il dorlotait plus que nécessaire, utilisant toutes les secondes possibles pour jouer avec lui ou lui grattouiller les oreilles. C’était une victoire. Même si ça réduisait à néant toute possibilité d’entraînement pour son apprenti pour au moins quelques semaines jours.

 

Elle avait quand même réussi à le convaincre d’allonger son passage en ville en récupérant différentes provisions pour la suite de leur voyage. Ils partiraient bientôt. Et cette simple idée suffisait à la mettre de bonne humeur. Bientôt la forêt, et plus personne pour les embêter avec des cailloux à surveiller. Bientôt.
 
*

 

Enfin, l’heure du départ était arrivée. Enfin, enfin, enfin. Et c’était sans le moindre regret que Tifen avait tourné le dos au convoi pour s’enfoncer dans la forêt avec Ambre et Einar. Enfin, c’était fini. Ils marchaient vers le Sud, vers la mer, traçant leur chemin à travers les arbres.

Souvent, Einar disparaissait de leur vue en jouant avec son chiot, réveillant ici ou là petits animaux qui s’éparpillaient dans les sous-bois, parfois juste devant elles. Et Ambre de rouspéter sur les bandits, sur sa jambe, sur l’univers, sur la difficulté de négocier avec le convoi. Alors elle la laissait dire, puis lui montrait cette feuille, proche de la cime de cet arbre à dix pas, et qui commençait déjà presque à changer de couleur malgré l’été. Ou cette branche un peu biscornue qui ressemblait un peu à un siffleur, ou ce nuage en forme de dragon qui se dirigeait dans la même direction qu’eux. Et puis elles entendaient des jappements et des éclats de rire, et Khan secouait la tête avec un air réprobateur, et elle trouvait un caillou en forme de Dame, et cette feuille qui ressemblait à un arbre entier.

Et ils avançaient, doucement. Au rythme de leurs boitillements, des raccourcis dans les bois, et du vent qui apportait jour après jour un goût de sel de plus en plus prononcé.

 

*

 

Ce fut Einar qui arriva en premier face à l’océan. Ils s’en approchaient, ça se voyait, ça se sentait. Les arbres se penchaient de plus en plus, comme s’ils essayaient de fuir, et le goût de sel était partout. Dans le vent, dans les baies, dans les mousses qui indiquaient le Sud. Et puis les arbres disparaissaient, remplacés par de gros buissons épineux et par des conifères qui seraient parfaits pour prendre un peu de hauteur dans ce paysage clairsemé. Mais elle ne pouvait toujours pas grimper, sa jambe était beaucoup trop douloureuse pour ça, même si elle se rétablissait progressivement. Et soudainement, les arbres avaient tous disparus. Tous. Et il ne restait que ces herbes fines soufflées par le vent. Et puis le fracas, roulement répétitif qui grondait, encore et encore. Et le vent, tout ce vent, qui emportait presque le chiot et faisait gonfler Khan. Le ciel, à perte de vue, et le bleu qui emplissait l’univers. A ses côtés, Ambre s’était figée.

 

*

 

Ils avaient rejoint le sable, se rapprochant de l’eau.

Ambre s’était assise, Einar avait enlevé ses bottes et couru vers l’eau, le chiot sur les talons. Elle était restée une seconde entre les deux, hésitante. Mais une gerbe d’eau avait volé dans sa direction, faisant cracher Khan lorsque quelques gouttes lui tombèrent sur le nez. Déterminée à venger le félin, elle s’était précipitée à son tour vers les vagues pour arroser copieusement son apprenti, mais une vague un peu plus forte que les autres avait vite contrarié ses plans en éclaboussant sa cuisse. Projet avorté, et elle s’était repliée avec un feulement digne de Khan. C’était pour ça que tout goûtait le sel, alors. Et puis ça faisait mal.

 

Plus tard, quand le sel avait formé des plaques blanches sur leurs vêtements et sur leurs jambes et qu’Einar commença à grogner que ça grattait, elle ne regretta pas sa débâcle. Et le chiot collant de sel fut repoussé sans méchanceté dans les bras de son maître, qui gagnerait une séquence «nettoyage de bestiole hyperactive». Ce qui ne l’avait pas empêché pour le moment de s’endormir, ne laissant qu’une tignasse brune qui dépassait d’un gros tas de poils. La mer avait reculé, atténuant doucement le grondement permanent. Et Ambre regardait la mer, et Tifen regardait Ambre, qui n’avait jamais été aussi bizarre qu’aujourd’hui, alors que c’était elle qui voulait à tout prix voir la mer. Ca devait être ça de confronter ce qu’on aimerait voir avec la réalité. Ca rendait bizarre. Et quand sa soeur l’appela, elle se redressa tout de suite. Et la suivit au bord de l’eau, mais pas trop près quand même, juste à la limite pour être à l’abri des vagues. Faire un château.

 

Le vent faisait voler le sable, par endroits. Un vent froid, lourd de sel, qui s’engouffrait dans les vêtements et fouettait la peau. L’Académie prenait forme, avec ses trois ailes agencées autour de la fontaine, qui ressemblait à un espèce de pâté effondré. Les tours tenaient encore, pour l’instant, et l’enceinte ne déplorait pas trop de chutes de sable.  Dans quelques heures, la mer raserait tout. Effacerait tout, ferait tomber les murs qu’elles avaient tant de mal à élever. Saperait les remparts plus certainement qu’une troupe de Raïs, les tours s’effondraient, chuteraient dans l’eau sablophage qui monterait inexorablement. Et l’Académie disparaîtrait, rongée. Et quand la mer redescendrait, il n’y aurait plus aucune trace de leur construction éphémère, et des trous qu’elles creusaient pour récupérer le sable nécessaire à l’Académie de sable. Plus rien, juste une plaine de sable lissée.

Et leurs mains s’affairaient dans le sable, creusant, entassant, stabilisant des amoncellements. L’Académie grandissait, la tour marchombre et la Vigie dominant l’ensemble. Ambre traçait des fenêtres, elle essayait d’empêcher un ultime effondrement du rempart nord. L’ex-Lupus laissa une petite butte de sable informe, l’air de rien, qu’elle identifia mentalement comme la grotte chantelame. En réponse à la question de sa soeur, elle plaça une nouvelle butte plus ou moins effondrée dans l’enceinte de l’Académie, sur laquelle elle traça du lierre et des feuilles, d’un bout de coquillage. La mer revenait, déjà, avec l’aube. Le monument aux morts menaçait encore de s’effondrer, elle l’empâta un peu à la base.

Première vague, qui vint lécher les fondations du rempart sud. D’autres suivirent, rapidement. C’était trop tard pour espérer construire quoique ce soit, à présent. Le compte à rebours était enclenché, l’Académie tomberait bientôt. Tifen se releva rapidement pour échapper à une vague qui la menaçait un peu trop à son goût et attrapa le bras de l’ex-Corbac pour l’inciter à faire la même chose et à faire quelques pas en arrière pour éviter l’eau. Dans quelques minutes, quelques heures, il ne resterait plus rien de ça. Rien que quelques griffures sur les mains, quelques grains de quartz sous les ongles qui finissent par disparaître avec le temps. Une portion du rempart sud s’effondra sous la puissance d’une nouvelle vague, et l’eau pénétra dans l’enceinte de l’Académie, détourant les bâtiments, et ne laissant derrière elle qu’une surface ridée.

 

Il lui manquait quand même des arbres, à cette Académie de sable. Le soleil se levait, faisant rougeoyer l’horizon.

 

La lumière du jour découpait les créneaux grotesques des remparts, et les innombrables fenêtres dessinées par Ambre. Le monument aux morts semblait décuplé par son ombre qui se projetait sur l’eau, et survivivotait, jusqu’à une vague plus forte. La butte-grotte-chantelame était portée disparue depuis longtemps, et la Vigie était menacée par la ruine. La serre ne survivrait pas à la prochaine vague. Pourquoi est-ce qu’elle avait une boule qui grossissait quelque part entre les clavicules, à ce spectacle ? Ca brûlait, et rendait sa respiration laborieuse. Douloureuse. Ses doigts s’enroulèrent autour de l’avant-bras de sa sœur.

 

La Vigie et la tour marchombre étaient tombées, emportées par la mer. L’eau se rapprochait à nouveau de leurs pieds, mais elles n’avaient pas bougé. Il ne restait que les toits de l’aile nord, et un morceau de rempart au Nord qui avait été encore relativement épargné du fait de sa distance par rapport à l’eau. Encore quelques vagues, quelques minutes, quelques instants où l’océan se reculait pour mieux bondir et engloutir l’Académie. C’était terminé. L’eau était presque rouge sous la lumière du soleil levant. L’Académie était tombée. Il ne restait aucune trace de leur construction nocturne, maintenant que l’eau avait tout recouvert, effacé, gommé, anéanti.

 

Et maintenant ?

 

Maintenant, ils pourraient continuer à avancer, à voyager là où leurs pas et le vent les porteraient. La forêt de Baraïl n’était qu’à quelques jours de marche à l’Ouest, et après elle le pays Faël. Sinon, ils pouvaient franchir les Dentelles Vives et continuer leur exploration vers l’Est, ou remonter vers le Nord. L’univers s’offrait à eux.

Et lorsque que son corps dessina par réflexe les premiers mouvements de la gestuelle marchombre, la jeune femme se laissa entraîner, laissant ses pensées vagabonder. L’océan avait détruit l’Académie, et l’univers s’offrait à eux. Tous les cinq, ils pouvaient aller où bon leur semblerait, il y avait encore des dizaines d’arbres à découvrir, de feuilles à ramasser, de montagnes à escalader, d’oiseaux à imiter, d’animaux à rencontrer. Ils avaient l’univers, et leurs vies pour le parcourir.

 
[J’ai beaucoup de mal à créer de l’ouverture, Tifen est un sale pingouin introverti… Eventuellement, on clôt cette partie du voyage et on ouvre un nouveau sujet dans un autre lieu, sinon j’peux aussi continuer à y réfléchir et éditer, on en rediscute ?]

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MessageSujet: Re: C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]   C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé] Icon_minitime



 
C'est dans deux ans, je m'en irai | Suite du voyage [Terminé]
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