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| Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] | |
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Messages : 231 Inscription le : 30/07/2008
| Sujet: Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] Lun 1 Aoû 2011 - 18:04 | | | C’était en larmes qu’Amarylis avait quitté Eoliane. Son Eoliane à elle, sa chère Confrérie, et ses rêveurs qu’elle aimait tant. Mais comme elle le leur avait annoncé, il était indispensable qu’elle consulte son maitre, qu’elle se reprenne. Elle n’était plus capable de diriger un tel établissement. Pas après ce qu’elle avait fait.
Aussi était-elle en voyage, escorté par des hommes silencieux, mais respectueux. Mael la rejoindrait plus tard. S’il le voulait encore vraiment. Il lui semblait que la nouvelle d’être libre de tout maître l’avait quelques peu ébranlé. Aussi lui avait-elle fait savoir qu’elle serait d’ici la fin de la semaine à Ondiane, et qu’il pourrait l’y rejoindre quand bon lui semblerait. Quant à elle, elle était partie dès le lendemain de la soirée des rêveurs, malgré les cris de Jùn. Jùn. Serait-il encore là à son retour ? Si retour il y avait. Son cœur se serra, elle ne supportait pas l’idée d’abandonner à jamais sa confrérie, et envers et contre les erreurs commises dernièrement, elle se battrait pour garder sa place au sein d’Eoliane.
En route, elle avait fait escale à Fériane, pour saluer ses confrères et se reposer en lieu sûr. A sa grande surprise, elle avait été accueillie à bras ouverts, la plupart trouvant exemplaire l’attitude de sa confrérie et les félicitant d’avoir tant réduit les dégâts qu’annonçait pareil malheur. Bien entendu certains, ceux qui vouaient un culte au code, refusaient de lui parler, voyant en sa prise de position une trahison de taille aux rêveurs.
Elle comptait partir dès le lendemain, mais une urgence de taille l’avait retenu au sein de cette confrérie. Une jeune fille/femme ?, la vingtaine, et déjà pourvue de toutes les blessures de la vie possibles. Enceinte, par-dessus tout. Devant l’étendu du danger et les risques mortels encouru, Huriel Dinwa, le maitre de Fériane, avait demandé à Amarylis de rester. En effet la victime exigeait d’être soignée par une femme, et rêveuse de renom de surcroit, ne supportant pas le contact des hommes. Les femmes n’étant pas nombreuses au sein des rêveurs, et leur renommée plus encore…Amarylis avait accepté, n’ayant en plus pas le cœur de laisser cette pauvre femme derrière elle.
La première urgence avait consisté à la faire accoucher de l’enfant, tant il était déjà miraculeux qu’il soit encore en vie, et elle également. Mais l’enfant semblait avoir des lésions également et il était évident que la patiente ne s’était pas ménagée durant sa grossesse. Ni même qu’elle désirait cette grossesse. Fermant son esprit aux horreurs qu’elle avait du subir, Amarylis n’avait posé aucunes questions, s’occupant de garder en vie les deux êtres. L’enfant, légitime ou pas, voulu ou pas, aimé ou pas, devait sortir, et vivre. Il n’était pas du ressort de la rêveuse de s’occuper du reste. Elle ne devait plus prendre parti. Cela était fini.
Le nouveau-né ne voulant pas sortir de lui-même, comme s’il trouvait dans le ventre de sa mère le seul refuge possible pour son existence, Amarylis avait du faire une expérience périlleuse et nouvelle. Elle avait entendu parler d’un cas par Ewen lors de l’une de leurs conversations avant qu’elle ne parte pour Eoliane. Un rêveur avait pratiqué une opération sur le ventre d’une mère pour en extraire le fils et ensuite refermer sa plaie, afin de sauver les deux êtres. Toutefois, l’hémorragie l’avait emportée. L’enfant sauf s’était trouvé orphelin.
Prise d’un frisson, elle avait osé le tout pour le tout, sachant que les rêveurs l’attendaient à la sortie, impatients de connaitre le résultat d’une telle expérience. Ce serait une grande avancée si la rêveuse d’Eoliane trouvait le moyen de garder les deux en vie. Nombre de femmes auraient alors l’espoir de pouvoir accoucher sans crainte. La jeune femme alitée avait tout de même imposé de rester consciente durant chacune de ses opérations, ce qui consistait une difficulté en plus. Résisterait-elle à la douleur, qui n’était qu’un facteur de plus pour succomber ?
L’opération fut délicate, très délicate. Mais la jeune femme aux cheveux bleus réussit à garder la blessée en vie durant l’ouverture au scalpel du bas de son abdomen. Elle parvint également à en extraire le petit être rougis par le sang et à couper le cordon. Elle appela en urgence une rêveuse, novice, mais femme, qui prit l’enfant et lui donna une tape sur les fesses pour le faire pleurer. Alors qu’Amarylis s’activait, les mains posées sur l’ouverture du ventre pour le refermer avant que sa patiente ne meure, les cris de l’enfant lui influèrent une bouffée de soulagement. L’un était sauf. Restait la mère. La mère fut sauve également. La coupure était nette, et au bon endroit. Amarylis comprit que la dernière hémorragie du cas qu’elle connaissait venait de la coupure faite trop haute, là où le sang affluait bien plus vite. Les applaudissements retentirent dans le couloir en entendant le cri de joie de la rêveuse.
Deux semaines étaient passées depuis l’accouchement. Deux semaines nécessaires pour le rétablissement de la mère avant d’entamer d’autres soins. Amarylis n’allait lui rendre visite que pour lui apporter les repas, ayant pris la décision de s’occuper de cette fille jusqu’au bout. Les conversations se faisaient rares, et la Maitre Rêveuse se contentait de lui apprendre que son fils se portait à merveille, et qu’elle pourrait le voir dès qu’elle serait remise des blessures les plus urgentes. Elle avait prit soin de renvoyer ses escortes à l’Académie, et de prévenir au passage Mael qu’elle n’atteindrait pas Ondiane avant la fin du mois.
Comme tous les matins, elle frappa donc trois petits coups à la porte de la chambre de sa patiente et entra, un plateau de petit-déjeuner dans les mains. Elle posa le plateau sur la petite table qui ornait son chevet et posa une main sur le front auparavant brulant de la jeune borgne. La fièvre était tombée. Les autres soins ne devaient plus tarder.
-Comment vous sentez-vous ?
Elle n’osait pas la toucher, tant son corps n’était que peaux et organes mortifiés. Elle devinait toutefois que certaines blessures méritaient d’être prises au sérieux dès maintenant.
-Il va falloir que je vous ausculte, mademoiselle. Je ne pourrais vous soigner entièrement, certaines cicatrices, ou plus bien que je ne l’espère pas, resteront. Mais il y a des priorités pour tout. L’enfant en était la première. A présent je dois voir ce qui ne doit pas attendre demain, malgré votre fatigue.
Elle afficha un sourire d’excuse, plein de sa tendresse. La pauvre jeune fille lui faisait mal au cœur, et elle se constituait un réel défi à vouloir la remettre sur pied. L’inconnue se laissa donc faire, enlevant les couvertures de son lit pour laisser Amarylis l’examiner.
Le cœur de la rêveuse bascula. Comment pouvait-elle être dans un tel état et encore en vie ? Cette enfant relevait du miracle ! Et serait morte à l’heure qu’il est si elle n’avait pas atteint Fériane !
Elle remarqua dans le cou une brûlure cautérisant une artère qui l’inquiéta vivement. Malgré le grognement de la fille, elle posa sa main sur la brûlure pour deviner ce qu’elle cachait. Elle retira de suite sa main, affolée.
-Est-ce vous ? Vous vous êtes fait cette brûlure pour…Votre artère est déchirée, c’est une chance que votre cerveau réponde encore ! Le sang n’y circulera bientôt plus ! Il ne s’écoule plus au bon endroit !
Qu’elle réponde ou non n’était pas le problème. Au final, Amarylis ne voulait même pas savoir ce qu’il s’était vraiment passé, tant l’idée même lui en donnait la nausée. Elle prit le crâne de la mère entre ses mains pour vérifier également son système avant d’attaquer l’artère. Le faible lien qui restait ne devait surtout pas se rompre ou elle tomberait dans un coma grave et possiblement mortel. Elle retira aussitôt de son esprit le mot « possiblement » et le remplaça par « assurément » lorsqu’elle constata les traumas crâniens qui résultaient de l’état de la pauvre fille.
-Comment vous appelez-vous ?
La question pouvait paraitre indiscrète, mais il lui semblait important de le savoir. Au cas où. De même que d’autres détails.
-Voulez-vous voir votre fils avant la suite des soins ? Il est très beau, avec déjà quelques boucles châtains et vos yeux…en plus délavés, mais ce n’est que le début…Peut-être devriez-vous lui donner un nom…
Sa voix se brisa. Elle avait cru sentir quelque chose en l’enfant, comme une prédisposition, mais il était encore bien trop tôt pour définir le rêve. Peut-être n’était-ce que le fait d’avoir échappé de peu à la mort entre les mains d’une rêveuse qui avait fait que… Elle se reprit et préféra être franche. Sa patiente semblait pouvoir tenir le coup des révélations puisqu’elle avait supporté un accouchement peu commun à vif, sans drogue pour dormir.
-Vous êtes gravement atteinte. J’ai attendu, aurais-je du ou non je ne peux le dire, mais le fait est là. Rien ne vous assure d’être encore en vie pour prendre votre enfant dans vos bras une fois les soins finis. Je suis désolée…
Elle avait l’impression de condamner la nouvelle mère et détestait cela. Mais elle n’était pas dupe, cela se voyait dans son unique œil bleu. Et il était de son devoir de lui dire, et de lui permettre de donner des dernières instructions…ou marques d’amour ?
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| Sujet: Re: Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] Lun 1 Aoû 2011 - 23:47 | | | [Je suis partie un peu en trip avec moi-même, donc si t'as besoin, hésite pas ] Fossilisation. Pétrification. Je m’emmure dans mon propre corps. Sarcophage de veines. Toile arachnéenne de peau qui me paralyse alors que la Dame commence à me dérober mon âme pour l’emmener avec elle dans les champs d’étoile… La peur lui nouait la gorge en permanence, la peur que les blessures ne guérissent plus, que les raideurs s’accentuent, et finissent par la vaincre alors qu’elle avait toujours confronté la mort en face. Il était temps de partir pour Fériane. Il était enfin temps de se débarrasser de l’enfant qui saillait sous sa chemise, qui l’empêchait de bouger comme elle voulait, qui symbolisait un danger supplémentaire pour sa propre vie. Par orgueil, elle avait décidé de s’y rendre à cheval et non pas grâce à la magnificence des Spires ; elle voulait se prouver qu’elle pouvait encore monter convenablement à cheval pour un galop d’une demi-journée. Elle voulait se prouver qu’elle n’avait pas besoin d’être accompagnée par Dolohov ou surveillée par cette vieille gouvernante qui l’avait suivie dans le manoir d’Al-Chen et dont elle n’avait toujours pas eu la curiosité d’apprendre le nom ou les habitudes. Et les Spires étaient devenues son univers de substitution, depuis ces dernières semaines. Une ligne de fuite où son esprit fusait, débarrassé des chaînes de la convalescence et des cicatrices mal refermées, où les chemins apparaissaient par milliers au lieu de se réduire à une attente paralytique, où il n’y avait pas besoin de basculer dans la réalité pour créer, où les murmures se faisaient songeurs et rassurants. La proximité avec le noble blond lui était refusée depuis peu, à cause de l’enfant, et de la fatigue, cette fatigue poisseuse contre laquelle elle ne pouvait rien, et qui était, selon cette gouvernante trop bien informée des choses de la vie, « normale à votre stade ». Mais ses yeux désapprouvaient toujours les plaies sur lesquelles elles se fixaient, et la jeune Mentaï ne se faisait plus d’illusions : la grossesse n’était pas le seul facteur pour sa faiblesse physique, et si elle ne faisait rien, elle risquait d’y perdre beaucoup. Le Mentaï était à Al-Jeit et ne reviendrait pas avant au moins deux semaines ; elle ne pouvait plus attendre, et décida de partir de sa propre initiative, quand bien même ce serait dangereux. Les Spires lui permirent de le contacter, de lui expliquer ce qu’elle allait faire. Elle tut ses propres craintes, et les complications qu’elle imaginait advenir. Elle n’avait même pas eu besoin de mettre au point une histoire pour justifier son état, et sa grossesse. C’était doux, un rêveur. Et quel soulagement, qu’il se trouve à Fériane à ce moment précis une rêveuse compétence pour s’occuper d’elle et de son enfant… Marlyn aurait été incapable de se laisser approcher par un homme, tout rêveur qu’il fut. De le laisser poser les mains sur elle, d’avoir l’autorité de lui demander de se dévêtir. Les chimères étaient toujours trop présentes dans les recoins de ses souvenirs, et leurs crocs, encore trop acérés. La jeune femme avait eu un instant de panique en reconnaissant le visage de la rêveuse qui avait accepté de l’aider : Amarilys Luinil. La rêveuse en charge d’Eoliane, cette petite confrérie qui jouxtait l’Académie. Connaissait-elle son visage ? C’était peu probable, elle avait toujours pris soin de garder son visage couvert ou maquillé lors de l’occupation de l’Académie de ce maudit Merwyn, et puis la rêveuse ne reconnaîtrait pas une Mentaï anonyme dans le corps d’une jeune femme en détresse, n’est-ce pas ? Elle n’avait pas le choix, de toute manière ; elle allait mourir, si cette rêveuse ne l’aidait pas à accoucher. La mortalité en couche était bien trop haute en Gwendalavir pour que Marlyn, déchirée qu’elle était, y échappe plus que d’autres. Mais elle subirait cette dernière épreuve entièrement : une dernière douleur, une dernière marche pour sortir de l’enfer. Humiliation. On me dissèque dans mon propre corps. Amarilys Luinïl avait parlé de complications, de leur mort à tous les deux, et du seul moyen d’y remédier. Diminuée, terrifiée, complètement perdue par son corps qu’elle ne reconnaissait plus ni ne maitrisait, la Mentaï avait accepté, la fièvre gagnant ses tempes. Son esprit s’était acharné à rester conscient tout le temps que l’enfer avait duré, alors même qu’il s’était réfugié dans les Spires, emmitouflé dans l’ouate mentale qui permit à Marlyn de soutenir la douleur de l’abomination qui était en train de se passer dans son ventre. Elle sentait la lame qui appuyait sur sa peau, et les larmes qu’elles retenaient dans sa paupière, la respiration fébrile d’Amarilys, elle sentit comme un cauchemar qu’on retirait l’enfant… directement de son corps. Vertige. Nausée. Douleur. Un cri qui lui perfora les tempes ; la sueur qui lui couvrait le front. De la joie ; et du rêve, comme un baume. La vie qu’elle sentait raffermie dans son corps, maintenant qu’elle y était la seule résidente. Et cette fatigue. Cette fatigue qui lui clouait la peau sur les draps. De tout ce qu’elle avait subi dans sa vie, Marlyn craignait par-dessus tout les fièvres. La douleur d’une plaie était un ennemi qu’on combattait de front, qu’on détruisait à coup de drogues, qu’on éloignait en se perdant dans les Spires, qu’on annihilait en enserrant entre ses mains. La fièvre était fourbe, insaisissable, et rien ne pouvait jamais l’atténuer, rien que l’attente, l’espérance qu’elle ne gagnerait pas son énergie vitale, entourée par les regards compatissants des rêveurs et particulièrement d’Amarilys. Entre deux accès de fièvre, une main qui se posait sur son front, un plateau posé à ses côtés, et le silence. Un peu comme un retour en enfance… ? Non. Marlyn n’avait jamais eu de mère, et ne serait jamais vraiment mère. Elle n’avait pas demandé spontanément à voir l’enfant, autant par conviction qu’il serait mieux traité par les rêveurs expérimentés que par elle, qui n’avait aucune idée des besoins d’affection d’un enfant, ni aucune envie de risquer son énergie ces derniers temps. Il survivrait bien tout seul pour l’instant ; il s’était accroché à elle pendant presque neuf mois, après tout. Elle était mère ; et ça ne déclenchait dans son esprit absolument rien. ------- - Malade, en vie.. fatiguée… je ne sais pas..
La main d’Amarilys était plus chaude sur son front que d’habitude. Et l’amertume gagnait la jeune femme à devoir rester alitée et servie par des ermites en jupe. Mais c’était nécessaire. C’était extrêmement nécessaire. Elle s’était dépouillée de tout honneur en venant à la Confrérie, en laissant Amarilus Luinil lui ouvrir le ventre et le refermer, en la laissant l’examiner intégralement. Elle avait laissé tomber son orgueil de Mentaï et de force de la nature en laissant la fatigue gagner du terrain, et ses anciennes angoisses revenir, alors qu’elle prenait pleinement conscience à quel point elle était proche de la mort. Elle n’était pas l’enfant du Chaos, aujourd’hui. Pas même la maitresse de Dolohov Zil’Urain, ou la mère de son enfant. Juste un être qui refuse de mourir, et qui se sait en train de mourir, une laissée pour compte que le destin a jeté dans ses mailles barbelées. Et qui pleure à l’aide, sans savoir comment on le fait.
Soigne-moi, rêveuse, que je chasse l’orpheline battue qui reste engluée à mon âme. Que je puisse devenir vraiment adulte.
Elle tressaillit quand Amarylis voulut examiner la brûlure dans son cou. Elle tressaillit encore plus en entendant l’affolement de la rêveuse ; et cette nouvelle menace de mort, comme une énième épée de Damoclès. La bile lui monta à la gorge, les souvenirs éclaboussèrent son esprit : le sang chaud qui suppurait entre ses doigts, l’odeur de sa propre chair brûlée, les réminiscences du dessin des flammes dans les Spires… le cauchemar de sa vie, résumé dans cette paume de chair brûlée. L’esprit de Marlyn se recroquevilla dans sa tête, s’enroula dans les Spires, comme une couverture qu’on tire, aggressé par les chimères, et les questions de la rêveuse. Son nom, l’enfant, sa mort, sa compassion, les risques, la douleur, la perspective de mourir, d’être mort, de ne pas survivre. Mourir. Mourir. La bile lui brûlait la gorge de terreur. La tête lui tournait. Cette maudite tête qui menaçait de l’envoyer chez la Dame, si Amarylis disait vrai. La jeune femme, autant par détresse psychologique que par pudeur, rabattit les jambes contre sa poitrine et posa la tête sur ses genoux, en évitant soigneusement de tirer sur ses multiples cicatrices. J’ai de nouveau dix ans, et j’ai peur de la mort. Protège-moi, empêche-moi de mourir, Amarylis. Je suis terrifiée que la mort me rattrape maintenant alors que j’ai réussi à lui échapper toute ma vie, malgré ses pièges. Je suis terrifiée que la mort se trouve à l’intérieur de mon corps sans que je puisse la combattre. Je suis un enfant qui a peur du noir, et j’attends que tu me soignes, et que tu me dises que tout ira bien. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie qu’à l’idée de mourir à cause de tout mon passé, et pas parce qu’une lame me poignarde le cœur dans le présent.
- Non, il ne vaut mieux pas… Je le verrai quand je serai en vie, et qu’il aura une raison de se souvenir de moi. Je n’ai jamais pensé à lui donner un nom, j’avais tellement peur de mourir en couche… Sa voix était défaillante, et étouffée. Marlyn releva la tête, et passa pensivement les mains sur ses épaules, là où la peau accrochait à cause des multiples blessures et anciennes cicatrices. Quelqu’un viendra le chercher, si jamais.. si..
Elle fit un geste vague de la main vers la rêveuse, en écho à ses craintes, incapable de formuler à voix haute le « si jamais je meurs parce que mes blessures ne peuvent plus être soignées. » Comment ça allait se passer, d’ailleurs ? Y avait-il un endroit particulier pour le rêve ? Devrait-elle rester dénudée devant plusieurs rêveurs ? Elle savait pertinemment qu’Amarylis ferait tout pour la garder consciente, parce qu’elle lui avait demandé. Elle savait que ça ne serait pas sans douleur. Mais la douleur, elle la connaissait, elle l’avait apprivoisée. L’ultimatum de son cerveau, en revanche… ?
- Je n’avais pas le choix… J’étais blessée, et seule. J’allais.. mourir. J’ai pensé que ça me maintiendrait en vie. Le temps que quelqu’un comme vous me soigne, ou que tout rentre dans l’ordre tout seul. Et c’est Marlyn. Marlyn, mon prénom. Et Marlov… pour l’instant. Ca ira très bien. C’est pas important. Ça veut dire rien les noms, de toute façon. On lui en donnera un vrai plus tard, ou quelqu’un d’autre le fera, c’est pas important… Le vertige faisait s’entrechoquer les mots entre ses dents et trembler un peu sa voix, sans qu’elle cherche à y remédier. Amarylis avait rapproché la mort d’une manière nauséabonde en lui disant combien de temps il lui restait à vivre dans son état, et rien d’autre n’avait d’importance. Elle pouvait vivre avec des cicatrices, elle pouvait même vivre avec un corps mutilé, mais elle refusait de vivre avec une bombe à retardement dans la tête, et le risque de s’écrouler à tout moment sans raison apparente. Pourquoi le corps humain était-il aussi lâche ?
- Faites ce que vous pouvez, je vous en prie. Je refuse d’avoir survécu pour rien, je refuse…
Elle s’était redressée, et était à présente assise sur le bord du lit, l’œil fixé dans ceux chamarrés d’Amarylis. Une nouvelle volonté sonnait dans sa voix quand elle murmurait, les dents serrées : - Mais si je dois survivre au prix de ma sanité, ou de ma mobilité, si je dois ressembler à ces vieillards rhumatisants et baveux qu’on lave parce qu’ils ne peuvent plus bouger ou penser par eux-mêmes… je préfère que vous m’acheviez. S’il vous plaît.
Tout, pour ne pas être enfermée pour l’éternité dans son propre corps. La peur faisait vaciller son regard, et derrière la détermination de celle qui a tout subi transparaissait la silhouette voûtée de l’enfant qu’on n’a jamais rassurée. Machinalement, le souffle court, Marlyn se massait le bras gauche, où une douleur lancinante était apparue depuis peu. Une gêne plus qu'une douleur d'ailleurs, quelque chose de dérisoire, n'est-ce pas ? La lumière dans la pièce était beaucoup plus vive que tout à l'heure, il lui semblait. Et les murs beaucoup plus lointains. Beaucoup moins solides. Elle se massa les tempes. Ses oreilles bruissaient, et la gêne dans son bras s'était répandue dans son abdomen, comme une pierre qu'on venait de lâcher. Une sorte d'implosion silencieuse. Etait-ce la peur et le stress qui déclenchaient autant de choses dans son corps usé ? J'ai le vertige. Et très mal dans la poitrine.
- Je.. Je me sens pas très bien. Sauve-moi. Je suis en train de mourir de peur. Littéralement.
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| Sujet: Re: Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] Mar 27 Sep 2011 - 15:49 | | | Elle avait peur. Elle s’appelait Marlyn, et elle était terrifiée. Amarylis le voyait, à ses silences lorsqu’il s’agissait de prononcer le mot mort, à ses gestes sans cesse avortés, à ses yeux humides et plissés, à son corps se rétractant en position fœtale.
Marlov. Le Rêveuse ne trouvait pas le nom des plus joli, mais n’en avait rien à y dire. Et puis, à bien y penser, il faisait écho à sa mère, qui avait du être très belle dans un temps passé. Mais justement, il semblait que le temps l’avait bien malmené. Un prénom pour un enfant choisi sur un lit de mort. Quoi de plus triste ? L’enfant saurait-il jamais ce qui a pu se passer ? Verra-t-il un jour le visage de celle qui l’a enfanté, dans les pires souffrances possibles ?
La jeune femme ne put que baisser la tête, pensant qu’elle ne connaitrait sans doute jamais ce bonheur que d’avoir un enfant, mais se reprit de suite, songeant à quel point cette pensée pouvait être égoïste et déplacée compte tenu de la situation de sa patiente.
« Je vous en prie ». Le supplice des condamnés à mort. Le supplice le plus dur à entendre pour un rêveur. Surtout lorsqu’il sait que son rêve ne suffira sûrement pas. Elle ferait de son mieux, comme à chaque fois. Même plus qu’à chaque fois. Les derniers morts lui pesaient sur la conscience. Il n’existe pas de voie, pas de métier dans lequel on ne vieilli pas. Nous sommes hommes, et faible, sujets au temps. Et la vieillesse nous fatigue, nous use, et nous supportons moins ce que nous pouvions endurer plus jeune. Le poids des morts se fait de plus en plus lourd dans la balance. Et Amarylis, si seule, le supportait de moins en moins. En suivant la voie du rêve, avait-elle vraiment accepté de voir les autres mourir, sans pouvoir donner naissance en compensation ?
Elle inspira légèrement, histoire que Marlyn ne voit pas son trouble. Elle n’en avait pas besoin. Et puis naissance, il y en avait bien eu. Marlov était en vie, et sa mère encore, pour l’instant. Le tout était un miracle. Face à un miracle, on ne baisse pas les bras, au contraire, on pousse le miracle jusqu’à ses retranchements.
Elle s’apprêtait à prendre son courage à deux mains, quand la jeune fille fit une demande des plus déconcertantes. Jamais. Au grand jamais, on ne lui avait demandé de l’achever ! On ne demande pas la mort. C’est une aberration que de la demander, alors que d’autres la rejettent et pourtant n’y échappent pas ! Et pourtant…elle pouvait dans un sens la comprendre. De toute évidence cette jeune fille n’était pas de celle prête à rester alitée toute sa vie. Qui le serait, d’ailleurs ? Elle-même, le ferait-elle ? Sans famille, sans enfants, sans quiconque pour venir la voir et occuper ses journées ?
Elle faiblissait à vue d’œil. Il fallait agir vite, fini les questions psychologiques. Amarylis posa une main sur le front plus brulant encore de Marlyn.
-Je vais faire quelque chose d’interdit. Souffla-t-elle. Je vais vous promettre de vous soigner, et de vous rendre toute mobilité.
La plus grave des fautes professionnelles. Promettre la vie. Mais à ce stade, elle n’en avait que faire. Il lui fallait la soigner. Et la faire vivre. Égoïstement autant pour Marlyn qu’elle-même !
-Mettez-vous sur le ventre, s’il vous plait.
Elle l’aida à se positionner, de manière à ne pas la fatiguer d’avantage. Puis elle releva ses cheveux noirs emmêlés, de manière à avoir une visibilité parfaite de l’artère. Comment allait-elle donc s’y prendre ? Pouvait-elle atteindre l’artère sans rouvrir la blessée ? Ce serait très délicat, mais cela assurerait en revanche sa survie. En ouvrant, c’était l’hémorragie directe. Et la mort ! Nouveau défi. Décidément, cette patiente était un cas en or. Normal, que tous les rêveurs de Fériane attendaient avec impatience le retour de leur consœur dans la Grande Salle.
-Vous êtes absolument sûre que vous ne voulez aucune drogue ? J’en ai qui vous permettront d’atténuer la douleur. Simplement l’atténuer, et non vous endormir.
Elle ne pouvait que reposer la question. Marlyn allait souffrir comme personne n’avait jamais souffert. C’était de la folie à ce stade là, et non de l’héroïsme ou de la fierté. Mais Marlyn ne semblait pas être le genre de héros fier avec un hubris surdimensionné, voulant souffrir pour être fort. Alors pourquoi voulait-elle souffrir ? Pour se punir ? Qu’importe, il n’était pas du rôle d’Amarylis, quoi qu’est fait par le passé ou le par le présent cette jeune fille, de la juger et d’enquêter. Elle devait juste la sauver.
Toutefois, la réponse affirmative de Marlyn la soulagea. Et elle se précipita vers l’armoire à plante pour lui concocter une drogue suffisamment puissante pour atténuer au maximum la douleur, sans l’endormir. Toutefois, la rêveuse avait de sérieux doutes. La drogue suffirait-elle ? La douleur serait insupportable. Marlyn tiendrait-elle le coup ? Elle l’espérait de tout cœur !
Elle lui fit avaler la drogue, prenant bien soin auparavant de la diluer avec du sirop, afin d’atténuer le goût infect, mais surtout afin qu’elle puisse l’avaler sans difficultés. Puis, elle la repositionna avec douceur sur l’oreiller, prête à recevoir les soins.
Ses paumes vinrent rencontrer la cicatrice brulée, et déjà Marlyn hurlait. Amarylis tentait de ne pas se concentrer sur ses mains décharnées qui s’agrippaient où elles pouvaient, et de rester fixée sur son rêve. L’artère était en bien mauvaise état, et la force qu’utilisait sa patiente pour supporter le rêve douloureux mettait plus encore en action son cerveau et donc le dis-fonctionnement de l’irrigation de son sang. Alors qu’elle s’appliquait à rassembler petit à petit l’artère, elle sentit soudainement la résistance de la jeune fille lâcher. Bien trop soudainement. Elle failli en rompre son rêve, croyant que tout était perdu, mais laissa, plus par espoir que précaution, une main sur l’artère, tandis que l’autre venait vérifier le pouls de la jeune maman, à présent inerte.
*S’il te plait, ne lâche pas si tôt…bats-toi !*
En sentant palpiter les pulsations de Marlyn, elle se permit un cri de soulagement, et ne perdit plus une minute. Elle n’était qu’inconsciente, terrassée par la douleur. Il serait stupide et dangereux de la réveiller. Autant s’activer le plus vite possible pour la garder en vie !
Tu n’as pas le droit de mourir, tu entends ? Je te l’interdis. Tu as un enfant qui t’attend. Tu n’as pas le droit de l’abandonner. Et tu n’as pas le droit de m’abandonner, moi. Tu es ma dernière chance.
Je t’en prie.
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| Sujet: Re: Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] Lun 10 Oct 2011 - 1:36 | | | [Désolée, c'est très long ^^' C'est autant pour faire avancer beaucoup le RP que parce que c'est un post assez crucial de mon personnage] Contenir l’implosion, et ravaler les battements de cœur. Se concentrer sur le rythme de ses veines, le ramener à un niveau moins affolé. Le vertige restait vissé à ses os, mais la douleur dans sa poitrine se diffusait – se calmait ? S’accrocher aux paroles de la rêveuse, ces mots prononcés d’une voix douce et pourtant si ferme, sans que les syllabes ne flanchent ou s’entrechoquent. Elle allait la sauver. Elle allait la sauver. Elle venait de lui promettre, de lui promettre qu’elle allait la soigner et qu’elle vivrait. Marlyn s’accrochait à cet horizon, celui d’un avenir en soi, d’un avenir sans blessures, d’un renouveau. Un vrai, un définitif. Un nouveau tout court. Elle refusait de mourir avant de le connaître. Elle y avait droit.
Et la réalité rattrapait ces espoirs transis de peur, cette angoisse dissimulée sous le maquillage des illusions. Avec difficulté, la jeune femme s’allongea sur le ventre, en expectorant plus que de raison pour chasser la douleur lancinante dans sa poitrine, cette douleur causée par son cœur fatigué, et qui avait manqué de s’emballer. Elle était toujours transie d’angoisse, mais le ton plus que les paroles de la rêveuse avaient réussi à instiller des parcelles de calme dans son organisme : elle prenait les choses en main, la Mentaï devait s’y abandonner. Et pourtant, quel paradoxe que de confier sa propre survie aux mains d’une autre, qui aurait toutes les raisons de l’achever sur place, si jamais elle la reconnaissait… Et cette demande. Elle avait toujours voulu mettre un point d’honneur à rester consciente pendant tout ce qu’elle traverserait. Même cette dissection animale de l’enfantement. Ca paraissait peut-être un peu vain, un peu dérangé, très risqué, et pas très utile. Pourtant, c’était un sentiment viscéral. Une croyance peut-être un peu absurde, qu’une vie de noirceur se paie en souffrance. Qu’elle avait suffisamment triché par le biais des drogues pour échapper à cette sentence. Mais la Mercenaire, pour autant qu’elle était pénitente, n’était pas suicidaire, tout le contraire. La mort était trop proche pour s’accrocher à l’orgueil. C’est pourquoi la jeune femme maladive accepta la drogue, qu’elle but la décoction jusqu’au bout, et se laissa retomber sur l’oreiller qui pourrait être son linceul, les sens ouatés par les propriétés des infusions.
C’était très étrange. Elle sentait toujours le malaise, et le tiraillement de son corps à tous les niveaux. Elle sentait le sang cogner là où il circulait mal, et ses blessures gémir, et son organisme soupirer. Mais ça la laissait dans une profonde indifférence flottante, éthérée. Oh, s’y laisser dériver pendant toute une éternité, à l’abri de toutes les violences et de tous les échos de douleur, et s’enrouler dans cette torpeur. Laisser le monde s’écrouler dans un océan de blancheur. Oublier ces mains qui s’approchent de son corps, et le rêve tentaculaire qui s’agrippent à sa peau comme un millier d’éclats de verre. Crie. Cabre-toi. Accroche-toi au monde. Noir. Rouge. Blanc, très vif, , la lumière fond, éclair, très blanc, stries de rouge, convulse-toi, vertige, les murs tombent et le sang hurle, du vent dans les oreilles, du feu dans la peau, blanc sale, blanc, blanc infini. Chute. Traitresse ! Oubli.
*
Des bribes déchirées de souvenirs fantômes comme autant de projections dans son esprit, des silhouettes qui volaient, diluées dans son inconscience. Marlyn avait le vague sentiment que rien n’aurait du arriver. Elle aurait du dire exactement autre chose à Slynn. Elle aurait du facilement se tirer des griffes d’Ivan. Elle aurait facilement pu mentir sous la torture. Elle aurait du y échapper en se comportant autrement. Elle aurait facilement pu jouer la comédie devant cette sœur factice, Easlya. Elle aurait facilement pu et dû monter une histoire. Pourquoi n’avait-elle jamais cherché à quitter la forêt ? Savait-elle courir ? Elle aurait du courir, sur les toits. Se laisser tomber, fuir l’orgueil. Elle savait qu’elle ne pourrait jamais battre Anaïel. Elle aurait du prévoir Ambre. Visualiser Valen. Se rappeler Slynn. Fuir Derkan. Obéir. Pas de négation, d’insultes, ni de négation. Elle aurait du le dire tout de suite. L’homme que j’ai vu dans les collines est un contact de ma sœur pour la guilde des métamorphes du nom d’Anner, qui devait me cacher pendant ma fuite. Poignarder Ivan – le dessin était à portée de main. Dame Ar’Kriss, je voudrais trouver un moyen de racheter mes fautes. J’ai mal agi par le passé, je méritais ces coups de fouet. Je te promets que je t’aiderai à éradiquer tous les Mercenaires du Chaos, ma sœur. Je vous en prie, ne me tuez pas, mon maître s’appelle Yiewel Fëclya, on se retrouvait dans une maison proche du Dragon Vert, je vous dirai tout. Ne pas se braquer, penser à ce qu’elle aurait du dire plutôt qu’à ce qu’elle devait taire. Il m’a dit qu’il m’aiderait à me venger, je vous en prie, il m’a promis le monde, il m’a aveuglée, je ne savais pas ce que je faisais, je ne comprenais pas, laissez-moi une dernière chance. Ce n’est pas notre combat, Anaïel. Et disparaître.
*
Dépression cyclonique. L’intrus ! Quelqu’un manipule le corps. Quelque chose se reconstruit sans avoir demandé au préalable. Où est l’entrée du monde qui se libère ? Maître, où es-tu ?
*
A un observateur extérieur, rien de cette tempête mentale et désarticulée n’était visible, rien de ces réminiscences systématiques n’apparaissait sur le visage figé par l’inconscience de Marlyn Til’ Asnil. Peut-être était-ce les Spires qui occupaient une alcôve dans son esprit suffisante pour que des songes diffus s’y trouvent encore et ne cèdent pas complètement le pas à la léthargie la plus profonde. De manière extrêmement ouateuse, son esprit oscillait, percevait parfois des bribes de la réalité ; mais le plus souvent, il s’agissait des délires propres à un état proche du coma, ou qui l’imitent. Des couleurs simples, crues, des visages distordus, des sensations inconnues. A l’extérieur, la rêveuse Amarilys s’activait avec acharnement et professionnalisme, mais comment aurait-elle pu le savoir ? La Mentaï se croyait morte. Elle se sentait dériver loin de l’Imagination et de la réalité tout à la fois, et la dernière image écorchait son sommeil : des mains se posaient sur elle, déclenchaient un abîme de douleur qui avaient abattu un noir muet sur sa conscience. Elle l’avait tuée. Droguée pour la paralyser, puis achevée. Envoyée dans un infini impalpable où elle était incapable d’avoir la moindre pensée cohérente ou de comprendre où finissait sa conscience et où commençait le néant. Je suis perdue. Ca serait presque accueillant. A l’ouragan de la vie succède le calme éternel ? Trop poétique. C’était un échec. Et puisque c’est un échec, ça ne servait plus rien de s’accrocher. Noir. Adieu.
*
Marlyn expectora violemment une fois, deux fois, trois fois. L’air s’insufflait dans ses poumons sur sa demande, et plus par réflexe, et elle paniqua à l’idée d’oublier. Son dos se cabra nerveusement. Le silence rugissait dans ses oreilles. Où était le monde ? Elle ouvrit l’oeil, mais ne vit que des tâches floues ; l’ajustement ne se faisait pas. Ses muscles se raidirent et elle se redressa sur son lit, la tête dans les mains. Des sons s’ajustèrent aux couleurs ; tenter d’arrêter la respiration précipitée. L’ouate mit du temps à se dissiper, le brouillard pesait comme du plomb. Les couleurs trouvaient les lignes et s’y ajustèrent ; les sons prirent la forme de syllabes. Quelle langue était-ce ? La tête lui tournait, et pourtant, quelque chose était différent. L’air était plus frais, et les murs plus proches. Les couleurs se firent plus vives qu’auparavant : je vois beaucoup plus de choses. La jeune femme perçut son nom appelé par une voix familière, quelque part sur la droite ; elle tourna la tête. Que faisait Amarilys assise ? Sa robe avait changé. Le décor aussi, un peu. Etait-ce possible ? L’Imagination grésillait au coin de ses tempes et réclamait son dû d’énergie et de perdition, elle manqua d’y céder et de retourner dans la torpeur amie et fictive, par peur de s’aventurer dans ce monde flou et inconnu. La jeune femme voulut formuler une question, mais sa voix rauque se brisa dans sa gorge sèche. Elle manqua de défaillir de surprise en sentant que la peau de son visage ne la tiraillait pas lorsqu’elle tentait de parler. Où était passé l’implosion dans sa poitrine ? Et les aiguilles qui stigmatisaient les parcelles de sa peau ?
Nerveusement, la Mentaï regarda autour d’elle. Elle ne reconnaissait pas le paysage extérieur, où même la position du soleil. Combien de temps s’était écoulé, par la Dame ? Combien d’heures, ou même de jours, avait-elle passé dans les limbes de l’inconscience ? Tant d’interrogations, des centaines, qui s’entrechoquaient, et des mystères nouveaux à chacun de ses mouvements. Elle devait en avoir le cœur net. La jeune femme voulut se lever de son lit, ce qui se révéla finalement être une épreuve encore au dessus de ses forces, surprise qu’elle était de se trouver dans un corps qu’elle ne connaissait absolument pas. Toute résistance de mouvement avait été intégralement désintégrée. Tout allait trop vite et trop facilement.
La rêveuse Amarilys l’aida à se redresser en lui adressant quelques mots que Marlyn ne comprit pas – l’univers était encore très imprécis-, et la soutint pour marcher jusqu’à la psyché que la jeune femme pointait du doigt. La Mentaï ne reconnut tout d’abord pas ses traits. La dernière fois qu’elle avait contemplé son visage remontait à des mois de là, elle venait de s’enfuir de l’Académie, et son visage était couvert de sang, monstrueux et déchiré de part en part, et une plaie béait dans son cou. De ces cicatrices, plus trace, sinon une plaque de peau plus lisse et plus brune que le reste dans la nuque, et de légères aspérités sur les joues. Restait, éternelle, immuable –irrémédiable- la cicatrice qui lui fendait l’œil, plus fine, d’un blanc laiteux – elle aurait presque regretté de la voir disparaître, celle-là. Marlyn ôta précipitamment sa tunique –quelle importance, Amarilys avait apparemment passé les derniers jours à réparer son corps dénudé- et s’approcha du miroir. C’était impossible à croire. Son épaule droite, qui avait tout subi (refaire mentalement la liste l’aurait profondément dégoutée), n’avait jamais été aussi immaculée, et il n’en restait qu’une longue cicatrice, droite, propre, parfaitement refermée, et qui se fondait dans la peau le long de la clavicule. Ses doigts retraçaient les fantômes des anciens coups, parfois accrochaient un fantôme de plaie, parfois glissaient parfaitement. C’était impossible à croire. Un observateur extérieur ne verrait rien sur son corps, et elle seule, en plus peut-être de Dolohov Zil’Urain, aurait été capable de dire où se trouvaient les anciens stigmates, et de sentir ce qui en restait. Et apparemment, tout son corps avait été renouvelé de la même façon que ce qu’elle venait de voir. C’était vraiment impossible à croire.
- Dix ans…
Un rire nerveux secoua sporadiquement les épaules de Marlyn. Ca faisait dix ans qu’elle n’avait plus eu un corps normal. Dix ans à attendre en permanence que quelque chose se calme, qu’une douleur s’apaise, qu’une plaie se referme, qu’un coup de fouet disparaisse. Ca faisait huit ans qu’elle avait le dos traversé en de multiples endroits par de longues stries dûes au fouet de Slynn Ar’Kriss. Ca faisait six ans qu’elle avait le visage déchiré et le corps morcelé, six ans qu’elle avait perdu un oeil. Ca faisait six mois qu’elle avait fini d’achever la destruction de son corps. Et maintenant, tout était terminé. Tout avait disparu. Amarilys avait annihilé l’intégralité de son passé. Rire silencieux. Exclamations qui s’éclaboussent sur ses dents ; Marlyn s’entendit rire, en passant les mains sur son visage.
Je vous ai tous survécus, Slynn Ar’Kriss, Valen Til’Lleldoryn, Ivan Derkan, Easlya Cil'Vilian, Yaemgo, Lindörm, Anaïel, Ambre, le monde. Je vous ai tous survécus, grâce à lui mon maître, grâce à ma haine, grâce à mon pouvoir, et grâce à cette rêveuse. La mort ne m’atteindra jamais.
- C’est la Dame qui vous envoie, Amarilys Luinil. C’est la Dame qui vous envoie.
Une ombre au tableau ? La dernière interrogation, celle qui taraudait son esprit en voyant son corps et la peau qui saillait légèrement sur les os, la robe différente d’Amarylis, les arbres qui avaient pour la plupart perdu des feuilles, le vase différent sur la table de chevet, et cette réminiscence de. De cet abîme où elle s’était perdu, dans sa propre tête. A cette question s’ajoutèrent d’autres. La jeune femme retourna s’asseoir sur le bord de son lit après avoir repassé sa tunique, en s’émerveillant chaque seconde du fait qu’elle voyait mieux le monde, qu’elle entendait mieux le monde, qu’elle avait l’impression qu’un énorme poids avait été ôté de ses nerfs et de ses épaules. Son œil de ciel alla fixer pour la première fois ceux opalins de la rêveuse, et elle lui demanda :
- Combien de temps suis-je restée inconsciente ? Est-ce que… est-ce que je suis morte, pendant un temps ? J’ai l’impression d’avoir arrêté de vivre quelques instants, une impression très diffuse. Qu’est-il advenu de l’enfant pendant ce temps ? Combien de jours à passer allongée, Amarylis, avant de pouvoir à nouveau repartir vivre dans le monde ? Qu’est-ce qu’il s’est passé quand vous m’avez soignée ? J’ai cru sentir mon cœur s’arrêter.
Et quand bien même elle craignait presque d’entendre la réponse à la plupart de cette question, Marlyn ne pouvait se départir de cette sensation infinie de libération. Cette sensation qu’elle vivait de nouveau ; dix ans de sa vie venaient de s’achever, alors qu’elle émergeait dans un nouveau corps comme après une mue, après avoir encore frôlé la mort de si près qu’elle en avait froid dans le dos. Tout allait être possible. Et, elle n’en était pas encore sûr, elle croyait percevoir qu’avec la douleur s’était évaporée une partie de sa haine et de sa colère constante. Ne restait que la haine rationnelle, et le pouvoir. Oh, une infinité de pouvoir dans son esprit et qui lui disait :
Bienvenue.
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| Sujet: Re: Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] Mer 2 Nov 2011 - 21:24 | | | -Combien de temps encore, allez-vous rester parmi nous Maître Luïnil ?
-Appelez-moi Dame, ou tout simplement Amarylis, Oriak. Pas plus que vous je ne mérite le rang de maitre. Je ne suis qu’au sixième cercle.
Un sourire se dessina sur le visage ridé de l’homme en toge blanche. Ses cheveux d’un blanc laiteux recouvraient encore entièrement son crâne, mais pourtant l’âge avancé se devinait par sa peau tâchée.
-Ce qui est bien surprenant. Rare sont ceux qui accèdent au septième cercle, regardez-moi…je finirais ma trop courte vie ici et au même stade. Tandis que vous êtes encore pleine de vitalité, jeune, et étonnamment plus douée que moi !
Le thé brula le palet de la rêveuse, qui s’étouffa quelque peu, mais se reprit au plus vite.
-Malgré tout le respect que je vous dois, je ne partage pas votre opinion. Croyez-vous vraiment que l’on est jeune à plus de trente cinq ans, lorsque l’on n’a ni parents, ni enfants ?
Oriak fronça ses sourcils de neige.
-Plus jeune déjà qu’à soixante-dix ans. Et tout rêveur se créer sa famille. Ne venez-vous pas de mettre au monde un enfant ?
-En partant de ce principe, je suis donc aussi meurtrière que mère.
La main du vieillard se leva, prête à s’abattre avec douceur sur celle de sa consœur, mais se ravisa bien vite en un geste précipité pour prendre la théière.
-Fériane a eu vent de vos actes récents.
Amarylis déglutit, honteuse, mais le Directeur de Fériane n’y prit garde, continuant de son ton paternel.
-Vous êtes une femme bien étrange. Vous ne respectez pas le code de neutralité, mais à la fois vous accomplissez des miracles lorsqu’il s’agit de soin. Vous ne portez jamais l’habit traditionnel, en principe obligatoire, des rêveurs, mais vous imposez tout de même un respect inhabituel pour une personne aussi jeune, et plus encore une femme. Vous êtes l’exception des rêveurs, et c’est par cela que vous vous démarquez des autres, et que vous êtes une grande rêveuse. Et c’est pourquoi ce serait un honneur de vous accueillir à long terme chez nous…
Le cœur déchiré de la rêveuse eut un sursaut, réagissant avec surprise à cette pommade qu’on lui appliquait.
-Eoliane a besoin de moi. Mais tant que Marlyn ne sera pas réveillée, je ne partirais pas, même si je ne doute pas que vous vous occuperez bien d’elle.
-Vous avez un grand cœur Dame Luïnil, et je ne serais pas étonné que ce soit ce grand cœur qui démultiplie votre don.
La rêveuse aux cheveux bleus secoua la tête.
-J’ai juste eu un très bon mentor…
La porte s’ouvrit alors avec fracas, et un jeune rêveur, encore novice, entra avec précipitation et excitation.
-Elle se réveille, elle se réveille !
La directrice d’Eoliane n’attendit pas une seconde. Voilà à présent trois semaines qu’elle restait au chevet de sa patiente, ne la quittant que pour déjeuner ou prendre le thé. Trois semaines qu’Eoliane la croyait arrivée à Ondiane et se demandait si elle allait ou non la revoir un jour. Trois semaines que sa vie prenait un tout autre sens.
On le voyait à son sommeil devenu agité. Sommeil, et non plus coma. Vivante. Elle était bien vivante. C’était une victoire dans le cœur d’Amarylis, et un soulagement immense. Elle pensa à Marlov, dont elle s’était également occupée avec les rêveurs. Et dont elle était certaine qu’il aurait un don. Devrait-elle le lui dire ?
Elle prit place à côté de la jeune femme, attendant avec patience que le sommeil devienne réel réveil, et s’appliqua à l’aider du mieux qu’elle pouvait. Ainsi elle l’aida à se redresser avec douceur, et lentement, afin que son cerveau s’acclimate à l’environnement changeant.
-Bonjour Marlyn…Doucement…Ne vous précipitez pas, vous avez besoin de temps…
Mais elle ne semblait pas l’entendre, et montrait fébrilement du doigt le grand psyché qui décorait la chambre. Amarylis comprit, et l’aida à s’avancer face au miroir, découvrant la peau neuve de sa patiente. Guérie. Entièrement guérie. Malgré cette fichue cicatrice à l’œil, trop vieille, trop grave et mal soignée, pas à temps…Irrémédiable. Mais le reste était une réussite, avec des cicatrices presque non voyantes, et des organes qui fonctionnent. Un cerveau irrigué. Un corps neuf.
Elle lui laissa du temps pour se contempler, se découvrir à nouveau. Se faire soi. Cela n’allait pas être évident, elle pourrait même se sentir étrangère à son corps. Un « dix ans » lui échappa dans un rire qui fit presque peur à la rêveuse. Dix ans…Dix ans qu’elle trimballait tout ça ? C’était la Dame qui l’avait sauvé à ce stade là ! Chose que confirma Marlyn dans un compliment sans nom pour la rêveuse alors désabusée jusqu’ici.
Mais elle sentait venir les questions. Il y aurait forcément des questions. En effet elles se succédèrent à une vitesse qui semblait vouloir rattraper le temps passé inconscient. Avant de répondre la rêveuse fit rassoir Marlyn, afin qu’elle ne se fatigue pas inutilement. Si elle était bel et bien soignée, le coma l’avait privé de ses forces vitales durant trois semaines. Il lui fallait reprendre des forces en se reposant. Et se préparer à ce qu’elle allait entendre.
-Voilà trois semaines que…vous dormez, en quelques sortes. Les rêveurs touchant à la médecine récente appellent cela un coma. C’est cette sensation de se sentir mort, de n’avoir aucun souvenir…Le cœur ne s’arrête pas vraiment, mais l’organisme et le cerveau sont comme éteints. Beaucoup n’en sortent pas, de ce sommeil.
Prenez-vous conscience de la chance que vous possédez d’être vivante ?
-Marlov va très bien, j’ai pris soin de m’en occuper, avec quelques autres rêveurs.
Elle hésita un instant. Devait-elle lui parler du don perçu ? Elle n’avait senti qu’un léger signe, et ne pouvait être vraiment sûre à 100% que le don persiste avec l’âge et l’éducation de l’enfant. Mieux valait attendre.
-Quant au temps que vous devrez encore passer ici…Je dirais encore une semaine, au maximum. Peut-être cinq jours si vous vous rétablissez bien. Il faut que votre corps reprenne vie, il s’est habitué à être comme mort durant presque un mois. Laissez-le se revigorer, et vous pourrez bâtir votre nouvelle vie avec votre enfant.
Elle lui offrit un sourire des plus encourageants. Vivante. Elle était vivante et l’enfant également.
Elle avait tenue sa promesse interdite.
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| Sujet: Re: Descends du manège, déjà rate une marche, un coup dans la gueule des grandes utopies, tes désirs s'arrachent (8) [Terminé] Ven 11 Nov 2011 - 20:14 | | | Si elle avait pu passer des heures uniquement à respirer, les yeux fermés, à sentir ses poumons fonctionner, elle l’aurait fait. Laisser l’air s’exprimer sans à-coup, le laisser quitter son corps sans chercher à le retenir, comme elle avait avarement recueilli chaque parcelle d’oxygène et d’énergie qu’elle pouvait depuis des mois – des années ? Pouvait-on parler de sérénité ? Pas encore. C’était trop tôt, et même trop tard. La jeune femme était encore trop aux prises avec ce soudain retour à la réalité, et trop de questions se bousculaient dans sa tête, trop de choses lui étaient inconnues. Et elle se connaissait : dès qu’elle serait revenue dans le monde, elle s’y immolerait d’autant plus qu’elle avait d’énergie et de capacité à. Même en conservant sa vie, cette vie toute neuve qu’on venait de lui offrir au prix de souffrances et d’oubli. Elle aurait pu se promettre de se garder de tout danger, et de ne plus jamais avoir à crisper les dents et les phalanges sous la douleur ; elle savait qu’elle ne s’y tiendrait jamais, et que tant qu’il restait du monde à brûler, elle s’embraserait. Mais pas aujourd’hui. Assise sur le rebord du lit, les yeux dans le vague, Marlyn s’accrochait à la voix d’Amarilys qui répondait à ses questions lancées peut-être trop fébrilement.
Être mort sans être mort. C’était tellement… irréel. Difficile à appréhender. Difficile à concevoir. Etait-ce vraiment comme ça qu’on qualifiait ces longues périodes d’oubli, quand le corps est fracassé ? Si la rêveuse disait vrai, alors ça voulait dire que ce n’était pas la première fois qu’elle vivait ce genre… « d’expériences ». Déjà la dernière fois qu’elle s’était trouvée en catastrophe chez les rêveurs, et puis, toutes ces semaines de ténèbres et ces périodes insaisissables qui manquaient à son existence… Ca faisait froid dans le dos. Un frisson dans la colonne vertébrale, la jeune femme repassa sa tunique, comme soutien psychologique, comme si avoir un tissu fin sur le dos lui permettait de se sentir plus en sécurité, plus solide que quand l’air pouvait caresser sa peau neuve. Sa peau tendue sur les phalanges, et légèrement trop blanche, oui, c’était bien des indices de la mort. La mort avait finalement réussi à l’atteindre dans son moment de plus grande faiblesse. Mais elle l’avait de nouveau déjouée à coup d’artifices. Elle la vaincrait toujours. Il le fallait. Le plus important, c’est qu’elle s’était enfin sortie des liens gluants de la Mort.
Au nom de Marlov, elle releva la tête. Elle n’en revenait pas d’avoir vraiment posé une question sur l’enfant, tant il lui semblait complètement… indifférente, détachée, aliéné ? Et portait-il vraiment ce nom ? Elle n’arrivait pas à se souvenir des évènements des semaines auparavant, comme si le coma avait tout effacé et scarifié hors de sa mémoire. Juste l’impression diffuse d’une douleur infecte, et dégoûtante. Elle s’étonna d’ailleurs que l’enfant soit encore vivant. Mais après tout, s’il lui avait fait le coup de mourir alors qu’elle l’avait porté –trainé- jusqu’à la naissance… Elle irait le voir. Plus tard. A l’annonce qu’elle pourrait partir bientôt, Marlyn manqua de se lever pour embrasser Amarilys dans ses bras grêles. L’énergie se battait pour sortir et utiliser l’enveloppe réparée de son corps, et même si la fatigue lui collait encore aux os, elle savait que ça ne serait bientôt plus le cas. Moins d’une semaine. Rester allongée lui semblait une moindre torture, après tout. Les Spires s’agitaient dans sa tête, comme si plusieurs dessinateurs tentaient de lui transmettre un message par le dessin, ou comme si un dessin se formait dans son esprit. Mais après quelques minutes de silence, la Mentaï parvint à en faire abstraction, à défaut de pouvoir décrocher son esprit des Spires complètement. Amarylis, avec sa compassion habituelle, insista pour qu’elle se rallonge, et qu’elle ne se fatigue pas à ressasser trop de questions. Les journées passeraient bien assez vite avant qu’elle ne retourne dans les affaires sombres et ensanglantées du monde. Amarylis quitta la pièce peu de temps après, avec la promesse de rester jusqu’à ce que Marlyn puisse partir, libérée des entraves de la maladie et des blessures. La jeune femme se redressa malgré les conseils de la rêveuse, l’épaule appuyée contre le mur, et contempla le paysage qui s’étalait sous son œil à travers de la fenêtre aux rideaux semi-clos. Le temps allait lui sembler très long, maintenant qu’elle vivait de nouveau.
*
Les jours suivants se passèrent sans véritable heurts, ponctués uniquement par les discussions avec la rêveuse, et ses propres occupations, qui consistaient principalement à marcher en rond dans sa chambre ou autour du cloître de la confrérie, en laissant le temps à son corps de composer avec les nouvelles données que la rêveuse avait crées. Le seul véritable évènement qui marquait cette semaine de repos fut lorsque Marlyn décida d’aller voir l’enfant qu’elle avait mis au monde, et dont les rêveurs s’étaient occupés avec grand soin, si on faisait confiance aux propos d’Amarylis. Sans grand étonnement, le premier contact entre la Mentaï et Marlov ne fut pas véritablement fusionnel, mais plutôt très perturbant. Quand on lui donna le petit paquet de chair entouré de langes pour qu’elle le tienne dans ses bras, la jeune femme eut du mal à y voir un être à aimer, chérir, ou duquel s’occuper. Le regard coupable des rêveurs pesant sur elle, elle s’était efforcée de prendre une expression attendrie, sans vraiment y croire. Elle n’y connaissait juste rien en terme d’enfants. Surement que ça avait quelque chose d’aimable, sûrement qu’on devait les protéger, et les couvrir d’attention. Comment, et dans quel but, en revanche… Elle pourrait lui apprendre ce qu’elle savait, l’accompagner dans ses premiers pas, il aurait un père, et ne manquerait de rien, mais elle ne pourrait jamais au-delà. Ca devrait bien convenir. Elle n’aurait de toute manière pas à s’en occuper dans les premiers temps. Et intérieurement, elle refusait de devoir y consacrer sa vie alors qu’on venait de lui redonner sa jeunesse. Il aurait une bien meilleure vie que la plupart des enfants de Gwendalavir, est-ce qu’on devait vraiment la taxer de désintérêt ?
*
Elle serait partie au moins trois jours plus tôt si Amarylis n’avait pas absolument insisté pour la garder jusqu’à la nouvelle lune, par prudence. Lorsqu’elle eut enfin la bénédiction de sa détractice, Marlyn fut traversée par la sorte de joie extatique que ressentent les prisonniers lorsque vient leur remise de peine, et qu’ils peuvent enfin cligner des yeux devant la luminescence d’un soleil trop fort, et qui les avait oubliés, ni ne les prendrait plus jamais en compte. En venant à Fériane, la jeune femme avait laissé derrière elle tout le monde occulte, et des semaines de silence. Que lui arriverait-il en sortant ? Le maigre réseau dont elle faisait partie avait été particulièrement agité ces derniers jours, et elle avait été contrainte de s’immerger dans les Spires plus tôt que prévu, pour y reprendre sa place. Les choses rentraient dans l’ordre. Elle survivrait toujours à tout, et à tous.
Et intérieurement, ça lui faisait plaisir qu’Amarylis soit venu lui dire au revoir au moment où elle sellait son cheval et préparait ses affaires, pour lui apporter en personne son enfant. Quelle ironie que, quelques mois plus tôt, Marlyn n’aurait pas hésité à l’égorger si elle s’était trouvé sur son chemin lors de la bataille de reprise de l’Académie qui avait fini de la stigmatiser. Et maintenant, elle lui devait la vie, et bien plus. La partie la plus sombre de son esprit pensa avec amertume que si les occasions se présentaient, elle n’aurait toujours aucune hésitation à la tuer pour sa survie, quand bien même elle le ferait sans plaisir. Le monde n’avait aucun sens, elle en était l’exemple le plus flamboyant.
Marlyn partit de Fériane après des adieux qu’elle avait voulus brefs, en tenant les rennes de son cheval d’une seule main pour soutenir l’enfant, comme l’on prendrait soin d’un otage, ou d’une monnaie d’échange. Sa seule inquiétude, c’était le silence dans le réseau de Dolohov Zil’Urain, et l’impossibilité qu’elle avait de le contacter.
Mais ils avaient tout le temps du monde, à présent.
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