Rien de tel qu'un entraînement matinal pour se réveiller...[Terminé]

Le soleil effleurait à peine les toits de l'Académie lorsqu'Armaële sortit du dortoir, l'œil encore vaguement ensommeillé. Elle s'arrêta un instant dans la cour, le souffle coupé par l'air glacial du petit matin et frissonna. La jeune femme tira sur son uniforme pour lui redonner une forme convenable, secrètement ravie de la température, qui avait finit de la tirer des bras de Morphée.

Elle frémit en se rappelant sa première nuit – tout bonnement abominable- entre les murs de l'Académie. Dortoir chauffé, lit moelleux à souhait, couvertures douces... Le paradis, en quelques sorte. Mais voilà, Armaële n'avait jamais, aussi loin que remontait ses souvenirs, dormit dans un lieu clos. Si bien que, à peine couchée, alors que les respirations de ses compagnons s'étaient élevées, tranquilles, sereines, une insupportable impression d'étouffement l'avait envahie. Elle s'était mise à transpirer sous ses draps, cherchant désespérément un souffle de vent ou un courant d'air. Mais rien. Le feu ronronnait dans la cheminée. Un ronflement sonore s'était élevé. Un gémissement  aussi, à l'autre bout de la pièce. Armaële était resté des heures les yeux grand ouverts, à fixer le noir au-dessus de son lit. Quand enfin, alors que le matin pointait déjà son nez, elle avait réussi à s'endormir, elle n'avait fait que tomber dans un sommeil peuplé de cauchemar. Elle avait été réveillé lorsqu'une silhouette, ouvrant la porte avec précaution, s'était éclipsée. Prenant garde de ne pas faire de bruit, elle était sorti à son tour.

Elle soupira et un petit nuage de fumée blanche s'évanouit dans l'atmosphère. Elle s'approcha de la fontaine, le crissement des grains de sable résonnant à ses oreilles, pour s'assoir sur le bord. Pensivement, elle laissa son doigt se promener à la surface de l'eau glacée, formant des cercles qui s'élargissaient en ondes bleues jusqu'à totalement disparaître à nouveau.
Étrange impression de n'être ici qu'une gamine comme toute les autres, perdues dans l'immensité de cette Académie, attendant que quelqu'un lui offre son savoir. Sensation un peu frustrante d'avoir plusieurs années de moins que les gens qu'elle avait rencontré – Ichel, Attalys. Pourtant, elle aussi avait vécu des situations difficiles, à la tête de sa bande de voleurs, étant celle qui devait veiller au bien-être des plus jeunes, superviser les différentes opérations, répondre des pertes, diriger les bagarres entre clans... Pourtant, elle avait ici l'impression d'avoir encore tout à apprendre et d'être retournée au stade de gamine à qui on enseigne la vie. Ce qui signifiait, implicitement, que voleur n'était pas réellement une vie...

Un bruissement de pas derrière elle. A peine perceptible.
Armaële se retourna et vit Ichel qui s'approchait de sa démarche glissée, plus silencieuse que jamais. Elle l'admira. En silence. Le soleil choisit cet instant pour basculer par dessus les toits de l'Académie. Elle sourit, plissant les yeux, aveuglée.

Armaële sentit dès le début du combat qu'elle n'avait que très peu de chance de gagner. Non, pas très peu. Aucune. Pour autant, elle n'en fut pas blessée, juste rassurée -oui, les marchombres étaient bien ce qu'elle pensait !- et, après avoir équilibrée la lame dans sa main, elle était passée à l'attaque. Un peu lente au début. Le temps de voir comment Ichel se battait. Puis, de plus en plus vite. Comme lors des bagarres de rue, quand ta vie était en jeu et que tu n'avais plus qu'une seule solution pour t'en sortir vivant : te battre. Correctement. Mieux que ton adversaire. Pour survivre.
Mais Ichel n'était pas une gamine des rues. Ichel était feu follet, bondissant, tournoyant, évitant les coups comme s'il n'existaient pas. Armaële réussit tout de même à la lui effleurer la joue. Ichel évita d'un gracieux mouvement du buste. Et repartit à l'assaut. Elle hurla quelque chose mais la jeune femme n'entendit pas, bien trop occupée à esquiver les coups qui pleuvaient de toute part. Un instant, elle fut aveuglée par le soleil,désormais plus haut dans le ciel, et n'échappa qu'in-extremis à un revers fulgurant. Elle commença à reculer vers les bâtiments de pierres. Ichel, prenant son élan, bondit. Salto. Mais Armaële s'y attendait et se retourna, parant vivement un coup destiné à son côté droit. Et elle recommença à reculer. Vers la fontaine cette fois. Rien à faire désormais. Juste éviter les feintes et autres artifices mis en place pour la piéger. Elle tenta un esquive sur le droite. Reçue en réponse la main de son adversaire en pleine poitrine. Respiration coupée. Quelques secondes de flottement. Qui suffirent à Ichel pour l'acculer à la margelle du puits. Le contact de la pierre fraîche dans le dos, la sueur qui coule le long de son front, sa respiration haletante.
Sourire sur le visage d'Ichel. Qui recula d'un pas. Ouverture sur la gauche. Armaële bondit. Roula et se redressa aussi vivement sur ses pieds. Ou plutôt essaya... Ichel tendit la jambe et la Kaelem battit un instant des bras dans l'air, pour retrouver son équilibre, avant de s'écraser lamentablement le nez dans le sable. Vaincue.

Elle se releva en essuyant les minuscules grains incrustés sur sa joue. Ichel lui sourit à nouveau. Victorieuse. Armaële soupira.

- T'as gagné...

Puis, abandonnant le faux masque de pauvre-victime-abominablement-jouée-par-une-marchombre-bien-plus-confirmée-qu'elle, elle retrouva elle aussi le sourire et demanda, une curiosité dévorante et une soif d'apprendre plus forte que jamais :

- Mais comment fais-tu ?... Je veux dire, comment fais-tu pour aller aussi vite, comme si tu savais à l'avance où j'allais porter mon coup et imaginais déjà où porter le tien ? Comme si tu étais dans une dimension ou tout allait plus rapidement. Ou alors, c'est moins, qui suis dans une dimension où tout va lentement.



[Désolée pour la longueur...]

- Il me suffit d'écouter les éléments. L'air, les arbres, le clapotis de l'eau et encore toutes les choses que j'ai omises. Si tu écoutes attentivement, tu percevras peut-être la fourmi dans l'herbe qui tente de ramener sa fleur dans son terrier, de la même façon que tu peux entendre le bruissement qui précède le mouvement de ton adversaire. Ecouter, voilà la solution. Enfin, celle que j'utilise. Chaque marchombre fait à sa façon, il n'y a pas La façon de faire les choses... Tu veux essayer ? Viens !

Ichel se leva d'un mouvement plus souple que jamais, ne laissant pas le temps à Armaële de réfléchir plus longtemps aux mots qui venaient d'être prononcés. Mais elle avait compris. Enfin, elle pensait avoir compris. Disons qu'elle avait saisi ce qu'avait voulu dire la marchombre, comme elle sentait maintenant les caresses mêlées du vent et du soleil sur sa joue. Mais arriverait-elle à mettre en pratique cet enseignement précieux ?

En face d'elle, Ichel se mit en position de combat et la Kaelem l'imita, se plaçant de profil et pliant légèrement les genoux, levant sa dague à la hauteur de son visage. Expiration douce, le temps de retrouver un semblant de calme. Les battements de son cœur résonnaient avec force à ses oreilles, de même que le bruit du sang qui battait ses tempes. Les minuscules graviers pénétraient dans la semelle de ses chausses de cuir et quand elle se décala légèrement, leur crissement se fit entendre. Déjà, Ichel avait bondit, plus légère et rapide que jamais, fondant sur elle dans un mélange étonnant de grâce et de tension. Le premier coup passa à un cheveu de sa joue gauche et elle ne dut qu'à un réflexe prodigieux de ne pas avoir le souffle coupé par le revers qui fusa juste après. Elle se fendit sur la droite pour se placer dans le dos de son adversaire... Mais la marchombre était plus rapide. Bien plus rapide. Elle frappa du poing sur son poignet et Armaële serra les doigts de douleur, contemplant avec stupéfaction sa paume vide. Désarmée en moins de quelques secondes.
Pourtant, elle savait qu'elle n'était pas si mauvaise. Elle avait déjà battu des adversaires bien plus forts qu'elle et avait toujours réussi à se sortir de toutes situations, pour épineuses qu'elles soient. Mais Ichel était une adversaire... différente. Comme si elle savait à l'avance où elle allait frapper et se contentait d'esquiver. Puis elle attaquait. Gracieuse, extrêmement raide, implacable. Efficace.

Armaële récupéra la dague sur le sol et se replaça face à la Kaelem, prête à se battre à nouveau. Mais cette fois-ci elle attendit un peu. «... Il me suffit d'écouter les éléments... Si tu écoutes attentivement...Le bruissement qui précède le mouvement de ton adversaire» La voix d'Ichel se fit murmure dans son esprit. Écouter. S'ouvrir... Les battements de son cœur se calmèrent, sa respiration s'apaisa. Petit à petit, elle saisit. Saisit les assauts du vent contre la pierre qui grinçait. Perçut le murmure des feuilles et des troncs mêlés au léger clapotis de la fontaine. Entendit le crissement des graviers et il lui sembla même saisir un instant le son du souffle calme d' Ichel.

Quand celle-ci bondit à nouveau, elle était prête.

Quand Armaële avait fermé les yeux pour écouter les multiples facettes de ce silence qui n'en était pas vraiment un, goûtant avec étonnement la caresse exacerbée du vent sur sa peau nue, un frisson de bonheur parcourant son échine, elle avait senti quelque chose se dissoudre en elle. Ou plutôt, s'ouvrir. Un verrou qui sautait et qui la laissait enfin libre. Vraiment libre. Aussi légère qu'un souffle d'air, pleine d'une nouvelle vitalité, aussi rapide que cet éclair roux qu'elle avait entraperçue entre les buissons en rouvrant les yeux. Elle avait expiré lentement, scrutant Ichel avec attention, guettant la tension subite du muscle, l'accélération soudaine du souffle. Quand celle-ci avait bougé, avec sa grâce et son efficacité habituelle, Armaële avait largement eut le temps de l'esquiver. Avec un tel étonnement qu'elle ne s'était reprise qu'au prochain coup, se glissant sur le côté pour contre-attaquer d'un éclair fulgurant qui était passé à quelques millimètres du nez de sa camarade. Et Armaële sautait, virevoltait, esquivait, bondissait avec facilité, miroir parfait de la marchombre qui se glissait à côté d'elle. Une danse. Étonnante, violente, sauvage. Mais une danse. Libre. Ichel était tombée sur le sol, comme Armaële quelques instants plus tôt et celle-ci s'était arrêtée en voyant son amie tituber pour se cogner contre le muret de pierres de la fontaine. Un cri. Elle n'avait pas eut le temps de réagir que, déjà, Ichel était derrière elle et l'envoyait valser le nez dans la poussière d'un vilain coup de pied au derrière. La Kaelem avait ensuite couru se rincer le visage pour retrouver la vue et Armaële avait senti une vague d'admiration l'envahir à nouveau : sa camarade s'était battue sans rien y voir !
Elle prit soudain conscience que sa camarade lui parlait et elle ne saisit que sa dernière question :

- Dis-moi, où as-tu appris à te battre ?

Armaële sentit un sourire amusé se dessiner sur ses lèvres. Si Ichel savait !... Elle avait appris dans la rue, lors des bagarres, armée d'une dague ou de ses seuls poings au départ, se ramassant bleus, ecchymoses et autres blessures en tout genre jusqu'à ce qu'elle commence à comprendre le système, jouant plus sur sa petite taille et sa souplesse que sur sa force. Elle s'était blessée. Souvent. Moins gravement que certains de ses camarades à qui ils manquaient des doigts ou des mains, mais de vilains coups dont elle gardait encore aujourd'hui les marques.
Une idée germa en elle. Et si... Non, impossible. Ichel était marchombre, on ne pouvait pas tromper une marchombre aussi facilement qu'un marchand. Inimaginable. Mais, après tout, elle avait tenté le coup tant de fois, sans jamais – ou presque – se faire attraper et avait des années de finesse et de pratique derrière elle. Elle pouvait toujours tenter le coup. Ou pire des cas, elle échouerait.
Elle fit un grand sourire à Ichel et répondit :

- J'ai appris comme ça...

Et sans attendre, elle se glissa dans l'ombre des arbres, veillant à ne faire aucun bruit susceptible de la trahir, fixant le dos d'Ichel avec attention, guettant le moindre de ses mouvements. Elle reporta son regard sur le fourreau de la dague, qui pendait à la ceinture et attendit la prochaine bourrasque de vent. Quand celle-ci balaya brusquement la cour, Armaële se fondit dans le dos de sa victime – imitant des gestes cent fois répétés en retenant sa respiration – et, doucement, presque délicatement, effleura le fourreau qui tomba entre ses doigts. Elle recula d'un pas et s'était déjà écartée lorsqu'Ichel fit volte-face et se retrouva nez à nez avec elle. Armaële lui fit un nouveau sourire en levant le fourreau à la hauteur de son visage et dit d'une voix empreinte de malice :

- J'ai appris comme ça.

A vrai dire, elle ignorait si Ichel avait fait exprès de ne pas bouger ou si elle ne l'avait vraiment pas entendue. Elle s'en fichait un peu. Pour la première fois de sa vie, le fait de voler n'était pas pour elle un synonyme de faim ou de désespoir mais un simple amusement, un bon tour à jouer à quelqu'un. Elle tourna une nouvelle fois le fourreau de cuir entre ses doigts, appréciant son toucher velouté et le lança à Ichel qui le récupéra d'un geste souple.
Elle sourit à nouveau et demanda, une idée nouvelle qui avait germé lorsque'Ichel avait été aveuglée mais avait continuer de se battre :

- Est-ce que je peux essayer de me battre les yeux bandés ?

Juste pour essayer.


[Edit à volonté... J'adore ce RP !]

- Je ne vois pas pourquoi je te refuserais un nouveau duel, mais si tu as les yeux bandés et que moi je garde tous mes moyens, ce n'est pas très équitable. Je te propose un truc. Toi, tu te bandes les yeux et moi, je m'attache une main dans le dos. La droite tiens, se sera d'autant plus dur si c'est ma main directrice.

Immédiatement, Ichel lui tendit un foulard qu'Armaële s'empressa de nouer autour de sa tête. Et après... le noir. Absolu. Total. Elle n'aurait jamais cru que cela puisse être aussi effrayant. Elle s'obligea à respirer profondément pour calmer sa respiration, écoutant les bruits alentours - les jurons d'Ichel qui tâchait de retrouver son équilibre - et s'ouvrant comme avait tenté de lui enseigner la marchombre. Presque instantannément, une nouvel clarté se fit en elle. Une nouvelle lueur, non pas visuelle, mais... autre. Comme si ses quatre autres sens en étaient amplifiés pour compenser la perte de ses yeux.
Silence. Quelques minutes s'écoulèrent...
Puis, un crissement de graviers qui se rapprocha. Vite. Trop vite. Mais d'où provenait-il ? La Kaelem sentit qu'elle paniquait et, au dernier mmoment, dit un quart de tour maladroit et entendit presqu'immédiatement un énorme fracas. Ichel venait sans doute de s'affaler sur le sol. Sans attendre qu'elle reprenne ses esprits, Armaële lui fonça dessus mais ne fouetta que le vide. Peu à peu, les deux apprenties s'harmonisèrent, comme si leurs mouvements étaient naturels, reprenant un combat plus vif, peut-être un peu plus bancal qu'habituellement. Peu à peu, leurs handicap fut compensé chacun à sa manière... Et soudain...
Silence. Total. Absolu. Bien plus effrayant encore que celui de tout à l'heure. Armaële tourna la tête en tous sens pour essayer de capter un son - même un murmure - qui lui aurait appris la position de son adversaire. Rien. Quand un énorme choc lui coupa le souffle et qu'elle tomba brutalement en arrière, le corps secoué d'un choc terrible, elle poussa un petit cri. Elle n'avait rien entendu. Rien ! Elle tâtonna pour arracher son bandeau, le souffle coupé, cherchant désespérement sa respiration. Le visage d'Ichel apparut à quelques centimètres du sien, mi-triomphant, mi-inquiet. La jeune marchombre lui offrit un grand sourire et Armaële ne put que hoqueter :

- C'est... plus... Dif...ficile... que... je.... pensais....

Elle chercha à se relever, la tête lui tournant un peu. Son regard fut attiré par le soleil qui se déversait maintenant à flot sur les toits, illuminant une belle journée d'hiver. Calculant mentalement, elle s'aperçut qu'il devait être aux alentours de 11 heures , observant en me^me temps un couple d'étourneaux. Et c'est à cet instant qu'elle se rappela qu'elle avait un rendez-vous urgent, dans une aile opposée de l'Académie ! Elle se tourna immédiatement vers Ichel, les paumettes un peu rougies par l'effort et dit :

- J'étais vraiment ravie de faire cet... entraînement avec toi mais j'ai un cours et il faut vraiment que j'y aille. Merci beaucoup, Ichel ! On pourrait peut-être se revoir ?

Et sans attendre la réponse de la marchombre, elle tourna les talons et courut vers le porche. Arrivée à l'ombre, elle se retourna une dernière fois et agita la main vers la petite silhouette de la marchombre.


[Il fallait que je conclue ce RP. Désolée... Tu rajoute un message ou bien on laisse comme cela ? ]
[Merci dans tous les cas ! ]