[Répartition] Demande d'emploi : professeur de Lettres

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Duncan arriva de bon matin devant les grandes portes de l'Académie. Le trajet s'était déroulé sans incident et il avait correctement pu réfléchir à comment il travaillerait s'il était pris dans cette Académie. Enseigner sa passion était loin d'être une tâche facile et les élèves ne seraient sans doute pas les mêmes que ceux qu'il avait suivis les cinq années précédentes. Les cours seraient sans doute différents, restait à savoir s'il devrait retourner aux bases de l'histoire, ou monter le niveau d'un cran pour arriver au niveau que les élèves avaient déjà acquis. Ce qui ne serait certainement pas le cas.. Des guerriers, des marchombres.. Seuls les dessinateurs avaient une éducation à peu près correcte. Le niveau risquait d'être assez disparate. Aussi, Duncan avait prévu la manière dont il allait enseigner, et entra confiant et calme à l'Académie.
Les bâtiments rappellaient un peu ceux d'Al-Jeit, par leur grandeur sûrement. Intérieurement, il était gêné. Le faste de cet endroit lui rappellait sa propre petitesse, et ce n'était pas pour le réjouir. Toutefois, il s'éclaircit la gorge et continua son chemin, avec distinction qu'il n'utilisait que devant les autres.

Quand il arriva devant une porte qu'il pensait être celle de quelqu'un qui pourrait le renseigner, il frappa deux coups polis, et attendit patiemment que l'on vienne lui ouvrir.
Les quelques secondes qui suivirent lui permirent de reprendre un peu son calme. Espérant sincèrement qu'il parlerait à quelqu'un de cultivé, ou tout du moins de plus raffiné que les brutes qu'il avait aperçues à garder l'entrée, Duncan rajusta son col de chemise, et passa pensivement les doigts dans son bouc, pour se rassurer.
Il ne pouvait qu'être pris. Pourquo le refuserait-on ? Il avait bonne réputation et il avait ouï dire d'un certain manque de professeurs distingués dans cette Académie...

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Jehan soupira et glissa une main pensive dans sa courte chevelure impeccablement coiffée, las. Les cernes violettes sous ses yeux témoignaient d'une longue nuit blanche passée à se débattre avec une paperasse moins fastidieuse que d'ordinaire, mais cependant bien plus problèmatique, comme certains pamphlets péremptoires contre l'Académie émanant de personnalités bien plus éminentes que de simples parents d'élèves furieux.. sans compter qu'une partie de cette nuit décourageante avait été employée à chercher dans tout l'établissement un rêveur capable de soulager une élève blessée lors d'une sortie, la maîtresse dans ce domaine ayant dû s'absenter. Oui, l'établissement traversait une bien mauvaise passe.. entre le manque navrant d'élèves prometteurs, le départ de professeurs craignant d'être entraînés dans la déchéance et la situation stagnante, l'Intendant ne savait quel problème il aurait préféré affronter de face. D'autant plus qu'il devait reconnaître avec amertume que le retour du Merwyn n'avait rien arrangé, au contraire.

Un "toctoc" décidé l'arracha à ses réflexions moroses; comme aucun des magisters ne venait plus l'aider dans ses réflexions depuis plusieurs semaines et qu'il y avait longtemps qu'aucun n'élève n'avait franchi cette porte, Jehan haussa un sourcil mais concéda néammoins un "entrez" méfiant.
L'homme qui poussa le battant devait avoir derrière lui une trentaine d'années. L'élégance de sa mise et l'ineffable impression d'avoir affaire à un homme particulièrement cultivé plurent d'emblée à l'Intendant qui se sentit immédiatement soulagé: un aspirant professeur, peut-être ? Pour ne pas encourir de désillusions trop cruelle, Blacksad se morigéna: sans doute un parent de nobliaud exaspérant qui se déplaçait en personne pour s'indigner et faire valoir sa maîtrise du pas sur le côté. Mais Jehan ne put retenir un petit sourire appréciateur lorsqu'il salua:

- Bonjour.. que puis-je pour vous ?

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Le ton de voix qui fut employé pour l'inviter à entrer intrigua un peu Duncan, mais celui-ci ne s'en tracassa pas et entra de lui-même dans la pièce, après avoir passé une dernière fois la main sur son bouc, pour le lisser un maximum.
La salle dans laquelle il était entré semblait être celle de l'Intendant, à en croire les piles de dossiers qui s'entassaient sur le bureau d'un air précaire. L'homme qui était assis derrière le meuble avait un air las, et des cernes soulignaient les yeux voilés par un apparent manque de sommeil. Avait-il donc tant de travail qu'il n'en trouvât plus le sommeil ? Ce que Duncan nota de positif était l'élégance qui entourait cet homme. Ses gestes étaient plus raffinés que les personnes qu'il avait préalablement rencontrées, et lorsqu'il lui demanda l'objet de sa venue, le ton qu'il employa n'était brutal en aucun point. Au moins, c'était quelqu'un de fin qui était aux commandes de l'Académie, c'était un bon point. Et même si cet homme n'était pas le Magister, il devait tout de même être quelqu'un d'influent dans l'école.
Le sourire fut pour le rassurer, et c'était avec confiance que Duncan s'avança vers le bureau de son interlocuteur, tendant la main par politesse. Après s'être éclairci la gorge, le jeune homme s'assit sur la chaise qui lui était proposée, et prit la parole d'un ton poli et respectueux :

- Je me nomme Duncan Cil' Eternit, et je cherche actuellement un poste d'enseignant au sein de cette Académie. Il m'est apparu que vous pourriez m'aider... J'aimerais me présenter au poste de professeur de civilisation et de lettres, si cela ne pose pas de problèmes.

Intérieurement, il espérait de tout son coeur que le poste n'était pas déjà pris, car la perspective d'avoir à enseigner autre chose que la littérature et l'histoire n'était pas pour lui plaire ; le cas échéant, il partirait certainement.

- Aurais-je l'honneur de savoir à quoi je tiens conversation ?

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Dès lors, le sourire ne quitta plus les lèvres de Jehan. Un enseignant, c'était bien un enseignant ! ~~Gloria alléluia !~~ Il en oublia même son sens de l'ironie naturel qui lui aurait en temps normal poussé à répliquer en écho à la dernière phrase de l'homme quelque chose comme "c'est écrit sur la porte". Cela lui semblait même un peu bas, en cet instant: après tout, il n'avait pas affaire à un de ces adolescents écervelés persuadés d'être uniques ou à ce fichu cuisinier sempiternellement en retard. Non, ce jeune lettré possédait un certain sens des convenances aussi rhétoriques que vestimentaires, et puis peut-être était-il un peu perdu. Evoluant toute la journée dans ce célèbre environnement, Blacksad avait tendance à oublier que cet établissement mystique pouvait intimider même les plus méprisants.

- Je suis Jehan Hil'Jidwin, l'Intendant de cette académie. Vous êtes le bienvenu, nous manquons justement de professeurs. Le poste est libre, bien sûr.

S'apercevant de la précipitation qu'il avait mis dans ses mots, l'homme s'arrêta, pris de doute: son interlocuteur allait-il percevoir en ces phrases que le si réputé bastion merwynien était au bord de la crise ? Et surtout, -car cela, il le découvrirait bien assez tôt- est-ce que cette prise de conscience suffirait à le rebuter ou, plus tard, à entraîner sa démission ? Il décida de passer certaines choses sous silence.. pour le moment.

- Avez-vous en votre possession un dossier, quelques papiers attestant de votre compétence en la matière ? Vous comprendrez bien que nous ne pouvons nous permettre d'engager n'importe qui.

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La pression qui s'était vaguement installée dans le ventre du jeune homme partit d'un même ensemble avec l'agitation. Il était accepté, et le poste qu'il avait demandé à prendre était libre. Cependant, quelque chose se mêlait avec cette satisfaction de pouvoir enseigner à l'Académie de Merwyn ; le fait qu'il y avait une pénurie de professeurs dans cette célèbre école n'était pas non plus pour rassurer Duncan. Pourtant, la réputation de l'Académie n'était pas en chute. Peut-être était-ce manque d'élèves, un peu intriguant, dans les bâtiments.. Oui bien l'impression que quelque chose s'était produit.
Néanmoins, il ne chercha pas à en savoir plus, convaincu que de toute manière il le saurait bien assez tôt, et reporta son attention sur la conversation.
Duncan fronça une fraction de seconde les sourcils. N'avait-on pas confiance en sa compétence, ou bien était-ce dans son identité ? Heureusement qu'il avait emmené dans ses affaires tous les papiers nécessaires à prouver les deux, sans quoi il aurait été embarassé.

-Oui, bien sûr, je comprends.

Et partit en exploration dans son sac, pour en ressortir un feuillet de couleur indéfinissable, contenant tous les documents attestant de son enseignement à l'Académie d'Al-Jeit. Il en sortit une feuille à peine cornée, qu'il tendit à l'Intendant pour qu'il la lise. Ce bout de papier était un CV, qui le suivait partout où il allait, confirmant ses études et son travail.

- Pour vous résumer, après avoir fini mes études d'histoire et de littérature, j'ai enseigné cinq ans à l'Académie d'Al-Jeit.

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Si Jehan mit peu de temps à parcourir le feuillet des yeux, ce fut avec bien plus d'attention que pour les sempiternels résultats aux trois défis ou lettres de reproches. Ce qu'il vit le conforta dans sa satisfaction: études relativement brillantes, enseignement dans une école des plus prestigieuses, pas de problème important relevé, bref, un cursus plus que satisfaisant. Avec un hochement de tête approbateur, il rendit précautionneusement le cv à son propriétaire.

- Bien, bien, vous êtes engagé. Je ne vous cacherais pas que l'arrivée de nouveaux professeurs -compétents, surtout- se fait rare, ces temps-ci, c'est la Dame qui vous envoie..

Oh non, il n'allait pas recommencer ! Furieux contre lui-même, l'Intendant balaya son pessimisme latent de ce geste efféminé de la main qui lui était propre et reprit d'un ton plus jovial:

- Mais je ne vais pas vous ennuyer avec notre sombre cuisine interne. Vous logerez au deuxième étage de l'aile est dans les appartements de votre prédécesseur -vous trouverez facilement l'entrée, c'est la seule porte du niveau où aucun nom n'est gravé. Avez-vous des questions en ce qui concerne les élèves, les conditions de travail ? Ou n'importe quoi d'autre ?

N'importe quoi d'autre pouvant être compris comme la promesse qu'on ne lui cacherait rien s'il désirait confirmer ses probables soupçons. Mais à vrai dire, Jehan espérait qu'ils n'allaient pas en arriver là..

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A l'annonce définitive de l'Intendant Jehan Hil' Jidwin, Duncan ne retint pas plus son sourire, et songeait déjà aux futurs cours qu'il administrerait aux élèves de cette Acaémie réputée. Calmant ses ardeurs le temps d'écouter l'Intendant continuer d'un ton plus jovial, l'homme nota précieusement dans sa tête la location de ses appartemments, dont il irait prendre possession dès sorti de ce bureau. Cependant, il ne pouvait s'empêcher de repenser à ce manque de professeur, et était étonné qu'il n'y eut qu'une seule porte sans nom gravé sur le linteau. Mais peut-être se trompait-il simplement.. Et en se qui concernait ses futurs cours ou le fonctionnement de l'Académie, il avait déjà suffisamment réfléchi pour être à même de se débrouiller les premiers temps. Aussi, lorsqu'il reprit à son tour la parole, ce fut pour dire :

- Je n'ai pour le moment aucune question à vous poser, je vous remercie. L'Académie semble être d'une complexité rare, mais j'ai l'habitude de bâtiments fastueux, aussi devrais-je pouvoir me débrouiller pour les premiers jours.

Quand il eut fini, il se releva avec distinction, et repoussa la chaise à sa place initiale, comme il avait l'habitude de le faire. Son attaché-case sous le bras, il serra la main de son interlocuteur cordialement.

- Merci, Jehan Hil'Jidwin, de m'avoir accordé un peu de votre précieux temps. Nous nous reverrons sûrement, je n'en doute pas. Passez une bonne journée.

D'un pas tranquille, empli d'une confiance et d'une conviction nouvelle, Duncan prit la direction de la porte, et sortit de son bureau, avec la ferme intention d'enseigner son art aux élèves au plus tôt.

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