(==> Suite de: Salle des lectures; "Comme une lame")
Elle courait. Toujours plus vite, toujours plus en avant. Elle se fichait éperdument des branches qui lui éraflaient le visage, déchirait sa tunique et marquaient ses jambes d’estafilades. Elle ne prêtait aucune attention à la végétation qui lui faisait barrage, elle ne réussissait en aucune manière à ralentir sa course. Son coeur était déchiré, pris dans un étau dont elle ne pouvait pas se libérer. Sa vue était embuée, floue, elle ne voyait qu'à peine où sa course la menait, sa respiration était difficile. Elle se voyait mourir, du moins l'aurait-elle préféré, mais il n'en était rien. Elle soufrait, elle était mutilée, comme écorché vive. Il fallait qu'elle s'échappe, qu'elle fuie cette douleur. Courir, encore et encore, comme le soir où elle s'était échappée. Elle se souvenait maintenant de quelques brides de sa course. Il n'y avait alors pas de lune, le contraire de ce soir clair comme l'eau pure d'une rivière...
Augmentant sa vitesse autant qu'elle le pouvait, elle continua à s'enfoncer dans les bois, ne pouvant même plus retenir ses larmes, qui s'échappaient malgré elle. Elle devait la voir! Elle devait voir Blanche! La serrer contre elle, lui dire, lui parler dans cette langue qui se passait de mots. Un coup d'oeil vers le ciel lui indiqua que c'était la pleine lune, elle serait là de toute façon, c'était forcé! Elle l'avait sentit, depuis quelques jours. Elle avait sentit qu'elle était là, n'avait pas osé y croire. Avait-elle tord? Raison? Non, elle n'avait plus de raison, avait même oublier son propre nom, sa propre identité. Elle sauta aisément par dessus une bûche de bois qu’elle aurait désiré percuter de plein fouet, roula ses hanches pour éviter une branche à moitie morte dirigée vers le ciel, se baissa souplement pour éviter une autre qui passait totalement à l'horizontale. Elle réagissait plus par instinct que par la vision approximative de ces obstacles.
Et tout à coup sans prévenir, la forêt s'arrêta net, laissant une clairière s'étendre sur une bonne dizaine de mètres, avant de reprendre de sa végétation et allé grignoter le pied des montagnes sur sa droite.
Julia se figea. Elle était essoufflée, plus de panique intérieur que par la course qu'elle venait d'effectuer. La mort la pressait, elle la repoussait, le plus loin possible. Elle ne voulait pas se souvenir, elle ne voulait pas savoir, elle ne voulait pas admettre, pas maintenant, pas encore… Ce n'était qu'un cauchemar, un horrible cauchemar qui ne feras que la laisser épuisée au matin. Mais cette lettre dans sa main! Elle disait tout!
Ses jambes l'abandonnèrent, elle tomba à genoux, au sol. Sa vue était totalement brouillée, sa poitrine se soulevait difficilement et ce qui se tramait en elle la broyait, la déchiquetait. La rage au corps, elle tomba vers l'avant, sur ses mains, enfonça ses doigts profondément dans la terre et serra longtemps, comme elle serrait les dents à pouvoir les briser.
Aucun son ne sortait d'elle. Pas de plainte, pas de gémissement, pas de hoquet qui puisse traduire ses sanglots, rien. Le silence. Un silence, profond, oppressant ; un silence de douleur, de panique. Elle aurait voulu hurler, extirper cette horreur d'elle même, ce chagrin, cette mort qui la rongeait depuis tant d'année. Mais elle ne pouvait pas! Elle ne pouvait pas!
*Je ne peux pas! * Ses lèvres avaient mimé ces mots, mais aucun son n'était sorti de sa bouche, à peine un soupir. Elle était murée dans le silence. Dans une prison qu’elle ne connaissait que trop bien.
La pression de ses doigts se relâcha, ainsi que tout son corps, comme si tout son être s'était soudainement résigné.
« _Même les choses les plus belle s'en vont un jour. _ Pourquoi? _C'est ainsi ma fille, la vie ne dure qu'un temps, la perte et la mort de certaine choses est naturel, elle aide à faire grandir ceux qui doivent rester. _ Et toi tu resteras toujours, hein? _ ... _ Hein? _ Non, même moi je partirais un jour, c'est normal. _Oh que non, tu ne partiras pas! Je t'en empêcherais!_
Sourire
_ Ne retient personne quand ce sera le moment, ma fille, cela voudra dire, que c'est le temps, pour elle. On ne peut pas empêcher le vent de souffler, ni retenir l'air ou saisir la brume. De la même manière, personne ne pourra empêcher quiconque de partir quand il sera temps. _ Pourquoi? _ Ma fille… quand le moment sera venu pour moi de te quitter, tu sera alors devenue une merveilleuse jeune femme. -Sourire à nouveau, une lueur de résignation dans des yeux bleus- Seigneur ! Pourquoi faut-il que ma seule fille grandisse aussi vite, et me pose déjà ce genre de question ? Vois-tu, nous sommes une famille. Comprend-tu cela ? Quand je m’en irais, quand toute les personnes en qui tu a fois, toute ou je l’espère seulement certaine… leur voyages ne s’arrêteras pas là… Je serais toujours ton cœur mon enfant, ils seront toujours ton cœur. Toujours… »
Julia rouvrit les yeux. Il pleuvait doucement, et ses larmes qui coulaient encore, se confondaient avec l'eau de la pluie. Elle était allongée sur le sol, sa joue droite baignait dans la boue. Elle ne bougea pas, pris conscience qu'elle avait froid, mais resta immobile. Combien de temps était-elle restée ainsi? Où était Blanche? Où se trouvait-elle elle même? Sa course lui revint en mémoire, elle ferma à nouveau les yeux.
Une caresse sur son bras la fit frémir. C'était elle. Son coeur fit un bon dans sa poitrine alors que son amie se pressa contre elle pour lui offrir de sa chaleur.
_Elmila, estun... miréva mavèrsdu... (Te voilà ma belle... tu m'a manquée)-chuchota-t-elle doucement en plongeant ses doigts dans la fourrure grise de la louve. Celle-ci enfouit son museau dans le coup de la jeune fille, prés de sa joue. Mélédine espirès komévom... éf tumirmala... (Je savais que tu viendrais... que tu étais là...) Elcontèss hèd... elmédress elcontèss!miridril mènd... miril mèn, Elimèss ! (J’ai mal ici-elle pose sa main sur son coeur- tellement mal! Je me sens mourir... je meurt, Blanche...)
La louve se roula en boule contre elle et gémis légèrement. Julia posa doucement sa tête sur son flanc ferma les yeux, paisiblement, alors que son ami déployait son cris nocturne faiblement.
« Je serais toujours ton cœur mon enfant. Toujours… »
Elle était là maintenant, Blanche était là, tout irais bien.
L'esprit embrumé, la jeune fille s'assoupit, alors que la pluie continuait à répandre ses gouttes légères et froides.
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