Le tournoi de la Citadelle | Pv Cymoril Nil'Rhegar

Il lui semblait que ses journées suivaient inlassablement le même schéma. Un réveil en sursaut, trop tôt dans la matinée, dû à ses cauchemars ; des heures passées à essayer de retrouver le sommeil, puis le lever, le travail, les repas, les promenades nocturnes entre les murs de pierre de la cité d'Al-Poll, le retour tardif au foyer, et à nouveau, le repos agité. Enelyë avait l'impression d'être prise dans une spirale sans fin. Si ses Spires prenaient cette même forme, au moins pouvait-elle en sortir lorsqu'elle le désirait, ce qui n'était pas le cas de cette affreuse routine.

Aussi, lorsqu'elle avait entendu parler du tournoi à la Citadelle des Frontaliers, elle avait décidé de s'y rendre. Non qu'elle pense pouvoir participer face aux guerriers expérimentés, d'autant moins si le Dessin lui faisait défaut, mais elle voulait quitter son train-train quotidien quelques temps, voir quelque chose de nouveau. Elle se cacherait dans les gradins, observerait – applaudirait de temps à autres, assisterait calmement à la réception qui suivrait les épreuves, puis repartirait comme elle serait arrivée, et retournerait à sa vie habituelle.

*

Elle se sentit stupide. Si à Al-Poll, ils étaient quelque peu protégé du froid des montagnes, il n'en était pas de même à la Citadelle, et elle ne l'avait pas anticipé. Elle resserra sa cape, serrant les dents – elle avait tenté un pas sur le côté, simplement, pour aller chercher quelque chose de plus chaud, mais elle s'était très vite souvenue qu'elle ne pouvait pas le faire. Sans le Dessin, elle avait la désagréable impression d'être incomplète. Et pire que tout, désarmée. Elle ne comptait que sur le Dessin – et cela finirait par lui faire défaut. Dans le grand hall, quelques-uns de ses camarades d'Al-Jeit l'avait aperçue et lui avaient presque sauté dessus, lui demandant pourquoi elle avait disparue si soudainement, ce qu'elle avait fait, ce qu'elle faisait à présent. Ils lui avaient demandé si elle était retournée à l'Académie de Merwyn – elle en parlait d'une manière si enthousiaste qu'ils s'y seraient attendus. Ils parurent légèrement étonnés lorsqu'elle leur annonça qu'elle travaillait simplement à la boutique Ril'Enflazio d'Al-Poll – mais ils promirent de venir y faire un tour.

Elle n'osait pas retirer sa cape, de peur de sentir le froid mordre ses bras nus. Bien qu'elle soit toujours à l'intérieur de la Citadelle, elle avait déjà froid – elle avait toujours été très frileuse. Elle songea cependant que les guerriers qui vivaient ici, et portaient leurs armures en quasi-permanence, devaient eux être en nage dès les premières heures de la journée. Elle avait déjà tenu un heaume, avait déjà soupesé des épaulières – elle était sûre de s'effondrer si jamais elle devait se vêtir de tels apparats. Quelque part, une trompette se mit à résonner : le tournoi commençait. Enelyë se mêla à la foule, traversant les longs couloirs pour arriver dans la cour de la Citadelle. Elle fut aidée par un jeune homme pour grimper sur les gradins qui avaient été montés spécialement, et elle le remercia doucement, les yeux baissés. Il discuta un peu avec elle, et elle se laissa guider – s'installa à côté de lui. Mais le brouhaha général ne lui permettait pas vraiment de se concentrer sur ses paroles. Puis les trompettes retentirent à nouveau. En bas, un Seigneur d'un certain âge, à cheval, paradait fièrement sous les applaudissements, avant de prendre la parole.

- Bonjour à tous ! Bienvenue à ce tournoi organisé en l'honneur de notre Seigneur, dit-il en se tournant vers les places centrales. Comme vous le savez sûrement, il s'agit de son anniversaire, et comme tout les ans, nos valeureux – et valeureuses – Frontaliers vont s'affronter dans des joutes ! Je ne vous en dis pas plus et vous laisse savourer la surprise ! Faites vos paris, et que la partie commence !

Enelyë applaudit, enthousiasmée par l’allégresse générale. Les jouteurs commençaient à apparaître, les uns après les autres, comme pour se présenter au public. Ils éblouissaient la jeune Dessinatrice. Ce n'était pas tant leur prestance, que la force qu'elle pressentait, qu'elle sentait émaner d'eux, qui l'impressionnait. Sans doute pouvaient-ils sans mal s'élever contre des Dessinateurs. Après tout, ils étaient des guerriers, ils devaient sûrement savoir comment éviter les embuscades. Elle admirait les Frontaliers, elle devait bien l'avouer, comme elle avait admiré les guerriers de l'Académie de Merwyn et les soldats qu'elle avait connu jusqu'ici.

Puis ils se séparèrent, certains partant à droite, d'autres à gauche, afin de s'affronter dans des joutes équestres. Sous les heaumes, Enelyë eut de la peine à reconnaître les chevaliers et les jouteuses qui paradaient splendidement quelques instants plus tôt. Elle sentit le jeune homme tirer sur un pan de sa cape et elle se tourna vers lui.

- C'est Dame Cymoril Nil'Rhegar, de ce côté, et Sieur Braden Sil'Homiran de celui-ci.
- Oh… merci pour ces précisions, répondit-elle en souriant.

Elle avait fait abstraction de son existence jusqu'ici, tant son attention avait été obnubilée par le tournoi qui se préparait. Elle ferma les yeux l'espace d'un instant et lorsqu'elle les rouvrit, la joute était lancée.