Random title [Terminé]

Il avait réussi à la convaincre. Ce petit mécréant de rêveur avait réussi à la convaincre. Elle allait rendre visite à Lehya. Selon ses propres mots, ça lui ferait prendre l'air, et aujourd'hui il ne pouvait pas s'occuper d'elle parce qu'il devait réviser. Comme si elle avait besoin qu'un homme, enfin presque plus un adolescent, prenne soin d'elle. Bon, il l'avait fait des mois durant. Mais quand même, elle pouvait s'occuper une journée à la Confrérie sans lui. Même si Amarylis lui avait dit qu'elle n'avait pas besoin d'elle non plus. Apparement plus personne n'avait besoin d'elle. Et puis, s'il arrêtait de passer son temps dans les jardins ils n'auraient peut-être pas besoin de passer une journée entière à réviser. Même si elle, elle y avait passé des mois, et qu'elle ne pouvait donc pas vraiment lui reprocher quoi que ce soit. Il faisait beau, elle pensait qu'ils allaient aller manger des framboises ensemble, parler anatomie, guérison par les plantes. Quelque chose comme ça.

Il lui avait dit qu'elle pourrait bien rendre visite à Lehya. Et elle s'était sentie un peu honteuse. Elle avait à peine remarquée son absence. Oh, elle avait l'habitude de la croiser souvent, et elle s'était bien rendue compte qu'elle ne la croisait plus vraiment, ou plus du tout en fait. Elle avait vaguement entendu dire qu'elle était partie étudier quelque chose, en rapport avec les animaux surement. Comme toujours. Mais n'avait pas approfondit le sujet plus que ça. Ça ne l'avait pas étonné. Après tout, ce n'était pas comme si elles étaient proches. Elles ne se connaissaient que vaguement. Il lui avait donc raconté qu'elle était dans une ferme, et comment y aller. Et il était reparti à ses études.

Ça avait suffit à la convaincre. En plus, en fouinant dans la bibliothèque l'autre jour elle était tombée sur un vieux livre traitant de l'anatomie des animaux. Bien caché, très mal rangé surtout, Lehya ne l'avait peut-être pas lu. Et si elle connaissait quelque chose d'elle c'était bien qu'elle s'intéressait à ce genre de chose. Elle avait suffisament souvent eu l'occasion d'apercevoir le titre de l'un de ses livres pour s'en rendre compte. Elle s'était emparée du livre, l'avait glissé dans sa vieille besace, était allée chercher quelques framboises pour le chemin, et était partie.

Elle s'était donc rendue à la ferme. Les explications d'Eliott s'étaient étonnament révélées utiles, et elle l'avait trouvé sans trop de problèmes.
Elle n'aurait pas su dire depuis combien de temps elle ne s'était pas autant éloignée de la Confrérie, en dehors du tour sur le dos du Puma, et du pas sur le côté d'Enelyë. Elle n'aurait pas su dire depuis combien de temps elle avait fait un trajet plus important que Confrérie-Académie, Académie-Confrérie, seule. Elle se retrouvait de nouveau dans sa solitude. Mais pas celle qui la prenait lorsqu'elle était à la bibliothèque, une solitude agréable. Pour une fois. Ça changeait.

Il ne restait plus qu'à trouver Lehya.

Lehya avait fait de nets progrès avec Sanaël. Le petit agneau la reconnaissait à présent, et venait la voir dès qu'elle entrait dans le champ. Elle avait découvert le meilleur moyen de l'appâter : une grosse poignée d'herbe. Elle trouvait l'animal un peu stupide, parce qu'il avait de l'herbe à disposition rien qu'en baissant la tête, mais enfin, elle n'allait pas s'en plaindre. Elle continuait ce matin son croquis en s'attaquant cette fois à la tête de l'animal. La rêveuse l'avait d'abord croqué rapidement, mais l'agneau avait simplement essayé de manger la feuille lorsqu'elle lui avait demandé ce qu'il en pensait.

Quelqu'un l'appela, depuis la ferme et elle rangea ses affaires dans sa sacoche avant de reprendre ses béquilles et d'aller voir ce qu'il se passait.

- Vous m'avez appelée, Monsieur Tomas ?
- Ah, Lehya ! June est venue me dire que tu t'étais bien occupée de leur chien quand tu es passée au moulin. Du coup elle t'as apporté ça.

Monsieur Tomas lui tendit un panier rempli de framboises, et Lehya ouvrit grands ses yeux de chat. Elle sourit. Elle trouvait ça très gentil de la part des gens du moulin. Elle ne manquerait pas d'aller les remercier la prochaine fois qu'elle y passerait. Elle se demanda un instant si les moutons mangeaient des framboises, et elle se hâta de vérifier dans son carnet, l'anse du panier autour de son coude. Lehya avait fini par acquérir un très bon équilibre et pouvait donc tenir comme ça, debout, pendant quelques minutes, même si elle gardait la béquille sous le coude là où il lui manquait une jambe.

- Ah, Sanaël ne pourra pas en manger, se dit-elle pour elle-même. Tant pis, ça en fera plus pour moi.

Elle reprenait son chemin quand elle pensa soudain qu'elle pouvait peut-être, éventuellement, en distribuer aux fermiers, et en donner aux autres rêveurs. Le panier risquait de faire un peu juste pour tout ce petit monde, aussi se décida-t-elle à n'en donner qu'à ceux qu'elle croiserait en retournant s'occuper de la tête de son agneau. C'était un mâle en plus, ce petit chou. Elle ne savait pas au bout de combien de temps les cornes poussaient et se dit soudain que c'était un détail important sur lequel elle devait se renseigner.

Lehya fit donc volte-face pour se diriger à nouveau vers la ferme de Monsieur Tomas. Lorsqu'elle entra, il discutait avec une personne devant lui. Il était si grand et si ... volumineux, qu'il cachait entièrement la jeune femme à qui il parlait. En entendant les béquilles, il se tourna vers elle, et il sourit.

- Quand on parle du loup !

Elisha lui adressa un sourire, et elle le lui rendit gentiment, en s'approchant doucement.

- Bonjour Elisha. Tu vas bien ?

C'était grand une ferme. Peut-être pas plus que la Confrérie mais... La Confrérie elle s'avait comment elle s'organisait. La Confrérie, si tu ne la connaissais pas, on t'accueillait à l'entrée et on t'expliquait. Il fallait ausis avouer que la Confrérie était en partie faite pour acceuillir des étrangers, des blessés. Et que ce n'était pas le but d'une ferme. Mais elle n'en était pas plus avancée. Ou devait-elle aller ? Ou pourrait-elle la trouver ? Est-ce que si elle demandait à la première personne sur laquelle elle tombait, on lui expliquerait ? Et où est-ce qu'elle pourrait trouver quelqu'un, elle ne voyait rien d'autre que des animaux pour l'instant.

Elle s'avança timidement, ne sachant pas trop si elle devait tenter de parler fort pour que quelqu'un lui réponde, ou si, au contraire, ça risquait d'énerver les animaux. Elle continua d'avancer à l'aveuglette jusqu'à, qu'enfin, elle tombe sur quelqu'un. Enfin, sur un géant plutôt.

- Euuuh... Bonjour. Pardon... Je cherche Lehya. Lehya Jinwa, une rêveuse ?

Il avait beau être un géant et travailler dans une ferme, il l'accueillit avec un grand sourire. La prenant sous son aile, il l'emmena vers l'intérieur. Où il commença à lui poser 50 questions.

T'es une amie de Lehya ? T'es une rêveuse aussi ? Tu la connais de la Confrérie c'est ça ?

Il était fort aimable, il n'y avait aucune méchanceté dans son temps, mais il était humainement impossible d'y répondre. Il parlait bien trop vite. Elle s'apprêtait à tenter d'y répondre malgré tout, par politesse, lorsqu'un bruit de béquille les interrompit. Elle aurait presque oublié que Lehya portait des bequilles maintenant. Elle se sentit un peu honteuse tout d'un coup. Malgré tout elle lui sourit, et la jeune femme s'approcha lentement d'elle. Timidement ?

- Oui, très bien, et toi ? Oh ! Tu as le bonjour d'Eliott d'ailleurs. Il est désolé de ne pas avoir pu venir aujourd'hui, il devait réviser.

Faisons connaissance veux-tu ? Ça pourrait être bien après tout ce temps.

Le fermier qui s'avérait s'appeler Monsieur Thomas les laissa seules pour qu'elles puissent discuter tranquillement. Elle était un peu gênée à vrai dire, elle la connaissait si peu qu'elle ne savait pas quoi dire.

- Alors. C'est comment la ferme ? Ça te plait ?

Pourquoi ne pas commencer par les banalités ?

Lehya s'avança vers Elisha, un peu timidement peut-être. Elle ne la connaissait pas très bien. Elle savait qu'elle passait beaucoup plus de temps qu'elle à la Bibliothèque, et qu'elle était amie avec Eliott, mais rien de plus, au final. Elle la salua, lui demandant comment elle allait. C'était plus par politesse qu'autre chose, mais après tout, Elisha devait venir pour une raison. C'était peut-être l'occasion d'apprendre à la connaître.

Elisha lui retourna sa question, ajoutant que Eliott révisait, ce qui était la raison de son absence.

- Ce n'est pas grave, il est déjà venu trois fois depuis que je suis ici.

Elle se dirigea vers le salon lorsque Monsieur Tomas repartit, sûrement pour s'occuper des chevaux. Elles seraient plus à l'aise pour discuter une fois assises - surtout elle. Aussi fut-elle suivie par Elisha jusqu'aux canapés. Lehya s'était demandé, dès son arrivée, où ils se les étaient procurés, mais après tout, la ferme de Monsieur Tomas était immense, il devait avoir de quoi payer des sièges aussi confortables. Ce fut la rêveuse rousse qui lança la discussion, lui demandant si elle se plaisait à la ferme.
Lehya posa le panier de framboises entre elle et Elisha, l'invitant d'un geste à se servir si elle en voulait.

- C'est très différent de la Confrérie, mais ... oui, je m'y sens bien.

Les rêveurs avaient tendance à rester chacun dans leurs coins lorsqu'ils ne devaient pas soigner un gros groupe, chacun s'occupant de ce qu'il voulait. L'atmosphère de la ferme était bien différente : ici, tout le monde se parlait, s'entraidait et avait une tâche à accomplir. Ici, ils prenaient le temps d'apprendre à se connaître, tous.

- Les rêveurs qui viennent ici doivent tous s'occuper d'au moins un animal ! J'ai reçu un petit agneau. On pourra aller le voir plus tard, si tu veux.

Ses yeux de chat devaient sans doute briller un peu. Elle attrapa une framboise, réfléchissant à ce qu'elle pouvait dire d'autre. A vrai dire, elle ne savait pas ce qu'elle pouvait dire de plus. Elle était ici depuis seulement trois semaines, et si quelque chose d'important s'était passé à la Confrérie, Eliott le lui aurait déjà annoncé. Oh, d'ailleurs ...

- Eliott m'a dit que tu étais passée au quatrième cercle ?

Elle n'avait pas trouvé mieux, pour essayer de continuer la conversation, pour qu'elle ne s'éteigne pas comme une flamme fragile.

Ça faisait combien de temps que Lehya était à la Confrérie ? Un an, deux ans ? Cinq ? Bon, elle s'était absentée pendant une période. Mais même ça, elle n'aurait pas pu dire pendant combien de temps elle s'était absentée. Elles s'étaient croisées pendant si longtemps, sans jamais vraiment se parler, sans jamais vraiment se fréquenter, sans jamais vraiment s'adresser la parole. Elles étaient toutes deux amies avec Eliott. Bon, Eliott était ami avec tout le monde en même temps. Il aurait peut-être même été capable d'être ami avec Elio. Oui, non, peut-être pas quand même en fait. Il y avait des limites.

Elle suivit Lehya, s'asseyant à ses côtés, et sourit en voyant les framboises : décidemment, elle allait en manger finalement.

Ça l'intéressait finalement, la vie en dehors de la Confrérie. Elle l'écouta en silence, décidant qu'elle aurait tout le temps de lui parler du livre plus tard. Il était tôt, elles avaient encore du temps devant elles, elles pouvaient bien discuter un peu non ? Et puis, ça faisait tellement longtemps qu'elle était repliée sur elle-même à la Confrérie qu'elle avait un peu oublié, comme c'était à l'extérieur.

Maintenant qu'elle lui en parlait, elle se souvenait que quelques autres rêveurs d'Eoliane étaient venus ici également. Elle ne savait pas qui, elle ne savait pas depuis quand, elle ne savait même pas si elle les reconnaîtrait si jamais elle les croisait, mais elle se rappelait vaguement que Lehya n'était pas la seule rêveuse ici. Elle n'était même pas capable de dire comment elle l'avait appris. Peut-être par Eliott. Ou elle avait peut-être entendu une vague bribe de conversation au détour d'un couloir, et ça ne lui revenait que maintenant.

Ainsi elle était en charge d'un petit agneau ? Elle acquiesça vigoureusement à sa proposition. Oui, elle aimerait bien le voir, oui. Les yeux de la jeune femme brillaient, elle aimait vraiment cet endroit apparement. Tant mieux pour elle, si elle avait trouvé un endroit où elle se sentait bien, où elle était appréciée...

Elle sursauta lorsque Lehya recommença à parler. Elle avait presque oublié cela tiens.

- Oh oui, c'est vrai ! Amarylis a rendu ça officiel récemment. Vu que je ne la voyais pas trop durant un moment, elle ne savait pas trop où j'en étais. Du coup elle a annoncé ça comme ça l'autre jour, sans même me prévenir à l'avance d'ailleurs !

[Pardon, je fais pas trop avancer, plus de place ]

Elisha acquiesça lorsqu'elle lui demanda si elle voulait aller voir l'agneau plus tard, et cela fit sourire Lehya. Cet endroit était tout de même quelque chose de vraiment agréable pour elle. S'occuper de Sanaël, discuter plus ou moins timidement avec les autres personnes qui habitaient ici, l'empêchaient de s'intéresser uniquement à ses propres problèmes. Personne ne la regardait bizarrement à cause de ses yeux où à cause de sa jambe. Ici, tout le monde avait ses défauts physiques mais tout le monde trouvait ça normal.

Puis elle enchaîna, continuant la discussion entre deux framboises. Les nouvelles qu'Eliott lui rapportaient parfois allaient certainement être utiles. Elle ne connaissait pas bien Elisha, ne savait pas ce qui l'intéressait et ne voulait pas l'ennuyer. Elle se contenta donc de sourire lorsque la Rêveuse rousse lui indiqua qu'Amarylis avait rendu public son passage s'en même l'en avertir.

La porte massive s'ouvrit, laissant la place à un Rêveur blond, qui venait lui de Fériane. Il s'était installé un moment chez les Frontaliers, mais ne s'y était pas senti à l'aise, ce qui l'avait poussé à trouver un autre endroit.

Il semblait à la fois mal à l'aise et paniqué.

- Lehya, tu devrais aller voir Sanaël. Il est possible que Céleste l'ait attaqué ... On les a séparé mais -

Elle ne l'avait pas écouté jusqu'à la fin ; elle avait attrapé ses béquilles et s'était précipitée vers la sortie. Elle savait que Céleste était assez agressive en ce moment, à cause de ses bébés. Et une vache contre un agneau, ça ne donnait rien de bon, en général. Enfin, au moins Sanaël était-il en sécurité. Ils avaient sûrement commencé à le soigner, pour éviter qu'il ne souffre trop.

Elle s'agenouilla à côté de son petit protégé, qui semblait aller plutôt bien, si ce n'était qu'il boîtait. Sa patte arrière gauche avait été endommagée. Lehya le caressa gentiment, pour qu'il se laisse soigner. Elle déroula son rêve, prenant tout de même la précaution de faire un bandage serré. Elle n'avait rien demandé au Rêveur sur les circonstances, mais elle le savait un peu tête-en-l'air. Elle se releva, soupira, puis se tourna vers les deux autres, qui l'avaient suivie, semblait-il.

- C'est bon, ça va aller ... Euh, Elisha, je te présente Sevan. Sevan, Elisha.
- Enchanté, Elisha, dit Sevan, un grand sourire aux lèvres.

Visiblement, il appréciait déjà la jeune femme rousse.

Leur tranquille discussion fut soudainement interrompu par la porte qui s'ouvra dans un mouvement brusque. La rouquine retint un sursaut. Elle ne s'y attendait pas. Elle avait l'habitude d'une vie calme. A la Confrérie, on sonnait la cloche pour toute annonce. Ça faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée dans une situation similaire. Une situation pourtant bien courante : ouvrir une porte soudainement ne sortait pas réellement de l'ordinaire de la majorité des personnes.

Mais Elisha était depuis bien trop longtemps dans un univers où tout le monde était calme. Oh, elle était souvent confronté à des urgences. Mais ils avaient tout un code précis à suivre pour prévenir des urgences. La Confrérie baignait dans le calme et les règles inchangées depuis des années et des années... Ce qui avait rendu un geste aussi simple, non-habituel aux yeux d'Elisha.

Elle ne prit même pas la peine de jeter un coup d’œil à l'impoli qui avait ainsi fait irruption, elle entendit vaguement ce qu'il annonçait, et sans plus réfléchir suivi Lehya lorsqu'elle sortit de la pièce. Elle ne savait pas trop si elle allait pouvoir être d'une quelconque aide, mais elle se voyait mal agir autrement.

Elle se fit discrète en regardant attentivement ce qui se passait autour d'elle. Soigner un animal, dis-donc elle n'était pas formée pour ça. Lehya, par contre, ça se voyait qu'elle était passionnée, qu'elle s'était renseignée, voir même entraînée. Elle n'aurait pas su comment elle-même aurait réagi dans une situation similaire. Oh, elle avait lu sur l'anatomie des différents animaux et tout ça. Mais malgré tout... Lire ne suffisait définitivement pas. Elle aurait bien été incapable de dérouler un rêve sur un agneau. Oh, elle aurait théoriquement pu. Mais ça n'aurait surement pas été une bonne idée.
Elle attendit, se surprenant à être légèrement stressée pour Lehya par la situation. Elle espérait sincèrement que tout se déroulait bien.

Elle avait presque oublié la présence du rêveur les ayant prévenues, lorsque Lehya se retourna vers eux et les présenta l'un à l'autre.

Ah, un dragueur. Elle aurait préféré continué à l'ignorer finalement. Elle fit comme elle pu pour ne pas être trop froide. De ce qu'elle savait c'était un ami de Lehya, et elle ne voulait pas la placer dans une position délicate.

- Bonjour.

Elle se racla la gorge, cherchant que faire pour lui fausser compagnie sans pour autant s'en aller, ni paraître malpolie.

Elisha avait semblé immédiatement gênée par l'attitude de Sevan, son grand sourire et ses grands gestes. Il était comme ça avec toutes les filles et Lehya se demandait si c'était simplement une manière d'être gentil ou si il voulait vraiment les attirer. Elle secoua la tête en riant un peu, mettant un coup de poing dans l'épaule de Sevan. Elle n'avait clairement pas assez de force pour faire mal à qui que ce soit, mais c'est l'intention qui compte. Il se tourna vers elle, lui lançant un regard désolé.

- Je croyais que cette fois-ci c'était ma chance ... dit-il en haussant les épaules.
- Toujours pas. Arrête d'embêter les gens qui viennent me rendre visite d'accord ? Ils sont suffisamment peu nombreux, ajouta-t-elle avec un sourire un peu triste. Bref ! Elle frappa dans ses mains, comme pour accentuer sa transition. Tu veux peut-être prendre le thé, Elisha ? Non Sevan tu n’es pas invité. Va plutôt t’occuper de la clôture de Céleste.

Elle reprit ses béquilles, posées contre la grille, et ouvrit la petite porte qui empêchait les animaux de venir grignoter dans les rangées de légumes, avant de la refermer derrière Elisha. A vrai dire, elle ne se rappelait plus vraiment de ce dont elles parlaient avant d’être interrompues. Mais c’était comme ça, la vie ici. Elle était pleine d’interruptions, d’agitation, de bruits et ... de vie, simplement. Bien loin de l’ambiance si calme et si studieuse de la Confrérie.

- Oh, je t’avais proposé de voir Sanaël, mais je ne veux pas le fatiguer ... tu sais, ils sont comme nous, les animaux. Parfois, il faut les laisser se reposer pour qu’ils récupèrent.

Elle s’en voulut un instant d’avoir dit ça. C’était évident, et Elisha était une Rêveuse aussi, elle devait savoir ce genre de chose, même sans s’occuper des animaux. Mais c’était juste ... sorti comme ça. En le réalisant, Lehya se surprit. Elle, maintenant, elle laissait échapper des phrases comme ça, sans y penser ? Qui aurait cru qu’elle pouvait même devenir bavarde ... Décidément, vivre au contact des fermiers la changeait plus qu’elle ne le pensait.

Elle n'avait décidément plus l'habitude des personnes trop enjouées. Avait-il seulement réellement tenté de la draguer ? Ou s'était-il juste montré agréable, d'une manière dont elle n'avait plus l'habitude à force de toujours côtoyer les mêmes personnes et de ne jamais tenter l'inconnu ? Ça n'avait pas l'air de déranger Lehya, son attitude. Et ce n'était pourtant pas le genre de personne à réagir... de cette façon. Elle lui donna un coup de point amical, chose étonnante venant d'elle. Cela dit, elle ne l'a connaissait qu'à peine, si ça se trouve ce n'était pas si étonnant et inhabituel que cela. Peut-être qu'elle s'était juste fait une idée totalement fausse de sa façon d'agir.

Elle avait vraiment l'air de se sentir bien ici. Elle avait trouvé un endroit où elle se sentait chez elle, où elle était acceptée pour ce qu'elle était, où elle pouvait être vraiment elle-même. C'était rare malheureusement. Trop rare.

Elisha acquiesça avec joie lorsque Lehya lui proposa un thé. Surtout si ce n'était que toutes les deux, le thé. Parce que peu importait s'il était réellement un gros dragueur ou non, elle ne se sentait pas à l'aise en la présence de ce personnage.

Elle ne savait pas trop de quoi parler, se rappelant vaguement de ce dont elles discutaient avant d'être interrompues. Alors elle attendit que Lehya se mette à parler, ce qui ne tarda pas, étonnamment. Elle se prenait à se demander si elle la connaissait si mal que ça, ou si cet endroit l'avait vraiment changée...

Oh, elle n'avait pas pensé au fait qu'elle ne pourrait pas voir Sanaël du coup, c'est vrai qu'il devait surement se reposer maintenant. Sans réfléchir, elle répondit :

- Peut-être la prochaine fois ?

Indiquant ainsi qu'elle reviendrait une autre fois, alors qu'elle n'y avait pas du tout réfléchit. C'était sorti comme ça, parce que ça semblait être ce qu'elle se devait de répondre. Et parce que, mine de rien, malgré les interruptions, malgré l'inconnu, l'inhabituel, elle ne s'était pas ennuyée, elle ne regrettait pas être venue. Elle se prenait même à espérer que le sentiment était partagé, que Lehya ne s'était pas ennuyée et ne lui avait pas tenu compagnie par pure politesse. Parce qu'elle en était bien capable. Surtout qu'elles se connaissaient peu. C'est surement ce qu'elle aurait fait, elle, si la situation avait été inversée...

Elisha lui répondit aussitôt qu'elle pourrait peut-être le voir la prochaine fois, ce qui laissa à Lehya une agréable impression. Déjà qu'elle ne prenait pas le temps de réfléchir à ce qu'elle disait, et que c'était donc spontané, et aussi le fait qu'elle envisageait de revenir. Elle se tourna vers elle, un instant, lui souriant. La vie ici devait changer Elisha de ce qu'elle vivait, mais elle semblait s'y faire. Elle poussa la porte de son épaule, comme elle avait pris l'habitude de le faire. C'était l'avantage des portes battantes.

Elle accompagna Elisha vers les fauteuils, à nouveau. Puis elle alla chercher les boîtes à thé, pour lui demander ce qu'elle préférait. Une fois qu'elle eut choisi, Lehya repartit faire chauffer de l'eau dans une théière, laissant infuser les plantes. Entre-temps, elle apporta les tasses sur la table, puis le sucre et finit par apporter enfin la théière, qu'elle laissa sur la table une fois les deux tasses remplies.

- Oh, tu veux peut-être des biscuits ? Madame Tomas en fait toujours beaucoup, ça ne les dérangera pas.

Elle oubliait parfois qu'elle était logée et nourrie, en échange du travail qu'elle effectuait ici, et que par conséquent elle avait tout à fait le droit de se servir dans les placards. Elle n'était pas encore habituée à ça. Ca ressemblait à sa maison, au final, même si beaucoup plus de personnes vivaient ici. Elle réalisa d'ailleurs qu'elle devrait rejoindre un jour sa famille, ne serait-ce que pour les voir ... Ou les inviter ici. Elle ne savait pas trop ce qui était le mieux ... Elle secoua doucement la tête, revenant au moment présent.

- J'espère que tu ne t'es pas ennuyée, aujourd'hui ... c'est très différent de la Confrérie, donc je comprendrais.

Après tout, ce n'était pas parce qu'elle se sentait bien ici que c'était le cas pour tout le monde. Au début, l'agitation l'avait un peu effrayé, mais au final, elle trouvait ça plus chaleureux, plus amical. Presque familial. Elle n'arrivait pas à considérer les rêveurs comme sa famille. Tout était trop impersonnel. Mais au moins, elle pouvait toujours essayer de s'en faire des amis. C'était déjà quelque chose d'important. C'était déjà ça.

Le sourire que Lehya lui offrit la rassura. Peut-être avait-elle réellement apprécier le temps qu'elle avait passé en sa compagnie finalement. Peut-être qu'elle n'était pas restée juste pour lui tenir compagnie, par politesse, parce qu'elle savait bien se comporter.
Elle avait tout de même du mal à se faire aux différences entre les habitudes d'ici, par rapport à la Confrérie. Elle pensait avoir une bonne capacité d'adaptation, vu qu'elle était tout de même régulièrement à l'Académie. Mais peut-être que son adaptation ne se limitait qu'à cela, de la Confrérie à l'Académie, aux rues d'Al-Poll. Elle était habituée à son petit quotidien, aux coutumes et cultures qui l'entourait, au fonctionnement de la Confrérie, et de l'Académie. Elle savait se fondre dans une foule hétérogène comme ce qu'elle pouvait trouver à Al-Poll. Mais elle avait plus de mal qu'elle ne l'aurait cru avec une autre communauté, pourtant pas si différente.

Elle resta silencieuse, suivant tranquillement Lehya. Elle choisit son thé lorsqu'elle eut à le faire, tout en se creusant la tête pour trouver un autre sujet de conversation. Elles avaient beau toutes deux être rêveuses, elles restaient malgré tout très différentes. Elle n'avait jamais eu ce problème avec Eliott, parce que c'était toujours lui qui faisait la conversation.

Elle regarda Lehya faire quelques allers-retours, acquiesça à sa proposition d'apporter des biscuits, pourquoi pas après tout. Jusqu'à ce que Lehya décide de briser le silence. Elle prit un instant avant de répondre.

- Non, du tout, fit-elle avec un sourire franc. C'est vrai que c'est différent, mais ça a l'air de te plaire alors c'est l'essentiel.

Et puis elle se rappela d'une chose. L'excuse-même qu'elle avait trouvé pour venir lui rendre visite. Elle s'empara de sa vieille besace qui ne la quittait que rarement, et en sorti le vieil ouvrage toujours un peu poussiéreux malgré le voyage.

- J'ai trouvé ça l'autre jour, à la bibliothèque. Il était mal rangé et un peu caché, du coup je me suis dis que tu n'étais peut-être pas déjà tombée dessus. Il porte sur l'anatomie de différents animaux, je me suis dis que ça pouvait t'être plus utile qu'à la majorité des résidents de la Confrérie.

Lehya fut joyeusement suprise, s'inquiétant tout d'abord de si elle avait le droit de conserver un ouvrage qui ne lui appartenait pas.

- Feuillette-le autant que tu le souhaites, tu pourras le restituer quand tu n'en auras plus besoin.

La jeune femme la remercia, et elles continuèrent à discuter pendant quelque temps, avant qu'Elisha ne s'en aille – tout en lui promettant de revenir lui rendre visite rapidement.