Je vois tout ça dans tes yeux... [Terminé]

La volière.C’était loin la volière. Au dernier étage de l’Académie. Elle n’était jamais montée si haut. A vrai dire, elle n’avait jamais du dépasser le premier étage, l’étage de l’infirmerie. Mais cette fois, elle n’avait pas vraiment le choix. Elle avait promis à Lyu qu’elle irait voir elle-même Gareth s’il le fallait pour qu’il vienne lui rendre visite, pour qu’il soit au courant de l’état de santé de son élève. Et une promesse, ça ne se brise pas. Surtout pas une promesse faite à une jeune fille aussi choute que Lyu.Et au final, ça lui permettait de découvrir un peu les étages supérieurs de l’Académie. D’apprendre à un peu mieux connaître ces lieux qu’elle fréquentait depuis des années. Après tout, à l’heure actuelle si on venait la voir en disant que telle personne à tel endroit avait absolument besoin d’être soigné et ne pouvait être déplacé ou se déplacer, les chances pour qu’elle ne sache pas où se trouvait l’endroit étaient grandes. Elle devrait alors demander son chemin, ce qui lui ferait forcément perdre du temps. Et le temps, dans des conditions comme celles-là, c’est précieux. Donc ce n’était pas forcément plus mal qu’elle apprenne à connaître un peu mieux l’Académie. Mais concrètement, elle n’était pas sûre qu’Aziel apprécierait vraiment qu’une non-élève vienne se balader dans les couloirs de l’Académie. Alors que là, ça lui donnait une excuse. Après tout il était de son devoir en tant que Rêveuse consciencieuse de tenir au courant le Maître de sa patiente de l’état de santé de la patiente en question.Mais elle n’était pas sûre de vraiment vouloir y aller, à la volière.Ça l’obligeait à voir Gareth. Ce qui n’était pas forcément une bonne chose. Après tout, leur dernière rencontre ne s’était pas particulièrement bien passée.Elle avait juste à faire attention à que son côté rêveuse ne prenne pas le dessus. Elle allait le voir, lui disait comment allait Lyu, qu’il serait bien qu’il aille la voir – parce que le moral, c’est important pour la guérison – et elle repartait. C’était tout. Comme si elle ne l’avait jamais croisé avant, comme si elle ne le croiserait plus jamais après, où alors que comme un simple visiteur dont elle avait juste à montrer le chemin de la chambre de la visitée.Elle continuait de monter les escaliers tout en tentant de ne pas se perdre dans ses pensées, de rester figée sur son objectif, sur ce pour quoi elle était ici. Ne pas se rappeler des marques sur son dos, ne pas remarquer ce petit quelque chose dans ses yeux. Tout oublier. Ce n’était que le Maître Fauconnier, comme il aurait pu être le Maître Dessinateur ou Maître Marchombre. Et Lyu était son élève. C’était tout. Elle ne l’avait jamais rencontré, il ne l’avait jamais réconforté. Il ne lui avait jamais donné cette impression étrange. Il ne lui avait jamais donné aucune impression d’ailleurs. Juste le destinataire d’un message qu’elle devait délivrer. Rien d’autre.Elle arriva enfin au dernier étage, elle n’aurait pas cru que c’était si haut. Elle continua de suivre les indications que Lyu lui avait donné, puis vit enfin, la porte close, au fond d’un couloir de pierre. Elle s’approcha timidement. Et si elle le dérangeait ? Et s’il n’était pas là ? Non, Lyu lui avait assuré qu’à priori, il devait être là à cet heure-là. Il n’y avait pas de raison. Elle se décida, frappa à la porte. Attendit.Personne ne lui répondit.Elle frappa de nouveau. Trois coups bien appuyés. Puis mit la main sur la poignée, la porte s’ouvrit sans difficulté.- Il y a quelqu’un ?Elle n’osait pas parler trop fort, elle avait trop peur que cela effraie les oiseaux et ne voulait pas non plus être responsable d’un quelconque soucis à la volière, même si elle avait bien l’intention de parler à Gareth.- Gareth ?Elle entra timidement. Puis le vit qui était là s’occupant d’un oiseau. Il réagit enfin à sa présence et s’approcha d’elle.- Je… Je ne voulais pas te déranger. Je suis désolée.Comment était-elle censée lui parler ?Elle garda la tête baissée, toute pataude de le déranger. Et puis ça l’arrangeait bien, elle n’avait pas à affronter son regard. Un danger de moins si elle ne voulait pas que son côté Rêveuse reprenne le dessus comme la dernière fois.- Je viens te voir pour te parler de Lyu. Je suppose que tu es au courant qu’elle est à la Confrérie ? Pour sa jambe. Si tu as un peu de temps ce serait bien que tu passes la voir une fois de temps en temps. Le moral est tout important que les soins quand on est en convalescence.

Elle rougissait presque. En tout cas, elle garda la tête basse. Elle n’avait pas envie d’un autre espèce de sermon comme il lui avait fait l’autre fois. Elle n’était même pas là pour lui, elle aurait préféré allé voir n’importe quel autre inconnu – excepté Elio, entendons nous, y a des limites quand même – plutôt que lui. Mais il semblait décidément être la personne dont Lyu était la plus proche dans le coin, vu qu’elle ne cessait de lui en parler. Ça se voyait, qu’il lui manquait. Même si la jeune femme ne voyait pas trop comment quelqu’un d’aussi froid aurait pu s’attacher à Lyu. Enfin, elle avait bien réussie à s’attacher à elle, au moment précis où elle avait décidé de ne plus créer d’autres liens, vu que tous ses proches mourraient les uns après les autres. Mais elle était si adorable qu’il était difficile de lui résister. Elle avait quelque chose de bien particulier en elle, une certaine joie de vivre, même dans son état actuel, qu’Elisha lui enviait quelque peu.

Mais elle se sentait coupable de sa solitude. Elle aurait dû aller voir Gareth plus tôt, elle le savait. Mais elle n’arrivait jamais à se décider, de peur de tomber dans ses yeux, sûrement pleins de reproches concernant leur dernière conversation. Si on pouvait appeler ça une conversation. C’était plutôt une rapide rencontre au hasard, qui n’avait été prolongée que par la venue soudaine d’Aziel dans les parages.

Mais passons.

Elle gardait la tête baissée, donc. Restait campée sur ses positions. Elle n’était pas là pour lui, il ne voulait pas d’aide ? Soit, elle ne l’aiderait pas. Mais là, il n’était pas question du maître fauconnier, mais de Lyu. Et c’était une toute autre histoire. Elle ne voulait pas d’une seconde personne comme la jeune dessinatrice qui était restée plusieurs mois à la Confrérie, qui avait fait une dépression qui aurait pu être facilement stoppée si quelqu’un de proche était venu lui rendre visite. Ne serait-ce qu’une fois.

Elle ne voulait pas d’une seconde Loeva.

Et puis, Lyu était si attachante, si adorable. Elle lui devait bien ça.

Ainsi elle n’apprécia guère la réponse du maître fauconnier, comme s’il se fichait complètement de l’état de son élève. De maître à élève il était censé y avoir un lien qui se créait, et elle le ressentait bien quand Lyu lui parlait de Gareth, qu’il existait ce lien. Mais là, elle avait l’impression que pour lui, la jeune Kaelem n’était qu’une inconnue dont il se fichait totalement. Elle aurait pu abandonner, en rester là et s’en aller. Mais elle n’était pas du genre à laisser ses patients passer à côté d’une chance de guérison.

Il avait provoqué la colère de Lisha.

Son regard devint noir lorsqu’il dit qu’il n’avait pas le temps. On avait toujours le temps, et puis ils devaient bien dormir à un moment tous ses oiseaux. S’il avait le temps d’aller se balader en pleine nuit près du lac, il avait bien le temps d’aller rendre visite à sa propre élève.

C’était comme s’il la régnait lorsqu’il disait cela. Non, là ses pensées divaguaient. C’était son maître, pas son père. On ne peut renier son élève. Non ?
N’empêche que cette histoire de renier quelqu’un, ça lui rappelait de sacré mauvais souvenirs.

- C’est une gamine Gareth. Elle n’a que quinze ans. Elle a besoin de la présence de quelqu’un qu’elle connait…

Il se retourna, la regarda. Elle stoppa sa phrase en plein milieu.

Qu’est-ce que tu me veux encore ?

Et il recommença sur le même argument bidon. Pas le temps. Peut se débrouiller seule. Plus tard, quand elle sera sortie.

Bordel de merde, t’as écouté c’que j’ai dit au moins ? T’es con quand tu t’obstines toi.

Elle se retint de sortir une suite d’injures, ça n’allait pas arranger ses affaires si elle ne tenait pas sa langue. Elle releva la tête, regardant franchement le maître fauconnier cette fois.

Je ne lâcherais pas cette affaire.

- Elle a quinze ans Gareth. C’est une gamine. Si personne n’est là pour la soutenir mentalement, elle pourrait bien mettre des mois voire des années pour se rétablir totalement. Tu veux vraiment infliger ça à ton apprentie ?

Tu veux vraiment infliger ça à une gamine ? Mais tu peux vraiment être con parfois, je te croyais plus humain que ça tout de même.

- Elle est partie loin de sa famille pour étudier avec toi. Personne ne viendra la voir si tu ne te bouges pas.

Et aussi présente que je peux l’être, ça ne sera pas suffisant. Arrête d’être asocial deux minutes et va voir ton apprentie.

- Et puis honnêtement, si tu as le temps d’aller te balader en pleine nuit près du lac tu peux bien prendre quelques minutes pour faire un aller-retour à la Confrérie.

Il y avait des chances que cette phrase soit de trop. Mais à vrai dire, elle s’en fichait. Elle continuait de planter ses yeux devenus sombres dans les siens.

Je me fiche de ce que tu peux penser de moi. Je me fiche que tu m’engueules ou que tu me frappes. Tant que tu vas voir ton apprentie, ça me va. Alors arrête de faire l’autruche. Ce sera aussi bien pour nous deux, on en aura fini avec cette conversation, je pourrais repartir soigner les gens qui en ont besoin et qui le veulent bien. Au pire on s’apercevra au loin quand tu iras voir Lyu, et alors ? Cette fois c’est moi qui ait besoin de ton aide, et si tu n’acceptes pas je crains bien ne rien pouvoir faire de plus pour Lyu. Aussi joyeuse soit elle, ce ne sera pas suffisant. Je sens bien qu’elle a besoin de ta présence. Donc viens. S’il te plait.

Il fallait qu’elle réussisse à le convaincre. Ne serait-ce que pour une visite. La jeune rêveuse était persuadée que le mental comptait énormément dans la convalescence d’une personne. Juste… Il n’avait pas le droit de la laisser à sa solitude. Aussi renfrogné et froid qu’il soit, il n’était pas idiot en plus de ça. Il n’avait pas l’air d’être stupide. Il devait bien se rendre compte qu’elle avait raison. Alors pourquoi n’acceptait-il pas d’aller la voir, juste cinq minutes ? Juste une fois, même très rapidement, même en coup de vent.

Son regard était sombre de colère. De colère et d’incompréhension.

Non, non elle ne le pensait pas stupide. Et c’était pour cela qu’elle lui en voulait. C’était à cause de ce fait justement, qu’elle ne comprenait pas. S’il n’était que stupide, elle aurait pu tenter de l’instruire, elle aurait pu tenter de lui expliquer, de le convaincre. S’il n’était que stupide, elle aurait pu lui pardonner son inhumanité. Mais là… Il n’était pas stupide, il savait aussi bien qu’elle que la solitude n’était pas un moyen de guérison. Et pourtant, il continuait de refuser d’aller voir son apprentie. Les apprentis avaient donc si peu de valeur auprès de leurs maîtres dans l’Académie ? Si Elisha était blessée, si elle était blessée et seule et qu’Amarylis avait la possibilité d’aller la voir, elle ne doutait pas un seul instant qu’elle accourrait pour l’aider, pour la soutenir mentalement.

Elle était persuadée que le lien apprenti-maître était important où qu’il soit. Mais peut-être se trompait-elle finalement. Peut-être que Lyu s’était attaché à lui mais que lui, ne s’était pas attaché à Lyu. Cela expliquerait bien des choses. Et le rendrait plus inhumain encore.

Mais il lui offrit enfin une autre explication, plus plausible, plus compréhensible. Mais qui ne lui convenait toujours pas. L’agitation de sa patiente, c’était à elle de la gérer. Au pire des cas, si vraiment elle risquait de trop s’agiter et de se blesser de nouveau, elle pourrait toujours lui administrer un sédatif. Et puis, elle n’était pas idiote la petite Lyu, si elle lui expliquait, elle comprendrait bien qu’elle devrait éviter les gestes brusques. Elle s’apprêtait à lui dire quelque chose du genre lorsqu’il enchaina.

« Disons que », ça puait l’excuse pourrie à des kilomètres ce début de phrase. C’était un peu comme dire « on va dire que », une simple excuse pour se débarrasser de la rêveuse. Avec peut-être une part de vérité.

Néanmoins ses intentions semblaient bonnes finalement. Il n’était peut-être pas si inhumain que cela. Il semblait malgré tout s’inquiéter pour elle.

Mais ça n’excusait pas tout. Son agitation, ses mouvements, c’était son problème à elle en tant que rêveuse. C’était à elle de s’arranger pour que tout se passe bien. Elle n’allait pas céder, alors qu’elle s’était forcée à monter les escaliers jusqu’à la volière, alors qu’elle n’avait pas du tout envie de le voir mais qu’elle l’avait fait malgré tout, pour finalement renoncer, alors qu’il commençait tout juste à admettre qu’il tenait à elle, donc qu’il s’inquiétait pour elle, donc que logiquement, s’il pouvait faire quelque chose pour elle, pour l’aider à aller mieux, il pourrait peut-être finir par tenter.

- Son agitation c’est mon problème, pas le tien. Aucun traitement ne préconise des mouvements brusques et affolés, non. Mais aucun traitement ne préconise une solitude insupportable non plus. Je me débrouillerais pour qu’elle ne s’agite pas trop…

Le jeune homme la coupa avant qu’elle ne puisse finir sa phrase, plantant ses yeux océans dans son regard émeraude. Finalement, là, il ne semblait pas si inhumain qu’elle avait pu le penser. Ses beaux yeux eurent le mérite de la calmer. Elle se reprit avant de rougir d’être ainsi fixée. Il céda finalement. Il acceptait. Son regard sombre redevint émeraude, elle avait gagné finalement. Pour Lyu. Elle imaginait déjà sa tête lorsqu’elle lui annoncerait que Gareth allait venir la voir. Un petit doute s’immisça néanmoins, et s’il disait cela rien que pour se débarrasser d’elle ? Rien que pour avoir la paix, et que finalement, il ne tiendrait pas parole ? Il serait alors toujours tant de revenir ici, pour lui rappeler sa promesse. Malgré son ton violent, malgré son ton sec, il résonnait dans la tête de la rêveuse, comme un petit air de victoire. Oui, si finalement elle s’affolait, elle ne s’en prendrait qu’à elle-même. Après tout c’était elle qui était venue lui crier dessus sur son lieu de travail, l’engueuler pour qu’il vienne la voir. Elle se débrouillerait, lui donnerait une tisane qui la calmerait avant sa visite pour ne pas qu’elle s’affole. Il y avait toujours des moyens pour calmer un patient. Mais à part la venue effective d’un proche, il n’y avait aucun autre moyen de pallier à la solitude d’un patient.

Et puis semblant enfin assumer son rôle de maître, il lui posa une question, une question qu’elle aurait bien aimé qu’il lui demande plus tôt. Une question qui, selon elle, il aurait dû lui demander plus tôt. Si elle ne souffrait pas trop. Il semblait enfin réellement… s’inquiéter. Elisha le rassura en souriant timidement :

- Non, elle ne sent pas vraiment sa blessure. Avec des rêves et des calmants on se débrouille pour qu’elle la sente le moins possible. Mais je crois qu’elle est un peu triste de pouvoir à peine se déplacer. Mais elle a Plume qui lui apporte un peu de liberté par substitution.

Finalement, il y avait un peu d’humanité, de peur, sous cette froideur.
Elle reprit d’un ton calme, l’orage dans ses yeux enfin apaisé.

- Dis, tu pourras prévenir avant de lui rendre visite ? Qu’on puisse lui annoncer ta présence éviterait déjà tout mouvement de surprise. Je compte sur toi.

Lui adressant un dernier sourire, prenant soin de ne pas se perdre encore une fois dans son regard, elle quitta la volière. Rassérénée.

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RP terminé