Leyho Zaël (Corbac)

* Je me souviens de cette nuit froide, qui m'arracha un jour à mes racines. Je me souviens de cette brume dense, source de mort et de poison. Je me souviens des cris, les cris d'effroi qui hantent encore mon coeur *

Ainsi se lamentait Leyho, dernier représentant de la lignée Zaël, sur la route le menant à la glorieuse Al-Poll. Même l'éclat éternel des neiges qui naimbait l'horizon ne parvint à lui rendre le sourire. Il l'avait perdu depuis tant d'années ... Ses aventures lui avaient appris une chose : la beauté n'est qu'un mirage éphèmère, destinée à tromper le voyageur épuisé. Elle lui masque les diableries du Mal, et le conduit au trépas.
Ruminant ces noires pensées, le jeune homme poursuivit son chemin, soulevant la poussière à chacun de ses pas. Les fermes ventrues qui ponctuaient le plateau alentours lui arrachèrent un grognement. Il ne pouvait supporter ces images de réussite, de prospérité. Pour lui qui avait vu la mort en face, qui avait contemplé l'émoglobine parentale ... accepter une telle vague de bonheur était insuportable. Encore préfèrerait-il ramper dans Astariul la Balafrée, dans sa quête éternelle de vengeance. Cette vengeance qu'il réservait à une créature bien précise : la Goule, cet immondice qui l'avait privé de l'amour, de la chaleur et de la sécurité de son foyer. Depuis l'acte terrible du monstre, jamais il n'était retourné en sa terre natale, dans le confin de la cordillère du Poll ...

En ce jour hivernal, sans neige ni frimas, son but était limpide. Leyho devait acquérir force et dextérité, agilité et souplesse. Il devait s'entraîner plus que jamais, pour espérer vaincre le monstre immonde, qui, une nuit, avait attaqué le campement du convoi des marchands Zaël. Il devait intégrer la célèbre Académie de Merwyn !

Bien qu'auparavant hermétiques à la beauté environnante, les traits du jeune voyageur s'adoucirent quand apparut Al-Poll. Même lui ne pouvait repousser l'irrésistible attrait que procurait une vision de ce Joyau de Gwendalavir.
Après avoir franchi une porte scintillante d'émeraudes, les yeux embués et le corps tremblotant, Leyho se diriga vers un imposant batiment, paré de lumière et d'éclats précieux. Une gigantesque porte de bois moussu indiquait l'entrée de l'édifice. Là, une plaque de marbre et d'améthiste indiquait :

ACADEMIE DE MERWYN, COEUR DE SCIENCE ET DE SAVOIR

Le jeune homme sentit alors sa détermination s'effondrer. Il se sentait infime, fourmi parmi les fourmilliers. Pourtant, il rassembla son courage et pénetra dans l'Académie. Deux gardes, imposants, lui demandèrent les raisons de sa venue. Expliquant sa volonté d'intégrer la célèbre école, Leyho fut conduit par les deux hommes dans une pièce richement ornée, où une personne se tenait, immobile. Bien qu'il ne l'ai jamais rencontré, Leyho sut tout de suite qu'il avait à faire au plus haut personnage de tout Gwendalavir. Devant lui se tenait Merwyn.

Inquiet de son apparence, le jeune homme tripota nerveusement ses mèches argentées, et tenta maladroitement de se donner une allure fière. Ses yeux bruns se plissèrent, et il mordilla sa lèvre inférieure qui, fine et fragile, lui rendit une douleur aigue. Conscient des haillons ternes qu'il portait, Leyho rajusta son pantalon de toile, afin qu'il épouse du mieux possibles ses courbes gracieuses et élégantes. Sentant qu'il devait prendre la parole, il lança :

- Mon nom est Leyho. J'ai parcouru des lieux, affronté des dangers et supporté nombre de blessures, pour un jour parvenir en ce lieu. L'heure est arrivée.
Je m'appelle Leyho, et je souhaite, de tous les feux de mon corps, devenir Marchombre.

Le regard de Merwyn pétilla, et, d'un geste posé, invita le jeune homme à le suivre.

Les yeux de Merwyn pétillèrent lorsque le jeune homme se présenta.
Leyho Zaël.
Le nom ne lui disait rien, mais il lisait derrière tout un passé lourd de souffrance et d’horreur. Un passé dont le jeune homme ne parvenait manifestement pas à se défaire et qui le faisait souffrir plus qu’il ne le laissait penser. Il voyait également un présent plein d’angoisse et d’anxiété, mais également d’espoir. L’espoir d’accomplir ce qu’il fallait pour se débarrasser de cette douleur que propageait le passé. Il percevait aussi un futur glorieux, illustre, remplis de hauts faits,… un futur qui allait le rendre célèbre.
Pourtant, il ne pouvait parvenait pas à deviner ce qu’étaient ce passé, ce présent et ce futur. Il, en entrevoyait juste l’aura qu’ils dégageaient à travers ce jeune hors du commun.
Il mena le jeune homme jusqu'à son bureau et le pria de s’asseoir, le gratifiant d’un sourire chaleureux.

- Alors comme ça tu espères intégrer notre prestigieuse Académie dans le but de devenir Marchombre… Et quelles sont tes motivations ? Qu’est-ce qui te pousse à faire ce choix ? Dis-en moi plus sur toi.

Le jeune homme demeura un instant sans ciller, immobile et contemplatif. Le grand et puissant Merwyn, le Pouvoir incarné, se tenait devant lui, et lui parlait avec l'attention et la douceur d'un père. Il tressaillit devant cette dernière pensée. Non ! Il ne pouvait ressentir ce sentiment ! C'était contre sa nature ! Il devait continuer tête baissée, fuyant le bonheur et l'affection ! Il devait se concentrer sur son objectif : vaincre la Goule ...

Il articula froidement :

- Les Marchombres sont vifs, libres et mystérieux à la fois. Ils ne méprisent pas les lois, mais ne les appliquent pas pour autant. Ils sont solidaires, courageux, et oeuvrent pour la pérennité de Gwendalavir. Et ils partagent une haine que je connais bien ...

S'en voulant tout à coup d'avoir fait cette allusion implicite à la Goule, il poursuivit plus calmement, tentant de masquer les sentiments qui s'entrechoquaient dans son esprit :

- Je sens de la force en moi. Une flamme qui brûle, une flamme qui, depuis trop longtemps, est dans l'attente. Je suis persuadé que, par ma formation de Marchombre, je parviendrai à utiliser au mieux ce pouvoir incandescent, à le maîtriser comme à le déployer. De plus, être libre est pour moi quelque chose d'essentiel. En devenant Marchombre, je ferai comme un grand pas vers cette Liberté que je chérie ...

S'attendant à ce que Merwyn l'interroge une nouvelle fois sur sa personne et son passé, Leyho déclara, las :

- Pour le reste, mon âme est un coffre clos, qui jamais ne s'ouvre ni se révèle. Seul une confiance sans faille pourra me pousser à dévoiler mon passé et mon présent. Malgré votre aura de bonté et votre coeur chaleureux, je ne puis vous offrir, cher Merwyn, la connaissance de ma Vie. J'aurai trop peur d'assombrir votre coeur.

Il dévisagea le puissant personnage. Le directeur de l'Académie l'observait en silence ...

Le sourire de Merwyn s’effaça un instant comme chassé par un voile d’inquiétude. Pouvait-il se permettre d’accepter un élève alors qu’il refusait de lui expliquer ce qu’il avait vécu.
Pourtant, la certitude que ce jeune homme était quelqu’un de foncièrement bien ne pouvait le quitter et il ne put s’empêcher très longtemps de reprendre son habituel sourire.
Il marmonna quelques instants dans la barbe qu’il n’avait pas. Il devait prendre une décision importante en un laps de temps très court. Pouvait-il prendre le risque d’accepter une personne aussi mystérieuse que ce jeune homme ?
La réponse pulsa en lui sans qu’il ait besoin de chercher bien loin.
Il poussa un petit soupir et posa ses yeux pétillants de malice sur Leyho.

- Bien, il me semble que la maison de Corbac te conviendra parfaitement. Leur salle commune se trouve aux sous-sols. Si tu as besoin de moi, n’hésite pas à venir le trouver…

Il hésita avant de poursuivre d’une voix à la fois triste et profondément navrée pour le jeune homme, ses yeux noisette brillants de compassion.

- Et si jamais tu changeais d’avis…, je suis toujours là pour mes élèves. Surtout pour ceux qui ont besoin d’aide. Parler fait parfois du bien, tu sais…