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| Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] | |
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Messages : 312 Inscription le : 22/12/2008 Age IRL : 31
| Sujet: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Lun 18 Juil 2011 - 23:07 | | | Une fois n’est pas coutume, Einar lisait. Enfin, il lisait… Il prenait surtout soin de sélectionner des ouvrages avec une majorité d’images ou d’enluminures, et fuyait plus que tous les épais volumes théoriques que personne n’avait touché depuis au moins trois mille ans. En vérité, Einar était désoeuvré. Aujourd’hui était jour libre, et les courbatures des derniers cours de combat plus ou moins mouvementés ainsi que des cours matutinaux de chantelamisme extrême l’avaient laissé fourbu et prêt à devenir moine plutôt que de soulever un sabre un jour de nouveau. Et il n’avait toujours pas assez de courage pour affronter les relations complexes qui le liaient à divers groupes d’amis, et surtout divers groupes de filles. Aussi avait-il trouvé refuge là où il était sûr que personne ne le chercherait, vu qu’il n’y avait encore jamais mis les pieds et que de toute manière, c’était rare qu’un élève s’aventure dans un terrain aussi dangereux : la bibliothèque. Non pas que la Gardienne des écrits fut hostile ou digne de la documentaliste de votre lycée ou d’Harry Potter, bien au contraire. Mais Einar était plutôt du genre à passer ses journées à l’extérieur, et rester vissé dans un fauteuil plusieurs heures à regarder des petits caractères en ligne sur du parchemin, ça lui paraissait un peu vain. Mais aujourd’hui, soudainement, ça semblait la fuite idéale. Et puis peut-être qu’il ferait de bonnes découvertes dans cette bibliothèque, qui sait, ils avaient peut-être des ouvrages concernant de près ou de loin les chantelames ou l’art de la philosophie du combat pour les nuls ?
Vêtu de son habituelle chemise blanche et de son veston de cuir, Einar arpentait les rangées interminables de la bibliothèque, surveillée par la compatissante Khelia Talan. Il n’avait aucune idée de comment les rouleaux et les volumes étaient rangés, ni si même il y avait un ordre précis. Pendant un moment, il s’amusa surtout à observer la tête des gens qui étaient dans la pièce, histoire de voir s’il était le seul pauvre petit élève désoeuvré dans cette vaste pièce silencieuse. Il repéra un professeur, inconnu au bataillon, l’air un peu trop solennel, vieux et chauve, qui était plongé dans l’étude de trois parchemins à la fois ; un vieux barbon qui devait passer plus de temps à lire qu’à faire cours. Il repéra aussi du coin de l’œil le professeur de dessin Myra Ril’Otrin qui discutait avec deux personnes qu’il ne connaissait pas. N’y avait-il donc que des vieux dans cette salle terrifiante ?! Oh, des gens sans rides. Einar hésita à aller les retrouver histoire de passer le temps, mais ils semblaient trop claniques pour accepter qu’il les dérange. Et puis sinon, des élèves alignés dans les fauteuils, plongés dans leur lecture ou regardant par la fenêtre d’un air profondément ennuyé. Un frisson parcourut le jeune Teylus quand l’un d’eux, dont il ne connaissait pas le visage, leva les yeux –des yeux extrêmement bleus, d’ailleurs- et croisa son regard le temps d’une seconde. L’apprenti chantelame changea de rayon plus rapidement qu’il ne semblait nécessaire, et quitta très rapidement le contact oculaire. Ca lui faisait toujours bizarre de regarder quelqu’un dans les yeux, c’était quelque chose qu’il ne faisait jamais. Mais bref, il était venu là pour lire…
Finalement décidé pour un rouleau assez mince et récent –sûrement une copie fraîche- qui parlait des exploits héroïques d’un guerrier sûrement très célèbre mais totalement inconnu, pendant la bataille contre les Ts’liches. Ca parlait de grands moulinets de bras, de sang qui giclait, de têtes qui tombaient plus vite que la nuit ne s’abattait dans les îles Alines, bref, de machins absolument dégoûtants et qui l’aideraient pas à comprendre la différence entre harmonie et Harmonie. Il se leva de son fauteuil, finalement assez confortable, pour aller vadrouiller un peu à la recherche de quelque chose de plus utile. Il manqua d’ailleurs, chargé de parchemins divers, de percuter quelqu’un, et s’excusa brièvement en ramassant ce qui était tombé de sa pile bringuebalante. Mais à nouveau, ce n’était que des récits de boucheries sanguinolentes avec moult descriptions éxagérées, et parfois gravures illustrées représentant un héros musclé les cheveux dans le vent, juché sur une pile de monstres morts…
Au fur et à mesure de ses lectures et de ses déconvenues de plus en plus barbares et émétiques, Einar finit par parcourir les différentes chansons de geste romanesques, écrites pour la plupart à partir des chansons des troubadours qui sillonnaient Gwendalavir. Le jeune homme se laissa bientôt emporter par les drames romantiques de demoiselles en haut de leur tour, les yeux perdus dans le vague alors qu’elles attendaient leur prince charmant. Il imaginait de vilains sorciers défigurés par des potions comme celles de l’alchimiste sire Golfroy, il les voyait maudire le héros du haut de leur donjon croupi, et surtout, il se représentait lui-même comme ce preux chevalier musclé qui n’avait peur de rien et pourfendait un Ts’lich pour sauver sa belle. Quelque chose qu’il n’aurait probablement jamais la carrure et le courage de faire.
Il était à présent plongé dans un énorme volume relié qui regroupait tous les contes et les légendes pour petits alaviriens depuis la Libération du Joug, et savourait la lecture de l’un d’entre eux qu’il connaissait déjà par cœur parce que sa mère lui chantait quand il était en âge d’écouter des comptines. Alors qu’il souriait à la lecture d’une petite nouvelle sur tout une fratrie qui allait sauver une pauvre souillon grâce à leur capacité à parler aux oies qu’ils gardaient, le livre disparut de son champ de vision. Extrêmement décontenancé, le Teylus leva les yeux et vit son livre suspendu à une longueur de bras au dessus du fauteuil où il s’était vautré, tenu par une main arachnéenne, rattachée à un bras au bout duquel se trouvait un sourire narquois. Extrêmement agacé d’avoir été interrompu dans le sauvetage de la souillon par les frères des oies, Einar se leva de son siège :
- Hého, c’quoi cette histoire ? Rends-moi mon livre tout de suite, mal élevé !
C’est alors qu’il se rendit compte qu’il arrivait à peu près au menton de celui qu’il essayait de toiser péniblement. En levant la tête, il recroisa les deux yeux bleus qui l’avaient fixé tout à l’heure. Et ils ne cessaient d’ailleurs pas de le fixer. Agacé d’être en situation de faiblesse, Einar répliqua, la voix peut-etre un peu plus haute qu’avant, ne sachant pas vraiment à qui il avait affaire ni si on avait droit de se battre dans la bibliothèque :
- Allez sois sympa, je t’ai rien fait, je vois pas pourquoi tu cherches les ennuis, en plus j’ai rien qui t’intéresse, et je lisais ce livre avant toi, alors rends-le moi, steuplait.
Qu’est-ce qu’il détestait qu’on le regarde dans les yeux. Les yeux d’Einar fuyaient depuis les cheveux noirs de jai qui retombaient au niveau de la nuque pâle de l’inconnu dégingandé, jusqu’aux rayons du fond, en quête de secours. Mais Khelia Talan devait être dans la réserve, parce qu’il ne la voyait nulle part.
- Et t’es qui d’abord ? J’t’ai jamais vu ici.
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Mar 19 Juil 2011 - 17:06 | | | Lev referma son livre d’un coup sec, tant il était énervé de ne rien y trouver. Il s’attira au passage quelques regards mécontents des lecteurs qui l’entouraient, regards auxquels il répondit par un sourire tordu parfaitement repoussant. Il était venu dans la bibliothèque après avoir rencontré trois personnes qui ne savaient absolument rien sur une dénommée Marlyn. La frustration avait failli le faire craquer, et emmener sa dernière rencontre dans un coin sombre afin de calmer sa colère par quelques craquements bien dosés. Il l’aurait d’abord aguiché par quelques regards doux, un effleurement sur l’avant-bras et des allusions coquine, et il était certain qu’elle l’aurait suivi, le sourire aux lèvres qui plus est. Il aurait pu alors en faire ce qu’il voulait.
Un sourire rêveur se dessina sur son visage, tandis qu’il croisait le regard d’un lecteur apparemment perdu dans l’immensité écrasante des volumes qui parsemaient la bibliothèque de leur savoir magistral et grandiloquent. Lev avait toujours été fasciné par l’atmosphère studieuse, parfois carrément religieuse que chacun s’entendait à observer en présence de simples livres. Parfois le jeune homme s’amusait à observer les lecteurs lorsqu’ils étaient plongés dans leur bouquin, et essayait de découvrir l’histoire à travers les émotions qui transparaissaient sur leur visage. Mais le plus drôle était de les voir soudains gênés lorsqu’un bruit leur échappait, comme si le dieu des livres allait leur tombé dessus en une avalanche de feuilles noircies qui les asphyxierait de leur nombre. Lui en revanche, ne manifestait aucun respect pour ce qu’il considérait comme de simples morceaux de papier. En fait, à la réflexion, il ne manifestait de réel respect pour rien ni personne à sa connaissance, à part peut-être au dessin. Mais bon, il lui fallait bien avouer que les livres c’était utile quand tu voulais apprendre sans te farcir des personnes insupportables. Sauf qu’en ce moment, il ne trouvait absolument pas ce qu’il cherchait et que cela l’énervait au plus haut point. Et un Lev énervé, c’est très méchant.
Alors qu’il se levait en raclant sa chaise, il aperçut à nouveau entre les rayonnages le jeune garçon qui avait croisé son regard quelques instants plus tôt. Il décida alors de le suivre, autant pour tromper son ennui que par cette simple pulsion qui l’avait saisi en voyant le garçon chétif qui avait détourné ses yeux de terre plus vite qu’un siffleur se serait enfui devant un tigre. Il le vit s’assoir à une table isolée, après avoir hésité en regardant un groupe de jeunes gens, puis ouvrir un livre sur les combats de sang et d’épée.
Lev s’accouda à une étagère, totalement fasciné par les expressions qu’il pouvait lire sur le visage du jeune homme : curiosité, de prime, puis fascination, effarement, dégout, volonté de continuer, dégout encore plus prononcé, curiosité à nouveau, et pour finir un air rêveur complètement déconnecté du monde réel. Lorsque le dessinateur jeta un œil aux livres qui s’entassaient aux côtés du garçon, il put voir nettement le chemin qu’avait emprunté son esprit en fonction des histoires qu’il lisait, ce qui lui en apprenait, mine de rien, beaucoup sur sa personnalité. Mais l’observation avait assez duré, impatient, Lev ne pouvait s’en accommoder trop longtemps. Il s’approcha alors, d’une démarche souple et d’un geste vif, saisit la fable que le jeune homme lisait avec tant d’attention. Son effarement suivit de sa colère firent sourire Lev qui le trouva tout à fait distrayant, tant dans l’envolée désordonnée de ses gestes que dans l’emplois naïf de ses insultes – « mal élevé » nan mais j’vous jure…- . Il avait tout de suite noté à quel point le contact oculaire le dérangeait, et s’appliquait donc à fixer ses yeux marron pour qu’à chaque fois qu’il lève les yeux il y ai les deux saphirs posés sur lui. Il le laissa finir sa petite révolte et finalement lui poser une question – élégante alternative à une bagarre qu’il semblait certain de perdre – puisqu’il ne semblait plus avoir de cartouche dans le sac de sa bouche.
Lev retourna le livre pour en lire la quatrième de couverture, qui ne se barrait que de quelques mots sensés avivé la curiosité du lecteur : « Il y est autant de monde que peut faire vivre ce livre dans votre imagination ». Puis il le reposa – le jeta – sur la table avant de faire face au jeune homme qui le toisait de ses 10 centimètres de moins. Afin de ne pas le troubler d’avantage – même s’il adorait ça- Lev s’assit sur une chaise proche, de manière très décontractée puis lança d’une voix suave, tout en le fixant fermement du regard :
- T’es un rêveur, toi, nan ?
Puis, sans attendre de réponse, il ignora les assertions précédentes et en vint directement à la question du garçon. Il fit craquer ses doigts dans son dos, un par un, à raison d’un par seconde – ce qui peut sembler très long mine de rien- et répondit, de la même voix basse et chaude :
- Je suis Lev. Je suis arrivé il y a peu de temps, c’est pour ça que tu ne m’as jamais vu.
Plus il étudiait le jeune homme, plus il lui trouvait quelque chose de fascinant. Lev avait toujours été attiré par les adolescents, presque des hommes, qui ne savaient pas se servir de leur corps, qui semblaient trop à l’étroit dans le monde qui s’offrait à eux, bref à ceux qui n’étaient pas totalement bien dans leur peau, un peu à l’égard, rêveur et à l’air plus chétif que la plupart de leur congénères. Et puis il était beau, mine de rien, avec ses joues glabres, son air mutin et ses épaules qui contrastaient de manières très masculine avec la candeur qu’affichait la moue boudeuse de ses lèvres. Lev l’invita d’un geste à s’assoir, avant de se pencher en avant, comme s’il était fasciné par Einar.
- Pourquoi tu t’intéresse au combat alors que ça te dégoute visiblement ?
Lev ne cilla pas lorsqu'il posa sa question, comme s'il était tout à fait naturel pour quelqu'un d'espionner une autre personne puis de le lui avouer au détour d'une phrase comme la chose la plus banale de la journée. Il continua donc sur sa lancée, ses doigts se triturant l'un l'autre dans une valse heurtée, comme un combat d'araignées.
- T'es un dessinateur, pas vrai ?
Il avait sentit la trace de son pouvoir dans les spires. Il n'était pas très puissant, mais son pouvoir était intéressant, et il pourrait en faire un bien meilleur usage qu'un sabre qui le mordrait à la première incartade.
- T'es venu à l'Académie pour apprendre à te battre ou à dessiner ?
Comme ça Lev saurait où il aurait le plus de chance de le rencontrer, si l'envie le prenait de le retrouver un jour.
- Tu sais que les rêveurs ils font jamais très long feu au combat ? Tu crois que tu en est capable ?
Il y avait bel et bien de l'ironie dans ses propos, mais aussi une réelle curiosité dans la manière dont l'autre se concevait. Par ses réponses il entendait bien pouvoir le cadrer un peu et apprendre sa personnalité.
- Pourquoi t'es pas allé vers les autres tout à l'heure alors que t'en crevait d'envie ?
Il ne venait même pas à l'esprit de Lev qu'il pouvait se montrer inconvenant avec ses question, en pleine bibliothèque alors que sa voix trouait les rayonnages comme autant de balles de fusils. Un garçon s'approchait d'ailleurs de leur table avec la visible intention de dire à cet inconnu de se taire ou d'aller voir ailleurs si Merwyn mangeait ses champignons. Mais avant qu'il ne se fut approcher de plus de quelques pas, Le dessinateur le gratifia d'un de ses regards dont il avait le secret, et accentua la difformité de son visage par un sourire meurtrier qui fit ciller le jeune homme pourtant mieux battit que lui. D'un geste de tête Lev l'enjoignit à faire demi tour, ce que l'autre fit sans demander son reste. Le regard du dessinateur se posa alors à nouveau sur Einar - qui s'empressa de détourner le sien - emplit d'une chaude fascination dans l'attente de ses réponses.
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Mar 19 Juil 2011 - 19:16 | | | Dès qu’il fut de nouveau assis dans son fauteuil capitonné, Einar s’y enfonça plus que de raison pour éviter les longues jambes de l’inconnu qui les laissait dépliées alors que ça gênait le passage. Puis, geste tout à fait puéril mais qui lui semblait absolument nécessaire, il se saisit vivement du livre qui avait été jeté n’importe comment sur la table, défroissa les pages qui avaient été pliées, et le conserva jalousement sur ses genoux, les deux bras enroulés autour. Il ne supportait pas le regard goguenard que l’autre avait eu en lisant la quatrième de couverture du recueil, pas plus que la question qu’il avait posée après. Très mal à l’aise en se sachant à moins de dix mètres de l’espèce d’énergumène, et une alcove trop renfoncée de la bibliothèque pour que quelqu’un lui vienne en aide par la seule puissance de ses ondes mentales désespérées. Il voulut se défendre de l’adjectif de l’inconnu mais le son écœurant de doigts qui craquent le stoppèrent dans ses invectives et un frisson parcourut son échine. Non pas que ça le dégoutât particulièrement d’ordinaire, on ne pouvait pas se permettre de faire le difficile au niveau des sons quand on vivait depuis toujours avec quatre autres frères… Mais là, après avoir passé plusieurs dizaines de minutes à errer dans les récits détestables de vertèbres qui craquent quand le poignard se plante dedans, ou d’os qui se brisent dans un bruit tellement dégoûtant qu’il faisait s’évanouir le bourreau qui les tenait, après avoir lu ça donc, l’imagination du jeune Teylus était trop échaudée pour que le son étrange le laisse impassible. Ses doigts se serrèrent autour du cuir usé du recueil.
Lev. Jamais entendu parler. Faut dire que s’il était arrivé y’a pas longtemps, dans la vague de nouveau qui avait suivi la libération de l’Académie de Merwyn… Mais nouveau ne voulait pas dire pas dangereux. Einar n’aimait déjà pas Lev. Il n’aimait pas les gens qui ne respectaient pas les autres, et il avait une peur bleue de ceux qui avaient la capacité de le martyriser sans avoir aucune raison de le faire. Et Lev, là, il pouvait tout aussi bien être là pour faire la conversation que pour se jeter sur lui, avec son regard de fou timbré…
Plus l’autre posait de questions personnelles et indiscrètes, plus Einar se tortillait dans son fauteuil de malaise. Comment Lev pouvait savoir tout ça sur lui ? Et d’abord, d’où il savait qu’il avait le Don ? C’était quelque chose qu’il n’évoquait à personne par pure honte, et il avait fini par espéré que son Don était tellement minuscule qu’il était indétectable dans les Spires ; mais si Lev en parlait alors qu’il venait d’arriver à l’Académie, alors il devait être dessinateur. Einar avait toujours eu une certaine crainte des dessinateurs. Entre les foux dangereux qui viraient Mentaï en tuant tout le monde avec le produit de leur esprit et ceux qui se pavanaient dans l’Académie avec leurs dessins, il n’en gardait certainement pas une bonne expérience. Même s’ils ne seraient pas là dans Merwyn Ril’ Avalon, le plus grand de tous les Dessinateurs..
- Oh j’t’en pense des questions sur la couleur de ton pyjama, moi ? Sors de ma tête tout de suite, malpoli.
Il avait dit ça compulsivement, et sans regarder l’espèce de dégingandé qui était assis trop près de lui. Mais la question absolument déplacée que l’autre avait posée sur son hésitation à aller rejoindre les gens l’avait mis terriblement mal à l’aise, et il l’était déjà bien assez pour rester poli et gentil avec le contrevenant. Ses oreilles commençaient à virer pivoine, comme à chaque fois qu’il était dans une situation gênante ou plis en flagrant délit de n’importe quoi. Et la fenêtre était dos à lui, malheureusement, pas de quoi pouvoir laisser fuir son regard. De manière très ostensible, Einar rouvrit le livre qu’il était en train de lire, et tenta de se concentrer sur les caractères, sans parvenir à retenir le moindre mot de ce qu’il disait. Il espérait un moment que l’élève qui venait vers eux allait lui donner l’occasion de fuir à toutes jambes l’inconnu étrange, mais il perdit espoir en le voyant rebrousser chemin sur un seul regard de Lev. Mais dans quelle mouise il était… Et qu’est-ce qu’il voulait, l’autre, d’abord ? Einar n’était absolument pas intéressant. Il y avait des dizaines de héros à l’Académie près à parler de leur vie privée comme s’ils espéraient qu’on les consigne immédiatement dans les chroniques de parchemin. Mais lui n’aspirait qu’à raser les murs sans qu’on l’aperçoive. Il continua donc encore quelques minutes de faire abstraction de Lev et de ses jointures au bruit dégoutant , tout en sentant son regard sur lui alors qu’il tentait de comprendre comment les oies aidaient la souillon aux cheveux longs. Mais c’était peine perdu. Et le silence devenait ultra gênant. Einar faillit refermer le livre et aller le reposer, mais il constituait la dernière barrière qui le protégeait des questions de Lev, et il décida donc de laisser ses yeux fixés sur les bordures enluminées représentant des oies en plein vol, et de murmurer d’un air gêné sans lever le regard :
- Je sais me battre mieux que tu crois. J’suis chantelame. C’est juste que j’aime pas le sang, et les atrocités inutiles dans les livres. Et les fouineurs.
Piètre défense, d’autant que l’autre pouvait ne pas savoir ce qu’étaient les chantelames, ou s’imaginer qu’ils n’étaient composés que de faëls ultra puissants et de héros dont on racontait les exploits sanglants et vomitiques. Et ces yeux qui le fixaient toujours… Les siens fixaient toujours avec la même attention les pages jaunies, qu’il tournaient un peu au hasard dès qu’il estimait qu’il avait passé trop de temps à fixer la même ligne sans rien lire. Peut-être qu’il s’il restait suffisamment longtemps immobile, l’autre se lasserait et irait embêter quelqu’un d’autre ? Einar était plutôt habituée aux grosses brutes qui lui tapaient dessus tout de suite quand il était petit pour avoir son gouter, il savait qu’il suffisait de serrer les dents et ça passerait vite. Mais comment faire partir quelqu’un qui n’avait pas l’air de désirer quelque chose en particulier, mais qui était là juste pour le plaisir de le pousser à bout ? Serrer les dents ne servirait surement à rien… Mais ça ne l’empêcha pas de le faire, réflexe acquise dans son enfance de roturier.
- Et je vois pas de quoi tu veux parler avec le dessin, j’ai pas l’don. J’l’ai jamais eu. J’suis là pour les cours de combat, c’est tout.
Einar espérait que ça lui suffirait, au gens bizarre avec ses yeux brillants et son sourire qui le terrifiait. De toute manière, il ne savait même plus comment on accédait aux Spires, depuis le temps qu’il avait laissé tomber l’idée d’en faire un jour quelque chose. Il avait découvert avant de venir à l’Académie qu’il avait un don larvé et très atrophié, du genre qui ne lui servirait jamais à rien. Et il aimait pas l’idée de créer des choses juste avec sa tête. Le combat c’était plus simple. Et il avait plus confiance en Tifen Layan qu’en Ciléa Ril’Morienval et ses manières de noble effarouchée… La Dame fasse que son Don du dessin se soit éteint avec le temps, et que l’autre laisse tomber… c’était vraiment quelque chose qu’il avait dit à personne tellement son « don » inutile lui faisait honte.
- T’as qu’à aller les voir toi-même, les autres là-bas, si t’es si confiant. Tu t’amuserais plus en parlant avec Laïki, le petit ventru là-bas, ou Cendre, la blonde. ‘Sont beaucoup plus intéressants que moi. Et qu’est-ce que tu me veux, d’abord ?
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| | Messages : 123 Inscription le : 12/05/2011 Age IRL : 33
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Mer 20 Juil 2011 - 20:04 | | | Lev trouva tout d’abord la première réaction d’Einar très drôle. L’insulte lui tira un sourire goguenard qu’il ne chercha pas à cacher, alors que ses doigts trituraient un crayon qui trainait. Il avait vu la grimace du jeune homme au doux son du craquement de ses phalanges et, plus par instinct machiavélique que par réelle indisposition, il posa son menton dans ses mains, tout en fixant l’autre du regard et pencha sa tête sur le côté, ce qui provoqua 3 craquements vertébraux distincts et très écœurants, admettons-le. Il vit les épaules du jeune homme se raidir, mais il continua vaillamment ses récriminations tout en essayant bravement de placer quelques attaques verbales qu’il tentait de laisser dans les frontières de la politesse et de la courtoisie. Il était génial ce garçon, la plupart des autres mâle de son âge auraient attrapé Lev par le colbac et l’aurait trainé à l’extérieur pour lui flanquer la dérouillée qu’il méritait.
Mais dans un second temps, le fait qu’Einar ne réponde pas à ses questions l’énerva. Il tiqua deux trois fois et ses mains s’immobilisèrent, courbant le crayon à son point de rupture ultime sans pourtant dépasser la frontière de la fracture. Les yeux de Lev se firent plus ténébreux tandis que le sourire goguenard devenait plus froid, plus animal aussi. Une lueur rouge colora son champ de vision lorsqu’il s’imagina trainer le corps jeune et sec du garçon pour l’interroger à son aise. Il possédait beaucoup de technique pour s’amuser avec quelqu’un tout en lui soutirant les informations qu’il convoitait, mais il n’était à l’Académie que depuis quelques semaines et il ne pouvait pas se permettre de faire quelque chose d’aussi inconcevable aux yeux des autorités en présences dans l’Académie. Aussi souffla-t-il profondément afin de calmer ses pulsions. Mais l’autre ne l’aidait vraiment pas avec ses longs cils qui vibraient d’incompréhensions, ses doigts qui s’entrelaçaient aux pages du vieux livre, sa voix tendre qui chevrotait d’indignation mêlée de frayeur… Lev enfouit sa tête dans ses bras croisés sur la table et resta ainsi quelques secondes, totalement immobile si ce n’était son dos qui se soulevait au gré de sa respiration profonde.
Lorsqu’il releva la tête, il y avait de nouveau ce sourire étrange greffé sur les lèvres mais ses gestes conservaient ce caractère heurté qui témoignaient de l’état de frustration dans lequel se trouvait Lev. Il posa les yeux un instant sur les jambes croisées et repliées du jeune homme, sur ses épaules voutées, sur la ligne de fuite de son regard gris de maure, et se demanda d’où venait l’absence de confiance en soi si évidente qui caractérisait sa posture. Il se pencha un peu en avant, tout en sachant que cela accentuait encore plus le malaise du jeune homme. Que c’était grisant !
Il dit, d’une voix douce, presque envoutante :
- Tu me prends pour un idiot ?
L’autre cilla. Lev continua, sur le même ton :
- Je sais que tu es un dessinateur, et je sais que tu le sais. Alors joue pas au plus malin.
La menace, tellement basique, fit presque rire Lev qui s’étonnait d’être capable de proférer des attaques aussi peu élégantes que celle-ci. Mais Einar ne semblait pas partager son hilarité, non, il avait plutôt l’air de quelqu’un qui donnerait tout pour être ailleurs qu’ici, avec Lev. Celui-ci trouva étrange, d’ailleurs, la panique qui se lisait sur le visage du jeune homme. Il avait certes été quelque peu inconvenant, mais il n’avait eu aucun geste brutal, ni aucune conduite violente qui pourrait le mettre en danger. Au contraire, il s’intéressait à lui, n’était-ce pas quelque chose de formidable ?
Mais lorsqu’Einar prononça sa dernière phrase, Lev changea du tout au tout. Il se leva d’un coup de sa chaise, la faisant racler contre le parquet inégal, et d’un geste très brutal il tourna le fauteuil du jeune homme face à lui et plaqua ses mains sur les accoudoirs, approchant son visage de celui, terrorisé, du rêveur. Pendant quelques secondes il fixa les prunelles terre de sienne du jeune homme, puis il dit, d’une voix sourde, rauque, en articulant chaque mot :
- Si j’avais voulu aller voir ces personnes là-bas, j’y serais allé moi. Mais c’est à toi que je m’intéresse, sinon je ne m’évertuerais pas à essayer de t’arracher des réponses que tu ne sembles pas en mesure de me donner.
Il se releva et d’un mouvement ample du bras, il refit glisser le fauteuil d’Einar dans sa position initiale, face à la table, l’emprisonnant entre la bordure du plan de lecture et les accoudoirs qui enserrait son corps fin. Puis il se rassit à sa place, et croisa ses mains derrière sa tête, de nouveau aussi calme, en apparence, qu’il pouvait l’être. Il s’autorisa même le luxe de sourire une nouvelle fois – image parfaite de l’adolescent à qui tout réussit et que se sait estimable. N’était-ce le magnétisme qui faisait vibrer le cobalt de ses yeux, on eut pu se demander ce que les deux protagonistes faisaient ensemble. Mais l’attirance que semblait exercer Einar sur Lev était indéniable. Le dessinateur se cala confortablement dans son fauteuil et continua doucement :
- Bon, je suis vraiment désolé pour le caractère inconvenant de mes questions, mais j’aimerais vraiment avoir des réponses. Pardonne mon impatience, je voudrais que tu me considère autrement que comme un rustre. Tu peux me demander ce que tu veux, sauf de te laisser tranquille bien entendu.
Lev afficha un sourire éblouissant mais étrangement légèrement carnassier.
- Pour répondre à ta dernière question, c’est juste que je m’intéresse à toi, et que je m’arrange toujours pour connaitre les personnes qui m’intéressent. Avec ou contre leur gré.
Puis, d’un geste délicat, il déplia son bras et tendit une main aux longs doigts fins vers le visage d’Einar qui affichait un air torturé. Celui-ci ne pouvait plus reculer, et Lev, dans un élan de sadisme impitoyable, n’accéléra pas son geste, le laissant au contraire prendre toute l’ampleur de leur univers en envahissant seconde après seconde l’espace complet qu’il y avait entre l’iris et la pupille. Après un instant de tension extrême, il fit glisser une mèche de cheveux derrière l’oreille d’Einar qui s’ébroua, cherchant à rompre le contact. Beau joueur, Lev retira son bras et le posa sur la table, en chien de fusil. Avant que l’autre ne puisse à nouveau l’invectiver et lui lancer ses insultes de jeune homme bien élevé, il reprit la parole d’une voix ferme :
- Alors, dis-moi, pourquoi tu renie ton don ? Il n’est certes pas bien impressionnant mais il y en a de bien pire dans l’Académie, je te prie de me croire. Tu pourrais le développer et t’en servir beaucoup plus que tu l’imagine.
Lev se gratta le nez et sembla se rappeler quelque chose :
- Au fait, tu t’appelles comment ?
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| | Messages : 312 Inscription le : 22/12/2008 Age IRL : 31
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Mer 20 Juil 2011 - 21:49 | | | A la vérité, il était terrifié. De faire dix centimètres de moins que le jeune homme qui envahissait peu à peu sa vie privée, sa tête et son espace de survie reptilien. De ce regard comme deux saphirs en feu qui lui transperçaient les os et y laissaient une fine couche de givre. De ces craquements que tout son corps semblait produire et qui faisaient émerger dans son esprit les récits de meurtres détestables et cruels. De ce sourire narquois qu’il aurait voulu démolir à coups de poings s’il avait eu le courage et la carrure de le faire. Il se sentait piégé, épinglé comme un papillon mis sous verre et terriblement honteux d’être ainsi incarcéré par la seule force d’un regard et d’une voix menaçante. Il n’avait pas changé de la loque qu’il était gamin. Il était toujours aussi faible que lors que le grand Dim’ le soulevait par le col pour lui prendre sa poire, toujours aussi faible que quand il lui donnait immédiatement par crainte de s’en prendre une. Là, c’était exactement pareil. Il était trop poli pour oser hausser la voix, ou se débattre, ou appeler à l’aide, ou même s’enfuir en courant. Einar était juste sous le joug de cet espèce de brute qui avait pris un soudain intérêt pour lui et qui ne le lâcherait pas avant d’obtenir entière satisfaction.
Il se ramassa un peu sur lui-même quand il comprit que ça ne servait à rien de cacher qu’il possédait –enfin, c’était un grand mot- le don du Dessin devant un très probable dessinateur. Il se paralysa complètement quand Lev se leva soudain vers lui et l’emprisonna entre ses deux bras posés sur les accoudoirs de son fauteuil, le dominant ainsi de toute la hauteur de sa longue silhouette. Cette attitude si typiquement féline, si typiquement carnivore, et cette étincelle de sang dans les deux abîmes céruléens… Einar se ramassa encore plus, les épaules voutées sous la menace et la voix autoritaire de son tortionnaire. Il resta muet les quelques instants que dura la soudaine explosion de violence et d’impatience de l’autre, et son teint avait pâli.
« Piètre chantelame, Aïe-nar. », lui susurrait la voix de Dim’ dans un coin de sa tête.
Les excuses de Lev permirent à Einar de découvrir de nouveau que son corps disposait en vérité de tout un système respiratoire, et il prit une grande inspiration tremblante, les doigts crispés sur la tranchée reliée de cuir du recueil de fables. Le Teylus venait d’avoir un aperçu du danger qu’il courait avec cet homme instable et violent, malgré ses apparences de séducteur affable, et il ne tenait absolument pas à revoir ce regard de mort qui l’avait fixé pendant quelques fragments de secondes. Il ferait tout pour ne pas le revoir, ce regard. Même si ça signifiait courber l’échine. Comme un lâche. Comme le lâche qu’il était, en fait, et qu’il n’avait jamais cessé d’être, malgré toutes ses grandes ambitions de chantelame. Belles illusions de combattant, tout ça, lui qui était dégoûté même par les récits de combat… et ce Lev, là, qui le narguait de son sourire goguenard, et qui pointait son doigt vers lui… bien trop proche d’ailleurs… Einar se colla au plus profond de son siège, le dos raide, ses yeux couleur de tourbe fixés vers cette main qui avançait inexorablement vers lui, qui pourrait très bien dériver vers son cou, enserrer sa gorge, et personne ne s’en rendrait compte, qu’il mourait asphyxié dans ce coin reculé et à l’écart de la Bibliothèque. Le jeune garçon fut parcouru d’un frisson glacé au contact des doigts de Lev, et oublia à nouveau de respirer jusqu’à ce que l’autre soit à une distance plus sociale.
- M’appelleEinar.EinarSoham.
C’est tout ce qu’il parvint à formuler quand son cerveau reprit contact avec la réalité. Son imagination florissante imaginait déjà dix mille scènes de torture ou de violence toutes les plus horribles les unes que les autres s’il ne répondait pas aux questions de Lev. Mais c’est tout ce qui parvient à passer ses lèvres, tandis qu’il peinait à se remettre de ce que son imagination lui faisait subir. Une partie à peu près raisonnable de lui-même savait que concrètement, l’autre ne lui avait rien fait en dehors de secouer son fauteuil et d’exiger des réponses ; mais il était en pleine crise d’infériorité et de manque de confiance en lui-même, et c’est ce qui faisait trembler le bout de ses doigts et sa respiration tandis qu’il fixait un point derrière Lev sans ciller.
- J’ai… J’ai pas un vrai don. La seule fois où j’ai réussi à dessiner, ça a pris trois heures, déjà pour comprendre où étaient les Spires-machin, et la miniflamme a duré maximum deux secondes. Et j’suis tombé dans les pommes après… ça sert à rien, à part être ridicule.
Les mots s’embrouillaient entre ses dents avant de parvenir à franchir ses lèvres, et l’agacement conter lui-même montait au fur et à mesure qu’il se rappelait cet échec cuisant, et la honte qu’il avait lue dans le regard de ses parents alors qu’ils contemplaient les espèces de petits points mal imbriqués de son Analyse. Il avait jeté le livre sur la table dans un geste d’énervement, autant mû par la crainte que lui inspirait le nouveau venu que l’agacement d’être forcé par cette même-crainte de dévoiler l’entiéreté de sa médiocrité. Ce n’est pas pour autant qu’il recula son fauteuil ou fixa Lev dans les yeux, bien au contraire. Son sourire narquois et ses gestes fauves clouaient le petite Teylus sur place, aussi bien que l’aurait fait une horde de Raïs armée de massues avec plein de clous dessus. Au lieu de ça, il tritura nerveusement une de ses mèches de cheveux, et replia ses jambes pour avoir les genoux à hauteur du menton, geste ultime de défense inconsciente – protéger le torse, à tout prix. Il frissonnait encore en pensant au contact des doigts glacés du Kaelem, et la lueur démente qui avait percé dans son regard à l’apparence calme et maitrisée. - T’as tué des gens ? Son ton n’était qu’à moitié celui du questionnement. T’as le même mouvement bizarre des lèvres que Bomon d’Ombreuse, le guerrier dans l’histoire là, quand il s’apprête à égorger tout un village parce qu’il trouvait la bière trop chère…
Il avait désigné dans le même temps d’un geste nerveux de la main le parchemin qui contenait la geste de Bomon d’Ombreuse, une des histoires qui avaient fait remonter sa bile quand il était tombée sur les boucheries sanglantes de cette espèce de brute épaisse. Vraiment, il n’avait aucune idée de pourquoi il posait cette question. Juste qu’il était redevenu pâle, et que ses nerfs se hérissaient en voyant le groupe d’élèves de tout à l’heure partir de la bibliothèque sans un regard vers eux – un rempart de moins contre un potentiel mauvais traitement. Un exutoire en moins contre les chimères de son imagination débordante d’ado à peine formé.
- Tu vas me tuer aussi, Lev ? M’ouvrir la gorge et boire mon sang, comme Bomon ?
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Sam 23 Juil 2011 - 21:59 | | | Einar Soham, et bien, c’était déjà un début ! Lev pianotait de la mains droite sur la table en bois grossier, tout en étudiant avec intensité chaque geste que pouvait faire le jeune homme face à lui. Les injonctions arrivaient dans ses yeux, faisait cligner ses longs cils comme si chaque mot eut été une mouche inopportune, les claques orales retentissaient physiquement dans sa mâchoire, il serrait les dents et son front se ridait d’inquiétude et d’inconfort. Lorsqu’il répondit à ses questions, Lev sentit son esprit névrosé s’apaiser quelque peu, en même temps qu’une partie de sa curiosité. Il se laissa aller à écouter la voix chevrotante d’Einar avec un plaisir manifeste, et il sentit son visage se détendre, ses quelques gestes devenir moins heurtés, moins prédateur en manque de sang. Mais ce n’était pas encore assez, il en voulait plus.
Il s’était un peu rapproché, et avait fini par poser son menton dans ses mains qu’il avait jointe par un entrelacs de doigts arachnéens. Du coin de l’œil il vit les quelques jeunes se lever et s’agiter, sur le départ. Parfait. Il ne restait qu’un petit vieux, outre eux deux, un petit vieux qui partirait à l’heure de la soupe, c’est-à-dire dans peu de temps. Ensuite, Einar et lui seraient seuls. Lev comptait d’ailleurs enjoindre le silence à sa proie pour qu’ils se fassent enfermer dans la bibliothèque, à l’abris de tout ce qui pourrait tirer le Teylus de son emprise. Non pas qu’il compta faire quoi que ce soit de mauvais au jeune garçon, mais il s’amusait beaucoup, et il avait trop de curiosité à calmer pour se résigner à une nouvelle rencontre, plus tard, qui se passerait probablement dans de moins bonnes conditions. Pourquoi ne pas profiter à fond de ce que le hasard peu apporter ? Telle était une des nombreuse –et douteuse – philosophie de Lev. Mais le sourire que lui tira le départ des jeunes ne devait sans doute pas rassurer le petit Teylus qui se tu, en proie à ses réflexions qui semblaient faire bouillir son imagination. Lev le vit jeter un œil à son livre, mais ce qu’il dit ensuite l’étonna tant qu’il se figea, les muscles tendus à l’extrême.
Il se leva d’un coup, en proie à une excitation mêlée de frayeur, comme si l’œil du monde venait de se poser sur lui, à des semaines de voyage du lieu de l’assassinat de sa famille. Qui était Einar ? Etait-il ici pour le retrouver, sous ses airs de sainte nitouche effarouchée ? Voulait-il venger sa famille malgré sa silhouette fluette et son manque apparent de force ? Etait-ce un rôle qu’il se donnait pour pouvoir approcher Lev jusqu’à ce qu’ils soient seuls et qu’il puisse le liquider ? Pour qui travaillait-il dans ce cas ? Les questions ricochaient dans son esprit, lui faisait mal, vraiment mal, alors qu’il visualisait un visage cagoulé qui le jugerait pour ses crimes en lui promettant la mort de sa hache poisseuse de sang et de cervelle. Ses avants bras appuyés sur la table se mirent à trembler, tandis que dans un éclair il tenta d’échafauder les meilleurs plans pour se tirer d’affaire. Mais la seule chose qui clignotait dans sa tête, c’était le sang de ce traître qui maculerait le sol de la bibliothèque, et ses mains tordus repliées contre ses doigts brisés uns à uns. Le réduire au silence, lui trancher la gorge ? Lui briser la nuque ? Ou bien nier, nier en bloc et le traîner ailleurs, dans l’ombre, pour le liquider et en profiter pour lui faire regretter d’avoir voulu du mal à Lev Mil’Sha.
Lev en était là dans ses résolutions, planté face à un Einar tremblant, échafaudant des tortures toutes plus abjectes les unes que les autres, lorsqu’il se rendit compte de son erreur. Les paroles suivantes du Teylus relevaient plus de fantasmes vaseux d’un adolescent dont l’imagination fertile faisait pourrir les illusions d’un Lev qui se voulait fauve et prédateur. Apparemment, son apparence avait joué jusqu’au-delà de son rôle d’intimidation, puisque le jeune homme en venait à penser qu’il allait vraiment le tuer. Dans un sursaut de compréhension, et grâce à son incroyable faculté d’adaptation, le jeune homme se recomposa un visage aux canines aiguisées, aux yeux plissés, troquant sa peur contre une attitude enjouée et douteuse, jouant à la perfection une suite à ce que son corps avait pu précédemment montrer de sa terreur d’être découvert. Ses yeux s’illuminèrent et ses mains se serrèrent sur le bois, le griffant presque, tandis qu’il se penchait sur le jeune homme bloqué, la poitrine protégée par une paire de genoux cagneux. L’instant de doute n’avait duré qu’une seconde, et il s’était arrangé pour le faire coïncidé avec les prémices du jeu qu’il jouait à présent, mais il était possible que Einar eut flairé la supercherie. Il était donc temps de s’amuser un peu plus avant avec lui, de le connaître un peu plus, au cas où. Juste au cas où.
Mais les peurs du jeune homme étaient vraiment trop drôles. Lev jubilait intérieurement des possibilités que lui ouvrait Einar sans même s’en rendre compte. Il s’approcha donc de lui, jouant avec son corps comme il avait joué avec son bras sur les nerfs du Teylus. Ses yeux parvinrent pour une fois à s’accrocher à ceux du jeune homme. Ses pupilles se dilatèrent, comme sous l’effet d’une drogue, alors que la frayeur faisait papillonner ses cils d’une manière si délicate que Lev eut brusquement envie de les sentir s’agiter dans le creux de son cou. Il voyait la cage thoracique s’élever, creuser et combler le creux de la clavicule, gonfler les muscles inspirateur, et les ailes du nez fin et droit qui s’agitaient, non loin des tremblements presque imperceptibles des lèvres qui vibraient sur la respiration saccadée qui les asséchait… Il eut envie de les lécher, ces lèvres, pour leur rendre une intégrité que les gerçure leur avait volé, puis de serrer contre lui, comme une poupée, une poupée aux yeux terre de sienne qui se pareraient de leurs plus beaux attributs émeraude lorsqu’ils se poseraient sur un Lev qui le protégerait. Ah quel doux rêve que celui de posséder, envers et contre tout, une âme qui ne demanderait qu’à servir et à assouvir les besoins et les envie de son sauveur !
Lev s’ébroua doucement, comme s’il s’éveillait d’un songe particulièrement agréable, mais il ne s’arrêta pas pour autant d’approcher du Teylus inexorablement. Lorsqu’il fut assez près et qu’il du loucher pour continuer à fixer le regard désespéré du garçon, Lev posa sa main sur son poignet, le plaquant contre l’accoudoir, manière de retenir le corps aussi bien que le voix sous son emprise. Il s’approcha alors de son oreille et chuchota, les cheveux noirs d’Einar lui caressant presque les lèvres :
- Les vampires agissent par faim, sucent le sang de leur victime pour s’en repaître. Mais ils peuvent aussi agir par amour, tu sais.
Einar eut un sursaut, comme s’il voulait se dégager de la voix qui s’insinuait dans son oreille, veloutée et redoutable. Mais Lev ressera son emprise sur le poignet du jeune homme, marquant de ses doigts l’empreinte d’une absence de sang dans les tissus de sa victime. Il se déplaça latéralement, félin, pour se placer dans le dos d’Einar et ainsi empêcher toute fuite par l’arrière. Il vit trésaillir la nuque du garçon, et ce cou si beau et si masculin à porter de visage lui fit bouillir le regard d’une envie concupiscante. Il demeura trouble et suave pour, de son autre main faire pivoter la tête du jeune homme vers la porte qui se refermait sur le vieillard qui s’en était enfin aller. C’était l’heure du repas et il n’y avait plus personne dans la bibliothèque. Sa main, qui s’était faite rude pour obliger le Teylus à tourner la tête, se fit tendre pour lui effleurer la joue. Einar sursauta derechef, mais ce n’est que lorsque Lev lui mordilla l’oreille qu’il repoussa le fauteuil dans un geste de panique extrême, écrasant le pied de Lev au passage ce qui lui tira un rictus de colère et de douleur. Il se décala et finit par poser une fesse sur un des accoudoir du fauteuil. D’une voix beaucoup moins séduisante, pleine d’une morgue qu’elle ne portait pas avant, il lança, ses mains tripotant le dossier du fauteuil :
- T’as vraiment une imagination débordante, Einar – il prit plaisir à prononcer son nom, en faisant rouler le r comme pour mieux en savourer la tonalité – Tu crois vraiment que je pourrais boire ton sang ? C’est ignoble, le sang, t’as jamais lécher une coupure ? C’est écœurant.
Puis, sa voix se fit plus rêveuse, tandis qu’il songeait à la couleur du sang, d’un rouge si flamboyant qu’on ne pouvait qu’en apprécier l’étalement. Et puis, ce qu’il disait n’était pas vrai, lui avait adoré le gout d’une goutte de sang, mais de là à en boire des litres… Non, c’était quand même vraiment trop.
- Tu crois vraiment que des gens comme ça existent, Einar ? Et tu crois que j’en fais partie ?
Ses yeux pétillaient de malice derrière ses longs cils noirs.
- Je sais que je peux paraître un peu étrange aux yeux de certains, mais ce n’est quand même pas une raison pour me cataloguer assassin, si ? Bon, j’ai tendance à être un peu brutal dans mes réactions, et puis la curiosité m’entraine souvent sur des chemins où la bienséance a du mal à me suivre, mais je t’assure que je ne te veux aucun mal. Tu me crois hein ?
Il s’était un peu éloigné pour laisser plus d’espace à Einar et de ce fait appuyer ses propos. Certes, il aimait bien la sensation de crainte qu’il se savait capable d’inspirer, mais l’amour, l’adoration, la connivence était de bien plus belles distractions à son esprit en mal d’affection, et il ne voulait pas qu’Einar le craigne trop. Au contraire, il aurait voulu que le jeune homme lui fasse assez confiance pour se laisser approcher et pour se livrer à un Lev qui le protégerait de tout ce qui pourrait les séparer. Il s’accouda à la table, un peu plus loin, toute son attitude exprimant le regret de lui avoir fait peur, et l’envie de se rapprocher de lui, comme si Einar était désormais le centre de son univers personnel. Une question parvint cependant à traverser le barrage de ses lèvres, comme si elles eurent été indépendantes de sa volonté :
- Au fait, tu connais une certaine Marlyn ?
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Lun 15 Aoû 2011 - 23:36 | | | Bomon. Il venait de voir l’âme réincarnée de Bomon. Il était formel. Il venait de voir la folie furieuse dans les yeux de Lev se répandre comme un venin dans ses iris, et les transformer en une tempête marine – un maelström de violence. Bomon se tenait devant lui, il allait mourir dans d’atroces souffrances pour avoir osé démasquer son identité secrète de réincarnation, et personne ne serait là pour ramasser les débris de tripes qui resteraient de sa carcasse pour les ramener à sa famille. Il servirait de peinture fraîche aux étagères vermoulues, et il ne serait même pas une bonne peinture – le rouge sang allait jurer avec le bois clair et les velours vert de gris. Personne n’irait poser de jonquille sur le petit monticule de terre qui serait sa dernière demeure, ou devant le petit vase contenant le tout tout petit monticule de cendres qu’il serait devenu.
Mais il n’eut pas le temps de dresser mentalement la liste de tous les amis à qui il léguerait ses possessions, et la dynastie de lapins-nains qu’il avait minutieusement élevée dans le clapier de la cour de ses parents, car Lev se dirigeait vers lui, faux comme la hyène et doux comme le velours. S’il avait pu, Einar aurait reculé encore plus dans son fauteuil. Mais la terreur qui l’avait de nouveau prise en voyant l’incarnation de Bomon s’avancer vers lui avait fini de le terrer dans les coussins de plumes, et il dépassait à présent à peine de l’accoudoir. Les yeux de Bomon s’approchaient de lui, instigateurs, mutilateurs, accusateurs, contempteurs, tracteurs. Et il ne pouvait rien y faire. Il semblait à Einar qu’il se noyait dans les immensités bleues qui se dirigeaient droit vers le plus terrifié de son âme.
Your eyes are like a pond ♪
Et tes mains sont ma prison. Lev venait de réapparaître devant lui, l’air aussi halluciné qu’avant, mais il semblait que le sang de Bomon ne coulait plus dans ses veines, ce qui perturbait Einar au point qu’il ne réagit pas tout de suite quand il perdit les orbes-océan des yeux et qu’il sentit un souffle étrange dans sa nuque, et bientôt dans ses oreilles. Un bref frisson passa dans sa nuque devant ce contact extrêmement inhabituel et… extrêmement dérangeant. La voix profonde de Lev se répercuta dans sa tête, et ses mots plus que révoltants firent leur chemin dans les pensées d’Einar. Qu’est-ce qu’il lui parlait d’amour alors qu’il avait eu l’air sur le point de le tuer voilà quelques secondes ? Qu’est-ce qu’il lui parlait d’amour alors qu’il lui serrait le poignet au point de lui faire mal, et puis, qu’est-ce qu’il lui parlait d’amour alors que … ‘fin… alors qu’il était un garçon, et qu’Einar n’était pas une fille ? Oh. Le déclic mental provoqua une ruade physique de la part d’Einar, et ses oreilles virèrent rouges de compréhension. Il ne pensait plus qu’à se dégager de la poigne de Lev, de son visage qui était resté insolemment dans sa nuque, qu’à se dégager de sous son corps dégingandé qui encageait le sien, qu’à se dégager de la prison doucereuse des coussins qui l’encadraient, et de cette bibliothèque où il était enfermé ; il voulait courir loin d’ici, et se cacher très loin, il voulait surtout ôter de sa tête les idées grotesques qu’y avait implanté Lev Mil’Sha. Mais comme toujours, ce n’était qu’une volition qui ne se mua jamais en volonté. Et il resta enfermé dans le carcan de chair des doigts du monstre aux yeux de glace. Un nouveau frisson glacé coula le long de son dos en voyant disparaître Lev, et plus particulièrement en sentant sa main sur son visage, cette main glacée qui émettait des craquements aussi écoeurants. Pourtant, il se laissait faire. Il se faisait penser lui-même aux Siffleurs domestiques, qui se laissent faire dans la gueule du Tigre des Plaines en espérant qu’il se lassera d’eux, et finissent dévorés par leur stupidité. Le vieux professeur s’en allait. Ils étaient seuls. Seuls. SEULS. La bibliothèque était vide. Son dernier espoir venait de s’envoler. Et il ne supportait pas le contact de la main de Lev sur soin poignet, l’aura de son corps dans son dos, et surtout ces doigts glacés qui commençaient à devenir vraiment agaçants. TRES agaçants. Et très déplacés aussi. Et très très très dérangeants. L’image de la folie furieuse fugace de Lev apparut à nouveau dans son esprit agité, et il perdit les pédales. Rua. Enfin. Ce qui lui sembla une ruade, et eut juste pour effet de faire s’écarter le jeune homme aux cheveux noirs. A une distance un peu plus sociale. A une distance où le jeune garçon ne se sentait pas attaqué dans ses défenses reptiliennes les plus instinctives. Il se prenait pour qui l’autre là, à le toucher comme une fille ?! Einar tira nerveusement sur sa manche qui était coincée sous son interlocteur assis sur l’accoudoir, et se réfugia lui-même à l’autre bout du grand fauteuil de cuir et de velours. Même sur un ton de dégoût, entendre Lev parler de boire le sang de quelqu’un avait quelque chose de révulsant. Lui-même avait suffisamment été idiot quand il était gamin et les coudes écorchés pour savoir que c’était absolument dégoûtant, et terriblement maléfique. Et oui, il en croyait Lev capable. Suffisait de voir comment son regard se teintait de la même couleur sang métaphorique quand il était en colère… c’était juste terrifiant. C’était comme dans les livres. Et cette force nerveuse… Le petit Teylus se massait le poignet, engourdi par la pression plus qu’exagérée qu’avait exercée Lev, anxieux de voir le sang y recouler un jour. Comment il pouvait croire ce que ce fourbe était en train de lui dire, alors qu’il était capable, il en était sûr, d’invoquer les morts comme Bomon pour les laisser prendre possession de son corps pendant quelques minutes ?
-Nan, j’te crois pas.
Mais il avait murmuré cette réponse tellement bas qu’il doutait que le grand échalas l’ait entendue. Qu’importait. Open space. Free at last. Dès qu’il put se dégager du fauteuil que Lev venait de quitter, Einar bondit hors de ce piège infâme, et se remit debout. Même, il fit quelques pas en direction de la sortie, juste de manière à se retrouver dans l’allée centrale, à la lumière, là où il était sûr d’être vu si quelque chose tournait mal. Et psychologiquement, Lev n’était plus entre lui et la sortie. Et puis il avait à disposition plein de livres sur les rangées à jeter à la tête du réceptacle de Bomon, au cas où. Ca pouvait toujours servir. Une fois dans une situation où il pouvait à tout moment prendre ses jambes à son cou pour fuir la pièce en criant au meurtre, Einar utilisa de nouveau son système respiratoire. Sa peau était toujours hérissée par tous ces contacts intempestifs, et il aurait sans doute les oreilles rouges encore un moment. Il ne voulait d’ailleurs pas penser aux autres réactions étranges de son corps, inconnues et malvenues, et mit les mains dans ses poches. Lev le regardait par-dessus son épaule, dos à lui, et Einar ne pouvait pas distinguer clairement l’expression sur son visage à cause du contre-jour causé par le soleil. Mais il n’osait pas s’approcher plus.
Il estimait que déjà, être resté alors que l’autre avait suggéré des idées révoltantes pour l’esprit d’Einar était une marque de confiance suffisante. Des réactions « un peu brutales », c’était un euphémisme.
La question subite de son interlocuteur laissa Einar stupéfait. Abasourdi. Baba. Scotché. Comme au moins dix ronds de flanc. Ca tombait juste complètement du ciel. Y’avait un piège. Et puis d’où il sortait sa question, là ? ‘Fin c’était quoi le rapport avec les Vampires ? Il voulait savoir ce qu’était devenue son amie vampire ou quoi ? S’il enlevait sa chemise, est-ce qu’il se mettrait à briller au soleil ?
- Euuuuhh…
C’était une réponse convenable, ça ? Le temps de mettre son demi-neurone en route, en tout cas. Et puis ce demi-neurone était occupé à jeter des coups d’oeils rapides vers la porte de la bibliothèque, comme s’il avait peur qu’elle se transforme en un mur solide d’une seconde à l’autre. Ou en œil de Lev géant. Ca serait méga ultra flippant ça… Lev le regardait toujours, la tête tournée et les cheveux dans les yeux. C’était encore plus intriguant de ne pas pouvoir croiser son regard, après avoir passé la dernière demi-heure à l’éviter… Et ces mains noueuses qui pianotaient sur le bois de la table, après avoir laissé trois bleus sur son poignet… Il paraissait un peu moins terrifiant maintenant qu’Einar était debout. Il était toujours plus petit, largement plus petit que Lev, mais au moins, il n’était pas dominé et mis en cage dans son fauteuil comme une vulgaire perruche. Le petit Teylus déglutit.
- Bah y’a Marlyna la Vengeance dans le Conte de Sept Sous, là, mais t’as dit Marlyn, alors j’crois pas que c’est elle, et puis dans le conte, elle finit dévorée par les Raïs pour avoir triché aux cartes donc en fait non c’est pas ça…
Les épaules de l’apprenti Chantelame s’affaissèrent quand il vit Lev se détourner avec un signe de dédain, pour lui tourner le dos et observer la fenêtre. Non, ça devait vraiment pas être ça. Et qu’est-ce qu’il lui demandait de savoir c’était qui sa Marlyn, là, alors qu’il parlait de Vampires et de… d’.. ‘fin… de trucs entre garçons, là, juste avant ? Et puis s’il avait posé sa question, il pourrait au moins avoir la décence de l’écouter, au lieu de regarder dans le lointain comme un ténébreux.
- Y’a des rumeurs ici à l’Aca, du genre qu’on se raconte dans les dortoirs comme un espèce de secret le soir, sur les anciens élèves qui étaient avant nous. ‘Parait qu’il se passait des choses pas très nettes avec les anciens directeurs, des choses violentes. Et y’avait une Marlyn, j’me rappelle, ‘parait qu’elle était à moitié folle, à cause du Dessin, et qu’elle arrêtait pas d’agresser des gens parce qu’elle était diabolique.
Il s’arrêta parce qu’il n’arrivait pas à se souvenir de la suite. Il avait jamais vraiment cru à toutes les sottises des dortoirs, parce que tout était toujours exagéré. ‘Fin, qui croirait à une histoire d’élèves qui se battent avec des domes géants, des stalactites et des flèches indestructibles, et qui en meurent même pas ? Ils avaient beau être tous tarés les anciens élèves de l’Aca, ils l’étaient pas à ce point-là quand même… Un souvenir fugace lors du cours du combat fit son chemin jusqu’à ses lèvres :
- Ah oui y’en a même un qui dit qu’elle a fini par être tuée, même qu’elle aurait été torturée ici, à l’Aca’, et qu’on lui aurait arraché les yeux et les ongles pour l’exorciser, parce qu’elle était devenue complètement folle. Mais c’est vraiment dégueulasse comme histoire, moi j’y crois pas, Sire Hil’ Jildwin laisserait jamais faire ça, maintenant. Pourquoi tu t’intéresses aux vieilles rumeurs de l’Aca ? J’suis même quasi sûr qu’elle a jamais existé cette Marlyn.
Il reprit sa respiration et déglutit. Il avait un peu la nausée. C’était ultra glauque, d’arracher les yeux et les ongles à quelqu’un, alors imaginer les profs de l’Aca le faire… Il se serait arrêté là, mais Lev ne l’interrompait toujours pas. Il avait même l’air d’avoir arrêté de respirer ou de vivre, oublié comment fonctionnait son corps. Einar fit quelques pas précautionneux dans sa direction, un peu intrigué de la réaction de Lev, alors qu’en fait, il avait juste l’air de vouloir se tenir au courant des histoires d’horreur des dortoirs de l’Aca… En parlant de dortoirs… Halina était revenue assez énervée, hier soir, dans le dortoir des Teylus, à cause du trésorier bizarre. Elle leur avait raconté quelque chose concernant son enfermement. Il n’était pas sûr que ça avait un rapport mais…
- D’après Halina, y’avait aussi une des Mentaïs qui ont tenté de s’emparer de l’Académie qui s’appelait Marlyn. Mais c’est un nom assez répandu, j’connaissais deux Marlyn dans mon quartier, alors bon… Lev ? Tu m’entends ?
Il s’était rapproché de manière à pouvoir toucher l’épaule de Lev en tendant le bras. Il recommençait à avoir peur, et préférait vérifier qu’il parlait pas dans la vide. Sa main toucha le tissu de la tunique du Kaelem. Il n’aurait peut-être dû.
[Hmm si quoique ce soit te dérange, hésite pas ! ]
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| | Messages : 123 Inscription le : 12/05/2011 Age IRL : 33
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Lun 22 Aoû 2011 - 20:26 | | | L’esprit de Lev était tortueux. Les chemins s’enchainaient presque avec violence, les coins heurtaient les chevilles, et les idées s’entrechoquaient, se perdaient, se retrouvaient, se liaient, pour former, la plupart du temps, des monstres hybrides où la tête et la queue s’amalgamait sans fin ni début. Mais il n’était pas inintelligent, le bougre, plusieurs pensées pouvaient simultanément s’articuler autour des chemins, et parvenir à maturité plus ou moins en même temps. Du coup, Lev était là, mais il était aussi ailleurs, avec son passé, son présent et son avenir, avec ses idéaux, ses peurs et ses rêves. Avec Einar, avec ses parents et avec Marlyn.
Einar qui s’était relevé, d’un bond, la peur au fond des yeux, le vortex de l’incompréhension envoutant la pupille et l’esquisse de fuite qui en découlait, presque risible, tant elle était incertaine. Lev ne bougea pas, le regard perdu dans le vide que créait l’absence du jeune homme face à lui. Ses mains, détendues, étaient posées telle des papillons osseux sur la soie du bois qui ne brillait pas. Ses pensées tendaient vers l’infini, il s’y immergeât un court instant, un peu comme lorsqu’il s’apprêtait à tenter de dessiner, sans pour autant quitter son corps et la promiscuité d’avec Einar qui s’amenuisait. Il se savait le perdre par sa conduite horrible. Et cala, contre toute attente, le rendait presque triste.
Il ne savait pas être différemment. Il n’était que réaction, affectivité, manipulation, rudesse et lubricité. Tout cela pour s’approprier l’esprit ou le corps, sinon l’âme de celui ou de celle qu’il ne parvenait qu’à qualifier de victime tant la spontanéité désertait ses gestes au profit de prévisions et calculs, analyses et retouches. Même si le plus souvent cela servait ses buts, il avait un cœur tout de même ! Mais pour l’instant, ce n’était pas son cœur qui le préoccupait. C’était l’association de ces trois mots : Marlyn – Dessin – Diabolique. Et peut-être aussi d’un quatrième : Folle.
D’immobile, il fit voleter ses yeux droit sur le Teylus qui semblait mieux respirer loin de lui. Tout entier concentrer sur les paroles qu’il déversait un peu plus rapidement que nécessaire, il ne fit pas attention aux coup d’œil qu’Einar jetait à la porte de sortie. Non, d’un coup, Lev était transporté à l’extérieur de son corps, en plein dans celui de sa sœur potentielle, cette Marlyn qui avait son don, qui partageait sa folie, qui tremblotait, à la limite du mystère. Mystère qui ne semblait pas bien gardé avec un Teylus comme Einar à portée de mur. D’un coup, de possible poupée à câliner, le jeune homme état devenu la clef qui lierait Lev à sa sœur. Mais était-ce vraiment celle qu’il cherchait ? Toujours immobile, ses pensées s’emballant telles des chevaux furieux, il s’imagina une jeune fille, belle et puissante, avec des yeux comme les siens – bleus à en trembler – et un don du dessin qui ferait pâlir les puissants de ce monde. Et cette image idyllique se superposait à celle, machiavélique qui transpirait des paroles d’Einar : Une Marlyn aux traits déchirés, monstrueuse jusque dans son âme, torturée et animée d’une folie destructrice qui la guiderait vers le chao total, et la soif de sang qui colore le céruléen de ses yeux comme de l’encre dans les pétales d’une fleur. Et étrangement, au lieu de s’annihiler l’une l’autre, ces deux images s’imbriquèrent, se fondant dans un flou artistique qui, au lieu de détruire les traits, ne fit que les acérer davantage, les sublimer en couleur et en profondeur.
On pourrait s’étonner de la facilité avec laquelle Lev goba les dires du jeune homme, comme s’il n’e ressortait qu’une vérité inébranlable de ces ouï-dire et de ces rumeurs. Mais Lev attendait ça depuis trop longtemps. Chaque jour il scrutait, depuis la mort de ses parents, en pure perte, ce qui l’entourait pour retrouver trace de sa sœur biologique. Il avait besoin de ça. Comme un drogué a besoin d’héroïne, comme un être vivant a besoin d’Oxygène. Il lui fallait alimenter la folie de son esprit malade afin que celle-ci ne la détruise pas. Perdu dans ses pensées, il en avait oublié le jeune homme, qui se rappela à lui par la manière la plus stupide qu’il aurait pu imaginer : il lui toucha le bras.
Pendant une seconde, Lev ne bougea pas. C’était un peu comme réveiller un somnambule en plein délire, ce n’était pas franchement conseillé et ça pouvait devenir très dangereux. Les abysses marines de Lev s’ajustèrent sur la table face à lui, sur sa main qui gisait, à côté de l’autre, sur le bord de la table. Il vit les livres en vrac, tout autour, témoins de la violence latente qui avait animé l’échange, puis enfin il réintégra son corps, et fit de ces araignées d’albâtre les siennes, pour pouvoir les contracter sur le bois et faire crier ses ongles. Il tourna la tête d’un coup, et le son écœurant des vertèbres qui craque emplit le silence poisseux qui mâtinait l’atmosphère. D’un geste il balaya le bras d’Einar, peut-être plus durement que nécessaire au regard de la grimace douloureuse que ce dernier afficha, puis il s’avança contre lui, le forçant à reculer dans une étagère pleine de livre en équilibre instable. Einar, sous la soudaineté de l’action, semblait avoir oublié le chemin de la sortie. Il se retrouva donc emprisonné, non plus entre les bras du fauteuil, mais bien entre ceux de Lev, qui l’accula brutalement contre le bois. Quelques ouvrages dégringolèrent, et frôlèrent les deux protagonistes, l’un les vis passer avec un frisson, l’autre n’en eu cure, les yeux planter dans ceux du premier.
Lev prenait son temps. Pour ne pas agir inconsidérément. Pour ne pas réduire à néant ses chances d’avoir plus d’information. Son instinct le poussait à profiter de la situation, à retrancher l’autre dans ses défenses pour en faire ce qu’il voulait, pour le martyriser un peu plus – la flamme de terreur pure dans ses yeux était tellement jouissive -, mais la part raisonnable de lui – un peu petite face à l’autre, certes – lui dictait de s’éloigner, de s’excuser et de pousser Einar à vouloir lui venir en aide. Contre toute attente, ce fut cette dernière qui, après quelques secondes de concentration intense, prit l’avantage.
Il se recula. Maître de lui. Parvenant même à insuffler à ses mouvements une douceur qui adoucissait les heurts de sa gestuelle habituelle. Il détourna le regard, battant doucement des cils, courbant le menton, voutant la nuque pour diagonaliser l’angle de son attention, tournée à présent vers le sol. D’un mouvement qui laissait transpirer sa fatigue, rehaussée en plus par les cernes sombres sous ses yeux il n’avait pas bu de sang depuis plusieurs jours , il se laissa tombé à même le sol, image même de l’exténuement et de la détresse la plus totale. Il se prit la tête dans les mains et la secoua, pour en chasser les restes de violence qu’il sentait rougeoyer dans son âme, et murmura, d’une voix blanche et basse :
- Je te demande pardon.
Un instant, il crut que tout était perdu. Lorsqu’il releva les yeux, Einar était déjà à mi-chemin de la porte. Et sa fuite ne semblait pas devoir s’arrêter. Maudissant sa bêtise et la stupidité de sa lubricité, il voulut se relever, se mit à genou, mais sa fatigue n’était pas complètement feinte. Ses genoux craquèrent et les courbatures l’empêchèrent de faire un mouvement de plus. Il resta donc dans cet équilibre instable, agenouillé comme un homme qui demanderait la main d’une femme, les tremblements de son mollet gauche se répercutant avec violence jusqu’à la base de sa colonne vertébrale.
- Einar…
Le ton était celui d’une véritable supplique. Et c’en était une, tant Lev avait peur que son dernier espoir ne s’échappe et le laisse seul, à la merci de son imagination qu’il savait assez débordante pour le faire souffrir d’élucubrations qui ne le mènerait qu’en enfer. Le temps sembla se figer, un instant, en un tableau étrange : Lev, à moitié à genou, les yeux brillant de remords et de détresse, et Einar, la main sur la poignée de porte, qui semblait ne pas pouvoir détacher son regard de son bourreau offert à lui dans sa plus grande vulnérabilité.
Lorsqu’il vit Einar abaisser la poignée, lorsqu’il comprit que tout était perdu, Lev se remit difficilement sur ses pieds, tremblant, et fit un pas en avant. Au moment même où un livre, particulièrement épais, venait lui mordre la tempe et l’emporter dans l’inconscience.
[ Si la fin te dérange, ou si j'ai mal joué ton perso, n'hésite pas ! je te laisse le contrôle de Lev pour le prochain post, si tu veux qu'il se réveille ou pas, je te fais confiance pour les réactions que tu jugeras nécessaire ^^]
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| | Messages : 312 Inscription le : 22/12/2008 Age IRL : 31
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Lun 5 Sep 2011 - 10:13 | | | [J’ai fait ça dans le train, sans avoir ton post sous les yeux et avec mes souvenirs, j’espère que ça convient quand même ]
C’était une explosion. Pour ses nerfs. Pour son calme. Pour sa confiance.
Lev venait de crucifier le reste de confiance qu’Einar avait à son égard. Il venait de faire basculer le petit Teylus dans les réflexes émotionnels purs, dans la panique si intense qu’elle dilatait ses pupilles et faisait trembler ses mains. Cette panique qui crispait tous ses muscles et lui fournissaient l’adrénaline nécessaire pour prendre les jambes à son cou ; ou frapper son agresseur. Car oui, Lev était passé d’être étrange et imprévisible à agresseur ; prédateur. Le cerveau de l’apprenti Chantelame était dans un system error si intense qu’il ne pouvait plus penser que dans cette dualité réductrice. Il était la proie. La proie effrayée, acculée, épinglée contre les étagères avec une violence qui lui coupait toute retraite et toute bravoure. Lev était le prédateur. La violence incarnée. Les griffes de son regard enfoncées jusqu’à la garde dans le thorax de sa proie, pour lui briser son énergie, pour lui voler son libre arbitre. Les serres de ses mains clouaient Einar. Lev venait de crucifier le reste de calme que possédait Einar. Oubliées, les excuses, les belles paroles, les regets, les quelques fragments d’humanité que Lev avait collés à sa peau par souci de mimétisme. Fini, son regard de velours, et son intérêt feint pour son interlocuteur. Fini même cette attitude prostrée et intriguante qu’Einar avait eu la maladresse de rompre. Et comme l’oiseau irrémédiablement coincé sous les griffes du chat qui attend patiemment son trépas, Einar se débattit violemment, le coin des livres de la bibliothèque s’enfonçait dans son dos et dans ses côtes alors qu’il se cambrait contre les étagères d’ébène. Le temps pour lui semblait s’être arrêté, il ne vivait plus que dans un présent où il n’osait même plus imaginer tout ce que Lev pourrait lui faire. Il avait entendu des histoires, bien sûr. Des histoires affreuses, qui avaient démarré avec ses parents.
Ses parents, qui lui répétaient que le plus grand danger n’était pas celui qui cherchait à nous tuer, mais celui qui… Et Lev avait les yeux fous de celui qui. Einar était terrorisé. Et incapable de se dégager des serres blafardes du Kaelem. Ces serres qui lui griffaient la peau, et signaient la fin de son innocence. Ces serres qui venaient subitement de le relâcher ; de s’effrondrer devant lui, de se rétracter comme un maladif s’écroule tout autour de son infarctus. Einar contempla son agresseur avec des yeux encore plus écarquillée. Il s’était abîmé dans son explosion, et les débris de son être s’affalaient autour de son squelette ; sa monstruosité fondait. Einar cilla.
« Si jamais un jour tu es en danger, mon Nanar, il n’y a qu’un moyen de s’en sortir. Cours, le plus vite possible, et crie aussi fort que tu peux pour que le monde te protège. Le monde est plus fort que toi, mon chéri. »
Les mots de sa mère lui revenaient à cet instant avec une précision surprenante, et c’était comme si Einar se sentait pousser des ailes. Il prit ses jambes à son cou vers la sortie, car il savait qu’en courant suffisamment vite il finirait bien par croiser quelqu’un dans le couloir. Poussé par la panique, incapable d’entendre ou de voir ce qui se passait autour de lui et ce qui avait pu provoquer ce soudain relâchement de son agresseur, le Teylus partit à tire d’aile en direction de la grande porte de la bibliothèque, qui lui semblait à des lieues et des lieues. Sa respiration était hachée et sifflante lorsqu’il posa enfin la main sur la lourde poignée décorée, et son cœur battait douloureusement dans sa poitrine. Il s’apprêtait à s’enfuir dans le dédale des couloirs de l’Académie et à échapper à tout jamais au tourment que lui imposait le Kaelem, lorsqu’il sentit comme une pierre jetée dans la mare de son esprit, comme un grappin crocheter sa conscience. La voix de Lev. Brisée comme il était brisé, et aussi abîmée de désespoir qu’il s’était abîmé dans la prédation seulement une poignée de secondes auparavant. L’apprenti Chantelame aurait du continuer, il le savait. Il n’aurait pas du écouter son tortionnaire. Mais quelque chose l’en empêchait fondamentalement : sa foi infinie en la bonté de l’être humain. Et cette main tendue vers lui, ce regard implorant, le spasme de sa voix, et son prénom prononcé d’une façon qu’il n’avait encore jamais entendue… Il ne savait plus. La peur panique lui tiraillait encore l’estomac suffisamment pour qu’Einar continue sur sa lancée, et amorce d’ouvrir la porte.
Le reste alla très vite. Car il s’agit pour la proie de laisser la panique s’emparer complètement d’elle : tout dépend de la seconde fatidique d’adrénaline. Il vit la force de son aggresseur se recomposer, il aperçut cette silhouette terrible se redresser et avancer vers lui, voûtée de monstruosité. Muet de panique, le Teylus agrippa un énorme volume qui trainait sur un guéridon de l’entrée, et se crispa à lui comme si sa vie en dépendait. D’ailleurs sa vie en dépendait, et son innocence encore plus sûrement. Lorsqu’il ne pût plus supporter l’avancée de Lev, ce monstre qui le violentait et cherchait à l’abuser, Einar tendit tous ses muscles et frappa. Le poids certain de l’ancien volume lui permit d’assommer Lev, dans un bruit tellement écoeurant qu’Einar en eut la bile à la gorge.
Bienvenu dans l’œil dy Cyclone. La témérité fuit Einar instantanément. Ses jambes se mirent à flageoler, et son teint devint si pâle que les pages des livres avaient plus de couleur que sa peau en cet instant précis. Il lâcha le tome qui tomba dans un bruit mat, et resta sur place, hébété. La silhouette brisée de Lev gisait sur le sol, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils : tranquille. Ses traits détendus par l’inconscience inspiraient à Einar une profonde pitié, comme un accroc, un énième accroc dans sa méfiance et dans sa prudence. Il n’était plus dangereux comme ça, n’est-ce pas ? Le Teylus tremblait encore de tout son corps, mais il restait sur place, ses yeux troublés rivés sur la forme inerte du Kaelem. Le silence tremblait autant que lui, il lui semblait. Qu’allait-il faire, maintenant ? La conscience éduquée du petit Teylus l’empêchait de partir sans demander son reste, après avoir fait du mal à un de ses condisciples. Et si quelqu’un entrait dans la bibliothèque à ce moment-là, alors qu’il avait encore l’arme du crime à ses pieds et l’air horrifié du meurtrier sur le visage ?
La grande porte d’entrée de la bibliothèque grinça ; le vieux professeur entrait, la panse pleine de soupe, pensant passer une soirée tranquille à lire d’épais volumes dans une bibliothèque vide. Einar se pétrifia. Un silence gêné s’installa, et plusieurs œillades étonnées et intriguées passèrent de lui au corps de Lev étendu par terre. Que fallait-il faire ? Crier la vérité, et s’enfuir dans les juperons de cet érudit, en espérant que l’affaire s’ébruiterait suffisamment pour qu’il soit à jamais dispensé d’être agressé bizarrement par Lev ? Ou mentir, protéger son camarade, protéger son propre honneur ? Ou inventer une histoire complètement abracadabrante ?
- C’est.. c’est pas ce que vous pensez, j’ai rien- - Que s’est-il passé, ici ? - C’est lui, il..
Einar était incapable de se décider entre mentir et protéger sa vertu. Et ça se voyait, car le vieux bonhomme au visage plein de rides lui lançait un regard suspicieux. Pourvu qu’il ne prenne pas le parti de courir et d’alerter les autorités, même si affronter Jehan semblait à Einar moins effrayant que d’être violé par Lev. Il déglutit.
- Il est devenu tout bizarre, pas normal du tout, et il m’a sauté dessus, j’avais pas le choix..
Pourquoi l’autre érudit ne disait rien ? Pourquoi son visage creusé par les ans n’exprimait aucune compassion, ni compréhension ? Pourquoi ne se mettait-il pas, comme tous les vieillards cacochymes, à bégayer des propos vides de sens et de jeunesse d’une voix nasillarde ? Au lieu de ça, c’est d’une voix profonde qu’il s’exprima, une voix qui reflétait le calme de celui qui a le ventre plein et la mémoire tranquille.
- Je ne veux pas savoir. Ce n’est pas mes affaires. Les élèves sont décidément tellement indisciplinés, de nos jours… Jamais une heure sans incident . Je plains ce cher sire Hil’ Jildwin, une telle bande d’incompétents… Disparaissez de ma vue, et n’oubliez pas votre camarade en partant.
Rasséréné par cette directive qui ne lui donnait pas l’occasion de réfléchir, Einar opina du bonnet, et se mit à ramasser Lev fébrilement. Le Kaelem avait beau être tout en pattes et n’avoir sur lui que des muscles et de la vilenie, il était encore relativement lourd, et le Teylus à la carrure moindre n’eut d’autre choix de que le saisir sous les épaules, et de le trainer hors de la pièce maudite, ses pieds râclant sur le sol dans un bruit des plus désagréables. Il ne parcourut d’ailleurs pas beaucoup de mètres après que le vieillard outré eut refermé la porte de la bibliothèque d’un air pincé, et l’apprenti Chantelame s’arrêta dans un coin de couloir vide, poussiéreux ; plus précisément dans l’alcove destiné à une statue qui n’avait jamais été sculptée. On eut dit un criminel qui débarassait la scène du crime. Et Einar, sa panique un peu calmée, se sentait comme un criminel. Il avait frappé un autre élève, et même si ce dernier avait des projets extrêmements malsains et dangereux, il s’en voulait ; il aurait pu s’enfuir et ne plus jamais revenir, et rien de tout cela ne serait arrivé. Au lieu de ça, il avait provoqué un hématome sur la tempe blafarde de Lev, un hématome rougeâtre qui se diffusait comme un poison le long des coulures de ses cheveux d’ébène. Le souffle court, Einar s’assit sur le rebord du socle, contempla un instant le corps chiffonné à côté de lui, et gromella pour lui-même :
- Pourquoi faut que des trucs comme ça arrivent à moi tout le temps ? J’ai rien demandé, j’ai pas envie de faire mal aux gens… j’vais faire quoi maintenant… Jehan va sûrement m’enfermer dans un placard pour avoir agressé un autre élève !
Tout à ses ruminations, Einar ne remarqua pas tout de suite que le supposé corps mort s’agitait dans son sommeil, et se battait pour retourner à l’état conscient. Il fallait dire que le sens de l’observation de l’apprenti Chantelame était loin d’être développé, et il était trop concentré à pleurer dans ses mains pour remarquer quoi que ce soit. Oh, il ne pleurait pas bien fort. Mais tout le stress et la peur d’être agressé l’avaient rendu extrêmement nerveux, et le manque d’intérêt de l’érudit avait creusé un fossé dans son besoin de compassion et d’affection. Il se sentait concrètement seul au monde avec son malheur. Sanglotant, il murmurait toujours pour lui-même :
- Tifen, tu penserais quoi si tu me voyais ? J’suis incapable de me défendre contre qui que ce soit, ou même de m’enfuir correctement. J’aurais du lui résister, mais il était si fort.. Et j’ai toujours aussi peur.
Pendant encore plusieurs minutes, le jeune garçon marmottait beaucoup d’imprécations envers lui-même, il partageait avec le Dragon sa grande peur d’être molesté, sa peur d’être agressé tout court, il se prit même à se raconter tout seul des vieilles anecdotes d’agression quand il était enfant, dans la bande. C’était comme une vanne qu’on venait d’ouvrir. Et de toute manière, il n’y avait personne pour l’écouter. Et il n’aurait su dire pourquoi, mais il se sentait incapable d’abandonner le corps inconscient de son agresseur ici. Pas tout de suite. Encore quelques minutes, et il irait chercher Jehan.
- J’lui expliquerai tout, il pourra bien faire quelque chose, c’est l’Intendant. Et il prendra des mesures, et il comprendra, lui, il comprendra que Lev a cherché à me faire du mal, et qu’il faut faire quelque chose..
Au moment où Einar avait pris la résolution d’aller chercher Jehan, et de tout lui raconter, au moment exact où il s’apprêtait à se lever, le Kaelem bougea. Et deux abysses océanes s’étaient fixées sur lui. Le crucifiaient.
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| | Messages : 123 Inscription le : 12/05/2011 Age IRL : 33
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Jeu 8 Sep 2011 - 17:39 | | | Son centre de gravité s’était déplacé. Une cible était apparue, spirales entrelacées, vortex versicolore et maillons ardents qui centrifugeraient le tourbillon, le clouant au centre de ce qui lui apparaissait comme un œil à la pupille abyssale. Et au centre de la pupille, comme un puis de feu, l’orbe tourbillonnait et brûlait. Ce qui était étrange, c’est que la douleur se répercutait au centre exact de la spirale, comme si le corps de Lev se résumait peu à peu à cet unique espace coloré, comme si sa tempe se consumait à partir de ce nœud mordoré qui pulsait comme un cœur improbable. Et tout autour, il y avait un vide atroce. Un vide que rien ne venait interrompre, même pas du noir, non, mais une absence de couleur terrifiante qui ravalait l’incandescence au rang de pixel sans extension. Lev y avait végété, dans son inconscience, avant que les quelques rares afflux de pensée ne le dirige, comme un vague courant, vers le centre ultime de sa course : tout partait et recommençait à l’arcade, de biais, tempe contre temps, et celle-ci laissait couler une goutte de sang comme une improbable larme de regret : Lev reprenait peu à peu conscience, la tête battant une chamade en totale adéquation avec celle qui faisait frémir sa cage thoracique de ses coups de butoir.
Tout d’abord, il y eu les sensations. Bien avant le reste, il se fit expulser de son vortex de douleur par les dalles qui râpaient contre le bas de son dos, rongeant les vertèbres, petit à petit. Et de ce fait, la torture de sa tempe lui apparut comme plus supportable puisque ses pensées n’étaient plus entièrement focalisées dessus : à présent il souffrait aussi de sa peau déchirée qui allait tâché sa chemise. Sa tête ballotait et, à la suite de la peau, ce furent ses oreilles qui basculèrent dans la réalité en envoyant au cerveau le bruit de ses vertèbres qui craquaient. Ensuite, bizarrement, ce fut son odorat qui parvint à rétablir la connexion, et un mélange déroutant fit chemin dans ses narines frémissantes : une essence végétale, probablement du bois, et puis la craie de la pierre qui s’y mélangeait, de la sueur, mais à peine, et le sang qui lui coulait dans le cou, avec son parfum entêtant de rouille salée… Une petite pensée furtive l’amena à se demander pourquoi ces odeurs lui semblaient si étranges, et avec un sursaut, il se rendit compte, dans les brume de sa semi-inconscience, qu’il n’avait rien à y rattacher : il lui semblait les sentir vraiment pour la première fois de sa vie. Mais ses forces et son esprit le quittèrent bientôt, tant le fait de se faire trainer lui embrouillait la raison : le coton s’enroula sur ses paupières, et le flot de douleur se mit à flamboyer, alors que ses lèvres scellées ne pouvait même pas émettre un gémissement de protestation.
Un peu plus tard –s’était-il passé une minute, ou une heure ? – Les muscles du jeune homme commencèrent à se contracter, comme pour treuiller la conscience vers la surface, lovant les filins de sensation autour d’un corps qu’il essayait, en se débâtant de toutes ses forces, de se réapproprier. Ses oreilles captèrent des mots auxquels il n’associa un sens que beaucoup plus tard, et il se rendit compte, de manière très primitive, qu’il était immobile, et que sa joue semblait aimantée à la dalle de pierre qui la retenait. Sa tempe continuait à pulser de douleur et ses sourcils se froncèrent alors qu’il essayait de se concentrer, en vain, à mi-chemin entre le monde noir et vide qui gravitait sa tête, et les sensations de son corps qui semblait se contorsionner dans les limbes.
Etrangement, ce qui le fit revenir à lui, ce fut la tonalité de la voix d’Einar. Malgré les larmes qui rendaient flou la compréhension, il retrouva dans son timbre l’accroche qui lui manquait pour que ses souvenirs se rappellent à lui. Ce qu’ils firent avec une puissance qui tétanisa les muscles du dessinateur et le fit se relever d’un coup.
Ses yeux papillonnèrent à droite à gauche, désorientés, alors qu’il accommodait tant bien que mal à l’obscurité du couloir. Enfin, il tomba sur le visage d’Einar qui le regardait, les yeux grands comme le ciel, un ciel tourbe où foisonnait une multitude de gouttelettes brillantes. Ahuri, il resta quelques secondes totalement vulnérable, son visage affichant cette expression perdue qui avait arrêté son interlocuteur lorsqu’il l’avait imploré. Mais cette déconfiture passagère ne dura pas. Avec une aisance et une rapidité qui confinait au miracle, son masque se recomposa, noyant ses traits fragiles sous l’entrelacs des fils, tirant sur la lèvre, ombrant les yeux sous une chape de cils, arquant un sourcil, fronçant l’autre et dismorphiant l’allure pour la faire coïncider aux émotions et ainsi caparaçonner tout ce qui pouvait apparaître comme sensiblerie ou faiblesse. En réflexe à cette situation inconnue, le plâtre se coula au front de Lev, instantané.
Mais, bizarrement, cela ne pouvait pas le satisfaire. Avec un froncement de sourcils, il tourna la tête à droite à gauche, cherchant un indice visuel du trouble qu’il sentait grandir dans sa poitrine et affluer dans sa bouche comme une vague amer. Il revint à Einar, et remarqua ses joues rouges, de la même couleur que ses paupières, en un peu moins foncé peut-être, et ses mains qui tenaient encore dans leur creux l’humidité des larmes qui avaient coulé. Quelque chose le titillait, une sorte d’insatisfaction à ne pas comprendre, mais surtout une gêne qui allait en croissant, balayant toute raison sur son passage : Et Lev s’énervait de ne pas comprendre ce malaise .En un flash, quelques paroles lui revinrent en mémoire, des mots prononcés pendant qu’il se débattait avec sa propre obscurité.
Et soudain, tout s’emboita parfaitement.
Lev ouvrit grand les yeux, comme des soucoupes et sa bouche béat d’ahurissement. Il ne savait pas pourquoi, il ne savait pas comment, mais cette sensation dans son cœur, à n’en pas douter, était celle du remord.
Lev regrettait ses actes.
Puis, il secoua la tête, comme pour en extraire cette idée déplaisante. S’il était aussi libre que pouvait l’être un homme, c’était précisément parce qu’il n’éprouvait aucun regret à ses actions, qu’elles fussent horribles ou banales. Même lorsqu’il avait tué sa famille il n’avait eu au cœur que la jouissance de son pouvoir et de la liberté que la mort de ses proches lui offrait. Il se savait différent, profondément, et fou, un peu aussi, quand il voyait avec quel dégout on pouvait lui gratifier des regards, mais il s’en fichait, toujours, puisque de toute manière ce n’était pas à lui de s’écarter. Personne ne devait s’écarter devant personne, à la vérité. Et chaque fois qu’il avait tué, qu’il avait blessé, qu’il avait rendu malheureux, c’était parce que la personne l’avait déçu et/ou parcequ’il ne l’avait pas trouvé à son goût, ce qui revenait à dire, pour son esprit malade, que c’était la faute de la personne en question s’il était amené à agir avec violence. Mais cette fois-là… Avec Einar ç’avait été sensiblement différent : Le nouvel environnement lui avait donné des ailes de démon, et aucun stimuli n’avait entrainé la volonté de vengeance de Lev, il avait agis avec une méchanceté gratuite, mais cela ne l’avait absolument pas gêné. Pourquoi alors éprouvait-il du remord seulement maintenant ? Une réponse essentielle le frappa alors : Einar était quelqu’un de gentil. De profondément gentil. Bon, il l’avait certes envoyé au pays de Morphée avec son bouquin, mais il était à présent en train de pleurer du mal qu’il lui avait fait, alors que Lev savait que c’était lui le bourreau dans l’histoire. Que c’était de sa faute s’il en était là. Qu’il était donc, par extension, l’unique responsable des larmes qui coulaient à présent sur les joues du garçon.
Et pour une fois, pour une unique fois, il n’en conçut pas de victoire. Plutôt même une humiliante défaite.
Il se redressa légèrement, grimaçant lorsque la peau de son dos à vif frotta contre le mur de pierre et passa sa main gauche dans les cheveux de sa nuque. Il détourna le regard de celui d’Einar, l’esprit aussi chamboulé qu’une chambre d’étudiant désordonné ce qui n’est pas peu dire pour ma part :za : . Que faire alors, dans cette situation ? Un murmure s’échappa de ses lèvres. Sa voix tremblait :- Je suis désolé.Et ces paroles d’excuses lui arrachèrent la gorge. Non pas parce qu’il les prononçait rarement –il en usait plus que nécessaire pour charmer – mais parce que pour la première fois de sa vie il les pensait sincèrement : Lev découvrait les sentiments, des sentiments autre que ceux de la domination, de la séduction et de la manipulation. Il agissait peut-être de manière égoïste – il ne cherchait consciemment qu’à atténuer le malaise qu’il ressentait – mais l’effet devait être le même.
Afin de prouver ce qu’il disait, il s’écarta un peu d’Einar, les yeux toujours de biais pour ne pas croiser son regard, agissant par là-même comme le plus primitif des animaux qui se soumet face à son maître pour quémander son pardon. Les dernières paroles du jeune homme firent leur chemin dans l’esprit de Lev, et il comprit avec effroi que s’il était expulsé de l’Académie il n’aurait nulle part où aller et surtout qu’il perdrait sa seule chance de retrouver Marlyn. Avec un léger rire, conséquence de son esprit plus chamboulé que d’habitude, il tenta de se remettre debout, mais stoppa son geste en voyant le recul d’Einar et la lueur circonspecte dans ses prunelles virides. Ne pas l’effrayer. Ne plus aggraver les choses. Ne pas l’amener à aller se plaindre à l’intendant. D’une voix mal à l’aise, il lança, gêné d’en arriver à prononcer ces mots :
- Ecoute… Je suis sincère. Je te ferais pas de mal. Au départ c’était juste pour m’amuser. Après tu m’as intrigué. Et maintenant je regrette de t’avoir fait pleurer, vraiment. J’suis un enfant pourrit gâté depuis toujours, et un peu zarb’ aussi des fois, on me l’a dit souvent. Mais c’est la première fois que je regrette vraiment d’avoir fait souffrir quelqu’un.Alors il tourna ses prunelles d’un bleu chatoyant dans celle d’Einar qui l’écoutait silencieusement, toujours tendu. Et son visage se synchronisa à ses yeux pour transcrire la vérité qui coulait de ses paroles. Crever les masques et charmer, ou dépérir. Le plâtre fondait. Dévoilait l’âme tordu du jeune homme. Une âme rongée par la folie, trouée de vices multiples et tous plus rédhibitoires les uns que les autres, mais une âme capable de remords.
- J’voudrais qu’tu me crois, s’il te plait.Et puis, parce que Lev restait Lev malgré tous les bouquins qui pourraient s’écraser sur ses tempes, le coin de sa lèvre se releva en un sourire narquois tandis qu’une étincelle s’allumait dans son regard :- En même temps, quoi, t’as vraiment péter les plombs mec. Tu croyais quoi, que j’allais te violer au milieu de tous ces bouquins et tout ?Il secoua la tête, tant l’idée lui semblait incongru, et néanmoins flatté – de manière très perverse avouons-le – d’avoir été capable d’inspirer telle frayeur au jeune homme. Puis il se massa la tempe, les élancements ne cessait que lentement, et il sentait une bosse de la taille d’un œuf lui déformer le côté du visage. Au moins le sang avait cessé de couler. Après un instant de réflexion pendant lequel il ferma les yeux pour diminuer son mal de tête, il grommela, la voix basse :- Tu m’en veux toujours hein.Ce n’était pas une question. Toujours les yeux fermés, incapable de rester serieux trop longtemps, il continua :- Pourtant tu t’es sacrément bien vengé, j’vais finir par avoir une cicatrice à cause de ton bouquin. Comme quoi, l’intellect peut vraiment triompher de la force brute. L’idée lui tira un sourire diablement asymétrique. Il continua, l’air cette fois étonné :- Mais j’avoue que je te pensais pas capable de sortir de tes gonds comme ça.Soudain, il ouvrit les yeux et les braqua droit dans ceux d’Einar qui cilla sous la brutalité de son intensité. D’une voix très posée, il lui dit :- Tu sais, tu devrais le faire plus souvent, histoire qu'on te prenne pas pour une lopette. Ça excite grave les brutes les genres de mignons comme toi qui détournent les yeux à tout va. Et franchement, tes histoires de conte, là tu ferais mieux d'éviter quand y a des cons comme moi dans les parages. Enfin, j'dis ça, c'est pour toi hein. Va pas croire que ça change quoi que se soit. Il tenta de se redresser, mais la tête lui tournait. D’un geste agacé, fidèle à lui-même, il lança, grimaçant de douleur :- Allez, aide moi à me relever, j'ai la tête qui tourne grave là. J'irais p'tetre à l'infirmerie d'ailleurs. Mais pas un mot sur tout l’histoire vu ? j’ai rien à par cette Académie de mes deux et j'veux pas me faire virer. Mais fallait avouer qu'avec cet air triste et ses grands yeux, il était sacrément craquant son petit Einar... Il pourrait peut-être en profiter un peu si il l'aidait à marcher. Lev laissa un petit sourire étirer ses lèvres.[ Comme d'hab Et pi profite bien, j'sais pas si j'arriverais à nouveau à faire en sorte que Lev soit gentil comme maintenant ] |
| | Messages : 312 Inscription le : 22/12/2008 Age IRL : 31
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Dim 25 Sep 2011 - 2:33 | | | Ce n’était pas à proprement parler de l’hystérie. Ni véritablement un chagrin profond. Plutôt l’adrénaline qui lui coulait des yeux, et frissonnait dans son dos. Un peu de fatigue, aussi, et beaucoup de démons intérieurs – oh, des pas biens méchants, des pas très cornus, des pas véritablement diaboliques. Mais quand Einar s’abîmait dans le cyclone des yeux de Lev, il ne pouvait réprimer une certaine crispation. De ces yeux qui mouvaient comme des ouragans, il percevait la fureur, et la sauvagerie reculée, celle qui teintait l’eau de sang et violaçait ses pupilles ; et ces éclats de zircons pour chaque doute, chaque raté dans la composition de son visage : sa monstruosité se fendillait. Ou bien ?
Le Teylus voyait trouble à travers ses larmes insensées, mais suffisamment pour qu’un doute s’installe dans son esprit : est-ce qu’il aurait le temps de courir vers le bureau de Jehan avant d’être rattrapé ? Est-ce que Lev le suivrait ? Est-ce qu’il chercherait à se venger de lui s’il venait à apprendre qu’il avait été dénoncé ? Est-ce que l’apprenti chantelame allait seulement arriver à se lever ; oh que tu es faible, à le fixer et à pardonner tout ce qui vient des gens. Trouve lui des raisons auxquelles il ne pensera même pas lui-même, et tout ira bien. Assis sur le rebord du piédestal oublié, il défaisait et refaisait machinalement un bouton de sa manche. La voix du Kaelem l’aurait à nouveau fait détaler de nouveau quand elle retentit – si elle n’avait été tremblante. Si ses mots n’avaient pas fait s’écrouler le monde sur les épaules d’Einar. Le Teylus regarda le sol, les mains moites d’avoir pleuré. Il ne savait que faire de cette phrase, car les mots n’arrivaient pas à s’agencer dans sa tête, à former une idée cohérente des intentions de Lev Mil’ Sha. Il avait beau retourner le problème sous tous les angles, le mot désolé ne parvenait pas à coïncider avec le visage du monstre, ni avec le visage du martyr – pas plus qu’avec le visage du séducteur. Où allait la réalité dans ce puzzle humain, alors qu’aucune pièce ne semblait avoir été taillée pour s’adapter au mot désolé ? Et ça voulait dire quoi, désolé, en vérité ? Un comportement pouvait-il désoler une personne comme il désolait un paysage, ou peut-être un champ de bataille ? Ravagé. Je suis ravagé. Mais de quoi ? De nous deux, c’est de moi que coulent les larmes, et de toi le sang : tu es un ravage, Lev, mais c’est moi le ravagé. Je crois que je n’ai jamais été aussi désolé par quelqu’un. Mais irrémédiablement, Einar ne pouvait partir, pas après avoir blessé Lev. Un pacte de sang, en quelque sorte, lui disait son imagination prompte aux chansons de gestes.
Un rire de fou, un geste, une ombre. Détente. Comme un ressort se détend, en vérité. Un geste de défense, par défaut, et puis le rééquilibre des forces. Détente. Ca n’empêchait pas Einar de garder un œil et même les deux sur le Kaelem qui se redressait avec précaution : le sang qu’il voyait faisait remonter sa culpabilité. Il l’écouta, à regret, il écouta chaque mot litanique qui franchissait les pâles limites du visage du jeune homme aux yeux d’azur. Ces mots sonnaient comme un écho à ces mêmes paroles de regret et d’innocence que Lev avait jeté entre eux plus tôt, dans la bibliothèque. Est-ce que quelques gouttes de sang et une inconsciente allaient teinter maintenant ses paroles de vérité ? Einar aurait tellement voulu croire son visage, cette sorte de beauté androgyne criante de remords, ces paupières abaissées qui n’attendaient que de se fermer. Il aurait tellement voulu lui pardonner, oublier tout ce qui venait de se passer et mettre ça sur le compte de l’énervement, de son imagination, des instincts un peu violents du Kaelem, de la conjoncture de la Dame avec le Dragon. C’était beaucoup plus facile, et puis, c’était beaucoup plus doux. Il s’amarra au bleu qui crochetait son regard ; s’il te plaît, s’il te plaît, dis-moi que je peux te croire. Montre-moi comment croire que ce qui s’est passé tout à l’heure dans la bibliothèque était une surinterprétation.
Les oreilles d’Einar rougirent furieusement, tout d’un coup. Le mot de « viol » avait quelque chose de fondamentalement horrible dans son esprit juvénile qui ne l’employait jamais, il remontait à la surface les rappels et les mises en garde ses parents, de ses grands-frères, des branches plus éloignées de la famille. Et puis, c’était vraiment ce qu’il avait cru. C’était vraiment ce qui était sur le point de se passer entre les rayonnages, non ? Et puis, ça l’était dans sa tête, c’était ça le plus important. Il avait été tétanisé par l’attitude violente et avide de Lev, et autant par les réactions inconnues de son propre corps, qui l’avaient laissé profondément perplexes et qu’il avait soigneusement ôté de son esprit – qu’il continuerait, d’ailleurs. Oui, je t’en veux toujours. Même sans te regarder.
Le petit Teylus était tombé dans une sorte de torpeur neutre, d’indifférence généralisée, de celles qui suivent généralement les grandes crises de nerf. L’humour ne l’affectait guère, et ça lui faisait une belle jambe que l’autre ait une cicatrice : il l’avait bien méritée, avec ses agissement absolument scandaleux. Pourquoi il restait-là, d’ailleurs ? Ah, oui, parce qu’il était stupide et bisounours. Et qu’il n’arrivait pas à tenir la rancœur très longtemps dans son corps sans qu’elle se retourne envers lui-même. Les traits d’humour de Lev avaient un certain don pour le faire gagner en crédibilité et en innocence, pour autant qu’elle pouvait s’appliquer à son cas. Mais il ne tirerait sûrement plus une seule parole d’Einar. Si seulement ses yeux intensément électriques n’avaient pas le don de le désarçonner dès qu’ils accrochaient son regard. Il sentit les larmes brûler à nouveau le bord de ses paupières.
Le terme « mignon » et « lopette » avaient quelque chose d’extrêmement perturbants dans la bouche de Lev. Il ne pouvait oublier ses pulsions séductrices et violentes, et le voir réaborder le sujet avec des mots aussi crus… Mais pourtant, il se rabaissait, et ses yeux avaient l’air sincère. Einar s’accrochait à ces deux étincelles d’excuse pour ne pas s’enfuir et appeler Jehan Hil’ Jildwin à l’aide, ou même s’enfuir très loin de cette Académie lui-même, dans un endroit où personne ne pourrait le trouver et le brutaliser. Et puis, Tifen lui disait la même chose, formulé autrement. Ca le perturbait profondément, parce qu’il savait intrinsèquement qu’ils avaient tous les deux raison. Mais c’était juste impossible, la violence. C’était tellement mauvais. Tellement contraire à ses espoirs. Il savait qu’il ne dirait rien. Il savait qu’il avait fondu sous la diatribe incessante de Lev, et qu’il n’irait pas dénoncer quoique ce soit à l’Intendant, ou même émettre des doutes sur sa sanité. Ou même dire à ses amis qu’un nouveau s’était intéressé aux vieilles histoires d’horreur de l’Académie. Et savoir qu’il ne dirait rien le frustrait beaucoup, en soi.
Einar se releva, les membres un peu engourdis, et passa un bras sous les épaules de Lev. Il ne s’ajusta pas plus que ça, et laissa le grand dégingandé se fixer de lui-même à sa silhouette de crevette. Il savait mieux que le Teylus comment il devait s’appuyer sur-lui pour pouvoir marcher. La main du Kaelem crispait son épaule ; il eut un frisson non-identifiable. Il songeait que ça serait si simple de le faire tomber. Il commençait à connaître une ou deux clés de bras, et puis, l’autre avait dit qu’il avait la tête qui lui tournait. Alors qu’ils marchaient, danse décalée, et se dirigeaient de concert vers l’infirmerie, dans l’aile est, l’apprenti chantelame restait bouche close, et ses yeux restaient délibérément fixés devant lui.
Ce serait si simple. Il lui mettrait un coup de poing dans le ventre, et un autre dans la tête, il le ferait basculer. Il pleurerait à nouveau, sans vraiment savoir pourquoi et sans avoir envie de s’arrêter, et il lui dirait ce qu’il avait sur le cœur, ce qu’il pensait de sa monstruosité. Ils rouleraient sur le sol, et il le frapperait où il pourrait, il raterait souvent sa cible et ses jointures lui feraient mal, peut-être même qu’il prendrait un poing dans la figure aussi. Et puis il finirait le dos contre le sol glacé, il sentirait les genoux du Kaelem s’enfoncer dans son estomac, et ses doigts d’araignée compresser sa gorge ; il verrait à nouveau cette lueur démoniaque au fond de ses iris, et il pleurerait toujours en s’agitant, et frapperait sans viser. Il n’aurait plus à penser à rien, et bientôt il se rendrait compte qu’il avait du mal à respirer, mais il n’en aurait pas grand-chose à faire. Peut-être qu’il mettrait un coup de genou dans le flanc de son adversaire, mais il ne pourrait pas se dégager de sa prise. Et il tomberait inconscient. Peut-être qu’il mourrait, sans cesser de pleurer sans savoir pourquoi. Et ça serait très bien ainsi, parce qu’il n’aurait plus eu besoin de penser.
Non, au lieu de ça, il le soutenait, lui qui ne quittait pas son sourire goguenard, et ils avançaient de guingois, inlassablement, dans un silence réflexif. D’ailleurs, si le monstre avait continué de parler, Einar ne l’avait pas vraiment écouté et n’en avait pas vraiment envie. Il avait juste envie que tout s’arrête. Car à l’indifférence profonde qui suit la crise de nerfs succède le mouron le plus abyssal et le plus noir, celui qui se détache de tout mais qui noircit le reste, celui dont on n’avait pas envie de se tirer, car on pouvait se blottir dans sa propre morgue. Ca faisait longtemps qu’il ne s’était plus autant délecté d’une telle déprime, lui qui souriait tout le temps.
- On a la même coiffure, j’avais pas remarqué. C’fun. Mais t’as les cheveux plus sombres.
Puis il en eut marre. Il repoussa plus brutalement qu’il n’aurait voulu l’infirme qui se soutenait insolemment sur lui, et s’écarta de son contact. Sentir ses flancs râcler contre les siens alors qu’ils avançaient l’avait excédé, et il n’arrivait pas à identifier ce que son système nerveux lui transmettait comme informations, et ça le perturbait encore plus gravement.
- Qu’est-ce que tu m’as fait ?
Emotif qu’il était, la frustration le faisait presque pleurer de nouveau, mais il passa une main sur son visage, observait l’autre se tordre pour retrouver son équilibre tout seul. Pour un peu, il en aurait presque pris un certain plaisir, mais c’était bien trop mauvais pour lui, de se délecter du mal des autres. Il résistait au contraire à son envie spontanée de le soutenir de nouveau pour l’aider à s’étendre quelque part. Et puis zut, il pouvait bien résister à un mal de tête.
- J’arrive pas à t’en vouloir, ni à m’enfuir, je voudrais aller courir trouver l’Intendant pour que tu sois viré, parce que tu le mérites, t’es un vrai danger pour nous tous et tu ne dis que des mensonges. J’sais même pas pourquoi je t’aide, alors que t’as mérité ce qui t’arrive. Pourquoi j’arrive pas à courir ? Qu’est-ce que tu m’as fait, Lev ? Je comprends rien à ce qui m’arrive. Tu m’as ensorcelé avec tes « je suis désolé » et maintenant je sens que des trucs bizarres. Mais on ira pas plus loin jusqu’à ce que tu m’expliques.
Oh, c’était si dur de prendre un ton aussi aride… Il avait plus d’une fois flanché sur sa détermination, et il ne rêvait que de pouvoir aider à nouveau. Il cilla plusieurs fois avant de pouvoir fixer le regard de son adversaire. Tout son corps se tendait pour aller redresser le Kaelem quand celui-ci vacillait, ou portait la main à sa tête. On pouvait pas faire aussi mal avec juste un livre, c’était pas possible. Et puis, il n’avait pas assez de force pour blesser quelqu’un aussi durablement, si ? C’était juste une comédie, il était sûr. Il aurait tellement voulu croire le contraire. Il ne demandait que ça.
Il n’y tint plus, et passa le bras à nouveau sous les épaules de Lev, juste le temps de l’aider à s’appuyer au mur. Après ça, il prit bien soin de s’écarter à nouveau et d’attendre. Les gens qui passaient dans le couloir ne leur jetaient que des œillades brèves, et le couloir était peu fréquenté. Il tritura un bouton de sa manche, furieux contre lui-même et de ce qu’il n’arrivait pas à contrôler ses frissons.
- J’voudrais tellement te croire, tu sais, j’demande qu’à te croire. Mais c’est juste qu’on venait de parler de l’élève folle, et t’es devenu vraiment étrange après, et j’ai cru qu’elle te possédait, et tu m’as fait mal, et j’comprends pas ce que j’ai senti de bizarre. Et t’avais quand même l’air sacrément déséquilibré. T’es qui, Lev ? Et tu m’as fait quoi ?
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| | Messages : 123 Inscription le : 12/05/2011 Age IRL : 33
| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Jeu 27 Oct 2011 - 17:57 | | | Et Lev de s'affaler insolemment contre le corps d'Einar, un discret soupire de soulagement s’échappant d'entre ses lèvres, rendues lavandes par le courant d'air froid qui balayait les couloirs de pierre. Il ressentit, trop intuitivement pour l’intellectualiser, mais trop clairement pour que son corps n'en tienne pas compte, le frisson qui agita l'échine d'Einar quand leurs deux épidermes entrèrent en contact. Son flan se repositionna, s'incrustant dans celui de son compagnon tandis que sa main agrippait l'épaule du jeune homme, le bout de ses doigts effleurant innocemment une clavicule creusée par l'effort. Un léger sourire vint lui tiraillé le bord des lèvres alors qu'il sentait le doux frémissement de la chair de poule consécutif à son contact. Il n'insista pas, cependant, trop conscient de la réserve du jeune homme pour oser encore jouer avec. Du moins pour l'instant.
La balance chaloupée de leur déplacement faisait naître une douce torpeur dans l'esprit de Lev, alors que sa tête tournait toujours, de manière moins vive que précédemment mais paradoxalement de manière plus envoutante, moins quantifiable. Sa tête dodelinait légèrement, et de temps en temps il sentait une mèche de cheveux d'Einar lui chatouiller l'oreille ou la joue, et à chaque fois ça le rendait heureux. Un instant, il eut peur que le Teylus veuille reprendre le dessus : s'il décidait de le mettre hors d'état de nuire, même s'il faisait une bonne tête de moins, il n'aurait aucun mal au regard de l'état actuel de Lev. Mais ce doute s'évapora très vite lorsqu'il scruta discrètement le visage du jeune homme. Ses yeux étaient encore humides de remord, et dans la crispation de sa mâchoire il voyait la lutte qui se faisait en lui pour faire face aux récents événements. Non, Einar était trop faible, intellectuellement, pour lui faire du mal. Oh, le livre ne comptait pas, car même s'il avait envoyé le dessinateur au tapis, il n'avait pas été jeté dans l'intention réelle de faire du mal. C'était plutôt un geste de défense, de la compulsion brute face à une violente situation.
La remarque du Teylus perfora le silence comme une aiguille crève un ballon, et la douce torpeur dans laquelle Lev végétait vola en éclat. Sous la surprise, il manqua de briser leur fragile équilibre, son pied glissa et sa jambe suivit le mouvement heurté, tandis qu'il serrait contre lui le corps d'Einar, son avant-bras enroulé autour du cou de son compagnon pour s'empêcher de tomber, tâtonnant du pied pour ne pas entrainer le jeune homme au sol. Un instant, l'équilibre était rompu, et c'est par pure magie, semblait-il, qu'ils parvinrent tous deux à ne pas finir sur les dalles de pierre.
Lev éclata d'un rire bref et franc, vraiment, entre aboiement de chien et feulement de félin. Rire qui s’arrêta aussi brusquement qu'il avait commencé lorsque le dessinateur braqua l'électrique de ses yeux sur le visage d'Einar, constatant non sans un certain étonnement qu'il avait raison. Étonnement résultant du fait qu'il pensait le jeune homme à mille lieues de telles considérations esthétiques. Il pensait qu’il serait plutôt du style à ressasser, encore et encore, ce qui avait pu se passer précédemment. Et soudain, son regard s'emplit d'une douceur étrange, incertaine mais puissante, comme la fusion de l'air qui s’iriserait chatoyant de millions de couleurs, mais que l'on ne pourrait apercevoir que selon un angle unique, interdisant la certitude quant à la réalité de ce qui se passait. Et le corps d'Einar de réagir par la défense, s'éjectant de leur bulle par un coup de rein qui fit chanceler Lev. Une pique de douleur lui perfora la tête, et son front se couvrit d'un voile de sueur froide alors qu'il tentait de retrouver son équilibre sur ses jambes qui ne le portaient plus. Il plaqua sa main contre le mur, y crispant ses doigts. Et ce contact était beaucoup moins agréable que la peau souple du jeune homme qui tentait à présent de lui faire face. Etonné, il pencha la tête légèrement sur le côté, en partie inconsciemment, mais aussi pour déplacer la douleur qui gravitait dans sa tête. La vois d’Einar claqua, dure et froide, accusant plus que questionnant. Mais sous ses airs bravaches, le doute était réel, flouant les prunelles sous un voile d’interrogations inextricable. Cependant, Lev ne comprit pas tout de suite ce à quoi le jeune homme faisait allusion. Que lui avait-il fait ? Il fronça les sourcils, cherchant sur son visage des indices à se mettre sous la dent. Il n’avait fait que le maltraiter un peu, jouant sur les convenances générales qui mettaient habituellement à l’abri de gênes et de violences, mais qui rendaient plus vulnérable que jamais lorsque quelqu’un les franchissait. Il avait joué avec lui, en gros, l’avait poussé dans ses retranchements, jusqu’au point de rupture, jusqu’à craquer les coutures de la respectabilité et de la peur. C’est ce qu’il cherchait, sans cesse, ce visage sauvage qui se cachait en chaque personne, ce visage qui lui prouvait que tout le monde, au fond, était comme lui, même si c’était sa personnalité elle-même qui était monstrueuse. Un reflet, c’était ce qu’il cherchait – et ce qu’il trouvait – à chaque fois. Ou presque. Etait-ce à cela qu’Einar faisait allusion ? Se voilait-il tellement la face qu’il se pensait incapable de cette sauvagerie qui végétait dans le cœur de tout homme ? Lev ressentit un mépris poignant à cette idée, et il ne s’en fallut que de très peu pour que son désir de profiter du jeune homme au-delà de toute limite ne prenne le dessus.
Mais c’est en voyant le geste compulsif d’Einar, d’enrouler ses bras autour de sa poitrine comme pour se protéger de tout contact, et en se souvenant de ces frissons et retranchement, qu’un doute vint titiller son esprit. Doute qui devint réalité lorsqu’Einar reprit la parole, la voix plus ferme qu’elle ne l’avait jamais été durant toute cette soirée. Ses paroles lui sortait directement du fond des tripes, semblait-il, et Lev fut peiné de voir qu’il le tenait en aussi piètre estime. Mais bon, il l’avait bien cherché aussi. La suite, cependant, fut franchement drôle. Il ressentait des « trucs » bizarres. Ahuri, Lev comprit enfin que ce qu’Einar ressentait, c’était ses hormones qui travaillaient ! Cette idée fit un chemin ravageur dans son esprit névrosé, et en voyant l’air sérieux et tourmenté du jeune homme, il fit un effort monstrueux pour ne pas rire, pour ne pas se lever, pour ne pas venir prendre Einar dans ses bras et lui montrer qu’on pouvait très bien préciser ce qu’il appelait « trucs » en d’autres termes beaucoup plus clairs. Mais il ferma les yeux et laissa s’éloigner ces pulsions. Plus tard peut-être. Pour l’instant Einar était trop jeune, trop naïf et trop pur pour qu’il puisse profiter de tout ce qu’il avait envie de faire. Et puis, au fond de lui, il sentait que c’était son devoir de lui répondre, de lui ouvrir la voie de la chair et du pêché. Pour qu’il arrête d’atermoyer, qu’il puisse définir clairement quel chemin il pourrait parcourir, sans se voiler la face sur ce qui existait ou pas.
Il rouvrit les yeux, bleutés d’une nouvelle volonté. Avec quelque chose de rougeoyant au bord des cils. Et laissa Einar continuer de parler, de vider son sac sur ces choses que son esprit juvénile ne pouvait encore concevoir. Il fut content lorsque finalement, après de longues minutes de luttes internes qu’il avait pu lire sur son visage, Einar se précipita vers lui pour l’aider à s’assoir contre le mur, avant de s’éloigner à nouveau.
Ce qui suivit, il n’avait pu le prévoir. La nouvelle allusion à Marlyn lui fit l’effet d’une boule de feu en plein dans ses tempes, et son regard se chargea d’une intensité flamboyante. Marlyn. Sa sœur biologique, Marlyn. Mais le choc avait déjà eu lieu et c’est avec plus de facilité qu’il empêcha son esprit de partir trop loin d’ici. Se focalisant sur son souffle, il décida de dire la vérité, ou tout du moins une partie. Ne pas trop se mouiller. Mais lui montrer que lui aussi pouvait être franc.
- J’vais pas te répondre tout de suite sur ce qu’il semble que je t’ai fait.
Sa voix était basse, presque rauque, mais gardait son ton velouté, apte à séduire, à inspirer la confiance. Confiance qu’Einar, en garçon intelligent, refusait d’accorder totalement. Il soupira et continua, en haussant légèrement les épaules.
- En fait, je suis à la recherche d’une entité.
Entité était bien le terme, puisque Marlyn résultait plus de l’idée que de la réalité.
- Cette entité fait partie de ma famille, je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai appris son existence depuis peu.
Le sol devenait glissant. Ses paroles pouvaient jouer sa vie, entrainer son existence sur le fil des interrogatoires, et de l’intérêt déplacé des gens. Il lui fallait à tout prix trouver quelque chose d’assez proche de la vérité mais d’assez innocent pour ne rien attirer d’attention.
- Et ce que tu m’as raconté m’a chamboulé, parce que ma famille est ma priorité. Le fait de simplement imaginé qu’on ait pu torturer quelqu’un qui aurait pu être ma sœur m’a fait sortir de mes gonds, et j’en suis toujours désolé.
Il détourna à nouveau le regard, une flammèche au cœur. Celle du mensonge qui vient si facilement sur les lèvres. Celle du mensonge qui pourrait devenir si facilement la vérité.
- Parce que tu vois, même si cette personne, cette Marlyn était ma sœur, même si elle avait fait toutes ces choses horribles … -il frissonna- Elle resterait quelqu’un de ma famille. Et la famille c’est sacré.
La famille génétique, entendons-nous bien, pas celle qui nous ment pendant notre existence, bâtissant notre personnalité sur un fil aléatoire de mensonges.
- Tu as dans ta famille des personnes qui ne mériteraient que ton mépris si elles t’étaient étrangères, mais qui t’apparaissent comme un trésor simplement parce qu’un même sang coule dans vos veines ?
Il secoua la tête.
- Bah moi je ne sais même pas comment elle est ma soeur. Elle m’est inconnue. Pendant 20 ans, j’ai ignoré jusqu’à son existence. Et j’aurais voulu être là pour elle, pour l’aider et l’aimer, pour lui éviter les souffrances de la vie.
Oh oui, il l’aurait aimé. Plus qu’il n’aurait aimé qui que ce soit, elle aurait été la femme de sa vie qu’il aurait protégé et choyer, ils auraient fait équipe et se serait laissé aimer par elle, se serait donné tout entier à sa volonté. Mais pour que ce vœu devienne réalité, il lui fallait la retrouver. Et dans le cas où elle aurait été cette personne si détestée, il ne devait pas attirer l’attention sur elle, ni sur lui
- Voilà pourquoi j’ai pété un plomb t’alheure. Ça m’a fait flipper... De l’imaginer tellement… perdue…
Bon, là il en rajoutait un peu, même si ce n’était pas tout à fait faux. Il cligna des paupières, comme pour chasser ce souvenir déplaisant. Einar ne demandait qu’à le croire ? Il allait être servit. Déjà il voyait dans l’ombre de ses cils le doute s’accentuer, s’y accrocher comme une glue factice et douce, tellement plus agréable que la réalité et ses morceaux de verre pillé.
- Mais c'était juste une possibilité, hein. Faut dire que tu es la première personne à qui j'en parle, et qui m'a donné une réponse. Même si ce serait improbable que l'on parle de la même personne.
Finalement, il renversa la tête en arrière, et la douleur disparu presque complètement avec la pierre fraiche qui se répercutait dans ses tempes. D’un mouvement redevenu souple, bien que lent et précautionneux, il se remit sur ses pieds et scruta les traits du jeune homme face à lui. Ceux des autres élèves qui les frôlaient de temps à autre ne l’intéressaient pas, et il ne leur accorda pas un seul regard. Il prit une grande inspiration, et fit un pas en direction d’Einar. Ses yeux crochetèrent les siens, mariant la tourbe au ciel, l’esprit viride à l’ondine céruléenne, et s’y fixèrent. Intenses.
Il était temps de lui répondre. Et de laisser parler les corps, la chaire, plus clairement que les mots, sans aucun mensonge possible. D’oiseau blessé, il se fit serpent enchanteur, dangereux et doux comme la caresse d’une plume d’acier. Son corps ondula doucement alors qu’il s’avançait vers Einar et celui-ci ne s’échappa pas. Touché par sa déclaration ? L’interrogation se perdit dans la couleur des yeux du chantelame. Lorsqu’il fut suffisamment près, il se laissa glisser au sol, à croupis, pour se mettre à la hauteur du visage d’Einar. Ses lèvres s’entrouvrir, et dans un souffle, il murmura
- Ce que je t’ai fait…
Il posa doucement ses main à plat sur le mur derrière Einar, de chaque côté de sa tête. Puis, sans lui laisser le temps d’esquisser un geste pour s’échapper, il approcha son visage de son oreille et souffla :
- C’est ramener à la surface le visage le plus sauvage de ton âme.
D’une secousse, il se recula, conscient des frissons qu’il faisait naître chez son interlocuteur, excité par ce pouvoir qu’il avait de faire réagir les femmes et les hommes. Il s’assit en tailleur, à distance respectable cette fois, et reprit d’une voix normale, claire et chaude :
- Quant au reste, ne t’inquiète pas, ce n’est pas juste à toi que je fais cet effet. Ca permet aux gens de se rappeler qu'au delà de toute respectabilité, notre vraie nature est toujours juste là, à la surface. Et moi j'm'amuse de la voir s'échapper, de temps en temps.
Il lui fit un clin d’œil enjôleur, de ces cils trop long pour un garçon et Einar prit un air outré. D’un geste, il se remit sur ses pieds, ne chancelant que légèrement. Petit à petit il reprenait contenance, son corps recommençait à fonctionner normalement. Puis, un détail titilla sa mémoire. Un détail important, puisqu’il lui fallait trouver de quoi devenir plus fort. Il tendit alors la main à Einar, pour l’aider à se relever. Il demanda, plus humain que jamais :
- T’as bien dit que t’était chantelame ? Tu pourrais m’expliquer en quoi ça consiste ?
Et la situation de se bloquer en arrêt sur image, Lev debout et souriant, Einar à terre, les yeux levé, et cette main, entre eux, comme un pont entre deux âme. Prendra ? Prendra pas ?
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Jeu 17 Nov 2011 - 11:46 | | | [Intervention intempestive du narrateur : les cours d’institutions politiques sont encore mieux que l’inspomme pour parler de monstres rpiques. Mea culpa pour les incorporations involontaires et les tournures bizarres. ] Einar, s’il avait été lettré, aurait pu y voir une métaphore. Une petite personnification des dynamiques de l’univers. Les champs contraires qui s’entrechoquent, s’épousent, se repoussent et ne vivent que dans cette force de contradiction. Deux fauves qui se jettent à la gorge de l’autre et se regardent en chiens de faïence, pourraient vivre sur des territoires séparés mais cherchent la confrontation. Deux toupies de bois sur le carrelage fêlé, au tournoiement sifflant, qui s’éloignent dès qu’elles se percutent, et sont entrainées à nouveau l’une vers l’autre par leur tournoiement inéluctable. C’était comme cela que l’aède aurait défini les liens qui enchainaient Einar et Lev l’un à l’autre, fondamentalement antagonistes, incapables de s’entendre, et pourtant, terriblement complémentaires par les confrontations qui ponctuaient leur discussion. Le prédateur était clairement défini, mais la proie attendait qu’on lui torde le cou, et revenait après la fuite pour connaître à nouveau l’adrénaline terrifiante du danger. C’était très éthéré, très métaphorique.
Pas du tout à la portée du Teylus, trop à la chair pour vouloir s’atomiser encore jeune et inexpérimenté pour chercher à chaque prétexte une métaphore sur laquelle s’accrocher, comme une fuite du concret. Il voyait devant lui un élève pas très conventionnel, aux sautes d’humeur fréquentes et aux mystères plus nombreux que les plaintes du concierge dans le bureau de Jehan ; pas une allégorie magnifique du Chaos, la convergence de tout ce qu’il y avait de vil, d’inavouable et d’animal dans l’être humain. Il était dans un couloir, peu fréquenté, pas forcément un cadre très glauque ou suggestif comme on les trouvait dans les contes, et à la merci du bien-vouloir de Lev Mil’Sha, dès que celui-ci en prendrait à nouveau l’occasion. Les larmes avaient fini par se tarir et drainer toute énergie vindicative hors de son corps, n’ayant laissé en lui qu’une indignation étouffée.
Il l’écoutait comme on écoute un Evangile sans être croyant, il tentait de distinguer dans les traits du Kaelem ce qui pouvait s’apparenter à l’amour –la fascination- familial. C’était plausible ; il semblait tellement obsessif, tellement.. tentaculaire ? dans ses relations. Et l’imaginer le frère potentiel d’une entité considérée comme quasi-démoniaque à l’Académie, c’était en soi assez terrifiant. Quand bien même ce n’était pas vrai, quand bien même il n’avait rien à voir avec cette « Marlyn », c’était terriblement plausible. Et lui, Einar, pouvait se trouver dans une situation difficile. Depuis la reprise de l’Académie, tout acte mauvais à l’Académie était surveillé, et même l’Empereur avait renforcé les mesures pour punir les crimes et arrêter les ennemis publics. Et si Lev, qui s’était apparemment mis en tête qu’il faisait partie d’une famille bien sombre, qu’il était le frère d’une chimère, si Lev basculait complètement dans la folie pour tenter de suivre cette histoire incomplète et mal connue de cette Marlyn ? Il devait faire quoi, Einar, dans ce cas-là ? C’était sa faute si Lev s’était mis dans cet état, et même maintenant il ne pouvait pas se taire. Il devait forcément en parler à quelqu’un, quelqu’un qui saurait quoi en tirer. Jehan, peut-être. Ou Tifen. Tifen était là depuis tellement longtemps à l’Académie, elle saurait si ça comportait des risques, non ?
Et pourtant, pourtant, il ne pouvait s’empêcher de sympathiser. Lev pourchassait l’idée de famille et s’y accrochait comme un enfant aux jupes de sa mère. Comment lui en vouloir ? Comment pouvait-il ne pas ressentir la même chose, à moindre échelle ? Il aimait profondément ses parents et ses frères, et même lorsqu’il se disputait avec eux, il ne pouvait s’empêcher de s’indigner dès lors que l’un d’eux était insulté ou attaqué. Mais il les connaissait, il avait vécu avec sa famille pendant presque toute sa vie, il connaissait les faiblesses et les défauts de sa mère, ce qui la faisait pleurer, ce qui la faisait céder quand il voulait quelque chose. Lev n’avait jamais vu cette sœur qu’il s’imaginait, il n’était même pas sûr qu’il existait, ni même que c’était la bonne personne. Il n’en connaissait rien, sinon que c’était probablement un être abject. Comment éprouver de l’affection pour les chimères ? C’était comme s’il éprouvait lui-même de la fascination pour sa nouvelle petite sœur qui était née au printemps. Il ne l’avait jamais vu, et ses parents n’avaient même pas précisé son nom dans la lettre. Il avait déjà quatre frères et des dizaines de cousins, alors une petite sœur ? Il l’aimerait de tout son cœur quand il pourrait lui tenir les pieds et la faire gazouiller. Mais pas avant. Ses parents lui manquaient terriblement plus. Mais Lev ne vivait pas dans le même monde. Peut-être était-ce lié au dessin ? Einar ne pourrait jamais comprendre qu’on puisse vivre dans des univers virtuels et composés de pixels pour vivre des aventures fictives par intérim des rêves et des spires. Et quand bien même. Il était de plus en plus persuadé, malgré le constitutionnalisme à faible juridicité son bisounoursisme latent, qu’il y avait quelque chose d’intrinsèquement dégénéré dans le Lev.
Mais il n’eut de nouveau pas le temps de réagir, ou même de s’enfuir sur ses pattes de sauterelle, car son champ de vision se trouva brutalement obscurci par la masse du Kaelem, et son souffle au niveau de son oreille. De surprise, Einar inspira brutalement, et oublia complètement de respirer, crispé qu’il était dans son optique de « Si je ferme les yeux très forts et si j’arrête de respirer tout rentrera dans l’ordre ». Il s’obligea à ne pas réagir à la phrase de Lev. D’ailleurs à ne pas y réfléchir tout court, à ne pas chercher ce qu’il avait voulu dire, et qu’il laissait sous-entendre. Il l’oublierait très très vite. D’ailleurs, il avait dit quoi ? Ile ne voulait vraiment vraiment vraiment VRAIMENT pas savoir. Pas après tous les évènements de la journée. L’apprenti chantelame ne prit le temps de respirer à nouveau que lorsqu’il eut la certitude que Lev Mil’Sha fut à une distance respectable ; il ne se laisserait plus dévoyer par cette rareté improbable de l’espèce humaine. Il fallait qu’il reste fort, s’il voulait arriver à parler du problème que lui posait Lev à Jehan, à Tifen, ou même à son primat, sire Guidjek. Respiration. Temps d’attente. Accroche à un autre sujet. Les chantelames. Terrain connu, terrain sûr ? Il l’espérait. Et ne put s’empêcher de sourire légèrement, comme un gamin à qui on parle de son héros préféré. Et de nouveau, les montagnes russes du métabolisme Einarien vinrent égayer un peu ses traits et mettre une certaine satisfaction rêveuse dans ses yeux fosse-de-tourbe. On lui posait souvent la question. C’était logique, les Chantelames étaient super rares –il n’étaient que deux, ces derniers temps. Et Valen avait disparu, emportant avec lui nombre de savoirs qu’il était le seul à posséder. Mais ça n’empêchait pas Einar d’être terriblement fier de son statut d’apprenti chantelame.
- C’est des héros.
Spontanément, oui, c’était ça, dans sa tête. Il avait élevé Tifen à un tel niveau de bonté et de sagesse qu’il était persuadé qu’elle venait d’une lignée héraldique intemporelle et digne, laquelle était vouée à sauver le monde sans chercher les honneurs. Et même, il avait eu l’honneur de connaître Valen Til’Lleldoryn, et même s’il ne pouvait pas dire qu’il avait éprouvé particulièrement d’affection pour son caractère pour le moins lunatique et impersonnel, il se sentait quand même extrêmement fier d’avoir été intronisé apprenti chantelame par ce grand guerrier. Personne ne pouvait nier que Valen Til’Lleldoryn était un grand combattant et que sa philosophie se basait sur des principes louables. Beaucoup le décriaient, parce qu’énormément de rumeurs circulaient sur lui. Et encore des rumeurs qui se rapprochaient de Lev indirectement, car il se courait le bruit qu’il avait été l’homme à l’origine des tortures de cette élève folle. Devait-il lui dire, alimenter ses chimères ?
- Les chantelames en fait c’est un ordre créé par Valen Til’Lleldoryn, t’as forcément entendu parler, il était un des meilleurs combattants de l’Empire, et il est resté super longtemps à l’Académie, c’est lui qui a commencé à m’enseigner le combat… C’est un ordre qui essaie d’allier l’art guerrier et l’art marchombre pour atteindre l’Harmonie. On est pas beaucoup, et l’ordre est vraiment pas connu du tout, mais c’est vraiment super honorifique. Tu sais que c’est Valen lui-même qui m’a intronisé ?
Et au sourire goguenard de Lev qui refleurissait sur son visage marquait bien à quel point il devait sembler ridicule, à être fier d’un ordre dont il n’était pas un des représentants les plus évidents. Et il avait démontré tellement de faiblesse durant toute cette journée que Lev ne devait pas le prendre au sérieux. D’ailleurs, peu de monde le prenait au sérieux quand il disait qu’il était chantelame, ou riait sous sa cape.
- Arrête de rigoler, c’est pas drôle. Si Valen m’a choisi, c’est que j’ai la capacité de devenir un vrai chantelame un jour.
Il se rembrunit un peu plus, et lança un regard noir à Lev. S’il avait cru qu’il n’aurait même plus envie de parler des chantelames alors que c’était son sujet préféré… C’était vraiment une mauvaise journée. Une très mauvaise journée. Mais au moins, l’apprenti dessinateur semblait s’être calmé un peu sur ses pulsions, et il n’avait pas à craindre toutes les trois minutes sur son innocence, même si l’hématome violacé qui se diffusait sur les tempes du Kaelem lui rappelait à chaque seconde qu’ils ne s’entendaient pas.
- Et les Spires, c’est comment ?
Il avait posé la question un peu brutalement, un peu rapidement et avec une conviction plus que moyenne, parce que sa détresse s’était un peu briguée en mauvaise humeur, comme à chaque fois qu’on se moquait de sa stature de chantelame. Pourtant, comme tout gamin à qui un domaine était interdit, il avait envie de le voir et de le comprendre. Les interdits avaient bien plus d’intérêt que les acquis, et les Spires lui seraient à tout jamais verrouillées. Et ça permettrait peut-être de repartir sur de meilleures bases avec le jeune homme. D’oublier qu’il se prenait pour le frère d’une sorcière démoniaque, et qu’il voulait la chérir.
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Lun 5 Déc 2011 - 22:21 | | | Le visage d’Einar parvint encore à s’illuminer malgré les hachures de ses larmes sur ses joues délavées. De tourbe, ses yeux se firent horizon, et la ferveur avec laquelle il répondit à sa question lui tira un léger sourire. Sourire qui s’accentua lorsqu’il imagina la trempe des chantelames et qu’il tenta de superposer à cette image le petit Einar qui venait tout juste de cesser de trembler devant lui. Celui-ci ne prit d’ailleurs pas super bien son sourire moqueur et se plongea dans une bouderie digne d’un petit enfant, les yeux baissés, les sourcils froncés, la lèvre boudeuse et les poings serrés. Ce qui, évidemment, fit encore plus rire le dessinateur.
Valen Til’Lleldoryn. Ce nom lui disait en effet quelque chose, mais c’était trop flou pour qu’il en prenne compte. Ses parents lui en avaient-ils parlés ? Ou peut-être ce nom avait-il voltigé lors d’une énième soirée organisée par feu ses parents adoptifs. Lev prit un air songeur en cherchant dans ses souvenirs, sans prendre garde à l’honneur bafoué d’Einar qui s’exprimait virulemment pour qu’il arrête de se moquer de lui. De toute manière il allait devoir s’y faire. La moquerie n’était pas forcément mauvaise, elle réactivait la colère, poussait à défendre ses convictions mieux que l’empathie, dévoilait la pureté du cœur derrière les paroles et les vindics. La colère c’est ce qu’il fallait à Einar pour cloisonner cette carapace qui l’empêchait de se défendre correctement.- Et les Spires, c’est comment ?Lev sursauta légèrement, prit par surprise. Il fixa le jeune homme, se demandant s’il se moquait de lui. Il avait le don, pourtant, un don certes embryonnaire mais suffisamment important pour permettre au dessinateur d’en appliquer une signature unique. N’avait-il donc jamais parcourut les spires ? N’avait-il donc jamais pu gouter le délice de ces spirales étincelantes, le pouvoir qui coule dans les veines comme un feu ardent, la jouissance d’avoir à portée de main l’infinie possibilité de changer le monde d’un simple afflux de pensée ?
Lev secoua la tête et un sourire enfantin fleurit sur ses lèvres. Dessiner lui était si facile, si précieux, qu’il ne sortait jamais vraiment des spires, même si parfois son pouvoir se cantonnait à la barrière entre les deux mondes. La question d’Einar lui fit prendre conscience de la manière dont son âme était tissée au dessin, qu’il ne supporterait jamais de ne plus avoir accès à l’imagination. Au creux de ses veines coulait, tissé aux poignets, l’inéluctable besoin des spirales chatoyantes, et le destin d’une utopie forgée à la force de l’esprit.
Il se devait d’être franc, à présent, ne serait-ce qu’avec lui-même. Il le savait, son caractère lunatique et légèrement névrosé était quelque chose qui le tirait inexorablement des tréfonds de ses cellules jusqu’à la surface de la réalité, et son histoire, la gangrène de ses gènes, se situait bien en amont de sa propre naissance. Il était le fruit d’une expérience cosmique et irréelle, portée à l’extrême sur l’art fabuleux du dessin. Il y avait des inconvénients à cela, certes, mais tellement, tellement d’avantages… A commencer par ce pouvoir qui flamboyait, igné, jusque dans ses prunelles électriques.
Lev releva la tête et planta ses yeux dans ceux d’Einar. Le sang séché à sa tempe pulsait contre son crâne, tempo mouillé aux arceaux rouillés. D’une voix devenue un peu rauque, il murmura, incapable de retenir la passion qui se répercutait en écho jusque dans les phonèmes de sa voix :- Le dessin… Le dessin c’est quelque chose d’extrêmement… extrême, si je puis dire.Il réfléchissait, songeur, à la manière la plus exacte de définir ce monde majestueux qui hantait jusqu’aux rêves qu’il faisait. Mais comment dépeindre tout un monde en quelques mots ? Tandis qu’il pensait, ses doigts jouaient d’aux même, craquant en cadence sur une musique qu’il ne connaissait pas. Ce geste attira son attention et avec surprise il se rendit compte que c’était la musique que Shawna chantait pendant le cours de dessin, la musique qui lui avait permis de passer la barrière des spires en s’accrochant à l’essence de la jeune femme à la peau brune.
Une idée germa lentement dans son esprit. Une idée-étincelle qui s’embrasa d’un coup et le fit sursauter, tandis que les possibilités miroitaient en éclats noir et blanc dans son esprit. Soudain, il se pencha en avant, passant de l’immobilité des penseurs à la fièvre des génies, consumés par leurs idées. Ses yeux luisaient, et ses mains se crispèrent sur les épaules du jeune homme face à lui.
Sans prendre garde à l’étincelle dangereuse qui s’allumait dans les yeux d’Einar, il s’agrippa à lui comme à une bouée, totalement inconscient de la frayeur qui aurait pu monter dans le cœur de son interlocuteur.
Sans perdre un instant, il se lança à l’assaut de l’imagination. Instantanément, son esprit quitta son corps, et c’est de toute son âme qu’il se jeta dans les spires, chamboulant tous les possibles sur son passage. Il virevolta un instant, petite âme voilée de lumière, pendant un temps ridiculement court dans le monde réel. Son sang bouillonna dans ses veines, tandis que la joie de retrouver ce qui lui apparaissait comme son monde natal lui incendiait la raison. Il ne put s’empêcher de jouer avec quelques possibles, les façonnant entre ses mains fantomatiques, sans les faire basculer dans la réalité. Enfin, il se rappela la raison pour laquelle il s’était immergé dans l’imagination. D’un rebond aérien il tournoya jusqu’à l’exacte frontière entre les mondes, scrutant à travers l’invisible rempart la silhouette d’un Einar floutée par la distorsion du réel. Ce qu’il voyait, c’était l’aura de l’autre. Son pouvoir, bien que très léger, lui apparaissait avec ses tourbillons carracteristiques. Il était certain qu’Einar pourrait dessiner s’il s’en donnait la peine, mais comme ce qui semblait résumer sa personnalité, c’était un manque de confiance en lui qui lui bridait l’imagination et l’empêchait de jaillir parmi l’infinité des possibles. Qu’importe, cependant.
Il ne savait comment décrire cela avec des mots, mais il essaya de l’attirer vers lui, s’imaginant comme un aimant qui gravite une pièce, tentant, par la force de son pouvoir, de treuiller l’esprit du chantelamme dans cette autre dimension.
Mais Lev n’avait pas de patience, c’était bien connu. D’un sursaut saccadé, c’est à bras le corps, si l’on peut dire, qu’il tracta de force l’esprit d’Einar dans l’imagination. Cependant, il avait oublié un point essentiel. Un point qui faillit couter la raison du chantelamme. Au moment où leurs deux esprits entrelacés franchirent la barrière séparant l’imagination de la réalité, ce fut comme lorsqu’il se colla à celui de Shawna. Les souvenirs d’Einar crevèrent les digues de sa raison et roulèrent comme des vagues furieuses, engloutissant sur leur passage la moindre résistance de Lev. Une nuée stroboscopique s’étiola dans sa tête, noyant toute autre perception, manquant de lui faire lâcher prise sous l’assaut mémoriel. Et plus les images défilaient, plus le torrent se faisait furieux, charriant dans ses méandres de douloureux rochers traitres, des courants froids comme la mort, des sensations violentes, et par-dessus tout ça, il perçut ce qu’Einar pensait de lui. Un instant, il vit son visage, déformé par l’idée qu’Einar s’en faisait, un visage aux yeux globuleux, aux lèvres fines cachant des rangées de dents saignantes, la tempe déformée par une bosse absurde et collante de sueur et de sang. Les mains filiformes agrippées autour de la prunelle semblait vouloir la tracter hors de l’orbite pour se l’accaparer et –peut-être – l’engloutir d’un coup de langue.
D’un geste répulsif, Lev s’éjecta de l’étreinte, envoyant valser l’esprit de Lev dans les méandres de l’imagination. Cependant, et ce presque aussitôt, il comprit le danger que courrait le garçon à dériver ainsi sans accroche sensorielle. D’une torsion il volta à droite à gauche et finit par le retrouver. Serrant les dents face à ce qui allait suivre, il l’empoigna derechef et l’envoya à travers la barrière, en plein dans le monde réel, son propre esprit à sa suite.
* * * Ses yeux s’ouvrirent en papillonnant, la pupille d’un noir abyssal cherchant à percer la pénombre. C’était toujours ainsi, les spires étaient tellement lumineuses, tellement riches en sensations que le retour à la réalité lui apparaissait toujours comme une glue insipide et fade. En un flash, son aventure lui revint en mémoire, et il s’aperçut qu’il était toujours agrippé aux épaules d’Einar. Il lui semblait qu’il s’était passé plusieurs dizaines de minutes, voir une heure, mais il savait que c’était un des effets de l’imagination, une espèce de décalage horaire. Tout au plus s’était-il passé une minute voir quelques secondes.
Son regard croisa celui d’Einar, et lui revint en mémoire tous les épisodes qui avaient traversé l’esprit du jeune homme au moment où il était entré dans l’imagination. Ses mains arachnéennes reprirent leur place sur ses genoux. Le visage du chantelamme était animé d’une flamme étrange, dérangeante. Il détourna les yeux, étonnamment gêné.
Qu’est-ce qu’Einar avait pu retirer de l’histoire ?
[ petit trip de circonstante - mon esprit est trop fatigué pour faire la part belle aux incohérences, donc je te laisse le loisir de me dire si tout cela colle ou pas, ainsi que la liberté de ce que Lev aura pu voir dans l'esprit d'Einar. ] |
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Dim 1 Jan 2012 - 17:00 | | | Il n’aurait jamais du commencer par poser la question. Il ne voulait d’ailleurs pas en savoir la réponse. C’était de la pure politesse, une conversation de forme, pour tenter de retourner sur un terrain de conversation moins glissant et qui pourrait lui permettre de ne pas terminer agressé et tout pantelant de larmes. Les Spires, il avait déjà réussi à les atteindre quelques années auparavant et elles ne lui avaient pas laissé de souvenir impérissable. Pour ce qu’il était parvenu à en voir, de toute manière… Son don devait avoir été microscopique, à peine de quoi créer quelques flammèches après de grands efforts et un temps non négligeable. Et depuis qu’il était à l’Académie, il n’y avait plus touché, voire avait complètement oublié l’embryon de Don qu’il possédait. Depuis le temps, il le pensait disparu : comme un talent à l’épée qu’on ne pratique plus jamais après l’avoir vu seulement une ou deux fois. Ca ne l’aurait pas étonné d’avoir perdu les Spires. Ca ne l’aurait pas non plus traumatisé, d’ailleurs.
Et voilà que l’éclat dans les océans de Lev s’était rallumé comme un brasier et qu’il ne cessait de vaciller, des flammes dans la tempête céruléenne, et qui ne cessaient de grandir avec cet espèce d’appétit de pouvoir brut qui régissait la personnalité du jeune homme. Son instinct de survie commandait à Einar de s’enfuir à toutes jambes pour de bon, comme il aurait du le faire depuis une heure maintenant. Malgré toutes ses promesses et ses civilités policées, ses facettes changeantes comme la marée, il n’avait plus aucune confiance en Lev. Il n’était pas contrôlable. Il avait sérieusement un grain, et maintenant qu’il en était sûr, il ne pourrait plus jamais lui refaire confiance ; qui sait ce qu’il cachait sous les mèches de ténèbres qui lui cinglaient les joues comme des grâces ?
Et ce murmure dénué de toute contenance, et toujours, toujours, ces prunelles d’océan en furie, et d’embruns sanglants.
Le cœur asséché comme les rives d’un lac quand la crue s’est retirée, Einar éprouvait l’agacement, ce qui l’étonnait lui-même. Et c’est les réflexes de guerrier qui manquèrent de frapper Lev au creux du ventre quand le fol s’accrocha à lui une énième fois et rompit complètement ce qu’Einar pensait être les frontières du monde existant. Il n’y eut d’abord rien. Juste une seconde de néant, comme si on lui avait plaqué un oreiller sur chaque oreiller et sur le nez, comprimé entre les bras de Lev, Lev qui semblait comme un poids mort, ses deux galaxies d’yeux aussi vides que l’univers. Il envisagea un moment de se détacher et de le planter là ; mais c’était sans compter les ravages faits aux portes de son esprit.
Le contact lui donna envie de vomir. Et l’apeura complètement. Son esprit se débattit comme un animal pris dans les rets du chasseur, feulant et griffant le vide. Il ne pouvait résister à cet immense rugissement de pouvoir qui résonnait à l’intérieur de ses tempes et qui tentait de l’emmener dans une zone où il savait qu’il ne sentirait plus son corps et qu’il s’y noierait. Et cet immense brasier bleu impalpable qui martelait ses tempes, et le tiraillait, lui arrachait des bouts de sa sanité pour les emmener dans l’Imagination où ils n’avaient rien à faire. Mais sa volonté était un insecte comparé à la manticore qui l’avait saisi à grands renforts de griffes mentales, et il dut certainement pousser un cri dans les recoins de son esprit quand les digues de l’Imagination se rompirent et se répondirent dans sa tête comme des flots tumultueux.
Un cauchemar imprécis et rugissant, sûrement, il l’eut qualifié, s’il n’avait senti sa conscience et son identité lui suinter par toutes les pores, et fondre comme neige ; où s’arrêtait-il ? De mains fantômes, il voulut grappiller les images qui défilaient dans leur tête et qui se déversaient sur les chemins comme une outre percée ; il ne fit que les traverser. Souvenirs, à moi ! Rends-moi mon enfance, pourquoi t’enfuis-tu avec une image de mes parents, voleur ? Son esprit, quelque part, était terrifié, que ses souvenirs, sa vie, défile sans censure ni retenue sous les yeux d’un inconnu dont le passe temps favori était d’exorciser les psychoses des gens ou de les faire siennes. Quelque chose dans sa tête s’alarma, et tenta de retenir ce flot tumultueux. Mais les images de sa famille, de tous ses frères et des éclats de rires, des bagarres, des larmes, des prises de tête, apparaissaient comme des centaines de feu d’artifice, il reconnut aussi Gros Jon et sa bande de durs qui le terrifiait, petit, sa tante Mo et ses pâtisseries, et puis, ses propres peurs, il se revit perché sur les combles à cinq ans, à envier du regard les attentions des uns et des autres, et cette chaleur en pensant que malgré tout, c’était tous sa famille et qu’ils s’aimeraient toujours, même séparés aux quatre coins de l’Empire.
Il manqua disparaître liquéfié dans les identités de ses souvenirs ; le chantelame s’était dilué dans l’enfant et dans l’élève, perdu dans l’adolescent amoureux et terrifié par cet être étrange aux grands yeux électriques.
Le sang gicla dans ses pensées et les flammes toutes les belles choses consumèrent.
Elles montèrent, incarnat, brûlantes, rouges de crime, il perçut des cris distordus, des images troublantes flashèrent dans son esprit comme juste avant un réveil ; ce n’était pas lui qu’il voyait, à lui n’était pas cet écœurante réminiscence ! Monstre !
L’animal en Einar se débattit et soudain, tout lâcha, il lui semblait sombrer, sombrer, comme dans un flot enragé et bouillonnant, on lui avait volé le sens des directions, et maintenant, il dérivait comme un corps mort dans des Spires qui ne lui appartenaient pas et qui, par la Dame, hurlaient si fort…
L’esprit subitement réincarné d’Einar Soham pria instantanément la Dame et le Dragon réunis pour que tout ne soit qu’un mauvais rêve, et que quand il ouvrirait les paupières, il serait dans son lit, en sueur, et le jeune homme à l’esprit qui hurlait n’existerait pas, et n’aurait jamais existé. Et pourtant l’océan toujours l’attendait quand il ouvrit les yeux, à peine remis de ce qu’il venait d’entrevoir et de percevoir, et qu’il ne comprenait pas encore. Son esprit était gourde, ravagé qu’on eut forcé le passage des Spires alors qu’elles étaient restées muettes et éloignées depuis des années. Il se sentit souillé, soudain, surtout. Souillé d’avoir donné sa confiance et qu’on eut ravagé tous ses souvenirs comme un voleur retournerait une pièce pour trouver les objets précieux. Nu devant Lev qui avait pu avoir des aperçus de tous ses propres vices et de ses propres psychoses ; il craignit que de voir des souvenirs de famille comme celle d’Einar ne feraient que rendre le jeune homme encore plus fou et dangereux qu’avant. Il ne le lâcherait plus maintenant qu’il le savait de famille nombreuse et relativement heureuse. Il ne pourrait plus jamais s’en débarrasser. Et ces odeurs de sangs et ces images de fumée et de cris, il y avait des flammes, et il y avait un visage, et sur le visage, il y avait du sang, et ça sentait la peur, la peur panique. Une impression qu’il avait volée lui-même à l’esprit tordu et aux souvenirs meurtriers de Lev lui restait en écho dans l’esprit et lui glaçait complètement les veines : la soif de meurtre et la jouissance du crime accompli.
Il contempla son vis-à-vis avec des yeux blancs de compréhension, et de dégoût profond. Son esprit ne pouvait même pas formuler l’idée qu’il venait de saisir ; ce qu’il venait de comprendre dans le passé de Lev. Ce qui faisait qu’il était ici. Ce qu’il avait fait. Monstre.
Monstre. Monstre. Monstre. Monstre. Monstre. Cet mot resta gravé dans sa tête, nauséeux qu’il était en songeant que le visage qu’il avait vu était.. non, il ne pouvait vraiment pas le formuler. Monstre. Monstre. Monstre, fit son esprit, monstre fit son coup de poing quand il atteignit le creux du ventre de Lev, monstre firent ses phalanges quand elles s’écrasèrent contre la machoire narquoise, monstre fit son pied quand il heurta un tibia et entendit un grognement ;
Monstre, fit son esprit, quand il partit en courant dans le couloir et dégringola à toute vitesse la volée d’escalier la plus proche, monstre fit son esprit quand il tourna la tête pour s’assurer qu’il n’était pas suivi, monstre fit son esprit en voyant ce corps pantelant contre le mur et qui ne le suivait pas, monstre fit son esprit quand il se remit à courir comme un fol, la respiration haletante, et qu’il courut encore pendant longtemps, sans prêter attention aux questions que lui posaient ceux qu’il croisait en trombe, et qu’il courut jusqu’à atteindre les portes de son dortoir, et qu’il put enfin se sentir à l’abri, enfermé dans une salle où Lev ne pourrait pas aller.
Titubant, le pauvre apprenti chantelame vomit dans l’âtre de la cheminée, tremblant encore de ce dernier brasier de souvenirs qui l’avait complètement perdu, et à la perspective que l’Académie…
L’Académie abritait un meurtrier. L’Académie abritait un meurtrier à la recherche de sa sœur démoniaque.
[ Je sais que tu voulais pas terminer le Rp, mais vraiment, c'était la seule réaction qu'Einar pouvait avoir, et c'est la réaction qu'il a vraiment eu spontanément. Mais je voudrais bien lire ton propre post de fin avec grand plaisir Et bonne année ] |
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| Sujet: Re: Et croiser les doigts plutôt que le fer [Terminé] Jeu 9 Fév 2012 - 14:46 | | | Une fois l’épisode terminé, il se dirait que c’était la désynchronisation due aux spires, qu’il avait été trop dans les vapes pour voir venir les coups, qu’Einar était plus fort que lui à ce jeu-là, le petit chantelame, qu’il avait des crocs cachés sous les lèvres, des griffes à l’intérieur des poings. Il se dirait qu’il n’avait pas su régir à temps, qu’il était trop lent et qu’il manquait par trop d’entrainement au combat, que c’était inégal, vraiment.
Puis il se dirait, encore un peu plus tard, que c’était finalement ce qu’il avait voulu, qu’Einar brise la glace –et celle de ses tempes bourdonnantes – et laisse s’affirmer la virilité violente qui hante le cœur de tout homme. Oui, il l’avait poussé sciemment à l’éclat, par les spires et par ses doigts, à se frayer un passage à travers toute cette politesse douceâtre, ces grumeaux de bonne conduite, et le marais stagnant des conventions. Il était tombé, Einar, dans un sable mouvant, et à bras raccourcis – sur Lev – évidemment.
Oui, une fois que tout serait terminé, une fois qu’Einar serait parti en courant comme un dératé, une fois que son esprit aurait la sagesse de se fermer comme une huitre, il penserait tout ça, et il le penserait dur comme fer. Dur comme
(Les poings d’Einar)
Fer.
Mais son esprit névrosé avait bien faillit le trahir, en fait. Sur le coup, sur les coups, ce n’était absolument pas ce genre d’émotion qu’il avait ressenti.
Et pour comprendre, approcher ne serait-ce qu’un peu, imaginer la peur qui lui étreignit les tripes à ce moment-là, il fallait revenir à ce que Lev avait de plus simple en lui, à ce qui dominait, à ce qui le poussait et lui donnait la force de vivre. Pour certain c’est la vengeance, pour d’autre c’est la mort, pour d’autres encore, c’est leur métier où leurs enfants. Pour Lev, et aussi étonnant que ce soit vis-à-vis d’un homme psychotique qui a voué la sienne au meurtre et à toute sorte d’action dégueulasse, c’est l’aMour. Oui, l’aMour. Avec un grand « M » – comprenez un grand « aime ». Comme Marlyn. L’aMour et le pouvoir. Le pouvoir de ne plus ressentir, le pouvoir de contrôler l’autre, ses émotions, et de le jeter, si besoin était, lorsqu’il ne parvenait plus à l’aimer. C’était toujours lui qui abandonnait, qui blessait l’autre, qui l’envoyait sur les roses, ou lui promettait un énième rendez-vous auquel il n’allait pas. C‘était toujours lui, le maître, et c’était toujours l’autre le rejeté. Et c’était une loi immuable de son propre univers, et Lev faisait très attentions aux lois. Aux limites qu’il ne fallait pas dépasser, afin de ne pas se faire prendre. Les limites étaient trop importantes pour être ignorées dans une société ou tout était codifié à travers celles-ci. S’il voulait vivre, vraiment vivre, s’adonner à ses désirs, il devait le faire sans dépasser les limites et/ou sans se faire remarquer. Celui qui ne se fait pas prendre n’est pas puni.
Et ce soir, ce soir… Il avait commis bien plus que des erreurs. Il avait brisé les règles immuables qu’il s’était forgé, il s’était laissé pénétrer par la présence d’Einar, qui avait réveillé en lui des sentiments qui n’auraient jamais dû avoir de place dans ce genre de situation. Et puis quoi, encore, il s’était excusé non de dieu ! Il avait faiblit, il avait oublié, oublié que les gens sont tous des déficients de l’amour, qu’ils n’étaient capable d’aimer que pour un temps défini, presque par avance aurait-on pu dire, qu’ils étaient malades, malades, tous autant qu’ils sont ! Et que lui, Lev, était réel, bien plus réel que leurs sempiternelles remontrances à la con, quoi, ne pouvait-on pas désirer et obtenir, qui avait édicté les règles, au nom de la Dame, qui ?
Et Einar, Einar, le petit Teylus, qui s’était relevé d’un bond, presque flou, complètement fou, les yeux injectés d’un mélange de peur et de haine repoussant, Einar qui avait serré les poings avant de le labourer de coups, de lui enfoncer ses métacarpes trop solide dans le visage, dans le ventre et la mâchoire, et à chaque blessure, à chaque hématome, dans la tête de Lev sa voix désincarné serinait : « je ne t’aime pas, Lev, personne ne t’aime, tu ne mérites pas d’amour, tu n’es qu’un moins que rien, un insecte insignifiant tout juste bon à être écrasé, tu ne mérites que la mort, que la mort… que la mort… »
Et le pire… Le pire, c’est que cette voix avait des accents de vérité. Pendant un effroyable instant, Lev eut la conviction qu’il méritait les coups, qu’il méritait l’absence d’amour, qu’il n’était qu’un être horrible et monstrueux, qui n’avait sa place dans aucun cœur. Si Einar le rejetait, le doux Einar, qui pourrait alors l’aimer et s’approprier son âme ? Personne. Le mot résonna comme un gong et lui plissa les paupières alors qu’une larme venait rouler sous son œil encore intact. La première depuis vraiment, vraiment longtemps. Ce n’était pas la douleur, non, Lev ne ressentait pas la douleur comme la plupart des gens. Dans son monde à lui, au plus profond de son esprit névrosé, il y avait une petite lueur de folie qui lui dictait qu’il était le seul être réel de son univers, que les autres n’étaient que de pâles figurants, sans lesquels il ne pouvait pas vivre, évidemment, mais qui n’en restaient pas moins des fantômes envers lesquels s’amuser, et faire passer le temps et ses désirs. La douleur était provoquée par ces autres, le plus souvent, elle n’avait donc aucune réalité propre et ne méritait pas qu’on la prenne en considération. Non, ce n’était pas la douleur qui lui avait tiré cette improbable larme. Du moins ce n’était pas la douleur physique.
Mais Einar était déjà en train de partir. Comme dans un film, le temps sembla se ralentir alors qu’il faisait un focus sur son visage, qu’il y découvrait tous les détails de la détresse et de la peur. La violence dansait sous la surface, mais elle n’était pas pure, n’était qu’une composante des deux autres. Rare étaient les personnes capables de violence totalement, irrévocablement, gratuite. Lev en faisait partie. Il vit les larmes revenue strier les joues tâchées d’un rouge malsain, alors que le reste de son visage était d’un blanc de craie, contraste dérangeant qui lui donnait des allures de clown maladif et affamé. Et ses épaules qui tremblaient, le sang dégoutant de ses poings serrés, écorchés sur les os de Lev, et ses jambes, longues, et sa bague qui brillait à son doigt, elle aussi également ensanglanté. Elle était imprimée sur l’épaule du Kaelem, puisque Einar n’avait pas jugé utile de l’enlever avant de le frapper.
Puis il s’en fut, courant pour sauver sa peau, pour sauver ses os.
Parce qu’il savait. Il savait que Lev était un meurtrier qui avait tué sa famille adoptive après les avoir torturés et y avoir pris un plaisir atroce. Il savait pour Marlyn, probablement aussi. Il savait, puisqu’il était entré dans son esprit, et que Lev avait vu ses souvenirs lui échappé alors qu’il tentait de l’aider à retrouver son corps.
Ingrat.
Lev donna un violent coup de poing contre le mur à ses côtés, et l’exquise douleur chanta dans ses os et dans ses nerfs, lui clarifiant l’esprit, ou plutôt le fermant à tout ce qu’il ne voulait pas ressentir. Il ne voulait pas sentir de tristesse, à l’idée d’être abandonnée par Einar. Il voulait ressentir de l’indifférence, et en tirer un pouvoir. Il ne voulait pas ressentir de la peur, à l’idée d’être démasqué par le Teylus, il voulait ressentir de la colère, de la haine. Et cette colère, cette haine, il ne voulait pas la ressentir envers lui, il voulait la transvaser dans le corps chétif d’Einar : c’était lui qu’il voulait haïr. L’ingrat. Einar l’ingrat.
Il n’y parvint pas tout de suite alors que, le corps tremblant de détresse et de l’impression d’être déposséder traitreusement de ses sentiments, il gisait, seul, par miracle, dans le couloir peu fréquenté. Puis, finalement, comme on verrouille plusieurs serrures unes à unes, avec un claquement sec, il ferma son esprit à ce qu’il ne voulait pas y voir entrer. Puis il maquilla les sentiments, les peignant avec adresse, remodelant leur forme avec finesse, pour les faire coïncider avec ce que lui voulait. Tel était le pouvoir de Lev. Trancher la réalité et recoller les morceaux, créant une autre image avec celle qui lui était donné d’observer à la base. Ce n’était pas de l’hypocrisie, il croyait se persuadait certes que cette vision recrée était l’initiale, mais ça allait plus loin, avec une sorte de conscience atone de ce qu’il faisait, sans y retrouver rien à penser.
Peu à peu, il eut l’impression réconfortante de redevenir sain d’esprit, de contrôler ses pensées et tout ce qui l’entourait. Le retour à son moule confortable lui tira un sourire de soulagement, un peu crispé, certes. Et puis… De toute manière, Lev savait qu’Einar savait que Lev connaissait maintenant sa famille. Toute sa famille. Et une partie de ses souvenirs. Et il savait Einar trop intelligent pour ne pas prendre en compte l’équilibre des forces qui se jouait, trop intelligent pour risque de faire pencher la balance du mauvais côté en allait dénoncer le Kaelem. Mais il lui fallait le surveiller, tout de même. Ce ne serait d’ailleurs pas trop difficile. Son empreinte lui collait aux tempes du fait de leur récente proximité astrale. Il pourrait savoir où il était, et peut-être même s’amuser un peu le soir, et lui envoyer quelques images rassurantes, comme un Lev ensanglanté qui le regarde dormir avec deux incisives dégueulasses pointant d’entre ses lèvres cisaillées un peu comme Marlyn avec Halina quoi :twisted : .
Le kaelem se releva doucement, le sang battant à chaque blessure, la douleur réconfortante lui assurant une place bien acquise dans le monde des vivants, le monde réel. Car lui seul était réel. Ainsi que les personnes qu’il souhaitait faire entrer dans sa bulle de réalité. Einar n’avait su saisir sa chance. Il lui fallait maintenant retrouver Marlyn. Et la rendre réelle elle aussi. Sa jumelle de sang. Son âme sœur.
Il essuya sommairement son visage, camouflant du mieux qu’il put les stigmates de l’altercation, et se dirigea d’un pas nonchalant vers sa chambre, en sifflotant un petit air joyeux.[Avec un plaisir énorme Merci soeurette ] |
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