Rencontre percutante dans les couloirs [Inachevé]

Atchiii ! Ah… Ah… Atchiii ! Tuuli parcourait l’Académie, son fidèle balai à la main droite et un carré de tissu que sa main gauche pressait sur son long nez, s’autorisant un petit récapitulatif de ses derniers moments.

S’étonnant d’un sommeil confortable malgré la dureté de son matelas, elle en avait attribué la cause à son oreiller si doux et n’avait pas tardé à remarquer une allergie jusque là inconnue aux plumes. Elle s’était empressée d’éloigner l’objet de ses éternuements de plus en plus fréquents avant qu’ils n’envahissent sa vie de façon irrémédiable, mais la poussière qui planait dans les couloirs n’avait fait qu’empirer les choses. Elle était ainsi affublée d’un nez rougi par des frottements répétés de divers mouchoirs et des yeux gonflés et larmoyants. Elle continuait pourtant à effectuer les tâches qui lui étaient confiées : elle aidait à réparer ce qu’elle pouvait même si la majorité des dégâts devaient passer entre les mains de professionnels mais surtout elle passait le balai aux endroits peu touchés par les conflits, nettoyait tout ce qui avait été en contact avec de la nourriture (et par le Dragon ! Que ces élèves avaient un appétit d’ogre !) et autres… Toutes ces activités semblaient peu urgentes mais Tuuli avait été expressément chargée de les accomplir. Il fallait montrer une certaine stabilité, que les choses continuaient, que la reconstruction et les récents évènements n’étaient que des moments isolés de l’Académie, la normalité remplacerait bientôt le chaos (dans tous les sens du terme) en rassurant avec des gestes anodins.

Elle venait d’accomplir ce pourquoi elle avait été embauchée (du moins pour la journée) et se préparait à ranger son matériel avant de se préparer une décoction aux plantes pour se remettre de son nez bouché. Ayant l’impression de passer sa vie dans les couloirs, elle errait, trainant son balai derrière elle, s’arrêtant parfois lorsqu’elle éternuait et se mouchait, puis recommençant à marcher comme dans du coton. Elle tentait de temps à autres de voir si elle ne pouvait pas nettoyer des amas de poussière, par-ci, par-là mais le couloir était tellement empli de gravats que cela n’aurait eu aucune utilité. Elle avait moyennement compris ce dont l’Académie avait été victime et ne cherchait pas réellement à savoir. Malgré sa curiosité elle n’était pas là pour ça. On lui avait dit que le Chaos avait été vaincu, que les pertes avaient été lourdes et c’était tout ce qu’elle devait savoir. Le silence était maitre des lieux la plupart du temps et le chagrin planait comme une ombre au-dessus des résidents de l’Académie. La domestique ne pourrait jamais comprendre à quel point les cœurs avaient été endommagés et elle le savait, alors elle essayait d’accomplir son travail comme elle le pouvait. Elle savait maintenant manier le balai à la perfection, grâce à la formation qu’elle avait reçue de l’itinérante, mais avait encore quelques lacunes pour ce qui était des réparations et de la vaisselle *Non c’est bon ! J’ai cassé que deux assiettes aujourd’hui !* Si, si elle avait quelques lacunes.

Elle s’était de nouveau arrêtée pour souffler dans son mouchoir quand une montagne s’approcha dangereusement d’elle. C’est du moins l’impression qu’elle avait eu en voyant un jeune homme se diriger vers elle tout en regardant derrière lui. Son cerveau ne se décidant pas à fonctionner à une vitesse normale elle resta plantée là. *Impact imminent. Contact dans 5, 4, 3, 2, 1… Nous sommes touchés mon général !*. Elle sentit alors son équilibre lui faire défaut et tomba au ralenti. Heureusement, l’individu responsable de ce choc la rattrapa avant même qu’elle n’effleure le sol et elle fut sur pieds avant d’avoir le temps de dire « Gare au siffleur ! ». Il s’excusa immédiatement. Il avait vraiment l’air désolé et inquiet *Hé les larmes dans les yeux c’est à force d’éternuer hein ? J’ai rien là !*. Avant de répondre, Tuuli détailla le personnage et repris le mot qu’elle avait ressenti à son apparition. Le jeune homme était effectivement une montagne. *Ils n’ont que des armoires à glace ici ? Le dernier homme que j’ai rencontré et qui était fluet c’était le professeur Cil’Eternit depuis je ne vois que des géants !*. C’est d’une voix nasillarde qu’elle s’adressa à lui.

- De vous inquiédez pas Bonsieur, il d’y a pas de bal. Je de regardais pas vraibent don plus où j’allais. Berci de b’avoir raddrapée. Euh… Vous avez besoin de quelque chose ?

*Ah vivement que mon nez soit débouché ! J’en ai marre de parler comme ça !* Les couloirs étaient lumineux. Le printemps ferait bientôt place à l’été et Tuuli espérait vivement qu’avec la chaleur croissante elle finirait par respirer et parler comme il faut. Elle regarda le sol sur lequel elle avait failli s’écrouler *Fichtre ! Heureusement qu’il m’a rattrapée, ce coin de pierre était sur le point de ne faire qu’un avec mon crâne !*. Elle lança un regard rempli de reconnaissance à son interlocuteur puis… ATCHIII ! Repartie dans des éternuements à n’en plus finir elle s’adossa à un mur pour se moucher bruyamment. *Je suis franchement classe moi en ce moment ! Ah si mes parents me voyaient ! Je m’entends déjà leur ton réprobateur alors qu’ils me diraient « Tuuli ! Un peu de tenue voyons ! Lorsque de tels chatouillements effleurent nos narines on s’excuse avant de partir s’isoler ! », ce qui est absurde ! Partir sans remercier quelqu’un ce n’est pas plus poli que de lui éternuer dessus… C’est juste plus propre. Moui… C’est moyen quand même ce que je viens de faire là…*. Entre deux éternuements elle s’adressa à l’homme qui lui faisait face.

- Désolée, je grois que je vais avoir besoin d’air frais.

La jeune fille n'avait pas chuté, Locktar l'avait rattrapé à temps. Elle ne pouvait donc être blessée. Pourtant, elle avait les yeux remplis de larmes. Avait-il serré trop fort son bras quand il l'avait retenu? Un des muscles de la jeune fille avait-il été froissé pendant le geste? Locktar savait que tout était possible dans de telles situations. Parfois, il suffisait de marcher en posant le pied d'une mauvaise façon pour se faire une entorse. Et parfois, se retenir pour ne pas tomber était bien pire que de tomber vraiment. Quand elle parla et qu'elle lui expliqua qu'elle n'avait pas mal, Locktar en fut quand même inquiet. Elle parlait du nez. Il était cassé? Elle n'avait pas l'air de saigné pourtant. Et surtout, son nez n'avait pas touché quelque chose. C'est quand elle éternua qu'il comprit tout. Elle était enrhumé, rien de plus. Le guerrier en fut rassuré et il ne put s'empêcher de sourire. Il voulut répondre à sa question, lui dire qu'il n'avait besoin de rien mais un nouvel éternuement se fit entendre. Et bien, elle tenait un bon gros rhume la domestique là. Comment elle avait fait son coup d'ailleurs? Il faisait chaud et le soleil brillait depuis plusieurs jours déjà. C'était assez surprenant qu'on puisse s'enrhumer avec un tel temps.

- D'air frais? Je pense qu'au contraire, il faut un bon grog et la chaleur d'un bon lit douillet.

C'était peut-être pas la bonne technique, mais, quand il avait un rhume, Locktar allait boire un truc de fort pour se réchauffer le gosier. Ca lui débouchait pas le nez mais il éternuait beaucoup moins après avoir vidé son verre. Non, il n'était pas bourré mais l'alcool le réchauffait et c'était ce qui comptait. Bon, peut-être que la jeune fille ne supportait pas l'alcool, ça serait dommage qu'elle se saoule en plein après-midi.

- Tiens, j'y pense, on s'est même pas présenté. Je m'appelle Locktar Guidjek, je suis garde dans cette académie.

Locktar tendit la main. La domestique la serra avant d'éternuer de nouveau. Et bien, c'était vraiment un gros rhume qu'elle tenait là. Il fallait faire quelque chose pour arranger ça sinon elle allait le trainer longtemps.

- Dis-moi, tu as finit ton travail? Si c'est le cas, je t'invite à boire un verre au Dragon vert, une auberge d'Al-Poll. Ca te tente?

Il avait quasiement finit son tour de garde, il pouvait donc très bien aller offrir un verre. Il la voyait hésiter.

- Dites oui, ça sera pour m'excuser de ne pas regarder devant moi.

Un grog ? Ce n’était pas cette boisson alcoolisée qu’on recommandait à ceux qui souffraient d’un méchant rhume ? *Mais moi c’est qu’une allergie… Ca marche les grogs pour ça ?*. Tuuli n’avait jamais réellement touché à l’alcool, pourtant passé dix-huit ans rien ne lui interdisait les diverses liqueurs, pas même les usages familiaux. Les femmes devaient seulement rester raisonnables, se tenir et éviter de trop boire. La domestique avait bien bu quelques gorgées, pour goûter, mais sans plus. De toute façon on ne lui en proposait jamais plus. Et puis, lorsqu’ils étaient malades, son frère et elle, leur mère croyait fortement au pouvoir des plantes et demandait alors à leur cuisinier de leur préparer diverses décoctions plus ou moins odorantes qu’ils devaient ingurgiter le plus vite possible en se brûlant la moitié de la langue. Par contre elle ne dirait pas non à un bon lit une fois qu’elle aurait brûlé tout ce qui contenait des plumes.

Tuuli serra avec faiblesse la main que lui tendait l’homme en se présentant. Il était plutôt chaleureux. Sympathique. Avoir l’air d’une brute épaisse physiquement ne devait pas signifier taper sur tout ce qui bougeait dès qu’on croisait quelqu’un. Bon, il l’avait certes bousculée quelque peu violemment, mais quand personne ne regarde où il marche, les rencontres s’illustrent rarement par un simple effleurement des vestes.

- Je b’appelle Tuuli Gilang, aveg un « Ga », pas un « Gé ». Je suis une dobestigue tout récemment arrivée et gui se trouve être allergigue aux plumes et sans doute à l’agumulation de poussière. Je suis vraibent bal tombée là.

La domestique tentait de prendre là chose par l’humour. L’être qui lui faisait face avait plutôt l’air sympathique et puis *c’est vrai que c’est un peu idiot pour une domestique de faire une allergie quand il y a trop de poussière non ?*. Et le voilà qui lui proposait d’aller dans une auberge, comme ça. Il n’avait pas un travail lui ? Il semblait trop vieux pour être un élève. Certes, elle avait fini sa journée mais avait-elle le droit de sortir comme ça ? Sans tenir de compte à personne ? Dans une auberge qui plus est ! *Un endroit plein d’alcool avec des gens pas nets c’est sûr !*. Après avoir réfléchi deux minutes, Tuuli douta que l’individu voulait la conduire dans un endroit malfamé. Mais cela semblait si étrange de sortir quand ça lui plaisait pour aller où elle voulait !

Le Sieur Guijdek se mit à la vouvoyer en la priant d’accepter sa proposition. Avait-elle l’air si froide que ça ? Si peu prompte à accepter de sortir comme ça ? Si peu avenante ? Autant habituellement son amour pour les règles l’aurait emporté mais là, il n’y avait pas de règles et personne pour vérifier si elle était bien dans sa chambre à lire un livre. Peut-être que l’alcool aidait vraiment à se remettre des éternuements… Elle n’avait jamais essayé. Si tant de gens appréciaient le goût de ces boissons c’est qu’elles ne devaient pas être si mauvaises. Tant qu’on n’en abusait pas bien sûr. Tuuli tendit sa main devant elle, à plat, comme elle l’avait vu faire dans une pièce de théâtre à laquelle son père l’avait emmenée.

- Touchez là Monsieur ! Je be joins à vous. Bais je dois vous avouer gue je suis une débutante en ce gui goncerne la boisson. Je gompte donc sur vous pour be guider à travers cette route dangereuse gu’est la ligueure.

La perspective d’aller dans ces endroits qu’on lui avait décrit de façon si mauvaise et qui pourtant étaient le cœur de tant d’intrigues dans les livres qu’elle avait lus, la mettait en joie et Tuuli reprenait des forces rien que dans l’idée de sortir.

Tuuli Kilang. Nouvelle domestique. D'accord, c'était noté. Elle était donc allergique aux plumes. Voilà qui expliquait bien mieux le rhume. Un coup de froid à cette saison aurait été assez surprenant. Finalement, un bon grog aurait peut-être pas beaucoup d'effet. Il s'apprêtait à le signaler à la domestique mais il fut arrêter par Tuuli qui reprit la parole. Elle acceptait? Et bien tant mieux alors. L'alcool n'arrangerait peut-être pas son rhume mais au moins, ils apprendraient à faire connaissance autour d'une bonne bouteille.

- Tant mieux alors. Donc, jeune fille, c'est par içi, annonça-t-il le sourire aux lèvres.

Mais la domestique s'excusa. Elle voulait ranger ses outils de travail avant d'aller le rejoindre. Locktar lui donna donc l'adresse de l'auberge: Le dragon vert. Ils se retrouveraient devant l'établissement de l'ami du guerrier. L'ancien Corbac se dirigea donc vers les écuries. La ville d'Al-Poll n'était pas bien loin, il aurait pu y aller à pied, mais ça faisait longtemps qu'il n'avait pas fait de balades avec son destrier. Pur-Flocon devait certainement se languir des promenades avec son maître. Locktar allait donc remédier à cela. Il entra dans l'écurie, attrapa sa selle et il se dirigea vers le box de Pur-Flocon. Le cheval aussi pur que la neige le salua avec energie et le guerrier fut obligé de le calmer pour pouvoir le seller. Ca prit du temps mais il parvint finalement. Il tira sa monture par la bride pour la faire sortir de l'écurie. Il grimpa dessus et ils prirent la direction d'Al-Poll. Quand Pur-Flocon s'arrêta devant l'auberge, Locktar l'attacha au mur et il attendit Tuuli. Il était arrivé le premier, c'était logique. Un cheval avançait bien plus vite qu'une personne à pied. Tuuli ne pouvait avoir de cheval. Le salaire de domestique était bien trop faible et une monture était chère. Ca aurait beaucoup surpris Locktar si Tuuli possèdait un destrier. La domestique arriva quelques minutes après l'arrivée de Locktar, à pied bien évidemment. L'ancien Corbac ouvrit la porte à Tuuli pour la laisser entrer. Ils se dirigèrent vers une table libre et le guerrier hela l'aubergiste:

- Merustis, apporte-nous une de tes meilleures bouteilles.

La jeune fille sembla tiquer en entendant le mot "meilleures". Elle ne s'attendait peut-être pas que le vin soit bon.

- On fête vos premiers pas avec l'alcool, ça se fête. Alors autant boire quelque chose de succulent. Au moins, je suis sûr que vous allez adorer ça. Et puis, vous m'avez demander d'être votre guide alors c'est moi qui choisis ce qu'on met dans votre verre, expliqua-t-il en souriant.

Mérustis ne tarda pas d'apporter la bouteille avec deux verres, qu'il déposa devant les deux convives. Locktar attrapa la bouteille et il versa du liquide dans les deux verres. Il posa la bouteille et il attrapa son propre verre.

- A la votre.

Il but une gorgée de vin. Toujours aussi bon. Le Dragon vert était vraiment une bonne adresse.

- Et si on se tutoyait, ça serrait mieux non?

La domestique aquiesca d'un signe de tête.

- Alors, tu le trouves comment ce vin? Il est bon n'est-ce-pas?

[Edition à volonté]