Le Choeur
Cela fait quelques temps déjà, les ans et les décennies ont bien passé, depuis. Il s’appelait Eho, c’était un noble érudit, qui avait évité de toucher aux armes et leur préférait les livres, les voyages et les discussions tenues autour d’un verre, à refaire le monde et à l’imaginer bien. Le jeune idéaliste avait rencontré, au détour d’une ruelle, alors que l’alcool avait embrouillé ses neurones, un gamin dénudé, au corps confondu avec la terre sombre de la ruelle, étendu. Il était secoué de spasmes, et sa peau ne semblait reposer sur rien d’autre que son ossature anguleuse. Il s’était approché, soul, apeuré aussi, maladroit, lentement, et avait attendu le dernier soupir de l’agonisant. Il avait ensuite pris l’enfant, d’une dizaine d’année, entre ses bras, et l’avait conduit au-delà des murs de la ville, ou il avait lavé et choyé le corps défunt, avant de l’abandonner à la nature, avec quelques fleurs. Là, il s’était décidé à laisser ses palabres inutiles et ses soirées alcoolisées pour entreprendre quelque chose, du haut de ses dix-sept ans. C’est ainsi que naquit le Chœur.
Le Chœur avait pour ambition de venir en aide aux enfants porteurs d’un handicap, démunis, orphelins, perdus. On commençait par les doter d’une éducation, s’ils n’en avaient pas connu. Ils apprenaient à calculer, à lire et à écrire, à vivre aussi. D’autres matières s’y ajoutaient, à la manière de l’apprentissage d’un métier, selon les profils et envies des enfants. Une fois adaptés à une vie dans la société, leurs services étaient proposés dans des villages, dans des fermes, dans des élevages, des ranchs, des habitations bourgeoises, et, plus rarement au début, chez certains nobles. Si beaucoup furent d’abord réticents, le zèle des Enfants de Chœur, puisque c’était ainsi qu’on les nommait, finit par les convaincre : Poussés par le bonheur de trouver une place, de se voir attribuer un rôle, les enfants et adolescents ainsi ‘placés’ s’appliquaient dans leurs tâches, s’attachant à mériter leurs repas et leur lit, tout désireux de plaire aux familles qui les accueillait. Le Chœur ainsi se fit une certaine notoriété, et les Enfants de Chœur commencèrent à intégrer des manoirs nobles, quelques uns gagnèrent la Citadelle des Frontaliers ou de grandes seigneuries. La fierté d’Eho n’avait nulle part d’égal. On dit qu'il écrivit de longs rouleaux des réalités de son histoire, et de toutes celles des enfants qu'il aida à se relever, enfermées dans un coffre.
Les années passèrent, Eho toujours à la tête du Chœur. L’organisation prospérait. Toutefois, il dut apparaître que l’homme était avant tout un être perverti et ambitieux, incapable de se contenter de cette charité. Au sein du Chœur, plusieurs dirigeants ne purent résister à leurs ambitions personnelles, leurs désirs parfois peu conscients de gloire ou de reconnaissance. Aussi, nonchalants, ils commencèrent à quémander, auprès des enfants de Chœur dont ils avaient la charge, de raconter leur nouvelle existence, puis les petits secrets qu’ils avaient découvert, qu’on leur avait confié. Et bientôt, ceux qu’eux-mêmes leur avaient demandé de trouver. C’est ainsi que, d’une organisation généreuse, le Chœur se mua en formidable machine à trouver de l’information. Tous les Enfants de Chœur n’étaient pas destinés à espionner, et les dirigeants, à l’abri des regards inquiets d’Eho, qui, quoique soupçonneux, ne savait rien de ces manigances. Comme la cupidité de l’homme est sans égale, la mort mystérieuse d’Eho ne fut qu’une surprise partielle, et dès lors, le Chœur devint ce qu’il est.
Officiellement, en dépit de la mort d’Eho, le Chœur est resté cette entreprise à venir en aide aux plus démunis. Les Enfants de Chœur sont toujours réputés, d’autant plus qu’ils ont encore plus de raisons qu’auparavant de devenir proches de la famille accueillante et irréprochables.
Officieusement, une partie des Enfants de Chœur récolte des informations, à la demande de leurs supérieurs, auxquels ils font des rapports réguliers, dans le cadre officiel de « Visites de contrôle ». Ces informations sont ensuite revendues à ceux qui en ont besoin, ou qui les avaient demandées, les employeurs officieux dit aussi « Gardiens de Foi », contre quelques pièces. Lorsque les dirigeants reçoivent une demande d’information, ils placent un Enfant de Chœur à l’endroit désiré – à moins qu’il n’y en ait déjà un : Les employeurs officiels sont nommés « Les Bienveillants ».
Le Chœur est dirigé par un Triumvirat, soit, trois nobles de familles plus ou moins reconnues, dont Ailil Til’Eyvindr, qui détient la clé de l'hypothétique Coffre contenant les récits - A noter que seuls les membres du Trimuvirat connaisse l'existence de cette clé et sa propriétaire, et qu'en tant que détentrice de cet objet, Ailil est la garante de la sécurité du Choeur. Les membres du Triumvirat sont nommés « Chefs de Chœur ». Leurs premiers référents sont les neufs Eperviers. Pour la plupart anciens Enfants de Chœur, les Eperviers partitionnent le territoire de Gwendalavir en neuf parts, et dirigent à leur tour trois Plumes chacun. Chaque Plume est en fait capitaine d’une dizaine d’Enfants de Chœur.
Les Enfants de Chœur, au cours de leur formation – traditionnellement deux ans – sont amenés vers différents type de travaux. Les plus doués deviennent « Mésanges », et intègrent, de façon durable, de grandes maisons bourgeoises et des manoirs nobles. Les autres peuvent devenir « Hirondelle » (Placés dans divers endroits suivant les besoins de leurs supérieurs et les demandes des Gardiens de Foi), « Mouettes » (Coureurs des rues, ne sont pas embauchés mais récoltent l’information dans les villes, s’occupent des filatures), ou « Pies » (Spécialisés dans les larcins, habiles acteurs tendant à masquer les vols).