Faveur et réflexion (RP terminé)

Installée sur le lit, elle dessinait ce qui ressemblait, à ce stade de l’esquisse, à un arc et une flèche. Peut-être Ena se trompait-elle, mais la courbe lui était bien connue. Elle regarda le stylet aller et venir, revenir, partir, se soulever et retomber. Elle avait les yeux fixés sur son œuvre et rien n’aurait pu la déconcentrer. Elle fit une pause. La tête relevée, elle se tenait parfaitement immobile. Dehors, le temps restait maussade et gris, mais la pluie s’était arrêtée depuis la veille. La lumière faible était compensée par les bougies allumées et le feu qui brûlait dans la cheminée. L’inspiration se venant pas, elle laissa tomber le stylet et tourna vaguement les yeux vers la marchombre, qui se tenait dans l’encadrement de la porte. La jeune femme lui sourit, ce qui eut pour seul effet de lui faire tourner la tête. Elle se remit à contempler son dessin, sans pour autant sembler vouloir le reprendre. Ena s’affaissa un peu. Mais sa décision était prise, enfin. Elle se redressa et s’approcha de la jeune fille. Elle prit une voix douce et lui expliqua :

-Je ne peux te laisser seule ici toute la journée…Je vais demander à Amarylis de te garder…Ce sera mieux…C’est une rêveuse.

Anael ne semblait pas l’écouter, mais quand elle entendit le mot rêveuse, elle se retourna, plus ou moins vivement. Ses yeux brillaient de vie. Elle ne souriait pas, mais regardait sa mère avec plein d’espoir. La marchombre ressentit une pointe de tristesse, puis de la jalousie. Voila ce qu’il en était. Elevée par une Rêveuse, la petite fille croyait qu’elle allait la retrouver. Incapable de dire autre chose, elle prit sa main et l’invita à la suivre. Anael se leva et la suivit, les yeux de nouveaux éteints et ternes.

Les couloirs se succédaient. Anael connaissait peu les couloirs du bâtiment principal, mais elle ne paraissait pas curieuse et fixait résolument ses pieds. Elles arrivèrent enfin devant la porte des appartements de la rêveuse. Ena frappa légèrement, attendant une réponse.

En lévitation au dessus d'un fin tapis aux couleurs acidulées la rêveuse chassait de son esprit toutes ondes négatives. Depuis son arrivée elle n'avait jamais autant vu de carnage et de sentiments refoulés. Chaque personne était tendu, stréssée et emagasinait ses ressentis. Cela créait des ondes néfastes qui s'en prenait au moral des élèves et des professeurs. Amarylis avait donc bien vu juste en créant son cour de relaxation-maitrise de soi. Elle se sentait forte, et prête à aider qui que ce soit.
Un léger frappement sur la grande porte en bois la sortit de ses songes. Surprise elle perdit l'équilibre et attérit sur les fesses sur le sol. Une douleur lui vint au fessier et elle grimaça. Elle avait enfin acquis la capacité de léviter juste avant de quitter Ondiane et elle ne maitrisait aps encore totalement le retour à la réalité après chaque séance. Surtout lorsque l'on lui rendait une visite surprise!
Elle boitilla jusqu'à la porte et l'ouvrit affichant un sourire crispé par la douleur. Ena Nel' Atan lui faisait face, tenant par la main une petite fille, celle-ci ayant le regard perdu et éteint.

-Oh bonjour Dame Nel' Atan! Que me vaut cette agréable visite?

Sur ces mots sincères la guérisseuse la fit entrer et l'invita à s'assoir sur l'un des fauteuil au velour coloré de violet. Puis en proposa un autre à la fillette.
La curiosité éveillée d'Amarylis vint la titiller, qui était cette petite fille?

La jeune femme s’étonna de la démarche étrange d’Amarilys, et du rictus de douleur qui barrait son visage. Elle entra à sa suite, tenant toujours la main à sa fille, et s’assit dans le fauteuil, prenant sa fille sur ses genoux. La jeune rêveuse relâcha enfin son visage crispé, nla douleur s’étant apparemment apaisée. La marchombre lui sourit. C’était une femme gracieuse et légère, aux yeux profonds et veloutés. Elle revint cependant rapidement à l’objet de sa visite, et prit la parole après un rapide coup d’œil à la pièce.

- Dame Amarilys, vos appartements sont pour le moins charmants…J’espère que votre santé est bonne ?

Elle sourit durant la première partie de sa phrase, puis haussa les sourcils durant la deuxième, se demandant réellement d’où venait cette douleur peinte quelques instants plus tôt sur son visage aux traits doux. Mais elle se morigéna, se concentrant sur le but de sa venue, afin de ne pas dériver.

- J’ai depuis quelques temps retrouvé ma fille, autrefois confiée à une amie de votre guilde, une Rêveuse du nom de Nasea Esdarian. Cependant, mes cours irréguliers, tant par leur durée que leur horaires, et mes fonctions de Primat ne me permettent pas d’assurer une présence régulière auprès d’elle…Et je ne pense pas judicieux de la laisser ainsi seule, durant de longues heures, étant donné qu’elle est une petite fille hermétique et sombre…

Elle s’arrêta. Avouer son incapacité à s’occuper de sa fille à haute voix était un véritable défi. Elle eut honte d’elle-même mais cacha ce sentiment amer, avant d’esquisser un pauvre sourire, signifiant son impuissance assez clairement. Elle regarda sa fille, les yeux emplis de regrets et d’amour profond. Elle caressa doucement ses cheveux, machinalement, puis releva les yeux vers Amarilys.

- Ayant été séparée 4 ans d’elle, je ne parviens pas à retrouver des instincts maternels qui auraient du être automatiques…

La phrase lui brûla la gorge et elle baissa les yeux. Elle avait le cœur serré. Le ventre noué. Ses yeux la brûlèrent. S’avouer ainsi mauvaise mère, mauvaise protectrice la fit garder longtemps le silence. Elle fixa le sol un long moment, avant de reprendre :

-J’aimerai vous demander une faveur, Amarilys, si bien sûr celle-ci ne risque en aucun cas d’atteindre vos responsabilités ou votre vie personelle…J’aimerai savoir si vous accepteriez, de temps à autre, de garder Anael…Si vous êtes appelés à votre devoir, vous pourrez bien sur la laisser seule le temps de répondre de vos obligations. Elle ne gênera en rien vos responsabilités…

Et elle attendit, la gorge sèche, le visage pâle et teinté d’espoir perdu.

[Toutes mes excuses pour le retard, je le ferais plus =D]

Les paroles glissaient tranquillement sur elle sans sembler vouloir s'éclairer pour elle. Elle leur chercha une définition, un sens, une connotation. Mais rien ne lui parvenait, hormis l'acceptation chaleureuse de la jeune femme. Elle laissa ses épaules se détendre, et respira doucement, comme craignant qu'il soit entendu. Elle redressa la tête et offrit un sourire à la rêveuse.
Anael fixait la rêveuse, totalement immobile. Ses yeux s'étaient plantés franchement dans ceux de la jeune femme et elle osa pénétrer tout son être, portant sans peur atteinte à la pudeur de celle-ci. Elle quitta ses yeux pour parcourir son visage, son nez arrondi, sa joue large, ses lèvres et ses oreilles. Elle descendit le long de son cou, caressa ses épaules et ses bras, courut sur sa poitrine et sa taille, gagna ses jambes à vive allure et évita les pieds dans une pirouette. Comme si la rêveuse avait soudain perdu tout attrait, elle se détourna, le visage refroidi, et étouffa un bâillement.

-Anael, Amarilys s'occupera de toi quand je ne le pourrais pas...

Elle lui adressa un sourire, mais si la petite fille tourna la tête, la nouvelle ne lui fit aucun effet.

- Merci pour tout Amarilys...Si un jour vous avez besoin de quoi que ce soit, je serai là...

Elle se tut. Malgré ce geste, initié pourtant pour sa fille, elle avait l'étrange sentiment de l'avoir trahie. D'avoir fait une erreur. D'avoir fait une faute immense. Son cœur se serra à cette idée. Un geste qu'elle avait voulu généreux et réfléchi.

- Je vous la déposerais au début de mes cours, lorsque je serais au bureau, je pense pouvoir la garder.

Elle se leva et saisi la main de la petite fille, avant de se diriger vers la porte. Elle murmura:

- Tous mes remerciements...

Et quand elle ouvrit la porte, elle remarqua qu'Anael s'était retourné subrepticement, lançant un dernier regard à la rêveuse.