[J'ai eu le courage, j'ai le droit de m'incruster ? ]Al-Jeit, ville de lumière et de beauté, étincelante sous sa coupole de verre, fidèle au tableau de la capitale de Gwendalavir... Le temps était à la gaieté, à la joie, on entendait des enfants crier, rire, des adultes discuter, s'énerver parfois, le tout provoquant un brouhaha illustrant la vie tranquille qui s'écoulait en ces lieux. Le soleil se couchait, parant le ciel de magnifiques couleurs rouges et or, un spectacle qu'on aurait pu voir des centaines de fois sans s'en lasser.
Al-Jeit brillait littéralement.
Tache claire dans le décor coloré, la jeune fille avançait à pas lents, les épaules basses, le visage caché par sa longue chevelure blanche. Ce petit être semblait cruellement manquer de vie, évoquant plus un fantôme qu'une humaine dans la fleur de l'âge... Simplement vêtue d'une robe immaculée et d'un châle fauve qui recouvrait ses fines épaules, elle passait inaperçue dans la foule multicolore, trop discrète pour que l'on puisse s'intéresser à elle. Son visage ne reflétait rien, ses grands yeux noirs étaient vide de toute émotion, perdus au loin sur un point qui n'existait pas.
Emmène-moi...
Les raisons de cette absence de joie de vivre ? Neo n'en pouvait plus. Elle ne parvenait pas à changer, à s'ouvrir au monde. A chaque tentative elle se trouvait ridicule et lâchait l'affaire, retournant s'enfermer dans son monde. Elle n'existait plus, ici, en Gwendalavir. Oui, ce n'était plus qu'un souvenir... Un rêve...
Elle en faisait, des rêves étranges, en ce moment.
Emmène-moi loin...
Un sentiment de profonde détresse s'était emparée d'elle lorsqu'elle s'était réveillée par l'horreur de ses songes, en pleine nuit. Du sang, des morts, des êtres repoussants qui s'approchaient d'elle, lents et menaçants... Elle essayait de se lever, elle ne pouvait pas bouger, elle tentait de crier, son hurlement restait coincé dans sa gorge brûlante... Les corps se rapprochaient, accompagnés d'une mélopée douceâtre à vous faire frémir, et puis juste avant qu'elle ne s'éveille, elle se voyait elle, au loin, les iris d'un rouge sanglant, un sourire effrayant sur le visage, une aura maléfique parant sa silhouette fragile.
Tu n'as pas ta place ici.
Des séquelles des combats qui s'étaient déroulés dans l'enceinte de l'académie ? Elle n'en savait rien, mais une petite voix au fond d'elle lui dictait que c'était elle qui était détraquée, et rien d'autre.
Une larme roula sur sa joue de nacre, signe de faiblesse qu'elle balaya négligemment de sa main blafarde. Son visage se releva fièrement pour toiser la foule avec un air de défi. Et puis elle baissa de nouveau la tête, la gorge douloureusement nouée.
A bout, elle décida de faire une pause et s'engagea dans une ruelle pour aller s'appuyer contre le mur de ce qui lui semblait être une auberge, les traits tordus dans un mélange de douleur et d'anxiété. Elle passa une main fébrile dans sa chevelure qui s'était presque ternie, perdant de son éclat en même temps que sa propriétaire, et soupira en tentant de se détendre à coup de longues expiration. Elle ne fit pas attention à la porte qui s'ouvrait à environ deux mètres d'elle, trop concentrée sur une tâche déjà bien difficile, et mit une bonne dizaine de seconde avant de se rendre compte qu'elle était observée. Lentement, elle tourna son visage qui avait retrouvé son inexpressivité vers la droite et sentit son cœur accélérer en découvrant qu'elle se faisait méchamment toiser par trois homme de hautes tailles, à l'allure imposante. Ses yeux passèrent de l'un à l'autre à une vitesse folle, discernant sans peine les plaques rouges bien visibles sur leurs joues, témoignant du temps qu'il avaient passé à boire dans l'auberge.
L'un deux fit un pas dans sa direction, Neo sentit un frisson désagréable parcourir son échine et tenta de reculer avant de se rendre compte qu'elle ne pouvait pas bouger, tétanisée. Ses cauchemars lui revinrent en tête, alors qu'elle ouvrait de grands yeux remplis d'effroi.
- Eh, la p'tite, là !
Néo se sentait presque fondre, luttant avec acharnement pour pouvoir bouger ne serait-ce qu'un membre. Alors que le lourdeau se rapprochait encore, elle parvint à mouvoir son bras tremblant, lentement, ce simple geste lui demandant des efforts surhumains. Tout ça ce n'était que psychologique, pourquoi n'arrivait-elle pas à reprendre le contrôle d'elle-même ? Sa main droite frôla son bras, s'y agrippa brusquement et elle s'enfonça les ongles dans la peau avec une force qu'elle ne se soupçonnait pas. La douleur aigüe qu'elle ressentit la réveilla de sa 'torpeur' et elle leva brusquement la tête vers l'inconnu en reculant d'un pas.
- Ne... m'approchez pas !- Mais oh... On va rien te faire, insinua l'un de ceux qui étaient restés en arrière avant de s'esclaffer bruyamment.
Le premier à présent juste devant Neo lui jeta un regard vitreux avant de lui attraper le bras dans sa grosse main de brute. La jeune fille ne réfléchit pas, elle la mordit de toutes ses forces et profita de l'instant où, interloqué, l'homme relâcha son étreinte pour s'enfuir en courant. Son cœur s'emballa lorsqu'elle perçut des bruits de course derrière elle, comprenant qu'au moins deux d'entre eux la suivaient, et elle se força à accélérer, maudissant sa faiblesse en jurant.
Elle trébucha sur une dalle ma placée, se rattrape in extremis, continua sans regarder où elle allait, se retenant de crier à pleins poumons pour préserver son souffle, mais plus elle courrait et plus la distance entre ses poursuivants et elle se réduisait. Des larmes de détresse se mirent à ruisseler sur son visage crispé, alors que sa respiration se faisait désagréablement rauque.
Elle bifurqua dans une seconde ruelle, et tenta d'ouvrir une porte, fermée à clef. Paniquée, elle en essaya une deuxième, puis une troisième, et s'engouffra finalement dans la quatrième bâtisse, les brutes à présent juste derrière elle. La scène qui se déroulait dans la boutique, puisque c'en était une, la fit s'arrêter net, lui soutirant un hoquet de surprise. La fille qu'elle avait vue, ce jour-là, à l'infirmer...
- Coincée, gamine !
Neo n'eut pas le temps de se retourner que l'un de ses poursuivants empoigna solidement sa tignasse désordonnée pour la tirer brusquement à lui, provoquant chez la jeune fille un hurlement de douleur. Contrôlant sa proie comme un cavalier dirigerait sa monture, il la força à s'agenouiller et se mit à rire bruyamment, trop saoul pour se rendre compte qu'une petite faëlle tenait en respect celui qui avait été son ancien patron, juste à quelques mètres devant lui. Neo, quant à elle, ne pensait plus qu'à cette posture ridicule et humiliante dans laquelle elle avait été mise, comme un animale. Son cuir chevelu irradiait de souffrance, son visage tordu dans une expression de rage et de douleur, elle faisait crisser ses ongles sur le sol en pierre de la boutique.
Je ne suis pas... un animal...
- Lâche... moi... Lâche-moi... LÂCHE-MOI !!Le pieu se ficha d'une dizaine de centimètre dans le ventre de l'homme qui couina de surprise en regardant son sang couler à flot de la plaie. Sentant son emprise se desserrer, Neo se dégagea sans grande difficulté et se traîna plus loin avant de se retourner brusquement, se projetant dans les Spires pour la deuxièmes fois. Le poignard qui jaillit de nulle part traversa la gorge du guerrier, et alors que les deux armes disparaissaient en même temps, il s'écroula sur le sol qui trembla. Son voisin écarquilla les yeux.
Neo s'effondra, consciente mais incapable de se relever, exténuée par l'effort qu'elle venait de faire en utilisant son don de façon aussi rapide.
Depuis son arrivée dans la boutique et la mort du premier homme, il ne s'était écoulée que quelques secondes.
Le second se rua vers elle avec un hurlement de rage.