Rencontre chaotique

Beitiris apparut soudainement au beau milieu des marais d'Ankaï qui étaient présentement plongés dans l'obscurité de la brume. Un homme de grande taille attendait... Rapidement, elle s'agenouilla devant lui et lui fit part de la réussite de sa mission :

- Maître, je vous ai ramené Dolohov Zil' Urain.

A côté d'elle, le Mentaï se relevait à peine. Tout s'était passé si vite... la soeur de Slynn l'avait amené à Ghend... Beitiris se réjouissait intérieurement. Elle avait mené à bien cette mission pour son maître et lire la satisfaction dans les yeux du vieux Mentaï lui procurait toujours un sentiment indéfinissable... Ghend Ar' Althalus avait su reconnaître sa valeur lorsqu'elle sombrait dans les chemins de la perdition, en dépit de sa folie. Parfois, il lui rappelait Slynn... mais elle s'efforça vite d'effacer cette pensée. Le Maître n'était pas Elle!

Ghend Ar' Althalus était un homme âgé. De grande taille, ses longs cheveux et sa fine barbe étaient devenus blancs comme neige. Les traits de son visage étaient durs et ses yeux noirs n'avaient rien perdu de leur acuité. Il faisait partie de ces hommes qui avaient une présence... et ce fait était indéniable chez lui. Le Mentaï charismatique faisait sembler à la Main du Chaos elle-même. Dure, intransigeante, implacable, mais à la fois tellement impressionnante.

Sous sa longue tunique à la coupe martiale était dissimulée une stature altière de guerrier. S'il était nu, son torse mince laisserait paraître les signes de la vieillesse qui s'avance, mais il demeurait vigoureux et ferme comme celui d'un homme accoutumé aux rigueurs d'une vie dure. Ses mains gantées étaient croisées dans son dos, derrière son ample cape noire qui dissimulait en partie une épée longue portée du côté gauche. D'une voix ferme et autoritaire, il félicita sa fidèle éminence grise :

- Parfait, tu as accompli ta mission avec diligence, comme toujours.

Alors, il se tourna vers Dolohov qui se relevait et le dévisagea. Comme Dolohov, il était l'un des Mentaï les plus influents de la Guilde. Certains le voyaient même comme le Maître... son influence et son pouvoir étaient tels qu'il était surnommé depuis longtemps la Main du Chaos. Au sein de la Guilde du Chaos, le parcours de Ghend était sans nul doute très impressionnant et il s'imposait comme l'un des plus grands Mentaï depuis fort longtemps. Sans l'ambition démesurée de Dolohov qui le contrariait depuis quelques années, il est probable qu'il aurait pris l'entier contrôle de la Guilde. Son ancien apprenti était très doué... et il avait formé à son tour un autre apprenti d'exception dévoré par l'ambition. Ghend aurait dû tuer Dolohov pour avoir ainsi tué son ancien apprenti, mais le jeune Mentaï était trop doué pour être tué prématurément. Cet ambitieux irait loin... tant qu'il ne contrarierait pas outre-mesure la Main du Chaos. Dévisageant Dolohov de son regard acéré, Ghend prit la parole sur un ton régalien :

- Alors, apprenti de mon ancien apprenti? Quelles sont ces rumeurs que j'entends à ton sujet et qui me déplaisent fortement? Explique-toi promptement si tu veux repartir en vie...

Beitris avait eu de la chance, rien que de la chance. La chienne. Au moins, pour la prochaine fois, il connaîtrait son second point faible:
Celui qui tenait la laisse.

Il se redressa, carra les épaules, et fusilla du regard l'exécutante, qui regardait dans la direction opposée, avec une mimique proche de l'adoration la plus totale.

Il se tourna à son tour, et en replaçant ses cheveux, il se prit à sourire.

-Tiens. Vous êtes sorti de votre trou, Grand père? Savez-vous qu'en ville, tous croient à votre trépas? Je suis vraiment ravi de vous voir enfin, Feu mon Maître parlait de vous avec un respect tout à fait écoeurant. Vieille homme, si ton influence dépassait ces contrées reculées, là, peut-être que tu parviendrais à me faire goûter la crainte.

Lui... C'était quelque part le souvenir d'une génération glorieuse de mercenaire, qui à l'époque était tant contre les Ts'Liche que contre les autres humains. Un souvenir qui avait gardé un petit quelque chose d'impressionnant. Très petit.
Dolohov se sentait puissant de cette jeunesse qui pulsait dans ses veines. Et si ce vieux loup avait encore un pouvoir relativement important, c'était pour un laps de temps que notre Mentaï voulait court.
Il serait le maître. Lui, il avait failli le devenir, il y avait longtemps..
Mais il était probable que la mémoire du vieil homme se soit éfrittée, au point de lui faire oublier son âge et ses réelles capacités. Quoique.. On ne savait jamais.
Dolohov s'inclina donc avec un irespect des plus certains.

-Pourquoi mes plans te déplairaient, ô Mentaï? Que sais-tu d'eux? Ne vois-tu pas qu'il est question avant tout d'agir pour le chaos, et non pour sauver ta vieille peau mittée par les années et..?

Sentant Beitris qui s'avançait par derrière, le mentaï fit volte face, et abatit son poing serré sur la joue de la psychopathe, qui s'éfondra.

-Retiens la chienne qui te sert d'aprentie ou compte sur mon départ immédiat! Et développe donc un peu les arguments que tu crois avoir, si tu ne crains pas la furie de mes alliés.

Sans ciller, Ghend enfonça violemment le pommeau de son épée dans l'abdoment de Dolohov en dégainant à moitié son arme dans un geste fulgurant avant de lui retourner une claque des plus humiliantes.

- Ne crois pas que c'est toi qui m'enverra dans la tombe, jeune fou! Tu n'es pas de taille! Tu étais juste de taille à frapper mon ancien apprenti dans le dos et tu n'as des pouvoirs que parce que je le tolère! La furie de tes alliés, n'est-ce pas? Parle plutôt de celui qui te domine! Pauvre imbécile, ce n'est pas une alliance que tu as contracté, mais bien ta soumission!

Rengainant sa lame qu'il avait sorti à moitié, le vieux Mentaï se recula pour regarder avec dégoût Dolohov se relever.

- Par ta brillante imbécilité, ce Lindörm a un pied dans la Guilde à présent et il est hors de question qu'il en mette un deuxième! Nous allons frapper un grand coup pour le Chaos, pour peu que tu exécutes les choses convenablement! L'Académie de Merwyn et certains de ses résidents nous posent problème... arrange-toi pour qu'ils tuent Lindörm! Quel que soit le vainqueur, il sortira affaibli de la lutte et nous n'aurons plus qu'à frapper fort pour nous en débarrasser! Ta prétention déplacée sera-t-elle capable d'accomplir cette mission?

Le coup lui fit serrer les dents. Quel idiot... Il fallait qu'il arrête de parler, cette espèce d'abruti. Ce n'était pas pour rien qu'il n'avait pas convié à la réunion ce rebel d'une autre époque... Pourquoi sang de troll était-il venu le chercher? Ce que Dolohov ne voyait pas, Lindörm avait plus de chance de l'ignorer. Au moins, certains dans la guilde garderaient leurs yeux ouverts...
Mais lui, même ouverts, ils ne voyaient pas très loin, ses yeux. Il ne comprenait pas que les provocations servaient à limiter les sujets. A se demander comment il était parvenu à rester en vie tant de temps.Il n'y avait plus qu'à maîtriser ses pensées, et compter sur la chance, qui jusqu'à présent, avait toujours été avec lui.

-Ma brillante imbécilité... Tu parles d'un imbécile. Scèlle donc tes lèvres, que je n'ai pas à supporter ton haleine putride plus longtemps. Réfléchis donc un peu plus loin que le bout de ta barbe blanche, pauvre taupe, tu entreverras peut-être la raison de certains de mes irespects. Quant à ton aprenti... Ce n'est pas moi qui ai orchestré sa mort. Quoique tu en penses. Mais je ne le regrette pas. Je suis maître à présent, et crois-moi, l'empire que je crée est bien plus solide que ce que tu peux en voir.

Il s'inclina à nouveau, avec toute son ironie, en arquant le sourcil gauche.

-Je prierai la Dame, pour que ta mort soit rapide et indolore. Que tu meures les yeux ouverts.

Et sans un mot de plus, il fit un pas sur le côté, faisant étape dans un autre coin de l'Empire. Qu'on croie à sa faiblesse, sans qu'il ait besoin d'y penser.

Dolohov Zil' Urain disparut subitement sans que Beitiris n'eut le temps de s'emparer de son Dessin. Quant à Ghend Ar' Althalus, un sourire énigmatique planait sur son visage et une lueur inquiétante couvait son regard... son expression coutumière quand il recevait d'excellentes nouvelles. Pourtant, la dessinatrice ne semblait pas comprendre en quoi cette entrevue avait apporté des bonnes nouvelles, mais son machiavélique employeur avait une intelligence encore plus acérée que celle de Beitiris et il savait des choses qu'elle ignorait... c'était manifeste.

Le vieil homme rengaina son arme avant d'éclater de son rire étrange :

- Dolohov Zil' Urain... toujours aussi doué et aussi ambitieux! Mon garçon, je t'avais bien dit que ce n'est pas toi qui m'enverrais dans une tombe! Beitiris, retourne à Al-Poll et surveille-le discrètement. Je t'enverrai d'autres instructions en temps utile.

Quand Beitiris repartit pour Al-Poll par un pas sur le côté, Ghend se détourna et brandit le poing en signe de défi vers les cieux. Une légende se perpétuait...