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 Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]

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Ena Nel'Atan
Ena Nel'Atan

Maître poussin
Messages : 1102
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MessageSujet: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeLun 4 Mai 2009 - 21:51

... Il se peut bien que tu regrettes nos illusions enracinées

Les ailes affolées, deux pinsons tournaient, quelques mètres plus loin, au niveau de ses yeux, s’agitant-batifolant dans les airs clairs de la journée radieuse. Le soleil les gratifiait d’un large sourire, le vent d’un alizé léger, leurs plumes brillaient tour à tour alors qu’ils montaient en colimaçon, dans une torsade gracile. Ils babillaient, de clochettes aigües, stridentes mais douces, traçant dans les feuillages une mélodie gracieuse. Le doux souffle secouait allègrement les feuilles aux nuances vertes presque surnaturelles, qui souriaient tendrement aux deux oisillons futiles. Une branche craqua, et le plus haut des deux oiselets, surpris, s’éloigna, se perdant dans les feuillages épais des bordures de la clairière. Un instant, le second se trouva désappointé, éperdue dans l’immensité qu’il n’occupait plus désormais que tout seul. Il commença à perdre de la hauteur, se rapprochant du sol alors que le battement de ses ailes se faisait haché, irrégulier et saccadé. Le soleil sembla perdre un peu de sa clarté éblouissante alors que les nuances vertes des feuilles se ternissaient. Puis, le fuyard déboucha dans la clairière, brusquement, et les piaillements se remirent à emplir l’espace. L’astre du jour se remit à briller, les ramages reprirent leurs couleurs contrastées, et la danse des deux pinsons recommença.

Ce ne serait que ça. Quelques instants d’ombre, de baisse d’intensité, avant que tout ne revienne. La jeune femme, assise, une jambe pliée sous elle et l’autre s’agitant dans le vide, sur une branche fine des hauteurs d’un frêne centenaire, tentait de se persuader de la brièveté de cette seconde hors du temps. Après avoir conduit Elera aux portes du désert, elle avait parcouru des sentiers inégaux, des forêts encombrées, retrouvé une liberté égarée, effacée de sa mémoire. Elle avait caressé le vent, des écorces creusées de fissures profondes et sèches, des cailloux irréguliers, tantôt galets, tantôt silex, des plumes d’oiseaux dont elle n’avait jamais entendu parler, des eaux tumultueuses, chaudes ou froides, aux délices par trop différents de la Cascade, et tant d’autres choses, lui semblait-il. Ses yeux s’étaient de nouveau ouverts sur des horizons indécis, des aubes bariolées et des crépuscules s’ouvrant sur la pâle lumière des astres de la nuit, sur la toile de l’éternité. Et désormais, ne lui restait qu’à attendre. Laisser s’égrener les minutes, les heures et les jours, sans les regarder.

Et puis, lors d’un de ses aubes pastel, aux teintes délicates et fragiles, une ombre s’était profilée entre les troncs massifs, un profil inchangé, pour une âme sans commune mesure. La silhouette s’était approchée, les prunelles endiablées, scintillantes de milliers de nouvelles choses, irisées d’un destin tracé à l’encre immuable. Ses sempiternels brins rougeoyants le long de sa peau opalescente, presque divine, flamboyant entre les feuillages des bosquets clairs. Les doigts de la marchombre avaient doucement glissé le long de ceux de la jeune fille, puis sur son visage doux, sur ses épaules galbées, sans trop oser la toucher. Tellement fidèle à celle qu’elle avait laissé, mais jusqu’où différente. Comme touchée dans son essence même. La fierté qui irradiait le long de chacune de ses fibre se lisait dans les iris qu’elle posait, nourrie d’un nouvel orgueil, sur la gamine de ce matin sec et chaud, dans les jardins, un pétale d’albâtre dans les doigts, sur la jeune femme de ce matin frais et doux, aux traits d’éther délicieux. Et puis sa voix onirique, vecteur d’un voyage instantané.

Le maître suivait l’élève, laquelle guidait à son tour son mentor sur une voie nouvelle, sur une voie encore plus imperceptible, à peine audible dans les chants de la nature vivace. Elles allaient, les yeux ouverts, les bras légers, le corps docile, à la rencontre d’un passé, longtemps endormi, uniquement révélé par des soupçons de rêves, par fragments brumeux, par parcelles incohérentes. Les brindilles craquaient de temps à autre, à plusieurs mètres d’elles, révélant l’hypothétique présence d’animaux, qu’elles n’avaient pas dérangés, à l’évidence, puisque la distance qui les séparait restait bien courte.  Un crépuscule embrasé les enrobait, mielleux et enjoué, ravi d’entrainer dans sa lente homélie deux onces de liberté. A cet instant fugace ou le ciel et la terre se confondent, ou l’un est l’autre, la jeune femme cessa sa marche, restant pantelante, immobile au milieu du sentier. La jeune fille l’imita, presque instantanément, ayant déjà deviné les prémices de l’arrêt avant qu’il ne vienne. Le silence s’emplit des bruits infimes de la forêt, de la sève dans les troncs, des inspirations, des bruits profonds des plantes qui poussent, avant que la jeune femme ne relève les yeux vers son ancienne apprentie. Des idées, vagues, lui étaient venues à l’esprit, des souvenirs, des paroles, des on-dit aussi. Elle prit une voix murmurée, placide, les yeux plongés dans ceux de la jeune fille.


« Elera … Es-tu sûre que tu accepteras ce que tu trouveras, quoiqu’il se cache derrière ton histoire ? »


Je ne te lâcherai pas, Elera. Jamais.

[Edition à volonté. Le titre et la première phrase, c'est une chanson. Faute d'inspiration titrale ]

Elera
Elera

Marchombre
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeLun 11 Mai 2009 - 18:47

Un rire forestier qui alla se loger dans l’ombre chaleureuse d’une feuille recroquevillée. Elera, elle, était assise sur une branche juste en dessous d’Ena, le dos contre l’écorce rugueuse du tronc, une jambe pliée devant elle et l’autre pendant dans le vide. Un rayon de soleil dansait sur le visage de son maître, rayon qui fit apparaître un sourire sur celui d’Elera. Elle avait l’habitude qu’une ombre et des lèvres fermées dissimulent les traits d’Ena, mais depuis l’Ahn-Ju, des étoiles brillaient dans ses yeux… Et comme pour clore le tableau de la forêt dans laquelle vagabondaient la lumière beurrée, Elera y avait ajouté son rire. Simple réponse à la question d’Ena, première réaction et moyen efficace d’effacer les doutes qui semblaient percer dans la voix d’Ena. Parce qu’elle n’en avait aucun, depuis le tout début. Elle n’en avait eu aucun alors qu’elle ne savait rien, laissant le soin à sa sœur de se poser des questions sur leurs origines. Elle n’en avait eu aucun alors que les fragments de mémoire tombaient comme de la poussière autour d’elle. Elle n’en avait eu aucun lorsque le Rentaï lui avait offert sa greffe, le cadeau magnifique de retrouver ceux qui étaient importants pour elle, s’ils voulaient bien être trouvés. Et elle n’avait toujours aucun doute alors qu’elle traçait sa voie entre les feuilles. Pourquoi n’accepterait-elle pas son origine ? Elle avait accepté la peur, la douleur, la mort, le chaos. Elle avait accepté la nuit et le jour, la nature et l’humanité, le vent et l’eau. Elle s’était acceptée elle-même ; alors pourquoi pas ses parents ?

- Savoir ou ne pas savoir ne changera pas le passé. Qui qu’ils soient, ils ne pourront pas changer qui je suis…

Et si la certitude pulsait en elle comme elle avait toujours pulsé, malgré tous les conseils qu’on lui avait donnés sur la nécessité de douter de soi-même, leçon qu’elle n’avait jamais vraiment apprise, Elera commença tout de même à réfléchir. Parce qu’Ena avait raison, en un sens, et sa jumelle aussi. Après tout, leurs parents les avaient bien abandonnées à un moment donné… Peut-être étaient-ils partis sans rien dire, peut-être avaient-ils fait leurs adieux. Peut-être qu’ils l’avaient voulu, peut-être pas. Peut-être qu’ils ne seraient pas heureux de revoir les deux flammes qu’étaient leurs filles, et qu’ils préféreraient rester dans la pénombre, dissimulés dans le refuge des Faëls. Peut-être étaient-ils des bandits, ou qu’ils n’avaient jamais voulu d’enfants… Tellement de possibilités, lorsque la mémoire failli et que seule l’absence demeure. Mais bientôt, elle saurait. Et quoiqu’il advienne, elle resterait debout. Elle avait le meilleur des piliers pour la retenir, au cas où elle viendrait à tomber ; Ena, qui serait toujours là… Les yeux d’Elera se perdirent dans le vide, avant de se réveiller soudainement.

- Elle arrive.

En effet, quelques instants plus tard, les deux marchombres purent discerner sans mal le pas bruyant de celle qui s’approchait entre les troncs. Bientôt, un éclat flamboyant apparut, suivit du visage d’Elera. La lotra sauta à terre pour faire face à son double. Tournées l’une vers l’autre comme si elles avançaient toujours en prenant conscience de l’autre, leurs mouvements semblaient similaires à celui de la flamme qui suit celui du vent ; toujours le feu danse dans le sens du courant d’air, et jamais contre lui… Elles se ressemblaient ; et pourtant il était facile de les différencier. Là où Elera regardait droit devant elle s’en s’inquiéter du reste du monde, son double lançait des coups d’œil méfiants autour d’elle, la tête légèrement baissée et les mèches de ses cheveux masquant à demi son visage. Là où un océan de calme et de douceur inondait les améthystes d’Elera, un feu ardent et une détermination inaltérable brillaient dans celles de sa jumelle. L’autre était plus bruyante, moins agile, et détenait la force de la pierre au lieu de la flexibilité de la rivière. Elles se tournèrent autour, pour qu’Elera se retrouve en arrière et sa sœur entre le maître et l’apprenti. Ne comptant en aucun cas grimper dans les arbres dans lesquels elle ne se sentait pas à l’aise, la jeune fille leva la tête vers Ena. Et lorsqu’elle parla, une nouvelle différence apparut dans sa voix, une voix au même timbre mais aux intonations beaucoup plus méfiantes, presque graves…

- …Merci. De l’avoir protégée lorsque je ne le pouvais pas.

Elle n’attendit pas de réponse avant de se retourner, comme si cela avait été dur de prononcer ses mots, ou qu’elle était embarrassée. Ses mèches folles cachèrent de nouveau son visage.

- On y va ?

[La musique pour les titres c’est bien aussi. Et ca convient parfaitement dans ce cas là I love you Tu peux jouer Faryna ‘’la jumelle’’ si tu veux ]

Ena Nel'Atan
Ena Nel'Atan

Maître poussin
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeLun 15 Juin 2009 - 22:18

Savoir ou ne pas …

Il y avait tant de chose qu’il lui semblait apprendre de son apprentie. Un paradoxe qui lui tira une grimace nerveuse. Alors c’était ainsi, une fois son apprentissage terminé, la jeune fille deviendrait à même d’enseigner à son propre maître ? Ou peut-être que non. Peut-être, d’abord, que cette existence qu’elle allait découvrir pourrait, contrairement à ce qu’elle semblait croire, ébranler son essence même, brouiller ses sens, la rendre aveugle à son chemin ? Peut-être aussi que, dès leur rencontre, Elera avait été à même d’apprendre à son maître certaine chose qu’elle ignorait encore. Peut-être Ena, privée d’adolescence, avait-elle manqué milliers de choses, lui manquait-il une part d’apprentissage qu’Elera avait été amenée à assurer. Qui savait.

Sur le sol, des tâches de clarté s’agitaient tendres-vivaces, masque des feuilles rieuses aux arbres sereins, doucement amusés derrières des traits de vieux sages. Elles marchaient à pas égaux, harmonieuse et pourtant de deux espace-temps, sinon radicalement, au moins par plusieurs abords bien éloignés. Leurs doigts s’effleuraient de temps à autre, dans une manœuvre plus ou moins involontaires. Absorber à chaque instant un fragment de cette gamine aux cheveux carmins, lui voler des instants, lui prendre quelques sourires pour les peindre à l’encre éternel parmi les brumes du souvenir. Et puis, un miroir s’imposa à elles. Limpide et brillant, essuyé de poussières, irréel par tant de netteté. Non, pas si parfait. En certains endroits griffé, froissé voire tordu, un peu grigné et gondolé de fractures mal réparées. Alors, avait-elle enfin affaire à la sœur improbable, le spectre qu’elle ne connaissait que flasque, rendu réel que par quelques mots d’Elera ? Et puis des mots. Juste un peu, pas trop fort, doucement, graves aussi. Et puis elle se détourna, une sorte de fausse note indicible dans la courbe de son bras, l’allongement de sa jambe, son port de tête. Un accroc qui n’apparaissait sans doute que par la proximité de sa sœur, et la connaissance accrue que la marchombre avait de cette dernière. Son interrogation oratoire avait quelque chose de candide, un tressaillement anodin qui accrocha Ena. « On y va » signifiait qu’il y avait un quelque part ou aller, une destination, une arrivée. Non qu’elle doutât des pas qu’elle avait effectué aux côtés d’Elera jusqu’ici, elle ne remettait pas en cause la conviction de sa guide, mais cette brève locution amenait avec une telle intensité l’idée d’accomplissement, d’aboutissement, qu’elle en fut ébranlée et ne réagit pas à ses propres pas qui la guidèrent à la suite des deux jeunes filles. D’une voix plus pâteuse qu’elle ne le désirait, mais toujours teintée d’une certaine légèreté, pleine et galbée, elle se pencha à l’oreille du miroir, qui frémit au contact des cheveux sur sa joue.

« Ne crois pas que je l’ai protégé, je me suis contentée de lui apprendre à vivre sans protection. »

Elle avait failli six mois durant, sans savoir comment, un autre appel ayant scindé l’âme de la jeune fille, plus fort que le sien, trop intense sans doute. Elle avait cette telle certitude qu’une éternité la liait à la gamine aux cheveux rouges. Elle avait tant cru, aussi. Qu’elle parviendrait à revivre ce qu’elle avait laissé, sans l’aide d’aucun autre, sans univers aucun.
« Et là, tu comprendras que l'on a raison seulement lorsque l'on pense que l'on a peut-être tort ... ».
Elle avait posé sur les épaules de son apprentie une importance trop intense. Qui pourrait se targuer d’avoir supporté un tel fardeau d’attente et d’espoir en dehors de cette frêle enfant ? Ena avait en placé en elle une dose surhumaine du désir de vie.

« Sans doute ai-je été un danger, davantage qu’un bouclier, pour cette gamine-ange à l’âme bordée de l’incommensurable … »

S’il était, sinon certain, fort probable que le miroir n’ai pas entendu ses mots, elle avait omis de les maintenir pensées, et il y avait des chances certaines qu’Elera les ait entendus. Elle suivit l’inconnue, pas si inconnue, de fait, un léger sourire étirant ses lèvres, ouvrant ses gerçures, soulevée d’un nouvel édifice de vie. Il y avait un aboutissement, quelque part. Une finalité, un commencement, une nouvelle infinité de possibles.

[ On vit mieux, et plus rapide aussi. M'en fiche, Alasa à trois points d'avance Cool ]

Elera
Elera

Marchombre
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeMar 16 Juin 2009 - 21:24

Elles étaient de suite retombées dans leur routine d’Avant, communiquant par images comme Elera l’avait un jour expliqué à Sya, d’esprit à esprit, ne faisant jamais un geste sans l’autre, et toujours côte à côte alors qu’elles marchaient, tournées un peu l’une vers l’autre. La seule différence ? Ena. Elera la prenait aussi en compte dans leur cercle, se tournant vers les deux alors qu’elle n’avait jamais inclus quelqu’un d’autre que sa sœur dans celui-ci. Sa jumelle avait plus de mal à l’accepter, la méfiance perçant à travers son corps plus sauvage et plus terre à terre. Malgré tout ce qu’elle savait d’Ena, elle ne pouvait pas faire confiance à l’humaine alors qu’elle ne l’avait jamais connue que par l’intermédiaire de sa sœur qui faisait visiblement beaucoup trop confiance aux bipèdes. Elle se contentait tout de même de sa présence, lançant parfois un regard qui disait sa prudence à la marchombre, faisant des efforts pour Elera. Elle ne répondit pas aux premiers mots d’Ena, incapable de voir la différence en ces mots. Lui apprendre à vivre sans protection, n’était-ce pas la protéger d’une certaine façon ? Et puis, Elera avait toujours su avancer sans personne, formant des liens avec le monde sans les laisser l’enchaîner. Elle avançait, sans jamais s’inquiéter de ce qui se trouvait devant… La présence d’Ena à ses côtés pendant ces trois ans avait bien dû la protéger, non ?

Elera comprenait. Elle comprenait les pensées derrière les mots, et sa main se tendit vers son cœur lorsqu’elle croisa le regard de son maître. Merci. Ena n’aurait pas pu lui offrir un meilleur savoir… Image des mains qui s’ouvrent pour laisser l’oiseau s’envoler, en opposition à celles qui se referment sur l’oisillon pour empêcher le monde de le blesser. Faryna, en la recevant, fronça les sourcils, puis hocha la tête. Peut-être. Si c’était ainsi qu’elles voyaient les choses… son remerciement tenait toujours. Et si la femme aux cheveux d’ébène le refusait, ce n’était pas son problème. Les mots suivants elle n’entendit pas directement ; ce n’était qu’un bruissement à l’arrière, et elle n’avait pas d’assez bonnes oreilles pour attraper les mots. Ce fut Elera qui les lui envoya à nouveau, et Faryna sentit comme un poids sur son cœur… Ainsi la marchombre partageait sa vision d’Elera. La méfiance s’éteignit un peu dans son regard, et elle se tourna d’avantage vers Ena. Au moins une chose les liait… Ce fut Elera qui répondit. En se concentrant sur un tout autre aspect de la phrase, comme si elle n’avait pas entendu la fin. Pourtant, le compliment avait percé son âme… Sa voix, chaude et emplie d’un lien de trois ans, s’éleva comme une extension de la mélodie des arbres.

- Ni danger ni bouclier… Vous m’avez montré une voie qui filait vers les étoiles et n’avez ni essayé de m’y pousser, sans inquiétude pour le vide qui l’entourait, ni essayé de m’empêcher d’y avancer. Vous avez été une porte ouverte sur les cieux… Un Guide. Et vous le resterez toujours…

Faryna leva les yeux au ciel et s’avança entre les arbres, laissant maître et apprenti un peu plus d’intimité. C’est son cri, un peu plus tard, qui brisa l’instant. Les deux marchombres, Ena un peu plus rapidement qu’Elera, sentirent rapidement les présences qui l’expliquaient. Elles étaient entourées de Faëls, des pointes de flèches tournées vers elles de tous les côtés, et l’un d’entre eux, un jeune homme à la peau mate, à la crinière brune et aux yeux pétillants, tenait sa jumelle hors d’état de nuire, le bras tordu dans son dos. Celle-ci essaya bien de se débattre à coup de pieds, dents et griffes, mais le Faël resserra sa prise, et elle se calma en un gémissement de douleur. Peut-être aurait-elle continué si Elera ne lui avait pas demandé le contraire… Le Faël prononça quelque chose dans sa langue, série de sons familiers mais incompréhensibles en même temps. Les deux Faëls que les jumelles avaient rencontré quelques années auparavant n’avaient jamais voulu leur apprendre leur langue, même si elles avaient toutes les deux attrapées quelques mots en vol, à force de les écouter. Pourtant, c’était il y avait déjà plusieurs années, et Elera ne se souvenait de rien… Lentement, sans faire un seul geste brusque, Elera décrocha l’arc faël qui pendait dans son dos, espérant ainsi gagner leur confiance. Après tout, si elle était en possession d’un arc de leur peuple, c’était bien un signe de confiance, non ?

Son geste eut l’effet totalement opposé. Trois flèches vinrent se planter à ses pieds, et celui qui tenait sa sœur commença à crier d’un air coléreux. Ils ne pensaient tout de même pas qu’elle l’avait volé, si ? Paniquée, Elera ne bougea plus.

- Ena…

Ena Nel'Atan
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeSam 27 Juin 2009 - 0:35

Il y avait comme un changement. De type radical, dont l’on ne se rend compte qu’une fois qu’il est à priori trop tard. Une chaleur non humaine, l’air densifié appuyait sur sa peau. Et c’était le moins que l’on puisse dire. Le cri aigüe l’avait sortit d’une torpeur épaisse et douceâtre, et lorsqu’elle reprit pied dans une réalité relative, elle vacilla un instant. Autour d’elles s’étendaient une seule âme et sept faëls, immuables, inscrits dans la forêt, partie intégrante des écorces et de la terre couverte d’humus, des feuillages bruissant, des rayons filtrés de l’astre lentement consumé, bien au-delà de la conscience fragile des mortels. Elle regarda un bref instant le corps chiffonné de la jumelle et s’en détourna. Tenter de connecter ses neurones dans un circuit cohérent, activer la libération des neurotransmetteurs et régler les potentiels d’actions ne fut pas une simple formalité, et elle en vint enfin à la mélodie familière, aux phonèmes modulés qui lui semblaient vaguement familier. Les connections se firent enfin, les synapses s’ébranlèrent pour intégrer les messages. Ou comment sortir sa science partout où c’est possible. Les premiers semblait avoir une signification plus ou moins proche de « Des humains, ces abscons usurpateurs, ici ? » et un autre de répondre « Traitres que ces animaux ». Bien, elles n’étaient manifestement pas les bienvenues – quoique cette constatation ne nécessitait pas franchement la traduction de l’échange de parole. Alors, quoi, elles allaient s’arrêter ici, bêtement, après tant d’acharnement, d’angoisse et d’attente ?

La jeune femme fit face aux deux faëls qui avaient parlé. Pas nécessairement offensif, mais les traits attentifs et mécontents qui désiraient une explication plausible. Il y avait dans l’arc de son nez une courbe qui lui évoquait Valen, comme le pli concentré sur son front, ses mans figées et son attente patiente. C’était bien le moment qu’il intervienne, celui-là. Dans sa nuque, en plus des braisons du soleil, elle savait une pointe effilée, allongée par une tige légère, encadrée par des doigts qui ne rateraient pas leur cible. Sous aucun prétexte, y compris morts. Elle inspira, écartant doucement les mains de son corps pour exposer ses doigts vides. Sa jugulaire manqua de s’obstruer net lorsque les trois flèches vinrent se planter aux pieds d’Elera. Quelque chose fourmilla dans sa peau, et la peur insidieuse qu’elle avait refoulé, ces dernières semaines, revint ronger ses os irrités, irriguer ses vaines et gonfler ses artères. Que l’on ne frôle pas l’épiderme de la jeune fille ou ses nerfs – si difficiles à mettre en ordre – risquaient de lâcher. D’un maigre geste du poignet, elle l’invita à poser l’arc au sol, sans prendre la peine de vérifier qu’elle s’exécutait, alors que l’autre crachait « Lâche ça, encore un larcin ! » . La marchombre baissa lentement les yeux, mieux ne valait pas offenser. Rien ne servait, à priori, d’envisager une échappatoire, une fuite. D’une voix profonde et saccadée, contre sa volonté, elle tenta d’aligner quelques mots dans le but incertain d’apaiser les yeux noircis des guerriers.

« Las, voyageurs volatiles, nous ne sommes que de passage, en quête d’histoire … »

Si l’emploi de leur langue parut les détendre partiellement, la réponse fusa, peu amène, des lèvres maigres du premier qui s’était exprimé.

« Profanateurs des naturelles donations, je vous connais rapaces, me trompé-je ? »

La dame releva les yeux, doucement, pour gagner ceux du faël. Elle retrouva dans la pointe de ses oreilles et son cou des stéréotypes qu’elle connaissait, et secoua légèrement la tête pour chasser ses idées. Elle prit une inspiration et entreprit une explication sincère, glissant dans les voluptés de la langue faëlle. Elle avait opté pour une vérité sincère, puisqu’aucun mensonge plausible ne lui traversait l’esprit. Et ses phrases coulèrent comme l’eau d’une cascade, se brisant au bas de la chute sur les rochers en gerbes brillantes. Puis vint un long instant de silence, suivit de murmures entre les deux faëls. Une concertation avant que le premier ne formule enfin une réponse.

« La confiance que nous pouvons porter à vos gens n’est que limitée, mais nous ne sommes pas inconscients. Un de mes hommes vous accompagnera jusqu’à l’accomplissement de votre quête. »

L’affirmation ne quémandait aucune réponse, aussi la marchombre tourna les yeux vers le faël qui maintenait la jumelle dans ses bras crispés. Le premier comprit le message implicite et intima au deuxième de libérer l’enfant, qui trébucha mais s’éloigna promptement. Au côté de sa sœur impassible. Alors que la marchombre expliquait vaguement aux deux jeunes filles ce qui s’était passé, les faëls s’éclipsèrent, un à un. Les idées s’entremêlaient dans l’esprit hagard de la marchombre. Plusieurs minutes simple objet de mécanique, elle revenait lentement à un véritable état conscient et ne désirait pas démêler ses états d’âme à l’instant, aussi patienta t’elle. A la jumelle de prendre la direction des opérations. Ses doigts tremblaient légèrement. Les trois flèches sifflaient encore dans sa tête.

Elera
Elera

Marchombre
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeSam 4 Juil 2009 - 22:16

Sa sœur allait sauter à la gorge du Faël qui l’avait tenue et l’étriper. C’était l’impression qu’elle avait en voyant son regard de braise, les muscles tendus de sa mâchoire, ses poings serrés et son corps animal… Un seul plongeon dans les yeux calmes d’Elera, et la jeune fille revint vers la jeune marchombre, même si elle ne pouvait pas dissimuler sa colère sur son visage obstiné. Tant mieux ; la lotra n’avait aucune envie de voir le sang couler dans cette forêt si paisible en apparence, et elle n’avait aucun doute sur qui serait le gagnant… Ils n’étaient que des intrus, et celui qui comptait les accompagner était visiblement un combattant. Celui-ci commença à tracer leur chemin entre les feuilles, avant de les laisser passer pour prendre les arrières et pouvoir les surveiller. Une fois de plus, sa sœur se crispa, mais Elera garda sa main sur son bras, son calme inondant des barrières invisibles. Le brun ne semblait pas du tout inquiet et passa sans un regard, la force du tigre prédateur cachée sous son air confident. Ils avancèrent.

Le Faël n’essaya pas de garder une illusion amicale ou de faire la conversation, mais cela ne semblait déranger personne. Les jumelles avaient trop oublié pour pouvoir comprendre ce qu’il se dirait, le Faël n’avait aucune envie d’adresser la parole à des humains, et jouer à l’interprète ne devait pas être une position qu’Ena recherchait particulièrement. Ils marchèrent donc en silence, jusqu’à ce que le Faël prenne le devant. Visiblement, il savait où ils allaient… Elera ne souffla pas un mot, puisqu’il se dirigeait exactement vers l’endroit où ses pas la poussaient à avancer ; Instinct pour elle, habitude pour lui. Elle comprit bientôt pourquoi : ils approchaient d’un endroit où un groupe de Faëls était rassemblé, et depuis un assez long moment à en voir le campement. Leur guide parla un instant à ses pairs, et un vieil homme leur lança un regard savant.

- Vous savoir avant Ayron et Sialys ?

Les deux prénoms la choquèrent plus que le fait qu’il parlait vaguement leur langue. Elera ne les avait pas entendus depuis ses 14 ans, lorsque les deux Faëls qui lui avaient appris à tirer à l’arc étaient partis pour la dernière fois… Le vieil homme hocha la tête d’un air satisfait, et se retourna pour avancer.

- Suivre-moi !

Elera lança un regard à Ena où la peur perça pour la première fois depuis le début de leur voyage. C’était l’heure. L’heure de la découverte et du passé… Ses doigts effleurèrent ceux de son maître, puisant de la force en sa présence, et elle avança, cachant sa tension sous son air paisible. Seule Ena pouvait encore la voir dans ses gestes qu’elle connaissait si bien. Sa sœur l’aurait pu aussi, mais sa propre anticipation l’empêchait de faire attention à Elera… L’ancien les guida jusqu’à un arbre sous lequel un groupe était assis en cercle, discutant et riant joyeusement. Un groupe dans lequel se trouvaient deux humains. S’ils étaient les seuls de sa race à vivre ici, il n’était pas étonnant qu’ils aient su si vite qui elles cherchaient. L’humaine leva les yeux. Elle riait, d’un rire chaleureux qu’Elera ne se souvenait pas exactement comme cela, mais elle n’avait aucun doute sur son identité. Des rides qu’elle ne se souvenait pas avaient tirés ses traits, sa peau était hâlée et ses cheveux avaient foncé aussi, mais ils formaient toujours les boucles d’or qu’elle avait vues lorsque le Rentaï lui avait offert son visage… Sa mère. Son sourire s’effaça lorsqu’elle croisa le regard d’Elera ; ses yeux étaient violet, eux aussi, mais plus durs, plus déterminés, plus tristes malgré la joie présente… Choc.

- Lewena ?

A ce nom, l’homme qui était à ses côtés se figea un instant avant de tourner la tête à son tour. C’était de lui que leur venait leurs cheveux flamboyants, et la douceur de son regard bleuté.

- Par tous les trésors du Dragon, souffla-t-il en regardant sa sœur.

Le souffle coupé, il ne semblait pas prêt à ajouter quoique ce soit… C’est leur mère qui se leva d’abord, s’approchant de sa jumelle et tendant la main vers elle, mais Faryna, déjà furieuse depuis qu’ils étaient tombés sur les Faëls, recula brusquement d’un pas. Cela faisait bien longtemps qu’elle se posait des questions, beaucoup plus longtemps qu’Elera, et le temps n’avait fait que la peiner davantage à l’idée qu’elle avait été abandonnée. Tellement différente… Elera n’avait jamais eu besoin de cette ancre. Elle n’avait pas besoin de savoir pour avancer. Mais son double avait voulu une famille depuis le tout début. Elle voyait des parents devant elle… Elera ne voyait que deux adultes qui avaient un jour fait partis de son enfance.

- Mes filles… Lewena, Wenalys, c’est bien vous ! Je croyais ne jamais vous revoir… Comment nous avez-vous trouvés ? Depuis que Sialys est revenue en nous annonçant que vous pourrez vous débrouiller seules à présent, il y a 5 ans déjà, je… Mais… Hésitante, son regard tomba sur Ena. Qui êtes-vous ? Sialys n’avait pas mentionné que… Enfin…

Elle croyait visiblement qu’Ena leur servait de mère. Elera n’essaya pas de la contredire. Elle ne savait pas que penser, ne savait pas à quoi elle s’était attendue. A une révélation, à de nouveaux souvenirs, à quelque chose, n’importe quoi. A la place, elle faisait face à deux inconnus. Avait l’impression que les mots de cette femme blonde avaient été choisis à l’avance, comme si elle faisait partie d’une histoire où tout était écrit. Lewena, elle l’avait appelée. Ma fille. Mais cela ne voulait rien dire. Juste des mots. Pour tout ce qu’elle en savait, elle était Wenalys et pas Lewena ; comment faire la différence après plus de dix ans ? Elle n’avait pas envie de partir, pas envie de rester. Cela n’avait aucune importance. Un contraste étonnant après le temps passé avec Ena, temps pendant lequel chaque seconde avait été emplie de tellement de sentiments et où chaque geste avait une signification… Mais à ces deux personnes qui les avaient reconnus à l’instant- en même temps, il ne devait pas y avoir beaucoup de jumelles rousses dans Gwendalavir – elle n’avait rien à dire. Oui, il y avait bien des questions qu’ils pourraient répondre, mais elle n’avait pas besoin de savoir. Peu importait.

Etait-ce normal de ne rien ressentir ?

Les faëls partirent après une courte phrase prononcée par son père, et un silence gêné s’installa. Elera n’avait rien à dire. Faryna en avait trop et ne savait pas encore par où commencer, ou quels mots utiliser. Leur père les observait simplement, et la marchombre avait l’impression qu’il n’était pas bavard même en temps normal ; c’était sa femme qui faisait la conversation, mais celle-ci avait déjà parlé et ne savait qu’ajouter, désarçonnée par les événements et le manque visible d’enthousiasme de ceux qui lui faisaient face. Si elle s’était déjà imaginé une rencontre, elle ne se passait visiblement pas ainsi… Tout le monde s’observait du coin de l’œil en essayant d’être discret et de ne pas croiser le regard de l’autre, échouant lamentablement. Il fallait absolument que ca s’arrête, ils étaient tous sur une différente longueur d’onde et cette opposition était comme un bruit crissant sur ses os… Ena, à l’aide.

[De nouveau, ne te gene pas si tu veux jouer l'un des pnjs, et puis sinon edition a volonte o/ ]

Ena Nel'Atan
Ena Nel'Atan

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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeMar 1 Sep 2009 - 13:42

Les yeux balayant l’endroit comme s’il lui avait été familier, alors qu’elle n’y avait jamais mis les pieds, elle trouva bientôt la tension dans les doigts de sa jeune apprentie, sentit son effleurement et se questionna pour la première fois sur le bien-fondé de cette entreprise. Non qu’elles aient eu le choix, Elera semblant être portée vers cet accomplissement par une force sans réalité , mais impérieuse – Woa, trop original Cool. Dans ce semi-touché de leurs doigts – Oui, semi-touché. Elles se sont partiellement touchées, quoi. - , elle voulut discerner de la conviction, s’attacha à l’assurance affichée, ne sentit que l’équilibre instable et l’oscillement de la jeune fille. La jeune fille-miroir s’était estompée dans son esprit, ne restait qu’une seule des chevelures flamboyantes, et deux pantins débiles qu’elle n’identifia pas de prime abord. La logique davantage que la physionomie lui donna l’identité des humains perdus en pays faël. Elle chercha dans ces deux visages les traits qu’elle connaissait plus encore que les siens, les délicates inflexions et les plissements familiers, qu’elle ne trouva pas. Alors que les deux jeunes filles faisaient encore quelques pas, elle stoppa en retrait, figée dans son inutilité passagère. Il lui semblait que cette distance était nécessaire à l’intimité qui était supposée s’instaurer à cet instant. Peut-être pourrait-elle s’éclipser dans quelques minutes. Ou pas. Les voix s’élevèrent sans qu’elle ne les comprît vraiment. Elle s’attacha à entendre les mots, avant de leur donner un sens, les yeux brûlant la nuque d’Elera, qui s’était arrêté quelques pas plus loin.

Silence.

Silence.

La marchombre releva le front, lèvres pincées, fit un pas, planta ses yeux dans ceux de la femme figée, s’imprégna des paroles et de l’intonation de la question qui lui avait été adressée. Si elle avait été dessinatrice, peut-être se serait-elle contentée de brûler son interlocutrice, hop, on en parlait plus et on pouvait retourner tranquillement à l’Académie. Et, qui sait, peut-être l’évènement aurait-il fait virer Elera au Chaos :arrow :

« Ca n’a pas vraiment d’importance. »

Elle se rangea au côté d’Elera.

« Et vous, vous êtes ? »

L’offense qui marqua les traits de la femme arracha un sourire à Ena, qu’elle se garda bien d’afficher, toutefois, le visage posé et immobile. Les yeux étranges la dévisagèrent et les mains se tordirent étrangement, trop sans doute, si bien que la marchombre se demanda s’ils n’allaient pas casser, brusquement, tomber comme ça sur le sol, et même si quelqu’un s’en apercevrait. L’atmosphère s’alourdit, la femme échangea un regard avec l’homme à son côté, avant que les quatre yeux ne revinrent se poser sur elle. La question sonnait déplacée, comme lorsque l’on demande son âge à un professeur ou à une personne âgée, alors qu’elle avait globalement toute légitimité puisque les deux femmes ne se connaissaient pas. La marchombre reprit enfin la parole, avec un très léger sourire aimable.

« Pardonnez-moi, je voulais dire, sans doute avez-vous des choses à leur expliquer. »

Elle haussa les sourcils, comme si elle avait pu se tromper, comme s’il s’était agît d’une question plus que d’une affirmation, mais croisa ses bras, avec un surplus de grâce, laissant entendre sa certitude. Il y eut un moment de latence, un vide sans respiration, sans existence. Puis l’autre se tortilla un bref instant, chercha de l’aide chez son voisin, avant de s’adresser de nouveau à la marchombre, mue d’une nouvelle assurance, évitant les yeux bouillonnant de la jumelle et le masque frigide d’Elera, le menton droit, les mains fixes – peut-être avait-elle eut peur que ses doigts ne tombassent effectivement.

« Peut-être pourriez-vous donc nous laisser à nos retrouv … »

La voix d’Ena trancha la phrase, sans prétention et avec toute la douceur dont elle pouvait faire preuve, avec délicatesse mais sans reddition. Doucement mais fermement, en somme, mais bon, c’était trop court et Elera voulait de la longueur Arrow

« Okdaccord Seulement si Elera me le demande. »

Elle désigna du menton la jeune fille à son côté.

Elera
Elera

Marchombre
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeVen 4 Sep 2009 - 19:10

[Miiih hug Et plus sarcastiquement : le post soudain d’Alasa t’aurait-il lâchement motivé pour écrire le tien ? Arrow Encore un post long, mais avec toi je suis toujours motivée Smile ]

C’en était trop pour la mère. Qui était-elle, cette femme aux cheveux noirs, pour lui parler ainsi et lui dire comment elle devait agir ? Elle venait de retrouver ses filles, et elle se faisait marcher sur les pieds ? Il était hors de question que les choses se passent ainsi ! Les poings serrés, ses mèches blondes flottant autour de son visage, elle s’avança vers Maitre Poussin et leva le menton, la colère brillant dans ses yeux durs. Le fait qu’elle était de la taille de Cyrielle sa fille, alors qu’Ena était quand même plus grande, donnait un contraste globalement frappant. La femme ne s’en rendit pas compte.

- Elera ? Elera !? Qui êtes-vous pour nous refuser nos retrouvailles, et pour agir envers moi avec tant de mépris ? Vous ne connaissiez même pas son véritable nom avant de me rencontrer ! Comment pouvez-vous me juger sans connaître notre histoire ? Je les ai abandonnées, oui, mais je l’ai fait pour les protéger, car c’était la meilleure chose à faire ! N’importe quelle mère aurait fait la même chose à ma place, n’importe laquelle, mais vous ne pouvez pas comprendre la douleur de ce choix, vous ne savez rien… Vous ne savez pas ce que c’est d’être mère, et de devoir vivre loin de ses enfants, sachant que c’est le seul moyen pour eux de vivre heureux. Alors arrêtez de me regarder comme ça ! Et quelle femme ferait une préférence entre deux enfants ? Wenalys, mon mari et moi n’aurions pas notre mot à dire sur votre présence, c’est ça ? Seulement Lewena ? Ce n’est ni à elle, ni à vous de décider de votre présence, et je vous ordonne de nous laisser seuls !

Menace qui tomba à plat. Elera fit un pas en arrière pendant la tirade, l’incertitude perçant dans son regard. Les mots, crachés un à un au visage de son maître, la faisait pâlir à vu d’œil. Trop occupée à observer sa mère, elle ne vérifia pas si le mépris d’Ena était réel ou imaginaire. La blonde pouvait aussi bien se faire des idées… Elle prit la parole en même temps que sa sœur, mais finit plus rapidement, ayant davantage l’habitude de parler que sa jumelle. D’autres prirent la parole au même moment, les paroles suivantes devenant un capharnaüm de mots en vrac, un tourbillon de voix dissonantes dont plus aucune ne pouvait être entièrement comprises. Sa phrase ne fut donc que partiellement – 8 ) – entendue, perdue au milieu des autres… sauf peut-être d’Ena, qui remarquerait peut-être qu’Elera ne citait pas son nom, preuve de respect pour sa décision précédente. Elle resterait anonyme pour le moment, si non pas jusqu’à la fin.

- Je veux qu’elle reste.
- Comment.. nous abandonner, aurait pu être le meilleur choix ?
- Milona, du calme, sa présence n’est pas…
- Laissez-nous seuls, vous entendez ?

Et le silence qui retombe et nous fait mal à la tête, alors que tous recherchent le fil de l’harmonie *clé de sol* la conversation. Ce fut, comme toujours, la mère qui prit la parole. Ignorant totalement Ena, elle s’adressa à ses deux filles.

- Je suppose que je vous dois des explications. Je suis sûre qu’après, vous pourrez comprendre et me.. nous pardonner. Il faut que vous me croyiez, je suis sincèrement désolée. Si j’avais pu faire autrement… mais c’était trop dangereux. Nous étions dans une situation difficile, il y a dix ans de cela… Ce n’est pas ma faute. Je n’étais qu’une fermière fille de fermière, dans une famille dont la seule particularité était d’avoir un faible Don du Dessin depuis des générations...

C’était presque une supplique dans sa voix, avant qu’elle ne se rasseye, s’appuyant un instant sur l’épaule de son mari, comme si la situation était au dessus de ses forces. Elle en faisait beaucoup trop aux yeux d’Elera, qui était déjà fatiguée de la voix trop volatile de sa mère. Elle sentait que sa jumelle avait elle aussi de plus en plus de mal à se contenir devant cette kyrielle d’excuses inutiles… Le regard froid et inquisiteur de sa mère se posa sur elle, comme si elle cherchait à lire ses pensées, avant de se transformer pour devenir excessivement plein de compassion et de joie. Expression feinte ?

- Mais vous ne connaissez toujours pas mon nom, quelle honte ! ajouta-t-elle en lançant un regard furtif à Ena. Je suis Milona Calaenel, et votre père s’appelle Miko. Il était un marchand itinérant, et nous gagnions nos vies sur les routes… Je dois avouer que nous n’étions pas des plus honnêtes, et que pas mal d’objets passés entre nos mains ont fini sur le marché noir… Mais que voulez-vous ? Après une vie passée en esclavage sous les Ts’lichs et le début d’un Empire qui se construit comme il le peut, les pauvres gens comme nous ont du mal à survivre. On a connu des gens qui faisaient bien pire, un peu de marchandage n’est pas si mal que ca, je ne vois pas en quoi cela dérange qui que ce soit… Nous ne sommes pas sans principes, non plus, nous n’avons rien de malfaisant. C’est pour ça que Miko a refusé de vendre certaines choses à une bande de pillards un peu mieux organisés que les autres et qui n’avaient pas de bonnes intentions… Ils voulaient se venger, nous nous sommes enfuis avec vous en prenant de faux noms, pensant que nous serions en sécurité dans le nord. Mais ils nous ont retrouvés… Nous savions que si nous étions capturés, vous n’y auriez pas survécu. Les bandits sont sans pitié… Alors on vous a laissé à l’Oeil d’Otolep, utilisant les contacts formés au cours des transactions pour être certains que vous iriez bien. C’était le seul moyen de vous protéger ! Nous avons pu demander à un Dessinateur d’effacer vos souvenirs avant vos 9 ans, puis à Ayron de nous accompagner chez les Faëls, seuls hors de l’Empire chez qui nous avions une chance de survivre… C’est lui qui a proposé de vérifier que vous allez bien, pour repayer sa dette envers nous. Il avait promis sur la flèche de nous aider, après que… Oh, mais c’est une autre histoire, nous verrons ca plus tard. Si vous saviez combien de fois j’ai rêvé de vous retrouver ! Mais je ne pouvais pas partir, les faëls ont acceptés de nous protéger seulement si nous ne sortions plus jamais de la forêt de Baraïl, car nous en savons trop sur leurs coutumes et leurs secrets… Mais tout va bien, maintenant, n’est-ce pas ? Nous sommes enfin réunis, vous allez rester ?

Silence. A croire que Milona avait un don pour poser les mauvaises questions… Les deux jumelles croisèrent leurs regards. Images. Question dans les yeux. Puis mouvement des épaules, et une tête qui s’abaisse et se relève. Décisions limpides, pour les deux, mais difficiles à percer pour les autres… Ce fut Faryna qui répondit en premier.

- Vous auriez pu nous emmener ici avec vous.
- Mais c’était dangereux, vous étiez trop jeunes pour les Plateaux d’Astariul, nous aurions pu…
- Je ne voulais pas être seule !
- Je sais, je…
- Je veux mes souvenirs. Des réponses. C’était tellement dur, de ne pas savoir…
- Wenalys, je ne voulais pas… Nous ne pouvons pas te rendre tes souvenirs, seulement te parler du passé… Je cherchai à faire ce qui était le mieux pour toi.


Regard de braise, puis Wenalys s’approcha, et se laissa tomber sur la terre meuble, le regard perdu entre les troncs.

- Je reste. Pour savoir.

Le sourire apparut, scintillant sur le visage de Milona. Un autre, beaucoup plus discret mais aussi beaucoup plus franc, apparut sur celui de Miko. Puis quatre pupilles brillantes d’espoir, peut-être six vu qu’Ena était dans son dos, se posèrent sur Elera.

- Je pars. Maintenant.

L’espoir mourut en même temps que le sourire, ne laissant que des cendres ternes sur le visage des deux adultes. Miko, qui hochait la tête tristement. Milona, qui s’apprêtait à repartir dans une tirade pour la convaincre de changer d’avis. Mais on ne peut pas faire plier un marchombre…

- Mais, Lewena, tu viens juste de nous retr…
- Je m’appelle Elera.


Puis elle lui tourna le dos, lui volant la parole d’un simple geste et, enfin face à Ena, sourit à son Maître. La rousse, immobile, inspira l’air limpide de la forêt. Non, elle ne regretterait pas de les quitter. Sa voie continuait à cheminer devant elle, et elle n’y voyait qu’Ena. Ses parents étaient loin derrière elle, et l’étaient depuis longtemps peut-être… Mouvement à nouveau. Touchant partiellement le bras de son maître au passage, elle partit de l’avant à travers les feuillages, ne doutant pas qu’Ena la rejoindrai bientôt…

[Vive les couleurs o/]

Ena Nel'Atan
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeVen 4 Sep 2009 - 23:03

« … son véritable nom … ». Parce que son nom de baptême était son véritable nom ? Quoi ? A tort du nom qu’elle avait acquis, qu’elle avait façonné à son aura, à son être, à ses nuances ? Wha, avouez, c’est ultra poétique *.*. C’était partiellement hilarant. Désolant aussi. Elle retint un nouveau sourire sardonique – Ben oui, c’est pas très poli.
« Je l’ai fait pour les protéger ». Sans doute était-il temps de se rendre compte de son erreur. Peut-être aurait-elle déjà du déjà se poser des questions. Protéger qui ? Elle cessa. Sans doute était-elle inutilement condescendante. A dire vrai, elle ne connaissait pas cette femme, son histoire, son passé. Et puis d’autres mots glissaient. « C’était la meilleure chose à faire ». Cette certitude de soi, inébranlable sureté. Ne devrait-elle pas apprendre à douter, à remettre en cause actions, paroles, pensées ? Ah ! Quel jugement se permettait-elle ! Qu’on me pende !
Et puis, Rupture.

Rupture. Faille transformante Référence spéciale S Cool

« Mais vous ne pouvez pas comprendre la douleur de ce choix » L’univers s’étiola, implosa en une myriade de petits astres incandescents – Aha – se déchirant violemment. Les traits que le Maître poussin avait jusque là maintenus calmes et adoucis se figèrent et se creusèrent alors que ses prunelles mangeaient ses yeux, dévorant le blanc pour ne laisser qu’une ombre indécise entre les larges ourlets de ses cernes qu’on aurait pu oublier. « Vous ne savez pas ce que c’est d’être mère, et de devoir vivre loin de ses enfants, sachant que c’est le seul moyen pour eux de vivre heureux. » Peut-être son cœur avait-il explosé. Ou bien était elle là, coite et débile, totalement déplumée. Ou peut-être ses veines s’étaient-elles désintégrées, émettant des photons gamma ou des positons, qu’en savoir. « Vivre loin ». Le monde tanguait-il comme cela depuis toujours ? « Seul moyen » Voilà qu’elle découvrait quelque chose sur elle-même, elle était sujette au mal de mer. Elle n’aurait pu le savoir avant, cela dit, c’était bien la première fois qu’elle prenait le bateau. Choisir celui de Jack Sparrow pour baptême n’était sans doute pas le meilleur choix à faire ? Elle enverrait des réclamations, l’adresse devait bien se trouver sur la brochure. « Vivre heureux ».
Le seul moyen pour eux de vivre seulement. De survivre.
De survivre.

Les phrases qui suivirent s’entremêlèrent, la voix d’Elera sonna légèrement à son oreille, mais son état d’hébétude l’empêcha d’en comprendre le sens plein et entier. Mais l’imprécation du phonème s’imprima en elle. « Être mère » avait sans doute un sens, pour quelqu’un, quelque part, pour des femmes complètes et généreuses, pour des femmes intelligentes et douées, aimées, fortes, délicates. « Les protéger » ou les mener vers un autre destin. Elera y était parvenue. Du peu qu’elle avait vu, ce n’était pas le cas du miroir fendillé, cabossé. Peut-être avaot-il besoin de revenir sur ses pas. De reculer, de comprendre avant d’avancer, comme les voiturettes pour enfant que l’on fait reculer et qui ensuite, avancent toutes seules. « La meilleure chose à faire potentiellement ». Vraiment ? Comment s’en assurer ? Comment ne pas avoir un regret, même infime, même partiellement gommé. Comment ne pas vouloir faire demi-tour, revenir, quitte à se tromper à nouveau. Globalement, une erreur ou deux, c’est si dérisoire.
Ce n’est pas de ta faute ? Une situation difficile ? La jeune femme but les paroles de la blondinette sans ciller, les yeux perdus dans le vague. Elle tenta de s’infiltrer dans la peau de cette femme qui se dressait face à elle et retrouvait ses deux filles, tenta de se sentir marchande, à l’époque de l’Empire globalement détruit, tentant de renaitre de ses cendres, plongée dans des affaires que l’on avait plus honnêtes, alourdie de ces deux gamines qui méritaient mieux. Elle s’imagina la lourdeur de l’atmosphère, la peur des brigands, les possibilités qui s’offraient à elle, son dégoût à ôter son existence de la mémoire de ses deux filles. Si c’avait pu permettre à la sœur d’Elera de réussir son existence sans regarder en arrière ? Elle se mit dans la peau de ce couple indécis afin de comprendre la force de la décision, les réflexions qu’ils avaient menées, visant, au loin, l’accomplissement de leurs jumelles. Elle essaya de le ressentir, d’être eux, un instant.
Mais elle n’y parvint pas.

« Je m’appelle Elera. »

C’était une sentence qui vibrait comme une lame, qui grinçait comme le bois de la guillotine, crissait comme une corde que l’on passe dans un anneau métallique. Ca n’était pas méchant. Simplement définitif. Et puis, Elera partit. Le ralenti de la scène, les yeux des trois membres de la famille réunis fixés sur la chevelure rousse de la jeune fille au pas aérien, les yeux noircis, calcinés fichés dans les visages hagards perdus, les cœurs que les six ou sept derniers mots avaient glacés, à l’improviste, encore plus violemment après qu’ils se soient embrasés aux six mots précédents. Les secondes se faisaient minutes, et déjà plusieurs de celles-ci avaient cascadé en silence lorsque la voix de glace et d’acier de la marchombre fendit l’air, frissonnante et précise, vive et incisive.

« Vous devriez faire attention à ce que vous dites. »

Les yeux violacés et percés des sentiments contradictoires qui l’avaient assailli, dans les minutes précédentes, se perdirent dans ceux mornes et vides du poussin. Celui-ci pivota légèrement sur lui-même, inclina son cou duveteux en direction de l’homme figé, interdit, légèrement en retrait, puis vers la jeune fille qui les avait conduit ici, le miroir abîmé, qui avait moins l’air d’un miroir que d’un autoportrait dessiné les yeux bandés en cet instant de bris, de fracture.

« Je suis désolée. »

Aucun doute quant à la distance où Elera se trouvait, et nul doute qu’aucun mot ne lui avait échappé. La marchombre tourna les talons – Non, mais juste les talons, quoi, pas le reste du corps. Comprenez rien, hein. – Et s’en fut derrière son ancienne apprentie.


.


Adossé à l’écorce d’un arbre, elle s’arrêta enfin, leva les yeux sur les éclats roux qui brillaient, un peu derrière elle, sur le semi-sentier encombré. De longues minutes qu’elles marchaient en silence, un seul regard, trop furtif pour dévoiler tous leurs sentiments respectifs, puis des secondes et des secondes de silence pur, juste un ou deux fruit, des châtaigne ou des pommes de pain se détachant pour tomber au sol avec une lourdeur pâteuse.

« Parle-moi »

Presque une supplique. Elle avait redouté d’entendre dans sa voix les intonations suppliantes encore vives dans son esprit de la mère d’Elera, et elle sentait qu’elle n’en était pas loin. Mais il y avait autre chose dans cette demande, une demande de certitude. Avait-elle fait le bon choix, était-elle sure de ne pas désirer faire demi-tour et retourner auprès de sa famille réunie ? Il y avait un besoin de partage. Besoin de l’entendre parler de cette tirade. De ce que sa mère lui avait dit, à elle. Besoin de savoir si l’apprentie pensait que le maître avait eut raison d’insister dans sa présence, avait eut raison de lui en donner le choix.

Elera
Elera

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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeMer 9 Sep 2009 - 12:04

C’était étrange de voir Ena être troublée par le doute. Pas que ce soit inhabituel ; chacun des gestes de la marchombre qui guidait ses pas était fait dans le savoir que ce pouvait être le mauvais, ou qu’il pouvait avoir un temps de retard, ou venir quelques pétales de fleurs trop tôt Oui, ça veut rien dire mais c’est poétique. Et c’était ce savoir qui faisait la force de la jeune femme, qui la rendait tellement vigilante, attentive au moindre changement autour d’elle, soigneuse de ne pas briser l’harmonie des mouvements qui l’entouraient. Pour le moment, pourtant, le doute était comme une nappe de brouillard qui se déplaçait en permanence, parfois dissimulant, parfois dévoilant une infime partie de son angoisse aux yeux de l’apprentie. Ce n’était pas le doute qui la suivait habituellement, et qui l’aidait à prendre des décisions ; c’était une incertitude tout autre, non pas pour elle- mais pour Elera. Cela se voyait dans son pas minimalement plus lent qu’à l’allée alors qu’il l’attendait, dans la tension de ses épaules, dans l’intonation de sa voix incertaine, et dans son regard pénétrant aussi, alors qu’il cherchait une réponse chez Elera. Réponse qui était pourtant tellement limpide, et qui glissait en elle tel un ruisseau sur des galets formés années après années… Mais en même temps, la confiance qu’Elera avait en ses choix avait toujours été une différence fondamentale avec son maître, différence qui avait mené à quelques conflits au fil du temps…

- Je ne regrette rien.

Elle avait prononcé les quatre mots qui résumaient tous ses sentiments d’un ton calme, son visage paisible et sans aucune marque de tension, ses yeux clairs affirmant cette vérité en se plongeant dans ceux d’Ena. Elle ne regrettait pas d’être venue jusqu’ici et d’avoir rencontré ses ‘parents’. Elle ne regrettait pas de ne pas être restée avec eux ; savoir qu’ils étaient lui semblait suffisant. Ils n’étaient que deux étrangers, et elle se sentait davantage elle même lorsqu’Ena se trouvait à ses côtés… Elle en avait vu assez aujourd’hui pour savoir qu’elle n’aurait pas voulu vivre avec eux. Peut-être auraient-ils été heureux, ensemble, mais à présent qu’elle avait goûtée à la liberté, elle ne se voyait plus dans un foyer, ne voyait plus deux adultes lui poser des limites qu’elle avait ignoré toute sa vie… Ils vivaient dans deux mondes coupés l’un de l’autre, et elle n’avait pas l’intention de dépasser cette frontière. Aucune envie de connaître cette femme hypocrite qui se mentait tous les jours à elle-même et réclamait l’affection de tout ceux qui l’entouraient. Aucune envie de connaître l’homme qui avait accepté de lier sa vie à la sienne, non plus, et qui semblait toujours rester dans l’ombre, inactif, vide de toute opinion. Aucun regret sur la présence d’Ena, non plus ; Elera respectait sa décision de ne pas suivre l’ordre de Milona, et était touchée de cette preuve de soutien envers elle… Non, elle ne regrettait pas cette soif de liberté. *retour aux sources Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_cool* Il y avait ce besoin d’ajouter quelque chose, pourtant, comme si elle n’en avait pas dit assez…

- Ils ont fait leur choix. Je fais le mien, à présent…

Une manière comme une autre de dire qu’elle n’aurait jamais pris la décision de Milona. Qu’elle n’aurait jamais choisi de disloquer sa famille, de la disperser aux quatre vents comme les grains d’un pissenlit au printemps. L’idée ne lui serait même pas venue à l’esprit… Mais elle ne pouvait pas changer le passé immuable, et elle l’acceptait aussi. Acceptait que c’était ainsi, et ne regrettait pas où cette décision contre nature l’avait menée… Ils avaient choisi de la laisser en arrière ; à présent, elle choisissait de partir en avant alors qu’ils s’étaient enfin arrêtés. Elle restait Elera, quoiqu’il advienne. Rien n’avait changé, si ce n’est qu’elle savait à présent d’où elle venait… et en ce qui la concernait, il ne restait plus qu’une question sur les événements qui venaient de se dérouler sous le feuillage frissonnant des chênes. Une question qui la tourmentait depuis plusieurs minutes déjà, depuis qu’elle avait quitté la clairière et qu’elle avait entendu ses mots dépourvus de ses à ses oreilles tellement ils lui semblaient incongrus dans cette situation.

- Pourquoi êtes-vous désolée ?

Désolée pour qui, pour quoi ? Elle ne comprenait pas. Désolée du choix qu’avaient pris ses parents, désolée de celui d’Elera qui était partie sans un regard en arrière ? Ce dénouement semblait-il trop définitif à son maître, s’était-elle attendue à ce qu’Elera quitte la voie des marchombres pour sa famille retrouvée ? Rester n’avait pas effleurer longtemps l’esprit de la jeune fille ; elle savait ce qu’elle voulait, et ce n’était pas ici que se trouvait son foyer, mais bien plus au nord… Si quelqu’un devait être désolé, ce devrait être elle, ses parents, sa sœur peut-être, n’importe qui présent lors de ces retrouvailles, mais pas Ena, alors qu’elle n’avait été présente que pour son apprentie… Ou peut-être n’était-ce qu’une marque de sympathie pour ses corps abandonnés, mais Ena parlait rarement par simple politesse… Mais peut-être que la question résidait ailleurs entièrement. Est-ce que cette rencontre avait ravivé de vieux souvenirs en elle, ceux d’Anael laissée elle aussi en arrière pendant un temps, ou ceux d’une histoire qu’Elera n’avait pas encore entendue, celle d’Ena et de sa famille ? Et parce que l’heure semblait encore aux confidences, elle continua :

- Vous ne m’avez jamais parlé de vos parents.

Juste un fait. Pas une question qui pourrait sembler indiscrète, mais un fait qu’Ena pourrait tout aussi bien ignorer, si elle souhaitait que les choses restent ainsi…

Ena Nel'Atan
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeDim 8 Nov 2009 - 13:03

« Je suis désolée qu’elle ne puisse penser, ne serait-ce que durant quelques heures, juste un fragment de son existence, qu’elle a peut-être fait une erreur. Non pas qu’elle regrette son geste. Je ne regrette pas le mien. Je me dis simplement qu’il a pu être une erreur. Si tu n’avais pas été ce que tu es, elle aurait pu douter. »

Ses doigts jouèrent avec des gravillons, comme de jeunes adolescents aiment à le faire lorsqu’ils se retrouvent au sol, à partager d’intenses secrets et délibérant de leurs instants de gloire. Ses yeux jugeaient tour à tour les sillons de la terre entre les feuilles brunes éparses et les coins de ciel au bleu très pâle qui tâtonnaient au dessus de l’auvent fourni. Elle mentait mais étrangement, cette prise de connaissance ne lui inspirait rien. Mentir l’avait rendue nauséeuse, narquoise, vile, coupable, mais jamais le fait de bafouer la vérité ne l’avait autant laissé de marbre, plus encore que s’il s’était agi de ces petites omissions aussitôt oubliées qui servent aux enfants en quête de notoriété. Elle regrettait son geste, et cette vérité lui semblait inébranlable. Ce qui, au vu de son mode de fonctionnement habituel, avait quelque chose de choquant, de violent aussi. C’était effectivement le seul mensonge de sa phrase, et il ne semblait revêtir aucune once d’importance. On a l’habitude de déranger la vérité au profit de celle que l’on invente. Ici, non. On aurait juste dit que les mots avaient été choisi pour sonner mieux, et que le sens de la phrase n’aurait pas changé si les termes et le sens en avaient été différents. Il semblait à la jeune femme que dans ces conditions, son mensonge ne pouvait être perceptible. L’illogique situation en était irritante : Alors qu’elle proférait un mensonge, qu’il lui était parfaitement égal que l’on détecte, c’était précisément dans cette situation que le mensonge paraissait indétectable. Indécelable pour une grande majorité. Mais pour Elera ?
Une angoisse lui tirailla alors le ventre. Les derniers mots étaient-ils des reproches fait à Elera ? Cela signifiait-il qu’elle était jalouse qu’Elera ait réussi, là ou Anael n’était désormais qu’un morceau de chair impavide.

*

Des gamines au sourire candide, quelques années d’écart, indubitablement de la même fratrie. Les flots du ruisselet faisant chanter les pierres riaient doucement. Les deux gamines se tenaient sur une berge, et traçaient tranquillement des courbes dans la terre meuble. C’était une forêt plutôt clairsemée, le soleil chatouillait les peaux claires et bariolée par les ombres des branchages. La plus âgée imprimait des lettres avec lenteur. Irae. Huit ans. La barre médiane du E tracée, ses yeux glissèrent sur les traits maladroits de sa jeune sœur. Elle glissa alors lentement la main sur le bras de la petite fille, avant de la refermer sur ses doigts et de la guider, patiemment, sur les contours malhabiles, compte-tenu de leur position, de trois lettres silencieuses. Ena. La petite sourit, reconnaissant son nom. Très brièvement. Repartit dans sa contemplation. La plus grande tenta de la conduire vers le ruisseau, mue par le devoir de rincer les mains boueuses. L’autre refusa, nettement, sans râle ou crise, simplement dans une posture immobile, ignorant les imprécations douces de sa sœur, qui finit par rejoindre seule le cours d’eau pour se rincer les mains. La petite à la peau pâle passa les doigts plusieurs fois dans les rainures de son prénom.

Lorsqu’elles étaient rentrées, ce jour-là, leurs parents avaient blâmé Irae pour sa négligence. Et si la petite en était venue à manger de la boue, à s’intoxiquer ?
La marchombre le regrettait, aujourd’hui.



*

Cette fois, Irae se tient sur un banc, un carnet bleu entre ses doigts légèrement crispés. Son crayon parcourt la feuille, traçant des courbes et des traces. Son dessin prend lentement forme, alors qu’elle lève régulièrement les yeux pour veiller sur les deux fillettes, sensiblement du même âge, qui tentent de construire un barrage en agençant les pierres du mieux qu’elles peuvent. Elles ont sans doute une demi-douzaine d’année, l’eau fraiche du printemps glace leurs pieds et leurs chevilles submergées. A un instant, Ena bouscula inopinément, mais tout à fait consciemment son amie, qui perdit l’équilibre, et, étrangement lentement, bascula dans le ruisseau gelé. Elhya émit un petit cri, qui attira l’attention d’Irae qui accourut pour libérer le corps ankylosé de la pataugeoire légèrement augmentée par le barrage.

Elhya étaient tombée malade et était restée alitée une semaine durant.
Elle avait frôlé la mort, tant son corps était fragile, et Ena ne s’était jamais excusée de ce calvaire. Fièvre, douleurs, courbatures, nausées. Cela faisait aussi partie des choses qu’elle regrettait.


*

Le village fêtait les moissons, le soleil explosait dans les verres de vins allègrement distribués ça et là. On dansait sur la musique en riant, ou l’on discutait, attablé devant des bières d’orges ou de jus des fruits de la saison. Les enfants criaient, courant dangereusement autour des habitants. C’était la plus jolie fête du Village. Il y avait des couleurs, des sons, des costumes bariolés, des lampions qui s’allumeraient lorsque le soleil rejoindrait l’horizon. Certains viennent de villages voisins participer à l’effusion légère. Deux couple discutent, la premier, bien connu du village n’est autre que le couple Nel’Atan, dont l’on connaissait bien le grand-père, anobli pour service rendu à l’Empire. Le deuxième vient d’un autre village. Alkaï présenta Irae. La jeune fille qui allait sur ses quatorze ans était radieuse. Elle serra les mains en souriant, accueillit humblement les compliments, reprit sa place. Le père de famille présenta ensuite une petite fille de six ans peut-être, assise sur un banc en bouleau, le cou enchainé d’un médaillon en or blanc. « Ailil », dit-il. La petite sourit aux yeux émerveillés. C’était une petite fille immensément jolie, avec de doux yeux gris et une peau opaline. On n’imaginait pas qu’elle pouvait-être cette enfant fragile et continuellement souffrante ou malade qui rythmait le quotidien de sa famille. C’est alors qu’Alkaï et Ezoria avaient échangé un regard. S’étaient tus.
Ce jour-là, Irae avait demandé à Ena de surveiller Ailil, afin de pouvoir passer du temps avec son amoureux, soupçonnait la future marchombre, qui avait pourtant accepté de bon cœur : Au moins aurait-elle quelque chose à faire. Elle se tenait au sol, un peu plus loin du banc.

Elle avait lentement quitté son poste de surveillance alors que ses parents avaient été entrainés dans une danse, les jambes vibrantes et le cœur meurtri. Ailil s’était retrouvée seule. S'il lui était arrivé quelque chose ?
Et Ena avait été rayée de la famille.

Non qu’ils ne l’aimassent pas. Elle restait leur fille. Mais elle était si fade. Impoli, pas jolie, à émettre de ces phrases tellement brutales. Tellement rudes. Et si vraies. Ils s’étaient excusés par milles moyens de cet effacement, associant les cajoleries qui lui donnaient la nausée, les petits présents ou les mots, pour lui expliquer. Mais à chaque introduction dans le monde extérieur, Ena n’existait plus. Et la seule que cela blessait presqu’autant que l’intéressée semblait être Ailil.


*


« Je les ai un jour laissés derrière moi. »


Elle se sentait indécise. Elle avait un désir de parler, d’exsuder son enfance par quelques moyens que ce soit. Ces premiers mots semblaient une justification. Ce dont ni elle, ni Elera n’avaient besoin. Alors, peut-être plutôt une introduction. Il lui semblait bizarrement que peu importait qu’Elera soit intéressée par ce qu’elle avait à dire ou qu’elle n’y accorde pas la moindre attention.

« Ils m’avaient effacés de leur famille. C’étaient des gens si normaux. Mon père était le fil d’un grand homme qui avait aidé à la libération de l’Empire, il était rêveur. Ma mère une ancienne marchombre, qui avait tout abandonné pour rester avec l’homme qu’elle aimait. Ils voulaient des enfants joyeux, intelligents, candides, joueurs, gentils. C’est tout. »


Ses doigts continuaient de fouiller le sol, s’amusant à briser des brindilles et diverses branches, faisaient crisser deux graviers l’un contre l’autre, craquaient les fragments d’écorces perdus dans la fange. Etait-elle en train de gommer Anael de son existence comme elle avait été supprimée de sa propre famille ?

« Je crois qu’il y a quelque chose qu’ils ne m’ont pas dit. C’est pour cela qu’une fois de retour à l’Académie, je repartirai le long du Pollimage. S’ils sont encore où ils étaient, je les retrouverai. »


Elle se leva, comme forte de cette nouvelle résolution, et se remit à avancer. Vers un certain lendemain. Elle ne supprimerait pas Anael de son existence, et elle ne manquerait jamais de douter de l’erreur qu’elle avait peut-être faite.

__


[ You're not dreaming ! Sisi, J'te jure ! ]

Elera
Elera

Marchombre
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeJeu 3 Déc 2009 - 18:40

Mots flottants. Elera écouta, attendit, acquiesça. Pas qu’elle soit désolée de ce que pouvait penser sa mère ; peu importait, au fond, qu’elle ait eu raison ou tort, et ce qu’elle en pensait, puisque les faits étaient devenus passés et son geste, immuable. Ces états d’âme ne changeaient pas le présent, ne changeaient pas le départ d’Elera et n’entremêlaient pas leurs vies plus en avant, comme deux branches du même arbre qui poussent dans deux directions différentes et ne peuvent plus se croiser, chacune tendant vers un coin de lumière différent. Oui, Midona avait peut-être fait une erreur ; oui, si Elera avait été différente, peut-être aurait-elle regretté avoir abandonné ses deux filles plutôt que de prendre un chemin différent. Si elle avait été Lewena Calaenel, enfant alavirienne et fille des hommes. Mais elle ne l’était pas. Elle était Elera. Marchombre. Et pour rien au monde elle n’aurait voulu que le choix éteint de ses parents, rallumé pour leur donner une seconde chance, dénoue le fil de l’existence sur lequel elle avait dansé depuis que, pour la première fois, elle avait mis les pieds dans l’eau fraîche de l’Œil d’Otolep. Elle ne regrettait rien. Les soupirs de cette femme qui se disait sa mère n’était qu’un grain de poussière dans un tourbillon d’air, brin d’herbe dans la prairie, goutte dans l’océan. Elera ne tenait pas assez à elle pour se désoler de son obstination et de ces certitudes. Elle tenait par contre beaucoup plus à Ena… Et dans un instant de compréhension flottant, le lien se fit.

Ena. Elera. Milona. Elera. Ena.



Anael.


Voyait-elle son reflet dans les yeux de Milona ? Avait-elle peur d’avoir fait une erreur en abandonnant Anael, peur qu’elle pensait que Milona devrait elle aussi ressentir ? Craignait-elle d’être comme cette femme qui avait tout laissé derrière elle et qui, enfermée dans sa décision, refusait de s’ouvrir à toute autre possibilité ? Non, Ena ne regrettait pas. Et pourtant, était-ce de la culpabilité qu’Elera sentait dans ce mouvement légèrement décalé ? Se sentait-elle coupable de ne pas avoir pu être une mère pour Anael, même si les circonstances l’avaient poussée à cette séparation ? Laisserait-elle sa fille derrière elle à nouveau, si elle pouvait tourner les aiguilles du temps et retourner à l’époque des espoirs encore frais ? Elle doutait. Et si elle voyait qu’Elera avait trouvé sa voie sans que la main de ses parents ne lui serve de guide, elle ne retrouvait pas la même aspiration en regardant sa fille… Tout ça, Elera l’entrevit dans une seconde envolée, avant que le visage d’Ena ne retrouve son impassibilité sereine. Elle n’avait aucun moyen de savoir si elle avait deviné juste, ou si de nouveau elle se méprenait des émotions dissimulées de son maître. Elle ne connaissait pas Anael, jeune enfant qui n’était pour elle qu’une petite silhouette au loin et deux yeux grands ouverts. Elle n’avait pas voulu la connaître, pas voulu s’immiscer dans une part de la vie d’Ena dans laquelle elle ne se sentait pas invitée. Par respect. Et pourtant…

- Vous n’êtes pas comme elle.

Juste un fragment de vérité. Parce qu’Ena semblait en douter, et qu’Elera ne voulait pas voir son maitre troublée. Milona était ancrée dans une décision qu’elle avait prise une décennie plus tôt et qu’elle ne souhaitait pas changer, effrayée à l’idée de penser avoir eu tort une fois dans sa vie. Ena était Marchombre. Souplesse et fluidité. Acceptation des échecs, alors qu’elle allait de l’avant, et qu’elle cherchait à savoir ce qui serait le mieux. Et qui se remettait en question, toujours. Pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Pour ne pas oublier le passé. N’est-ce pas ? S’asseyant aux côtés de son maître, les doutes l’assaillirent ; elle attrapa un gravillon et le fit tournoyer entre ses doigts, le laissant se cacher dans sa paume avant de revenir entre deux phalanges, pour disparaitre à nouveau et se retrouver immobile entre le pouce et le majeur. Ena acceptait-elle ce qu’elle considérait comme un échec ? Les mots tracés dans la poudre d’une muraille d’Al Jeit se reposèrent dans son esprit, plume alourdie par une signification muette.

Envie, puis cascade vers l’abîme
Déserts d’amertume et de perles salées
Echec

Oui, Ena regrettait. D’autres mots suivirent les premiers, rafale d’images et de sons partagés au fil des dernières années, et pour justifier sa phrase précédente, incertaine qu’elle suffirait face à ce regret pesant, Elera ajouta :

- Vous l’aimez.

La fin de la phrase Ena pourrait l’écrire seule. Ena aimait Anael ; peut-être ne savait-elle pas comment réagir, peut-être ne la comprenait-elle pas, peut-être les cauchemars d’un passé trop amer lui revenaient-ils lorsque sa fille la regardait trop lourdement, ou posait une question qui devait rester suspendue dans l’air. Mais elle l’aimait. La femme aux boucles encore blondes qui cascadaient sur ses épaules n’aimait pas les deux rouquines qu’elle voulait garder auprès d’elle. Elle souriait, elle apaisait, elle défendait dans des mimiques qu’elle avait volées à d’autres mères, carapace hypocrite de celle qui prend le rôle d’une mère parce que c’est le rôle qui est attendu d’elle, mais sous son masque d’affection ne substituait que l’absence. Elle ne ressentait rien pour les jumelles qui étaient réapparues du passé ; et cet excès de vide qu’elle ne pouvait pas accepté était remplacé par un excès de zèle, dans ses mouvements trop appuyés, dans le flot de ses mots incessants, dans ses sourires trop étendus. Ena n’était pas comme elle. Ena tenait en Anael, et c’était peut-être la raison qui faisait la différence entre le manque de regret de Milona et celui, immense, d’Ena… Ses yeux jusque là fixés sur le gravillon se relevèrent pour croiser ceux de son Maitre. Silence. Paroles.

- On ne peut pas changer le passé. Mais on peut l’accepter, se pardonner et avancer…

Peut-être était-ce ce qu’elle comptait faire en retrouvant ses parents. Peut-être n’avait-elle pas besoin des mots hésitants de l’apprenti pour savoir où la conduisait sa voie. Et peut-être ne pourrait-elle jamais se pardonner. Peu importait à présent, les mots avaient été prononcés. Elera reposa le gravillon au milieu de ses pairs, le laissant hésiter un instant avant de se laisser tomber du côté le plus plat, retrouvant sa stabilité et son inertie, peut-être pour plusieurs années encore, si rien ni personne ne venait changer ce petit coin de forêt protégé. Décidée, Elera se releva, estimant la pause terminée, et s’approcha du tronc le plus proche. Levant les yeux vers sa cime, son regard trébuchant sur chaque branche pour essayer d’attraper la plus fine et la plus lointaine possible, elle envoya ses mots vers ce bout de ciel qui se dégageait entre les feuilles mouvantes. Voyage.

- Vous m’avez suivie jusqu’ici, à moi de vous suivre sur le Pollimage. Pourquoi retourner au nord pour ensuite redescendre au sud ? Nous avons tout le temps de suivre une nouvelle courbe.

Elle se hissa sur la première branche, heureuse de sentir la force de l’arbre sous ses pieds, heureuse de savoir la sève de la vie qui coulait sous l’écorce, et la joie du végétal alors que ces membres verdoyants frémissaient de bonheur sous le souffle du vent. Un souffle tiède et doux, brise indolente et qui prenait son temps pour s’accrocher aux deux humaines avant de continuer lentement, comme à regret, comme si elle voulait être suivie. Suivie vers un nouvel endroit, suivie loin de ce lieu de réminiscence et de temps révolus. Suivie vers le futur, un futur dans lequel les erreurs fantomatiques du passé n’auraient plus le poids qu’ils avaient aujourd’hui. Elera s’était avancée entre les troncs, mais sentant qu’Ena restait en arrière, avançant plus lentement, elle se retourna pour l’observer. Retour à la nuit d’Al Jeit et aux lumières ondulantes des rues, image qui s’imprima un instant sur le décor sylvestre dans lequel elles se trouvaient.

- Je vous ai promis, on vous construira un Avenir. Alors qu’attendez-vous ?

Apprentie tyrannique, elle ne laissa pas le choix à Ena, comme ce jour hivernal pendant lequel elle lui avait pardonné les cachots ; elle disparut entre ciel et terre, et Ena n’avait plus qu’à suivre ou à suivre. Ou rester en arrière à jouer avec les cailloux, mais bon, pas facile pour le rp. angel

[Ca te va comme Cecin'estpasunequestiondommagepourtoi ? Very Happy Et désolée pour samedi, je pensais pouvoir poster plus tôt =/]

Ena Nel'Atan
Ena Nel'Atan

Maître poussin
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeMar 2 Fév 2010 - 18:42

[color=DarkOrange]te plaira, toute édition possible. Et Elera peut faire ce qu'elle désire, tout est possible =) Pour l'anglais, corrige en couleur si possible, je remettrai en blanc ensuite. Merci ! Et je t'offre mon message numéro Mille ! ]

Tout le monde n’avait pas d’Elera pour donner à l’existence une facette sacrée et digne. Implacable aussi, une essence que l’on devait façonner, frémir, brûler. On n’enflamme pas le vide, il faut un combustible, de la matière. C’était la gamine armée de ses certitudes qui lui avait fourni le bois à consumer pour chauffer sa chaumière. Cette gamine qui avait comblé son manque d’assurance parce que les arrivées d’air tendent souvent à étouffer des flammes trop faibles. Une gamine qui irait loin, jusqu’à un point que la jeune femme elle-même ne parvenait pas à saisir. C’était une limite qui tendait à l’infini. On se refait pas. Son visage avait de ces couleurs frivoles et irréelles qui irisaient tendrement les profils que l’on aimait voir. On inventerait volontiers des volutes et des arabesques aqueuses et indécises, des petits dessins allègres, courant sur sa peau claire et le long de ses cheveux enflammés de chaleur. Les bras ballants, la jeune femme regardait onduler l’oriflamme incandescente devant ses yeux gracieusement abrutis, un peu hagards. Elle se laissa un instant guider, léthargique, par ce flambeau, qui perdait sa forme et sa texture pour n’être plus que sémillant d’éclat. Qui s’étouffait lâchement, tandis que le corps planant avançait dans les broussailles comme au creux d’un nuage. Cette fois, il fallait battre des ailes vers un autre avenir.

« Tutoie-moi »

Et elle se glissa en berçant les branches, caressa les feuilles et les troncs, embrassa, colorée d’un nouveau sourire, toute la fraicheur enjôlée de la calme forêt. C’étaient son âme et son être qui respiraient les vapeurs nacrées des rayons intimidés du roi, que les branchages laissaient passer, de temps à autres, espiègles et rieurs. Elle venait de tracer un joli tournant à son existence : D’abord, parce qu’elle allait chercher des mots qu’elle avait fui, depuis quinze ans. Quinze ans. Ensuite, parce qu’elle venait de proposer quelque chose à son apprentie. Pas seulement de remplacer des ‘vous’ par des ‘tu’, mais aussi de s’émanciper. Vraiment. De devenir la marchombre qu’elle serait bientôt, la douce liberté qui s’éveillait lentement au creux de son âme. D’aller colorer l’aurore aux teintes nacrées des arcs-en-ciel dont elle crayonnait son passage. Des reflets irisés d’une lumière inébranlable, brûlante, et vive, animée et délicate. La marchombre s’arrêta, un instant, la pointe du pied gauche sur une branche dénudée d’une aubépine, l’autre dans le vide, les doigts serrés autours d’une feuille, les yeux levés vers les fragments de ciel qu’elle apercevait. Puis elle replongea dans l’immensité sereine de la forêt faëlle.

« De ces jours qui passèrent, il ne restait pas traces, de ces jours que je volais, on m’ôtait le souvenir »

La forêt s’effaçait lâchement derrière elles, et les jours se suivaient et ne se ressemblaient pas. Elles voyaient chaque soir la ligne d’horizon se perdre dans un infini flou, s’évanouir tranquillement, alors qu’elles s’assoupissaient à tour de rôle dans des creux ou sur des coupoles galbées ou rondouillardes. Les jours passaient, la fatigue ne venait pas, les sourires étaient légers, le monde leur offrait ses bras. Elles avançaient de larges foulées communes, chacune fondues dans le rythme de l’autre, dans sa délicatesse et sa communion. Le sol se faisait à peine sentir, comme soucieux de faciliter le voyage des deux jeunes femmes. Les jours s’allongeaient, lentement, elles se lançaient parfois dans des courses folles et enfantines sur les dunes, à la lumière orangée des couchers du soleil, échangeant, sinon des éclats de rires, de ces petits sourires tendres et amusés, parfois gentiment taquins, qui rendent à l’existence ses couleurs et sa musique radieuse. Elles ondulaient dans une vague chaude et ample, de confiance et de sérénité.

And, while the sun was drying little tears on the leafs (leaves), just in front of them, the long twinkling ribbon of the Polimage appeared, smiling and quiet. If there had not been a little and old-looking man on the bank across the river, the young women would have believed they faced a postcard. The water was hitting the stones(,) on the verge of the rivulet. Ena looked at the grass, less and less dense near the river, and lots of old relics, came (coming) from the time when she were a little kid, with a family, with customs, came back in her thoughts. Ahead (in front of) her roots, she felt badly lost, and, for a few minutes, she perfectly remains (remained perfectly) silent, staying, dazed, looking at the plain. Just then, she started to fear what would happen. She wondered whether she could find all what she came to seek. After a while, she succeeded in breaking the ties between a burning past, flickering, and a future, wavering, toward what she was walking. She turned to look at Elera, and had a poor smile. A little village was sleeping(,) quietly, at a few miles, but, going near, Ena observed that she never lived there. So(,) they retraced their steps and arrived, finally, at the village of Ena’s childhood. There were about twenty houses(,) put(ting) in together(,) around an empty place, where all the people lived it up(lived it up?) – and still live it up, certainly. Ena stopped at the entrance, hesitating. There weren’t a lot of people in the street, just a few kids(,) who were playing with a strange pipe, and two women who stopped talking when the travellers arrived, carefully looking at them. Ena had had rather find no one at this hour, while the sun was just up. Maybe(,) she was going to have an argument with her lost family, or maybe she wasn’t. Lastly (finally, lastly c'est dernièrement), she moved, Elera hard on her heels, slowly, looking around to find her old house. While she passed ahead (in front of) the women, Ena looked, very carefully, at the shortest, and whispered.

“It rings a bell …”

Then, with a hand movement to push away this idea, she added.

“It’s nonsense”


Fifteen years later, she couldn’t recognize her old neighbours. So, she still walked (kept walking), full of hope. It had to work. Really.
And the two young women faced, finally, an old medium-sized house, with coloured flowers and a pretty garden, even though it was bigger in Ena’s memory. Granted, lots of things had changed, in all this years, but, behind the trees, the new roof, the rust, the recent building door, the missing pound, the marchombre always saw her home. Now, it just remained moment of the true (?). She was giving up a comfortable retiring past.

La marchombre regarda son apprentie, le visage privé de chaleur, en apparence calme et impassible, posé, et les yeux brillants d’indécision. Elle ne laissa pas cet échange s’allonger, ne désirant pas exposer à la jeune fille l’ampleur de son vacillement. Mais Elera ne bougeait pas, sans doute pleine de la confiance qu’Ena n’avait pas, comme d’ordinaire. Alors, la marchombre avança un pied, l’autre, puis le premier, fit quelques pas sur le chemin de terre qui menait à la porte. Porte qui lui sembla dangereusement étrangère. Violente. De bois probablement assez neuf, elle brillait doucement sous la lumière encore pure du levé de soleil. Elle tourna une dernière fois les yeux vers les cheveux rougeoyants de son ancienne élève, qui lui offrit un sourire, et son cœur se gonfla de confiance, sa main de certitudes, et elle frappa. Doucement, mais avec une certaine fermeté. Le son lui sembla étrange, mais pas désagréable. Elle attendit, patiemment, le cœur battant, que les pas qu’elle écoutait, à l’intérieur, depuis de longues minutes, se dirigent vers la porte. Lorsque la poignée s’abaissa, elle crut que ses veines allaient exploser, brûlante, et consumer son être. Son visage était plus glacial qu’elle ne l’aurait voulu, mais elle ne parvenait pas à afficher un sourire. La porte s’entrebâilla, et le visage d’un petit garçon, sans doute une dizaine d’année, lui sourit. Lorsqu’il aperçut le visage de marbre, un peu effrayant de la visiteuse, il se recula imperceptiblement, perdit son sourire, et bredouilla un vague ‘ Bonjour ‘ étranglé. Après quelques secondes où l’esprit d’Ena, engourdit, se posa quelques milliers de questions, notamment sur la présence et l’identité du petit garçon, la marchombre se reprit et afficha un joli sourire, aussi avenant qu’elle en était capable, et salua l’enfant, qui se détendit lentement. Elle chercha encore un moment les mots qu’elle était supposée prononcer, et articula un peu étrangement :

« C’est bien la maison de la famille Nel’Atan ? »


La formulation résonna bizarrement à son oreille, et elle ne put retenir ses doigts qui se crispèrent. Jamais de son existence, son angoisse et son état d’extrême tension n’avaient été aussi évident. Ce qui restait assez sobre, pour la marchombre, puisque le petit garçon l’aurait estimé plutôt calme, n’ayant pas l’habitude de son immuabilité habituelle. Le gamin hocha la tête et recula, ouvrant la porte, avant d’articuler bravement et avec application, montrant qu’il avait été très correctement éduqué ;

« Si vous voulez bien entrer ».

La formule était presque inhabituelle pour la marchombre, aussi mit-elle encore quelques instants avant d’entrer. Mais l’enfant qui lui avait tourné le dos – l’imprudent – ne perçut pas le moment de pause, et s’engagea dans le corridor. Lorsqu’Ena fit quelques pas à l’intérieur, l’odeur qui infiltra ses narines lui arracha un sourire, détendant très légèrement ses nerfs. A travers les effluves nouvelles, celle du petit garçon, du petit déjeuner qui semblait attendre dans la cuisine, du parquet nouveau, les senteurs immuables de son passé étaient là. Les relents du Polimage, filtrés, qui venaient jusqu’à la maison, le bois, la sève, la pierre. Elle passa le couloir, et la pièce qui venait ensuite était brutalement lumineuse, orientée au sud, et rassemblait la cuisine et un salon sobrement meublé. Plusieurs meubles dataient de son grand-père, et elle les reconnut sans peine, en dépit de leur couleur un peu foncée, et des tissus qui les recouvraient. D’autres dataient de son enfance, et avaient dormi là en subissant quelques affres du temps, et le reste était plus récent et inconnu, mais restait minoritaire. Lorsque le petit garçon appela, Ena crut que son cœur allait lâcher.

« Mamie, Papy, y’a une dame … »

De deux choses l’une. Soit les gens qui habitaient ici n’étaient plus de la famille Nel’Atan, auquel cas, la jeune femme n’avait plus qu’à ressortir rapidement et à s’en aller. Soit il s’était passé de nombreuses choses depuis son départ. Mais, les deux personnes qui se trouvaient assises à la table, autour d’un petit-déjeuner chaud, et semblaient discuter tranquillement firent exploser les nerfs à vif de la jeune femme, qui crut bien s’effondrer, mais resta coite, dos au mur. Sa mère avait vieillit. Des rides traçaient de longs sillons sur ses joues, ses mains calleuses laissaient apparaître de larges veines bleuies, sa peau distendue se décolorait, par endroit, à l’instar de ses cheveux, blancs et gris. Elle avait pourtant toujours ce nez volontaire et fier et des lèvres étroites, dont avait hérité sa fille. Son père paraissait avoir moins vieillit, étrangement. Ridé lui aussi, mais plus tonique sur sa chaise, ses joues étaient encore rondes et rieuses, son cou droit et ses épaules carrées. Ses cheveux avaient perdu leur couleur châtain et avaient adopté un blond-blanc très doux, qui s’accordait à la couleur de sa peau burinée. Il était beau, dans son genre, le rêveur. Ils la regardèrent en souriant, et elle se demanda brusquement ce qu’elle était sensé dire. Elle osa un timide Bonjour, et fut surprise de leur calme tranquille. Qu’elle comprit pourtant bien assez vite, lorsque sa mère prit la parole, d’une voix encore chantante, même si elle accusait quelques à-coups rocailleux.

« Bonjour, Je suis Ezoria Nel’Atan et voici Alkaï Nel’Atan, et vous êtes … ? »

Le sang de la marchombre se figea. Ah, ça promettait. Elle eut un léger vertige, une peine refoulée ressurgit, profitant de ce moment de faiblesse. Ils ne la reconnaissaient pas. Elle était une inconnue, elle n’existait plus. Elle vacillait. Que devait-elle faire. Dans son dos, le souffle d’Elera restait profond, cette dernière ne bougeait pas. Les bruits de la maison résonnèrent plus violemment à ses oreilles, et malgré ses efforts, ne daignaient pas s’assourdir. Le petit garçon avait regagné sa chaise, et la regardait en penchant un peu la tête. Le temps coulait, lâchement, ne lui laissant pas le temps de réfléchir. Un peu surpris par son silence, ses parents restaient toutefois souriants et affables, dans l’attente de la réponse. Comment devait-elle formulé ceci ? Balancer, tout à trac « Je suis ta fille » dans un râle métallique ? Ou simplement sourire « Ena Nel’Atan, enchantée ! ». Heureusement, ou non, pour elle, la personne qui entra ensuite dans la pièce la reconnu instantanément. Et en perdit la voix, un bref instant. Elle serra les doigts autour du papier qu’elle tenait dans ses mains, qui émit un bruissement étrange, avant de bredouiller.

« En … Ena … Ena ? »

A cet instant, le soleil sembla se retirer entièrement de la pièce, les sourires de ses parents s’évanouirent, le petit garçon était perdu. Une ombre était tombée. La jeune femme retourna brièvement la tête vers la nouvelle venue, mais sa voix l’avait déjà doté d’une identité. Irae se tenait à côté d’Elera, et la regardait, interdite. Dans ses yeux brillaient un petit soupçon étrange, amer, âcre. Un soupçon de peur. Ena ne s’arrêta pas sur cette crainte, mais ses neurones ne purent s’empêcher de lui afficher ce qu’ils pensaient. Elle l’effrayait. Irae avait peu d’elle ? De ce qu’elle pourrait faire ? Peut-être qu’elle craignait que la marchombre ne s’attaque à sa vie bien rangée ? Peut-être … Ena gifla mentalement sa réflexion. Soit, leur dernière rencontre s’était assez mal déroulée, mais il fallait passer à autre chose. Lorsque ses yeux se reposèrent sur sa mère, elle découvrit les larmes qui roulaient gracieusement le long des fossés qui marquaient sa peau. La femme se leva, avec une aisance qui témoignait de sa qualité révolue de marchombre, et, avec une infinie délicatesse enserra Ena dans une chaude étreinte. La jeune femme faillit s’écrouler. Jamais de sa vie elle n’avait enlacé quiconque, en dehors de ses amants. Elle avait des nausées, et restaient interdite, maladroite, imbécile dans les bras maternels. Heureusement, l’ancienne marchombre était doté d’un peu de tact, et remarqua rapidement que la jeune femme était franchement mal à l’aise, aussi la relâcha t-elle, à l’ instant où Ena allait reculer, proche de l’arrêt respiratoire. Les yeux embués, Ezoria sourit, se forçant à maintenir une distance raisonnable entre sa fille et elle. Le père d’Ena, plus subtile, se contenta de poser brièvement une de ces mains, lourdes, sur son épaule, et lui offrit un sourire un peu triste. L’univers chavirait dangereusement, et la jeune femme dut batailler sérieusement avec sa nausée pour se maintenir droite. Tout le monde resta là, un long moment, interdit. Ena se concentra sur Elera. La jeune fille, perdue dans ces retrouvailles, se faisaient pourtant extrêmement discrète, et si Ena pouvait sentir sa présence, sa chaleur et les battements de son corps, le reste lui restait inaccessible. Son instinct pris, durant quelques minutes, le dessus sur toute la raison qui restait d’ordinaire maître chez elle, et elle s’approcha de sa sœur, dont les larmes coulaient également, dont elle prit le visage dans sa main. Elle se contenta de poser son front contre celui d’Irae, pendant quelques secondes, avant de se tourner de nouveau vers ses parents. Mais le pardon était assez clair, et les pleurs se firent plus intenses chez la jeune femme. Ena se demanda si elle devait pleurer. Si la réponse était oui, alors elle se demandait sérieusement comment elle allait faire. Cette réflexion lui arracha un sourire, auquel Alkaï répondit. Se ressaisissant, Ezoria sécha ses larmes, et les invita à s’asseoir, Elera et elle. En dépit de ses efforts, la marchombre ne parvint pas à s’approcher de la table, et tomba par hasard sur le regard complètement perdu, et quelque peu affolé, du petit garçon. Bien, il fallait en finir. D’une voix nettement plus calme et claire que ce qu’elle avait prévu, elle prit la parole.

« Je suis venue chercher quelque chose. »

Sa famille, surtout. Après un court silence, elle reprit.

« Je crois que vous avez quelque chose à me dire. »

Lorsqu’après un instant, sa femme voulut prendre la parole, Alkaï l’arrêta d’un geste. Ils avaient deux choses à lui dire. Et plein d’autres après. Mais surtout deux. Lorsqu’Ena entendit sa voix, après quinze ans, sa première réflexion fut qu’elle n’avait pas changé. C’était le même ton que celui de son enfance, les mêmes modulations, la même sérénité douce et ample. Les mots ne lui vinrent qu’après.

« Pardon, Ena. Et Merci, Ena. Infiniment. »

Pardon de t’avoir rayé de la famille parce que tu étais bougon, parce que tu ne parlais pas, tu n’étais pas joyeuse, polie, souriante, drôle, joueuse. Parce que tu n’étais pas comme tes sœurs et comme ce que nous voulions montrer.
Merci de nous avoir reconstruit à tes dépends, de nous avoir offert de quoi survivre au décès d’un enfant et à la fuite d’un autre. D’avoir combattu des peines qui n’étaient pas les tiennes alors que tu étais rongée.
Ena était bien incapable de dire quoi que ce fût. C’était ce qu’elle était venue chercher. Mais elle était incapable d’y répondre. Son corps était tendre, réchauffé, serein. Elle était bien. Ses yeux gris étaient plongés dans ceux, bruns, de son père dans une douce extase. Alors que le silence se prolongeait, ce fut de nouveau Irae qui lui sauva la mise. Celle-ci avait beaucoup changé, en dépit de leur rencontre récente. D’abord, physiquement. Elle était très belle, beaucoup plus que sa sœur. Des cheveux châtains, ondulés, tombant délicatement sur ses épaules. De grands yeux verts, ceux de sa mère, dans un visage doux, une peau claire, comme sa sœur, un cou fin et des épaules galbées. Elle avait du faire tourner des têtes. Avec un sourire resplendissant, elle s’approcha du petit garçon qui penchait la tête, perdu, et dit, d’une voix claire et forte :

« Laisse-moi te présenter mon fils, Jelian. »

Puis, plus doucement, à l’oreille de son fils :

« Jelian, voici Ena, ma sœur »

La marchombre ne pouvait pas s’en étonner. Il avait de doux yeux verts, légèrement plus foncés que ceux de sa mère, le même visage délicat et enjôleur. Son nez devait venir de son père, mais ses joues ressemblaient très précisément à celles de son grand-père. C’était un joli petit garçon, auquel s’adressa directement Ena.

« Enchantée Jelian, tu es un beau garçon, tu feras des ravages auprès des filles ! »

Le garçon rit, d’un éclat tendre qui fit revenir le soleil dans la pièce. Tout le monde se détendit, et Irae passa la main dans les cheveux clairs de son garçon. Devant les yeux interrogateurs qui se posèrent sur Elera, Ena prit à son tour la parole. La première chose qu’elle dit suintait par tout son corps, mais elle se devait de le préciser.

« Je suis devenue Marchombre … Et voici mon ancienne apprentie, Elera »

Puis elle adressa un sourire resplendissant à la jeune fille. Elle avait réussi. Elles avaient réussi.
La journée qui commençait était la meilleure qu’elle ait pu passer depuis plus de vingt ans. Elle s’en délecta.
Elle raconta son histoire.

« C’est un Marchombre du nom de Keolan Sento qui me trouva, et me forma. »

« Il s’appelait Gendaï, j’ai eu une fille »
« Une fille ?! »
Dans un sourire
« Oui, elle s’appelle Anael, elle a sept ans »

« Il est mort. Je l’ai tué. »

« Conseil des Marchombre »

« L’Académie »

« Nathaël »

« Yiewël »


Puis elle s’informa de l’histoire de sa sœur. Son mari s’appelait Eyrvil Delori, c’était un Marchand réputé. D’après Ezoria, c’était un homme fort et adorable, qui veillerait correctement sur Irae et Jelian. Puis sa sœur lui confia, en secret, qu’elle attendait un autre enfant.
Ena et Elera firent rire Jelian avec des tours. Ils jouèrent au Huirmi, un jeu du village, tous ensembles, s’occupèrent du jardin, mangèrent des mirabelles. Elles avaient le même goût que dans les souvenirs de la marchombre. Puis Ena, en fin d’après midi, demanda à aller voir la tombe de son grand-père et de sa sœur.

__


Olorin Nel’Atan, né Atan, Anobli pour Service rendu à l’Empire
« Puisses-tu reposer en paix »


Ena déposa une fleur, sortit délicatement la dague de son grand-père et traça quelques mots dans la terre. Puis se releva.
Elle versa une larme sur la tombe de sa défunte petite sœur, mais resta plus d’une heure à contempler la tombe.

Puis il fallu partir.

« Je reviendrai bientôt »

Elera
Elera

Marchombre
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MessageSujet: Re: Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]   Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé] Icon_minitimeSam 13 Fév 2010 - 13:45

[Je crois que tu as battu le record du message le plus long du forum o/]

Tutoie-moi.

Une chance, une dernière, que lui offrait Ena. Dernière avant la liberté. Bientôt, elle ne serait plus l’apprentie, mais une Marchombre à part entière… Déjà, l’Ahn-Ju avait marqué une fin en soi, alors qu’Ena l’avait présentée aux derniers jours de son apprentissage. Leurs cœurs s’étaient vidés à l’unisson en surplombant Al Jeit, harmonisant leurs êtres qui n’avaient jamais glissés de manière aussi synchronisée en trois ans - et demi. Un demi volé au temps, et qu’elle aurait voulu avoir passé aux côtés de son Maître, à présent, pour rallonger les secondes partagées… Mais non. Elle avait choisi sa Voie, et elle acceptait tous ses détours dans leur absolu, avançant avec plénitude sur ce chemin qu’elle avait embrassé sans une seule hésitation, sans un seul doute depuis le premier jour. Même si cela signifiait traverser seule le Désert des Murmures, accompagnée pourtant de la présence invisible du Maître dans chacun de ses pas, parce que c’était grâce à Ena qu’elle avait su danser avec le sable et ne faire qu’une avec le Désert. Même si cela signifiait faire face à son passé, pour mieux lui tourner le dos lorsqu’elle avait dû choisir entre le futur que lui avait dévoilé son Maître et le passé que lui offraient à nouveau ses parents. Même si cela signifiait que ce chemin illuminé bifurquait à présent, pour ne plus jamais tracer une courbe parallèle à celui d’Ena ?

Elle n’avait jamais tutoyé Ena. Pas le premier jour, pas les suivants. Pas même lorsque, devenue ange déchue à ses yeux, Elera avait condamnée ses actes envers Marlyn. Jamais, qu’elle ait été en colère, heureuse, déçue, proche, compréhensive, éloignée. Ena avait toujours été son Guide, et le vous qu’elle lui soufflait était empli d’un respect infini. La tutoyer, cela signifiait… tellement de choses. Qu’Ena n’était plus son guide, mais avançait à ses côtés, à présent. Qu’Elera ne la suivait plus sur la Voie, mais créait ses propres méandres à chaque pas. Qu’elles ne seraient plus Maitre et Apprentie, mais simplement Marchombre et Marchombre. La gorge d’Elera se serra. Oui, c’était ce qu’elle avait voulu. Mais plus maintenant. Elle avait conscience que, dans l’absolu, rien ne changerait ; ni les sentiments qu’elle avait pour Ena, ni ceux que la Marchombre lui retournait. Que leurs avis réciproques garderaient leur importance l’une pour l’autre. Pourtant, elle n’était pas prête à faire ce pas symbolique. Il avait encore trop le goût de la séparation… Il se pouvait bien qu’elle regrette cette soif de liberté, en effet… /sort.

Je ne veux pas vous quitter. Vous m’avez poussée dans le vide et je me suis envolée, mais je ne veux pas que nous arrêtions de voler ensemble…

Ses yeux brillaient. Et elle ne répondit pas au dernier ordre d’Ena, autrement que par cette phrase silencieuse qui ne quitta pas son âme. Parce que le voyage n’était pas terminé… Elle vécut dans leur plénitude ses jours de marche sur la même route, lorsque route il y avait et qu’elles ne traçaient pas leur propre chemin invisible entre fougères paresseuses et collines endormies par les rayons du soleil. Profitant de chaque seconde, de chaque respiration, de chaque mouvement, de chaque vibration de vie parcourant sa peau à vif. Vivante. De la cime de ses mèches flamboyantes jusqu’à la plante de ses pieds mouvant au gré de la forme du sol, en passant par la souche même de son âme. Elles n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre. Du peu qu’elles échangèrent, Elera se débrouilla toujours pour les identifier comme « on » ou « nous », évitant avec naturel la moindre allusion au vouvoiement ou au tutoiement. Après tout, elles étaient On, dans leur course effrénée qui n’en faisaient vraiment qu’une, dernière lancée avant la bifurcation… Elle n’était pas certaine qu’Ena l’ait remarqué, mais elles se connaissaient trop bien pour que cela n’ait pas été le cas. Pourtant la Marchombre ne fit aucune remarque, lui donnant le temps dont elle avait besoin pour se faire à l’idée, et Elera lui en fut reconnaissante. Ena avait visiblement accepté, elle… A moins qu’elle ne montre simplement l’exemple à son apprentie. Parce que c’était ce que faisait un Maitre, quoique soient ses sentiments… Alors Elera souriait lorsqu’elles arrivèrent au village. Sereine, malgré la boule qui lui avait longtemps serré la gorge, comme la joie éclatante d’être avec quelqu’un, alors que l’on sait que la fin est proche et que, bientôt, la présence enflammée de l’autre ne sera plus là autrement que dans un souvenir, jusqu’à la prochaine réponse. Joie et tristesse se bousculaient chaotiquement, et pourtant elle souriait, encore.

Elle oublia la peur lorsqu’elles entrèrent dans le village en sentant celle d’Ena ; Ena, qui avait toujours été Doute et Hésitation. Ena, qui avait été à ses côtés pour chaque tournant difficile, avec un mot révélateur et un geste d’exemple. Ena, qui l’avait supportée alors qu’elle-même faisait face à son passé. A présent, c’était à Elera de l’encourager, d’être confiance et certitude pour qu’Ena puisse puiser en elle la force dont elle avait besoin pour retrouver ses parents après tant d’années de silence et d’amertume. Alors elle lui sourit, océan de calme et ancre au milieu des vagues, présence silencieuse dans le dos de la Marchombre. Elle serait ombre ; Présent pour son Maître qui avait besoin d’elle, mais effacée de la scène, de ses retrouvailles où elle n’avait pas sa place d’aucune autre manière. Elle ne connaissait pas la famille d’Ena… Alors elle serait là, simplement. Prête à lui offrir une épaule si les choses tournaient mal, et un simple regard si tout se passait bien.

Ena ne resta pas longtemps devant la porte, et pourtant la crainte devint palpable en ce bref instant avant que le poing ne heurte le bois. Elle s’embrasa lorsque le cliquètement de la poignée se fit attendre, et Elera fit un rapide pas en avant, près de la Marchombre, pensant le tu pour la première fois. Tu peux le faire, Ena… Elle n’avait jamais vu le masque inexpressif qu’était le visage d’Ena être aussi ébréché. Elle avait l’impression que, si elle touchait la peau de la Marchombre, celle-ci sursauterait dans l’instant, les nerfs à vif, alors que le Maitre qu’elle connaissait ne se serait jamais laissé surprendre… Cette épreuve était plus dure pour elle que ne l’avait d’abord pensé Elera. Combien de temps s’était-il écoulé depuis le dernier passage d’Ena dans son village ? Depuis quand n’avait-elle pas vu le visage de sa famille ? Elle sentit bien que quelque chose n’allait pas lorsque ce fut un petit garçon qui leur ouvrit la porte. 10 ans. Si Ena ne le connaissait pas, le temps écoulé depuis qu’elle ait quitté son foyer était plus long qu’elle ne l’avait d’abord imaginé… Cela n’aurait pas dû l’étonner, pourtant. Au moins 4 ans qu’elle était à l’Académie. Et puis il y avait Anael… Anael, qui devait être à peine plus jeune que le petit garçon. Dix ans, douze, quinze qu’elle était partie ? Elera laissa l’interrogation sans réponse voler dans l’air, et entra à la suite de la marchombre, la suivant dans l’entrée vers la prochaine pièce.

Et tressaillit aux mots de la vieille femme, ses yeux se fermant une seconde avant de se rouvrir immédiatement. Ses parents ne la reconnaissaient pas. Et Elera ne pouvait qu’imaginer le coup brutal que cela devait être pour Ena… Même les parents d’Elera, qui ne l’avaient pas vu depuis sa jeune enfance, l’avait reconnu – bien sûr, il n’y avait pas beaucoup de jumelles rousses qui pouvaient vouloir les retrouver dans leur prison végétale, mais… Elera faillit marcher à nouveau vers la Marchombre, faire quelque chose, n’importe quoi. Mais Ena devait faire face à son passé, et ce n’était pas à Elera de leur apprendre à qui ils faisaient face… Alors elle resta calme, puisque c’était le seul encouragement qu’elle pouvait lui donner. Le silence tomba sur la maison, les petits bruits devenant soudain assourdissants. La cuillère sur la tasse, le grincement de la chaise alors que le petit garçon s’asseyait, et le bruissement du sable qui coulait dans un sablier, sur le comptoir. Quelque part dans le jardin, des insectes crissaient en cœur. Mais ce fut les pas qu’Elera entendit, alors qu’Ena était concentrée sur ses parents, sûrement à chercher les mots qu’elle devait prononcer. Il y avait une autre femme dans la maison. Elera s’éloigna de l’embrassure de la porte d’un pas sur le côté littéralement, pas besoin de te faire un Dessin , laissant le passage libre.

Et le moment fut brisé, pour laisser la place à ce qu’Ena était venu chercher. Un doux sourire apparut sur les lèvres d’Elera, qui finit enfin par relâcher sa vigilance ; à présent, elle n’avait plus peur pour Ena… Elle se fit discrète, gardant les yeux sur l’enfant pendant qu’Ena était à ses retrouvailles, lui faisant les gros yeux, des clins d’œil et autres grimaces pour lui faire penser à autre chose, lui qui avait l’air si perdu par les réactions de ses proches. Il lui répondit timidement d’abord, puis avec un peu plus de bonne volonté… Ils arrêtèrent d’un même accord lorsque l’attention se retourna vers lui, et il fit un instant semblant d’avoir été sage tout le temps. Elera laissa un sourire lui échapper, avant que l’attention ne se tourne sur elle, maintenant, et que les présentations soient faites.

Ancienne apprentie.

Alors oui, c’était fini. Oui, elle était Marchombre… Elle ne savait pas exactement quand le changement s’était fait. A l’Ahn-Ju ? Au Rentaï ? Après la rencontre de ses parents, lorsqu’Ena lui avait dit de la tutoyer ? Quelque part après, pendant le voyage, à leur arrivée ? Ou simplement à l’instant, alors qu’Ena énonçait expressément cette vérité pour la première fois, la fierté brillant dans ses yeux ? Elle ne savait pas. Et cela n’avait pas d’importance, finalement. Rien n’avait changé…

Ou plutôt, si.

Un jour, elle s’était plainte de ne rien savoir d’Ena, de sa réserve et de ses silences. Elle avait ressenti le fait de suivre quelqu’un dont elle ne savait rien… Ena lui avait ouvert la porte. Elle connaissait Anael, Irae, ses parents, avait découvert Jelan en même temps qu’elle, avait découvert son passé alors qu’Ena renouait les liens du sang. Elles avaient partagé leurs vies, écoutant chacune l’autre raconter sa vie à un autre, et partager les confidences entre toits et ciels. Et maintenant, elles quittaient le petit havre de paix qu’était le lieu de l’enfance d’Ena, ensemble, encore et toujours. Finalement, être Marchombre n’était pas une fin en soit…

Elles marchèrent en silence, d’abord, chacune emplie des derniers moments, de leurs impressions, incapable de penser à autre chose ou de se concentrer sur le futur, le présent, ou autre chose que le passé récent. C’est Jelan qui lui manquerait le plus… Pourtant, lorsqu’elle parla, ce ne fut ni pour poser de nouvelles questions à Ena, ni pour lui faire part de ses impressions.

- Merci, Ena.

Lors de leur première rencontre, Elera lui avait offert un poème, un poème de remerciement pour le temps qu’elle avait accepté de lui offrir. Les mots étaient toujours tellement vrais, même après tout ce temps… Ils ne perdaient pas de leur valeur, comme ceux prononcés par le père d’Ena n’avait pas été moins vrais après près de 15 ans. Alors au moment où les murailles lointaines de l’Académie apparurent à l’horizon, elle attrapa une branchette pour les retracer sur la terre.

Offre de temps
Volonté
Remerciement

Ils semblaient simples, tellement simples comparés à ce qu’elles avaient été, à ce qu’elle ressentait à présent. Et elle était allée tellement loin, depuis… Alors elle continua, d’autres mots, d’autres pensées. Bonheur, pour les instants que le temps ne reprendra pas. Respect, pour les rayons volés au soleil. Patience, pour les corps immobiles qui faisaient face aux braises et aux échecs, pour tendre vers la réussite. Partage épuré, pour les regards où dansait le monde.

Comme deux miroirs parallèles
Renvoyant une myriade d’images jumelles
L’écho d’une gratitude infinie qui résonne sous chacun de mes pas.

Elles étaient arrivées. Et elles avaient réussies...

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Il se peut bien que tu regrettes, cette soif de liberté [Terminé]
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