Marquer tous les forums
comme lus

Sujets actifs du jour
Voir les nouveaux
messages depuis
votre dernière
visite
AccueilGinetteL'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé]
AccueilRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion


Forum RPG Ewilan école Merwyn RP Ellana Edwin Merwyn Vivyan Ts'Liches Marchombre Al-Poll All-Jeit Dessin Académie jdr Poésie RPG école médiéval fantasy Bottero jeu de rôle jeux de rôle RP forum quête monde salim duom
 
Le Deal du moment : -50%
-50% Baskets Nike Air Huarache
Voir le deal
64.99 €

Partagez
 

 L'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Alasa
Alasa

Messages : 474
Inscription le : 21/04/2007
Age IRL : 94


MessageSujet: L'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé]   L'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé] Icon_minitimeSam 23 Mar 2013 - 20:56

[Lieu random, sous le saint patronage des Dames. Si problème ou obscurités, mp. o/(le "ou" est inclusif)]


Tout était d'une clarté.

Des angles séparant les murs ;  obtusément tracer la ligne d'horizon ; avec quelle intensité ciseler les ombres ; l'acuité des minutes exquises ; finesse d'un drap en accrocs ; comme les pavés précisément équidistants ; ce luxe de justesses ; réfractant sur le verre ; mais quelle pénétration ; je claque au millimètre ; graduations d'estomac ; les rayons décapants ;

Que sais-tu faire ? avait dit l'homme.
Cligner des yeux.
Mais c'était déjà trop.

Elle était une peau tannée clouée à son cadre. Son cerveau colmatait les fissures du décor ; puis, elle, qu'une ligne parmi d'autres. De fuite, gravée. Avec quelle rigueur, écorchée, sa géométrie. Mais pas de pulvérulence. Rien qui s'égarât au-delà de son aire, des droites qui la traçaient. Parfois c'était comme une conscience, tendue de pouvoir se délimiter, de tâter le petit infini de ses bords. Assez saillante pour ne s'y pas noyer. Encadrer, donc, concentrer la pointe en laissant le reste instiller les choses. Elle était. Le concevoir, trop absolu pour concéder quelque strie au reste. On se penchait sur elle, rien n'importait. Il y avait des. Et elle, quadrillée d'essence, accrochée à ce point unique qui dépendît d'elle-même, c'est-à-dire à cette, oui, cette pensée, c'est-à-dire elle-même. Immobile, fixer le centre et l'axe. Dans une affirmation sans bornes. On se penchait sur elle. Mais la mort du temps effaçait tout mouvement. Aussi cet éclat ne put-il qu'égaler la réalité même. Et d'un plus un faire un. Moi, coma de chiffres.

Ils ne vinrent pourtant qu'après le 'parfois', lorsque excès de conscience il n'y eut plus. Elle était une peau tannée. Croyait dessinée la douleur de ses arêtes en simple contact avec le sol. Cette douleur esquissait le sol. La couleur d'une surface tranchante, tout, les correspondances non plus secrètes entre les creux pleins de vide. Monde si finement emboîté.
Pourtant, la raideur de ces angles cassés enclenchait des tics-tacs optiques.
Et tout se démarquait.
L'obscurité même ! sans nuances ; la lumière débitrice vous constelle de bosses ; à ses préciosités, on devine dans les formes des qualités ; comme matières ; des sommets vertigineux ; en perspective, distances.

Mais que faire de ce- si dense ?

Elle respirait, signifièrent les barreaux d'une cage qui foraient la peau qui les incarcérait.
Et plus la souffrance pointillait ses limites, plus elle cartographiait l'étendue.

Si les lueurs creusaient ses pommettes, si cet entrelacs d'elle se réglait ici même, s'il était parallèle aux murs, distant pourtant,
Ce n'était pas un rêve.

Donc, c'était déjà quelque chose.
Il y en avait eu, des rêves. À commencer par celui qui vous triture obligeamment lorsqu'il est séant d'expirer. Et que l'on vous rattrape à temps. Passe alors dans vos viscères comme un long courant d'eau, les dégâts filent, et avec eux les repères des parcelles de vous qui les contenaient peu. Sans résistance,
dans un long apaisement de tous les sens ; à ce moment-là on hésite à partir avec eux, puisque ne reposant plus sur rien. Vient l'araignée des Spires pour vous sucer la tête, c'est bien vous qui songez, ils lèchent jusqu'à ce nom. Ils enclenchent et déclenchent le cliquetis compact qui carcasse le corps, vous incitent à l'éveil. Lorsqu'on distingue la douleur, on est sauvé, peut-être.

Au début, elle avait fait comme d'habitude.

Mais c'est plus l'été. Mais tout s'amalgame. Peut-être, le corps, il en a marre.
Charmant l'habileté du croquant alavirien à vous empêcher de tourner en rond, à plus forte raison de rester dans le coin lorsque vous guignez un peu ses bêtes. Voire, à vous chasser des étables à coups de fourche. Le croquant n'a pas grand-chose, mais, ailleurs, c'est trop risqué. Elle avait fini par éviter les fermes, en sachant confusément que, sans ce recours, demain serait délicat. Mais ses gestes s’appesantissaient, elle clopinait avec emphase, une chaleur strangulatoire la glaçait. Sans poignard, pas la peine d'espérer, enfin, sans muscles. Puis les racines, de Niam, de n'importe quoi, les brindilles plus ou moins agrémentées d'insectes, ça calme cinq minutes. Avec un peu d'imagination. Plus le luxe d'en avoir, le crâne tempétueux de sucs digestifs qui exigent de quoi dissoudre. Puisque l'estomac déjà bien consumé n'assumait plus ce rôle.

A vagabonder, à somnoler d'un œil sous celui placide des constellations (joli spectacle), on développe une certaine résistance. A l'égard du froid, de l'humidité, des petits désagréments quotidiens, tels l'eau croupie ou les plantes vaguement toxiques. On développe certaines maladies, aussi, des incontournables aux plus patientes, en passant par les ridicules qui vous ficheraient en l'air sous prétexte que votre immunité s'est fait la belle. Infections éclectiques, siffloïdie, plaies mal cicatrisées, dysenteries à vous dessécher, fièvre pour flouer le tout ; déjà, l'emprise doucereuse d'une pneumonie bâtarde, ou d'une tuberculose..
De guerre lasse, elle rôdait près des chemins. De loin, sa silhouette brouillonnement alerte était celle d'une vieille, jaunie et décharnée. De près, les traits très épurés du visage, comme creusés en vertu des yeux, exhibaient une jeunesse aiguë.
Les pupilles fébriles s'usaient en convulsions, au bout du cou à crans d'arrêt.
Cardiaque.

Et cette difformité, les jambes, le torse comme des bras, faisait un effet fantastique sur le gris du décor. On eût dit un phasme mal masqué, dont les longueurs comiques rappelaient l'automate. Les articulations, métal ou bois, ne sont qu'attributs mécaniques dont le mouvement nu étonne, comme si honteusement il étalait au jour son armature médiocre et non habillée, comme s'il s'estimait autorisé à être en vie sans elle -incroyable distraction ! Peut-être cet aspect circassien motiva-t-il le montreur de phénomènes qui la ramassa, par une belle après-midi indéterminée. Son chariot abritait assez peu de spécimens pour qu'il ne soit pas fourni en femme / fille sauvage. L'état plutôt déplorable de l'échantillon lui interdit d'opposer au bonhomme les objections convaincantes, quoique violentes, qui eussent néanmoins convenu au rôle. Cette parenthèse ludique fut de courte durée: elle toussait, trop, il se méfia, et, sagement, jugea plus opportun de ne pas risquer sa santé et celle des éléments sainement monstrueux pour une attraction supplémentaire. Elle gagna "ailleurs", avec l'obsession maintenant de marcher pour ne pas s'arrêter, et il ne lui semblait pas avoir jamais cessé, s'il le fallait somnambule.

On se penchait. Des autres battaient leurs ailes de furies aux vantaux de l'estomac. Ils voulaient entrer. Ils envoyaient, éclaireurs, des filaments de radicelles qui la prenaient comme un cancer. Qui cherchaient certainement à attaquer cette déliquescence organique et nerveuse, peut-être cérébrale, qui la pourrissait. Alors, elle enlaçait serré sa destruction, car s'ils la lui ôtaient, elle clamserait, sûr. Elle battait furieusement du pouls, grand grand écho dans tout elle, sourde à tout ce qu'on n'ôtait pas d'elle, propice à leur refuser l'invasion. Ce n'était pas un rêve. Il se déroulait pourtant; elle perdit ce drap de fer avec la dernière volonté. Alors, lâchant enfin, elle sombra dans la ténèbre de ses nucléoles, à en avoir la nausée et d'autres choses avec, à n'éprouver rien que la probabilité. Un néant: pile, face: un p'tit tour. Bâtir les nervures des tortures à venir, qu'il serait délicieux d'éprouver, prouver, que rien n'est foutu. Ce fut loin d'être délicieux; plutôt comme si les Spires en sang bleu avaient pris l'aspect de veines, et avaient lancé ce réseau dans ses membres, en dépiautant la peau pour que cette greffe affreuse germe sur la chair à vif. Il lui semblait se tordre, contorsiomentalement, pas même pour échapper à ces découplements hideux, plutôt aimantéecrasée par les pôles inverses que fouaillait l'autre dimension.
Ce n'était pas son rêve. Ici, elle ne respirait pas.
Et toujours, l'organe qui quêtait l'oxygène: l'estomac.

Ils la soignèrent au mieux. Une fois, elle perçut quelque chose comme de très blanc, un tremblement qui tombait et l'enveloppait d'un son, d'un seul. Ses entrailles se révulsèrent, à commencer par les yeux. Dans un niveau de réalité qu'elle n'atteignait pas, la toux avait cessé, et d'autres processus un peu plus utiles. Chez elle, au fond des cellules, elle attendait. Le trait passa. Soudain ils furent là, elle leur ouvrit grand l'esprit pour se laisser arracher au sommeil -et un peu les nerfs, sembla-t-il. A la longue, la douleur même s'assoupit; ces bulles extérieures, ces tressages spirituels venaient se poser sur ses germes. Elle ne les surveillait plus, elle voguait dans un bocal bizarrement mathématique. Aussi finirent-ils par s'incorporer à ce corps étranger. C'est ce qu'elle crut, du moins: pas de Spires, pas de rêveurs, pas vraiment d'elle, juste tout, et quelque chose qui, à défaut de se réparer, se vide.
Pour quel vertige.

Id est tout était clair. Dans cette pièce d'une confrérie anonyme où s'exerçait une reprise de conscience. La coïncidence avec le réel. Mais, la division des différents corps. Moi dans ma tête et dans l'espace. Les ombres en rayons. Les rayures, sur le plancher. Ma.. main ? sur le tissu. Tellement de restes encore. Les angles des murs.

Était-ce déjà de la mémoire ?

Car, indéniablement, maintenant était plus tard.
Pas lorsque l'univers, ou, modestement, les éléments de la scène avaient décidé chacun d'être un. Félons et labiles, promenant la menace de leur fissilité.
Pas lorsqu'elle avait tenté d'établir ce qui ici était sien, que le ciel tellement partout l'avait ramenée à terre.
Pas lorsqu'on se penchait sur ses dents qui claquaient comme ça, qu'on bourdonnait. Qu'elle saisissait, parfois, une intonation, une fois la peur du vivant écartée.
Que de beaux 'lorsque', presque intègres.

Ce soir, c'était la nuit. Elle s'enroula sans efforts dans un sommeil piqueté d'éveils. Vers profondeurs insoupçonnées. Le chef pesant pesa: cap au plus plombant. Paupières détendues, muscles verrouillés, os calmes, reliefs cuirassés de drap, respiration régulière. Pas un souffle devant.

Ce n'était plus un rêve. Elle y marcha. Le grand ciel se découpait sur les branches. Ton mélancolie. Couleur des plus insincères. Dans l'air, elle chercha celle de l'ombre, qui du moins dégradait le soleil. Était bien, plus loin, une blancheur un peu caduque, assez artificielle, comme crayeusement plaquée toujours dans l'angle mort. Il faisait faim. Les herbacées décalcomaniaques avaient des circonvolutions cérébrales.
Une forme troua l'espace, liévroïde, sans méfiance elle s'y précipita mais ses doigts n'attachèrent qu'un collet au vide. Son champ de vision contaminait les simulacres, si bien qu'elle eut des yeux partout, et rien pour être sûre. Des mains poussaient au pied des arbres, leurs griffes, leur pelage formaient de petites feuilles liquides. Précisément la terre s'imprimait dans ses genoux, où était donc la bestiole ? Elle gripsa un caillot de terre donc l'aspect lui parut graineux; lorsqu'elle referma la mâchoire, son nez capta une odeur de sang, c'était un caillou qu'elle mâchait.
Que ses pieds fussent ainsi en contact avec le sol lui apparut soudain intolérable, tant ils semblaient liés aux dents. Ils décuplaient une faim stupide; rien ne bougeait du ciel, le grand immobile soulignait un sentier de menaces. Elle courut. Les pieds bourdonnaient. Elle reconnut leur intonation, ils n'étaient pas d'accord. « Faim », disait-elle, « Protestation », ils. Ses dents grinçaient à chaque enjambée, des pupilles battaient comme des plaies et voulaient s'ouvrir jusqu'à l'émail de ce décor. Il fallait éloigner ces pieds du sentier, que ne le savaient-ils. « Protestation !»
«Faim !» « Protes-tation !»
Effilochés
Les langues de tertres
S'attachaient quand même
Entre eux.
Elle ne courait pas, ses pieds s'ouvraient pour piailler leur éternelle posture, « Protestation ! Protestation !», elle s'en débarrassa. Aimantés par le faux plafond céleste, ils la poursuivirent de leurs stridulations vengeresses. Mais elle arrivait au bout de la forêt, où des arbres flottaient sans le sol, le noir du fond emportait tout le reste. Leurs tentacules paresseusement ondulent.
Les pieds volants se firent plus féroces, ils étaient une famine personnifiée, ils allongèrent vers elle ses propres orteils. Elle les considéra: les phalanges guerrières tiraient, s'affinaient, jusqu'à ce que les os émissent des claquement concertés, que la peau pelât; alors les ongles, verdis, prirent le relais, crûrent en écailles puis en spirales prêtes à forer. Deux lièvres trouaient le noir. Elle continua vers eux.
La lame à plat d'un poignard s'appliqua à ses chevilles alors qu'elle cherchait un appui, pour ne pas trop tomber. Elle se dupliqua, ou fut ici de toute éternité, la ligne de lames. Un sentier de naguère. Elle passait au flanc de tentacules arborescentes, au mouvement blafard ; les couteaux la portaient.
Brusquement tous se serrèrent.
L'obscurité faisait des murs. Une froideur bâtie, substantielle. Les surins tintaient sur les marches, crépitant d'étincelles sonores. Mates. Il n'y en avait plus que deux, ses pieds. Un estomac d'acier. Elle escalada l'escalier. Et là, sur un palier, une lueur qui vous retarde. Cela émane de rien. Cela est blond, translucide. C'est une lumière glacée, à l'état solide.
L'escalier montait encore mais elle ne pouvait plus le suivre. Il la distança. Alors, elle fut fixée par le halo.
Elle se vit en surimpression, qui déchirait les pattes du lièvre, les bonnes gouttes que goûtait son menton, le ton groseille sur ses dents closes ; les mains, tordues, autour du cou.
Trop tôt.
La lueur l'escaladait enfin. Le soulagement, peut-être, fut supérieur à la crainte. Cela la gondolait, la parallélisait, lui faisait des arêtes stables, un évanouissement oculaire. Tête dans les entrailles, elle regarda le franchement jaune s'établir dans les circonvolutions des viscères sans vers, et comme tout  se plénifiait, s'ancrait à son passage. Un vrai saccage.
Des figures joignaient leurs lames pour former les murs. Elle se tendit dans son carnage, statuée dans une rêvalité conditionnelle. Dans cette lumière de verre jetée par le marchand de sabres mouvants.
Que les sables l'emportent ! Celle de l'escalier était peut-être ouverte.
Ou de son machin
Communément
Désigné comme
Esprit ?
Non, la place est libre.
C'est ce qu'elle dut signifier, par habitude. L'importun sans attendre était là, comme autre esprit – frappeur. Il n'était pas rêveur. Mais il apportait une in-spire-ation. N'était-il pas rêveur ? Sa présence insensible peu à peu décelable ; on instillait la logique d'un autre désordre. Le songe se débattit au bout de l'hameçon spiral, mais qui s'y était accroché le plus fort ?
Trop tard
Pour exclure ce qui déjà évoluait en elle. Cela perturba quelque peu la lumière, caramélisée. Les brûlures s'étendaient sur les tons des figures. Distillaient le venin, chimique réaction à d'autres composés. Les bulles, qui gloussent. La fume qui regarde.

Et les poissons ferrés, bourlingueurs de l'acide, fouettés par Dame octopus. C'était un rêve, qu'importe.


Soren Til' Alavir
Soren Til' Alavir

Messages : 12
Inscription le : 25/01/2013

MessageSujet: Re: L'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé]   L'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé] Icon_minitimeVen 10 Mai 2013 - 15:13

[En fait, je m'excuse d'avance, mais pas pour ça.]

La chaîne, si souvent collée à sa peau qu’il ne la sentait même plus, passa délicatement au-dessus de sa tête, brushant au passage sa chevelure brune. Il la fit glisser au creux de sa paume, lentement, en regardant l’entrelacs d’argent se ramasser sur lui-même comme un serpent, avant d’y poser le flacon qui lui servait de pendentif. Sortant ensuite un mouchoir en tissu bleu clair et finement brodé de la poche intérieure de sa veste, il y enfouillât le bijou, avant de cacher le mouchoir au fond de sa botte gauche.

Ce soir, pas de protection.

Se glissant entre les couvertures, il posa la tête sur l’oreiller – sachant très bien ce qui l’attendait une fois les yeux fermés.

Soren n’avait jamais eu le moindre mal à s’endormir. Il ne connaissait pas les insomnies, et pouvait s’endormir n’importe où et n’importe quand. Dans les chariots qui bercent, au soleil d’après-midi, debout ou assis dans un fauteuil au coin du feu, petit dans les bras de sa mère, pour le temps d’un sablier ou celui d’une nuit entière… Enfant, sa mère n’avait même pas besoin de se battre pour qu’il fasse la sieste ; il la faisait tout seul, comme un petit. Certains sont tirés par la réalité, qui les hante et leurs retire le sommeil ; lui était complètement attiré par le monde de Morphée.

Ce qui ne signifiait pas qu’il se réveillait toujours reposé, bien au contraire. Ses nuits étaient d’une obscurité réconfortante, lorsqu’il portait le pendentif, et il n’en gardait jamais aucun souvenir, les yeux vides de toute trace de cernes. Lorsqu’il l’enlevait cependant – alors les Spires Nocturnes, comme il aimait à les appeler, l’attiraient comme le miel l’abeille, la flamme le papillon. Il espérait que sa crise de somnambulisme – il en faisait systématiquement – ne causerait pas de problèmes à ses camarades, et il bénit la Dame et l’Intendant de l’avoir envoyé au sous-sol des Teylus, ce qui était nettement moins dangereux pour lui, dans un endroit où les précautions auxquelles était habituée sa famille n’étaient pas prises. Mais déjà Elles l’appelaient – et il tomba dans leurs bras dans le chaos des dernières pensées.

Il fit d’abord son rêve. Le rêve de marcher, ou flotter, parce qu’il se déplaçait sans avoir l’impression d’avoir de pieds, sur les toits, avec un filet à papillons. Il savait que c’était son rêve, parce que c’était le seul rêve où il n’y avait personne, ou il se sentait calme, paisible, pas du tout observé, pas du tout observateur, pas d’interaction, le calme, total. C’était lui, mais ce n’était pas lui – d’abord, parce que le point de vue était trop haut par rapport à sa perspective habituelle, comme s’il faisait deux mètres, là-bas, que son corps prenait plus de place, mais sans vraiment de consistance. Il se voyait de l’extérieur en même temps que de se ressentir de l’intérieur – il voyait un jeune homme à la chevelure blanche, plus courte que la sienne, en vêtements de navigateur, ça sentait le sel, et il ne se ressemblait pas, ce n’était pas vraiment lui, et pourtant il savait qui il était. Ça sentait lui. C’était son rêve – pas celui d’un autre. Parfois, il entendait une voix, qui appelait dans un murmure : « Irwin ! » Mais il ne savait pas d’où venait la voix, et il n’avait jamais eu l’idée de la chercher. L’albino des mers sautillait pour mettre dans son filet des aurores boréales, des serpents de couleurs qui se déplaçaient tout autour de lui, alors il sautait pour en effleurer un, et à la place, la gravité se retournait dans son sommeil et il tombait vers le ciel étoilé.

Après ce n’était plus son crâne ; c’était la Mer, c’étaient les astres lactescents, c’étaient les Spires Nocturnes et ça brillait de partout.

Avant, il flottait là-dedans au hasard, et il était happé par un trou noir ou un autre. C’était tellement difficile, ici, de garder la moindre pensée cohérente – ça partait dans tous les sens, et il y avait des images dans les étoiles.

C’était sa grand-mère qui lui avait appris à nager.

Alors il la chercha – physiquement, sur une carte, elle se trouvait près du Lac Chen, mais il n’arrivait pas à visualiser de carte, dans sa tête, s’il ne l’avait pas devant lui, ça se tordait comme un tableau d’arque Vador Sil’ Dalí, à la place il voyait les montagnes gonfler et prendre du relief, et puis des lieux entiers, et les voiliers sur le lac, et puis l’odeur de sa grand-mère, l’odeur des huiles essentielles dérivées du lac, de ses sels de bain, de la vieillesse aussi, mais tamisée dans les douceurs, il y avait des dragées aussi mais il ne comprenait pas pourquoi. Unelma était là.

« Irwin »

C’était seulement à ce moment-là qu’il comprenait que c’était sa voix qui l’appelait. Il trouvait ça étrange, d’ailleurs, parce qu’elle savait bien qu’il ne s’appelait pas Irwin, non ? Il faudrait qu’il se souvienne de le lui demander, mais il avait déjà oublié.

Il avait envie de lui dire quelque chose, mais il ne parlait pas, dans les rêves, il pensait, et il n’avait pas de pensée assez précise à lui projeter, c’était tout confus, sans mot, d’ailleurs, il n’avait pas de tête non plus. Et elle ? Il savait qu’elle était là, mais il ne savait pas où non plus. Il était sur un pont, maintenant, avec un pirate au gouvernail. Question – et maintenant, on fait quoi ?

C’était toujours ainsi ; ils se cherchaient, et puis Unelma l’aidait à mieux comprendre cet univers étrange dans lequel ils se retrouvaient.

Tiens, ça sentait le brûlé.

Ah ben c’est normal, le bateau prenait feu. Soren voulut se pencher par-dessus bord pour prendre de l’eau et l’éteindre, mais l’eau était beaucoup trop loin, il aurait eu besoin d’un télescope pour la voir. Une main se posa sur son épaule, il se retourna, et il y avait la tête du pirate, avec un énorme sourire de dents pourries, qui se penchait sur lui. Ce ne sont pas des mots, son sourire est figé et se noie dans son verre ou bien dans le soleil, était-ce plutôt du sang ? Juste des pensées, des pensées qui éclatent dans sa tête, une envie destructrice, et puis une peur, et puis une indifférence moqueuse, peu importe, il peut mettre des mots mais ce ne sont pas des mots.

“Let it burn!”

“But we’re all going to die!”


“So what? Haven’t you noticed that it doesn’t matter? You will just wake up somewhere else anyway.”

“Where is Unelma?”


“I guess she woke up.”

He could feel she was gone. There was no Unelma anywhere. He tried to figure out in whose dream he was – was the pirate real, or a simple projection of the self? Whose? His? Or Unelma’s? She’d tried to teach him to make the difference between the being and the dream – but he still couldn’t quite figure it out. Maybe he was real. Maybe not. Reality had a weird sense of irony here anyway, and he soon gave up. The deck crépitait under the fire, and broke in two under his feet. The boat sank ; he did too. That was okay; he wouldn’t drown, since the water was so far away anyway, just fall, fall, fall, fall, fall, faaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa…

Oh, light. Licht. Schönes, schönes Licht. Komm zu mir, oder ich komme zu dir, irgendwie*…

Pop !

Comme du champagne.

Il était enveloppé de vent et de lumière. Il fallait bien qu’il se raccroche quelque part, s’il ne voulait pas tomber indéfiniment, alors, plutôt que de laisser quelqu’un l’appeler dans son rêve, c’est lui qui avait demandé à entrer quelque part. Tap-tap. Comme une main qui tambourine sur le muret pour faire signe de s’asseoir à côté. Sauf qu’il n’y avait pas de muret.

C’était bizarre, d’entrer dans le rêve de quelqu’un, parce que déjà, on ne savait pas toujours qui était le quelqu’un, et qu’au début, comme on s’attendait toujours à voir les images de son soi, elles se kaléidoscopaient avec les images de l’autre, et ils étaient dans le même rêve, mais ne voyaient pas forcément la même chose. C’était tout tordu, avant que la mise au point ne se fasse.

Et parce qu’il n’était pas chez lui, qu’il écoutait aux portes, les impressions s’imprimaient. Il sut plein de choses d’un coup. Il sut, surtout, qu’il avait faim, vraiment très, très, faim. Son corps allait mourir. Les Spires, étendues en elle, l’avaient sauvé. Et son esprit ? Il était incertain, son esprit ; mais il s’étendait dans d’autres Spires, maintenant. Et puis Faim. Il y avait une fille, devant lui, sauvageonne, qui bouffait son lièvre. Etait-ce elle ? Ou une projection ? Comme le pirate, il ne savait pas. Répondrait-elle s’il lui parlait ? Unelma lui avait dit : écoute. C’est leur rêve. C’est tout eux. Mais ce n’est pas tout eux. Parce que si tu arrives dans un rêve ou un animal empaillé course quelqu’un, c’est plus simple, quand même, de savoir si le songeur se sent proie et est coursé par lui-même, ou s’il essaie d’attraper quelque chose. Au moins pour savoir dans quoi on s’est fourré. La conscience, le regard est quelque part, ou à plusieurs quelques parts, et si tu veux communiquer, il va bien falloir le trouver. Sinon, tu peux aussi te balader au milieu des ectoplasmes et puis rentrer chez toi quand t’en as marre, ça marche aussi – mais Unelma avait tendance à dire qu’être attrapeur de songes, ce n’était pas juste attraper des songes, ce n’était pas un terrain de jeu avec des châteaux gonflés et des ballons gonflés à l’hélium. Si on est appelé, c’est pour une raison, c’est que l’on peut changer quelque chose, et c’est toute une responsabilité. Un bon attrapeur de songes ne vole pas les rêves – il les offre. Reach for the moon… Land in the stars. Et puis c’est dangereux, de parler aux projections – quelles idées tu peux foutre dans un inconscient. Mieux valait parler au niveau de conscience du dessus. C’est seulement là que les pensées pouvaient se joindre, se tordre. Mais pour ça il faut l’identifier. Et pour l’identifier il faut comprendre ce qu’il veut.

Pensée rapide et évidente – c’était la faim qui était partout, alors, soudain, les arbres mous se barbapapèrent, les escaliers se caramélisèrent, il y avait du chocolat sur les branches et des choux qui poussaient partout. Des choux, pâtissiers, avec de la crème vanille dedans, même si on ne la voit pas, on le savait parfaitement. Arc-en-ciel finissant dans des pots de pièces en chocolat. Odeur entêtante de sucre à donner le tournis.

Et puis ce fut l’apocalypse.

GRMMMMMMMMMMMMMMBLLLLLLLLLLLLLLEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE

Deux pieds. Deux pieds géants avec des bouches et des dents très très très pointues sous les orteils, bouche-trou béant où ils pourraient s’en mal être engloutis. Ils, c’est lui et la fille avec son lièvre. Le lièvre, lui, venait de lui sauter des mains, et de s’enfuir sans pattes et sans demander son reste. Ils n’allaient même pas pouvoir garder de patte de lapin pour se porter chance, elle n’en avait pas laissé un poil. Peut-être que la conscience de l’autre était dans le lièvre.

En tout cas, les pieds étaient bien trop effrayants pour rester là sans rien bouger, alors il se retourna pour fuir en grimpant les escaliers. Les escaliers sont en caramel. Le caramel, ça glisse, et il avait beau courir, il n’avançait pas. En fait, non, ça colle. C’est malin, ça, il était tout empêtré. Et la fille ? La fille n’avait pas de pieds, alors elle pouvait partir. Les marches avaient coulées, ça faisait comme un toboggan, et il la vit descendre, et s’évanouir en bas. Apparemment, elle n’était pas réelle. Remarque, lui non plus, alors ce n'était pas bien grave. Il leva la tête vers s/l-es pieds, qui, bientôt, l’écrasèrent, alors qu’il finissait englouti dans leur bouche. Tant pis. D’ailleurs, il n’était déjà plus là-bas. Il lui tenait la main. A qui ? Il lui tenait la main, et ils courraient tous les deux. Elle trébucha. Alors il passa un bras autour de sa taille, un autre en dessous des genoux, et il la porta, protecteur. Ils courraient.

Derrière eux, la voix d’une sirène : Ne te retourne pas…

Il ne se retourna pas. Il avait l’impression que, s’ils s’arrêtaient, même un instant – all hell will break loose.


*Lumière. Jolie, jolie lumière. Viens à moi, ou bien je viens à toi, n’importe…


 
L'Ecoute-aux-portes (Kierkegaard) [Inachevé]
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

 Sujets similaires
-
» Portes d'entrée
» Clouer des portes, s'emprisonner [Terminé]
» Un pas de plus (RP inachevé)
» Oh non... (RP inachevé)
» La rencontre (RP inachevé)

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
L'Académie de Merwyn :: L'Empire de Gwendalavir :: La cité d'Al-Chen et ses environs :: Le Lac Chen-