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| Sujet: Re: L'invitation du Seigneur Hil' Muran [Terminé] Lun 4 Mar 2013 - 21:24 | | | Le vieux Til’ Lisan ballotait parfois sa tête de gauche à droite dans son sommeil, en murmurant des mots inintelligibles. Coincée par les conventions, incapable de fuir par pas sur le côté, Sareyn contemplait les possibles. Elle avait vu, du coin de l’œil, le Zil’ Urain partir, bras dessus bras dessous, quelques minutes auparavant, prétextant sans doute ce qui venait de se passer, sans un regard, sans qu’il lui soit seulement possible de communiquer avec lui par les Spires. Mil’Sha était hors de vue. Sans doute parti lui aussi. Si seulement elle pouvait le coincer dans un couloir sombre, ou même avant qu’il ne se cloître à nouveau dans le Nord… Elle n’en aurait laissé que les os, en petites esquilles toutes fines. Tout ceci était de sa faute de ce jeune homme aux yeux si proches des siens, et qui débitait ses mensonges par centaines…
Mais il fallait sourire, aborder un visage tiré, et inquiet, et fautif, pencher le menton quand elle regardait « Père », oublier qu’elle se trouvait seule, entourée de gens qui avaient peut-être vu l’étendue de son immense pouvoir. Elle n’attendait qu’une chose, retourner se terrer dans le manoir d’Al-Vor, prétexter la maladie de Père pour prendre congé de l’Académie, et que son amant lui pardonne, que rien ne soit brisé, tout expliqué, et que Mil’ Sha paie. Sûrement, dans quelques jours, ce serait le cas, il suffirait de faire profil bas pendant quelques temps et tout serait réglé. En attendant…
- Bien sûr, prenez place… Père a juste besoin d’un peu de repos, termina-t-elle en pressant une dernière fois la main du barbon avant de s’installer en face de la dessinatrice.
Ciléa Ril’ Morienval. Pas grand-chose sur elle, sinon que sa famille avait été décimée par des Mercenaires, sans doute les réseaux de l’ombre avaient du s’agiter en la voyant réapparaitre au monde, lorsqu’elle était apparue à l’Académie de Merwyn. Un pouvoir précieux, disait-on. Un port d’autant plus précieux, jugea-t-elle en regardant ses mains gracieuses saisir les pièces comme si elles étaient en verre, son menton toujours un peu relevé, et cette manière qu’elle avait de poser les yeux sur elle derrière de longs cils affectés. A se demander ce qu’une noble aussi insupportable pouvait faire si loin dans le Nord sans créer de scandales. Elle était venue de l’Académie de Merwyn avec ce Lev Mil’Sha et avait manifesté suffisamment d’autorité pour prendre la responsabilité de ses actes devant le Seigneur Hil’ Muran… Peut-être qu’elle pourrait en obtenir des informations sans paraître trop indiscrète. Après tout, il était logique que l’on cherche à en savoir plus sur la personne qui avait attenté à votre vertu.
L’Eljod. Marlyn n’en connaissait pas les règles. Juste, quelques vagues souvenirs, très, très lointains, peut-être même dans les couloirs de l’Académie, quand on s’étonnait que des rustres s’amusent à jouer au Hamân-Lo mais ne connaissaient pas le principe, pourtant simple de l’Eljod. Le sourcil froncé, Sareyn observa la disposition des pièces au fur et à mesure que Ciléa les plaçait sur la table. Le damier était symétrique, et parfaitement aligné, on y plaçait des pièces plus petites en première ligne, et chaque pièce avait en miroir son emplacement précis. Comme deux rangées avant une bataille. Et il n’était pas difficile de deviner les petites allégories de bois, à commencer par la rangée de paysans hargneux, les petites pièces de bois destinées sans doute à prendre l’offensive en premier, pour défendre la belle dessinatrice et ce qui devait être l’Empereur.. C’était atrocement hypocrite. Pas étonnant qu’on aimât pratiquer ce genre de jeux dans les cercles nobles de la société. Encore une détail qui crispait Marlyn. Si elle s’écoutait, elle n’utiliserait qu’une seule pièce.
La dessinatrice noire, qu’elle saisit tout naturellement entre ses doigts quand Ciléa lui présenta les deux dessinatrices, toutes les deux couronnées, l’une de neige, l’autre de cendre.
- Toutes les dessinatrices méritent des centaines de couronnes, n’êtes vous pas d’accord, Miss Ril’ Morienval ? Nous manions mille et un possibles avec le seul pouvoir de notre esprit, les hommes devraient s’incliner devant nous.
Volontairement provocante, un petit sourire en coin, en voyant la dessinatrice s’offusquer, peut-être pensait-elle la même chose, mais les principes de Merwyn devaient l’obliger à tenir pour principe la vertu, l’égalité des âmes, et sans doute tout un tas de vérités creuses. Elle, pouvait se permettre l’orgueil, et l’ambition. Sareyn partait de rien, après tout, d’une vague ascendance que certains allaient jusqu’à questionner, et que son pouvoir seul avait réussi à hisser dans les jupons et les papiers de certains grands, qui aimaient prendre les futurs promesses de l’Empire sous leur aile, pour les contrôler, pour les asservir. La reine noire était très belle, nervurée, presque transparente dans son quartz fumé.
- Je vous laisse la reine blanche, elle sied à votre teint, et la reine noire au mien. Aussi blanche que votre avenir… Future sentinelle.
« J’en ai rêvé un jour », voulut-elle rajouter, mais en tant que Sareyn, se serait se trahir. Sareyn n’avait pas l’ambition d’être sentinelle, pas encore, et elle ne le serait jamais. De trop basse extracte. De sang trop brouillé. Alors que Ril’ Morienval, en revanche…
Et les blancs commencèrent leur charge, sous le front plissé de Marlyn – avouer sa méconnaissance serait encore se trahir, mais Ciléa ne devait pas être dupe. Quand elle faisait un mouvement, elle laissait échapper ouvertement ses stratégies, donnait quelques indications sur les mouvements que pouvaient faire les différentes pièces. Marlyn observa. Mimiqua des mouvements, toujours trois tours plus tard, pour ne pas sembler copier sa stratégie. Défendre farouchement sa Dame Noire, au prix de toutes les autres pièces, cette Dame noire qui tenait comme dernier rempart, comme bijou auprès du sombre Empereur, tandis qu’elle envoyait tout ce qui pouvait mourir là oùs ils devaient mourir. Ciléa était impitoyable, méthodique dans ses stratégies, même si Marlyn n’y connaissait rien. Elle y distinguait ce caractère systématique qui lui rappelait quelque chose. Approcher par les périphéries, tester les défenses, puis conquérir, dominer, concentriquement. Marlyn était brouillone, terriblement, bientôt elle perdit presque toutes ses pièces. Ne peut empêcher un grognement de frustration lorsque la Dame Blanche éperonna la sienne, acculée contre le bord du plateau, sans dernier recours. C’était le prendre personnellement, elle le savait, en l’occurrence le regard de Ciléa n’était sans doute dupe de rien. Et particulièrement troublant.
Où vous ai-je déjà vue, descendante des Ril’ Morienval ?
A l’Académie, était-ce possible ? Non, elle avait spontanément évité tous les cours de dessin au cours de l’occupation de l’Académie, et avant… et bien, Ciléa n’y était pas. Ou alors une des nombreuses têtes blondes des couloirs dont elle ne se souvenait pas. C’était une autre époque. Bien trop loin pour qu’elle veuille retourner dans de tels souvenirs. Elle voyait des ennemis partout parce que sa patience avait été mise à rude épreuve lors de la soirée et que Lev Mil’ Sha possédait une ressemblance troublante, c’était tout.
- Si seulement sa Majesté l’Empereur possédait le Dessin… N’est-ce pas triste, d’être cantonné à ses environs, alors que d’un pas sur le côté, la Dessinatrice peut traverser le plateau, tout son Empire ?
Le roi sombre tomba finalement, sous des coups méthodiques. Tout juste au moment où un domestique, fort affairé, se pencha vers elle, et lui murmura quelques mots à l’oreille, dans la crainte de réveiller Père par des syllabes trop appuyées.
- A point, je dirais. La maison Hil’ Muran a eu cette bonté généreuse de nous préparer une litière, et un guérisseur pour accompagner Père jusqu’au domaine.. Elle jeta un regard en coin à la vieille silhouette avachie. Le Dragon veuille nous venir en aide pour le trajet.
Elle se leva, et s’approcha de Ciléa, légèrement sur la gauche, comme c’était son tic inconscient. Être légèrement sur la gauche des gens, c’était les voir entièrement de sa seule pupille, et les obliger à tourner légèrement la tête pour la voir en entier, elle.
- La Dessinatrice sombre n’est jamais morte, Demoiselle, elle reviendra toujours vous hanter.. Petit sourire moqueur, tellement Sareynien. Peut-être pourrais-je prendre ma revanche contre vous, un jour ?
On transporta Père jusque dans la grande Cour, mais Sareyn s’attarda encore un peu, le temps de remettre son beau manteau, ses gants, son honneur de jeune femme.
- Quand j’aurai appris à jouer, termina-t-elle sur une petite révérence, avant de s’en faire, de retrouver « Père », et le confinement d’une calèche en la compagnie du baveux.
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