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 "Au commencement était le Verbe" [Terminé]

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Dolohov Zil' Urain
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Blond-en-Chef
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MessageSujet: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeLun 22 Mar 2010 - 0:48

[N'hésite pas si quoique ce soit, mais j'espère vraiment que ça te conviendra..   ]

De jolies images flottaient dans l'air, au même titre que ces parfums agréables; de ceux qui se glissent dans toutes les grandes occasions. C'était un arrière fond de cire, d'ambre. Des évanescences inqualifiables, dans l'air, lourdes- était-ce de promesse, ou déjà de culpabilité?

Dolohov Zil' Urain n'était ni quelqu'un de très pieux, ni quelqu'un de parole, et certainement pas de l'espèce apte à confesser et regretter ses erreurs. Aussi était-il, à sa manière, d'une insensibilité folle.
Il se savait d'une génération bénie des dieux, de cette sorte d'humain qui, les premiers, avaient pu être oisifs, sans avoir à combattre: tout leur était offert. L'empire, les femmes, le pouvoir. La structuration se faisait naturellement, comme les dentelles compliquées qui ornaient leurs chemises, et seyaient à leurs corps; à chaque jour une beauté supplémentaire- et somme toute, illusoire.

Et à force de foi, de commémoration et de fête, étaient nés dans cette génération des êtres nostalgiques, déjà, du temps héroïque où tout était à faire. Nostalgiques, mais de loin, fatigués par l'idée même des valeurs.  Ceux-là étaient pour majoritairement ses amis.
C'était sans doute pour ça, qu'outre les bals, les soirées officieuses qui faisaient la réputation débauchée de la noblesse, et les multiples rendez-vous d'intrigue, on pouvait régulièrement trouver l'héritier des Zil' Urain au cours des fêtes traditionnelles religieuses.

L'exaltation. L'ineffable délire. Le mentaï avait acquis, au fur et à mesure des années, une affection particulière pour la Dame, et les sentiments qu'elle pouvait inspirer à ses semblables.
Il exultait devant l'hypocrisie. Savourait la ferveur, et surtout l'émoi, innocent peu ou prou, dont pouvaient faire preuve ceux qui n'osaient se qualifier de fidèles. Dans sa prime jeunesse, à l'époque où le chaos et la chair n'étaient que fantasmes inassouvi, il avait réellement aimé la Dame, et trouvé dans les cérémonies toute la beauté qui manquait furieusement à son quotidien. Toute la superbe du détail, du symbole, que depuis il maniait avec ce qui s'approchait le plus de l'amour.

Car c'était sur les symboles, bien plus que sur les mots, que se basait le culte de la Dame. De la bestialité de l'existence, il restait la musique de l'eau qui coule -de la sauvagerie peu de choses, comprenez que les demoiselles étaient toujours plus belles si elles minaudaient la docilité. Mais les temples en plein air ressemblaient à des éclaboussures, des gerbes blanches au flan des villes; comme celui-là était beau. On ne voudrait s'attarder en description, tant pour chacun elles étaient interprétables. Dolohov aimait les tourelles qui semblaient faites de pierres froissées, et les bassins parfaits, des dessins. Et les vagues de la foule, la houle de ses prières, l'insignifiance de l'homme qui regarde la pierre. Les desseins de l'homme avaient taillé la pierre, et l'eau toujours s'infiltrait dans les brèches.

Sur des phénomènes, les hommes avaient placé des légendes. C'était vrai pour la Guilde du Chaos, et pour la prétendue Forge du Dragon, que chantaient les artisans ivres. C'était vrai pour Merwyn Til' Avalon, et ses pouvoirs, pour la prétendue vie qu'il menait dans un lieu inconnu, ou pour ce pseudo-monde, et ses habitants.
Un peu de rêve populaire, pour eux, foutus mécréants, pour ces pauvres ères; et ceux qui cultivaient les champs. Pour l'impôt, pour supporter, le poids des sacs, des armes, de ce que pouvait coûter en sueur l'empire: des coutumes. Des rites pour l'appartenance. Le génie des penseurs extasiait le mercenaire, et lui insufflait une paix toute particulière.

Aussi, il s'était rendu sur le Pollimage, là où avait lieu cette fête grandiloquente, celle qui était censée déterminer la chance accordée aux humains pour l'année à venir.
Les plus grands scientifiques avaient déterminé que la couche de glace devenait risible, et que le printemps, bientôt, accrocherait des lambeaux de vies  sur les carcasses éteintes.
Il fallait, pour les plus légers, les plus audacieux, frapper la glace du pied, jusqu'à obtenir une fêlure. Briser les carcans, l'écrin, et guetter les scintillement.

L'aube était clair, fraiche encore, et déjà le peuple s'amassait aux abords du fleuve, et cette masse bigarrée, quasi silencieuse, s'offrait au monde en bouquet de printemps. Sur les visages, l'espoir et les promesses de ce qu'offrirait leurs âmes et leurs vertus. Et, bien sûr, une certaine fatuité, une fierté exacerbée. Même les gueux portaient leurs plus beaux atours- peu pouvaient même s'offrir du velours, mais aucun raccommodage n'était visible, pas un fil ne dépassait des manches. Sur chaque vague seraient lancés, outre quelques offrandes, un brouhaha peureux.


Les regards se perdaient sur le soleil levant, affrontaient la bise. On attendait du Dragon qu'il illumine les délicatesses du royaume de sa belle. On attendait de la Dame que ses flots emportent les voeux au creux des vagues, les polissent tels des perles, et que dans ses largesse, Elle accorde aux élus les plus jolis bijoux.
Serait-ce des voyage? Le désir de mouvement ombrageait de nombreux fronts. Serait-ce l'or, les pierreries délicieuses qui tapissaient les fonds et les sols? Ou la santé, ou la chance?
Ravirait-on un cœur, offrirait-on le sien dans l'aveugle foule? Il y aurait bien des pêcheurs pour demander pardon, des idiots pour se moquer, ou blasphémer, des déçus, qui n'oseraient réitérer leurs demandes. Y aurait-il des hommes qui demanderaient la mort, et des amants, qui supplieraient la déesse de leur accorder sa protection? Et des enfants inconsistants, qui regarderaient de loin s'exclamer tous les grands, sans savoir demander vraiment ce qu'ils souhaitent.

Dolohov Zil' Urain était au second rang, par un hasard fort bien arrangé, et le spectacle lui était particulièrement plaisant. Parler de faste pour évoquer sa tenue aurait été excessif, c'était par son rang dans la foule qu'il était distingué de ses confrères, et nul ne s'y tromperait. Sa famille était réputée pour les nombreuses dettes qu'elle avait, ça et là, et l'héritier avait une réputation de dépensier noceur. Rien qui pouvait laisser supposer qu'il serait aussi proche du représentant de l'empereur.
Il était impensable qu'il ait joué des coudes. Certaines mauvaises langues penseraient que c'était les draps qu'il avait agité qui l'avaient déposé là, dans l'ombre -mais si peu!

Les couleurs érubescentes dardaient sur ses joues des couleurs inhabituelles. Quelques années plutôt, il aurait pu paraître ingénu, ainsi, les cheveux voletant à peine derrière lui, l'expression anodine, le regard flamboyant.
Quelques années plus tôt.
La douce litanie aurait suffi à allumer l'enfer dans ses iris. Ce n'était pas de la crainte réellement, plutôt, comment dire? Une frustration.
La fuite de sa propre vie était la seule chose qui, dans la vie de l'homme, était inéluctable. Il semblait avoir de prise sur tout le reste, il le croyait: des plus insignifiantes tendances, vulgaires affaires domestiques jusqu'à l'avenir de l'Empire. Il allait loin. Il progressait. Il entretenait. Son univers centré exclusivement sur lui-même rayonnait sereinement. Tout se déroulait comme il le prévoyait, si ce n'était pas le cas, au moins, le prétendait-il, et l'adaptation se faisait d'elle même. Mais il reconnaissait ce matin que non, il n'avait pas prévu de vieillir. De ressentir dans ses plans l'empreinte même de l'assagissement, non.

Il avait imaginé être remarquable, et remarqué, après sa trop longue absence. Il avait peaufiné le déroulement de cette journée comme une araignée sa toile, et attendait, dans son carcan de soie convenable, que vienne le moment où le petit peuple retournerait à ses gueuseries.
Il irait prendre sa mère par le bras, galamment, sachant qu'il n'aurait pas à rougir de sa mise; ses extravagance étaient financées par le fils chéri, la guindaient davantage, la rendaient redevable, à un égard encore.
Son père avancerait devant eux, avec sa canne, puisqu'il le fallait. En attendant que quelques pages trop pieux/feinéants aient pu ramener à eux l'attelage famillial, ils discuteraient avec de bonnes familles aimables, et, si l'héritier manigançait bien, point trop campagnardes.
Ceux qui s'estimaient ses amis s'interrogeraient sur sa froideur à leur égard, son « besoin » de courtiser des vieillards dont, de toutes façons, il ne dépendait plus.
Ceux qui étaient ses ennemis en profiteraient pour l'interroger sur sa faiblesse supposée des derniers mois, ou tout autre sujet à quolibet.
D'aucuns pourraient le croire transformé, ou d'humeur particulièrement taquine.

Il inspira une longue et profonde bouffée d'air, enorgueilli, par ce qui serait sa future importance.
Son sourire accrocha une ombre au passage, brisant du même coup la rigidité de son expression.

Dolohov accentuerait cette idée. Il glisserait ça et là des aphorismes bien pesé sur le temps -celui qui fait et défait les gens- et la famille, et chercherait dans les regards quels renards pourraient lui répondre, et tendre vers son sourire torve leurs innocentes colombes; ou l'attention de leurs mères, qui d'ailleurs, trouverait en la sienne quelqu'un de fort convenant.

Bien sûr, il avait déjà ses idées. Les plus fantasques se perdaient au détour des hanches d'Hisae Til' Illan : la plus haute des noblesses d'arme et d'honneur, l'incontrôlable naïveté.
Il fallait quelqu'un qui pourrait ajouter au nom Zil' Urain une forme de prestige et dont la fortune était assez ignorée pour permettre à Dolohov de faire passer une partie de ses revenus obscur dans la légalité. Jeune...

Ses lèvres laissèrent échapper le chant coutumier, alors qu'il avançait vers le Pollimage, les yeux plissés. Le soleil avait transcendé l'univers, et le cercueil de diamant de la Dame aveuglait ceux qui voulaient pulvériser son éternité.
La voix de Dolohov était rauque, indélicate; alors il l'étouffait machinalement, fredonnait quand certains ténors n'hésitaient pas à hurler. Avalé par la foule implorait, piétinait, accomplissait le rite, il laissait tourner autour de lui les visages.

Jeune...
Une douce ellipse.
La pureté des traits se lisait en filigranes, accompagnée du besoin d'innocence.
Quelqu'un d'enivrable, qui lui ferait croire à l'ivresse, ou au moins, accepterait son rôle. Quelqu'un qui serait un accessoire, mais qui prendrait fonction.
Les limbes de son esprit le menèrent à l'Ange de Brume, qu'il avait l'illusion de décrire. Après tout, elle était belle, elle avait tout le pouvoir dont l'homme pouvait rêver, tous les charmes, le sang, même, et toute la flamme! Elle était un incendie d'humain, par lui déclenché, par lui contrôlé, sa création magnifique...
Mais pas celle qu'il pouvait montrer.

Ostensible.
Il se défiait des ravissantes idiotes, presque plus que de ces vipères, qui courtisaient avant l'heure. Les premières avaient la désagréable habitude d'être imprévisibles, trop communes, trop bornées. Il avait songé un millier de fois à ce que pourraient être les réactions d'une potentielle épouse si elle prenait connaissance de ses « multiples » activités. Galantes ou ténébreuse.
Il ne pouvait se permettre de dispute outrée, de retour et potentielles confessions à Maman ou Papa.
Les secondes étaient trop rouées, trop femmes déjà. Le mentaï se sentait fatigué à l'idée de devoir considérer sa future épouse comme une autre ennemie. Il rêvait de quiétude, et de secret paisible, pour fonder la suite de son clan.
Il lui fallait une maligne, de préférence, intéressée.


L'écorce de glace s'était fendue, aussi loin que les hommes pouvaient le voir. Alors les chants les plus virils s'apaisèrent, laissèrent passer des parodies de nymphe qui parachevèrent la destruction du linceul, et appelèrent, doublées d'enfants.
Dolohov Zil' Urain, comme les autres, fixait le large avec une pointe d'anxiété. Les récoltes de l'année précédente avaient été très insuffisantes, et de nombreux superstitieux avaient mis ça sur le compte de l'absence de demoiselle au cours de la cérémonie consacrée.
L'empire était trop fragile pour se permettre une véritable crainte populaire, les nobles non plus.

Bien sûr, l'idée qu'une sentinelle ou l'autre ait pu être engagée pour donner l'illusion d'une apparition était envisageable, et prise en compte par le mercenaire; simplement, il était trop esthète pour ne pas espérer contempler une véritable demoiselle sortir de son écrin.

Le chant des femmes était peuplé de silence expectatifs, qui jonglaient sur les mesures. Chaque couplait semblait choir, et le fil conducteur se briser, alors la musique revenait, allègre, implorante. Les cordes des instruments n'étaient sans doute pas étrangères aux nerfs...

Enfin, vint le signe qu'on attendait, sublime, à couper le souffle.
Et la cérémonie de se clôre, sur le silence assourdissant, et l'onde à peine perturbée du Pollimage, après le bond  du cétacé.

Se retirant avec grâce, Dolohov rejoignit ses parents, et offrit son bras à sa mère, qui l'accepta froidement. Tout se déroula comme il l'entendait, mieux sans doute, puisqu'avec un naturel déconcertant. Si le mentaï oubliait régulièrement que le temps filait entre ses doigts, les « messieurs » qui avaient des filles à marier, eux, n'étaient pas dupe. La convenance exigeait qu'il songe à se ranger. Il n'était pas si mauvais parti.

On attendait les pages dans une joyeuse oisiveté, tout émoustillés encore, par le point du jour, ou les divers projets.
Bien sûr, c'était pur snobisme que de se rendre à la réception impériale en attelage, puisqu'elle avait lieu plus haut sur la rive , mais chacun y tenait.
Ce moment de flottement était, somme toute, l'occasion d'échange plus sociaux qu'un bal. Les gueux se pressaient les uns contre les autres, les voleurs trouvaient les bourses replètes, et l'instant ad hoc pour s'en emparer, les beaux paradaient, les laids palabraient, quant à la jeune femme qui occupait la tête de la liste de Dolohov, elle quêtait.

C'était sa propre mère qui lui avait glissé, quelques jours auparavant, un mot sur la charmante Aïlil, dont l'élégance et la charité étaient fort vantées.
Quelque chose qui manquait au panache des Zil' Urain, point suffisamment argentés pour se permettre ce type d'extravagance. Les prunelles de celle qui avait porté Dolohov avaient scintillé, rien qu'en sous-entendant ce qu'elle pouvait représenté, en somme.
Lui, plutôt insensible, avait simplement noté qu'il devrait lui jeter un coup d'oeil.
Ses renseignements tardaient, il devait rencontrer trois individus au cours du bal pour lui détailler quelques secrets des trois jeunes filles de bonne famille qu'il envisageait -ils seraient les seuls éléments décisifs qui s'offriraient à lui. Du moins, combinés avec l'attrait esthétique propre à chacune.

Les Zil' Urain vinrent à elle, et aux représentants de Choeur qui l'entouraient, Dolohov était indolent, et indifférent aux quéteur. Il consacrait chaque regard à sa mère, ainsi que mille petites attentions. Arrivé enfin là où le coffre des dons était disposé- avant qu'elle ait salué, ou quoique ce soit d'autre, il sortit d'on ne savait où une bourse bien garnie.
Bien sûr, ses gestes indiquaient qu'elle était préparée de la sorte depuis de longues heures, et exhibée assez longtemps pour qu'aucun n'ait de doute sur la coquetterie de la somme qu'elle contenait. Cependant, sa manière désinvolte de la poser, sans un regard, sans volonté de compliment  se pensait déconcertante. Trop anodine pour que lui-même puisse se la permettre. Assez pour l'intriguer? Il l'ignorait superbement.

Il fallait un point de départ, tout juste de quoi se singulariser.
Il fallait que les lèvres ré-apprennent à susurrer son nom, à le murmurer, à le gémir d'envie.
De quoi faire taire par les mots, les guirlandes de mots autour de lui. L'envie frénétique, et la norme.
Il fallait qu'il se fiance


Ailil Zil'Urain
Ailil Zil'Urain

Maître poussin
Messages : 17
Inscription le : 06/02/2010

MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeVen 2 Juil 2010 - 1:43

Les volatiles papillonnent, étalent leur habileté précise, alors que leur vol au travers des monts apparaît désordonné et béat. Leur course insensée est aveuglante, le flou les saisit, les prunelles s’abîment dans leur contemplation et leur célérité ne décroit pas. Aucun pli ne leur est secret, ils en explorent les défauts, les atténuent vaillamment, avec une minutie maladive. L’un se pique, l’ensemble est secoué d’un réflexe, se retire et se contracte, alors qu’un fluide vermeil colore la colombe blême. Prudente, elle quitte les précieuses broderies, et une étoffe moirée vient boire, avide, le mince filet dégoulinant. On humidifie, un moment de suspension s’étire, alors que la colombe protège la plaie, soucieuse de ne pas souiller les vallons. Ceux-ci restent immobiles en dépit de l’attente, rien ne frémit dans les ondulations soyeuses des pans de tissu. Avec davantage de lenteur, la course reprend, dans une accélération régulière. Mais la danse semble épaisse et engourdie après le ballet éthéré des minutes précédentes. Les colombes se sont faites moins hardies, craignant que la prochaine peau abîmé ne soit la leur, mais celle que les étoffes dissimulent. L’application des oiseaux n’est pas aliénable, ils reprennent bientôt leur vitesse, se fondent, caresses dans les coutures et les volants. Une machination artisanale que le temps à contraint à se plier aux même gestes, semblables, mais dont le résultat diffère largement. Les sons aigrelets d’une voix non féminine, mais pas masculine pour autant, brisent la rumeur chuintante des froissements de toile.

« Madame, Monsieur votre frère vous attend. »

Le garçon, une douzaine d’année, sec et dégingandé, maigre à outrance, se tient sur le pas de la porte, bête. Ses cheveux sans couleurs, extrêmement écourtés, paraissent invisibles sur sa peau brunie. Ses lèvres closes, pincées, ses doigts raides sur ses cuisses, ses pieds rapprochés, les tressautements de ses épaules crispées crient son malaise à gorge déployé, comme s’il étouffait. Ses yeux, bruns sales, ornés de sourcils épais, fixent sans réserve l’être de voluptés qui étrangle la pièce sans même frémir. Elle est immuable, figée à la manière d’un tableau, par des coups de pinceaux, devant un miroir sans tain où son image apparaît, pâle reflet terni en rapport à la version originale. Visage de porcelaine, diaphane, chevelure claire ondulante, glacée dans un humble chignon léger. Un bustier de nacre trace une taille gracile et découvre des épaules claires et délicieuses aux clavicules fines, qu’un voile sombre viendra ensuite couvrir. La robe est sobre et délicate, de blanc et de vert pâle, sans ostentation, mais finement ouvragée, ouvertement couteuse et raffiné à qui savait que regarder. Là, à côté, la silhouette éteinte d’une femme sans âge, qui joue des aiguilles, pour ne laisser pas de défauts. L’auteure de l’œuvre. Lorsque la dame aux aiguilles aperçoit le gamin, elle ralentit puis interrompt la danse de ses doigts, se redresse, le fixe. Enfin, la peinture s’agite, tourne le buste vers l’intrus, lentement, le toise un bref instant, et sans y prêter plus attention, agite ses doigts, gracieux, que les yeux écarquillés du gamin fixent d’une attention angoissée. Elle se retourne, redevient la statue granitique. La dame aux doigts émerveillés porte des yeux maigres et tirés, qui ne sont pas sans évoquer ceux des orientaux de Terre, ce que son nom ne dément pas. Misao servait la famille Til’Eyvindr depuis qu’elle avait atteint dix ans, et s’appliquait autant dans sa tâche aujourd’hui que lorsqu’elle évoluait dans le bel âge, les plis et l’usure de son corps n’ayant aucune influence sur ses chefs d’œuvre. Elle connaissait les recoins des corps de la famille comme si elle les avait elle-même modelé, comme si elle était l’artiste qui avait façonné cette – imparfaite – perfection. Non qu’il n’existât de demoiselles encore plus gracieuses que cette peinture là, loin s’en faut. De celles qui paradent à la cours, il y en a des doublement plus belles, aux formes davantage encore galbées, aux visages ciselés dans lesquels seule l’erreur manque, aux prunelles d’un autre univers. Il était indéniable que l’on pût aisément trouver davantage de beauté et de parfaites proportions. Toutefois, cette grâce illégitime qui s’affichait sans ostentation, cette joliesse sereine au sourire léger qui connotaient une distance aux airs de demoiselles inatteignables, un soupçon de hochements hautains, n’étaient jamais apparus ailleurs, à la connaissance de l’entourage de cette dame. Pas d’envoutement, simplement une sensation allègre, comme si, Marchand de Sable, elle saupoudrait ces gens de reconnaissance. Et devant son miroir, le marchand de sable ne pouvait que noter que ses attentions délicates n’avaient pas trait sur sa propre personne. Peu importait, à dire vrai.
L’enfant pétrifié porte le nom de Tak. Il vient de nulle part, et semble tout juste naissant, à l’aurore de sa vie, depuis que le Chœur lui a tendu des bras impunément avides. C’est un garçon habile quoiqu’un peu limité, à qui fournir une réflexion et une intelligence plus subtile ne serait pas de trop. Mais dans sa soumission, il est extrêmement précis et adroit, et en cela, plutôt précieux. La peinture le savait d’ores et déjà, et avait prévu pour lui quelques desseins appétissants. S’il n’avait pas eu d’intérêt, il ne se serait d’ailleurs pas trouvé ici. Ce n’était pourtant pas sa place habituelle, et il retournerait bientôt là ou il aurait du se trouver. Mais il remplaçait un garçon qui répondait au nom de Sao, qui portait une peau nette et mate, des cheveux sombres, avec quelques longueurs, qui lui offraient un air séduisant de gamin, que son sourire aisé venait rehausser, de manière qu’on n’avait du mal à résister au désir de poser une main sur sa tête ou son épaule. Sao était futé, offrait parfois de jolies idées, faisait preuve d’une adresse et d’une application sans failles, et l’image qu’il offrait correspondait intégralement à ce dont la dame avait besoin. C’étaient là quelques unes des raisons qui lui avaient valu cette place de choix, aux côtés de sa dame. Sao s’était toutefois vu confier une tâche d’importance, pour l’occasion, il avait fallu lui trouver un suppléant, Tak, qui reprenait avec plus ou moins de talents ses multiples fonctions autour du Chef de Chœur. Il était toutefois trop facilement impressionnable, et ses airs d’hébétude incessants n’étaient pas sans agacer sa supérieure, qui se gardait bien de l’afficher et lui offrait ses sourires affables. Ou de l’indifférence, suivant les occasions. Tak était un peu plus grand que Sao, des épaules plus carrées, une carrure plus violente, des bras plus rudes. Moins mignon, par ailleurs, cela allait sans dire. La Chef de Chœur nourrissait une certaine impatience de revoir Sao à ses côtés. Misao reprit sa tâche alors que le gamin refermait la porte, et cessa bientôt sa danse, étant arrivée à la fin de son ouvrage. Durant de longues minutes, le tableau fit face à son pâle reflet, immuable.


Chuchotement, presque suintement à son oreille.

« Ailil, tu te fais attendre. N’oublie pas, sous l’œillère de Nimbe, l’hongre gris. »

La jeune fille caressa un bref instant le bras de son frère, et lui adressa un sourire léger, avant de rejoindre, avec grâce et nonchalance, la voiture qui l’attendait. Coite, avec une prestance respectable, tirée par deux chevaux gris, un hongre et une jument, qui patientaient obligeamment, tête basse. Un autre voiture avait déjà quitté la place, peu de temps auparavant, à en juger par les relents poussiéreux de l’air, du au chemin de terre. D’un pas ample, elle passa auprès des bêtes, leur offrit à chacun une caresse, et avec une subtilité huilée, elle fit glisser un très fin morceau de parchemin roulé, coincé derrière le morceau de cuir noir, dans sa paume, qu’elle referma ensuite, subrepticement. Sur le pas du manoir, la silhouette sombre d’un domestique se découpait sur la porte claire. La jeune Til’Eyvindr fit glisser le parchemin dans un ourlet particulier de sa robe, et s’installa dans la voiture, où se trouvaient déjà ses parents et son frère, qui la précédait de peu, et suivie de – trop – près par Tak, qui joignit ses mains entre ses genoux, une fois assis, dans une posture de tension tangible, n’osant lever les yeux vers la frêle demoiselle. Celle-ci ne lui accorda qu’une brève œillade, et attendit que la carriole se mette en branle avant de lever les yeux pour adresser un sourire radieux, quoique légèrement contrit, à sa mère. Celle-ci détourna les yeux, trop consciente sans doute de l’influence des mimiques de sa fille sur sa propre réflexion. Erendil la fixait avec attention et sérénité, ce qu’elle lui rendit, durant une bonne partie du trajet. Après un certain nombre de cahots, le rythme ralentit et la voiture s’immobilisa bientôt. Après encore quelques secondes, la porte s’ouvrit.

Il y a même dans le grandiose et l’ostentatoire l’infime fragment du détail qui éveille un frisson. Même dans l’étalage impudique, on trouvait de quoi être satisfait, quoique partiellement, on se repaissait de la scène, des voix, des gestes, de l’assemblée, surtout. Chaque visage recélait des trésors : Ces faces tendues en offrande, dans l’attente d’un retour, ces lèvres aux lentes déformations – ces lèvres. Ces lèvres. Et les vibrations des gorges, qui faisaient frissonner la peau, les doigts. Seules celles d’Ailil restaient closes, bêtes et inutiles. Mais peut importaient, ses prunelles courraient sur les épaules frémissantes, les mains jointes et ouvertes dans l’ambition non dissimulée de recevoir, d’être bénéficiaire d’on ne savait quoi. Il y avait l’espérance dans ces postures droites et grandiloquentes, des armes de certitudes et de croyances. Tout s’évanouit avec volupté, une tendresse presque palpable, alors que la foule, devenue unité, entité, indivisible, se mettait mollement en mouvement. Elle regagna son coffre, où se tenaient Tak et un Plume au regard serein et au corps d’Adonis, Dryae, qu’elle gratifia d’un large sourire. Autour d’eux, trois, quatre enfants, parmi les plus adorables et ceux qui suscitaient la tendresse ou la pitié, qui offraient des visages doux ou attristés, mais aussi souriants et battants. L’instant de grâce retombait lâchement, et le son mat de pièces qui cognaient contre le fond du coffre ramenait à chaque instant l’esprit encore embrumé de la jeune femme à ses préoccupations premières. A chaque passant, Ailil ou Dryae ne manquaient pas d’affirmer leur éternelle reconnaissance. Tak traduisait au mieux les gestes graciles d’Ailil, la faisant grimacer lorsque ses approximations transformaient ses phrases et les privaient de cohérence. Bientôt, son frère la rejoignit pourtant, leurs parents non loin, perdus déjà en des discussions mondaines. Il traduisit ses propos avec davantage d’efficacité et une parfaite fidélité, il avait une voix claire et profonde, qui apaisait et forçait presque le sourire. Carrure large mais leste, torse droit, cou ferme, visage précis et galbé, sourires enjôleurs – qui valaient presque ceux de sa sœur – nez aquilin, oreilles chastes plutôt effacées, front droit et yeux pétillants. La jeune femme pouvait passer des heures à observer l’homme, tendre vers l’oubli de leur lien de sang, divaguer allègrement, n’avoir plus d’attache.

Il était de haute stature, de consistance fine, des gestes élevés d’une certaine ampleur, un port altier – répandu dans le milieu – et au-delà de sa tenue, de sa chemise largement ouverte sur un torse succulent, de ses atours ou de la bourse qu’il venait de lâcher, son visage incisif et son regard grisé, la pointe de son menton et l’anticlinal de son nez, clamaient allègrement sa stature, davantage encore que ceux qui l’avaient précédés, les Jil’Muran, pourtant d’une réputation proche. Et le retombé délicieux de ses boucles d’un blond cendré faisait miroiter les rayons – encore fades – de l’astre diurne. Ailil tourna son torse vers le nouveau venu, après un regard d’une brièveté insolente – et pourtant révélatrice – sur la bourse qui venait de faire tinter le reste des pièces. Elle lui offrit un large sourire, s’attardant à peine sur la femme qui se tenait à son bras, la Dame Zil’Urain, au visage las creusés d’yeux rapaces. Elle s’inclina très légèrement, et, dans un rayonnement, se mit à agiter les doigts, avec grâce et volupté, bien davantage que ceux qu’avaient obtenus les gueux. Et la voix franche et pleine de son frère traduisit :

« Puisse la Dame vous remercier de tant de mansuétude, Sire, je ne puis douter qu’elle sache récompenser l’esprit que vous êtes »

Elle se fendit de nouveau dans un généreux sourire, posa ses doigts tranquilles dans les cheveux d’une petite fille absolument adorable, aux boucles blondes, très claires, à la peau pâle, aux yeux d’un bleu pastel, très léger, et au sourire franc. La plus jeune, tout juste six ans. Ailil se baissa, avec une légère tendresse, et saisit l’enfant dans ses bras, qui, mue de cet étrange automatisme imprimé dès l’enfance, ouvrit ses jambes pour venir encadrer et presser la taille de la jeune femme. Les doigts pâles et longs du Chef de Chœur vinrent se poser sur les joues rebondies de la gamine, l’effleurant lestement dans un geste d’extrême douceur. Puis, elle releva les yeux vers son dernier donateur et sa génitrice – un peu pantin oscillant à son poignet – après cet interruption d’un très bref instant.

« Y a-t-il dans l’enfance quelque chose qui vous émerveille ou vous touche ? Dans l’innocence, dans l’espoir, dans cette candeur ? »

La voix masculine ne pouvait réellement transcrire les intonations tendres et nettement maternelles, ou tout au moins, féminines que désirait y placer la jeune femme. Mais les gestes malaisés d’Ailil, qui maintenait toujours l’enfant, Ethel, tendaient à faire entendre cette délicatesse fascinée. Un coup nouveau coup d’œil furtif à la boite aurait signifier – à qui le notait – qu’elle n’imaginait guère qu’on soit aussi généreux par désinvolture. Et qu’il devait bien y avoir l’amour des enfants pour guider ce geste.


Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeSam 4 Sep 2010 - 18:26

Il y eut trois choses pour frapper Dolohov Zil' Urain dès que son interlocutrice prit la parole.

La première était sans doute la plus infime, et non la moins intéressante. Aïlil n'accorda à la Dame Zil' Urain que le strict minimum de ce que la politesse exigeait.
Ce qui, certes, pouvait s'interpréter comme un goût immodéré et affiché pour celui qui, seul, tenait et tendait la bourse. Et pour le contenu de celle-ci, que son regard à la fois précis et gourmand avait jaugé comme les autres, sinon plus vite. Ainsi qu'à la manière d' une perspicacité étonnante sur les visées -pourtant chronologiquement lointaines- d'un acte aussi quelconque de charité.

La seconde était l'étrange et incroyable sensualité que représentaient ses gestes, combinés à la voix délicieuse et virile qui avait retenu l'héritier et sa vétuste mère.
Il adressa un regard légèrement surpris au traducteur de la jeune femme, le saluant d'un signe de tête un peu effacé et distrait. Par la beauté alchimique que composaient les deux individus côte à côte. Le charme et la sérénité de ce couple arc-bouta son rire d'angles aux multiples nuances. L'interlocuteur composé, androgyne, inspirait aux nobles de curieuses pensées, pas seulement languides, plutôt lapidaires, sur ce qu'était une femme sans langue, le pouvoir qu'avait cet homme de fourcher ses syllabes, d'y ajouter des sourires plus enjôleurs que franc. Des accents de demoiselle dans une bouche de mâle, profonde et douce.

La troisième était qu'elle avait des manières qu'il jugeait tout à fait intéressante. Sciemment ou non, c'était une enfant délicieuse qu'elle avait attiré dans ses douces mains musiciennes, une enfant aux couleurs nobles, sinon Zil' Uriennes. Non pas que l'homme ait imaginé qu'une oeuvre caritative ne soit pas profondément marquées par la manipulation et que tous les moyens étaient mis en oeuvres pour obtenir un maximum de l'attendrissement. Mais dans cet acte simple, ramener près de son ventre un enfant qui ressemblait à ce que pourrait être un croisement de leurs gênes. Et cela tendait à accentuer l'impression première qu'il avait eu d'elle.

Il prit un air attendri et quelque peu songeur, avant de s'autoriser un second sourire- moins loup.
Il redouterait de son épouse, plus que l'intelligence une bêtise. Nombreuses étaient les trahisons possibles des femmes, mais celles qui possédaient l'intellect approprié les créaient sciemment, pour des raisons, et dans des buts. Par là même, les traitrises apparaissaient en filigrane bien avant d'imprégner la réalité, elles étaient envisagées, remaniées, redirigées. En revanche, un mot ambigu échappé, ou un aveu innocent, incongru, non prémédité pouvait faire basculer tout un empire. Combien d'hommes Dolohov tenait-il en son pouvoir grâce à leurs épouses, leurs beautés équivoques et leurs cervelles vides?


-Il y en a tant.

Il cilla, resserrant un peu le bras de sa mère, qui devait par là comprendre qu'elle n'avait qu'à se taire. Surtout, ne rien gâcher en jouant à celle qui voulait être grand-mère. Lui seul avait les rennes. Il se permit d'approcher d'avantage, sans intimider l'enfant le moins du monde.

-Trop sans doute pour être citées, et trop qui sont propres à chaque enfant individuellement.

Ces chers trésors.

-Je suis touché par la multitude de possibles qu'ils possèdent, toutes les métamorphoses possibles, les bouleversements qu'ils créent. Par l'amour qui les a fait, qu'ils portent au fond d'eux. Si la dame me permet d'offrir, pourquoi les priver, alors que je ne vois personne qui soit plus digne? Elle me rendra peut-être, dans sa générosité toujours trop grande, le centuple de mes actes pour les années à venir.

Il estimait que c'était de circonstance, mais son sourire, accentué sur la fin de sa réplique par une certaine désinvolture, était interprétable. D'ironie à légerté, en passant par la conviction, ou même, l'espoir.

-Je vous envie, reprit-il en tournant la tête vers ce qu'il supposait être le frère ou le cousin de la jeune femme puis de revenir à celle-ci, de pouvoir offrir votre temps au choeur, et votre voix à tant de noblesse d'âme.

Et d'avoir la science d'interpréter le silence des femmes avec autant de brio. Le noble tâcha d'éteindre ses pensées les plus vagabondes en esquissant en laissant son esprit flotter lâchement dans les sbires basses. Beaucoup de personnes alentours étaient douées de dessin, chacune avait sa mélopée particulière. Autour des Til' Eyvindr il n'y avait qu'un étau de silence.


Ramené au sol par des pépiements d'enfants, il réalisa qu'un petit homme aux joues constellées de son demandait à Aïlil quoi faire d'un don, et d'autres choses d'enfants, comme « quand est-ce que ce sera fini et que je pourrai manger des gâteaux »? Il s'amusa de son petit costume d'adulte miniature, de la vertu intacte de ses yeux avides, gourmands. Lui aussi, à n'en pas douter, aimerait l'argent plus que tout. Peut-être était-ce déjà le cas. Du haut de ses -quoi? Huit printemps?- il aurait déjà pu dérober une quantité mirobolante de bourses. Vu la concentration de richesses que l'évènement avait permis, de nombreux voleurs devaient roder. Les orphelins qui piquaient étaient nombreux. L'idée d'une association déguisée traversa le mentaï comme un coup de poing. Il envisageait ce que ça pèserait dans la balance de ses jugements. Quelles sortes de fuites ça pourrait expliquer. A qui cela pourrait profiter.
Après tout, quoi de plus malléable que des enfants? Quoi de plus facilement impressionnable, et à la fois attachant? Mais était-ce possible qu'une fois encore, trop orienté vers le chaos, et ses propres desseins, il ait pu passer à côté de quelque chose d'aussi profondément... délicieux?

C'était vrai, il retrouvait dans la perfection du système de choeur quelque chose de comparable à une couverture bien établie pour un homme de l'ombre. Mais ce n'était que pressentiments. Rien sur quoi s'appuyer. Juste un frisson le long de l'échine qui pouvait encore jouer en la faveur de la demoiselle.

Bien sûr, le temps réflexif avait été trop bref pour compter réellement, la bourse apportée par le chérubin était à peine posée, et la conversation allait reprendre. Dolohov s'interrogeait sur la tournure qu'elle prendrait, si ce serait ou non à mettre en parallèle avec les évènements. Sa mère toussota, lui rappelant qu'ils avaient un vieil homme à retrouver près du carosse, et qu'alors, le cocher pourrait aborder certains sujets avec le « jeune maître ». Mais cela n'importait peu.
Le soleil dévorait de contrastes l'ensemble des nobles, et l'héritier des Zil' Urain souhaitait que son don fut un investissement réussi.

Lève-donc la main, toi qui n'est encore qu'une enfant, que je découvre tout ton potentiel de femme, que je te prête la masculine aura de la voix de ton traducteur, oui, montre-moi tes vers, et parle avec celui qui les comprend, qu'on interprète, avant toute chose, ce qui se cache sous nos silences, le voile de nos regards, et nos adultes simagrées.


[... Je n'aurais pas de problème si tu me demandes d'éditer ou autre ^^ ni si au poste suivant tu utilises à un moment ou un autre une ellipse pour nous amener au bal, ou pas. Fin, gère comme tu souhaites! ]

Ailil Zil'Urain
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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeLun 1 Nov 2010 - 23:52

[ Dis-moi donc, petite fleur des champs, quand tu fais l'amour, portes-tu des chaussettes ♪ | A défaut : Arrow - Et sinon, je suis frustrée des funérailles ]

Petite Note Très Utile : Ne pas écouter les musiques ci-dessus en lisant, elles ne concordent pas et témoignent uniquement de mon dépit.


Il avait des jolis mots, il faisait poèmes en prose, il mettait de la force et du relief dans ces syllabes qu’il prononçait avec fermeté. Sa voix chantait aux oreilles fines du Chef de Chœur. Il existait dans une certaine prestance, il avait une assurance et une présence, il avait une réalité un peu trop expressive. On aurait souhaité le rêver. Ahem.. Elle aimait ses phrases, pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas. Ses expressions, en revanche, lui semblaient controversées, contradictoires, ou bien sans interprétation. Son visage était déformé par des mimiques traduisant un sentiment ou un autre, une impression, et en changeait rapidement, ou bien se trouvait le théâtre d’une collision de plusieurs expressions, si bien que la jeune femme n’y lisait rien. Elle tiqua un bref instant, « et votre voix à tant de noblesse d'âme ». Etait-elle supposée relever, noter, saisir quelque chose à ce genre de remarque, devait-elle en faire quelque chose ? Elle se prit à l’inscrire quelque part dans sa mémoire, pour le cas où cela pourrait lui être utile, plus tard.

« Ils sont surprenants d’ingéniosité et de talents, ils sont capables de milles prodiges dont on ne les soupçonne guère. J’ai toujours songé que les enfants étaient de ces miracles auxquels on ne prête pas suffisamment attention : c’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui, à la recherche de toutes leurs richesses, de l’envergure de leurs aptitudes. »

Et si elle retenait un sourire, s’amusant de l’ignorance qui privait ses interlocuteurs de la totale transparence de ses propos, de tout ce qu’ils définissaient, dissimulés, là, en quelques mots, de ce que cela avait de double sens, elle n’envisageait absolument pas que l’homme, qui écoutait la voix de son frère avec une attention qu’elle ne soupçonnait pas, puisse mesurer, à travers des suppositions, l’ampleur de ce qu’elle avouait, voilée. Elle reprit, emplissant ses yeux d’un émerveillement presque excessif, un peu trop théâtral sans doute, mais qui s’accordait à sa plaidoirie fascinée, et désignant la poupée toujours accrochée à sa taille.

« Ethel promet de grandes dispositions artistiques. Elle sait déjà enjôler, inspirer la compassion, quémander l’attention et la générosité. Nul doute qu’elle pourra un jour intégrer une troupe de théâtre et devenir une comédienne de grande renommée. »

Sur quoi, en dépit de ses délectations à la pensée de la proximité immédiate du fait qu’elle décrivait – cette position qui était partout la sienne, son visage et ses boucles exploitées, son regard utilisé – elle baissa un bref instant les yeux, et laissa son visage s’assombrir, quelques instants, afin de prononcer – avec des gestes volontairement plus roides et saccadés, une sorte de sentence, une supplique à peine dissimulée.

« Mais pour la mener vers ce séduisant avenir où ses parents n’ont pu la conduire eux-mêmes, nous avons besoin de ces fonds que de généreux seigneurs nous confient, dans l’espoir de voir ces enfants là où ils ne seraient jamais parvenus autrement. »

C’était absolument exquis, et plus encore comme elle avait noté qu’une dizaine de personnes d’horizons différentes, émus, s’étaient approchés pour entendre son homélie. Dans certaines prunelles, on percevait une pitié bienveillante et sensible à voir la jeune femme s’exprimer par le biais d’une voix masculine, qui, en dépit de ses couleurs veloutées et délicates, ne pouvait retranscrire les précises intonations désirées. Pourtant, tous effaçaient, plus ou moins consciemment, la voix masculine, au profit d’un son plus aigu qu’ils façonnaient eux-mêmes, pour entendre la tonalité fluette et exquise qui s’accordait à son profil et à ses manières. Ailil ne savait d’ailleurs qu’en penser, à la fois méprisante de tant de mansuétude triviale et baveuse, mais aussi pleinement satisfaite de l’effet qu’elle avait ménagé au sein de la petite assemblée. Restait que le visage du Sire Zil’Urain ne lui semblait pas suffisamment convaincu, comme pas entièrement soumis et dévoué à la cause qu’elle défendait avec tant d’ardeur. Et cela la frustrait. Il montrait sa dévotion, et n’en restait pas moins distant. Peu importait, sa bourse avait chu dans le coffre, et le reste ne semblait avoir guère d’importance.
Elle se dota à nouveau d’un sourire légèrement timide, mais plein de gratitude.

« Soyez certain que chacun de ces enfants vous sera éternellement redevable, et que vous en serez quelque part infiniment remercié. Mais, vous me comprendrez, je dois hélas vous laisser, sire, afin d’aller remercier tous ces généreux donateurs aux cœurs si nobles. Que la Dame vous protège, seigneur. »

Sur quoi elle le salua, s’inclinant comme le protocole l’exigeait, gardant un très large sourire jusque dans les yeux, masquant habilement son mécontentement de voir cet éclat dubitatif dans le regard de son interlocuteur. Les visages défilèrent alors, de nobles hautains et désabusés manifestement ainsi contentés d’avoir bien agi pour s’assurer des éloges des divinités, de l’aristocratie généreuse, suivie, geignant, de très pauvres propriétaires terriens se ruinant pour apporter de l’aide à des enfants qui leur étaient inconnus, et parfois des bourgeois qui avaient goûté aux capacités de ces jeunes dans des tâches diverses, quotidiennes mais aussi artistiques. Il y avait aussi des grandes âmes qui sacrifiaient l’achat d’un cheval, d’une voiture ou d’outils pour que leurs pièces profitent à de plus nécessiteux.
L’éreintante quête se termina enfin, et l’endroit finit par ne plus être occupé que par quelques retardataires qui erraient sans but définis. Ailil avait clos et verrouillé elle-même le coffre, confié ensuite à deux domestiques qui devaient calculer les bénéfices effectués et ranger la cassette. En s’activant, elle avait fait défiler derrière ses paupières tous les visages croisés dans la journée, et la plupart lui revenaient de manière incomplète mais correcte, sauf deux d’entre eux. Il y en avait un qui apparaissait de manière extrêmement précise, avec ses traits délicats, son visage d’oiseau encadré de boucles aux couleurs des blés, ses yeux fascinants, qui captivaient de par leur simple état d’être, ses gestes et son emphase, sa voix aussi – les souvenirs de la douce enfant embellissaient, mais elle eut été bien en peine de s’en rendre compte. Le second aurait du se retrouver juste à côté du premier, accroché d’ailleurs à son bras, et n’était en fait qu’un trou noir, une disparition fortuite. Et pourtant, elle avait déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de croiser la Dame Zil’Urain, et d’imprimer ses formes et ses attitudes et ses façons. C’était une mine théoriquement référencée, classée, et pourtant, il lui était impossible de restituer tous ces souvenirs, là, en cet instant, tant elle paraissait éclipsée par le profil attirant, auréolé, de son héritier. Elle avait ainsi, durant tout le trajet qui devait la conduire chez elle, tenté de redessiner cette figure qu’elle supposait vieillie mais gonflée d’orgueil. On n’affiche pas son dépit et ses songes quant aux finances familiales et à l’image sociale de son nom, bien trop dangereux.

C’était un bustier écarlate qui découvrait ses épaules avec un embrasement lumineux. Un rouge sanguin, pas trop sombre, plein d’éclats, d’une vivacité extasiée, qui rehaussait les teintes châtains des cheveux qui dégoulinaient dessus, ondulés et chatoyant. La robe s’évasait, elle était souple, parcourues de reflets, faisait briller la beau opaline de l’enfant qui se perdait dans sa contemplation, le visage éclairé d’un large sourire. Ce n’était pas la robe qu’elle avait prévue – Elle en avait tout d’abord choisie une bleue, pastel, pour la douceur de la renaissance, la quiétude du printemps. Mais le rouge avait une intensité qui lui parut s’imposer, plein de vie, de jouissance, de promesses. Une dame rendue invisible par sa normalité, totalement éclipsée par l’éclat de la tenue chatoyante, posait sur le visage d’Ailil une crème à la teinte marbrée, et l’étalait avec une délicatesse infinie. Il s’en dégageait une odeur naturelle, d’arbres, de sèves, de fraicheur, et un peu d’effluves fleuris, très vagues. Quand elle eut terminé de faire resplendir le teint et le visage de la jeune femme, Tema s’attacha à coiffer ses cheveux. De ses doigts habiles, elle construisit un chignon, qu’elle entoura d’une tresse, laissant des mèches entières retomber tout autour, et notamment sur le devant de la tête, sur les joues pâles. Ses prunelles grises semblaient animées d’un écho carmin, que l’on devait aux flamboiements de sa robe.
Il eut été malaisé de ne pas admettre la sensation que l’enfant soulevait, à l’aide de ces artifices. De nouveau, on ne doutait pas qu’il y ait plus belle figure, et plus impressionnante parure là où elle se rendait, il y avait des splendeurs qu’elle ne pourrait même pas oser regarder. Mais Ailil avait autre chose.

Sur le chemin, la jeune femme parla un peu de son éreintante journée, disserta sur le dernier enfant des Hil’Varan, prit des nouvelles de ses cousins, et vanta quelques mérites de l’héritier Zil’Urain, avec subtilité et détachement. Son père mentionna sa situation actuelle, mais ne s’y étendit pas. Ils parlèrent de théâtre et de musique, des affaires familiales, qui l’ennuyèrent, ce qu’elle se garda bien de laisser paraître. Sa mère se tenait raide, les lèvres pincées, le regard fuyant, comme chaque fois qu’Ailil soutenait une discussion avec son frère et son père, évincée fatalement par le langage utilisé.

Ils arrivaient alors que retentissaient les derniers mots de leur hôte.

« … comme on l’entendit souvent dire dans ces vastes terres. Puissiez-vous être portés par les grâces printanières, qui nous seront favorables cette année encore, si la Dame et le Dragon le désirent, pour la prospérité de l’Empire et de son peuple. Désormais, dansez ! »

La musique s’éleva, en emportant la voix de velours du grand homme, et éclairant, comme si tout avait été parfaitement huilé, l’enfant qui entra, au bras d’un jeune homme d’une certaine classe, et largement connu comme l’héritier des Til’Eyvindr. C’était un éclat indéniablement splendide, quoique bref, que cette plaie ouverte dans l’immense hall, que cette larme de sang, éphémère. Déjà, l’attention pouvait s’en détourner, quoique son image restât imprimée dans les rétines, et des doigts longs et soignés l’invitaient à la danse.


Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeSam 22 Jan 2011 - 0:59

Le regard scrutateur de sa mère lui rappelait celui que, quinze année plutôt, elle lançait à son cousin. Mélange délicieux d'emprise et de démission, de souffrance et de cruauté, d'intérêt, et paradoxalement, de détachement total.
Si le mal était héréditaire, à n'en pas douter, Dolohov l'aurait hérité de son adorable maman.
Ou alors, songeait-il non sans amusement, son père était plus redoutable que tous les membres du chaos réunis, pour parvenir à faire croire, même à son propre fils, à une fatuité stupide, simple, presque frusque.

Il contemplait le couple qui lui faisait face, avec ce mélange de respect -oh, si peu- et d'ironie. Il les tenait, il les avait tenu depuis que son Don s'était manifesté, depuis qu'une minorité des affaires familiales lui étaient tombées dans les mains, lui permettant de financer un premier réseau d'informateur. Il les tenait depuis qu'il les entretenait -oh... de tellement loin. Se préoccuper de l'intendance n'était pas même pas concevable, pas pour quelqu'un comme lui- qu'il raccommodait leurs dettes et les fissures de la façade des Zil' Urain.
Et pourtant, sa mère posait sur lui un regard souverain. Merwyn disait que l'autre monde était peuplé d'Empereurs par leurs mères tyrannisés, par leurs mères assises sur les trônes. Un monde de mère au pouvoir, alors que seuls les mâles avaient droit à l'or et la pourpre. Un monde où les mercenaires du chaos allaitaient de leurs mamelles des ignares compulsifs, redevables, assez bête pour se laisser dévorer.

Aurait-il le temps, l'ingéniosité nécessaire pour mener une double vie; jusque dans la couche? Une épouse formelle, convenue, pour les héritiers, pour ce qu'exigeaient les formes, pour faire évoluer sa situation de noceur charmant, mais friable, vers... vers quoi?
L'époux assuré qui porte sur ses épaules noble la famille idéale, et s'approche de l'empereur avec assurance, mais douceur. Rigoureux, de bon conseil... A quoi ressemblait le véritable homme d'honneur? Celui qui n'était plus chevalier, plus idéaliste...? Celui qui oubliait les paillettes tapageuses pour le costume adéquat, sobre, et par là plus séduisant encore?

On avait congédié d'anciens amis devenus infréquentable, au moment où le démon l'avait blessé. On le disait changé, depuis l'accident, et d'anciennes conquêtes détaillaient son torse de manière rigoureuse; toutes louves qu'elles étaient, à pister le sang, les cicatrices du mâle, les marques de sa mésaventure silencieuse- la soie immaculée leur rendait la présence du mentaï détestable, plus désirable encore.

Mais l'art de séduire lui était acquis. Il ne doutait pas de sa mise ou de son charme. Ni même, réellement, de ses capacités à dissimuler et mentir. C'était toute sa vie. Il craignait de ne pas savoir feindre la différence infime qui séparait les conventions de l'indécence.
La vieille pie se mit à jacasser, comme le font les femmes pour faire passer le temps. Sa volubilité paraissait pourtant déplacée à son fils, qui rêvait à présent à l'androgyne élégance du vers chanté par l'éphèbe, sur toile de doigts de femmes. Aïlil porterait toute sa vie des bijoux de silences, voile pudique que ses mains soulèveraient- juste pour un cercle choisi, une élite parmi l'élite- ainsi, s'il épousait, choisirait-il de conserver un interprète, et d'apprendre seul, les significations. Au cas où, comme il le pensait, ce type de langage permettait de faire passer plus facilement certain types de messages, qui la compromettraient.

Séduisante perspective que celle qui tenait en son creux la fratrie Til' Eyvindr. Séduisante et frivole; certainement.

Les affaires reprirent lorsque les Zil' Urain fermèrent eux-même la porte de leur cage dorée. La voiture revint vers la capitale; ses rues, labyrinthes de beauté et de crasses, accumulées à l'ombre des bâtisses à l'architecture délicieuse. Ah, les toits en tourelles, les arabesques mordorées des échoppes qui ouvraient leurs entrailles aux avenants passants... Comme une mécanique bien huilée, le cocher menait le mentaï jusqu'aux points de rencontre, où sautaient à l'avant les dignitaires d'information. Les rapports étaient faits rapidement, les yeux baissés. Il scrutait leurs auteurs de par une fente ordinairement masquée. Aucun de ces hommes ne savaient exactement à qui profitaient leurs dires. Nombreux, sans doute, le soupçonnaient. Mais comme Dolohov, ils savaient où placer leurs priorités et leurs intérêts. Quant au cocher? Il était presque sourd. Les rapports faits à voix basse lui échappaient peu ou prou. Et le mentaï le faisait trop régulièrement observer pour envisager que ce vieillard représente un danger, même minimal.

Il acheva sa course devant la demeure qui lui appartenait officiellement; celle qui ressemblait à toutes les autres. Avec son boudoir, la zone où vaquaient les domestiques- il y jetait souvent des coups d'oeil, question d'assurance, avec ces fichus sous-fifre. Quelques uns de ses atours l'attendaient dans la chambre qu'il occupait habituellement.
Il saisit les tissus bleu pâle, avec une quasi nostalgie. Jeune, il avait aimé le bleu excessivement.
Même si elle n'en portait jamais, le bleu lui évoquait machinalement Marlyn, son regard improbable, et les vagues douloureuses des Sbires qu'elle entrainait dans ses pensées. Il voyait danser les éclats de sa chevelure, la noblesse, et souvent, même, les déclinaisons des arabesques sur sa peau. Et le bleu ecchymose, à frontière de ce que ses propres iris toléraient.

Il n'ignorait pas à quoi ressemblaient les hommes mûrs et assagis. Simplement, la question de la limite, de la manière de poser la rupture l'agaçait... Quand on renonce au bleu roi, existe-t-il seulement un autre ton à faire sien? Fallait-il oser un dernier relent d'élégance? Moins que de manquer à son plan, il redoutait de passer pour un endimanché sans adresse.
Il jeta un long regard à la psyché qui lui renvoyait son visage pour la seconde fois de la journée tout en enfilant une chemise noire- petite excentricité de dandy qu'il s'accordait avec un sourire un peu forcé. Allons. Il se connaissait parfaitement. Il ne s'était pas transformé en quarantenaire riddicule, son port était altier, son regard, pétillant. Il devait cesser tout de suite d'exagérer l'univers, l'emprise du vrai sur lui. Quel que soit l'âge, il ne pouvait lui rester... que de belles années.

*
Il guettait, fauve parmi les fauves.
Car, entre nous, le choix aurait pu se faire sans passer par les réseaux; juste par le regard que la candidate avait porté à son flan délicieux.
A l'idée d'un trio, d'un trio d'harmonie, camaïeux de tailles, de genres et de décennies; lui, son épouse, et l'enfant qui parferait l'ensemble. Comment l'avait-elle nommée, l'enfant? Celle qu'elle promettait au théâtre, et lui au bordel; dans la manche d'un notoire qui la gaverait de sucres, et grifferait sur ses trésors charnels des marques de propriétaire. Ether? Eithel? Qu'importe. Elle avait l'air rêveur d'une bâtarde, et ça avait joué.

Il écoutait non sans attention le discours du propriétaire de l'endroit. Réflexe de mentaï, car c'était souvent face au grand public qu'un homme se permettait des sous-entendus équivoques, que ce soit à propos de l'Empire, d'un autre homme, ou... disons, d'affaires et d'autres? Il devait y avoir dans cette salle une minorité de petits nobles, qui pour un profit étaient chargés de mémoriser mot pour mot ces fichus discours, et d'aller les réciter, généralement, le plus tôt possible, aux messieurs commanditaires, qui s'attardaient à autre chose. Dolohov se rappelait des conseils de son maître, à ce sujet. Il devait se montrer commis maladroit. Quelques fois, tout aussi talentueux qu'il l'était réellement; d'autres, tout à fait corruptible, ou peu soucieux (dans ces cas-là, il passait des soirées d'ivresse, ivre et verbeux dans tous les endroits possibles, et souvent difficile à retrouver avant le lendemain-soir, quand le tout-Al-Jeit avait déjà agi en fonction de la veille. Il fallait être aussi indépendant que possible.

Il applaudit, avec l'air ennuyé et conciliant qu'adoptaient ceux que ce genre de festivité n'émoustillaient même plus. Une femme murmurait qu'il manquait un certain nombre de Haut-Nés dans la salle, et que, sans doute, cela jouerait contre leur réputation à tous. Mais à la manière dont elle lissait ses rubans, Dolohov comprit qu'elle était anoblie, et finalement, peu consciente de ce qui faisait, ou non, les rumeurs positives.

Il dût cependant reconnaître que ce n'était pas faux. La noblesse du Sud semblait avoir été invitée ailleurs. Ou gentiment reléguée au rang de la Plèbe. Dommage. L'ambre des corps manquait, surtout après un hiver aussi rude, aussi cloisonné que celui qu'avait connu l'Empire cet année.

Etait-ce pour ça que la foule s'était glissée dans des nippes incarnadines, terrestres et lumineuses? Les boucles d'or jouaient de leurs éclats sur les bijoux de jade. Les opales étaient pour la plupart reléguées, et les plus âgées des femmes portaient les perles laiteuses des océans lointains.
Il était lui-même vêtu du vert des paon. Son gilet finement brodé d'arabesque irisées, du brun cendré jusqu'au turquoise, rehaussé par endroit de fils argentés. Tons de la Dame, qu'il pensait moins capable de dénoter.

Pourtant, dans la foule, il n'avait vu personne porter le véritable rouge. Sauf... Oh, mais la voilà, quand on parle de danse. Oh, comme elle est délicieuse, et gracieuse à son bras. Comme il sera facile de lui voler un mot, un instant, sous prétexte d'aborder son frère. Ou son père. Ou les deux.
Il s'autorisa un sourire, et fendit la foule dans la direction de la jolie fleur dont il comptait découvrir le parfum.

*

Bien sûr, cela faisait plus d'une heure qu'ils étaient là. L'héritier des Zil' Urain avait fait tourner quelques dames, chaloupé en plaisantant et goûté aux nectars qu'on voulait bien lui apporter. Avec modération. Car une toile se file, et l'araignée attend.

Il n'ignorait pas qu'elle l'avait vu, et pensait voir, dans son manège, des attentions particulières à son égard. Ou quelque fois, celui de son frère qui s'appesantissait sur lui. Il aborda son père, au détour d'une conversation avec les Ril' Métenn; un salut discret, rendu prestement suffisait. L'un et l'autre hommes savaient à qui ils avaient affaire. Il avait donc toutes ses chances, puisqu'en une rencontre, elle avait parlé de lui.

Elle dansait, comme toutes les belles enfants; assez souvent invitée par un galant, et sans la trop-grande timidité des toutes jeunes filles. De manière élégante et légère, en souriant poliment.

L'opportunité véritable se présenta lorsque le frère voulut bien laisser la jolie blonde seule-sans doute, dans le but louable d'aller lui chercher un verre. Dolohov se présenta devant elle, en hochant la tête, l'air agréablement surpris de la voir.


-Bonsoir, Dademoiselle Til' Eyvindr, salua-t-il en s'inclinant légèrement sur la main qu'elle lui tendait, sans la toucher de ses lèvres.

Il s'imaginait qu'embrasser ses phalanges serait pour elle une quasi équivalence de baiser sur les lèvres; et devinait les frissons qui pourraient agiter cette jolie main là. Avec une autre femme, il aurait commencé une conversation facile, sur un loisir quelconque; très intellectuel, et par-là, totalement impersonnel. Il fallait toujours écouter les femmes. Comment courtiser habillement quelqu'un qui ne possède ni voix ni mots? L'obliger à écrire serait impardonnable, et terriblement terre à terre.

-Pourriez-vous m'indiquer comment mander en silence une danse à une femme éblouissante? J'ai peur de manquer cruellement de vocabulaire...

Ailil Zil'Urain
Ailil Zil'Urain

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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeMar 8 Mar 2011 - 23:58

Leurs regards entendus, ceux qui fouillent, qui ne manquent rien ne sont pas sans savoir ce qu’eux même ont à cacher. Des souvenirs familiaux, des scandales que personne d’autre que ces initiés de noblesse n’auraient su rendre inexistant – et qui, d’ailleurs, étaient les seuls pour qui cela pouvait représenter un scandale. Non qu’un paysan n’ait rien de secret qu’il puisse cultiver, avec amour ou honte, parfois les deux un peu ensemble. Mais que tout cela n’avait rien à voir avec cette fourmilière de non-savoir qui se dressait toujours entre deux individus dans ce monde-ci. Et parce que chacun mesurait, avec plus ou moins de précision, l’ampleur de ce qui appartenait à sa petite sphère privée, secrète, austère, personne ne manquait de palper ce qui pourrait être le jardin secret de toutes ces autres formes, à lui si semblables. Parce qu’ils n’étaient jamais que les mêmes, avec quelques ratés, avec des couleurs et des formes différentes, pour faire croire à des individualités. Des petites manières différentes pour cacher les mêmes pertes d’argent, les mêmes membres de famille traîtres, les mêmes prostitutions, les mêmes dérives, le même alcool. Et puis, ils se laissaient si souvent avoir. Un mot de trop, un mot manquant, un ton, un geste infime, c’était si idiot, si vite fait, de détruire des années de construction d’un édifice si particulier, si personnel – parce que l’on est rien, si, incapable d’accéder aux petites histoires de la hautes, on n’élabore pas soi-même, y compris sans raison, un audacieux stratagème pour masquer parfois que l’on a rien à dissimuler. Tout le monde veut son secret, tout le monde courre après avec ferveur et désespoir, pathétiques, essoufflés, pour réutiliser toujours les mêmes dérives. Mais la jeune femme avait quelque chose à cacher, elle. Une splendeur, un bijou de précision, une pierre taillée, à l’étendue sans cesse élargie. Et pas de mots pour les trahir au sein de la haute, dans ce milieu ou elle seule représentait la toile déployée sur Gwendalavir. Rien ici ne pourrait l’en empêcher. Il était si facile de se taire, ils avaient eux tant de mal à museler leur langue. Il était si facile d’expliquer un geste malencontreux, quand eux ne savaient qu’en faire, et mettait tout à jour en cherchant à la disculper.

Et c’était une cruelle naïveté que de croire ça, évidemment. Mais ce soir, peu lui importait. Elle se sentait Maître de quelque chose, comme si tout ce qui n’était pas du domaine public pouvait tomber dans ses doigts sans efforts. Il semblait que quelque chose lui tournait la tête, distillant dans les interstices de ses neurones cette sensation de pouvoir, d’aisance absolue. Qui, si elle ne lui était pas rare, ne lui offrait que rarement des pensées aussi dangereuses que celles qui pouvaient la traverser à l’instant. Il lui semblait que tout ce qu’elle avait le désir de savoir sur l’un de ces visages, informes, recopiés, ratés, qui souriaient avec quiétude et confiance, il lui suffirait de quelques mots pour l’obtenir, pour le faire sien, puis l’utiliser. D’être à la têtes d’organes insérés au sein même des foyers, juste là, tout proche du cœur de ses familles centenaires qui avaient tant à protéger, cela lui donnait des ailes. Tout pouvait lui appartenir, au fond. Y’avait-il d’arme plus atroces et définitive que celle de la connaissance ?

Il lui fallut de longues minutes pour reposer les pieds et les pensées sur terre. Elle posa les yeux sur ce qui l’attendait. C’avait un petit sourire menaçant et conquérant qui ne lui plaisait guère. Un chignon serré, pas une mèche pour en dépasser, des petits yeux amers, un cou trop large, un sourire à la fausseté maladive. Ailil aurait pu en avoir la nausée. Ca s’appelait Hela Jil’Nowam, et c’était assez immonde, bien qu’issu du beau monde, avec une famille respectable, très ancienne, contre laquelle on ne pouvait rien avoir à redire – une question de temps, voulait souffler une voix à l’oreille d’Ailil. Oui, mais ça faisait des yeux doux à Ethan. Le jeune homme était amené, un jour ou l’autre, à reprendre les affaires de la famille, quand sa jeune sœur pouvait s’autoriser quelques digressions. Il devrait se marier, mais n’y montrait pas encore d’impatience, se trouvait passif faces aux responsabilités. Dans l’histoire, il était bienheureux que la voix lui ait été donnée, à lui. Il y avait quelque chose qui semblait inexorablement fuir, taquin d’abord, puis de manière plus assurée, plus définitive, l’aura d’influence de la jeune femme sans voix. Et cela l’effrayait plus que toute autre chose. Qui était-elle sans cela ? Elle se découvrait inconsistante, lâche, couarde, sans projet d’avancement, interdite. L’influence, la raison de son avancement perpétuel résidait exclusivement dans ce petit bonhomme sans qui elle ne connaissait pas la vie.

Elle se tenait pourtant avec rigueur et simplicité, largement souriante, toute avenante à cette dame, manifestement rendue sensible aux charmes, aux bourses et aux promesses dont son frère était l’image. C’était foutaises que de défendre avec avidité des mariages où l’intérêt n’aurait pas place. Cela n’existait pas. Même l’amour était un traitre intérêt. Alors il valait mieux sans doute s’intéresser à d’autres critères pour ce qui était du mariage. L’amour, on pouvait le trouver ailleurs, et le mariage en rien ne l’embellissait. Le discours d’Hela était d’une platitude étouffante, ce pour quoi les pensées d’Ailil s’égaraient dans un univers laiteux inconsistant, et se heurtaient à certaines idées, de temps à autre, le temps de tourner autour, de l’explorer, puis de la quitter pour une autre, incapable de plus d’attention. Sa journée n’avait pas été des moins éprouvantes. A l’instant où Ethan parvenait, par une des pirouettes habiles qui lui semblaient extrêmement naturelle, à prendre congé de la cadette Jil’Nowam, un galant cavalier lui proposa une danse, qu’elle accepta avec une espèce de soulagement, qu’elle ne s’avouait pas. Il lui fallait s’éveiller, maintenant. Très vite, avant qu’il ne soit trop tard. D’autres danses se succédèrent. Elle ne savait plus avec qui, ne connaissait pas tous les noms, ni tous les ascendants. Mais peu à peu, les mouvements familiers la faisaient sortir de sa torpeur. La réalité, avec sa vivacité et ses évidences s’éclairait, il lui semblait que sa raison revenait, enfin. La mélodie s’acheva, les bras la lâchèrent, délicats, comme soucieux de ne pas la briser, quelques mots étaient chuchotés à son oreille, à l’éloge de ses mouvements et de sa tenue, une espèce de mécanique bien huilée qui se répétait à la fin de chaque danse.

Ses yeux cherchaient, un peu trop mécaniquement, des boucles blondes, et elle se surprenait elle-même par tant d’opiniâtreté inexpliquée. Elle les avait plusieurs fois aperçu, ou regardé avec davantage d’attention, et même croisé son regard. Elles lui étaient invisible, à l’instant présent. Aux bras d’Ethan se trouvait une ravissante créature, soignée mais curieusement naturelle, avec une curieuse note bucolique du meilleur effet, qui avait l’avantage de susciter un intérêt plus vif de la part de son cavalier qu’Hela. Il l’abandonna également avec les dernières notes de la mélodie, et fit glisser ses doigts sur l’épaule de l’enfant muette – c’était encore ce qu’elle était, à ses yeux. Ils conversèrent un long moment. La demoiselle qu’il venait de quitter portait le nom de Maelle Sil’Djena, une famille d’artiste dont la réputation n’était plus à faire, et dont les œuvres se trouvaient avec aisance dans beaucoup de demeures – peu importe la raison, du reste. Le reste des propos d’Ethan ne lui fut pas clair, il parlait d’un homme avec qui il avait conversé, mais la concentration d’Ailil était mise à mal, ce qui lui était particulièrement désagréable, dans un monde ou la moindre information peut devenir la première pierre d’un monstrueux édifice. Sur quoi, Ethan s’éloigna, sans qu’elle en comprit la raison, et elle ne chercha pas longtemps, à la vue de ce qui le remplaça. Les traits, le porc port, le sourire, à n’en pas douter. Voilà qui n’était pas sans lui plaire.

Elle offrit à ses propos un sourire délicat et chaleureux, et inclina légèrement la tête, pour marquer son aise. Avec douceur, et une lenteur de mise, elle leva ses doigts devant elle, et effectua en l’air trois gestes, l’un pour symboliser la danse, le second les protagonistes, et le dernier, le caractère interrogatif que devait porter la phrase. Elle immobilisa ses poings une fois la manœuvre terminée, ses yeux oscillants, sans empressement, entre le visage de Dolohov et ses doigts, qu’il éleva à son tour. Elle hésitait quant à la procédure à suivre. Réitérer les gestes risquait d’être une insulte à la capacité de l’homme de le refaire sans mal. Mais la phrase n’avait rien d’évident – commencer par une question, n’avait-on pas idée ! – et il aurait très probablement besoin de la revoir. Elle considéra que l’insulte serait bien minime – si insulte il y avait, comparée à la gêne de devoir lui demander de se répéter. Aussi, avec la même lenteur et la même application, elle réitéra les gestes. Levant les yeux, elle tomba sur ceux d’Ethan, qui, de plus loin, la regardaient, et semblaient extrêmement surpris de la voir demander une danse, elle. Elle lui adressa un large sourire et inclina la tête, entendue, avant de reposer ses prunelles sur les mains – belles, avant tout, et gracieuses – qui imitaient sa gestuelle. Le second mouvement semblait lui poser soucis, aussi, après une nouvelle hésitation, plutôt vague, Ailil se saisit-elle de la main qui s’agitait, frissonnant intérieurement au contact – elle y était très sensible. Avec douceur, comme elle l’aurait fait avec un enfant, elle imprima la position particulière à chaque doigt, courba la paume, et orienta le poignet, puis les lâcha. Avec aisance cette fois, l’héritier Zil’Urain répéta, consciencieusement, les trois mouvements, ce dont les yeux scintillants et le nouveau sourire de la jeune femme devaient le récompenser. Avec la même lenteur, elle articula, à la fois des doigts, et des lèvres, un mot unique.

« Volontiers »

Ce sur quoi, ils s’élancèrent. Il était talentueux, comme la majorité des hommes de son âge, mais il n’est pas difficile, si on en a la volonté, de trouver à quelqu’un un petit quelque chose supplémentaire, une petite touche qui fait la différence. Et c’est ce qu’Ailil fit, par ailleurs. Elle estimait la danse légère, très fluide, et se laissait porter par le parfum qui émanait de la peau – fascinante – de Dolohov. Elle était éreintée, mais aucun de ses mouvements, aucune des courbes qu’il effectuait, en parfaite phase avec la mélodie, ne lui échappa. Ou bien se figurait-elle la scène ainsi. Il était malaisé de distinguer l’effectif de l’attendu. Peu importe, on était bien, là.

[ Je ne me suis pas arrêtée là où j'aurais du, histoire d'avancer un peu. Si ça ne te convient pas, j'édite sans aucun problème. Je peux aussi avancer encore un peu, si tu le demandes. ]

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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeSam 26 Mar 2011 - 17:34

Dolohov devait se retenir de sourire.
Il n'avait jamais eu à fréquenter quiconque ne parlait pas exactement la même langue que la sienne, et se sentait étrangement vulnérable, à l'idée de devoir appréhender sans contrôle quelque chose qui touchait au langage.
Les mains d'Ailil étaient plus douces encore que les mots qu'il voulait lui faire dire. Douce dans l'exécution, dans le tracé, dans leurs couleurs.
Il sut qu'il aimerait l'apprendre, et que les choses seraient bien plus aisées qu'avec n'importe quelle autre dame.
Ses mains effleurèrent les siennes, corrigeant ses maladresses de novice.

Il s'amusa du trouble, qu'il sentait naître en elle. Juste une petite note incarnadine, sur le haut ses joues.
Etait-ce un baiser? Après tout, ses mains étaient comme sa bouche, son seul moyen de parler. Et elles avaient saisi les siennes, alors qu'il essayait de s'exprimer. Il s'interdit de lui demander de suite, se concentra. Les mots viendraient seuls.

Et elle articulait son silence, ses phalanges agitant d'invisibles marionnettes posément. Ta langue m'est encore invisible, mais tu sais aussi t'y prendre, n'est-ce pas?
Laisse-moi poser la main à ta hanche, laisse la tienne se poser sur mon cou, ou mon épaule. Il resterait, hors de nous, la musique. Les rythmes soutenus que ton oreilles comprenait, que nos pieds marqueront.
Je prendrai pour baiser chaque doigt que tu poseras sur moi – et pour habilité les courbes de tes cils, celles que la musique imprime à ta robe- trop rouge.
Voudrais-tu être plus remarquée que tu ne le pourrais pas; et voilà que mon attention t'es entièrement acquise – oh, commets une méprise. Je voudrais effleurer ta jambe, ton pied, mais il n'es pas temps, sans doute.
Tes joues prennent les couleurs de tes jupes- mais à quoi bon te lâcher? Ton regard m'es acquis, et brille dans tes yeux les éclats des chandelles qu'il reste à tenir.

Il y eut d'autres mots, ce soir-là. Il la remercia pour la danse -fit l'erreur de la remercier pour les questions, la vit retenir un rire, et s'en attendrit presque – car elle avait à cet instant des manière de toute jeune enfant.

Ils burent une coupe ou deux, puis vint rôder le frère, qui se fit présenter plus officiellement. Ils échangèrent quelques mots fort convenus, puis le mentaï tenta de faire dériver la conversation sur un sujet plus personnel, plus passionné et passionnant.
Ce fut rendu plus compliqué qu'il ne l'aurait cru. D'abord parce qu'il tenait à ce que la jeune femme y soit impliquée, et y occupe une place de premier choix, ensuite parce qu' Ethan- puisque tel était son nom, échangeait avec elle des regards à part- entre reproche; peut-être? Et dont le signifiant lui échappait.On ne peut changer sa réputation en un soir. Il était normal que le frère cherche à préserver sa soeur- qu'il aurait bien croqué, c'était vrai.

Il avait repris un rôle d'interprète, d'une voix bien plus mécanique que tout à l'heure.
Le trentenaire qu'il était encore s'était senti étrangement lésé, et mis au défi par le jeune homme. Mais soit, il ne lui déplaisait pas qu'on lui résiste.

Et bien que la conversation était agréable, et allait bon train, il finit par s'excuser auprès de la fratrie après un long moment. Il s'agissait de s'éclipser avant de sembler pesant. L'arrivée de Dienne et de son mari négociant lui offrait l'excuse parfaite. Il appuya son regard sur la jeune femme.

« Ce fut un réel plaisir de goûter à votre conversation. » Puis, légère inclinaison de tête devant Ethan, accompagnée d'un « Monsieur » et d'un sourire doux.

C'était une de ces phrases où la voix semblait neutre, et nul reproche ne pouvait avoir été fait. Mais on maquille souvent ses mots- mademoiselle, portiez-vous du vernis, ce soir-là?

*

Il était convenu qu'aujourd'hui, il la rencontre encore, pour engager auprès de lui un des enfants de coeur.
Sa patience d'Homme était mise à très rude épreuve. Non pas à cause des sens -on satisfait avec une aisance relative ceux-là, quelles que soit les circonstances.
Non, il redoutait de faire d'Ailil une maîtresse, et non une épouse- dépourvu qu'il était, face à la limite. Les convenances ne lui échappaient pas, mais des amoureux ont droit d'en oublier un certain nombre, n'est-ce pas?
Il ignorait si les déclarations seraient utiles, à qui les faire. Tout lui semblait tellement évident. La lenteur freinait trop ses plans, mettait en danger ses possibilités au cas où une bataille avait lieu, du côté de l'élève, qu'il contactait irrégulièrement. Les rapports qu'elle lui faisait étaient complets, signifiaient que les choses suivaient leurs cours.
Et puis, la lenteur, et la moralité avec laquelle se passaient sa cours faisait parler les gens. Les gens qui parlent échangeaient avis ou questions rhétoriques. Dolohov connaissait trop bien la rhétorique pour ne pas s'en méfier totalement.

Mais elle avait annulé – évidemment. C'est une coquetterie de femme, voulait-il penser, pour se rassurer. Mais il craignait qu'elle ne découvre déjà quelque chose, qu'elle se rétracte. Sa fierté masculine était en jeu, il la voulait. Comme trophée ostensible – appelez ça comme vous voulez.

*

Il vit Ethan, régulièrement. Il était bien moins sage que ses moues et son jeune âge voulaient le faire croire. Et il aimait l'art... comme un noble, sans réelle passion.
Ils parlaient souvent de dessin, d'académismes. Faire entendre les Sbires à quelqu'un qui n'en a pas conscience était quelque chose d'extrêmement ardu. Il riait régulièrement aux explications du mentaï, glissait vers des sujets plus concrets, dans ces cas-là. Finances. Demeures. Femmes.

Quelques fois, Dolohov dû mimer l'excès, pour qu'Ethan l'engage dans ce genre de pentes. Il était protecteur, sans doute. Et pas si facile à tromper. Lui-même feignait bien l'ivresse. Au final, les deux hommes se découvraient d'intéressants points communs, qu'ils enjolivaient approximativement, au détour des soirées.

Ethan jouait excellemment au poker; il vainquit réellement Dolohov, les premières fois, par virtuosité. Et une chance inébranlable, aux accents de tricheries, qui lui acquirent encore plus d'intérêt de la part du mentaï.

Une fois, cependant, il s'était laissé aller. Il lui avait dit qu'Ailil était toujours sur ses feuilles blanches, en ce moment. « Aussi blanches que tes gants ». Ce jour-là, leurs regards étaient entre la menace et l'aveu.
Il s'en fallu de peu – mais Dolohov se rappela qu'il avait une réputation à acheter, et qu'il avait affaire au frère de sa future promise. Il s'en serrait mordu les doigts; si seulement.

*

Le repas s'était passé de la plus agréable façon. Madame Til' Eyvindr lui tendait toujours mille perche de sortie. A croire qu'elle voulait garder sa fille auprès d'elle, frêle demoiselle, ou la protéger à tout prix de toutes personnes qui auraient pu voir en elle une « curiosité ». Ailil portait une robe de saison, un peu trop légère de tissu, peut-être. Les grains de sa peau se froissaient irrégulièrement, appelaient les bras du noble à enrouler ses épaules.
Il découvrait toujours dans sa beauté des restes d'androgynie. Ici, ou là, un angle, un os, que son frère avait seyant. Ici ou là, un mot moins féminin.
Après une si longue série de souper, de toutes façons, il lui semblait qu'il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre le moment de choix, et observer tout ce qu'on pouvait laisser voir.

Il avait sû que l'affaire avait été conclue au moment où le père avait suggéré de passer au salon, écouter Ailil jouer du violon. Car si on doutait un instant de la grâce de la jeune fille, l'écouter interpréter en silence aurait suffi à émouvoir n'importe quel être.
Le creux de son épaule épousait les formes du bois, son expression était celle d'une évasion plus extrêmes que toutes celles que le corps peut rêver d'atteindre. Et ses doigts embrasaient les cordes, les sons.
Il semblait presque à Dolohov qu'il venait de déceler une forme de dessin en elle, tant ses notes s'accordaient avec les musiques mentales qu'il se plaisait à jouer.
Il n'en détacha pas son regard, dévoré qu'il était.

Enfin, ils furent seuls, qu'importent les réelles circonstances. Ca durerait très peu de temps, et ils le savaient.
Ils étaient assis l'un près de l'autre. On pourrait supposer que, comme n'importe quels jeunes premiers un tant soit peu intellectuels, ils en auraient profité pour s'échanger un ou deux mots doux. Comme deux adolescents, qu'ils n'étaient plus.
Ce n'était pas exactement venu à l'esprit de Dolohov.



[Edition à volonté, j'ai avancé "beaucoup". ]


Ailil Zil'Urain
Ailil Zil'Urain

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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeJeu 11 Aoû 2011 - 22:06

C’était sans doute trop simple, ou peut-être trop complexe, la question ne se situait même pas à ce niveau là. Cela piaillait allègrement, sans cesse, sur chaque rebord de fenêtre ; tout juste à enivrer les ères du manoir. Les courbes blondes semblaient presque de trop, ici, comme un excès indécis, intermittent surtout, qui vient brouiller l’équilibre établi, et puis, par la force de son acharnement, recrée un équilibre qui l’inclus. Ailil les percevaient plus souvent qu’à leur réelle fréquence d’apparition, indéniablement, mais cette patiente lenteur qui la faisait frémir, et de complaisance dans l’attente, et d’admiration, commençait à l’intriguer. Et ce qui intrigue ne met guère de temps à se teinter d’angoisse, adressée à ce qui pourrait exister au-delà de notre champ de connaissance. La violoniste s’en tenait là. L’excitation distillée dans ses fibres, comme à chacune de ses venues, une mine plus volontiers rosissante, et somme toute, ensoleillée. Assortie pour cette fois d’une attention accrue, que la tournure des évènements rendait peu à peu légèrement crispée. Ses doigts volatiles masquaient avec l’adresse que donne l’expérience les frémissements qui se cantonnaient à sa nuque. Les mets respectaient la réputation des Til’Eyvindr, les couleurs des pièces, du service et des tenues aussi.

Le violon bruissait, chaque corde était un enchantement, la jeune femme évadée déjà n’existait plus. On lui aurait attribué les mérites de la danse à mesure que son archer s’envolait, s’il n’y avait eu quelques mouvements de crispations, au sein de ses clavicules, que son émotion, laissée libre par les arpèges lents, ne pouvait maitriser. Remarquer cela l’agaça tout d’abord, avant qu’elle ne fût hors de portée de toute atteinte, les yeux clos, abordant avec légèreté un adagio très fin, aérien, peut-être à peine assez charnu, mais c’était chose prévue, à n’en pas douter. En effet, le mouvement suivant, vivace, nettement plus épais, très vif, ouvrit les paupières de la demoiselle, étirant un sourire sur ses lèvres, tandis que son corps suivait l’accélération, et le nouveau rythme adopté par son bras. C’en était dangereux, tant la réalité perdait de son importance, subitement. Parfois, un reflet blond accrochait son iris, occasionnait un mouvement plus ample, relançait la mélodie, lâchement. Trilles finales. Silence violent.

Les deux enfants n’avaient qu’à s’approprier l’espace laissé à leur disposition, vide. Trop, peut-être. Les yeux d’Ailil scrutèrent l’espace, qu’elle connaissait pourtant par cœur, si ce n’était davantage. Là, un batik s’étalait nonchalamment sur un dossier, ici une plante paresseuse voyait s’allumer des reflets dorés dans ses feuilles. Rien n’était inhabituel pour l’endroit. Rien de très original pour une pièce que l’on retrouve volontiers dans la majorité des demeures noblement nommées des alentours d’Al-Jeit : Des tableaux, du mobilier, du confort, une chaleureuse atmosphère, un âtre – éteint. Ici pouvaient se retrouver deux amis autour d’un plateau d’échec, deux familles réunies après un diner qu’elles ont toutes deux supporté de mauvaise grâce, une femme et ses enfants, à l’heure de la leçon, au retour d’une promenade, deux amants qu’une absence permet de réunir, ou encore, deux astres qui ne peuvent s’éclipser. Il menaçait de faire silence.

Le visage tourné vers la fenêtre ouverte sur un jardin bien entretenu, la jeune femme se complaisait dans cette quiétude que ne venaient irriter que les brefs mouvements de l’homme avec qui elle partageait l’endroit et la brise dans les tentures. Ce quasi-vide de son ne l’avait jamais ennuyé, mais elle n’était pas sans connaître les gênes qu’ils pouvaient susciter chez les êtres de bruits qu’étaient la majorité des humains – et s’en délectait allègrement, évidemment.
Elle mit un temps très long à quitter le carreau pour se retourner, le visage lumineux et ravissant, et s’approcher légèrement du visage que les années marquaient tranquillement, peu pressées mais insatiables. Elle mourrait d’envie d’aller décrocher ce visage, ces minois séduisants auxquels devaient réagir un grand nombre de demoiselles, dont elle faisait partie, de déchirer ce qui pouvait faire costume, mettre à nu l’esprit qui agitait le pantin. Sa déception serait intense si elle était amenée à découvrir une enveloppe vide, comme cela lui était déjà arrivé, par le passé. Elle prit soin de ne pas trop s’attarder sur les détails de la tenue – à peine trop élégante, sans doute, pour un amical diner d’été, mais habilement accordée à l’ambiance propre au cocon familial.

A pas lent, elle s’avança, le souffle lent, les pieds, qu’elle avait déchaussés, embrassant le sol froid avec un son velouté. Il se tenait immobile, avec une tranquillité qu’on ne connaissait pas aux hommes dans ces circonstances. C’était infiniment plaisant. Elle s’approchait à pas réguliers, dansantes, mais non pas menaçante. Elle ne cessa son mouvement que lorsque l’air n’eut plus qu’une cinquantaine de centimètres pour les séparer. Elle était trop près, déjà, à n’en pas douter, et cruellement indécente, pieds nus : Cela n’avait plus de mesure, et en soi, c’était déjà une offense qui mettait tout en péril. Mais lui semblait rester serein. Elle aurait pu se tromper. Elle savait qu’elle pouvait se méprendre ; c’était là trop peu d’informations pour maîtriser entièrement l’espace. Tout frustrant que c’était, il était trop tard pour reculer. Ses doigts, qui, quelques minutes au préalables, à gauche de la fenêtre, avaient saisi un porte plume, glissèrent celui-ci sur une tablette proche, avant de s’élever, tranquillement, devant le torse de la dame, grignotant encore sur l’espace réduit. Ses doigts s’agitèrent, avec lenteur et distinction : Elle articulait. Que l’héritier Zil’Urain ait commencé à apprendre les signes à son contact, elle n’en doutait guère. Restait à savoir à quel point. Et elle était loin de deviner jusqu’où les signes étaient devenus limpides à l’homme de tant d’enjeux.

« Tant de quiétude et de lenteur, vous font unique, je crois. Vous n’avez guère d’égal … »

Elle le pensait être le petit animal dont elle serait la cage.
Petite, c’est toi le petit oiseau, il sera tes barreaux.


***


Le bruit la comblait, et d’effroi et de satisfaction. Ne restait que la main d’Ethan pour lui assurer un semblant de stabilité, comme si, frêle flamme, elle n’attendait qu’un souffle pour vaciller, puis s’éteindre. Elle était plus sereine qu’elle ne le laissait paraître – ce qui était inhabituel, on utilise d’ordinaire le subterfuge inverse. Mais lorsque l’on s’apprête à offrir sa vie, chaque parcelle de son existence, à celui qui nous fut choisit, il convient d’être soulevé d’excitation. Et malgré tout, même lorsque l’on a tissé sa toile pour que cet homme nous soit choisi, on maîtrise difficilement les frissons dans la nuque et le dos. Ne restait qu’à afficher des doigts très légèrement tremblants – avec parcimonie, toutefois.

Sa mère se tenait à quelques mètres d’elle. Une dame d’un âge difficilement identifiable fixait ses cheveux avec soin. Il ne lui resterait bientôt plus qu’à masquer, avec toute l’habileté que l’on met à disposition des bourses fournies, les traces que le temps avait laissées sur ce visage qui avait su séduire un homme, en son temps, pourrait peut-être faire le plaisir d’autres, s’il ne s’était autant creusé. Heureusement, elle souriait ; la perspective de trouver un homme pour la main de sa fille l’avait ravivée. Elle avait affiché une certaine retenue, aux premiers abords : il n’était pas si évident de laisser s’évader son enfant. Mais ses angoisses s’étaient soudain tues ; celles qui la rongeaient en continu depuis de longues années, elle qui craignait tant de ne jamais trouver de prétendant à une gamine muette, et de risquer ainsi de ternir le nom qu’elle et son mari offraient à leur fils. Cette mère sous-estimait probablement le charme de sa fille : les prétendants n’étaient pas si rares, quoique son silence en rebuta plus d’un – entre autre choses, il fallait l’avouer. Elle était ravie d’avoir trouvé ce qui lui semblait être un bon parti. Tout ce qu’elle ignorait, c’est qu’elle ne l’avait pas vraiment trouvé.

Les cheveux de la demoiselle formaient un chignon dont plusieurs mèches ondulées s’échappaient, amples et délicates, souples à s’en étouffer. Son visage frisait la porcelaine, et si son nez ne se fronçait pas de temps à autre, on l’aurait volontiers crue de marbre. C’est là l’apanage des jeunes demoiselles fiancées, que de s’offrir tous les droits d’être la plus belle, sans aucune concession. Elle était vêtue de la première robe qu’elle devait revêtir – il devait s’en succéder trois, avant celle qui la verrait mariée. Celle-ci était d’un blanc pur, la plus sobre, sans corset, s’évasant avec mesure. Elle lui découvrait les bras, mais gardait les épaules couvertes. Elle était la pureté de l’enfance qu’Ailil s’apprêtait à abandonner.

Le père de la demoiselle n’était pas visible. Son frère en revanche se tenait immobile, dans l’ombre, et n’attendait rien d’autre que de conduire sa sœur auprès des invités. A mi distance, entre Ailil et Ethan, se tenait un petit garçon, aux cheveux sombres et à la peau mate, au délicieux sourire et au visage angélique. Sao. Il serait l’ombre d’Ailil, aujourd’hui ; il serait sa voix. Demain encore. Et les jours suivant. Sao était devenu un fragment de la jeune femme.
Une dernière personne se trouvait dans la pièce, une petite fille aux cheveux blonds, que l’on habillait également d’une ravissante robe blanche, et qui répondait au nom d’Ethel. Elle serait une parfait petite fille d’honneur, à n’en pas douter.

Elle se tenait immobile derrière la porte. Lorsque celle-ci s’ouvrirait, il y aurait derrière une foule. Ses doigts tremblèrent, s’accrochant au bras d’Ethan. Maintenant.



[ Contacte-moi à la lecture, que je te révèle où je compte aller, et que l'on revoit des détails o/ Edition en conséquence ]

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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeDim 4 Déc 2011 - 0:48

Eprouvait-il seulement l'envie? Avait-elle existé, un jour, ou s'en était-il convaincu? Dolohov de scène se tenait prêt, mais lui-même l'était-il, tous comptes faits? Non pas que l'homme redoute l'hyménée en soi, mais il ne parvenait pas à dompter tout à fait ce.. cette instinctive répulsion de son être. L'Intendance, peut-être.

Et pourtant la belle l'était, et ses sourires de mises, et ses joues délicieuses, mais. Eprouvait-il seulement l'envie d'elle, ou s'était-elle dissipée à chaque instant? Pouvait-on appeler romance ce qui commence avec l'argent et se conclut en grande pompe; la Dame prendrait-elle ses ombrages, s'il se détournait de l'épouse pour rejoindre ses vieux démons? Il s'agaçait à se le demander encore- allons, dieu et maître!
L'approche de la mort te rendrait-elle pieu, jeune homme? Au diable.

Et du diable, il ne saurait être question, quand tant de monde à aux portes du temple se presse, quand tant de conversations à la sienne se mêlent. Les amis du noble s'amusaient avec lui, les vieux amis souriaient, osèrent demander si c'était là une « passade » -redeviendrait-il le compagnon de leurs ivresses, ou se ferait-il sagement vieux, père, propriétaire?
Il rêvait endiablées les danses à venir, les jupes relevées et les jambes illusoires, toutes nacrées et douces, solides comme des colonnes- celles du temple de la Dame projetaient sur son corps l'ombre de barreaux.
« Rien qu'un mirage n'effacerait », se répéta le mentaï, « illusoire, factice, doux au regard. »

Son regard effleura la foule, cherchant le frère de sa fiancée- détail où fixer son attention capricieuse. Les Spires appelaient de leur mélopée douce; celle-ci parfaite des échos des murmures appréciateurs des invités, et surtout des multiples cascades.
L'eau s'écoulait des dentelles de l'architecture, débordantes de pureté, parfois au goutte à goutte; fragments diamantaires. Les verticalités floues des vasques qui dépendaient de la cascade naturelle froissaient l'architecture derrière leur voile et grondaient leurs notes creuses, qui s'étouffaient dans l'écume. Le Pollimage indifférent, suivait son cour en contrebas, décor vivant où convergeaient par habitude les regards. Demoiselle, m'honoreras-tu de ta présence?

A la vérité, le noble redoutait de croiser dans la foule un regard trop clair, et trop unique que pour pouvoir espérer s'y fondre. Son ange des brumes, caché parmi les pierres au visages lisses était une vision à l'avant goût d'enfer. Que ferait-il si la mère de son enfant se rebellait contre lui?
En n'importe quelle autre circonstance, il aurait envisagé de l'écraser si elle mettait son masque en péril- mais elle portait son enfant. Le pouvoir qu'il n'aurait jamais.

Ses souvenirs trébuchèrent sur les courbes en accent de la demoiselle, son émotivité accrue qu'il comprenait mal, ses envies dévastatrices et ses presque caprices, que la vieille nurse rapportait.
Quelques fois la promesse des fiançailles avaient glacés leurs jours communs – un « je viendrai peut-être voir à quoi ça ressemble, cachée parmi les gargouilles » lancé ici ou là, ou autre «  Te ressemble-t-elle au moins, pour te satisfaire un tant soit peu? ». Cela agaçait Dolohov, peu habitué à l'amertume qui suintait alors de sa compagne. Mais rien que le mentaï ne pouvait endiguer ou ne pas supporter. L'homme, en revanche, était désarmée face aux murmures qu'elle destinait à l'obscurité, quand elle dormait dans ses bras, et qu'il mimait la respiration profonde des endormis. « J'ai tellement peur, Maître ».
Certaines fois, il se demandait quoi. Oui, elle le mettrait au monde, mais elle avait connu dans sa vie bien pire souffrance que celle d'une naissance, n'est-ce pas? De quoi, alors? L'ombre de son ventre, le poids qui peut-être alourdirait sa frêle poitrine? Ou restait-il une menace qu'il n'avait pas envisagé?
Il cilla, chassant le trouble de ses pensées- il le fallait.

Il guettait malgré lui la porte du temple, « vers la vie terrestre », un signe qui lancerait les incantations dans la foule.
Quand vint le moment, ses yeux étincelèrent -et lui de celer si c'était de colère, désir ou de peur- et tout devint blanc. Elle avança dans l'allée, et les chants s'élevèrent, calvaire lancinant- la voix de Dolohov aurait dû être claire. Au bras de sa fiancée, Ethan, qui l'abandonna à son père, non sans lancer au futur marié un coup d'oeil pesant. Mi menace, mi taquinerie: alors, te voilà la corde au cou, cher ami? Et lui de répondre, tout crispé de bonheur, de ses iris gris: on a vu cordes plus laides, et tissu moins fin.
Petite fille qui à mon coeur frappe du pied, oserais-tu?

*

Elle manquait de félin- qu'importe, elle avait l'air rêveur et le déhanchement aérien, les nuées de son parfum – plus léger qu'une tournure de phrase, et suave lorsqu'elles s'effaçaient – tissaient l'espace qui séparaient leurs boucles. Posé, il feignait de ne voir que son visage – s'autorisant de temps à autre, une oblique aux doigts graciles de l'ingénue, aussi nus que ses pieds. Avait-elle noté les gants qu'il portait toujours, l'interrogerait-elle sur les cicatrices qu'ils dissimulaient? Il croyait voir dans ses iris des mains qui s'embrassent, et lui, tout à l'ivresse de la musique achevée, y voyait comme de la poésie. Quelque chose de très jeune, touchant de naïveté.
Et ses doigts volatiles, vinrent à hésiter- serait-ce sage, vraiment, d'offrir à tes mots des accents éternels? Ils plaisent à mes yeux quand tes ongles les griffent.
Ils nargueraient mon sourire, mais sur le papier, tu serais tout juste quelconque, presque grotesque, et je ne pourrais le supporter.

Alors, articule, de tes phalanges douces, puisque ton frère renonce à nous chaperonner. Articule le futur, de tes ossements fébriles; fais chuchoter tes jupes sur la méridienne sombre. Il s'étonna de ce qui semblait lui plaire; touché malgré lui de se savoir sans égal. Elle signait lentement, il devait répondre de la même manière, sembler appliqué, un amoureux convaincu que c'est ainsi qu'il faut faire, mais se faire plus brouillon qu'elle, encore.

Lui laisser la main, un moment encore, avant de la prendre.

Mais il se rétracta, au dernier moment, remerciant d'un sourire, en étirant ses doigts.


« Un marbre laissé à peine moins froid que les autres, est-ce ainsi que vous me voyez, Ailil? »

Son regard était doux, presque cajoleur, et ses doigts malhabiles contrastaient avec ses expressions neutres. Ici son index trébuchait sur le froid qu'il prétendait mettre dans sa tirade et la tiédissait doucement. « Ailil »était le seul mot qu'il s'autorisa à signer parfaitement.

« Figé pour l'éternité dans votre contemplation., allé à la quiétude, quand vos arpèges se taisent. Maintenant: vivace. »

Il crut voir son visage se faire moins maître un instant, et approcha leurs mains, presque à frôler les sienne- l'intimant au silence, cavalier. Puis il entremêla doucement leurs doigts, avant de murmurer dans sa langue à lui

-Peut-être ma valeur est-elle inférieure, et ne serais-je toujours ce que je suis aujourd'hui. Alors, m'autoriserez-vous...? Oh, me pardonneriez-vous de vous prendre un baiser?

De n'être point de marbre, peu s'en faut?
L'homme de composer, au couple d'interpréter. Mais c'était bien la main qui était demandée, la main qui lui servait de bouche pour prononcer « Dolohov » sur laquelle il voulait poser ses lèvres. L'or d'une boucle, peut-être. Et l'or tout court, si elle consentait?



[Edition à volonté o/ J'ai préféré te laisser champ-libre pour la cérémonie elle-même, si tu as des idées précises? J'espère que ça te plaira]

Ailil Zil'Urain
Ailil Zil'Urain

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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeLun 21 Mai 2012 - 22:03

Son échine, comme oiseau, se courba sous son joug. C’était lent, ça n’avait guère d’audace, c’était fort convenu. Mais l’on ne pouvait en ôter la grâce, le murmure alors que les jupons se froissent, le fard qui se dessine sur les mines jalouses, dont les yeux rapaces suivent chaque tremblement avec l’avidité que seule peut susciter la frustration, la certitude sauvage de ne pouvoir faire mieux. Et lorsque son buste daigne de nouveau s’afficher, ses épaules nues, éclatantes et immaculées, sont rendues fades par la lumière qui inonde ses traits – pas les yeux, ses yeux sont posés. Ses prunelles caressent les contours d’une silhouette qui lui semble déjà délicieusement familière, et dont elle tente, avec un patient acharnement, de lire avec justesse, sans laisser des odeurs trompeuses et des atours huilés le lui cacher, le véritable sens. Le froissement de ses lèvres, le frémissement d’un cil, tout parle. Ce sont des voix insensées qui se contredisent impunément ; ne reste qu’à y décerner la vérité – et la vérité ne parle pas fort. Une tension à la lisière de sa joue n’a pas de substance : qui ne doute pas, fugacement, mais néanmoins violemment, à l’instant de faire don de son existence ? Mais de quoi peut douter celui qui ne s’y prépare pas, et se contente d’en afficher les aspects – parce qu’il ne comptait pas le faire, n’est-ce pas ? Ou pas vraiment, ou n’en offrir qu’un ersatz, crédible, fané, d’une vide splendeur.

Son amour-propre et sa rationalité se disputaient le siège de ses émotions – si désordonnées en cet instant. Le premier réclamait l’estime de celui dont le nom devait la parer. Il scandait son dépit d’être donné en pâture à cet orgueil mâle et avide. La seconde s’échinait à démontrer l’obsolescence de telles revendications. En un sens, cette estime était subsidiaire et pouvait être aussi bénéfique que nuisible à ce qu’attendait Ailil de cette alliance. Absente, elle garantissait la tranquillité et évitait la suspicion. Présente, elle flattait l’amour-propre et offrait des opportunités. Le principal problème étant de creuser son apparente sincérité pour y attraper les intentions véritables. En serait-elle seulement capable ?

A chaque pas, un relent de tendresse, un timide éclat, une promesse. On avance vers les chaînes comme on s’approche d’un ami : avec sérénité, pudeur, conviction. Enfin, elle se retrouva sous ses yeux, et elle soutint son regard avec cette allégresse tapageuse que suscite l’amour. Tu n’es pas dupe, j’en suis assez déçue. Tu fais obstacle à ce qui constitue mon art. Je ne suis que le faire semblant – que me reste t-il, si tu me l’ôtes ? A fleur de peau, une tension irrégulière, comme un flux. Les digues de l’attente avaient éclaté, et dans ses nerfs se déversaient des flots de sensations qu’il lui était difficile d’identifier. Nulle trace de l’excitation teintée d’affection que la jeune épouse adresse à son mari ; nulle trace de la nauséeuse hésitation, du doute maladif qui crispe chaque mouvement ; nulle trace des frétillements à l’idée de la vie à venir et des projets, encore à l’état d’ébauche, et qui prennent souvent la couleur d’un nourrisson baigné de dentelles. Ou peut-être que si. Il y avait l’émoi exalté que la simple supposition de nouveaux horizons suscitait ; il y avait le doute fébrile quant à la liberté qu’il lui semblait risquer, et l’étreinte de l’ignorance qu’elle avait de l’homme, en dépit des efforts déployés ; il y avait le dessin de projets plus grands encore que ceux qu’elle avait dessiné jusque là, et que cet acte anodin laissait présager. Curieusement, aucun d’eux n’avaient le visage chérubin, les langes tendres et délicates. L’idée ne lui avait pas même effleuré l’esprit. Jusqu’à maintenant. Elle ne put retenir un arrêt, bref mais brusque, dans sa démarche. Cette fois, il lui semblait qu’une lame s’était enfoncée dans sa nuque. Ou dans ses entrailles. Ses neurones étaient figés, toute velléité de réflexion anéantie. Lui faudrait-il se plier à cela ? Mais la fermeté du bras paternel était sans appel. Tout juste avait-il remarqué cet accroc ; tout son esprit était suspendu au don qu’il allait faire, au poids qu’il allait lui ôter. Non qu’il n’aimât pas sa fille ; elle lui pesait trop, voilà tout.

Sao marchait avec constance et dignité, charmant dans sa tenue délicate. Le bruissement des tissus à chacun de ses pas servirent durant plusieurs secondes de béquilles à l’âme troublée d’Ailil, qui s’y attachait aveuglément comme à une ancre dans la réalité. Les volutes de pensées étaient engagées dans un affrontement féroce, elle fut cependant prompte à mettre sous les verrous les inopportunes ; quatre secondes la séparaient de son époux. Elle retint un frémissement.

Deux corps l’un à l’autre étrangers, travaillés à tenir cachée leur hostilité – elle-même factice. Les deux façades joignent leur main. Les doigts masculins, paume vers le ciel, accueillent la main gracile. Les interfaces éclatent en sourire, tout en eux respire la quiétude, l’aisance, l’exaltation. Les âmes pourtant se battent et suent dans une recherche vaine des failles de l’autre, alors que défilent les plus importants invités. Ces « Premiers », comme on les appelle, embrassent tour à tour la main de la mariée, puis celle du marié. Les deux mains liées pivotèrent ainsi quarante-sept fois pour recevoir les baisers, des familles d’abord, puis des autres Premiers. L’irritation doit être tue – et l’est mieux encore qu’à tous les autres mariages, parce que ce sont deux professionnels qui jouent celui-là. Quand tous les notables ont appuyé leurs lèvres sur les peaux délicates, une voix s’élève pour évoquer des idioties bon enfant, avant de faire glisser sur les deux mains unies un filet d’un sable fin, aux teintes grises, prétendu sacré. Ailil incline alors la tête, embrasse sa propre main, puis celle de son époux. A son tour, Dolohov se courbe, et, le seul, procède en l’ordre inverse, embrassant d’abord sa main, puis celle de la jeune femme. C’est en se regardant dans les yeux qu’ils reculent alors. Leurs mains se délient, ils font encore quelques pas en arrière. Se saluent, pivotent ensemble pour faire face à l’allée qu’ils remontent, éloignés de quelques mètres. Le père d’Ailil lui offre son bras, le frère de celle-ci marche quant à lui au côté de Dolohov. Il semble à la jeune fille qu’Ethan murmure quelque chose à son époux, mais dans la salve d’applaudissement ambiante, elle ne parvient pas à entendre ses mots. Au bout de l’allée, après un nouveau salut, leurs chemins se séparent, et chacun rejoint la loge dans laquelle il doit revêtir la tenue suivant. Elle n’a rien retenu de l’espace : le soleil inonde cette journée, mais elle n’a rien vu d’autre et se promet de regarder la prochaine fois.


__


Répression impavide d’un spasme qui, né de ses entrailles, s’étouffe en atteignant sa poitrine et dont l’écho assourdi raidit ses coudes. Son nez se plisse, comme lorsque l’on réprime une velléité d’éternuement. Son sourire est tendre. Les pensées qui devraient hurler dans une violente cacophonie sous son crâne se taisent, presque respectueusement. Elle devrait se sentir soulevée, légère, transie, aimée, accomplie, désirée. Au lieu de quoi, un mièvre soulagement, pas entièrement dénué d’amertume, et une incommensurable quiétude. C’était tout ce qu’elle désirait – comme les amantes transies que leur bien-aimé invitent ainsi dans leur vie. L’enivrante allégresse de l’instant lui manquait pourtant. A croire que les satisfactions de l’amour étaient infiniment plus puissantes que celles d’une manipulation huilée, d’un jeu d’un incomparable talent qu’elle avait incarné des mois durant. L’amertume venait de ce qu’elle ne se sentait pas que marionnettiste : il lui semblait être aussi pantin, tant les choses avaient été aisées, rondement menées, parfaites à leurs yeux, autant qu’aux yeux – combien inquisiteurs – du monde.

Ses doigts entre les siens caressaient ses lèvres – et tout à coup, c’étaient d’autres frissons qui naissaient en elle et qu’il lui appartenait de taire consciencieusement. Elle fit un ultime pas - éperdument significatif – si bien qu’il ne subsistait guère plus d’un ou deux centimètres entre les deux tissus qui couvraient leurs peaux. Elle avait les yeux au niveau de ses lèvres, mais se garda bien de les contempler. Elle bascula légèrement la tête en arrière, pour croiser à nouveau son regard. Elle sentait un flux d’air sur les flancs de son nez, garantissant pour la première fois à ses yeux la vitalité de Dolohov. Son sourire s’élargit avec une délicatesse inouïe, il rayonnait d’un éclat allègre, tendre, pur. Ses prunelles clamaient déjà ce que ses doigts, qu’elle rapprocha lentement, toujours enlacés avec deux de Dolohov, pour les élever jusqu’entre leur deux torses, s’apprêtaient à exprimer. Elle baissa les yeux sur ces mains déjà trop intimes, les fit jouer l’une contre l’autre, un moment. Puis, sans lâcher les doigts de Dolohov, elle signa. Il n’existait pas réellement de mots pour exprimer ces gestes, à la fois fébriles et assurés, rendu épais par les mains étrangères qui encombraient les doigts graciles, mais donnaient toute la profondeur aux gestes. Ils disaient oui. Une seule fois, avec certitude et entière dévotion. Ils disaient aussi qu’elle avait besoin de lui, qu’aucune autre issue ne pouvait avoir de réalité. Un frisson, à l’instant opportun. Les mains continuèrent leur ascension, la première phalange de son majeur gauche effleura le menton de l’homme, et comme si c’étaient tout ce qu’ils attendaient, les autres se déplièrent et effleurèrent à leur tour le menton, la joue, la peau douceâtre, puis une lèvre, tout doucement. Elles étaient closes, un peu sèches, attentives.
Et, sans préavis, mais sans brusquerie, ses yeux qui avaient accompagnés le mouvement de ses mains redescendirent, plus vite qu’ils étaient monté, pour tomber sur le sol, suivis de ses bras qui tombèrent, sans brusquerie, le long de ses hanches. Elle releva et son regard, et ses doigts, un bref moment, comme alourdie.

« Vous devinez que la décision ne me revient guère. Je crains de souffrir de ce qu’elle pourrait-être. »

Pure angoisse, pure comédie. Chute.


Dolohov Zil' Urain
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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeSam 16 Juin 2012 - 19:53

Le blanc de sa peau, de sa robe, échancrée, l’or pâle de sa chevelure – tout cela comme une écume, transparente et mystérieuse à la fois, à son corps de sirène sans chant. La tentation n’en était que plus forte. Le mentaï s’accorda le loisir de la contempler tout le temps que durait la traversée de la mer de noble, remerciant la Dame de ses bienfaits, de ses bénédictions et de sa chance. Comment voir autrement cette opportunité ?
Peu après son épouse, succédait sa mère, les traits tirés, gracieuse dans sa hauteur, sèche comme une fleur d’herbier. Dolohov songea à ce que deviendrait cette jeune enfant, à lui remise, s’il désirait, lui, assécher toute sa beauté, tous ses intérêts, qu’elle les sacrifie aux siens ? Il souriait avec douceur, les hommes de son âge n’avaient pas à prétendre à la timidité, qui leur seyait mal. Pourquoi ne pas tolérer, tant que rien n’était contrariant ? Plusieurs fois, il avait eu l’intuition, lors de leurs conversations, d’une intelligence vive, complaisante ; leurs éducations leur permettraient sans doute de s’accorder de leurs fantaisies réciproques, de leurs jardins.
Il imaginait les enfants qui naîtraient de leurs corps, les visages d’anges clairs qui tendraient vers lui ce regard farouche et tendre, celui de leur mère, présentement. Lui qui avait été ami, amant, voir ennemi de dizaines de femmes, toutes classes confondues se sentait étrangement novice. Incapable d’imaginer les conjonctures d’une relation interminable, avec cette personne choisie, étudiée sans être connue, préférée sans être aimée.
Mais puisqu’elle posait, sur la sienne, sa main en offrande, il lui rendit son regard, avec dans l’expression quelque chose de fragile et de tendre, qui se veut rassurant. Et tout, même ce moment, tenait de la convention.
Arrivèrent alors ceux qui s courbèrent sur leur main, bénissant leur union. Tous les deux étaient très droits, très sereins, accordés jusqu’à l’exaltation de tous ces Premiers. Dolohov pensait à l’argent, aux alliances, à la satisfaction pure, qu’il savourait, de voir s’élever son nom un peu plus haut encore. A plusieurs moments, entre deux baisers, la main de son épouse trembla ; le nouveau marié qu’il est tente de déchiffrer la part de peur-dégoût à celle d’une potentielle communication, quasi secrète, entre eux. Du coin de l’œil, en rendant ses saluts, il cherche son sourire ionique de statue.
Dienne lui embrassa la main, notable parmi tant d’autres. Elle avait ce regard particulier, un peu triste et douloureux, de femme qui espère que quelque chose puisse se passer autrement. C’était peut-être une prière pour l’épousée, peut-être pour lui-même, sur quelque chose qui lui échappe encore. Lorsque son mari s’inclina à son tour, il eut la surprise de découvrir, en lieu et place de l’homme de ses souvenirs un vieillard sur le déclin, il contint un frisson avec beaucoup de difficultés. Ailil, quant à elle, ne sembla pas faire le rapport entre leur noce et celle de leurs illustres invités.

Les baisers qu’elle posa, finalement, sur leurs mains avec cette candeur sublime et craintive parvinrent à tirer aux deux mères un petit sourire-soupir qu’elles feignirent agacé, ensuite. Ceux de Dolohov était triomphaux et presqu’espiègles. Puis on recule, énième salut, et rideau.

Les applaudissements fusent, et Ailil, finalement peu habituée à de tels succès, menace de s’effondrer dans les bras de son père, qui la retient fermement. Dolohov paraissait humble, et Ethan, les bras croisés dans le dos, torse bombé, avait l’air aussi virtuose que lors de leurs parties de poker.


-Je serais presque jaloux, tu sais ?

A nouveau l’ambiguïté claire de leur humour commun, au fond, quelque chose de l’ironie, dans ce qu’elle a de plus cruel par les sous-entendus. A nouveau, tentation de rentrer dans son jeu, avortée vite fait par la réputation, il réalisa qu’il avait la chair de poule se demanda quand ça avait commencé.

Ils étaient deux pour l’aider, car cette tenue-là était aussi compliquée que celle d’une femme, tout aussi sacrale, tout aussi religieuse. Il y avait Ethan, le père de Dolohov, et un garçonnet, qui avait passé le temps à défroisser les tissus, et lustrer les bijoux.
L’ambiance, franchement bon enfant, et l’ami qui lui servait de témoin lui lançait à travers la porte des blagues sans saveur, typiques des circonstances, auquel il répondait nonchalamment.

La sensation de saisissement dans le regard de la foule était fugace, mais pourtant perceptible. Il fallait faire que leurs robes, semblables en tous points, et larges, leurs cheveux longs, déliés, et leurs expressions marmoréennes devaient les faire ressembler, davantage à des parents qu’à des amoureux transis, dévorés d’impatience, passant le cap le plus lassant de la cérémonie.
Ils se tenaient la main, avançant de concert, vêtus dans les tons du dragon, terre de sienne, sable chaud, de tissus de brocard scintillants au soleil comme des petits feux, s’approchant de l’autel, tout entouré de flammes, où les attendaient les couronnes de grenat traditionnelles.
Là ils devraient écouter le flot des mots de ces mêmes invités qui leur avaient baisé les mains ; la Dame seraient grée d’entendre leurs souhaits.
Ils s’assirent à même la terre, la petite demoiselle d’honneur vint lier leur auriculaire à l’aide d’un ruban blanc, imbibé de vin.

Mères, pères, notables, Til’, Ril’, Zil’, Vil’ et autres se succédèrent, dans un miasme indifférentiable et franchement communs de termes que Dolohov avait eu le loisir de prononcer lui-même, en d’autres noces. C’était infiniment long. Le Pollimage, face à eux, étincelait dans le soleil, reflet iridescent de l’avenir radieux qui leur était offert. Dolohov dans les spires tendait la toile de son éseau et en écoutait les échos, avec une sérénité parfaite.
Vint le crépuscule, et la fin du supplice, ils se tendirent la main, et sous les applaudissements, se dirigèrent vers les flots, d’un même pas royal. Loin des flammes du Dragon, e dans le tissu trop fin de leurs robes chatoyantes, l’homme retrouva l’impression de leurs premiers rendez-vous. Les robes au tissu un peu trop léger de la jeune femme, qui laissaient voir et désirer le moindre frisson de sa peau.
Ils s’immergèrent ensemble, jusqu’au sommet du crâne, sans freiner l’allure- pourtant les flots étaient glacials.
Tous deux les deux ouverts se regardèrent sous l’eau, firent demi-tour très vite. Et détrempés, regagnèrent chacun, l’aire séparée du temple, tâchant de cacher leur grelotement, plus ou moins sans succès.


-Le plus dur est passé, assura son père, alors qu’il délassait la longue tunique, pressé de pouvoir s’essuyer.

Ethan tendit le linge, avec un amusement non-feint. En croisant son reflet, dans le miroir, Dolohov vit ses cheveux, lisses, tomber sur ses épaules.
Il n’avait que peu de temps pour régler ça.

*

Bien sûr, répondit la voix, grave et douce pourtant, comme une mélodie, en inclinant la tête, vers les doigts qui signaient l’autorité du père. Il y posa les lèvres, préambule pour la faire taire. D’abord la dernière phalange, puis ils frôlèrent la seconde, dévièrent vers le visage .Elle ferma les yeux, caressée par son souffle, attendant le baiser qu’il lui refusa finalement.
Il ferma les yeux à son tour, basculant dans l’air la mélopée souple de la musique du violon qu’elle jouait sans fin, lorsqu’il venait la voir, à peine retravaillée, moins instrumentale, et moins agitée, quelque chose de l’esprit, dans la nuance des notes, de cérébral, et pourtant d’emporté. Une musique de passion, qui serait orchestrée.

Les conditions se réglaient comme du papier à musique, entre les deux hommes qui pourtant s’affrontaient. Tacites depuis longtemps, aucun de deux n’aima les prononcer. Le mentaï rabattu au damoiseau qu’il n’était plus, prononça sa demande avec des mots empruntés à la convenance, auquel il n’ajouta rien ; et le père, qui se sentait vendeur, et redécouvrait l’âge de son interlocuteur, sa légère infériorité et en lui le voleur de la vertu de sa fille. Il n’y eut pas de témoins, Ailil, hors du bureau, tendait l’oreille en vain, en se rongeant les sangs –sa mère le révéla plus tard.
Il avoua avoir demandé à Ailil, ce que son cœur désirait, bien avant de demander l’avis de son père, celui-ci fit semblant de s’en attendrir et de s’en fâcher.
Mais tout était bien, puisqu’au final, comme au départ, la seule réponse qu’entendait et souhaitait Dolohov était une approbation.


[Je propose qu'on finisse la cérémonie dans ton prochain post. Voudrais-tu également qu'on joue la nuit de noce? ]


Ailil Zil'Urain
Ailil Zil'Urain

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MessageSujet: Re: "Au commencement était le Verbe" [Terminé]   "Au commencement était le Verbe" [Terminé] Icon_minitimeJeu 28 Juin 2012 - 0:32

« … Et j’ai au plus profond de mon cœur le vœu que tout Gwendalavir se lève pour protéger cette union si cela lui est nécéssaire … »

« Nous nous souvenons tous du bonheur qui fût le notre alors que nous étions à la place qu’occupent aujourd’hui Dolohov Zil’Urain et la jeune femme qu’il a choisi d’épouser, Ailil Til’Eyvindr … »

« Que la Dame bénisse cette union et leur assure une heureuse vie »

Ainsi se succédaient des témoignages visqueux de nostalgie, suintant des remords de ceux qui y voyaient un mariage d’amour qui avait toute leur vie habité leurs rêves. La voix et l’élocution qui prononçaient les mots insipides leur donnaient plus ou moins de volume, ravivant par moment l’attention défaillante d’Ailil. Celle-ci profitait des élucubrations usées par des générations de Premiers pour se plonger toute entière dans ce qui les entourait tous deux. Des gens, beaucoup. Des invités, mais aussi toute sorte de gens du peuple toujours avide de jeter un œil aux belles cérémonies. Des figures connues – des cousines, un oncle très bien sur lui, des amis de la famille entourant la mère d’Ailil dont ils tentaient d’imiter les réactions maladroites. De nombreux visages qui lui étaient plus lointains, et plusieurs franchement inconnus, sur lequel elle s’arrêta, y cherchant sans se l’avouer une ressemblance quelconque avec les traits de Dolohov, qui lui étaient déjà délicieusement familiers – elle avait du passer bien plus de temps à les scruter qu’elle ne l’aurait du. Un soleil doux, presqu’indécis mais serein. Le ciel était limpide. Elle en oublia d’inhaler les effluves mêlées de toutes ces personnalités réunies : c’était pourtant comme un bouquet – au lieu des fleurs, qui, chacune à leur façon, participent à la production d’un effet d’ensemble, c’étaient des odeurs, qui, toutes enlacées, forment un parfum : celui de l’instant, aussi fort en souvenir que les images et les sons.

La tenue ample qui caressait désormais sa peau la mettait quelque peu mal à l’aise ; à chaque mouvement, elle avait la sensation que tout glissait et se défaisait, et craignait d’arriver bien mal vêtue au bout du chemin. Elle se tenait droite, le souffle assez court, tentant de baisser le moins possible les yeux sur sa tenue. La tension dans son auriculaire lui arracha un léger frisson qui pouvait aisément passer pour de l’émotion – elle adressa un sourire entendu à Dolohov, qui lui, avait probablement déterminé l’origine de ce mouvement incontrôlé. Ce sourire passa pour de la connivence, et l’expression la plus simple du bien-être et du partage. C’est beau, cette capacité des gens à voir ce qu’ils ont envie de voir – et ceci uniquement. Ses yeux se perdirent dans les eaux du Pollimage, indifférent à l’agitation humaines, aux battements inégaux des cœurs, à l’atmosphère tout à la fois légère, euphorique et fiévreuse de l’évènement qui déroulait inlassablement son cours sur ses berges.

Quand elle mit les pieds dedans, elle fut saisit d’une douce sérénité, bienvenue après les paroles monocordes qui avaient grisé ses pensées. Les eaux s’immiscèrent entre les plis de sa tenue, et le battement entre la pression des flots rabattant le tissus contre elle et la sensation de l’humidité – du au temps que mit l’étoffe épaisse à s’imbiber, lui coupa le souffle. Elle n’appréciait guère que son contact avec l’eau soit entravé par le poids de sa robe, et son désir d’être nu, à cet instant précis, explosa à l’intérieur d’elle-même. C’était probablement la première fois qu’elle se maîtrisait si peu, et le contact de la main de Dolohov – c’était comme s’il touchait ses lèvres, après tout, affolait encore cette lave intérieur. Elle parvint à se maîtriser avant que les signes de cette effervescence ne gagnent sa jolie enveloppe charnelle, et après avoir lancé un regard à Dolohov sous l’eau, elle ressortit, considérablement alourdie par sa robe. Dès que le niveau de l’eau eut atteint ses genoux, des demoiselles accoururent pour soutenir les pans dégoulinants de sa robe, la soulageant ainsi d’un poids considérable et lui permettant de marcher. Il était temps d’enfiler l’ultime tenue.

Elle était plus claire que la précédente, de pans bleus et blancs, tandis que Dolohov jouait d’une tenue or et blanche. Ils étaient désormais le ciel, s’inscrivaient dans l’humanité entière, faisaient le serment de la représenter toute entière dans le moindre de leurs actes – c’était très ironique, si on y songeait bien. Il était splendide et se faisait le digne représentant du soleil. Il l’attendait, les mains jointes devant lui. Elle marchait à pas lents, sous les sons très naturels d’instruments à vent taillés dans un bois très clair. Leur mélodie ressemblait au chant des oiseaux. C’était doux et mélodieux. Elle se tenait au bras de son père avec grâce et légèreté. Derrière son époux, elle pouvait apercevoir la silhouette de sa mère. Lorsque les deux jeunes gens se retrouvèrent côté à côté, la mère de Dolohov et son propre père se saluèrent, puis reculèrent, leur laissant la place libre.

Elle n’entendit pas vraiment tous les mots, mais recomposa les paroles exactes sous son crâne – le discours était bien connu. Elle souriait joliment. Ils se faisaient face, et leurs mains (la gauche pour elle, la droite pour lui) se tenaient au niveau de leur torse, paume contre paume.

Il était le premier à prononcer son don.

« Aujourd'hui, nous conjugons nos âmes et nos routes, nos mains et nos voix. Puissions-nous être virtuoses, et notre alliance être aussi solide que le marbre, aussi intemporelle. »

Lorsque vint son tour, des murmures parcoururent l’assistance. Dans ses poignets, un frisson. Elle entendit les pas dans son dos, sentit les doigts qui effleurèrent ses reins. Elle respira – déjà, on sentait que le silence avait duré trop longtemps. Elle brisa le contact entre leurs paumes – c’était déjà aller contre la coutume – et leva les mains suffisamment haut. Il s’écoula encore plusieurs secondes avant que ses doigts, graciles, tendres, volages – plus beaux que jamais, sans doute, ne se mettent à signer. Quelques secondes encore avant que la voix chaude, velouté d’Ethan, juste à son oreille, ne donne des mots aux gestes.

« Que soient tressés à l’infini les rubans de nos existences ; que s’ils se délient un jour, tous deux soient consumés afin de ne pas choir. Maintenant, saisis mon âme et jamais ne la néglige. Nous sommes. »


Murmure des lèvres qui frémissent, se frôlent, s’enchaînent.


___


Elle avait les yeux clos, frémissait intérieurement des caresses – fine, à peine plus prononcée que le souffle du vent. Ses doigts souhaitaient chanter, se tenaient immobiles, fébriles, se croyaient tenir un archer – ce qu’ils ne faisaient pas. Un souffle qui s’égara à la base de son cou, qu’elle rêva un bref instant dans son cou, sa joue fut balayée ensuite. Elle ne bougeait pas ; les choses ne lui appartenaient déjà plus. Mais ce fut tout. Pas de sommet – un sommet qui n’est jamais qu’une relance, toujours, vers une descente toujours plus scandaleuse. Elle souriait, inlassablement.

La porte lui était violemment close – comme ses yeux, peu de temps encore auparavant. Ses doigts s’agitaient contre son gré. Sa mère les regardait et soupirait de temps à autre, agacé. Ethan se tenait en retrait, comme un tableau, le front plissé – comme fâché que la décision qui se jouait derrière la porte ne lui revienne pas. Ses doigts étaient les seuls à trahir les mouvements qu’il agitait. Déjà alors, le sens de cette alliance lui était flou, bardé de deux tranchants sans qu’elle pût prévoir lequel aurait le dessus. Elle n’osait lever les yeux ni sur sa mère, ni sur son frère. Cliquetis indélicat de la porte qui s’ouvre.
Et deux regards qui se taisent dans un bruyant silence.

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"Au commencement était le Verbe" [Terminé]
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